Exceptions préliminaires du Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie

Document Number
8618
Document Type
Incidental Proceedings
Date of the Document
Document File
Document

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE CONCERNANT L'APPLICATION DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE

(BOSNIE-HERZÉGOVINE c. YOUGOSLAVIE)

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES

JUIN 1995 - i -

TABLE DES MATIÈRES

Page

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES.............................................................................................. 1

INTRODUCTION.......................................................................................................................... 2

LES FAITS .................................................................................................4..................................

1.1.Eléments pertinents du passé de la Bosnie-Herzégovine................................................. 4

1.2.La création du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes et le statut des Musulmans dans
cet Etat ........................................................................................................................ 6
1.3.Le Génocide commis pendant la seconde guerre mondiale
contre les Serbes de Bosnie-Herzégovine ................................................................. 6
1.4.Le statut des Musulmans de Bosnie-Herzégovine dans
la Yougoslavie socialiste de l'après-guerre .............................................................. 11
1.5.Les relations inter-ethniques dans la Yougoslavie socialiste de l'après-guerre : la première

crise ........................................................................................................................... 12
1.6.La création de partis dans la République yougoslave de Bosnie-Herzégovine en 1990 13
1.7.Les premières élections multipartites en Bosnie-Herzégovine ..................................... 19
1.8.Désaccord, en 1991, entre les trois principaux partis quant à l'organisation future de la
Yougoslavie et de la Bosnie-Herzégovine ....................................................20.........
1.9.La rébellion, contre la République socialiste fédérative de Yougoslavie, des membres du
SDA et de la HDZ au sein du gouvernement républicain et les pressions subies
par les Serbes de Bosnie-Herzégovine (1991-1992) ............................................... 26

1.10.L'apparition de nouveaux Etats sur le territoire de
l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine ............................................... 39
1.11.La création de la République serbe de Bosnie .................................................40........
1.12.La création de la prétendue République de Bosnie-Herzégovine .............................. 42
1.13.La création de l'Herceg-Bosna .................................................................................... 45
1.14.La création de la province autonome de Bosnie occidentale ...................................... 45
1.15.La constitution de la fédération musulmane-croate.............................................45.....

1.16. Le conflit armé entre les Musulmans de Bosnie
et les Croates de Bosnie ............................................................................................ 46
1.17.Conclusions sur les faits .............................................................................................. 47

LE DROIT ................................................................................................................................... 50

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES CONCERNANT
LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE .......................................................................... 50
Première exception préliminaire ................................................................................................... 50
Deuxième exception préliminaire ................................................................................................. 51

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES À LA COMPÉTENCE
DE LA COUR RATIONE PERSONAE ............................................................................... 53
Troisième exception préliminaire .........................................................................53.....................

Quatrième exception préliminaire ..............................................................70................. - ii -

Table des matières (suite)

Page

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES À LA COMPÉTENCE DE LA COURRATIONE MATERIAE 71
Cinquième exception préliminaire ....................................................................71.........................

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES À LA COMPÉTENCE DE
LA COUR RATIONE TEMPORIS ..................................................................................... 72
Sixième exception préliminaire .................................................................................................... 72
Septième exception préliminaire ................................................................................................... 74

Conclusions concernant le droit .................................................................................................... 76

CONCLUSIONS .......................................................................................................................... 78

____________ - iii -

Sigles

B-H Bosnie-Herzégovine

HDZ Union démocratique croate

JNA Armée populaire yougoslave

RFY République fédérative de Yougoslavie

RSFY République socialiste fédérative de Yougoslavie

SDA Parti d'action démocratique musulman

SDS Parti démocratique serbe EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES

Par requête en date du 20 mars 1993, le Gouvernement de la prétendue République de

Bosnie-Herzégovine a prié la Cour de se prononcer sur l'application de la convention de 1948 pour la
prévention et la répression du crime de génocide de1948. Conformément à l'ordonnance rendue par la
Cour le 7 octobre 1993, ce gouvernement a déposé le 15 avril 1994 un mémoire exposant les moyens
de droit et de faits sur lesquels il s'efforce de fonder sa demande.

Le Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie soulève à l'encontre de ces
demandes des exceptions préliminaires et a l'honneur de les exposer et de les justifier ci-après,

conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l'article 79 du Règlement de la Cour et en
application de l'ordonnance rendue par la Cour le 21 mars 1995. En conséquence, et conformément
aux dispositions du paragraphe 3 de l'article 79 du Règlement de la Cour, ledit gouvernement
s'abstiendra pour le moment de déposer un contre-mémoire répondant aux thèses énoncées dans le
mémoire du Gouvernement de l'Etat demandeur. - 2 -

INTRODUCTION

1. Le demandeur prie la Cour de fonder sa compétence sur l'article IX de la convention de 1948
pour la préventionetlarépressionducrime de génocide (ci-après dénommée la convention de 1948 sur
le génocide). Compte tenu de cela, la République fédérative de Yougoslavie soumet par la présente ses

exceptions préliminaires. Le requérant ne peut subordonner le maintien de cette demande à la
renonciation par la République fédérative de Yougoslavie à son droit de soulever des exceptions
préliminaires. Dès lors que la République fédérative de Yougoslavie présente des exceptions
préliminaires, le demandeur ne peut invoquer d'autres bases éventuelles de compétence pour la Cour et
présenter de nouvelles demandes, comme indiqué aux paragraphes 4.1.0.9. et 4.2.4.5. du mémoire.
Cela équivaudrait à une revision du mémoire et la formulation d'une nouvelle affaire, ce que la
procédure ne permet pas. Préalablement à l'introduction de l'instance et tout au long de la procédure, la

République fédérative de Yougoslavie n'a pas reconnu la compétence de la Cour en l'espèce.

2. La situation dans le cadre de laquelle l'affaire s'inscrit présente au premier chef les caractères
d'une guerre civile et en conséquence il n'existe aucun différend international à propos duquel la Cour
pourrait exercer régulièrement sa compétence.

3. En donnant l'autorisation d'introduire l'instance, Alija Izetbegovic a outrepassé les pouvoirs
que lui confère sa qualité de président de la présidence de l'Etat demandeur et la requête n'est doncpas
recevable.

4. La République fédérative de Yougoslavie estime que l'Etat demandeur n'est pas partie à la
convention de 1948sur le génocide, à laquelle il ne pouvait adhérer par notification de succession étant

donné qu'en proclamant son indépendance, il a contrevenu aux obligations découlant d'une règle
impérative du droit international — le principe d'égalité des droits et d'autodétermination des peuples.
Pour apporter la preuve de cette contravention, il nous faut mettre en lumière les relations entre les
trois peuples vivant sur le du territoire de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine à des
moments critiques de leur histoire et retracer certaines phases de leur passé qui sont de nouveau
devenues d'actualité à la suite des événements plus récents.

5. La République fédérative de Yougoslavie souligne le fait que l'indépendance de l'Etat
demandeur a été reconnue en violation du droit international, qu'il n'a jamais établi son autorité sur la
partie la plus vaste du territoire de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire
celle où la République serbe de Bosnie a été constituée,et que l'autorité établie n'avait pas la possibilité
de rester stable pendant longtemps parce que les nouveaux gouvernements indépendants
d'Herceg-Bosna et de la province autonome de Bosnie occidentale se sont formés sur le territoire qui

avait été brièvement sous le contrôle du gouvernement de Sarajevo. Ce sont là également les raisons
pour lesquelles l'Etat demandeur n'est pas partie àla convention de 1948 sur le génocide.

6.Le territoire de l'ex-République yougoslave deBosnie-Herzégovine étant le théâtre de conflits
armés auxquels la République fédérative de Yougoslavie ne prend pas et n'a pas pris part, et la
République fédérative de Yougoslavie n'ayant exercé aucune compétence sur les zones en litige
pendantlapériodeenquestion,iln'existe aucunfondement àundifférend entre les deux Partiesau sens

de l'article IX de la convention de 1948 sur le génocide.

7. Si toutefois la Cour conclut que les affirmations qui précèdent ne sont pas fondées en droit ou
en fait, ou bien que, si elles le sont, la présenteaffaire relève de sa compétence pour d'autres raisons, la - 3 -

République fédérative de Yougoslavie estime que cette compétence ne saurait être définie
ratione temporis selon les arguments avancés par le demandeur et prie la Cour de déterminer sa
compétence ratione temporis conformément au droit.

8.Lesconclusions de la commission Badinter dontle demandeur fait état n'ont pas autorité de la

chose jugée en la présente affaire car cette commission était non pas un organe arbitral selon le droit
international mais un organe consultatif au servicedu président de la conférence sur la Yougoslavie,et
que lesdites conclusions ne sont pas juridiquement contraignantes.

9. La participation de la République fédérative de Yougoslavie à la présente instance ne saurait
être interprétée comme la reconnaissance de la République de Bosnie-Herzégovine. - 4 -

LES FAITS

1.1.E LEMENTS PERTINENTS DU PASSE DE LA B OSNIE -H ERZEGOVINE

1.1.0. La RFY ne tient pas à alourdir la présente procédure et le présent exposé par un rappel
détaillé des faits historiques. Toutefois, l'application du principe de l'égalité des droits et de
l'autodétermination des peuples exige que certains de ces faits soient mentionnés et ils seront donc
évoqués ici. Il s'agit en l'occurrence des faits qui attestent que les Serbes vivent depuis des siècles en

tant que peuple sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine et que, plusieurs fois dans le passé, ils ont été
victimes de répression, y compris d'actes de génocide, de la part des autorités ottomanes, puis de la
coalition fasciste croato-musulmane pendant la seconde guerre mondiale.

e
1.1.1.C'est au milieu du X siècle, qu'il est fait état pour la première foisde la Bosnie en tant que
région de la Serbie,dans l'ouvrage de Constantin Porphyrogénète intitulé «De administrando imperio».
A l'époque, la Bosnie était la région traversée par le cours moyen et supérieur de la Bosna, et on
désignait en fait par ce terme une zone géographique de l'Etat serbe et non une entité étatique distincte.

Le chapitre intitulé «Des Serbes et du pays eù ils vivent aujourd'hui» montre à l'évidence que les
Serbes se sont établis en Bosnie dès le IX siècle, autrement dit que la Bosnie était une terre serbe
(Constantan Porphyrogénète, De administrando imperio, dir. pub. G. M. Moravcsik, trad. R. J. H.
Jenkins, Dumbarton Oaks, Washington 1967, vol. 160,annexes, p. 1 ). 1

e
1.1.2. Au XII siècle, le pape Urbain III considérait comme identiques la Serbie et la Bosnie et
parlait de l'unité politique et ecclésiastique de ces terres. Le pape a confirmé également les droits de
l'Eglise de Dubrovnik par la charte de 1187, où il était dit : «regnum Seruilie, quod est Bosna...

— «Royaume de Serbie — c'est-à-dire la Bosnie...» (T. Smiciklas, Codex diplomaticus regni
Croatiae, Dalmatiae et Slavoniae, vol. II, Zagreb 1904, p. 207).

1.1.3. Dans son article intitulé «Campagne sur la Tara (1150)», John Kinnamos mentionne la

Drina qui sépare la Bosnie du reste de la Serbie, signifiant que même alors les Serbes vivaient en
Bosnie. (John Kinnamos, Deeds of John and Manuel Commenus, Columbia University Press,
New York 1976, annexes, p. 7).

e
1.1.4. Au XII siècle, le père Dukljanin également a dit que la Drina séparait la Serbie en deux
régions : la Bosnie et la Raška (Priest Dukljanin's Chronicle, Matica Hrvatska, Zagreb, 1950).

e e
1.1.5. Les souverains bosniaques des XIII et XIV siècles ne désignaient leurs sujets que par le
nom de Serbes et considéraient le serbe comme la seule langue de la Bosnie (S. Cirkovic, I Serbi nel
Medio Evo, p. 62; M. Blagojevic, On the National Identity of the Serbs in the Middle Ages, Serbs in
European Civilization, Belgrade, 1993, p. 25-26, annexes, p. 10).

1Les documents joints en annexe aux exceptions préliminaires sont signalés comme suit «annexe
p....». - 5 -

1.1.6. Les chartes de 1249 du gouverneur bosniaque Matija Ninoslav emploient le terme
«Serbe»pourdésignerunhabitant de la Bosnieet la chartedugouverneur Stipe II Kotromanic adressée
à Dubrovnik au sujet de la vente de Rati en Ston, datée de mars 1333, précise que «deux des chartes
sont en latin et deux en serbe» (F. Miklosich,Monumenta Serbia, Vienne, 1858).

1.1.7. Les caractères cyrilliques, en tant qu'alphabet serbe, sont employés en Bosnie depuis les
temps les plus anciens. La charte de Kulin Ban octroyée à la population de Dubrovnik en 1189 est
écrite également en cyrillique. Cet alphabet a été utilisé plus tard aussi dans l'administration des
souverains et des féodaux bosniaques et dans les livres religieux (G. Cremosnik, «Die serbische
diplomatische Minuskel», Studien zur alteren Geschichte Osteuropas II, Graz-Köln 1959,
p. 113-115).

e
1.1.8. Au début du XV siècle, la situation politique a commencé à changer à l'extérieur de la
Bosnie qui a été de plus en plus fréquemment attaquée par les Turcs. Ces attaques ont obligé le roi
Tvrtko II à devenir à la fois vassal du roi de Hongrie et du sultan de Turquie, auquel il a payé
régulièrement un tribut annuel dès 1415. La Bosnie est finalement tombée aux mains des Turcs
en 1463 (C. Jirecek, Geschichte der Serben II, Gotha, Friedrich Andreas Parthes A.G., 1918,
p. 168-226. John V. A. Fine, Jr., The Late Medieval Balkans, Ann Arbor, The University of Michigan

Press, p. 577-590).

1.1.9.LesTurcs ont enlevé de jeunes garçons serbes, qu'ils ont emmenés dans les grands centres
de l'Empire ottoman pour les islamiser et en faire des soldats — les célèbres janissaires. L'intolérance
religieuse est devenue une caractéristique permanente. En 1767 les Serbes ont perdu leur Eglise
autocéphale et ont été considérés officiellement comme «romaïques». En 1853 a été promulgué un
règlementturcinterdisant l'emploidunomSerbe. En 1868a étéadopté unnouveaurèglement stipulant

que toute la population devait se déclarer osmanli (ottomane). (Milorad Ekmecic, Stvaranje
Jugoslavije 1790-1918, II, Beograd, 1989, p. 316). Après que les Serbes, révoltés par le régime de
terreur auquel ils étaient soumis, se furent soulevés en 1974, deux cent cinquante mille d'entre eux,soit
le quart de la population totale, ont franchi la frontière bosniaque vers des terres relevant de l'autorité
des Habsbourg. Plus tard, quatre-vingt mille autres Serbes ont fui la Bosnie pour s'installer en Serbie
et au Monténégro (B.H. Summer, Russia and the Balkans 1878-1880, Oxford, 1937).

1.1.10. En 1879, le premier recensement officiel a montré que l'importance relative de chacune
des trois communautés religieuses s'établissait comme suit : serbe — 43 pour cent; musulmane
— 38 pour cent; catholique — 18 pour cent. (Djordje Pejanovic, The Population of Bosnia and
Herzegovina, Belgrade, 1955; Ferdo Hauptman, «The Economy and Society of Bosnia and
Herzegovina during Austro-Hungarian Rule» (1878-1918), Contributions for the History of Bosnia
and Herzegovina, II, Sarajevo, 1987; Milena Spasovska, Dragica Zivkovic, Milomir Stepic : Ethnic

composition of the Population of Bosnia and Herzegovina, Belgrade, 1992, p. 68, annexe 15; Mark
Pinson, The Muslim of Bosnia-Herzegovina, Harvard University Press, 1994, p. 86, 87, 102,
103, annexe 21).

1.1.11. La mise à mort par un peloton d'exécutionde quatre-vingt quatre paysans serbes tombés
aux mains des volontaires musulmans du Schutzkorpsà Celebici, sur la Drina, au début de la première
guerre mondiale, a préfiguré le génocide et les massacres qui devaient suivre. La violence subie

en 1914 par les Serbes de Bosnie-Herzégovine explique pourquoi c'est là le seul endroit où certaines
institutions démocratiques antérieures n'ont pas été rétablies. Les parlements dissous en 1914 ont été
reconstitués dans tous les pays d'Europe, sauf en Bosnie-Herzégovine de crainte que les Serbes
n'exigent des enquêtes sur les crimes qui avaient été commis. Par contre, le général Sarkotic,
gouverneurde la Bosnie-Herzégovine,avait formé desplansvisant à incorporer la Bosnie-Herzégovine - 6 -

dans une Grande Croatie et à conclure une alliance entre Croates et Musulmans qui empêcherait
l'unification de la Yougoslavie autour de la Serbie (Stephan F. Sarkotic, Der Banja Luka Process, I,

Berlin, 1933, p. IX).

1.2. LA CREATION DU R OYAUME DES SERBES , ROATES ET SLOVENES
ET LE STATUT DES M USULMANS DANS CET E TAT

1.2.0. L'un des fondements de la création d'un Etat indépendant étant le droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes, il convient d'exposer quellea été la situation des Musulmans sur le territoirede
la Bosnie-Herzégovine entre le moment où a été créé le Royaume des Serbes, Croates et Slovènes
et 1992.

1.2.1. Le problème serbe et celui des autres peuples slaves du sud — Croates et Slovènes — a
été résolu par la création, en 1918, du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. Ce royaume a été
constitué lorsque le Royaume de Monténégro et les territoires ayant appartenu à la monarchie

austro-hongroise avant la première guerre mondiale qui étaient habités par des Serbes, des Croates et
des Slovènes, se sont unis avec le Royaume de Serbie. Cette unification a été réalisée sur la base du
droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, dont la validité était alors reconnue en tant que principe
politique (allocution de la légation diplomatique du conseil du peuple, Zagreb, 1 décembre 1918 et
réponse de Son Altesse Royale Alexandre, héritier du trône, le 1 décembre 1918, annexes, p. 26).

1.2.2. Les Musulmans du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes étaient protégés en tant que
minorité religieuse. Leur statut était régi par l'article 10 du traité que les principales puissances alliées
et associées et l'Etat serbe-croate-slovène avaientsigné à Saint-Germain-en-Laye le 10 septembre 1919.

L'article 10 de ce traité se lit comme suit :

«L'Etat serbe-croate-slovène agrée de prendre à l'égard desmusulmans en ce qui concerne
leur statut familial ou personnel toutes dispositions permettant de régler ces questions
selon les usages musulmans.

Le Gouvernement serbe-croate-slovène provoquera également la nomination d'un
Rriss-ul-Uléma.

L'Etatserbe-croate-slovène s'engage àaccordertoute protectionaux mosquées,cimetières
et autres établissements religieux musulmans. Toutes facilités et autorisations seront

données aux fondations pieuses (vakoufs) et aux établissements religieux ou charitables
musulmans existants et le Gouvernement serbe-croate-slovène ne refusera, pour la
création de nouveaux établissements religieux et charitables aucune des facilités
nécessaires qui sont garanties aux autres établissements privés de cette nature.» (Traité
entre les principales puissances alliées et associées et l'Etat serbe-croate-slovène,

Saint-Germain-en-Laye, 10 septembre 1919, annexes,p. 36.) - 7 -

1.3. LEG ENOCIDE COMMIS PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE
CONTRE LES SERBES DE B OSNIE -H ERZEGOVINE

1.3.1. L'occupation de la Yougoslavie par les nazis au début d'avril 1941, provoqua

l'incorporation forcée de la Bosnie-Herzégovine dans l'Etat indépendant de Croatie, Etat satellite
dirigé par des fascistes croates, les Oustachi, commandés par Ante Pavelic. Une campagne massive de
conversion au catholicisme et de génocide fut organisée dans cet Etat. Certains religieux catholiques
y ont directement pris part jusqu'en 1943, lorsque le Vatican a pris ses distances à l'égard du
mouvement des Oustachi. Plusieurs centaines de milliers de personnes ont été tuées lors du génocide
organisé contre les Serbes, les Juifs et les Tziganes (Ladislaus Hory, Martin Broszat, «Der Kroatische
Ustascha-Staat 1941-1945», Stuttgart, 1964; Odone Talpo, «Dalmazia. Una cronaca per la

storia 1941», Rome, 1985, p. 998. Editions officielles de l'état-major italien; Edmond Paris, «Convert
or Die, Catholic Persecution in Yugoslavia during World War II», imprimé aux Etats-Unis, annexes,
p. 51; Avro Manhattan, «The Vatican's Holocaust», imprimé aux Etats-Unis, 1986, annexes, p. 58).

1.3.2. Selon la décision prise par l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste à la conférence de Vienne
des 21 et 22 avril 1941, la Bosnie-Herzégovine était incorporée à l'Etat indépendant de Croatie. Des

dispositions spéciales ont été prises par le gouvernement de cet Etat pour désigner des commissaires
chargés de mettre rapidement en place des autorités oustachi et de préparer directement l'instauration
du régime de terreur auquel ont été soumis par la suite les Serbes, les Juifs et les Tziganes en
Bosnie-Herzégovine.

1.3.3. Parmi les commissaires oustachi les plus célèbres qui ont été chargés d'une mission en
Bosnie-Herzégovine, on peut citer Viktor Gutic (pour la région de Banja Luka), Nikola Jurisic (pour
Travnik), Hakija Hadzic (pour le bassin de Tuzla), Don Bozidar Bralo (pour Sarajevo),
Dragutin Kamber (pour Doboj), Pavle Canki (pour Mostar) et M. Alija Suljak (pour l'Herzégovine
orientale). Jure Francetis fut nommé commissaire oustachi principal pour l'ensemble de la
Bosnie-Herzégovine.

Pendant la seconde guerre mondiale, l'Allemagne nazie a mis sur pied une division SS
musulmane, dite «Hanjar».

1.3.4. La mise en place d'une autorité oustachi enBosnie-Herzégovine fut ouvertement appuyée
par des politiciens musulmans de l'organisation musulmane yougoslave JMO, par l'intelligentsia

musulmane pro-oustachi et par différentes couches de population. Ainsi, Osman Kulenovic fut
vice-premier ministre du gouvernement oustachi jusqu'en novembre 1941, date à laquelle il a été
remplacé par son frère Jafer, une personnalité influente. Parmi les Oustachi figuraient les chefs de la
JMO, Hamid Kurbegovic, Ismet-beg Kapetanovic, etc. Parmi les hauts dignitaires oustachi
musulmans figuraient le vice-président, Ademaga Mesic, ainsi que Mehmed Alajbegovic (qui est
ensuite devenu ministre des affaires étrangères de l'Etat indépendant de Croatie), Hakija Hadzic,
Alija Suljag, etc.Le Gouvernement de l'Etat indépendant de Croatie (le Parlement croate) ne

comprenait pas moins de onze représentants de la JMO au début de 1942.

1.3.5. Les autorités oustachi nommèrent les Musulmans Hamdija Beslagic et Ragib Capljic
chefsdesdistrictsdePlivaetRama et d'Usora etSoli. Tous s'employaient à obtenir que les Musulmans
se déclarent croates et soutiennent l'établissement et le renforcement du pouvoir oustachi en
Bosnie-Herzégovine.

1.3.6. La propagande oustachi présentait les Musulmans comme une des composantes
principales de l'Etat indépendant de Croatie; elle proclamait qu'ils étaient la «fleur de la Croatie», - 8 -

tandis que la Bosnie-Herzégovine était «le coeur et l'âme de la Croatie». En même temps, les Serbes
étaient représentés comme l'ennemi séculaire à éliminer. Tout cela décida de nombreux Musulmans
à rejoindre le mouvement oustachi en participant aux formations armées de collaborateurs oustachi et
de volontaires pour la défense du territoire, ou bien en devenant membres des organes et organisations
étatiques de l'Etat indépendant de Croatie.

1.3.7. Des agents religieux (musulmans et catholiques), en particulier, se sont livrés pendant
toute la guerre à une propagande intense visant à inciter à des actescriminels contre la population serbe
de Bosnie-Herzégovine, afin de mettre en Œuvre la stratégie générale conçue par l'Etat indépendant de
Croatie pour régler la question serbe, à savoir exterminer un tiers de cette population, en expulser un
autre tiers et convertir le tiers restant au catholicisme. Les crimes commis en Bosnie-Herzégovine
n'avaient rien à envier en cruauté ou en ampleur, à ceux perpétrés en Croatie même, notamment dans

les communautés primitives de Musulmans fanatiques . C'est ainsi qu'en Herzégovine, où le
cermissaire oustachi principal était le Musulman Alija Suljag, les crimes ont commencé dès le
1 juin 1941 et ont rapidement pris des proportions inouïes. Au cours des trois vagues de massacre de
la population orthodoxe (en juin,le jour de la Saint-Guy(Vidovdan) et le jour de la Saint-Elie (Ilinden)
en 1941, près de douze mille hommes, femmes et enfants de nationalité serbe furent tués et leurs corps
jetés dans des fosses. La fosse située à proximité du village de Korito, près de Gacko, a servi de
sépulture à cent soixante Serbes dont les Musulmans se sont appropriés les biens.

1.3.8. En même temps, dans plusieurs villages proches de Ljubinje les Oustachi ont tué
cent quarante-trois paysans et ont jeté leurs corps dans une fosse du village de Kapavica; un peu plus
tard, le 23 juin 1941, dans les champs de Popovo Polje, ils ont capturé et tué cent soixante-huit autres
personnes de nationalité serbe et ont jeté leurs corps dans la fosse dite «Rzani do». Le 6 août 1941,les
Oustachi ont jeté quelque cinq cents femmes, enfants et vieillards — dont la plupart étaient vivants —
dans la fosse dite «Golubinka», à Surmanci. Les horribles massacres et tueries ont rapidement gagné

toute l'Herzégovine. Sur mille vingt habitants serbes du village de Prebilovci, près de Capljina,
huit cent vingt-quatre ont été victimes du crime degénocide commis par les Oustachi. Les fosses dites
«Rzani do», «Pandurica», «Golubinka», «Kapavica», «Vidovno», «Bivolje brdo», «Hutovo», «Benina
ograda» et beaucoup d'autres ont été, à cette époque, emplies de corps de Serbes massacrés. Dans les
hangars du camp militaire de Nevesinje, cent trente-sept hommes, femmes et enfants ont été tués lors
du carnage perpétré le jour de la Saint-Guy et les Oustachi ont planté des pommes de terre sur leurs
tombes. Dans la partie orientale de Stato Petrovo Selo, près de Stara Gradiska, vingt-cinq Serbes de

trente-cinq à quarante ans ont été tués, ce qui, parallèlement à l'adoption de nombreux règlements
contre les Serbes, est l'une des raisons qui expliquent le début d'organisation d'une résistance serbe
(Military History Institute Belgrade, Military History Gazette, 1-2-1994, p. 79-104; Strahinja
Kurdulija, Atlas of the Ustashi Genocide of the Serbs 1941-1945 [Atlas du génocide des Serbes par les
Oustachi 1941-1945], Belgrade, 1993, annexes, p. 70).

1.3.9. A cette époque, les Oustachi ont tué cinq cent vingt-six hommes, femmes et enfants à
Capljina et dans les villages environnants, dont deux cent quatre-vingt-trois personnes au site
d'exécution proche d'Opuzen. En même temps, quatrecent cinquante Serbes de Mostar ont été
massacrés, battus à mort à coups de bâton ou jetés dans la Neretva. L'ampleur de ces massacres est
attestée de façon horrible par la «demande de la population croate» de la vallée de la Neretva adressée
aux plushautesautoritésde l'Etat indépendantdeCroatie«afinquelescadavres de Serbesne soientpas
jetés dans la Neretva ni dans d'autres rivières d'Herzégovine, car ils polluent l'eau».

1.3.10. Les massacres les plus importants perpétrés sur le territoire de la Bosnie ont eu lieu dans
la partie occidentale, en août 1941. On estime que fin juin, plus de vingt mille Serbes, dont un grand
nombre d'enfants, avaient été tués dans les seuls districts de Bihac, Bosanska Frupa et Cazin. Quelque
six mille personnes avaient été tuées dans la région de Sanski Most et six mille autres dans la région - 9 -

des districts de Prijedor et Bosanski Novi. Rien qu'à Bosanska Krupa, le 31 juillet 1941, les Oustachi
ont tué plusieurscentainesde Serbes(hommes,femmesetenfants) et le lendemain, lorsdu «nettoyage»
général de ce district, mille autres personnes de nationalité serbe ont péri.

1.3.11. Les rapports quotidiens de la gendarmerie indiquent que dans la région de la commune
deBuzin,«de milleà mille trois centsSerbesontété tués»en un seul jour (1 août 1941),de même que
cinq cents Serbes aux environs de Kljuc, tandis que le lendemain, huit cents otages ont été exécutés à
Sanski Most, et près de trois mille hommes, femmes et enfants de nationalité serbe ont péri sur le

territoire du district tout entier.

1.3.12. Les Oustachi musulmans ont joué un rôle depremier plan dans la plupart de ces actions.
Le bureau de l'ordre public et de la sécurité de l'Etat indépendant de Croatie (NDH) a été informé le
22 août 1941 qu'une «unité oustachi composée de deux cents Musulmans bosniaques avait attaqué le

village serbe de Kotorane dans le district de Dvor na Uni» et que les agresseurs avaient mis le feu aux
maisons, pillé le village et massacré un grand nombre de ses habitants.

1.3.13. Le 1 septembre 1941, un groupe de Musulmans venus des villages voisins de Basici,
Kula, Muhovici et ainsi que de Gacko,sous la conduite de Musa Basic et Avdo Zvizdic, a fait irruption

dans le village de Srdjevici, où il a incendié les maisons et pillé les biens des Serbes.

1.3.14. L'extermination des Serbes et la solution finale de la question serbe ne se présentaient
guère autrement dans d'autres régions de la Bosnie-Herzégovine. Dans un rapport du
20 septembre 1941, le commandant de la Vojna Krajina (frontière militaire) décrit comme suit la

situation dans la région de Jajce après l'arrivée des Oustachi musulmans d'Herzégovine :

«une anarchie totale règne à Jajce; cent dix-sept Oustachi qui ont fui Mostar et l'Herzégovine
devant l'armée italienne, pour la plupart des Musulmans de Gacko et Mostar, se livrent à
de graves atrocités à Jajce et aux environs : quatre jours auparavant,
cent cinquante-huit Serbes de religion orthodoxe grecque ont été massacrés dans l'église

orthodoxe de Jajce».

1.3.15. Au cours de nombreuses actions de ce type,les Oustachi musulmans ont été les premiers
à massacrer la population serbe et à piller ses biens. En groupes plus ou moins importants, les Serbes
se sont réfugiés dans les montagnes et ont fui d'un territoire à un autre devant ces déchaînements de
terreur.

er
«Du 1 au 5 août, de quatre mille six cents à cinq milleOrthodoxes, fuyant l'épouvante indicible
que faisaient régner les Musulmans, se sont enfuis de la circonscription des postes de
gendarmerie de Vrgorac et de Ravnice pour gagner celle du poste de gendarmerie de Zirovac
dans le district de Cazin»,

indique le rapport quotidien du 15 août 1941.

1.3.16. Le rapport du 24 septembre 1941 du district de Slunj au ministère de l'intérieur de l'Etat
indépendantde Croatie indique que,pendant la période qui a précédé immédiatement sa rédaction,«les
Musulmans locaux — des Oustachi déchaînés — ont massivement persécuté les Serbes et nettoyé» la

région de Krbava et Psot «en particulier dans les districts de Cazin et Bihac et dans la station de
Velika Kladusa». - 10 -

1.3.17. Les Serbes ont été massacrés avec une bestialité inouïe et horriblement torturés. Les
Oustachi les tuaient en tous lieux : dans la rue ou dans les champs, sur le seuil de leur maison, devant

leurs parents et leurs enfants. Ils arrachaient les yeux de leurs victimes, leur coupaient la langue et les
oreilles, éventraient des femmes pour en retirer des fŒtus dont ils écrasaient le crâne...

Il s'est avéré qu'en 1941 les forces armées régulières de l'Etat indépendant de Croatie, les
Oustachi, ont offert à leur chef, Ante Pavelic, un panier rempli d'yeux arrachés sur les cadavres des
Serbes en guise de cadeau d'anniversaire (Curzio Malaparte, Kaput; Military History Institute,

Belgrade, photographies).

1.3.18. Même les ennemis déclarés du peuple serbe étaient horrifiés par l'emploi de méthodes
aussi épouvantables, tout particulièrement par les Oustachi musulmans, pour «résoudre la question
serbe». Le vice-maréchal Vladimir Laksa,représentant spécial du chef de l'Etat Ante Pavelic, signalait

dès les premiers jours de juillet qu'«aucun citoyen, aucune femme, aucun enfant ne peut espérer rester
vivant». En même temps,le commandant allemand deSarajevo qualifiait ces crimes de «violence de la
pire espèce et citait des exemples de meurtres et de massacres à grande échelle de Serbes.

1.3.19. Les crimes oustachi contre les Serbes de Bosnie-Herzégovine, qui ont débuté au

lendemain de la création de l'Etat indépendant de Croatie, se sont poursuivis au même rythme de 1942
jusqu'à la fin de la guerre. En février 1942, pourne parler que de ce mois-là, les Oustachi menés par le
père Vjekoslav Filipovic Majstorovic ont tué, de leur propre aveu, deux mille trois cents Serbes avec
des pioches, des houes et des haches dans les villages de Sargovac, Dragulici et Motike, près de
Banja Luka. Un peu plus tard, au milieu de l'année, sous le commandement du général allemand
Friedrich Stahl et de concert avec des unités allemandes, les Oustachi ont rayé de la carte

cent quarante villagesaupieddumontKozara. Quelque soixante-dixmille habitantsde Kozara, sur un
total de cent quatre-vingt-quinze mille, ont été déportés. Quarante-six mille six cent quarante-deux
adultes et vingt-trois mille huit cent cinquante-huit enfants ont été emmenés dans le camp oustachi de
Jasenovac. La plupart d'entre eux, à savoir trente-trois mille trois cent quatre-vingt-dix-huit civils dont
onze mille cent quatre-vingt-quatorze enfants ont été tués dans le camp.

1.3.20. Parallèlement à ces actions massives de liquidation et de terreur, les autorités de l'Etat
indépendant de Croatie ont systématiquement déporté les Serbes vers la Serbie ou les ont forcés à se
convertir au catholicisme. Selon des données allemandes, rien qu'en 1941, quelque cent quatre-vingt
mille Serbes ont été déportés de Croatie et de Bosnie-Herzégovine en Serbie et, pendant les quatre
années qu'a duré la seconde guerre mondiale (1941-1945), quelque quatre cent mille Serbes de Bosnie
ont été exilés en Serbie (Military History Institute, Belgrade, Military History Gazette, 1-2/94, p. 103).

1.3.21. Pendant la guerre, de plus grandes unités spéciales d'Oustachi armés ont été constituées
avec des Musulmans. Tel a été le cas, par exemple, de la 13 division musulmane SS et de la
369 division de légionnaires. La division Hanjar, créée en mai 1943 par l'Allemagne hitlérienne, et
composée à 60 pour cent de Musulmans et à 40 pour cent d'Allemands — surtout des Allemands de

souche — est restée la plus connue de toutes. Ces unités ont tué trois cent cinquante-deux Serbes rien
qu'à SremskaRacaenjuillet 1944. Ellesontincendié lesmaisonsd'uncertainnombre de villagesettué
plus de cent personnes à Jarmen, en envoyant par ailleurs en Allemagne toutes celles qui étaient
capables de travailler. Elles ont massacré trente-cinq personnes, pour la plupart des femmes et des
enfants,dansl'église orthodoxe deBrezovoPolje,village prochede Bijeljina(MilitaryHistoryInstitute
Belgrade, archives, boîte 312, reg. no 43). - 11 -

1.3.22.En raisondespertes massivessubies pendant la seconde guerre mondiale, la composition
ethnique de la population de Bosnie-Herzégovine a changé. Selon le recensement de 1991, les
Musulmans étaient proportionnellement les plus nombreux — 43 pour cent de la population —, les

Serbes occupant la deuxième place — 31 pour cent dela population.

1.4.L E STATUT DES M USULMANS DE B OSNIE -HERZEGOVINE
DANS LA Y OUGOSLAVIE SOCIALISTE DE L APRES -GUERRE

1.4.1. Dans la Yougoslavie socialiste de l'après-guerre, le statut des Musulmans s'est amélioré,
passant de celui de minorité religieuse à celui de peuple. Selon l'article premier de la constitution de
1974 de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine :

«La République socialiste de Bosnie-Herzégovine est une démocratie socialiste et une
communauté socialiste démocratique autogérée, composée de travailleurs et de citoyens,

des peuples de Bosnie-Herzégovine — Musulmans, Serbes et Croates — et d'individus
appartenant à d'autres peuples et nationalités qui y vivent; et elle est fondée sur la
suprématie et l'autogestion de la classe ouvrière et de tous les travailleurs, ainsi que sur la
souveraineté et l'égalité des droits des peuples de Bosnie-Herzégovine et des individus
appartenant à d'autres peuples et nationalités qui y vivent.

La République socialiste de Bosnie-Herzégovine fait partie intégrante de la République
socialiste fédérative de Yougoslavie.» (Annexes, p. 104.)

C'est probablement le seul cas dans toute l'histoire du monde où une minorité religieuse a acquis
le statut de nation.

1.4.2. L'article 2 de cette constitution dispose :

«Les travailleurs et les citoyens, les peuples de Bosnie-Herzégovine — Serbes, Croates,
Musulmans — ainsi que les individus appartenant à d'autres peuples et nationalités
exercent leurs droits souverains dans le cadre de la République socialiste de

Bosnie-Herzégovine,àl'exceptiondesdroitsqui, dansl'intérêt commun destravailleurs et
des citoyens, des peuples et des nationalités, sont mis en Œuvre dans le cadre de la
République socialiste fédérative de Yougoslavie en vertu de sa constitution.» (Annexes,
p. 104.)

1.4.3. L'article 3 de cette constitution est ainsi libellé :

«Au sein de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, l'égalité des peuples, des
nationalités et des individus qui les composent est garantie.

Les peuples de Bosnie-Herzégovine — Croates, Musulmans, Serbes — et les individus
appartenant à d'autres peuples et nationalités bénéficient des moyens de promouvoir leurs

valeurs nationales et d'exprimer librement les caractéristiques nationales qui leur sont
propres, conformément aux impératifs de la coexistence, du développement social et du
renforcement de la fraternité et de l'unité; ils jouissent d'une représentation
proportionnelle dans les assemblées des communautés sociopolitiques.» (Annexes,
p. 104.)

1.4.4. La République socialiste de Bosnie-Herzégovine était dotée de vastes pouvoirs
constitutionnels, législatifs, exécutifs et judiciaires. Elle avait son assemblée, qui était l'organe - 12 -

constitutionnel et législatif, son gouvernement, qui était l'exécutif, sa présidence, conçue comme un
organe représentatif, une cour constitutionnelle et sa propre cour suprême.

1.4.5. Dans la Yougoslavie de l'après-guerre, les Musulmans bénéficiaient d'une représentation
proportionnelle dans tous les organes de l'Etat, aux niveaux local, de la république et de la fédération.

Lespersonnalitéssuivantes ont exercé de hautesresponsabilités dans la fédération : Avdo Humo (1953,
1962), Hasan Brkic (1958), Osman Karabegovic (1949, 1953-1957, 1963), Zaim Sarac (1953-1957),
Safet Filipovic (1945-1960), Lutvo Ahmetovic (1965), Ahmet Cahovic (1965-1967), Kemal
Kapetanovic (1969), Ibrahim Maglajic (1965), Ibrahim Liftic (1969), Mustafa Sabic (1962),
Dzemal Bijedic (premier ministre), Muhamed Hadzic, Hakija Pozderac (1969), Fehim Halilovic
(jusqu'en 1980), Kemal Tarabar, Muhamed Berberovic (1985), Nijaz Dizdarevic (1982),
Muhamed Kesetovic, Tarik Karavdic (1978), Kadir Alijagic, Izet Brkic, Smajo Mandzuka,

Hamdija Pozderac, Raif Dizdarevic, Dzevad Mujazinovic (1989), Suada Muminagic (1990),
Ibrahim Hadzic (1990), Irfan Ajanovic, Ibrahim Tabakovic (1988), Kemal Halilovic (1984),
Sabrija Pojskic (1990).

1.4.6.De 1945 à 1992 les Musulmans de Yougoslavieont accompli des progrès remarquables et
se sont développés librement dans les domaines de l'économie, de la politique, de la culture et de la

religion.

1.4.7. Le clergé islamique était formé à la Madrasa Gaza Husref-Beg de Sarajevo. Un certain
nombre de jeunes musulmans ont fréquenté des écoles religieuses dans des pays islamiques.
Malheureusement, c'est notamment par ce vecteur queles concepts de l'islam militant ont été importés
en Yougoslavie.

1.4.8. Il y avait quatre universités en Bosnie-Herzégovine : à Sarajevo (depuis 1949), à
Banja Luka (depuis 1975), à Tuzla (1976) et à Mostar (1977).

1.4.9. L'académie des sciences et des arts de Bosnie-Herzégovine a été fondée en 1966.

1.4.10. Dans la période qui a suivi la guerre, l'économie de la Bosnie-Herzégovine a connu un
développement rapide. Un grand nombre d'établissements industriels ont été construits en
Bosnie-Herzégovine grâce à des crédits du gouvernement fédéral.

1.4.11. Tous les arts se sont développés en Bosnie-Herzégovine. Il y avait des théâtres à

Sarajevo, Mostar, Banja Luka, Zenica, etc. Des associations d'auteurs, de peintres, de musiciens, entre
autres, ont été créées. L'industrie cinématographique était également florissante.

1.4.12. Les trois peuples participaient sur un pied d'égalité à tous les aspects de la vie sociale.
Les Musulmans de Yougoslavie jouissaient donc pleinement de leurs droits en tant que peuple, sur la
base du principe de l'égalité et de l'autodétermination. - 13 -

1.5.LES RELATIONS INTER ETHNIQUES DANS LA Y OUGOSLAVIE SOCIALISTE
DE L'APRES -GUERRE : LA PREMIERE CRISE

1.5.1. Les signes d'une crise majeure susceptible de dégénérer en guerre civile apparurent
en 1971 et 1972, alors que Josip Broz Tito était encore en vie. Dans l'histoire politique de la
Yougoslavie, cette crise est connue sous le nom de «Mouvement de masse». Elle a été provoquée par
les forces séparatistes présentes au sein de la ligue des communistes de Croatie.

1.5.2. Des cultivateurs vivant dans des villages serbes instituèrent des unités de vigiles,
s'armèrent illégalement et prirent d'autres mesures d'autodéfense.

1.5.3. Un certain nombre de Serbes quittèrent la Croatie et la Bosnie-Herzégovine pour la
Serbie.

1.5.4. La crise prit fin lorsque Josip Broz Tito remplaça les dirigeants politiques croates.

1.6.L A CREATION DE PARTIS DANS LA R EPUBLIQUE YOUGOSLAVE
DE B OSNIE -H ERZEGOVINE EN 1990

1.6.1. Au cours de la première moitié du mois de février 1990, le Parlement de la République
socialiste de Bosnie-Herzégovine adopta une loi sur les associations civiques en Bosnie-Herzégovine
(journal officiel de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, n 5/90, annexes, p. 109). Cette
loi donnait une base légale à la création de partispolitiques. Les trois partis les plus importants qui se

sont constitués, parmi beaucoup d'autres, avaient un caractère expressément national. Il s'agissait du
parti musulman d'action démocratique (ci-après SDA), du parti démocratique serbe (ci-après SDS) et
de l'union démocratique croate (ci-après HDZ).

1.6.2. Le parti musulman d'action démocratique (SDA) a été créé le 26 mai 1990 à Sarajevo.
Alija Izetbegovic a été élu à sa tête.

1.6.3. Vu les antécédents et les activités passées de M. Izetbegovic, son apparition sur la scène
politique en Bosnie-Herzégovine a suscité la préoccupation et la méfiance des Serbes de

Bosnie-Herzégovine. M. Izetbegovicavaitété deuxfoiscondamnépour activitéssubversives inspirées
par les positions du fondamentalisme islamique.

1.6.4. En 1970 Alija Izetbegovic a rédigé la «déclaration islamique», un programme politique

religieux qui a été illégalement imprimé et distribué aux Musulmans. Cette déclaration a été rééditée
à Sarajevo en 1990. Elle porte comme sous-titre : «Programme d'islamisation des Musulmans et des
peuples musulmans». Comme cela est indiqué succinctement et expressément immédiatement après le
sous-titre, le but de l'auteur était l'islamisation des Musulmans et sa devise «foi et lutte». Le texte
complet de la «déclaration islamique» étant joint en annexe aux exceptions préliminaires (annexes,

p. 171), nous ne ferons ici état que des passages que nous estimons les plus importants pour
comprendre l'action politique d'Alija Izetbegovic.

1.6.5. Un des concepts les plus importants exposés par A. Izetbegovic dans la «déclaration

islamique» est l'unité de la religion et de la politique. Partant de cette idée, Izetbegovic arrive à sa
«première et plusimportante conclusion», qui a sans doute constitué un motif de grave inquiétude pour - 14 -

les Serbes de Bosnie-Herzégovine. Plus loin dans la «déclaration islamique», au troisième paragraphe
de la section intitulée «L'islam n'est pas qu'une religion», on trouve le texte suivant :

«La première et la plus importante de ces conclusions est sans aucun doute celle de
l'incompatibilité de l'islam et des systèmes non islamiques. Il ne peut y avoir de paix ou
de coexistence entre la «foi islamique» et les institutions sociales et politiques «non

islamiques». Le non-fonctionnement de ces institutions dans les pays musulmans et
l'instabilité de leurs régimes politiques, attestés par la fréquence des changements et des
coups d'Etat, sont en règle générale la conséquence de leur opposition aprioriste à l'islam
en tant que sensibilité fondamentale et source d'inspiration pour les peuples de ces pays.
Revendiquant pour lui-même le droit de régir son propre univers, l'Islam exclut
clairement sur son territoire tout droit et toute possibilité d'action pour toute idéologie
étrangère. Autrement dit, il n'y a pas de place pour la laïcité et l'Etat devrait être

l'expression des concepts moraux de la religion et venir les appuyer.» (Les italiques sont
de nous.)

1.6.6.A. Izetbegovic ne plaide pas seulement pourl'islamisation d'une communauté musulmane,
mais aussi pour l'islamisation mondiale de tous les Musulmans. Dans la section consacrée à la
quatrième thèse relative à l'ordre islamique, intitulée «L'unité des Musulmans», il écrit :

«L'islam contient le principe de l'umma, autrement dit l'aspiration à l'unification de tous
les Musulmans en une seule communauté — religieuse, culturelle et politique. L'islam
n'est pas une nationalité, mais c'est la supranationalité de cette communauté.» (Les
italiques sont de nous.)

1.6.7. Voici ce que dit A. Izetbegovic sur l'introduction du règne de l'Islam :

«Donner la priorité au renouveau religieux et moral n'implique pas — et ne peut être
interprété comme impliquant — que l'ordre islamique peut être réalisé sans le règne de
l'Islam. Cette position signifie seulement que notre route ne procède pas de la conquête
du pouvoir, mais plutôt de la conquête des individus, et que le renouveau islamique est
principalement une révolution dans le domaine de l'éducation, et ensuite seulement dans
celui de la politique.

Nousdevonsdoncêtre d'aborddesprédicateurs,puis dessoldats. Nos principaux moyens
sont l'exemple personnel, les livres et les mots. Quand la force sera-t-elle ajoutée à ces
moyens ?

Le choix du bon moment est toujours une question spécifique et dépend d'un certain
nombre de facteurs. Il y a néanmoins une règle générale : l'ordre islamique doit et peut

aborder la prise de pouvoir dès qu'il est moralement et numériquement assez fort, non
seulement pour renverser le pouvoir non islamique, mais aussi pour développer un
nouveau pouvoir islamique. Cette distinction est importante, car la destruction et le
développement n'exigent pas un niveau égal de préparation psychologique et matérielle.

De même,il est aussi dangereux d'agir prématurément que de tarder à prendre les mesures
nécessaires.

La conquête du pouvoir sur la base d'un concours de circonstance favorable, sans
préparation morale et psychologique suffisante et sans disposer du minimum nécessaire
de personnel compétent et bien formé, revient à uncoup d'Etat de plus et ne constitue pas
une révolution islamique (et un coup d'Etat est la poursuite de la politique non islamique
par d'autres groupes de personnes ou au nom d'autres principes). Prendre tardivement le - 15 -

pouvoir équivaut à se refuser un moyen très puissant d'atteindre les buts de l'ordre
islamique et à donner au pouvoir non islamique la possibilité de porter un coup au
mouvement et de disperser son action. L'histoire récente donne suffisamment d'exemples
tragiques illustrant cette dernière erreur.» (Les italiques sont de nous.)

1.6.8. Pour tenter de dissimuler ses véritables intentions, telles qu'elles sont exposées dans les
extraits précédents de la «déclaration islamique», Izetbegovic, après avoir formé une coalition
anti-Serbe composée du SDA et de la HDZ afin de préserver une Bosnie-Herzégovine unique et
unitaire,aentrepris de décrire la Bosnie-Herzégovine comme un Etat civil et multiethnique. Toutefois,
le peuple serbe n'a pas cru à ce soudain revirement des convictions politiques de M. Izetbegovic.

1.6.9. Cette méfiance était amplement justifiée; la preuve en est qu'Alija Izetbegovic n'a pas pu
longtemps se dissimuler derrière ce masque politique transparent et que l'islamisation de la population
musulmane duterritoirequ'il contrôleestdevenueévidente en 1994. Celaest attesté par toute une série
d'informationsenprovenance de ce territoire. Unecampagne a été engagée contre les mariages mixtes,
les chansons pacifistes de chanteurs serbes ont été interdites et même des chrétiens «loyaux» ont été
victimes de discrimination. Les moudjahidin ont contribué à cette action en interdisant la
consommation d'alcool et en exigeant que les femmes portent de grandes robes à capuchon

(Roger Cohen, «Bosnians Fear a Rising Islamic Authoritarianism» [Les Bosniaques craignent une
montée de l'autoritarisme islamique], The New York Times, 10 octobre 1994, annexes, p. 241;
Anthony Loyd, «Islamic Teachers Offer Pension in Return for Jihad» [Des enseignants de la doctrine
islamique offrent des pensions en échange de la jihad], The Times, 22 octobre 1994, annexes, p. 242;
Lubor Zink, «Thoughts on Balkan Strife» [Réflexions à propos du conflit dans les Balkans], The
Toronto Sun, 21 juillet 1993, annexes, p. 243; Remy Ourdan, «La fin du rêve bosniaque», Le Monde,
28 septembre 1994, annexes, p. 244; R. Cia, «L'alarme del neocardinale Puljic «Stanno islamizzando
la Bosnia», Corriere della Sera, 14 novembre 1994, annexes, p. 247).

1.6.10. L'un destraits significatifs du fondamentalisme islamique des dirigeants du parti d'action
démocratique (SDA) est qu'ils n'ont pas hésité à sacrifier leurs citoyens pour atteindre des objectifs de
politique étrangère : condamnation des Serbes et intervention militaire étrangère. Des indices
convaincants tendent à prouver que ce sont les autorités musulmanes qui ont fait exploser une mine au
milieu de gens qui faisaient la queue pour acheter du pain à Sarajevo le 27 mai 1992, tuant

vingt-sept personnes et en blessant de nombreuses autres. Des chaînes de télévision ont diffusé ces
images terribles dans le monde entier et les forces militaires de la République Srpska ont été
condamnées sans preuve (Leonard Doyle, «Moslems Slaughter Their Own People» [Les Musulmans
«massacrent leurs compatriotes»], The Independant, 22 août 1992, annexes, p. 250; Warren Strobel,
«Bosnians May Have Shelled Selves» [Les Bosniaques se sont peut-être bombardés eux-mêmes],
The Washington Times, 23 août 1992, annexes, p. 251; colonel Milanko Cvijovic, «Expert Analysis of
the B-H TV Shots of the Events in the Vase Miskin Street», Sarajevo, 25 mai 1992, annexes, p. 252).

Dans son journal, le major général canadien LewisMacKenzie, commandant en chef de la
FORPRONU, a écrit :

«Catastrophe à Sarajevo. Des personnes qui faisaient la queue pour acheter du pain ont
été attaquées et dix-sept au moins ont été tuées. La présidence prétend qu'il s'agissait
d'une attaqueaumortierdesSerbes. LesSerbesaffirment,quantà eux,que c'étaitun coup
monté au moyen d'explosifs. Nos hommes nous disentqu'un certain nombre de choses ne

cadrent pas. La rue avait été interdite juste avant l'incident. Dès que la foule a été admise
et que la queue s'est formée, les représentants des médias sont apparus mais sont restés à
distance. Ils sont arrivés sur les lieux aussitôt après l'attaque. La majorité des personnes
tuéesseraientdes«Serbesdociles»...» (MajorgénéralLewis MacKenzie,«Peacekeeper»,
Douglas and McIntyre, Vancouver, Toronto, 1993, p.193-194, annexes, p. 262.) - 16 -

Il y a de bonnes raisons de croire que des forces musulmanes ont tiré l'obus de mortier qui a tué
soixante-huit personnes sur le marché de Sarajevo («Markale») en février 1994 (Reuter,
19 février 1994, annexes, p. 267; David Binder, «Anatomy of a Massacre» [Anatomie d'un massacre],
The Foreign Policy, hiver 1994-1995, annexes, p. 268; Pazit Ravina, «Was there a Shell in the
Sarajevo Marketplace» [Y avait-il un obus sur le marché de Sarajevo ?], Davap, 16 février 1994,

annexes, p. 277).

1.6.11. Un autre élément significatif du fondamentalisme islamique est le fait
qu'Alija Izetbegovic s'est appuyé sur les moudjahidin, les combattants de la guerre sainte. Ceux-ci ont
participé aux combats et entraîné les Musulmans bosniaques tout en s'employant à propager l'islam et
en contribuant à introduire des coutumes islamiques ou du même ordre. D'énormes quantités d'armes

provenant des pays dont ils viennent eux-mêmes ont été livrées aux forces musulmanes de
Bosnie-Herzégovine. Il serait erroné de justifierl'engagement des moudjahidin par des considérations
militaires puisque le régime d'Alija Izetbegovic est soutenu par l'OTAN et bénéficie d'une protection
militaire (Andrew Hogg, «Arabs Join in Bosnia War» [Des Arabes entrent dans la guerre en Bosnie],
The Sunday Times, 30 août 1992, annexes, p. 280; Tom Post, Joel Brand, «Help from Holy Warriors»
[L'aide des combattants de la guerre sainte], Newsweek, 5 octobre 1992, annexes, p. 281; Bill Gertz,
«Iranians Move into Bosnia to Terrorize Serbs» [Des Iraniens viennent en Bosnie pour terroriser les

Serbes], The Washington Times, annexes, p. 283; Bill Gertz, «Iranian Weapons Sent Via Croatia»
[Envoi d'armes via la Croatie], The Washington Times, annexes, p. 285).

1.6.12. Ce qui fait peut-être ressortir le plus clairement cela est le communiqué qu'ont publié
cinq des sept membres de la présidence de la prétendue République de Bosnie-Herzégovine en
février 1995 contre la tentative faite par Alija Izetbegovic pour transformer la Bosnie-Herzégovine en
un Etat islamique à parti unique. Selon les signatairesde ce communiqué, les unités de l'armée seraient

soumises à des pressions idéologiques et religieuses exercées par certains de leurs membres. Ce texte
de protestation a été signé par Nijaz Durakovic, Musulman, Stjepan Kljujic et Ivo Komsic, Croates,
Tatjana Ljujic-Mijatovic et Mirko Pejanovic, Serbes. Les deux autres membres de la présidence sont
Alija Izetbegovic et Ejup Ganic, Musulmans (RobertFox, «Islamic Indoctrination of Army Splits
Bosnian Leadership» [L'endoctrinement islamique partage les dirigeants de la Bosnie],
Daily Telegraph, 6 février 1995, annexes, p. 288).

1.6.13. A. Izetbegovic a déclaré à Téhéran le 30 octobre 1992 que ses forces musulmanes
bosniaques disposaient de gaz toxique qu'elles pourraient être amenées à utiliser pour se «défendre»
contre les forces serbes («Bosnian Threatens Poison Gas Against Serb Forces» [Les Bosniaques
menacent d'utiliser des gaz toxiques contre les Serbes], The New York Times, 31 octobre 1992,
annexes, p. 289).

1.6.14. Le 21 juin 1993, à Ankara, A. Izetbegovica indiqué qu'il ne pouvait exclure l'éventualité
de l'emploi d'armes chimiques si l'ONU ne levait pas l'embargo sur les armes imposé aux Musulmans.
Dans un entretien accordé à l'agence Anadolia, il a précisé que les Musulmans ne voulaient pas
employer l'arme chimique mais qu'ils pouvaient perdre la maîtrise de la situation (Reuter, AFP).

De fait, en août 1993, près de Zvornik, l'armée musulmane bosniaque a à trois reprises utilisé du
chlore dans des projectiles d'artillerie (Yossef Bodansky, «Bosnian Muslim Forces' First Combat Use

of Chemical Weapons: The Precedent is Set»,Defence and Foreign Affairs Policy, septembre 1993). - 17 -

Dans son rapport d'activité pour la période du 15au 17 octobre 1993, la FORPRONU a informé
le président du Conseil de sécurité des Nations Unies que des grenades chimiques étaient utilisées par
l'armée gouvernementale bosniaque dans les environs de Tuzla (Nations Unies, «Note au président du
Conseil de sécurité», rapport d'activité de la FORPRONU, New York, 18 octobre 1993).

1.6.15. A. Izetbegovic a déclaré à Téhéran que les Musulmans bosniaques ne renonceraient pas
à leurs exigences initiales et intensifieraient leur lutte jusqu'à ce qu'ils obtiennent gain de cause. Selon
lui,il ne pourrait yavoir de paix en Bosnie que lorsque ces exigences auraient été satisfaites. Ila invité
les pays islamiques à soutenir plus énergiquement les Musulmans et à faire pression pour qu'il soit mis
fin à l'«agression serbe» (Nicosie, Reuter, IRNA, 13 septembre 1993).

1.6.16. Yossef Bodansky, l'éminent spécialiste américain du terrorisme qui a été pendant quatre
ans directeur de la US House of Republican Task Force on Terrorism and Unconventional Warfare,
témoigne en ces termes :

«Dès le début de 1992, la ferme volonté des islamistes de mener un Jihad contre
l'Occident a commencé à se manifester en Bosnie-Herzégovine, dans l'ex-Yougoslavie.
Un centre avancé d'appui et de coordination a été créé en Bulgarie à l'automne 1991. Au

début de 1992, des forces du mouvement islamique armé (MIA) ont pris l'offensive et
mené des opérations spéciales dans toute la Bosnie-Herzégovine. Particulièrement
activessontlesforcesduJihadislamique,composante d'élite de la «légion internationale»
du mouvement, dirigée par des «Afghans». Téhéran a vivement encouragé et activement
soutenu la création de «forces de volontaires venus de toutes les régions du monde
musulman qui se porteraient au secours de leurs coreligionnaires des Balkans.

En Bosnie-Herzégovine, les forces du MIA sont organisées, très disciplinées et bien

équipées. Leur commandant est Mahmud Abdul-Aziz, qui a combattu six ans en
Afghanistan sous l'autorité de Ahmed Shah Massud et mené d'autres combats pour la
«cause sacrée» aux Philippines et au Cachemire, et qui a en outre participé à des
opérations clandestines en Afrique pour Turabi.

Les «Forces musulmanes» comprennent plusieurs centaines de volontaires, venus
essentiellement d'Iran,d'Algérie,d'Egypte,du Soudan, des Etats arabes du golfe Persique,

du Pakistan, d'Afghanistan, de Syrie et de Turquie... A l'automne 1992, il y avait de deux
cents à trois cents moudjahidin volontaires dans la région de Travnik, deux cents dans le
centre de la Bosnie, un nombre indéterminé (plusieurs centaines) à Sarajevo et en
Bosnie-Herzégovine orientale. Ils combattent les Serbes et entraînent les forces
bosniaques. Ils enseignent également aux enfants le Coran et les coutumes de l'Islam
fondamentaliste. Ces volontaires assurent aussi la formation de Musulmans locaux pour
des opérations spéciales. Pendant ce temps des volontaires, y compris des Musulmans du

Royaume-Uni, dont certains sont des vétérans de l'Afghanistan, continuent d'arriver. Au
début de 1993, il y avait plus de mille moudjahidin venus du Pakistan, d'Iran, du Soudan
et de la Libye.

En outre, l'Iran maintient sur place un noyau d'agents très chevronnés, principalement des
Pasdaran iraniens et des Libanais du Hezbollah, qui assurent une formation et une aide
spécialisées,et conduisent les opérations clandestines lesplusdélicates (renseignement et
terrorisme). Téhéran continue de fournir à Sarajevo des armes et des experts. Au début

de novembre 1992, plus de cinquante experts du terrorisme et instructeurs du Hezbollah
et du Tawhid (son équivalent sunnite sous la direction du Cheik Sha'ban) ont été envoyés
de Baalbek en Bosnie-Herzégovine pour former des cadres locaux et lancer leurs propres
opérations. Ces agents formateurs sont le fer de lance de la politique que poursuit l'Iran - 18 -

en vue de déployer une brigade de deux mille hommesde ses forces Al-Quds. Toutes ces
forces bénéficient d'une importante assistance militaire iranienne.

En fait, l'été 1992 a marqué le début d'une escalade sensible des provocations par les
forces musulmanes, dont l'objectif est de susciter une intervention militaire de l'Occident
contre les Serbes (et, dans une moindre mesure, contre les Croates). A l'origine, ces

provocations étaient essentiellement des attaques insensées contre la population
musulmane elle-même. L'ONU a conclu qu'un groupe spécial de membres des forces
musulmanes bosniaques, dont beaucoup avaient servi dans des organisations terroristes
islamiques, avait commis une série d'atrocités, y compris «certains des pires meurtres
commis récemment» contre les civils musulmans de Sarajevo «et que c'était là un moyen
de propagande pour gagner la sympathie de la communauté mondiale et provoquer une
intervention militaire». Ces actions se sont intensifiées et ont pris la forme d'une série

d'attaques et d'atrocités préméditées commises contre des civils serbes qui essayaient de
fuir les zones disputées. Il faut noter que ces détachements bosniaques suivent
exactement les principes de «la guerre des faibles»tels qu'ils sont énoncés par l'Ayatollah
Fadlallah du Hezbollah.» (Yossef Bodansky, Target America, Shapolsky Publishers,
USA, 1993, p. 275-277, annexes, p. 290.)

1.6.17. L'Union démocratique croate a été fondée le 6 septembre 1990. Elle insiste dans son
programme sur l'objectif d'une «transformation de la Bosnie-Herzégovine en un Etat démocratique,
parlementaire et multipartite», sans mentionner la Yougoslavie. Ce parti représente les intérêts du
peuple croate en Bosnie-Herzégovine et milite pour la création d'une entité étatique distincte pour le
peuple croate au sein de la Bosnie-Herzégovine, laquelle serait liée à la Croatie et à l'entité étatique
musulmane de Bosnie-Herzégovine dans la mesure nécessaire aux intérêts croates sur le territoire de
l'ex-Yougoslavie.

1.6.18. Le parti démocratique serbe (SDS) a été constitué le 27 juillet 1990 avec pour objectif
principal «une Yougoslavie démocratique, organiséeen Etat fédéral moderne». Ce parti représente les
intérêts du peuple serbe en Bosnie-Herzégovine. Il a d'abord Œuvré pour que les territoires de
Bosnie-Herzégovine peuplés en majorité de Serbes restent partie intégrante de la Yougoslavie en
demandant, si ce n'est pas possible, la création d'un Etat distinct pour les Serbes de
Bosnie-Herzégovine.

1.6.19. La formation de ce parti a été entravée par le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine.
Des militants du SDS ont été arrêtés alors qu'ils collaient des affiches. Des intrus ont pénétré par
effraction dans l'appartement de la présidente du comité régional du SDS de Zenica, Slobodanka
Hrvacanin. Celle-ci soupçonne les membres des services de la sécurité d'Etat sous contrôle musulman
d'avoir ainsi cherché à effrayer les membres du SDS.

1.6.20. Les dirigeants de ce parti sont Radovan Karadzic, Biljana Plavsic et Nikola Koljevic.
Karadzic est psychiatre de profession et Plavsic et Koljevic sont professeurs d'université. Ils ne
faisaient pas de politique avant que n'éclate la crise yougoslave, en 1990.

1.6.21. L'organisation musulmane bosniaque a été fondée à Sarajevo au début d'octobre 1990

par des dissidents du SDA, mécontents de l'emprise exercée sur le parti par son aile fondamentaliste
religieuse. Le chef de ce parti est Adil Zulfikarpasic. S'estimant menacés par des extrémistes
musulmans, ses membres ont annulé des conférences prévues à Mostar, Sarajevo et Zenica. - 19 -

1.6.22. Lors des toutes premières apparitions publiques des dirigeants des nouveaux partis, des
vues divergentes sur l'organisation politique de la République socialiste fédérative de Yougoslavie
(RSFY) et de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine ont été exprimées. Lors des travaux

préparatoires à la fondation du SDS, ses futurs dirigeants ont assigné deux objectifs essentiels au
programme du parti : le maintien au sein de la Yougoslavie de toutes les composantes du peuple serbe
vivant en RSFY, et le maintien et le développement de relations amicales avec les peuples voisins, en
premier lieu les Musulmans. Ces buts ont été réitérés lors de l'assemblée constitutive du parti, puis à
l'occasion de la formation des sections locales du SDS. Lors de la réunion de création du SDS de
Gorazde, toutes les personnes rassemblées dans le stade municipal ont exprimé le vŒu de continuer à

vivre à l'intérieur des frontières de la RSFY. A la réunion de création de la section du SDS de Stolac,
Velibor Ostojic, président du comité exécutif du SDS, a déclaré qu'une organisation confédérale de la
RSFY entraînerait l'éparpillement du peuple serbe entre plusieurs Etats et sa transformation en
minorités nationales, ce qui était inacceptable. Karadzic a repris cette thèse lors de la réunion au cours
de laquelle a été fondée la section du SDS de Mostar (D. Maric, «Nikada necemo prihvatiti
konfederaciju» [Nous n'accepterons jamais une confédération], Politika, 8 octobre 1990, annexes,

p. 296-297).

1.6.23. Le conseil national serbe de Bosnie-Herzégovine s'est constitué lors du rassemblement
pan-serbe de Banja Luka le 12 octobre 1990. Lors d'une conférence de presse, il a été indiqué que les
Serbes avaient été forcés de s'organiser de cette manière, parce qu'à la fin du XX siècle ils avaient été

privés de l'Etat qu'ils avaient créé. A cette époque, les Serbes avaient été éliminés de la constitution
croate qui les avait auparavant reconnus comme un des peuples composant la Croatie. De nouvelles
menaces ayant été proférées contre la population serbe, celle-ci s'est vue contrainte de créer le conseil
pour empêcher un nouveau génocide. Lorsd'une réunion publique tenue à Bileca, des représentants du
SDS ont exposé que, sur la base de la déclaration du conseil national serbe au sujet de la situation du
peuple serbe en Bosnie-Herzégovine, ils s'attacheraient à faire respecter l'égalité des peuples et à

obtenir l'instauration d'un système fédéral. Dans la déclaration, il était proposé de créer une chambre
des peuples au sein du Parlement bosniaque. Si l'on tentait d'imposer un régime confédéral en
Yougoslavie ou de transformer la Bosnie-Herzégovine en Etat indépendant, le conseil national serbe
refuserait toute loi ou décision émanant du Parlement qui porterait atteinte à ses intérêts (M. Duric,
S. Kljakic, «Za ravnopravan zivot u BiH kao federalnoj jedinici» [Pour vivre sur un pied d'égalité dans
une B-H fédérale], Politika, 9 novembre 1990, annexes, p. 298-299).

1.6.24. Avant les premières élections multipartites, les dirigeants du SDA ne se sont guère
exprimés sur l'organisation future de la RSFY et de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine.
En revanche, Izetbegovic a dit lors d'une réunion de son parti à Banja Luka qu'il défendrait l'unité de la
Bosnie par la force (D. Kecman, «Branicemo Bosnu i silom» [S'il le faut, nous n'hésiterons pas à
employer la force pour défendre la Bosnie],Politika, 9 juillet 1990, annexes, p. 301-302).

1.7. LES PREMIERES ELECTIONS MULTIPARTITES EN B OSNIE -H ERZEGOVINE

1.7.1. Les premières élections multipartites organisées dans la République socialiste de
Bosnie-Herzégovine ont eu lieu les 18 et 19 novembre 1990. Les résultats ont été publiés au journal
o
officiel de la RS de Bosnie-Herzégovine, n 42/1190, daté du 19 décembre 1990. Outre les trois
principaux partis nationaux, de nombreux autres partis ont pris part à ces élections, notamment la ligue
socialiste démocratique de Bosnie-Herzégovine, la ligue des forces réformatrices de Yougoslavie pour
la Bosnie-Herzégovine, la ligue démocratique pour la Bosnie-Herzégovine, le mouvement vert, la ligue
des communistes — parti social démocrate, l'organisation musulmane bosniaque, le parti de l'initiative
privée, le parti démocratique de Mostar et Tuzla, et le mouvement du renouveau serbe. - 20 -

1.7.2. La répartition des sièges au sein du Parlement de la RS de Bosnie-Herzégovine était la
suivante : quatre-vingt-six au SDA, soixante-douze au SDS et quarante-quatre au HDZ. Elle était

conforme à la structure nationale de la population. Les trois principaux partis nationaux s'assuraient
deux cent deux sièges sur un total de deux cent quarante. Les partis dont les programmes ne mettaient
pas l'accent sur les enjeux nationaux n'obtenaient que trente-huit sièges («Report on the Results of the
Elections of Deputies to Chamber of Citizens of the Assembly of the SR B-H» [Rapport sur les
résultats de l'élection des députés à la chambre des citoyens de l'assemblée de la République socialiste
de Bosnie-Herzégovine], annexes, p. 326, Bosnie-Herzégovine, Defence and Foreign Affairs

Handbook, Londres, 1994, p. 135, annexes, p. 410).

1.7.3. Les résultats des élections sont très révélateurs de l'humeur politique des citoyens de
l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine. Il est clair qu'une majorité écrasante d'entre eux

ont votéenfonctionde leurorigine nationalepourdes partis qui représentaient leursintérêtsnationaux.

1.7.4. Lors des premières élections multipartites des 18 et 19 novembre 1990, ont été élus les
membres suivants de la présidence de la RSBH : Fikret Abdic, (1 045 539 voix) et Alija Izetbegovic
(879 266 voix) en tant que Musulmans, Biljana Plavsic (573 812 voix) et M. Nikola Koljevic

(556 218 voix) en tant que Serbes, Stjepan Kljujic (473 812 voix) et Franjo Boras (416 629 voix) en
tont que Croates et Ejup Ganic (709 691 voix) en tant que Yougoslave (journal officiel de la RSBH,
n 42, 19 décembre 1990, annexes, p. 326).

1.7.5. L'assemblée de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine a, à sa séance du

30 janvier 1991, élu le gouvernement suivant : comme premier ministre, Jure Pelivan (candidat de la
HDZ), comme vice-premiers ministres Muhamed Cengic (candidat du SDA), Miodrag Simovic
(candidat du SDS), Rusmir Mahmutcehajic (candidat du SDA), et comme membres Jerko Doko
(candidat de la HDZ), Alija Delimustafic (candidat du SDA), Ranko Nikolic (candidat du SDS),
Momcilo Pejic(candidatduSDS),ResadBergetic (candidat du SDA),Milivoje Nadazdin (candidat du

SDS), Tomislav Krsticevic (candidat de la HDZ), Munir Jahic (candidat du SDA), Haris Silajdizic
(candidat du SDA), Ismet Lipa (candidat du SDA), Ismet Kusumagic (candidat du SDA),
David Balaban (candidat du SDS), Velibor Ostojic (candidat du SDS), Vitomir-Miro Lasic (candidat
de la HDZ), Vitomir Lukic (candidat du SDS), NihadHasic (candidat du SDA), Ibrahim Colahodzic
(candidat du SDA), et Branko Djeric (candidat du SDS) (journal officiel de la RSBH, n 4, o
7 février 1991).

1.8.D ESACCORD ,EN 1991, ENTRE LES TROIS PRINCIPAUX PARTIS QUANT A
L'ORGANISATION FUTURE DE LA Y OUGOSLAVIE ET DE LA BOSNIE -H ERZEGOVINE

1.8.1. Après les premières élections multipartites, le SDA a indiqué clairement sa position quant
à l'organisation de la Yougoslavie et de la Bosnie-Herzégovine. Une résolution relative à la
souveraineté de la Bosnie-Herzégovine a été présentée à l'initiative d'intellectuels musulmans lors
d'une conférence de presse tenue à Sarajevo le 7 janvier 1991, date du Noël orthodoxe (M. Duric,
«Objavljena rezolucija muslimanskih intelektualaca» [Publication de la résolution des intellectuels
musulmans], Politika, 8 janvier 1991, annexes, p. 416-417). Ce n'est probablement pas par hasard que

cette déclaration a été faite précisément le jour du Noël orthodoxe. En effet, certains actes de génocide
commis contre les Serbes pendant la seconde guerre mondiale ont coïncidé avec des fêtes de l'Eglise
chrétienne orthodoxe. Il en a été de même pendant la guerre civile qui a débuté en 1992.
L'organisation d'une conférence de presse le jour du Noël orthodoxe pour présenter la résolution des
intellectuels musulmans s'inscrivait probablement dans une stratégie délibérée visant à accroître

l'invitation du peuple serbe (voir par. 1.3.7). - 21 -

1.8.2. Cette stratégie a été exposée en détail par A. Izetbegovic, dirigeant du SDA, lors d'une
conférence de presse tenue à Sarajevo le 30 janvier 1991, en ces termes :

«Si la Slovénie et la Croatie se séparent de la fédération actuelle, j'estimerai que je n'ai
plusl'autorité pour poursuivre des conversations relatives à une nouvelle Yougoslavie. Je
proposerai qu'un référendum soit organisé pour que tous les citoyens de la

Bosnie-Herzégovine — et non ceux appartenant à telou tel peuple — se prononcent, à la
majorité des deux tiers au moins, sur la question de l'indépendance et de la souveraineté
de la Bosnie-Herzégovine.»

Une déclaration relative à la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine a été remise aux
journalistes à cette occasion («Referendum o samostalnosti BiH» [Referendum sur l'indépendance de
la B-H], Politika, 31 janvier 1991, annexes, p. 418-419).

1.8.3. En février 1991, le conseil exécutif du SDA a rédigé un projet de déclaration sur la
souveraineté de la Bosnie-Herzégovine et l'a présenté au Parlement.

1.8.4. Le 20 février 1991, le conseil du SDS a publié une déclaration dans laquelle il exposait

que la déclaration du SDA sur la souveraineté et l'indivisibilité de la Bosnie-Herzégovine était
inacceptable pour le peuple serbe, en ajoutant qu'un Etat souverain et indivisible de
Bosnie-Herzégovine n'était envisageable que dans le cadre de la fédération yougoslave et que la
déclaration du SDA déniait au peuple serbe son droit de vivre dans un seul Etat («Deklaracija o
suverenosti BiH svodi status srpskog naroda na nacionalnu manjinu» [La déclaration sur la
souveraineté de la B-H réduit le peuple serbe au statut de minorité nationale],Politika, 21 février 1991,
annexes, p. 420-421).

1.8.5. En réaction à la déclaration sur la souveraineté de la B-H rédigée par le SDA pour le
Parlement de la B-H, cinq partis actifs à Banja Luka ont publié un communiqué commun dans lequel
ils déclaraient que cette initiative allait à l'encontre des résultats des premières élections multipartites
en Bosnie-Herzégovine puisque le SDS avait remporté une victoire éclatante dans des communes
représentant 64 pour cent du territoire de la Bosnie-Herzégovine, ce qui signifiait que la population de
ces régions avait voté pour le maintien au sein de la Yougoslavie (D. Kecman, «BiH nije negde

izmedju» [La B-H n'est pas quelque part «au milieu»], Politika, 26 février 1991, annexes, p. 422-423).

1.8.6. La section de Sarajevo du SDS a rejeté la déclaration. Le comité régional du SDS pour la
Bosnie du Nord-Est a indiqué dans un communiqué publié par quatorze municipalités d'Herzégovine
que la déclaration était inacceptable (M. Caric, «SDS Sarajeva odbija deklaraciju o suverenosti BiH»
[Le SDS de Sarajevo rejette la déclaration sur la souveraineté de la B-H], Politika, 27 février 1991,

annexes, p. 425-426).

Dans un communiqué rendu public, le comité du SDSpour l'Herzégovine a notamment écrit :

«Nous condamnons de la manière la plus énergique la déclaration sur la souveraineté
étatique de la Bosnie-Herzégovine qui constitue un acte anticonstitutionnel et illégal
destiné à faire éclater la Yougoslavie et un acte dirigé contre les intérêts du peuple serbe
et son droit de vivre dans un seul Etat.» - 22 -

A la fin de ce communiqué, le comité régional du SDS a indiqué que des représentants de
quatorze municipalités s'étaient mis d'accord lors d'une réunion tenue à Gacko sur des mesures
concrètes visant à protéger le peuple serbe et son droit souverain de vivre dans une patrie commune
(Politika, 28 février 1991).

1.8.7. A la séance du 27 février 1991 du Parlement de la B-H, le projet de déclaration sur la
souveraineté de la Bosnie-Herzégovine soumis par le SDA a été examiné. Marko Simic, au nom de
vingt députés du SDS, a proposé que la déclarationsoit retirée de l'ordre du jour et adressée au conseil
de l'égalité nationale en Bosnie-Herzégovine, comme le prévoit le point 10 de l'amendement LXX à la
constitution de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine de 1990. Le point 10 de
l'amendement LXX est ainsi libellé :

«Le conseil examine les questions ayant trait à l'égalité des peuples et des minorités
nationales à l'initiative des députés du Parlement de la République socialiste de
Bosnie-Herzégovine. Si vingt députésau moins estiment qu'un règlement proposé ou une
loi quelconque relevant de la compétence du Parlement de la République socialiste de
Bosnie-Herzégovine est contraire à l'égalité des peuples et des minorités nationales, le
conseil se prononce sur la proposition soumise pour décision au Parlement de la RS de
Bosnie-Herzégovine.

Les questions intéressant la réalisation de l'égalité des peuples et des minorités nationales
de Bosnie-Herzégovine sont sur proposition du conseil, soumises à la décision du
Parlement de la RSBH, une procédure particulière prévue par son règlement (votre à la
majorité des deux-tiers du nombre total de députés).»

Le secrétaire du Parlement Avdo Campara (député SDA), a indiqué à ses collègues que le
conseil de l'égalité nationale n'existait pas (M. Duric, M. Caric, «Deklaracija upucena u Savet za

nacionalnu ravnopravnost» [Une déclaration renvoyée au conseil de l'égalité nationale], Politika,
28 février 1991, annexes, p. 427-428).

1.8.8. Alija Izetbegovic a dit à cette séance du Parlement de la RS de Bosnie-Herzégovine : «Je
sacrifierais la paix pour la souveraineté de la Bosnie-Herzégovine mais je ne sacrifierais pas sa
souveraineté pour la paix.» Cette déclaration a profondément troublé le peuple serbe. Le club des

députés serbes du Parlement de la Bosnie-Herzégovine a adressé une lettre au président de la
République socialiste fédérative de Yougoslavie pour lui demander sa protection. Cette lettre
comportait notamment le passage suivant :

«En notre qualité de députés serbes au Parlement de la République socialiste de
Bosnie-Herzégovine et de seuls représentants légitimes du peuple serbe de
Bosnie-Herzégovine, nous demandons aux institutions fédérales de protéger notre droit

souverain de demeurer au sein de l'Etat fédéral deYougoslavie.

Nous fondons notre droit de vivre dans l'Etat fédéral de Yougoslavie sur le paragraphe 2
de l'article 1 de l'actuelle constitution de la Bosnie-Herzégovine ainsi que sur la
constitution encore en vigueur de la République socialiste fédérative de Yougoslavie.» - 23 -

La déclaration d'Alija Izetbegovic a également été condamnée par le parti démocratique
socialiste de Bosnie-Herzégovine qui rassemble des membres des trois peuples (M. Caric, «SDA je
konacno obelodanila svoje prave namere» [Le SDA révèle enfin ses véritables intentions], Politika,
er
1 mars 1991, annexes, p. 430-432; M. Caric, «Koga Izetbegovic moze da zastupa u Predsednistvu
SerJ ?» (Qui Izetbegovic peut-il représenter au sein de la présidence de la RSFY ?], Politika,
1 mars 1991, annexes, p. 432-433; D. Kecman, «Frapantne metamorfoze A. Izetbeovoca» [Les
étonnantes métamorphoses d'A. Izetbegovic], Politika, 1 mars 1991, annexes, p. 434-435.)

1.8.9. Des rassemblements massifs ont eu lieu à Banja Luka et au Mont Kozara au début de
mars 1991 pour appuyer la préservation de la fédération yougoslave. Quelque soixante-dix mille
personnes se sont rassemblées à Banja Luka («Veliko interesovanje za miting na Kozari» [Le
rassemblement sur le Mont Kozara suscite beaucoup d'intérêt], Politika, 3 mars 1991, annexes,
p. 436-437; Dusan Kecman,«Protivrazbijaca zemlje»[Contre ceux qui veulent provoquer l'éclatement
du pays], Politika, 4 mars 1991, annexes, p. 438-439; Dj. Djukic, «Odlucna bitka za Jugoslaviju» [La

bataille décisive pour la Yougoslavie], Politika, 4 mars 1991, annexes, p. 440-441).

1.8.10. Le comité régional du SDS pour la Krajina bosniaque a protesté, lors d'une conférence
de presse tenue à Banja Luka le 7 juin 1991, contre le référendum annoncé sur la souveraineté de la
Bosnie-Herzégovine et s'est engagé à soutenir la coexistence au sein de la Yougoslavie (D. Kecman,

«Krajisnici ne priznaju nikakvu suverenu drzavu BH» [La population de la Krajina ne reconnaît pas
l'Etat souverain de BH], Politika, 8 juin 1991, annexes, p. 442-443).

1.8.11.Prenantla parolelors d'un rassemblementde masse organisé à Nevesinje le 23 juin 1991,
Karadzic a déclaré que les Serbes n'accepteraient pas d'être séparés par des frontières étatiques

(D. Maric, «Srpski narod nece dati Jugoslaviju» [Le peuple serbe ne renoncera pas à la Yougoslavie],
Politika, 24 juin 1991, annexes, p. 444-445).

1.8.12. Dans une lettre adressée au secrétaire d'Etat des Etats-Unis, M. James Baker, le SDS a
indiqué qu'il avait obtenu l'appui des trois-quarts des Serbes de Bosnie-Herzégovine qui souhaitaient

vivredansune Yougoslaviefédérale au seinde laquelle le peupleserbe ne serait pas éclaté en minorités
nationales (Mirko Caric, «Milosevic umesto Izetbegovica»[Milosevic plutôt qu'Izetbegovic],Politika,
25 juin 1991, annexes, p. 446-447).

1.8.13.Lorsqu'ilestdevenu évident que les Musulmans et les Croatesde Bosnie-Herzégovine ne
souhaitaient pas rester au sein de la Yougoslavie, Karadzic a dit au cours d'une conférence de presse

tenue à Belgrade le 18 juillet 1991 que chaque peuple pourrait quitter la Yougoslavie à condition de ne
pas nuire à ceux qui voulaient y rester. Des versions serbe et anglaise d'une brochure intitulée «Ceque
lesSerbes proposent»ont été distribuées à cette conférence de presse. Cette brochure visait à présenter
de manière précise les positions du SDS et à faire ainsi échec à la propagande anti-serbe (A. Brkic,
«Regije-kljuc za resenje jugoslovenske krize» [Les régions sont la clé de la solution de la crise
yougoslave], Politika, 19 juillet 1991, annexes, p. 446-447).

1.8.14. Même alors, le SDS essayait de trouver unesolution également acceptable par les Serbes
et les Musulmans de Bosnie-Herzégovine et a élaboré à cet effet le texte d'un accord avec des
représentants de l'organisation musulmane bosniaque. Toutefois, les représentants de cette
organisationont fait l'objetdefortespressionset demenacespubliquesdela partde dirigeantsduSDA,

ce qui a empêché la conclusion de l'accord (M. Caric, «Propao pokusaj SDA da minira sporazum»
[Echec de la tentative du parti d'action démocratique pour saper l'accord], Politika, 2 septembre 1991,
annexes, p. 450-451; P. Simic, «Srpsko-muslimanski sporazum pod informativnom blokadom» - 24 -

[L'accord serbo-musulman victime d'un embargo des médias], Politika, 11 août 1991, annexes,
p. 453-454) (voir par. 1.8.18).

1.8.15. Dans une déclaration en date du 14 octobre1991, le SDS a dit que si la Croatie se
séparait de la Yougoslavie, le SDS proposerait d'organiser aux niveaux locaux (districts, communes et

régions) et à celui de la république un référendumdes trois peuples composant la Bosnie-Herzégovine.

1.8.16. Deux jours plus tard, Karadzic a dit à une conférence de presse du SDS organisée à
Sarajevo qu'il était évident que les Musulmans et les Croates de Bosnie-Herzégovine ne souhaitaient
pas rester au sein de la Yougoslavie.

«C'est pourquoi nous attendons que notre vŒu de maintenir de forts liens fédéraux avec la
Yougoslavie soit pris en compte. Pour éviter une guerre civile, le Parlement a adopté des
principes suivant lesquels une solution acceptable pour tous les peuples sera recherchée,
personne n'imposant sa volonté aux autres» (M. Pesic, «Nema jedinstvenog resenja za BiH»
[Pas de solution unique pour la B-H], Politika, 18 octobre 1991, annexes, p. 455-456),

a dit le dirigeant du SDS.

1.8.17. Enfin, le 22 décembre 1991, le SDS a proposé une transformation démocratique globale
de la Bosnie-Herzégovine qui deviendrait une confédération de trois communautés ethniques, avec
trois parlements. Pendant les conversations engagées entre les trois partis, le SDS a proposé qu'une
B-H intégrée soit préservée dans le cadre de la fédération yougoslave. Se rendant compte que les deux
autres partis y étaient opposés, le SDS était prêt à respecter le vŒu des représentants musulmans et
croates de «desserrer» les liens avec la Yougoslavie ou de s'en séparer complètement.

«Dans l'intérêt de la paix, nous sommes prêts à accepter que la B-H devienne une
confédération dotée de trois parlements pour les trois communautés ethniques,
fonctionnant sur la base du respect mutuel. Cette confédération aurait également
certaines fonctions communes, grâce auxquelles la B-H pourrait devenir un trait d'union
entre la Croatie et la Yougoslavie. Ainsi seraient créées en B-H trois entités
complémentaires ou au moins neutres les unes par rapport aux autres»,

a dit M. Karadzic, en informant le Parlement du peuple serbe des négociations entre les trois
communautés ethniques (Muharem Duric, «Bosanskohercegovacka konfederacija» [Une
confédération de Bosnie-Herzégovine], Politika, 23 décembre 1991, annexes, p. 457-458).

1.8.18. Il faut préciser toutefois que les partis et les dirigeants musulmans ne partageaient pas

tous la position du SDA et de A. Izetbegovic. L'organisation musulmane bosniaque et son chef,
Adil Zulfikarpasic, ont élaboré avec le SDS et son chef, Radovan Karadzic, un projet d'accord sur les
relations serbo-musulmanes en Bosnie-Herzégovine, qui se lisait comme suit :

«1. Conscients des problèmes dont nous avons hérités et de ceux qu'a générés la vie
politique depuis les élections, nous avons décidé, dans un esprit d'ouverture et de respect
mutuel, de nous employer à réaliser les intérêts historiques et politiques de nos deux
peuples. Le présent accord n'est dirigé contre personne. Il est conçu à l'avantage de tous

et, en tant que tel, ouvert à tous ceux qui adhèrent au principe de vie commune dans la
liberté et dans une pleine égalité. - 25 -

2. Nous estimons que le fondement d'une telle vie commune est la reconnaissance
mutuelle de la souveraineté des peuples et de la pleine intégrité territoriale de notre
République de Bosnie-Herzégovine ainsi que de son égalité constitutionnelle et juridique
avec les autres républiques de l'Etat commun de Yougoslavie.

3. A notre avis, l'histoire justifie pleinement que la Yougoslavie soit un Etat commun à

des peuples totalement égaux et nous nous emploierons à préserver et à développer une
telle communauté.

4. Nous sommes convenus de la nécessité de faire de la Bosnie-Herzégovine une unité
fédérale démocratique juridiquementetpolitiquementunifiéeetayantlespouvoirsvoulus
sur toutes les régions de son territoire, à condition que la constitution et la législation
fédérales forment la base du régime national et garantissent l'égalité des citoyens, des

peuples et des républiques.

5. Nous exprimons le vŒu que les Croates de Bosnie-Herzégovine vivent avec nous en
pleine égalité et nous les invitons à adhérer au présent accord. Quelle que puisse être la
position de la République de Croatie, à l'intérieur ou hors de la Yougoslavie, les Croates
de Bosnie-Herzégovine sont un peuple pleinement égal aux autres.

6. Les relations entre les citoyens, les peuples et les Républiques de Yougoslavie seront
régies par une constitution commune consacrant les normes européennes.

7. Nous sommes conscients que le présent accord neconstitue qu'un fondement politique
et historique propre à rendre durable et pacifiquenotre vie commune. Mais, un tel accord
politique permet de rechercher les solutions les plus constructives et les plus rationnelles
pour l'action des organes fédéraux communs et leurfonctionnement : système monétaire,
marché unique, armée unique et affaires étrangères.

8. Nous pensons aussi que la communauté yougoslave optimale est celle qui comprend
chacune des six républiques et chacun des peuples qui la constituait initialement. Les
peuples et républiques qui souhaitaient se retirer de cette communauté devraient le faire
en vertu d'un accord et garantir les intérêts réels de chacun des autres membres.» (Focus
SI/92, p. 118-119, annexes, p. 459.)

1.8.19. Toutefois, les forces musulmanes fondamentalistes ont entravé ces efforts par leurs
attaques incessantes contre l'organisation musulmane bosniaque (Muharem Duric, «Zajednicki zivot u
zajednickoj drzavi» [Cohabiter dans un Etat commun], Politika, 31 juillet 1991, p. 461-462).

1.8.20. En outre, A. Izetbegovic et le chef desMusulmans de Bosnie occidentale Fikret Abdic se
er
sont trouvés en désaccord lors de la conférence du SDA tenue à Sarajevo le 1 décembre 1991.
Fikret Abdic a déclaré que, pour les choses importantes, il était erroné d'agir à l'encontre de l'intérêt,
non seulement du peuple musulman, mais aussi des autres peuples de Bosnie-Herzégovine, et il s'est
opposé au pouvoir absolu de A. Izetbegovic (MuharemDuric, «bdiceve zamerke Izetbegovicu» [Ce
que Abdic reproche à Izetbegovic], Politika, 2 décembre 1991, annexes, p. 465-466). F. Abdic avait
auparavant obtenu plus de voix qu'A. Izetbegovic aux élections présidentielles, mais avait concédé la
présidence à ce dernier. F. Abdic a par la suite rompu toute relation avec A. Izetbegovic, en particulier
après la formation de la province autonome musulmane de Bosnie occidentale et la conclusion d'un

traité de paix et de coopération avec la République serbe de Bosnie. Ce conflit a atteint son apogée
quand les forces d'A. Izetbegovic (le cinquième corps de Bihac) ont vaincu celles de F. Abdic en
Bosnie occidentale, pour ensuite soumettre à la terreur la population musulmane civile de cette région,
en particulier la ville de Velika Kladusa, ce qui a provoqué la fuite de quelque
soixante mille Musulmansdelarégion versla République serbede Krajina àla fin du mois d'août 1994. - 26 -

Après avoir regroupé ses forces, Abdic a reconquis le territoire perdu et les réfugiés musulmans sont
revenus dans cette région.

1.9. LA REBELLION ,CONTRE LA R EPUBLIQUE SOCIALISTE FEDERATIVE DE YOUGOSLAVIE ,DES
MEMBRES DU SDA ET DE LA HDZ AU SEIN DU GOUVERNEMENT REPUBLICAIN ET
LES PRESSIONS SUBIES PAR LES S ERBES DE B OSNIE -HERZEGOVINE (1991-1992)

1.9.1. Le harcèlement des Serbes de Bosnie-Herzégovine a débuté en 1991, par des attaques
lancées contre les dirigeants du SDS à la radio et à la télévision, ainsi que dans des journaux et des
revuespubliéesenBosnie-Herzégovine. La revueNovi Vox,destinée à la jeunesse musulmane, a mené
la campagne («Bosna je okupirana — Al'ne zadugo»[La Bosnie occupée — maispas pour longtemps],
o
Novi Vox, Sarajevo, n 3, octobre 1991, annexes, p. 469-470).

1.9.2. Dans le troisième numéro, en octobre 1991, Novi Vox, a publié le chant «patriotique»
suivant :

«Chère maman, je m'en vais planter des saules,
Auxquels nous pendrons les Serbes.
Chère maman, je m'en vais aiguiser les couteaux,
Bientôt les fosses seront pleines à nouveau.

Chère maman, hache donc la laitue,
Et invite nos frères Croates.
Le jour où nos drapeaux flotteront ensemble,
Tous les Serbes finiront au tombeau.»

Pendant la seconde guerre mondiale, le slogan «les Serbes sur les saules» était populaire parmi
les Oustachi — ces formations fascistes armées quiexistaient alors dans l'Etat indépendant de Croatie.
(LesSerbesétaient promisàlapendaisonsurlessaulesetenserbelesmots«Srbe»et «Vrbe»font rime.
Lamention desfossesestcensée faire référenceausortdesSerbespendantlaseconde guerre mondiale,
caràcetteépoquelesfascistesmusulmansetcroates jetaient les Serbes qu'ils avaient tués ou massacrés

dans des fosses profondes des étendues rocheuses de Bosnie-Herzégovine.) La rédaction expliquait
sous le texte de ce chant qu'elle avait décidé de le publier en raison d'une prétendue similitude de style
avec l'Œuvre d'Ivo Andric. On attribuait ainsi uneréputation de chauvinisme et d'intolérance religieuse
et nationale à l'Œuvre du seul lauréat yougoslave du prix Nobel, ce qui est absurde. De toute manière,
indépendamment du contexte de sa publication, ce chant ne pouvait qu'inquiéter les Serbes de
Bosnie-Herzégovine («Patriotska poezija»[Poème patriotique], Novi Vox,n 3,octobre 1991, annexes,

p. 472, 474).

1.9.3. Dans le même numéro de Novi Vox étaient publiées des notices nécrologiques des
dirigeants serbes les plus en vue, dont Radovan Karadzic, Biljana Plavsic et Nikola Koljevic. Cet

enterrement «par voie de presse» des chefs des Seroes de Bosnie-Herzégovine était une atteinte portée
à ces personnes («Citulje» [Nécrologies], Novo Vox, n 3, octobre 1991, annexes, p. 478-479).

1.9.4. Des formations armées illégales ont été créées en Bosnie-Herzégovine, comme l'explique

un article, paru également dans le troisième numéro de Novi Vox, en octobre 1991, sous le titre «Nous
défendrons la frontière sur la Drina.» Cet articleétait ainsi conçu :

«Un article de deux pages intitulé «Nouvelles des camps de la division Hanjar» a paru
dans le dernier numéro de l'hebdomadaire Globus de Zagreb, accompagné d'un entretien

avec Alija Siljak, membre de la présidence du parti croate des droits et coordonnateur de
ce parti pour la Bosnie orientale, dont on dit dans les milieux politiques qu'il a organisé - 27 -

des activités militaires sur la Drina et recruté des volontaires musulmans pour la guerre
patriotique en Croatie. Le journaliste de cet hebdomadaire populaire de Zagreb a pu
vérifier que ces rumeurs n'étaient pas sans fondement lorsque Alija l'a conduit à un camp
d'entraînement pour les recrues, quelque part dans les profondeurs de la forêt, «entre la
Drina et la Sutla». Au journaliste qui lui disait qu'on voyait en lui le créateur de la
nouvelle division Hanjar, Alija Siljak a répondu : «Ce que je fais avec mes gens de la

Drina, comme je les appelle, n'est en fait que la poursuite d'une tradition. On a beaucoup
parlé de la division Hanjar entre 1945 et 1990, le plus souvent en termes négatifs. Leur
fameux «crime» consistait simplement à se battre pour leur propre Etat et à défendre leur
peuple contrelagentdesKalabic,MedenicaetMihajlovic. Ilsétaient disciplinés et aimés
du peuple, mais l'un de leurs prétendus «crimes» était de porter des fez ornés de la lettre
«U» ou d'un croissant et d'une étoile, ou des deux, au lieu d'arborer l'insigne royaliste
serbe ou l'étoile communiste à cinq branches.»

La division Hanjar était une formation armée de Musulmans fascistes, créée au cours de la
seconde guerre mondiale (voir par. 1.3.3 et 1.3.21; «Branit cemo granice na Drini» [Nous défendrons
notre frontière sur la Drina], Novi Vox, n 3, octobre 1991, annexes, p. 482-485; «Odluka o formiranju
muslimanske narodne garde» [Création de la garde nationale musulmane], annexes, p. 490-491;
«Uvodi se Hajvan vagon» [Véhicules spéciaux à traction animale en cours d'adoption], annexes,
p. 494-497; «Cele-Kula» [La tour de crânes], annexes, p. 495 et 499; «Igre» [Jeux], annexes,

p. 496-499).

1.9.5. Les autorités de Bosnie-Herzégovine n'ont pas réagi aux articles de Novi Vox alors que
ceux-ci visaient à propager l'intolérance religieuse et ethnique.

1.9.6. La radio et la télévision de Bosnie-Herzégovine, la maison de presse Oslobodjenje et tous

les autres organes de presse républicains sont restés aux mains de Croates et de Musulmans, à qui ils
ont servi à livrer une guerre médiatique contre lesSerbes.

1.9.7. Le chef du SDS, Karadzic, a évoqué lors d'une conférence de presse le 23 janvier 1991
l'angoisse des Serbes vivant dans des localités limitrophes de la Croatie en Herzégovine occidentale,
qui expliquait pourquoi les femmes et les enfants fuyaient Metkovici vers l'Herzégovine orientale.

1.9.8.Ladistribution d'armesauxcivilsmusulmanset croatesaété organisée en 1991. Certaines
decesarmesavaient été obtenues avec l'aide de laSlovénie. Le fait a été confirmé par un intermédiaire
musulman, Hasan Cengic. Celui-ci a déclaré lors d'une audition devant une commission du Parlement
slovène qu'il avait d'abord été approché par le président de la Slovénie, M. Milan Kucan, lequel l'avait
mis en relation avec le ministre de l'intérieur Igor Bavcar. Le ministre slovène de la défense,

Janez Jansa, était au centre de ce trafic d'armes (M. Jaksic, «Kucan prva veza» [Kucan, premier
contact], Politika, 14 juillet 1994, annexes, p. 502-503).

1.9.9. L'ancien chef des services slovènes de contre-espionnage, Miha Brejc, a déclaré le
17 février 1995, lors d'une audition devant une commission du Parlement slovène, que la Slovénie
avait fourni des armes aux Musulmans de Bosnie du début de 1991 jusqu'à l'automne de 1994. Ces
ventes d'armes devaient rester secrètes, mais il est certain que l'armement des Musulmans de

Bosnie-Herzégovine n'a pas pu passer inaperçu des Serbes. - 28 -

1.9.10. Plusieurs milliers de Musulmans et de Croates de Bosnie-Herzégovine ont été entraînés
au centre de formation du ministère de l'intérieurcroate pendant l'année 1991 («It's a Crime to Remain
Silent About a Crime» [Se taire devant le crime est encore un crime], Novi Sad, 1993, p. 372-375).

1.9.11. Dès février 1991, les logements des officiers et des personnalités serbes ont été signalés

par une marque à Sarajevo et à Bihac. Ces marquesles désignaient comme des cibles éventuelles.

1.9.12. C'est en mars 1991 que les forces armées croates ont commencé leurs attaques contre le
territoire de Bosnie-Herzégovine habité par les Serbes. La police spéciale croate s'est emparée du pont
«Fraternité et Unité»sur la Sava, près de Jasenovac, et de la localité de Donja Gradina, le 5 mars 1991.
Les Serbes de Bosnie-Herzégovine ont trouvé inquiétant que les autorités républicaines contrôlées par

le SDA et la HDZ ne condamnent pas ces attaques.

1.9.13. Le SDA a commencé à organiser le mouvement extrémiste musulman, la ligue
patriotique, un an au moinsavant la guerre. Il s'agissait d'une organisation terroriste illégale, composée
essentiellement d'officiers musulmans déserteurs de l'armée populaire yougoslave, la JNA.
Sefer Halilovic, commandant de l'armée musulmane de la prétendue République de

Bosnie-Herzégovine a ainsi quitté la JNA pour rejoindre les rangs de la ligue patriotique illégale et
terroriste. Celle-ci est devenue une nouvelle composante des forces territoriales de
Bosnie-Herzégovine et est sortie de la clandestinité en attaquant la JNA et en mettant en déroute la
force de défense territoriale légale. La Ligue patriotique, jadis illégale, avait désormais son siège à
Sarajevo et était dirigée par les chefs du SDA.

1.9.14. Quand on lui a demandé au cours d'un entretien à la radio-télévision de

Bosnie-Herzégovine si la guerre en Bosnie-Herzégovine aurait pu être évitée ou non, le dirigeant
musulmanAlijaIzetbegovica reconnuqu'il ne s'attendait pas lui-même à ce que la guerre fût si terrible.
«Pendant le deuxième semestre de 1991, nous avonscréé la Ligue patriotique pour préparer le peuple
à l'éventualité d'une guerre», a-t-il déclaré (Tanjug, 15 février 1993).

1.9.15. Les Serbes de Bosnie-Herzégovine ont été particulièrement irrités par la visite officielle

qu'a rendue A. Izetbegovic à Kurt Waldheim. Les Serbes considèrent que M. Waldheim est au nombre
des responsables de la mort de trente-quatre mille Serbes au Mont Kozara pendant la seconde guerre
mondiale. A. Izetbegovic a déclaré que K. Waldheim n'avait été qu'un soldat. Cette visite, de même
que les explications données par A. Izetbegovic, n'était pas faite pour renforcer la confiance entre
Musulmans et Serbes. Bien au contraire.

1.9.16.Leshabitantsde plusieurslocalitésd'Herzégovineoccidentale ont barré les routes à l'aide
de véhicules et de «boucliers humains» pour empêcher le passage d'une colonne motorisée de la JNA.
Ces barrages ont été installés sur la route Mostar-Listica-Posusje, parce que, ont allégué les autorités
de Bosnie-Herzégovine, elles n'avaient pas été avisées à l'avance du passage de la colonne militaire.
A. Izetbegovic a prétendu lors d'une conférence de presse qu'on ne l'avait pas consulté sur les
mouvementsde troupes. Detouteévidence,A. Izetbegovicrevendiquaitlà une autorité qu'il n'avait pas,
puisque la JNA n'était pas tenue de consulter la présidence de la République. Là encore, il est clairque
cet incident a influé sur l'humeur politique des Serbesde Bosnie-Herzégovine, qui yont vu une menace

(Drago Maric, «Uzaludni pokusaji da se omogu_i prolaz vojnom konvoju» [Echec au passage d'un
convoi militaire], Politika, 9 mai 1991, annexes, p. 505-506). - 29 -

1.9.17. Lors d'une conférence de presse du SDS, Karadzic a mis en garde contre le lent
effacement de la frontière entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, en soulignant qu'A. Izetbegovic
avait abandonné la moitié de la souveraineté sur la Bosnie-Herzégovine à F. Tudjman, président de la
République de Croatie. Dans les régions de la Bosnie-Herzégovine à population croate, le système
scolaire et les organes de presse faisaient partie du régime croate («Granice izmedju BiH i Hrvatske
polako se tope» [La frontière entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie s'efface peu à peu], Politika,

16 mai 1991, annexes, p. 507-508).

1.9.18. Biljana Plavsic, présidente du conseil de la protection de l'ordre constitutionnel et
membre de la présidence de Bosnie-Herzégovine, a évoqué le désordre des institutions de la
Bosnie-Herzégovine, qui est la conséquence, selon elle, de l'alliance entre le SDA et la HDZ dans le
gouvernement républicain et de l'ingérence de la République de Croatie (M. Caric, «Hrvatska se grubo

uplice u poslove suverene BiH» [Ingérence de la Croatie dans les affaires intérieures de la Bosnie
souveraine], Politika, 14 mai 1991, annexes, p. 510-511).

1.9.19. Le 8 mai 1991, à Sarajevo même, Alija Izetbegovic a déclaré que la ville était
musulmane. Peu après, le maire de Sarajevo, Mohammed Kresevljakovic, est allé plus loin encore en
déclarant que la Bosnie-Herzégovine était un pays musulman. Ces déclarations n'ont évidemment

donné aux Serbes aucune raison de croire aux bonnes intentions du SDA («Izetbegovic demantuje
Kljuica» [Izetbegovic contredit Kljuic], Politika, 9 mai 1991, annexes, p. 512-513).

1.9.20. Dobroslav Paraga, chef des forcespolitiques fascistes d'extrême droite, a déclaré que des
compagnies croates étaient déjà alliées aux forces musulmanes sur la Drina (Mirko Caric, «Pogledi
uprti u BiH» [Les yeux tournés vers la Bosnie-Herzégovine], Politika, 11 juin 1991, annexes,
p. 514-515).

1.9.21. Le poste de police de Visegrád a été assiégé pendant plusieurs heures le 15 juin 1991.
Un groupe de Musulmans voulaient obtenir le remplacement des policiers serbes de la ville. Cette
manifestation s'inscrivait dans un mouvement organisé visant à modifier la composition ethnique de la
police de Bosnie-Herzégovine (R. M., «Blokirani putevi prema Srbiji» [Les routes vers la Serbie
bloquées], Politika, 16 juin 1991, annexes, p. 516-517).

1.9.22. Pour protester contre l'attitude de Izetbegovic, président de la présidence de
Bosnie-Herzégovine, qui faisait des déclarations sans avoir consulté ses collègues de la présidence, les
membres serbes de celle-ci, Plavsic et Koljevic, ont décidé le 8 juin 1991 de suspendre leur
participation à la présidence. Les dirigeants du SDS ont décidé le 10 juin 1991 de récuser Izetbegovic
comme représentant des Serbes de Bosnie-Herzégovine. Cela a marqué le début du retrait des

représentants serbes des organes officiels de Bosnie-Herzégovine, conséquences de l'isolement et de la
marginalisation que leur imposaient les représentants du SDA et de la HDZ.

1.9.23. Les forces armées croates ont bombardé la ville de Bosanska Fradiska à partir du
territoire de la République de Croatie. Là encore, il n'y a eu aucune réaction de la part du
Gouvernement républicain de Bosnie-Herzégovine (Dusan Kecman, «Veliki ratni okrsaj na Savi»
[Graves accrochages sur la Sava], Politika , 19 août 1991, annexes, p. 518-519).

1.9.24. Au cours d'une visite en Turquie, Izetbegovic a demandé que la Bosnie-Herzégovine soit
autorisée à participer à la réunion ministérielle de la conférence islamique. Cette demande n'a fait que
renforcer la méfiance des Serbes à l'égard des politiques suivies par A. Izetbegovic («Zahtev da BiH - 30 -

ucestvuje u radu Islamske Konferencije» [Demande de participation de la Bosnie-Herzégovine aux
travaux de la conférence islamique], Politika, 18 juillet 1991, annexes, p. 521-522.)

1.9.25. Alija Izetbegovic a déclaré au cours d'un entretien publié dans Der Spiegel : «Si la
Bosnie-Herzégovine est divisée, il y aura immanquablement une guerre civile à laquelle il sera
impossible de mettre fin.» Il a ajouté qu'au cours de ses voyages en Turquie et en Libye, il avait
recherché «un appui politique,mais, pour l'instant, aucune aide sous forme d'armes». Cette déclaration
atteste également qu'Izetbegovic était résolu à faire usage de la force pour créer une
Bosnie-Herzégovine unifiée, unitaire et indépendante, contre la volonté des Serbes («Jeder kampft
gegen jeden» [Tous contre un et un contre tous],Der Spiegel, 22 juillet 1991, annexes, p. 523-525).

1.9.26. Al'issue d'une visite aux Etats-Unis, Izetbegovic a déclaré qu'il allait peut-être y avoir un
conflit entre Serbes et Croates, et que les Musulmans se rangeraient alors du côté des Croates. C'est
bien ainsi que les choses se sont ensuite passées. Evidemment, une telle déclaration n'était pas faite
pour inspirer confiance aux Serbes de Bosnie-Herzégovine, bien au contraire («U slucaju sukoba
Muslimani uz Hrvate» [Les Musulmans se rangeront du côté des Croates en cas de conflit], Politika,
er
1 août 1991, annexes, p. 526-527).

1.9.27. Plusieurs Musulmans, sous la conduite de Murat Sabanovic, ont brutalisé le chauffeur et
plusieurs passagers serbes d'un autocar de la compagnie Raketa qui venait d'Uzice en Serbie. Le
lendemain, le même groupe a roué de coups Milija Ceba, un chargeur serbe de Visegrád (R. M., «SDA

tuce Srbe» [Le SDA s'en prend aux Serbes], Politika, 24 septembre 1991, annexes, p. 528-529).

Murat Sabanovic et un groupe de Musulmans ont détruit le monument élevé à Ivo Andric,
lauréat du prix Nobel de littérature, sur la place de la libération à Visegrád. Des fragments du marbre
de la statue ont été jetés à la Drina. Juste avantla destruction de ce monument, la revueNovi Vox avait
publié un article très critique sur Ivo Andric ainsi qu'une caricature du lauréat du prix Nobel le
montrant comme empalé sur un crayon, par référenceau châtiment du pal caractéristique de la période

ottomane, que l'écrivain avait décrit dans son roman Le pont sur la Drina, ce que certains intégristes
musulmans ne lui pardonnaient pas.

En août 1991, des intégristes musulmans ont distribué à Visegrád un tract donnant
vingt recommandations pour faire partir les Serbesde la ville. On pouvait y lire les conseils suivants :
«Interdisez à vos enfants de jouer avec les enfants serbes», «Jetez vos ordures devant leurs portes»,

«Urinez dans leurs couloirs», «Marquez leurs maisons et leurs appartements», «Ecrivez des menaces
sur les murs de leurs maisons et de leurs églises», etc.

1.9.28.Lesforcesduministère de l'intérieurdeCroatie et la garde nationale croate ont bombardé
la ville de Bosanska Kostajnica à partir du territoire croate. Ils ont provoqué la mort de
Dragan Borojevic, trente ans, et de Nedeljko Prohic, vingt-huit ans. Les représentants du SDA et de la

HDZ au sein du gouvernement républicain de Sarajevo ont fait délibérément fi des demandes des
Serbes, qui souhaitaient que l'on mette en garde les dirigeants croates contre toute attaque ayant pour
cible la Bosnie-Herzégovine (D. Kecman, «Ponono napadnuta Bosanska Kostajnica»
[Bosanska Kostajnica fait l'objet d'une nouvelle attaque], Politika, 1 septembre 1991, annexes,
p. 531-532).

1.9.29. Lors d'une conférence de presse tenue à Sarajevo le 5 septembre 1991, les dirigeants du
SDS ont rendu public un appel adressé au ministère de l'intérieur de Bosnie-Herzégovine, lui
demandant qu'il soit mis fin à toute activité prenant pour cible la JNA (Muharem Duric, «Protic haosa
u BiH» [Contre le chaos en Bosnie-Herzégovine],Politika, 6 septembre 1991, annexes, p. 533-534). - 31 -

1.9.30. Le SDA s'est employé activement par l'intermédiaire du ministère de l'intérieur de
Bosnie-Herzégovine à empêcher tout recrutement dans la JNA ainsi que la formation d'une police
uninationale. Les officiers de la JNA ont été harcelés de menaces par téléphone (D. Kocic, «Prete
rusenjem mosta kod Zvornika» [Menaces de destruction du pont de Zvornik], Politika,

29 septembre 1991, annexes, p. 535-536).

1.9.31. Biljana Plavsic et Nikola Koljevic ont déclaré dans une lettre adressée à la conférence de
la paix de La Haye qu'Alija Izetbegovic ne pouvait pas représenter les Serbes de Bosnie-Herzégovine.

1.9.32. Lors d'une conférence de presse du SDA tenue à Sarajevo le 2 octobre 1991,
Irfan Ajanovic, vice-président de l'assemblée de la République socialiste fédérative de Yougoslavie et
l'un des dirigeants du SDA, et Muhamed Cengic, vice-premier ministre de Bosnie-Herzégovine et
également dirigeant du SDA, ont annoncé une guerreterrible en Bosnie-Herzégovine. Ils ont confirmé
que les Musulmans de Bosnie-Herzégovine étaient en train de s'armer (Mirko Caric, «Ajanovic i
Cengic grubo vredjaju JNA» [Ajanovic et Cengic insultent gravement la JNA], Politika,
3 octobre 1991, annexes, p. 537-538).

1.9.33. Le président de la Bosnie-Herzégovine, A.Izetbegovic, a proclamé la neutralité de sa
république dans les conflits de Croatie le 7 octobre 1991. Il s'est comporté comme si la République
socialiste de Bosnie-Herzégovine était un Etat indépendant et souverain, ce qu'elle n'était
pas. Radovan Karadzic, Momcilo Krajisnik, Biljana Plavsic, Nikola Koljevic et
Vojislav Maksimovic, au nom des Serbes, ont rendu publique une déclaration condamnant cette
initiative et soulignant son caractère inconstitutionnel. Ils ont insisté sur le fait que la

Bosnie-Herzégovine n'était pas un Etat indépendant et qu'elle ne pouvait donc pas se prétendre neutre.
Ils ont également déclaré que l'appel lancé par Alija Izetbegovic aux conscrits pour qu'ils ne répondent
pas à l'ordre de mobilisation était une infraction grave à la loi («Predsednik Predsednistva BiH
povredio citav niz ustavnih i sakonskih normi» [Lechef de la présidence de Bosnie-Herzégovine viole
plusieurs dispositions de la loi et de la constitution], Politika, 8 octobre 1991, annexes, p. 539-540).

1.9.34. Le Parlement républicain a tenu une séance à Sarajevo le 14 octobre 1991. Sur
proposition du SDA, le Parlement de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine a, en formation
restreinte, adopté un mémorandum relatif à la souveraineté de la République et une «plate-forme»
politique relative au statut de la Bosnie-Herzégovine et à l'organisation future de la communauté
yougoslave, proposés par la présidence de la République. Ces documents n'ont pas eu le soutien du
SDS et les membres de celui-ci n'ont pas pris part aux décisions. Les propositions n'ont pas été
soumises à la procédure prévue au point 10 de l'article LXX de l'amendement de 1990 à la constitution

de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, ce qui fait qu'elles n'ont été ni avancées ni
examinées par le conseil de l'égalité nationale. Comme les trois partis les plus importants ne pouvaient
s'entendre sur ces texteset que la procédure faisant intervenir le conseil de l'égalité nationale n'était pas
respectée, Momcilo Krajisnik, président de l'assemblée et député du SDS, a clos la séance, après quoi
les députés du SDS se sont retirés. Sur proposition d'Irfan Ajanovic, alors vice-président de
l'assemblée de la République socialiste fédérative de Yougoslavie et l'un des dirigeants du SDA,
l'assemblée a continué de siéger malgré l'absence de quorumet elle a adopté les documents en question
(«Memorandum — pismo o namjerma» [Mémorandum — lettre d'intention], Slubeni list SR BiH,

br. 32, 16 octobre 1991, annexes, p. 542-546; «Platforma o polozaju BiH i buducem ustrojstvu
jugoslovenske zajednice» [Plate-forme relative au statut de la Bosnie-Herzégovine et l'organisation
future de la communauté yougoslave], annexes, p. 543-545; Muharem Duric, Mirko Caric, «Bosna se
podelila» [La Bosnie se divise], Politika, 16 octobre 1991, annexes, p. 547-548; Bosnie-Herzégovine,
Defence and Foreign Affairs Handbook, Londres, 1994, p. 135, annexe, p. 410). - 32 -

1.9.35. Lors d'une conférence de presse tenue à Sarajevo le 16 octobre 1991, le SDS a rendu
publique une proclamation adressée aux Serbes en Bosnie-Herzégovine. Il y était dit que les groupes
parlementaires du SDA et de la HDZ avaient tenté un coup d'Etat au cours de la nuit du 14 au
15 octobre 1991 en faisant adopter par la terreur politique des décisions inconstitutionnelles qui

jetaient à bas la tradition de cohabitation des Serbes, des Musulmans et des Croates. Cette situation
mettait l'ordre constitutionnel en péril et ouvrait la voie à l'anarchie et au chaos. Si le Parlement de
Bosnie-Herzégovine ne protégeait pas l'ordre constitutionnel, les Serbes instaureraient un ordre
juridique conforme à la constitution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie, feraient
respecter la constitution et les lois fédérales, les droits civils et nationaux et mettraient sur pied leurs
propres organes législatifs, exécutifs et judiciaires, comme ils en avaient le droit en leur qualité de
peuple souverain. Il était dit également que les Serbes resteraient au sein de la Yougoslavie tant qu'ils

n'en auraient pas décidé autrement par voie de référendum (M. Duric, «Nezavisnost BiH mimo volje
srpskog naroda» [La souveraineté de la Bosnie-Herzégovine contre la volonté des Serbes], Politika,
17 octobre 1991, annexes, p. 551-552).

1.9.36. Une cinquantaine de milliers de Serbes ont assisté à un rassemblement à Banja Luka le
26 octobre 1991 pour protester contre l'adoption du mémorandum de la «plate-forme» (voir

par. 1.9.34). Nikola Koljevic a déclaré que les Serbes organiseraient un référendum sur leur statut
d'Etat («Srbi su izabrali plebiscit» [Les Serbes ont choisi le référendum], Politika, 27 octobre 1991,
annexes, p. 553-554).

1.9.37. Le vice-premier ministre de Bosnie-Herzégovine, Muhamed Cengic, a rencontré le
premier ministre de Turquie, M. Suleyman Demirel, le 15 novembre 1991 à Ankara. Les diplomates
yougoslaves n'ont pas été autorisés à assister à cet entretien («Cengic informisao Demirela o Bosni»

[Cengic met Demirel au courant des affaires bosniaques], Politika, 16 novembre 1991, annexes,
p. 559-560).

1.9.38. Un pilote de la JNA, le capitaine Dragos Stojcinovic, a été enlevé à Mostar le
28 novembre 1991 par une formation paramilitaire croate. La police de Bosnie-Herzégovine était
impliquée dans l'enlèvement. M. Stojcinovic a d'abord été amené à Listica, puis à Split, puis à Zagreb

en Croatie. Dans chacun de ces endroits, il a subi des tortures physiques et de graves blessures lui ont
été infligées. Il a été échangé à l'aéroport de Pleso le 10 décembre 1991 (déposition de Dragos
Stojcinovic devant l'équipe d'experts du rassemblement et de l'analyse des preuves des crimes contre
l'humanité et le droit international, 5 mai 1994, annexes, p. 566; documentation médicale, annexes,
p. 574).

1.9.39. Un engin explosif a été dissimulé sous la voiture de Mladjenovic, rédacteur en chef de
Glas, journal de la Krajina, secrétaire à l'information de la région autonome de Bosanska Krajina.
L'explosion a détruit la voiture et brisé les vitres des immeubles voisins. Avant cet attentat, des
explosifs avaient été placés sous la voiture de Radislav Vukic, président du SDS de Bosanska Krajina,
et aussi dans le hall d'entrée de l'immeuble où vivait Predrag Radic, maire de Banja Luka (D. K., «Na
meti celnici SDS» [Attentats contre des dirigeants du SDS], Politika, 1 décembre 1991, annexes,
p. 577-578). En décembre, des bombes ont été placées dans des restaurants appartenant à des Serbes
(D. K., «Tri diverzije u srpskim lokalima» [Trois attentats contre des restaurants serbes], Politika,

15 décembre 1991, annexes, p. 579-580). Ces attentats ont été organisés pour faire plier les Serbes de
cette région de la Bosnie-Herzégovine. Tous ces événements ont pesé lourdement sur les positions
politiques des Serbes de Bosnie-Herzégovine. - 33 -

1.9.40. Après la décision prise par le Parlement des Serbes de Bosnie-Herzégovine de former la
République serbe de Bosnie, Alija Izetbegovic a, aucours d'une émission télévisée, menacé les Serbes
d'un nouvel exode, semblable à celui auquel ils avaient été contraints en Croatie.

1.9.41. Izetbegovic a remercié la Turquie d'avoirreconnu la Bosnie-Herzégovine avant même le

référendum du 29 février 1992. Il a déclaré qu'il avait rencontré à Davos M. Cetin, ministre des
affaires étrangères, qui lui avait promis cet acte de reconnaissance. Demirel a renouvelé cette
promesse par la suite. Izetbegovic a dit que la reconnaissance de la Bosnie-Herzégovine encouragerait
les Musulmans et les Croates à voter en faveur de l'indépendance. Dans un entretien accordé au
quotidien turc Miliyet, il a qualifié la Turquie de pays frère («Saraybosna, bayram yasiyor», Miliyet,
10 février 1992, annexes, p. 581-582).

1.9.42. Le jour du référendum ersulman-croate sur l'indépendance nationale de la
Bosnie-Herzégovine, c'est-à-dire le 1 mars 1992, a eu lieu une agression armée contre des personnes
venues assister à un mariage serbe à Sarajevo. Nikola Gardovic, père du marié, a été tué, et
Radenko Mirovic, prêtre, blessé devant l'Eglise orthodoxe du Bascarsija, au centre de la ville. Tous
deux étaient serbes. Les auteurs de l'agression étaient Suad Sabanovic, fils de Hamdija, Musulman,
Igor Dodig, fils de Zvonimir, Croate, et Muhamed Svrakic, fils d'Emin, Musulman. Ils ont essayé de

s'emparer du drapeau serbe que portait le frère du marié. C'est une coutume serbe que d'arborer les
drapeaux nationaux lors des mariages. Quand le père a essayé de s'interposer, les agresseurs ont ouvert
le feu. Cette agression, opérée au moment même du référendum sur l'indépendance, laissait mal
augurer du sort des Serbes de Bosnie-Herzégovine. Elle a marqué le début des conflits armés
interethniques en Bosnie-Herzégovine («Ubsitvo na Bascarsiji» [Meurtre au Bascarsija], Politika,
2 mars 1992, annexes, p. 584-585; Bosnie-Herzégovine, Defence and Foreign Affairs Handbook,
Londres, 1994, p. 135, annexes, p. 410).

1.9.43. Des barricades ont été dressées à Sarajevo après le meurtre de Nikola Gardovic. A la
suite d'accord intervenu entre Radovan Karadzic, Alija Izetbegovic et le général de la JNA
Milutin Kukanjac, les barricades ont été démantelées et les quartiers névralgiques quadrillés par des
patrouilles mixtes de policiers et de soldats. Dans la nuit du 3 mars 1992, des Musulmans armés ont
élevé des barricades dans la partie de la ville où ils étaient majoritaires, cela malgré la promesse
d'Alija Izetbegovic qu'il n'y aurait plus de siège. Il y a eu plusieurs assassinats de Serbes et de

Musulmans (M. Caric et M. Duric, «Nove napetosti» [Un regain de tensions], Politika, 4 mars 1992,
annexes, p. 586-587; M. Diric, «Bosna: Dogovor u poslednji cas»[Bosnie : accord de dernière minute],
annexes, p. 598-590).

1.9.44. En mars 1992, quelque cinquante mille membres du SDA et de la HDZ étaient armés.
Leurs formateurs s'appelaient les «Bérets verts», les «Amis volants» et la «Division Hanjar». Le

quotidien turcHurriyet a publié deux articles en provenance de Sarajevo et de Bosnie-Herzégovine sur
les commandos islamistes qui se préparaient à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Ces commandos y
étaient qualifiés de «Rambos islamistes de Bosnie». Muammer Elveren, journaliste, s'est rendu au
quartier général des «Bérets verts» en Bosnie et a décrit leurs armes, leurs tenues et leurs exercices
(Muammer Elveren, «Islamic Rambos» [les Rambos de l'Islam], Hurriyet, 30 mars 1992, annexes,
p. 597; Muammer Elveren, «Salaam aleikoum, mot de passe des Rambos», Hurriyet, 31 mars 1992,
annexes, p. 598; Radovan Pavlocic, «Pod oruzjem 50.000 clanova HDZ i SDA» [Cinquante
mille membres de la HDZ et du SDA sont armés], Politika, 4 mars 1992, annexes, p. 600-601).

1.9.45. Pendant le mois de mars 1992, des formations militaires musulmanes et croates ont tenté
de s'emparer par la force en Bosnie-Herzégovine d'une position dominante ayant une composition - 34 -

ethnique hétérogène. Pour y parvenir, elles ont attaqué des unités de la JNA et la guerre civile a
commencé en Bosnie-Herzégovine.

Le 22 mars 1992, des formations armées croates ont ouvert un feu d'artillerie à partir de la
localité de Neum sur une unité de la JNA. Six membres de la JNA ont été tués au cours de l'incident :
Slavko Lukovac, Vukan Joksimovic, Zoran Obradovic,Radenko Filipovic et Branislav Mrdak (D. M.,

S. D., «Poginulo sest pripadnika rezervnog sastava JNA» [Six réservistes de la JNA tués], Politika,
24 mars 1992, annexes, p. 603-604).

Des formations armées musulmanes et croates ont créé trois foyers de crise : Bosanski Brod,
Neum et Gorazde (M. Duric, «Pucnji od mora do Bosanskog Broda» [On tire de la mer sur
Bosanski Brod], Politika, 25 mars 1992, annexes, p. 605-606).

ABosanski Brod,desformationsarméescroates(HOSetZNV)etles «Béretsverts»musulmans
se sont accrochés avec les unités de défense territoriale serbe de Bosnie. La ville a été bombardée à
partir de Slavonski Brod, en Croatie.

Le ministre de l'intérieurdu Gouvernementrépublicain de Bosnie-Herzégovine n'a pas essayé de
prévenir les conflits interethniques (M. Duric, «Opet sukobi i barikade» [Encore des conflits et des
barricades], Politika, 2 avril 1992, annexes, p. 608-609).

A Bijeljina, il y a eu des combats après que des formations armées musulmanes eurent érigé des
barricades dans la rue (P. Simic, «Gradske borde u Bijeljini» [On se bat à Bijeljina], Politika,
2 avril 1992, annexes, p. 611-612).

Le 3 avril 1992, un attentat terroriste a été perpétré à Mostar : une citerne remplie de grenades,
abandonnée devantlacaserne dubataillon deMostarde la JNA,a explosé. Les dégâts matériels ont été
considérables et plusieurs soldats et civils ont été blessés («Cisterna je bila napunjena granatama» [Un

camion citerne rempli de grenades], Politika, 5 avril 1992, annexes, p. 614-615).

1.9.46. Les Serbes ont fui la Bosnie-Herzégovine pour se rendre en Serbie. En avril 1992, des
dizaines de milliers de réfugiés de Bosnie-Herzégovine sont arrivés dans ce pays (Mirjana Kuburovic,
«Rata se svi plase» [Tout le monde a peur de la guerre], Politika, 7 avril 1992, annexes, p. 618-619).

1.9.47. Le dirigeant du SDS, Karadzic, celui du SDA, Alija Izetbegovic, et celui de la HDZ,
Brkic, ont signé le 11 avril 1992 la déclaration deSarajevo sur le traitement humanitaire des personnes
déplacées à Sarajevo. On pouvait y lire que :

«Considérant les problèmes particuliers qui se posent aux personnes déplacées en
Bosnie-Herzégovine,

Constatant que ces personnes ont été contraintes de quitter leur foyer du fait du conflit et
des tensions qui affectent les républiques voisines et certaines régions de
Bosnie-Herzégovine et qui continuent de provoquer de nouveaux déplacements,

Les signataires convenaient

D'appuyer la création d'une commission tripartite réunissant la République de Croatie, la

République de Bosnie-Herzégovine et le HCR, qui définira les principes, garanties et
procédures nécessaires pour faciliter le retour des personnes déplacées en République de
Croatie». - 35 -

Cette déclaration atteste bien que les premières victimes de l'épuration ethnique ont été serbes.
Le terme «républiques voisines» ne peut viser que la Croatie, et celui de «certaines régions de
Bosnie-Herzégovine» que l'Herzégovine occidentale,d'où avaient été évincés des villageois serbes.

1.9.48. Des accords de cessez-le-feu immédiat ont été signés le 12 avril, puis encore le

23 avril 1992, par les dirigeants des trois partis (Karadzic, Izetbegovic et Brkic), avec la médiation de
la Communauté européenne. L'accord de cessez-le-feu de Bosnie-Herzégovine du 12 avril 1992 se
lisait comme suit :

«Les dirigeants des trois principaux partis de Bosnie-Herzégovine, conscients de la
situation extrêmement grave qui règne sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine,

Conviennent solennellement de ce qui suit :

—Ils proclament un cessez-le-feu total et immédiat sur tout le territoire de la
Bosnie-Herzégovine, qui prendra effet le dimanche 12 avril à minuit;

—Ils mettront fin à toute action de nature à alarmer et déstabiliser la population, comme
l'activité de tireurs isolés et le bombardement deSarajevo et d'autres villes et villages.

Les perquisitions, l'érection de barricades et autres actions arbitraires de tout genre
devront cesser immédiatement;

—Toute menace d'artillerie devra être levée sous le contrôle des inspecteurs de la Communauté
européenne, mesure qui ira de pair avec la suspension de toute mobilisation. Ces
deux mesuresdevront commencer à entrer en application dans les vingt-quatre heures
du cessez-le-feu;

—Toutes les forces armées irrégulières seront dissoutes, selon un calendrier convenu. Cette
opération se fera sous la surveillance et la supervision et le contrôle des inspecteurs
de la Communauté européenne;

—Ils s'attaqueront en toute priorité à la délimitation des futures unités constituantes de la
Bosnie-Herzégovine;

—A cet égard, les trois principaux partis réaffirment leur opposition à toute acquisition de
territoire par la force et s'accordent sur le droit de retour des réfugiés, sans
répercussion sur l'emploi ou autre.

Les trois partis conviennent que tous les partis devront avoir accès à la télévision sur un
pied d'égalité.» (Nations Unies, Conseil de sécurité, doc. S/23836,p. 11, annexes, p. 624;
les italiques sont de nous.)

Par cet accord, les trois partis se sont mutuellement reconnus le statut de belligérants et ont
confirmé leur autorité sur leurs forces armées et leurs opérations militaires. L'accord rendait d'autre
part explicite leur controverse principale — l'organisation du futur Etat — en parlant de «la
délimitation des futures unités constitutives de Bosnie-Herzégovine». Ce texte prouve en outre que la
partie serbe était mécontente de ne pas avoir accès à la télévision de Sarajevo.

1.9.49. Malgré les accords de cessez-le-feu, en avril 1992, Ejup Ganic et Stjepan Kljujic,
membres de la présidence de la Bosnie-Herzégovine, Juka Pusina, ministre adjoint républicain de
l'intérieur de Bosnie-Herzégovine, Hsan Efendic, ex-colonel de la JNA et commandant de la défense
territoriale de Bosnie-Herzégovine, Fikret Muslimovic, ex-lieutenant colonel de la JNA et
commandant adjoint à la sécurité de la défense territoriale de Bosnie-Herzégovine, Jovan Divjak, - 36 -

colonel et membre de l'état-major général de la défense territoriale de Bosnie-Herzégovine,
Izet Bajramovic, alias «Celo», et Jusuf Prazina, commandants des «Bérets verts» de la défense
territoriale de Bosnie-Herzégovine, et Jovica Berovic, inspecteur de police de Bosnie-Herzégovine, se
sont entendus pour lancer des attaques armées contre les installations et les unités militaires et contre
les officiers et pour s'emparer d'armes et de munitions. Ils ont donné des ordres, dans ce sens, aux
formations paramilitairesde défense territoriale de Bosnie-Herzégovine et, à la fin du mois d'avril et au

début du mois de mai, ils ont lancé des opérations armées. Les autorités militaires compétentes de
Yougoslavie ont porté plainte contre les personnes en cause, pour crime de rébellion armée et pour
crime de guerre.

1.9.50. Rappelons quelques-unes de ces actions. Des forces croates et des «Bérets verts»
musulmans ont attaqué la caserne de la JNA à Derventa. Cinq membres de la défense territoriale serbe

ont été tués, sept autres blessés au cours de cetteattaque. Une centaine de Serbes ont été mis en prison
dans les sous-sols du club militaire de la JNA (D.Kecman, «Napad na kasarnu JNA u Derventi» [La
caserne de la JNA à Derventa est attaquée], Politika, 26 avril 1992, annexes, p. 625-626).

Une ambulance automobile de la JNA a été volée. Des «Bérets verts» de Sarajevo installés à
bord ont tiré sur la ville et sur les voyageurs de la gare routière. La presse a imputé cette attaque à la
JNA. Des coups de feu ont également été tirés à partir de ce véhicule et à partir de la mosquée sur

l'hôpital militaire de Sarajevo.

La route de l'aéroport de Butmir a été barrée et deux mosquées ont été utilisées pour surveiller
l'aéroport et tirer des coups de feu.

Dans la matinée du 30 avril 1992, un attentat terroriste a été perpétré contre trois soldats de la
JNA qui se trouvaient dans un café faisant face au commandement de district de la deuxième armée.
Predag Ninkov et Sasa Urosevic ont été tués. Un autre soldat et un adolescent de treize ans ont été

grièvement blessés. Un membre des «Bérets verts», un certain Pavijan, a ouvert le feu sur ces
personnes sans aucun motif.

Le 2 mai 1992 a commencé une attaque générale directe contre toutes les unités de la JNA.
Izet Bajramovic, alias «Celo», a reçu l'ordre d'attaquer avec sa formation le quartier général de la JNA
à Sarajevo. C'est ce qu'il a fait vers 11 h 30, avec l'appui de l'unité commandée par Juka Prazina,
criminel bien connu. Six personnes ont été blessées dans le quartier général de la JNA.

Le mêmejour,vers 13 heures,unvéhicule transportant des vivresde la caserne «Maréchal Tito»
de Sarajevo à la caserne du commandement de district de la deuxième armée a été attaqué; dans
l'affaire, le colonel Goran Belic, qui était assis à côté du chauffeur, a été grièvement blessé, et le
chauffeur, Goran Divovic, a été tué.

1.9.51. Dans la matinée du 2 mai 1992, des formations armées musulmanes ont attaqué
l'immeuble du quartier général de la JNA à Sarajevo. Les membres de la JNA qui étaient dans
l'immeuble, se sont trouvés rapidement en situationcritique car l'ennemi leur était largement supérieur
en nombre. Ils ont demandé de l'aide. Des renforts sont partis du commandement de district de la
deuxième armée entre 12 h 30 et 13 heures. Il s'agissait d'unités de police militaire dirigés par le
colonel Milan Suput. La colonne a parcouru la rue Dobrovoljacka, Skenderija, la rue Obala
Vojvode Stepe, le pont de la Drvenija, en direction du quartier général de la JNA. Alors qu'elle
remontait la rue Obala Vojvode Stepe en direction du bâtiment, l'unité de la JNA a dû arrêter sa

progression en un point situé en face du collège technique Djuro Djakovic. Près de la poste principale
était dressée une barricade de conteneurs qui lui faisait obstacle. Elle ne pouvait pas reculer parcequ'il
y avait derrière elle, au bout de la rue Obala Vojvode Stepe, un tramway entouré de chevaux de frise.
Une roquette a été tirée au bazooka de la barricade sur le premier véhicule de la JNA, conduit par le
sergent Magazin. Puis, les membres de la défense territoriale de Bosnie-Herzégovine ont ouvert le feu - 37 -

sur la colonne à partir des immeubles voisins. Lesmembresde la JNA se sont divisés en deux groupes,
pour prendre position dans les édifices proches. Un groupe dirigé par le colonel Suput, le
capitaine Srdjan Petrovic et le capitaine Miodrag Markovic, s'est positionné dans le passage de
l'immeuble du collège technique, et le second, mené par les caporaux Dragan Stepanovic,
Bojan Jovanovic et Milan Kontic, a pris un immeuble proche de la poste centrale.

Immédiatement après l'attaque contre l'unité du colonel Suput, une autre unité de la police
militaire a quitté l'hôpital militaire dans deux Pinzgauer, l'un immatriculé P-4319, transportant le
capitaine Marko Labudovic, les colonels Obrad Gvozdenovic et Ivica Cvetkovic, les soldats
Branko Popovic, Srdjan Nikolic, Alecsandar Blagojevic, Rados Pajovic et Milan Pejic; l'autre
immatriculé P-3535, transportant le colonel Nihad Kastrati, le caporal Dragan Matic et les soldats
Dragan Lazukic, Mladen Nikolic, Kruno Beslic, Dragan Glamocanin et Dragoslav Nikolic) et deux
ambulances Citroën. Sur l'ordre du colonel Suput, cette formation a entrepris de dégager les membres

de la JNA qui étaient cernés et de venir en aide aux blessés. Mais, dès qu'elle est arrivée à la rue Obala
Vojvode Stepe, elle a été prise sous le feu. Le véhicule de tête, conduit par le colonel
Obrad Gvozdenovic, a reçu une roquette antichar, qui l'a obligé à prendre la voie ferrée du tram, où il
aroulé surunemineélectrique. Le colonelGvozdenovic a péri dans l'incendie du véhicule. Sur ce,des
coups de feu ont été tirés de toutes parts. Mis dans une situation désespérée, le capitaine Labudovic a
crié qu'il se rendait, mais les Musulmans n'en ont pas fait cas et ont poursuivi le feu, en l'intensifiant
même.

Après trois heures de combat, la plupart des soldats du groupe du capitaine Labudovic étaient
morts. De son côté, le groupe du colonel Suput réussissait à repousser les attaques jusqu'au matin
suivant, celui du 3 mai 1992, pour être enfin capturé par traîtrise. Ce matin-là en effet, le colonelSuput
s'est entendu avec le commandant musulman pour que les officiers et les soldats puissent retourner au
quartier général, mais, quand ils se sont rassemblés dans le collègue technique, les soldats musulmans
les ont désarmés et amenés en prison. Les forces musulmanes ont utilisé des armes chimiques lors de
ces attaques contre l'unité du colonel Suput.

Ont été tués au cours du combat du 2 mai 1992 le capitaine Marko Labudovic, les colonels
Ivica Cvekovic, Obrad Gvozdenovic, Nihad Kastrati, les soldats Rados Pajovic,
Aleksandar Blagojevic, Mladen Nikolic, Slobodan Jelic, Predrag Cerovic, Miodrag Djuric,
Srecko Javanovic, Ivica Simic, Dragan Vitkovic, Kruno Beslic, Perica Novic et Branko Popovic.

1.9.52. Une colonne mécanisée de la JNA, composée d'officiers et de soldats de la garnison du
commandement de district de la deuxième armée, a été attaquée à Sarajevo le 3 mai 1992.
L'évacuation s'est opérée sur la base d'un accord entre Alija Izetbegovic et la JNA. Cet accord avaitété
conclu sous les auspices de la FORPRONU et de la mission de la Communauté européenne. La
FORPRONU participait à cette évacuation. Malgré cela, des formations paramilitaires du ministère de
l'intérieur et de la défense territoriale de Bosnie-Herzégovine ont ouvert le feu sur la colonne dans la
rue Dobrovoljacka vers 18 heures, après le passage du véhicule dans lequel se trouvait

Alija Izetbegovic et le lieutenant général MilutinKukanjac. Bien que la colonne n'ait donné aucun
motif d'intervenir, ces formations ont forcé les soldats et les officiers à sortir des véhicules, lesont fait
dévêtir jusqu'à leurs sous-vêtements, puis se coucher sur l'asphalte face contre terre et leur ont infligé
des coups de pied et des coups de crosse et tiré dessus alors qu'ils étaient étendus. C'est ainsi que sont
morts les colonels Budimir Radulovic,Miro Sokic, Gradimir Petrovic, Bosko Mihajlovic, le lieutenant
colonel Mosko Jovanovic, le soldat Zdravko Tomovic et un fonctionnaire civil de la JNA,
Suko Normel. Lesassaillants ont interrogé certainsdes officiers pendant qu'ils étaient à terre et ont tiré
sur eux à l'arme de petit calibre, blessant grièvement Tatko Katalin. Des membres de la FORPRONU

et de la mission de la Communauté européenne ont été témoins de ces événements. Les colonels
Hasan Efendic et Jovan Divjak ont assisté sans intervenir à ce que faisaient leurs soldats pendant tout
le temps qu'a duré l'opération. Les militaires de la défense territoriale de Bosnie-Herzégovine ont
ensuite amené environ deux cents officiers et soldats au quartier général de la police, où ils ont subi les
mauvais traitements et les interrogatoires des hommes d'Ivica Berovic, en présence de Goran Milic, - 38 -

producteur de télévision. L'un des soldats capturés a été emmené et assassiné dans la cave, tandis que
l'inspecteur Ivica Berovic interrogeait le colonel Slavoljub Belosevic pendant trente-six heures
d'affilée, en lui assénant des coups de matraque et de pistolet au visage, dans les reins et sur d'autres
parties du corps. Des groupes de civils ont été autorisés à pénétrer dans la prison et ont craché sur
Belosevic, l'ont malmené,lui ont donné des coups de pieds; il a perdu connaissance à plusieurs reprises.
Ils l'ont ensuite amené dans une autre pièce; ilsont allumé une lampe puissante et l'ont dirigée sur son

visage pour l'approcher ensuite à 2 ou 3 cm de ses yeux. Ils l'ont maintenu ainsi pendant onze heures
sans interruption, en le frappant de tous côtés. Ses yeux étaient enflés et, pendant plusieurs jours,il n'a
rien pu voir (compte rendu de la déposition de Slavoljub Belosevic devant Dragoslav Rakic, le
magistrat instructeur de la cour de district de Belgrade, le 13 mars 1995, annexes, p. 639; général de
division Lewis MacKenzie,Peacekeeper, Douglas & McIntyre, Vancouver/Toronto, 1993, p. 164-171,
annexes, p. 649).

1.9.53. Pendant que se déroulaient ces événements, des coups de feu étaient tirés des mosquées
et des autres édifices proches de l'hôpital militaire de Sarajevo. Le neuvième étage de celui-ci a été
endommagé. Pendant ces combats, des armes de petit calibre tiraient sur l'aérodrome de Rajlovac à
partir de la mosquée de Sokolje (Sarajevo) où les formations paramilitaires de la défense territorialede
Bosnie-Herzégovine avaient installé un nid de mitrailleuses.

1.9.54.Desreprésentantsdela présidence de Bosnie-Herzégovine et de la JNA se sont entendus,
sous les auspices des représentants personnels de lord Carrington et du chef de la mission de la
Communauté européenne, pour conclure un armistice prenant effet immédiatement à Sarajevo, et le
5 mai 1992 ailleurs en Bosnie-Herzégovine. Toutes les parties au conflit ont été instamment priées
d'observercecessez-le-feu (Focus,documents 92,p. 88,annexes,p. 658). Malgré ladécision de retrait
militaire de la présidence de la République fédérative de Yougoslavie et malgré cet accord de
cessez-le-feu, des formations armées musulmanes ont poursuivi leurs attaques contre les unités de la

JNA pendant qu'elles se retiraient (R. K., «Borde posle malakra» [Le combat après le massacre],
Politika, 5 mai 1992, annexes, p. 659-660; D. Stevanovic, «Napadnuta Kasarna «Marsal Tito»
[Attaque de la caserne Maréchal Tito], Politika, 31 mai 1992, annexes, p. 662-663).

1.9.55. A 7 heures le 15 mai 1992, la dernière colonne de la JNA a été attaquée, à Tuzla, dans la
rue Skojevska, au moment où elle quittait la caserne. Malgré l'accord conclu entre les autorités

musulmaneset la JNA — qui prévoyait un retrait sans risque —, plusieurs douzaines de membres de la
JNA ont été tués au cours de l'opération.

1.9.56. La bataille de la caserne Maréchal Tito et de l'école de l'intendance de Sarajevo a
recommencé le 30 mai 1992. Les soldats, cernés par les «Bérets verts», ont appelé la FORPRONU à
l'aide.

1.9.57. Il était évident que la JNA avait été attaquée par des forces musulmanes et croates sous
l'autorité dugouvernementde Sarajevo et que ces attaques ralentissaient et gênaient le retrait de laJNA
de la région. Elles ont d'ailleurs continué même après que la présidence yougoslave eut décidé de faire
se retirer les membres de la JNA, citoyens de la République fédérative de Yougoslavie, et, le 4
mai 1992, de hâter ce retrait, et malgré aussi les nombreux accords de cessez-le-feu et ententes
ponctuelles concernant l'évacuation de certaines positions par la JNA. Comme on le voit, ce n'est

évidemment pas la JNA l'assaillant, c'est elle qui a été attaquée. - 39 -

1.10. LAPPARITION DE NOUVEAUX E TATS SUR LE TERRITOIRE DE
L'EX -REPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE B OSNIE -HERZEGOVINE

1.10.1. L'apparition presque simultanée de plusieurs nouveaux Etats sur le territoire de
l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine fait écho au référendum du
29 février-1 mars 1992 : elle montre que la majorité des Musulmans et des Croates de
Bosnie-Herzégovine voulaient simplement faire sécession de la République fédérative socialiste de
Yougoslavie, et non créer un Etat commun.

1.10.2. Les Serbes de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine, soumis à la terreur
par la coalition musulmane et croate du gouvernement républicain et n'ayant pas oublié le génocide
qu'ils avaient subi au cours de la seconde guerre mondiale, craignaient à juste titre un renouvellement

des massacres, qui se produisit bel et bien. Les Serbes se sont donnés pour Etat la République Srpska.

1.10.3. Les Croates de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine voulaient se séparer
de la Yougoslavie, mais non demeurer dans une Bosnie-Herzégovine islamique. Ils souhaitaient avoir
des liens aussi étroitsque possible avec la Croatie et se sont donc donnés pour Etat l'Herceg-Bosna,qui

devint, sur le plan économique, monétaire et militaire, partie intégrante de la Croatie.

1.10.4. Alija Izetbegovic et les autres chefs du SDA voulaient transformer l'ex-République
yougoslave de Bosnie-Herzégovine en un Etat islamique unitaire. C'est un projet auquel se sont
opposés non seulement les Serbes et les Croates de l'ex-République yougoslave de

Bosnie-Herzégovine, mais aussi une partie de la population musulmane de la Bosnie occidentale. C'est
ainsi que la résistance à l'intégrisme islamiste érigée en idéologie d'Etat a donné naissance à un
quatrième Etat dans la région : la province autonome de la Bosnie occidentale, dirigée par
Fikret Abdic.

1.11. LA CREATION DE LA R EPUBLIQUE SERBE DE B OSNIE

1.11.1. Réagissant aux premiers signes d'une éventuelle sécession de la République socialiste de
Bosnie-Herzégovine de la République socialiste fédérative de la Yougoslavie, signes donnés par les
organisations politiques musulmanes et croates, les Serbes de Bosnie-Herzégovine ont créé en 1991

plusieurs régions autonomes serbes : la Krajina bosniaque, la Romania, l'Herzégovine, la Semberija et
la Bosnie du nord. C'était une façon de montrer qu'ils n'entendaient pas rester dans une
Bosnie-Herzégovine indépendante.

1.11.2. Le SDS et les clubs du mouvement du renouveau serbe (SPO) du Parlement de
Bosnie-Herzégovine, en leur qualité de représentants légitimes des Serbes de Bosnie-Herzégovine, ont
décidé lors d'une réunion tenue le 24 octobre 1991 de fonder un parlement des Serbes de
Bosnie-Herzégovine, en excipant du droit à l'autodétermination garanti par la constitution. La mesure
a été adoptée après la séance du 14 octobre 1991 au cours de laquelle l'assemblée de la République
socialiste de Bosnie-Herzégovine a adopté, alors même qu'il n'y avait pas quorum, le mémorandum et

la «plate-forme» dont on a parlé ci-dessus, ce qui marquait le début de la sécession juridique de la
Yougoslavie de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine (décision portant création de
l'assemblée des Serbes de Bosnie-Herzégovine, annexes, p. 667).

1.11.3. A sa séance du 24 octobre 1991, le Parlement des Serbes de Bosnie-Herzégovine,
agissant en vertu du droit à l'autodétermination garanti par la constitution, a adopté une décision aux
termes de laquelle les Serbes de Bosnie-Herzégovine demeureraient dans l'Etat commun de - 40 -

Yougoslavie (décision des Serbes de Bosnie-Herzégovine de rester dans l'Etat commun de
Yougoslavie, annexes, p. 671).

1.11.4. Le Parlement des Serbes de Bosnie-Herzégovine a organisé un plébiscite auprès des
Serbes de Bosnie-Herzégovine les 9 et 10 novembre 1991 : un million cent soixante-deux mille

trente-deux Serbes et quarante-huit mille huit cent quatre vingt-quinze non-Serbes ont voté en faveur
du maintien dans l'Etat yougoslave (Muharem Duric, «Bosna ostaje u Jugoslaviji» [La Bosnie reste
yougoslave], Politika, 13 novembre 1991, annexes, p. 672-673; Bosnie-Herzégovine, Defence and
Foreign Affairs Handbook, Londres, 1994, annexes, p. 410).

1.11.5. Le Parlement des Serbes de Bosnie-Herzégovine a adopté une déclaration portant

proclamation de la République des Serbes de Bosnie-Herzégovine le 9 janvier 1992. On pouvait y
lire :

«En vertu des résultats du plébiscite des 9 et 10novembre 1991, à l'occasion duquel les
Serbesontvoté pourleurmaintiendansl'Etat commun de Yougoslavie,la République des
Serbes de Bosnie-Herzégovine est instituée et proclamée sur le territoire des régions et
secteurs autonomes serbes et sur les autres territoires ethniques serbes de

Bosnie-Herzégovine,y comprisleszonesoù lesSerbessontdevenusminoritaires pendant
la seconde guerre mondiale.» (Proclamation de la République des Serbes de
Bosnie-Herzégovine, annexes, p. 681.)

1.11.6. Le Parlement des Serbes de Bosnie-Herzégovine a adopté la constitution de la
République serbe de Bosnie le 28 février 1992 (décision portant promulgation de la constitution de la
République serbe de Bosnie-Herzégovine, annexes, p. 691; constitution de la République Srpska,

annexes, p. 692).

1.11.7. La République des Serbes de Bosnie s'est dotée d'une armée le 13 mai 1992 et a nommé
à sa tête le général Ratko Mladic (Nations Unies, Conseil de sécurité, doc. S/24049, annexes, p. 695).

1.11.8.Le Parlement desSerbesde Bosnie-Herzégovine aadopté une déclaration relative à l'Etat
et à l'organisation politique de la République serbe de Bosnie, qui prenait le nom de «République
Srpska».

1.11.9. A l'annexe II de son rapport sur la situation des droits de l'homme dans le territoire de la
Yougoslavie, M. Tadeusz Mazowiecki — rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme,

en vertu du paragraphe 14 de la résolution 1992/S-1/1 de la Commission en date du 14 août 1992
(Nations Unies, doc. E/CN.4/1992/S-1/9, 28 août 1992, p. 18, annexes, p. 701) — déclarait :

«La plupart des observateurs conviennent que le gouvernement de la «République serbe
de Bosnie-Herzégovine», Etat non reconnu proclamé lorsque la Bosnie-Herzégovine a
déclaré son indépendance de la Yougoslavie contre les vŒux de la population serbe,
contrôle 50 à 70 pour cent du territoire. Le centre de la «République serbe de
Bosnie-Herzégovine» se trouve dans la ville de Pale, près de Sarajevo, capitale assiégée

de la Bosnie-Herzégovine. La «République serbe de Bosnie-Herzégovine» comprend
quatre «régions autonomes», dont Banja Luka, où s'est rendu le rapporteur spécial.»

1.11.10. Ce rapport admet clairement l'existence d'Etats indépendants, même non reconnus. - 41 -

1.11.11. Le Conseil de sécurité a reconnu indirectement l'existence de la République des Serbes

de Bosnie lorsqu'il a appliqué contre elle les mesures prises au titre du chapitre VII de la Charte des
Nations Unies, par sa résolution 942 (1994) en date du 23 septembre 1994 (annexes, p. 702). Comme
plusieurs résolutions précédentes, ce texte qualifie la République des Serbes de Bosnie de «partie des
Serbes de Bosnie». Le paragraphe 14 de cette résolution est ainsi rédigé :

[Le Conseil de sécurité]

«Décide que les Etats interdiront l'entrée sur leur territoire :

a)Aux membres des autorités, y compris les autorités législatives, dans les zones de la
République de Bosnie-Herzégovine tenues par les forces serbes de Bosnie, et aux
officiers des forces militaires et paramilitaires serbes de Bosnie, ainsi qu'aux

personnes agissant au nom de ces autorités ou forces.»

Le Conseil de sécurité a reconnu l'existence des «autorités, y compris les autorités législatives»,
et des forces militaires, et a admis que ces dernières détenaient un territoire, ce qui est l'une des
conditions préalables à l'existence d'un Etat.

1.11.12. En concluant de nombreux accords avec la partie serbe à partir du 11 avril 1992, le
demandeur a reconnu que celle-ci prenait part au conflit (en tant que belligérante).

La République des Serbes de Bosnie est l'une des parties qui siègent à la conférence sur
l'ex-Yougoslavie.

1.12. LA CREATION DE LA PRETENDUE R EPUBLIQUE DE B OSNIE -H ERZEGOVINE

1.12.1. Le 20 décembre 1991, le Gouvernement de Bosnie-Herzégovine a décidé à la majorité
des voix de présenter au conseil des ministres de la Communauté européenne une demande de

reconnaissance internationale de la Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat indépendant. Les membres du
SDSsiégeant au gouvernement ono voté contre cettedécision (relative à la reconnaissance de la qualité
d'Etat, Journal officiel, 1991, n 37, p. 1085, annexes, p. 709).

1.12.2. Le 20 décembre 1991, la présidence de Bosnie-Herzégovine a décidé à la majorité des
voix de présenter aux communautés européennes une demande de reconnaissance de la qualité d'Etat

souverain de la Bosnie-Herzégovine (décision relative à une demande de reconnaissance de la
République socialiste de Bosnie-Herzégovine en qualité d'Etat indépendant, Journal officiel de la
République socialiste de Bosnie-Herzégovine, 1992,n 4, p. 96, annexes, p. 711).

1.12.3. Lors d'une conférence de presse donnée par le SDS à Sarajevo le 20 décembre 1991,

Koljevic et Plavsic ont déclaré qu'ils avaient voté contre la décision de la présidence de
Bosnie-Herzégovine tendant à demander la qualité d'Etat souverain pour la Bosnie-Herzégovine
(Muharem Duric, «Zajedno ili deobe» [Ensemble ou séparément], Politika, 21 décembre 1991,
annexes, p. 713).

1.12.4. Les 24 et 25 janvier 1992, le Parlement de Bosnie-Herzégovine à Sarajevo a adopté une
décision tendant à organiser un référendum pour demander aux citoyens de Bosnie-Herzégovine s'ils
souhaitaient que celle-ci devienne ou non un Etat souverain. Cette décision a été adoptée malgré - 42 -

l'opposition des députés serbes. Le président du SDS, M. Karadzic, a déclaré lors de la séance du
Parlement :

«Nous voulons que la Bosnie-Herzégovine se transforme de telle sorte que les Serbes
aient avec la Yougoslavie des liens aussi puissants qu'ils le souhaitent, ainsi que les
Croates avec la Croatie et les Musulmans avec la Yougoslavie et avec la Croatie.

Pourquoi serait-ce nécessairement la Yougoslavie, quand on peut penser à une fédération
serbe ? On ne peut pas faire plus honnête que ce que nous offrons : chaque peuple
déterminerait lui-même sa position à l'égard desautres,aurait son propre gouvernement et
sa propre souveraineté. La Bosnie-Herzégovine devrait être acceptable pour les
trois peuples. Ce n'est qu'ensuite que nous organiserons le référendum. C'est la seule
façon d'éviter tout effet pervers, de calmer les populations et de leur permettre de
recommencer enfin à vivre normalement...»

Les débats parlementaires montrent que l'Assemblée était disposée à accepter la décision selon
laquelle il fallait d'abord s'entendre sur une régionalisation de la Bosnie-Herzégovine qui serait
acceptable pour les trois peuples, pour organiser ensuite le référendum. Alors qu'un accord entente
était en vue, Alija Izetbegovic a refusé de consentir à la régionalisation, suivie du référendum et a
proposé au contraire que l'Assemblée vote immédiatement l'acceptation ou le rejet du référendum.
Après que le député Vojislav Maksimovic a dit au nom du groupe des députés serbes qu'il était

inacceptable pour ces députés d'inscrire la question du référendum à l'ordre du jour et qu'ils se
retireraient le cas échéant, Irfan Ajanovic, vice-président de l'assemblée de la République socialiste
fédérative de Yougoslavie et membre des instances dirigeantes du SDA, a menacé de procéder comme
on l'avait fait le 14 octobre 1991, jour où l'assemblée de la République socialiste de
Bosnie-Herzégovineavait adoptéla«plate-forme»etlemémorandumenl'absence des députés du SDS.
Or, c'est exactement ce qui s'est passé. La question du référendum a été inscrite à l'ordre du jour, les
députés serbes se sont retirés, et l'assemblée a adopté la décision (Muharem Duric, «Odluka o
referendumu bez srpskih poslanika» [Décision sur le référendum en l'absence des députés serbes],

Politika, 26 janvier 1992, annexes, p. 715-716).

1.12.5. Le référendum par lequel les citoyens de Bosnie-Herzégovine devaient se déclarer pour
ou contre une Bosnie-Herzégovine souveraine s'est tenu les 29 février et 1 mars 1992. Les Serbes se
sont abstenus d'y participer. Les résultats de la consultation n'ont pas été publiés officiellement
(Bosnie-Herzégovine, Defence and Foreign Affairs Handbook, Londres, 1994, p. 135, annexes,

p. 410).

1.12.6. Bien que les conditions internationales n'aient pas été remplies, la Communauté
européenne a reconnu la qualité d'Etat souverain de la Bosnie-Herzégovine le 6 avril 1992. D'autres
Etats ont ensuite fait de même. Au moment de cette reconnaissance, le gouvernement républicain de
Sarajevo n'exerçait son autorité que sur une fraction du territoire de la République de

Bosnie-Herzégovine. La République des Serbes de Bosnie était en voie d'apparaître sur le même
territoire, et se trouvait en conflit armé avec le gouvernement de Sarajevo. Ceux qui ont décidé de
reconnaître la Bosnie-Herzégovine ne pouvaient pas ignorer que le 6 avril 1941 était l'anniversaire du
bombardement de Belgrade par l'Allemagne nazie et du début de l'assaut sur la Yougoslavie sans
déclaration de guerre préalable (Bosnie-Herzégovine, Defence and Foreign Affairs Handbook,
Londres, 1994, p. 135, annexes, p. 410).

1.12.7. Lord Carrington, coprésident de la conférence internationale sur l'ex-Yougoslavie, a
déclaré le 26 septembre 1992 que la reconnaissance de la Croatie, de la Slovénie et de la
Bosnie-Herzégovine par la Communauté européenne et certains autres pays avait été prématurée
(«Prisnanje Bosne tragicna greska» [L'erreur tragique de la reconnaissance de la Bosnie], Politika,
27 septembre 1992, annexes, p. 720). - 43 -

1.12.8. Le président de la République française, M. Mitterrand, a répété à plusieurs reprises que
la reconnaissance de la prétendue République de Bosnie-Herzégovine avait été prématurée («Un
entretien avec M. François Mitterrand», Le Monde, 9 février 1993, annexes, p. 721).

1.12.9. Le président de la commission de politique étrangère du Parlement russe,
M. Ambarcumov, a déclaré que la reconnaissance prématurée de la Bosnie-Herzégovine, entre autres
Etats, expliquait l'aggravation de la crise yougoslave et le déclenchement de la guerre (déclaration à
Globus, 5 mars 1993, annexes, p. 722).

1.12.10. L'ancien secrétaire d'Etat des Etats-Unis, M. Henry Kissinger, a écrit dans un article
paru dans le Los Angeles Times du 16 mai 1993 :

«Il faut bien comprendre que la Bosnie n'a jamaisété une nation distincte et qu'il n'y a pas
d'identité culturelle bosniaque particulière... L'erreur la plus injustifiable de la tragédie
actuelle est la reconnaissance internationale d'un Etat bosniaque gouverné par les
Musulmans, reconnaissance calquée de manière irréfléchie sur le précédent établi par la

reconnaissance hâtive de la Slovénie et de la Croatie par l'Allemagne. Mais, alors que la
Croatie et la Slovénie ont une identité propre, la Bosnie est un microcosme yougoslave.

On n'arrivera jamais à comprendre comment on a puseulement penser que des Croates et
des Serbes, qui ne souhaitaient pas rester ensemble au sein de la Yougoslavie pourtant
plusvaste, pouvaient être incités à créer ensembleun Etat en Bosnie, avec les Musulmans
qu'ils haïssent depuis des siècles.» (Henry A. Kissinger, Los Angeles Times, 16 mai 1993,
annexes, p. 729.)

1.12.11. Le secrétaire d'Etat des Etats-Unis, M. Christopher, a déclaré que la reconnaissance
prématurée de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine était la cause de la guerre civile (déclaration à
USA Today, 17 juin 1993, annexes, p. 734).

1.12.12. L'ancien ministre des affaires étrangères de l'Italie, M. de Michelis, a lui aussi déclaré
que la reconnaissance de la Bosnie-Herzégovine avait été prématurée (déclaration à L'Europeo,
18 juin 1993, annexes, p. 741).

1.12.13. L'ancien ministre des affaires étrangères du Gouvernement français, M. Dumas, a
déclaré que la reconnaissance prématurée de la Bosnie-Herzégovine était une erreur (déclaration à

l'AFP, 20 juin 1993, annexes, p. 744).

1.12.14. On peut lire ce qui suit à l'annexe IIdurapport sur la situation des droits de l'homme sur
le territoire de l'ex-Yougoslavie, présenté par M. Tadeusz Mazowiecki, rapporteur spécial de la
Commission des droits de l'homme, en application duparagraphe 14 de la résolution 1992/S-1/1 de la
Commission, en date du 14 août 1992 (Nations Unies, doc. E/CN.4/1992/S-1/9, 28 août 1992, p. 18,
annexes, p. 746) :

«Trois régions distinctes sont sous le contrôle du Gouvernement de la
Bosnie-Herzégovine, à savoir une partie de la capitale, Sarajevo, la région connue sous le
nom de Bihac, adjacente à la frontière avec la Croatie au nord-ouest de la Bosnie, et des - 44 -

parties du centre de la Bosnie-Herzégovine. Une grande partie du territoire de la
Bosnie-Herzégovine n'est pas sous le contrôle du gouvernement reconnu.»

1.12.15. Il est clair que la qualité d'Etat a étéreconnue à la Bosnie-Herzégovine en violation des
règles du droit international. Le gouvernement sécessionniste n'exerçait son autorité que sur une
fraction seulement du territoire de l'ex-République yougoslave de la Bosnie-Herzégovine. Ce
gouvernement était au demeurant très instable, comme en témoignent non seulement le fait qu'il était
en conflit avec la République des Serbes de Bosnie, mais aussi les litiges perpétuels et les efforts
incessants entrepris pour résoudre les difficiles relations entre représentants musulmans et croates.
Avec la République des Serbes de Bosnie, deux autres Etats indépendants sont nés de ce processus :

l'Herceg-Bosna, sous contrôle croate, et la province autonome de Bosnie occidentale, sous le contrôle
du chef musulman Fikret Abdic, qui avait rompu avecIzetbegovic.

1.13.LA CREATION DE L 'HERCEG -BOSNA

1.13.1. La communauté croate d'Herceg-Bosna a été instituée le 19 novembre 1991 à Grude, en

Herzégovine. Elle était conçue comme une entité politique, économique, culturelle et territoriale,
regroupant des communes habitées essentiellement par des Croates : Kresevo, Busovaca, Vitez,
Novi Travnik, Kiseljak, Fojnica, Skender Vakuf, Kakanj, Vares, Kotor Varos, Tomislavgrad, Posusje,
Mostar, Siroki Breg, Grude, Ljubuski, Citluk, Capljina, Neum et Stolac, ainsi que la commune de
Ravno en Trebinje. Mostar a été proclamé capitalede l'Herceg-Bosna.

1.13.2. Le 4 juillet 1992, la communauté s'est constituée en Etat indépendant sous le nom
d'Herceg-Bosna («Hrvati u BiH proglasili svoju posebnu drzavu»[Les Croates de Bosnie-Herzégovine
proclament leur propre Etat indépendant], Politika, 6 juillet 1992, annexes, p. 747-748,
Bosnie-Herzégovine,Defence and Foreign Affairs Handbook, Londres,1994,p. 136,annexes,p. 410).

1.13.3. Le samedi 27 août 1993, les Croates de Bosnie ont proclamé leur propre Etat dans le
cadre de la future union de Bosnie-Herzégovine, «la République d'Herceg-Bosna». Ils ont pris une
décision portant constitution de l'assemblée de la nouvelle République («Proglasena Republika
Herzeg-Bosna» [Proclamation de la République d'Herceg-Bosna], Politika, 28 août 1993).

1.14.L A CREATION DE LA PROVINCE AUTONOME DE B OSNIE OCCIDENTALE

1.14.1. A la séance du 27 septembre 1993 de l'assemblée constituante, tenue à Velika Kladusa,
la décision a été prise de proclamer la province autonome de Bosnie occidentale. Fikret Abdic, ancien
membre de la présidence de Bosnie-Herzégovine, a été élu président. La majorité de la population de
cette région est de nationalité musulmane. La création de la province répondait au mécontentement de
la population et à son opposition hostile au style de gouvernement d'Izetbegovic, qui lui semblait

vouloir introduire l'intégrisme islamique.

1.14.2. Les autorités de la province autonome de Bosnie occidentale sont restées en conflit armé
permanent avec les forces d'Alija Izetbegovic jusqu'à la fin du mois d'août 1994, c'est-à-dire jusqu'au
moment où elles ont été militairement battues, ce qui a provoqué le départ de quelque soixante mille
habitants, pour la plupart des Musulmans. La population a fui devant la terreur et les meurtres de civils

commis par les forces d'Alija Izetbegovic. Le fait que l'on a tiré sur des civils a été confirmé par la
FORPRONU à Velika Kladusa. - 45 -

1.14.3. Quelques mois plus tard, les forces armées de la province autonome de Bosnie
occidentale ont réussi à regagner le territoire perdu, permettant ainsi aux Musulmans réfugiés de
retourner chez eux.

1.15.LA CONSTITUTION DE LA FEDERATION MUSULMANE CROATE

1.15.1. Après des mois de combats intenses et sanglants entre forces musulmanes et forces
croates en Bosnie centrale, le gouvernement musulman de Sarajevo a demandé en 1993 une session

d'urgence du Conseil de sécurité des Nations Unies, en priant l'organisation mondiale d'empêcher
l'immixtion ouverte de la Croatie dans le conflit de Bosnie-Herzégovine. Le Conseil de sécurité a
ordonné le retrait de l'armée croate du territoire de Bosnie-Herzégovine, en lui fixant une date limite.
Mais, à la mi-février 1994, date d'expiration du délai, l'armée croate ne s'était pas retirée et l'on
apprenait la création de la fédération musulmane-croate.

1.15.2. Un accord a été signé à Washington, au département d'Etat des Etats-Unis, le
2 mars 1994, entre les représentants des Musulmans et ceux des Croates de Bosnie-Herzégovine, aux
fins d'unir les territoires musulmans et croates de Bosnie-Herzégovine en une fédération de districts
ethniques dotée d'un gouvernement central commun et liée par des liens confédéraux avec la Croatie
(accord-cadre, annexes, p. 752; Dusan Pesic, «Federacija Muslimana i Hrvata u Bosni» [Fédération de

Musulmans et de Croates en Bosnie], Politika, 3 mars 1994, annexes, p. 770-772).

1.15.3. La fédération des Croates et des Musulmans de Bosnie a été consacrée par une
cérémonie officielle tenue à la Maison-Blanche, à Washington. Une déclaration a été publiée, qui
fixait les principes de l'union confédérale avec laCroatie (Dusan Pesic, «Stvorena federacija bosanskih

Hrvata i Muslimana» [Fédération des Croates et des Musulmans de Bosnie], Politika, 19 mars 1994,
annexes, p. 776-777).

1.15.4. Le 16 mai 1994 a été mis sur pied à Sarajevo l'état-major conjoint des forces armées
croates et musulmanes.

1.15.5. En réalité, pourtant, on n'a pas fait grand chose pour institutionnaliser la nouvelle
fédération. C'est pourquoil'accordd'armistice conclule 31 décembre 1994 entre les formations armées
musulmanes et celles de la République Srpska a été également signé au début de janvier 1995 par les
commandants militaires des forces de Bosnie-Herzégovine et des forces de la province autonome de
Bosnie occidentale (Ian Trayner, «US Puts Pressure on Bosnian Muslims and Croats to Stay Together

and Keep the Serbs at Bay» [Les Etats-Unis font pression sur les Croates et les Musulmans de Bosnie
pour qu'ils restent ensemble et tiennent les Serbes en lisière], The Guardian, 5 février 1995, annexes,
p. 782).

1.16.LE CONFLIT ARME ENTRE LES M USULMANS DE B OSNIE

ET LES C ROATES DE BOSNIE

1.16.1. En 1993, des incidents très graves ont éclaté entre Musulmans de Bosnie et Croates de
Bosnie. Ils ont eu pour théâtre la Bosnie centrale. La milice musulmane a concentré ses attaques sur
Kakanj, Travnik, Vitez et Mostar, d'où elle a évincé plus de dix mille Croates de villages croates.

1.16.2. Le Conseil de sécurité s'est saisi de la question. Ses présidents ont fait des déclarations
à ce propos le 21 avril 1993 (Nations Unies, Conseil de sécurité, doc. S/25646, annexes, p. 784), le - 46 -

10 mai 1993 (doc. S/25746, annexes, p. 785),le 14septembre 1993 (doc. S/26437,annexes, p. 787), le
9 novembre 1993 (doc. S/26716, annexes, p. 789) et le 3 février 1994 (doc. S/PRST/1994/6, annexes,
p. 791).

1.16.3. Les réfugiés croates ont traversé le territoire de la République Srpska pour se rendre en

Croatie. Lors de leur passage, ils ont reçu des secours sous forme de vivres («U centralnoj Bosni
zestoko»[Violents combats en Bosnie centrale],Politika, 4 juin 1993, annexes, p. 792-793; «Hrvati se
sklanjaju kod Srba» [Les Serbes recueillent les Croates], Politika, 9 juin 1993, annexes, p. 795-796;
«Muslim Forces Plunder Bosnian Croat Villages» [Des villages croates de Bosnie mis à sac par les
forces musulmanes], Washington Post, 17 juin 1993, annexes, p. 799; «Bosnian Muslim's Gains May
Have High Cost» [Les gains des Musulmans de Bosnie peuvent coûter très cher], Washington Post,
12 septembre 1993, annexes, p. 801).

1.17.C ONCLUSIONS SUR LES FAITS

1.17.1. Les Serbes vivent depuis des siècles, en tant que peuple, sur le territoire de la
Bosnie-Herzégovine.

1.17.2. Le statut des Serbes qui vivaient dans l'Etat ottoman était pire que celui des peuples
coloniaux. Ilsétaient soumisàdesopérationsdegénocide,considéréescommelégitimesà titre d'impôt
du sang : des enfants serbesétaient enlevés de force à leurs parents et envoyés dans les centres de l'Etat
ottoman, convertis à l'Islam et formés pour être des soldats turcs, les fameux janissaires.

1.17.3. Pendant la seconde guerre mondiale, les Serbes de Bosnie-Herzégovine ont été victimes

du génocide perpétré par la coalition fasciste croate-musulmane de Bosnie-Herzégovine, qui faisait
alors partie intégrante de l'entité collaborationniste qu'était l'Etat indépendant de Croatie. Plusieurs
centaines de milliers de Serbes sont morts pendant cette période, ce qui a modifié la composition
ethnique de certaines régions de la Bosnie-Herzégovine.

1.17.4. Aux premières élections multipartites de Bosnie-Herzégovine, tenues en 1990, le parti

d'action démocratique (SDA) a recueilli l'écrasante majorité des suffrages musulmans. Ce parti avait
été fondé par Alija Izetbegovic, qui avait développé ses idées religieuses et politiques dans sa
«déclaration islamique», distribuée illégalement en1970, puis publiée officiellement à Sarajevo
en 1990. L'objectif politique d'Alija Izetbegovic est de transformer la Bosnie-Herzégovine en Etat
islamique.

1.17.5. Aux premières élections multipartites, donc, l'écrasante majorité des Croates a voté pour
la communauté démocratique croate, contrôlée par Franjo Tudjman, et a appliqué la politique de
celui-ci, qui visait à démembrer la Yougoslavie età créer un Etat croate indépendant. Ce faisant, ils ne
se sont pas fait scrupule d'utiliser les symboles fascistes ni de s'appuyer sur des immigrés croates
fascistes.

1.17.6. Une coalition non officielle s'est constituée entre le parti de l'action démocratique (SDA)

et l'union démocratique croate (HDZ) au sein du gouvernement de l'entité fédérative de la Yougoslavie
qu'était la Bosnie-Herzégovine, et toutes les décisions, y compris celle de proclamer l'indépendance,
ont été prises grâce au vote majoritaire de ces deux partis, contrairement à la loi et à la constitution
républicaines en vigueur en Bosnie-Herzégovine. - 47 -

1.17.7. Les représentants politiques des Serbes de Bosnie-Herzégovine, qui disaient que les
Serbes étaient contre la sécession de la région et qui refusaient de demeurer dans une
Bosnie-Herzégovineindépendanteetautonome,ont été«diabolisés»parlesorganes de presse, harcelés
et malmenés physiquement tandis que l'armée populaire yougoslave, qui procédait à des opérations
licites et légitimes, faisait l'objet de fréquents attentats et que la population civile serbe était attaquée

par les unités régulières et paramilitaires croatesdans les régions limitrophes de la Croatie. Pendant ce
temps,lesautoritésmusulmanesdeSarajevopréparaientlesplansd'associationsillégaleset armaientla
ligue patriotique pour empêcher par la force les Serbes d'exercer leur droit à l'autodétermination.

1.17.8. Les raisons historiques exposées ci-dessus et la situation politique régnant en
Bosnie-Herzégovine après les premières élections multipartites donnaient aux Serbes de

Bosnie-Herzégovine une base de facto pour exercer les droits légitimes qui dérivent de l'égalité des
droits et de l'autodétermination des peuples.

1.17.9. En revanche, les Musulmans et les Croates de Bosnie-Herzégovine n'avaient aucune
raison légitime de former un Etat indépendant et de se séparer de la Yougoslavie. Ils avaient, comme
les Serbes de Bosnie, rejoint motu proprio le Royaume de Serbie en 1918 et, exerçant leur droit à

l'autodétermination proclamé à l'époque par le président des Etats-Unis, Woodrow Wilson, avaient
créé le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes en même temps que le Royaume de Serbie et
le Royaume de Monténégro. Les Musulmans vivant dans ce royaume étaient protégés par leur statut
de minorité religieuse.

1.17.10. Après la seconde guerre mondiale, les Serbes, les Musulmans et les Croates de
Bosnie-Herzégovine se sont formés en peuples égaux, à l'intérieur d'une unité fédérale distincte, la

Bosnie-Herzégovine. Le statut des Musulmans est alors devenu celui d'un peuple. Les Musulmans et
les Croates étaient représentés de manière proportionnelle dans toutes les administrations d'Etat et
jouissaient d'une pleine liberté d'épanouissement politique, économique, religieux et culturel. Il n'y
avait donc strictement aucune raison d'invoquer le principe de l'égalité des droits et de
l'autodétermination des peuples pour exiger le divorce d'avec la Yougoslavie.

1.17.11. A la fin de 1991 et au début de 1992, les représentants politiques des Serbes de
Bosnie-Herzégovine ont voulu apporter un règlement démocratique et pacifique qui répondrait aux
intérêts des trois peuples en organisant la division du territoire et la transformation de la
Bosnie-Herzégovine en une fédération ou confédération de structure lâche. Malheureusement, les
dirigeants musulmans n'ont pas accepté ces propositions, convaincus qu'ils étaient qu'ils allaient établir
leur autorité — par la force et avec l'aide des pays qui les soutenaient — sur l'ensemble du territoire de
Bosnie-Herzégovine, et même sur les régions où les Serbes étaient majoritaires. Izetbegovic a répété

à plusieurs occasions qu'une Bosnie-Herzégovine unie et indivisible était à ses yeux plus importante
que la paix. Il a ainsi porté atteinte au principe de l'égalité des droits et de l'autodétermination des
peuples, qui ont pour but de maintenir des relations amicales et pacifiques entre les peuples.

1.17.12. Les coups de feu tirés par des Musulmans sur une noce serbe le 1 mars 1992, jour du
référendum sur l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine, ont été le signal du combat pour les
trois peuples de Bosnie-Herzégovine. - 48 -

1.17.13. Bien que les exigences du droit international concernant la reconnaissance de la qualité
d'Etat indépendant de la Bosnie-Herzégovine n'aient pas été remplies, certains Etats ont décidé de
l'accorder quand même, en contravention avec les règles du droit international et en s'immisçant ainsi
dans les affaires internes de la République socialiste fédérative de Yougoslavie.

1.17.14. Deux Etats se sont presque simultanément créés sur le territoire de l'ex-République
yougoslave de Bosnie-Herzégovine, la République Srpska et la République de Bosnie-Herzégovine.

1.17.15. Comme la coalition entre Musulmans et Croates ne reposait que sur leur politique
commune à l'encontre du peuple serbe et que les Croates de Bosnie-Herzégovine n'avaient jamais
désiré vivre dans un Etat islamique, la coalition s'est rapidement dissoute et de violents combats ont

commencé entre Musulmans et Croates de Bosnie-Herzégovine, aboutissant à la création d'un Etat
distinct, l'Herceg-Bosna.

1.17.16. Une partie de la population musulmane de la Bosnie-Herzégovine occidentale, qui
n'était pas soumise à l'autorité directe d'Izetbegovic, a elle aussi refusé de demeurer dans un Etat
islamique et a formé la province autonome de la Bosnie occidentale. Comme Izetbegovic refuse de

répondre aux demandes de cette population, la province autonome de Bosnie occidentale continue de
lutter contre les forces d'Izetbegovic.

1.17.17. Par conséquent, deux nouveaux Etats — l'Herceg-Bosna et la province autonome de
Bosnie occidentale — sont apparus à l'intérieur de la prétendue République de Bosnie-Herzégovine,
prématurément reconnue.

1.17.18. Il y a quatre Etats sur le territoire de l'ex-République yougoslave de
Bosnie-Herzégovine,quientretiennent entre euxdesrelations différentes. La prétendue République de
Bosnie-Herzégovine cherche à se fédérer avec l'Herceg-Bosna. La République Srpska et la province
autonome de Bosnie occidentale ont conclu des accords et coexistent en paix. Des combats sont en
cours entre la prétendue République de Bosnie-Herzégovine et l'Herceg-Bosna, d'une part, et la
République Srpska et la province autonome de Bosnie occidentale, de l'autre. La République

fédérative de Yougoslavie n'est pas partie à ce conflit.

1.17.19. Depuis la fin d'avril 1992, la République fédérative de Yougoslavie n'a ni exercé son
autorité ni fait valoir sa juridiction sur le territoire de l'ex-République yougoslave de
Bosnie-Herzégovine. - 49 -

LE DROIT

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES CONCERNANT LA RECEVABILITÉ
DE LA REQUÊTE

PREMIERE EXCEPTION PRELIMINAIRE

A.1. L'EXISTENCE DE LA GUERRE CIVILE A L 'EPOQUE DES FAITS REND
LA REQUETE IRRECEVABLE

A.1.1. Les circonstances qui constituent l'arrière-plan des «conclusions» du mémoire, pour
autant que l'on puisse dire que ces «conclusions» ressortissent à la convention de 1948 sur le génocide
(fait qui est nié par l'Etat défendeur), sont dominées par des éléments de conflit civil; par conséquent,
aucun différend international n'est en cause sur lequel la Cour puisse exercer régulièrement sa

compétence.

A.1.2. En réalité, les protagonistes sont les quatre éléments politiques en présence sur le
territoire de l'ex-République de Bosnie-Herzégovine: les Serbes de Bosnie, les Croates de Bosnie, les

Musulmans partisans de M. Izetbegovic et le groupe musulman d'opposants à M. Izetbegovic.

DEUXIEME EXCEPTION PRELIMINAIRE

A.2. A LIJAIZETBEGOVIC N ETAIT PAS COMPETENT POUR DONNER L 'AUTORISATION
D'INTRODUIRE UNE INSTANCE DEVANT LA C OUR

A.2.1. Conformément à sa Constitution, l'Etat demandeur est représenté dans les relations
internationales par la présidence, organe collégial à la tête de l'Etat. La décision d'introduire une
instance devant la Cour internationale de Justice et de désigner ses agents ne pouvait être prise quepar
la présidence dans son ensemble ou par le gouvernement, et non par le président de la présidence.

A.2.2. Conformément à l'article 219 de la Constitution de la prétendue République de
Bosnie-Herzégovine :

«La Présidence de la République de Bosnie-Herzégovine :

1)représente la République de Bosnie-Herzégovine;

2)examine les questions relatives à l'application des politiques convenues en matière de défense,
de sécurité de l'Etat, d'autodéfense sociale et de coopération internationale...

.......................................................................................................................................... - 50 -

4)conformément aux positions et propositions de l'Assemblée, elle examine les questions
relatives à l'élaboration et à l'application de la politique étrangère de la République, à
la coopération internationale et à l'application des traités internationaux.» (Journal
officiel de la République de Bosnie-Herzégovine, 14mars 1993; le texte est reproduit
en annexe à la lettre du 22 août 1993 adressée à la Cour par le professeur
Francis A. Boyle, en qualité d'agent de l'Etat demandeur.)

A.2.3. La décision d'introduire une instance a été prise par le président de la présidence, qui, ce
faisant, a outrepassé ses pouvoirs et violé une disposition du droit interne en vigueur.

A.2.4. La lettre autorisant l'introduction de l'instance et la désignation d'agents a été signée par

Alija Izetbegovic en tant que président de la République. Or, à l'époque, il n'y avait pas de président de
la République, il n'y avait que le président de la présidence. En conséquence, la lettre était signée par
un organe qui n'existait pas en vertu de la législation interne de l'Etat demandeur.

A.2.5.D'ailleurs,AlijaIzetbegovicn'apasétédésigné président de la présidence de façon légale.
Au cours des élections générales au suffrage direct organisées dans la République socialiste de

Bosnie-Herzégovine en 1990, il a recueilli 879 266voix, contre 1 045 539 pour Fikret Abdic. Ayant
recueilli davantage de voix, c'est Fikret Abdic qui aurait dû assumer la présidence.

A.2.6. Au moment où a été délivrée l'autorisation d'introduction de la procédure et de
désignation de l'agent, Alija Izetbegovic n'exerçait pas légalement les fonctions de président de la
présidence. Son mandat était contesté par les représentants du peuple croate de l'ex-République
yougoslave de Bosnie-Herzégovine.

A.2.7. Au demeurant, le mandat d'Alija Izetbegovic en tant que président de la présidence avait
été contesté par les Serbes dès 1991.

A.2.8. Le fait que certains Etats reconnaissent Alija Izetbegovic comme représentant de l'Etat

demandeur nepeutpaseffacer lesviolationsflagrantesdudroitinterneni la contestation de son mandat
par les peuples serbe et croate du territoire de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine. - 51 -

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES À LA COMPÉTENCE DE LA COUR
RATIONE PERSONAE

T ROISIEME EXCEPTION PRELIMINAIRE

B.1. AYANT VIOLE DE FAÇON FLAGRANTE LE PRINCIPE DE L 'EGALITE DES DROITS

ET DU DROIT DES PEUPLES A DISPOSER D EUX -MEMES ,L'ETAT DEMANDEUR
NE POUVAIT PAS ,PAR UNE NOTIFICATION DE SUCCESSION ,ADHERER
A LA CONVENTION DE 1948 SUR LE GENOCIDE

B.1.1. Les actes par lesquels l'Etat demandeur a été constitué
sont contraires au droit interne

B.1.1.1. La «plate-forme» concernant le statut de la Bosnie-Herzégovine dans la future
organisation de la communauté yougoslave, le mémorandum (lettre d'intention) qui a été adopté par
l'Assemblée de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine le 14 octobre 1991, la décision prise le

24 janvier 1992 par l'assemblée d'organiser un référendum public sur l'accession à l'indépendance,
ainsi que la décision du 20 décembre 1991 du Gouvernement de la République socialiste de
Bosnie-Herzégovine relative à la reconnaissance de la qualité d'Etat et la décision prise le
20 décembre 1991 par la présidence de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine de soumettre
une requête en reconnaissance de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat
indépendant sont contraires à la législation fédérale et aux lois républicaines, à savoir les articles 5

et 237de la constitution de 1974 de la RSFY, l'article 116 du code pénal de 1976 de la RSFY, ainsi que
l'article 252 de la constitution de 1974 de la RS de Bosnie-Herzégovine et les amendements LXIX
et LXX de 1990 à ladite Constitution.

B.1.1.2. Par sa «plate-forme» relative au statut de la Bosnie-Herzégovine et à l'organisation
future de la communauté yougoslave, ainsi que par son mémorandum (lettre d'intention), l'assemblée
illégitime de la RS de Bosnie-Herzégovine, siégeantsans représentant des Serbes, a exprimé l'intention
de constituer la RS de Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat indépendant en dehors de la fédération
yougoslave. Cette intention a été concrétisée par la décision du Gouvernement de la
Bosnie-Herzégovine sur la reconnaissance de la qualité d'Etat, et par celle de la présidence de présenter

une requête en reconnaissance de la RS de Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat indépendant, requête
par laquelle elle demandait la reconnaissance de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine en
tant qu'Etat indépendant.

B.1.1.3. L'article 5 de la constitution de la RSFYdispose ce qui suit :

«Le territoire de la République socialiste fédérative de Yougoslavie constitue un tout
unifié consistant dans les territoires des républiques socialistes.

Le territoire d'une république ne peut pas être modifié sans le consentement de cette

république; le territoire d'une province autonome ne peut pas être modifié sans le
consentement de cette province.

Les frontières de la République socialiste fédérative de Yougoslavie ne peuvent pas être
modifiées sans le consentement de toutes les républiques et provinces autonomes. - 52 -

Les limites entre les républiques ne peuvent être modifiées que par consentement mutuel
et, si une province autonome est en cause, qu'avec le consentement de cette dernière.»
(Constitution de 1974 de la RSFY, art. 5, annexes, p. 805.)

La transformation des limites administratives d'une entité fédérale en frontières internationales
d'un Etat indépendant est une modification qui, en vertu de l'article 5, paragraphe 4, de la constitution

de la RFSY, ne pouvait pas être faite sans un accord entre les républiques, lequel accord fait défaut en
l'occurrence.

B.1.1.4. L'article 237 de la constitution de la RSFY dispose ce qui suit :

«Les peuples et les nationalités de la Yougoslavie, les travailleurs et les citoyens ont le

droit et le devoir inviolables et inaliénables de protéger et de défendre l'indépendance, la
souveraineté, l'intégrité territoriale et le système social de la République socialiste
fédérative de Yougoslavie établie par la constitution de la RSFY.» (Constitution de 1974
de la RSFY, art. 237, annexes, p. 805.)

B.1.1.5. L'article 116 du code pénal de la RSFY dispose ce qui suit :

«1) Quiconque commet un acte visant à la sécession anticonstitutionnelle ou par la
violence d'une partie du territoire de la RSFY ou l'annexion d'une partie de ce territoire à
unautreEtatestpuni d'unepeinedeprison d'aumoinscinqans.» (Code pénal de la RSFY,
art. 116, annexes, p. 809.)

B.1.1.6. Il convient de mentionner aussi l'article124 du code pénal de la RSFY, qui est ainsi

conçu :

«1) Quiconque participe à la préparation d'une rébellion armée ou à une rébellion armée
elle-même est puni d'une peine de prison d'au moins un an.

2) Quiconque organise la préparation d'une rébellion armée ou participe à une rébellion
armée en tant qu'organisateur ou meneur est puni d'une peine de prison d'au moins cinq

ans.» (Code pénal de la RSFY, art. 124, annexes, p. 809.)

Des poursuites ont été intentées en Yougoslavie contre certains représentants de l'administration
de la prétendue République de Bosnie-Herzégovine, qui sont accusés des infractions pénales
susmentionnées.

B.1.1.7. De toute évidence, les actes susmentionnés de l'assemblée, du Gouvernement et de la
présidence de la RF de Bosnie-Herzégovine étaient contraires aux règlements fédéraux. Le fait que les
autorités républicaines de certaines autres entités fédérales de la RSFY ont commis des actes illégaux
analogues ne peut justifier ni légitimer les actes des autorités de Bosnie-Herzégovine.

B.1.1.8. Les actes susmentionnés des autorités de Bosnie-Herzégovine étaient contraires à
l'article 252 de la constitution de la RS de Bosnie-Herzégovine, qui est ainsi libellé : - 53 -

«Les peuples et les nationalités, les travailleurset les citoyens de la République socialiste
de Bosnie-Herzégovine, ont le droit et le devoir inviolables et inaliénables de protéger et
de défendre la liberté, l'indépendance, la souveraineté, l'intégrité territoriale et le système
social de la République socialistefédérative de Yougoslavieetdela République socialiste
de Bosnie-Herzégovine établie par la constitution.» (Constitution de 1974 de la RS de
Bosnie-Herzégovine, art. 252, annexes, p. 812.)

B.1.1.9. Les actes des autorités de Bosnie-Herzégovine sont contraires aux dispositions du
paragraphe 7 del'amendement LXIX de 1990à la constitution de la RS de Bosnie-Herzégovine, qui est
ainsi libellé :

«Les organisations et actions politiques visant à renverser par la force le système établi

par la constitution et à violer l'intégrité territoriale et l'indépendance de la République
socialiste fédérative de Yougoslavie sont interdites.» (Amendement LXIX de 1990 à la
constitution de 1974 de la RS de Bosnie-Herzégovine, annexes, p. 815.)

B.1.1.10. La «plate-forme» relative au statut de la Bosnie-Herzégovine et à l'organisation future
de la communauté yougoslave, le mémorandum (lettre d'intention) de l'assemblée de la RS de

Bosnie-Herzégovine, ainsi que la décision de cette république d'organiser un référendum public sur
l'accession à l'indépendance sont contraires à la procédure visée au paragraphe 10 de
l'amendement LXX de 1990à la constitution de la RSde Bosnie-Herzégovine pour l'adoption de textes
ou de mesures de cette importance (la disposition mentionnée stipule que l'assemblée de la RS de
Bosnie-Herzégovine constitue un conseil chargé de décider des questions d'égalité des droits entre les
peuples et les nationalités de Bosnie-Herzégovine). Ce paragraphe dispose notamment ce qui suit :

«Le conseil a le devoir d'examiner les questions concernant l'égalité des droits entre les

peuples et les nationalités, à l'initiative des députés à l'assemblée de la RS de
Bosnie-Herzégovine. Si au moins vingt députés estiment que la loi proposée ou tout autre
acte relevant de la compétence de l'assemblée viole le principe de l'égalité des peuples et
des nationalités, la proposition sur laquelle l'assemblée doit se prononcer est formulée par
le conseil.

Les questions concernant l'exercice des droits égaux des peuples et des nationalités de

Bosnie-Herzégovine sont tranchées par l'assemblée de la RS de Bosnie-Herzégovine sur
proposition du conseil, selon une procédure distincte énoncée dans le règlement intérieur
de l'assemblée, par un vote à la majorité des deux tiers du nombre total de députés.»
(Annexes, p. 816.)

Or, la procédure susmentionnée n'a pas été suivie. Bien que tous les députés du parti
démocratique serbe se soient opposés à l'adoption des textes en question, en même temps que d'autres

députés serbes, et qu'ils aient quitté la salle de l'assemblée de la RS de Bosnie-Herzégovine, la
«plate-forme» a été adoptée sur proposition de la Présidence républicaine, tandis que le mémorandum
était adopté sur proposition du parti d'action démocratique.

B.1.1.11. De surcroît, les textes adoptés se contredisent mutuellement. Le point 1 de la
«plate-forme» sur le statut de la Bosnie-Herzégovine et l'organisation future de la communauté
yougoslave, notamment, est ainsi libellé :

«Une structure appropriée de l'Assemblée de la République de Bosnie-Herzégovine
exclutlapossibilité duvotemajoritairedans le processus de prise de décisions concernant
les questions les plus importantes touchant l'égalité de tous les peuples et nationalités
vivant dans la République.» - 54 -

D'ailleurs, dès cette époque, c'est-à-dire le 14 octobre 1991, date à laquelle l'assemblée
républicaine a adopté la «plate-forme», des mécanismes de prévention d'un vote majoritaire étaient en
place dans le processus de prise de décisions concernant les questions les plus importantes touchant

l'égalité des nations. Le principe de la représentation proportionnelle des nationalités à l'assemblée de
la Bosnie-Herzégovine était énoncé dans les articles 19 à 22 de la loi constitutionnelle sur l'application
des amendements LIX à LXXIX à la constitution de la RS de Bosnie-Herzégovine; il était aussi fondé
sur l'interprétation authentique des articles 19 à 22 de la loi constitutionnelle sur l'application des
amendements LIX à LXXIX à la constitution de la RS de Bosnie-Herzégovine (journal officiel de la
RS de Bosnie-Herzégovine, 1990, n 34). Par ailleurs, il existait un conseil chargé des questions
concernant l'exercice des droitségaux des nationset nationalités de Bosnie-Herzégovine, comme on l'a

vu précédemment.

Tous ces mécanismes ont été violés de manière flagrante et toutes les décisions concernant
l'indépendance de la RS de Bosnie-Herzégovine ont été prises au vote majoritaire.

B.1.1.12. Le même jour, le 14 octobre 1991, l'assemblée de la RS de Bosnie-Herzégovine a

adopté le mémorandum (lettre d'intention) inspiré de la «plate-forme» susmentionnée, sur proposition
du parti d'action démocratique. Le paragraphe 5 dumémorandum est ainsi libellé :

«Les positions présentées dans le présent mémorandum reflètent la volonté de la majorité
des députés de la présente assemblée et, de ce fait, la volonté politique de la majorité des
citoyens de Bosnie-Herzégovine; elles sont donc contraignantes pour le gouvernement et

les autorités politiques de la République.»

B.1.1.13. Alors que la «plate-forme» du 14 octobre1991 relative au statut de la
Bosnie-Herzégovine et à l'organisation future de la communauté yougoslave rejette toute décision
fondée sur le scrutin majoritaire, le mémorandum(lettre d'intention) adopté le même jour sur la basede
la plate-forme a été voté au scrutin majoritaire par une assemblée où aucun représentant serbe n'était

présent.

B.1.1.14. D'après le point 3 de la «plate-forme»relative au statut de la Bosnie-Herzégovine dans
l'organisation future de la communauté yougoslave, «les limites d'une république ne peuvent être
modifiées que par une décision de l'assemblée de la République de Bosnie-Herzégovine et

conformément à la volonté de tous les citoyens de la République, exprimée par voie de référendum, si
au moins les deux tiers des électeurs se prononcent en faveur de cette modification». Etant donné que
la proclamation de la République yougoslave de Bosnie-Herzégovine en tant qu'Etat indépendant et
autonome entraîne la modification du statut de ses limites, les limites d'une entité fédérale devenant
frontières internationales d'un Etat, la décision référendaire devait être prise à la suite d'un vote à la
majorité des deux tiers du nombre total d'électeurs.

Les résultats du référendum n'ont jamais été publiés selon les modalités réglementaires. D'après
le mémorandum (err. 4.2.1.19, p. 139), 63,4 pour cent des électeurs se sont présentés aux urnes les
29 février et 1 mars 1992 et 99,4 pour cent de ceux qui ont participé au scrutin auraient voté pour.
Même si ces chiffres étaient véridiques, la décision a été prise à une majorité inférieure aux deux tiers
du nombre total de votants requis par la loi.

B.1.2. Les actes par lesquels la prétendue République de Bosnie-Herzégovine
a été constituée sont contraires au droit international - 55 -

B.1.2.1. Au moment de l'adoption des textes litigieux, la République socialiste de
Bosnie-Herzégovine était une entité fédérale au sein de la fédération yougoslave. Ce n'était pas
cependant un Etat au sens du droit international, et elle ne possédait aucun attribut de la personnalité
juridique internationale.

B.1.2.2. Il n'existe en droit international aucunerègle d'après laquelle une entité fédérale, en tant
que telle, aurait le droit de quitter unilatéralement la fédération pour devenir un Etat indépendant et
autonome.

B.1.2.3. Le principe de l'égalité des droits et du doit des peuples à disposer d'eux-mêmes
s'applique en tant que règle de droit positif mais ce n'est pas une règle qu'une entité fédérale peut

invoquer pour sortir unilatéralement d'une fédération (exceptions préliminaires, par. 1.9.34)
(«Déclaration en quatorze points» de Woodrow Wilson, président des Etats-Unis, prononcée au cours
d'une séance commune des deux chambres du Congrès le 8 janvier 1918; déclaration de principes,
connue sous le nom de charte de l'Atlantique, proclamée par Franklin D. Roosevelt, président des
Etats-Unis, et Winston S. Churchill, premier ministre du Royaume-Uni, le 14 août 1941; «Déclaration
sur l'Europe libérée», conférence de Crimée (Yalta), 4-11 février 1945; Charte des Nations Unies
(art. 1, par. 2, art. 55, art. 73 et art. 76); projet de pacte international relatif aux droits de l'homme et

mesures de mise en Œuvre : travaux futurs de la Commission des droits de l'homme,
résolution 421 (V) D de l'Assemblée générale, 4 décembre 1950; résolution 637 (VII) de l'Assemblée
générale, 16 décembre 1952; «Le droit des peuples et des nations à disposer d'eux-mêmes»,
résolution 738 (VIII) de l'Assemblée générale, 28 novembre 1953; «Recommandations concernant le
respect, sur le plan international, du droit des peuples et des nations à disposer d'eux-mêmes»,
résolution 837 (IX) de l'Assemblée générale, 14 décembre 1954; «Déclaration sur l'octroi de
l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux», résolution 1514 (XV) de l'Assemblée générale,
14 décembre 1960; pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16

décembre 1966; «Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations
amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies»,
résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée générale, 24 octobre 1970; Conséquences juridiques pour les
Etats de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la
résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31; examen des
rapports présentés par les Etats parties conformément à l'article 40 du pacte, troisièmes rapports
périodiques des Etats parties devant être présentés en 1988, additif, République fédérale d'Allemagne,

comité des droits de l'homme, CCPR/C/52/Add.3, 7 mars 1989, p. 11-14; examen des rapports
présentéspar les Etats parties conformément à l'article 40 du pacte,troisièmes rapportspériodiquesdes
Etats parties devant être présentés en 1992, additif, Mexique, comité des droits de l'homme,
CCPR/76/Add.2, 20 janvier 1993, p. 4-8; examen des rapports présentés par les Etats parties
conformément à l'article 40 du pacte, quatrièmes rapports périodiques des Etats parties devant être
présentés en 1994, Espagne, comité des droits de l'homme, CCPR/C/95/Add.1, 5 août 1994, p. 2-3;
examen des rapports présentés par les Etats parties conformément à l'article 40 du pacte, troisièmes

rapports périodiques des Etats parties devant être présentés en 1991, additif, Sri Lanka, comité des
droits de l'homme, CCPR/70/Add.6, 27 septembre 1994, p. 1-2; examen des rapports présentés par les
Etats parties conformément à l'article 40 du pacte, rapports initiaux que les Etats parties devaient
présenter en 1993, additif, Etats-Unis d'Amérique, comité des droits de l'homme, CCPR/81/Add.4,
p. 5-20, annexe, p. 819-856).

B.1.2.4. Le détenteur des pouvoirs découlant du principe de l'égalité des droits et du droit des

peuples à disposer d'eux-mêmes est un groupe de personnes qui a le statut de peuple en tant que
communauté ethnique. De nombreuses résolutions de l'Assemblée générale des Nations Unies font
appel simultanément à deux notions — celles de «peuple» et de «nation» — pour désigner les liens
ethniques qui existent entre les membres du groupe. - 56 -

D'après l'Assemblée générale et la Cour internationale de Justice, une «population» ne constitue
pas toujours un «peuple» autorisé à se prononcer sur l'autodétermination.

Dans l'affaire du Sahara occidental, la Cour a déclaré :

«Lavalidité du principe d'autodétermination,défini comme répondant à la nécessité de respecter

la volonté librement exprimée des peuples, n'est pas diminuée par le fait que dans certains cas
l'Assembléegénéralen'a pas cru devoir exiger la consultation des habitants de tel ou tel territoire.
Ces exceptions s'expliquent soit par la considération qu'une certaine population ne constituait
pas un «peuple» pouvant prétendre à disposer de lui-même, soit par la conviction qu'une
consultation eut été sans nécessité aucune, en raison de circonstances spéciales.»
(C.I.J. Recueil 1975, p. 33; annexe, p. 873; les italiques sont de nous.)

En vertu de la constitution de la République socialiste de Bosnie-Herzégovine, les Serbes, les
Musulmans et les Croates jouissaient du statut de peuple dans cette république.

B.1.2.5. Il est erroné d'interpréter ce fait comme signifiant que le droit à l'autodétermination
pouvait être exercé par les citoyens de la RS de Bosnie-Herzégovine. Les Serbes n'ont pas participé au
référendumdes 29 février et 1 mars 1992 relatif à la transformation de la Bosnie-Herzégovine en Etat

indépendant. En revanche, les ressortissants des peuples musulman et croate y ont participé.
Cependant, il est apparu très vite qu'en réalité ces deux communautés ethniques ne constituaient pas un
groupe homogène et stable désireux de vivre dans un même Etat et d'être représenté par le même
gouvernement. En effet, dès 1993, les Croates ontquitté la «République de Bosnie-Herzégovine»pour
fonder leur propre entité étatique, l'Herceg-Bosna.

B.1.2.6. L'année suivante, en 1994, ces deux Etats — «la République de Bosnie-Herzégovine»

et l'«Herceg-Bosna» — ont ouvert des négociations et se sont mis d'accord à Washington sur la
formation d'une fédération commune.

B.1.2.7. En tout état de cause, on peut se demander si l'exercice du droit à l'autodétermination,
notamment à la fondation d'un Etat indépendant, relève exclusivement de la volonté politique d'un
groupe de gens ayant le statut de peuple ou s'il est assujetti à certaines conditions.

B.1.2.8. La déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations
amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, adoptée par
l'Assemblée générale le 24 octobre 1970, énonce en ces termes le principe de l'égalité de droits des
peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes :

«En vertu du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer
d'eux-mêmes, principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le
droit de déterminer leur statut politique,en touteliberté et sans ingérence extérieure, et de
poursuivre leur développement économique, social et culturel, et tout Etat a le devoir de
respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte.

Tout Etat a le devoir de favoriser, conjointement avec d'autres Etats ou séparément, la
réalisation du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer

d'eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte, et d'aider l'Organisation des
Nations Unies à s'acquitter des responsabilités que lui a conférées la Charte en ce qui
concerne l'application de ce principe, afin de :

a)favoriser les relations amicales et la coopération entre les Etats; et - 57 -

b)mettre rapidement fin au colonialisme en tenant dûment compte de la volonté librement
exprimée des peuples intéressés;

et en ayant présent à l'esprit que soumettre des peuples à la subjugation, à la domination ou à
l'exploitation étrangères constitue une violation de ce principe, ainsi qu'un déni des droits

fondamentaux de l'homme, et est contraire à la Charte.

Tout Etat a le devoir de favoriser, conjointement avec d'autres Etats ou séparément, le
respect universel et effectif des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
conformément à la Charte.

La création d'un Etat souverain et indépendant, la libre association ou l'intégration avec

un Etat indépendant ou l'acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un
peuple constituent pour ce peuple des moyens d'exercer son droit à disposer de lui-même.

Tout Etat a le droit de s'abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait les
peuples mentionnés ci-dessus dans la formulation du présent principe de leur droit à
disposer d'eux-mêmes, de leur liberté et de leur indépendance. Lorsqu'ils réagissent et
résistent à une telle mesure de coercition dans l'exercice de leur droit à disposer

d'eux-mêmes, ces peuples sont en droit de chercheret de recevoir un appui conforme aux
buts et principes de la Charte.

Le territoire d'une colonie ou d'un autre territoire non autonome possède, en vertu de la
Charte, un statut séparé et distinct de celui du territoire de l'Etat qui l'administre; ce statut
séparé et distinct en vertu de la Charte existe aussi longtemps que le peuple de la colonie
ou du territoire non autonome n'exerce pas son droit à disposer de lui-même
conformément à la Charte et, plus particulièrement,à ses buts et principes.

Rien dans les paragraphes précédents ne sera interprété comme autorisant ou
encourageant une action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement
ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique de tout Etat souverain et
indépendant se conduisant conformément au principede l'égalité de droits et du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes énoncé ci-dessus et doté ainsi d'un gouvernement
représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de

croyance ou de couleur.

ToutEtatdoit s'abstenirde toute actionvisant àrompre partiellement ou totalement l'unité
nationale et l'intégrité territoriale d'un autre Etat ou d'un autre pays.»

B.1.2.9. Compte tenu du passage précité de la déclaration, on ne saurait invoquer purement et

simplement le principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes. Il
convient plutôt d'examiner pour être correct, certaines circonstances politiques, économiques,
culturelles et sociales.

B.1.2.10. Il est indéniable que les peuples sous régime colonial peuvent invoquer le principe de
l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes pour demander la création d'un Etat
indépendant.

B.1.2.11. - 58 -

«Les bénéficiaires de ce droit sont les peuples soumis à des régimes coloniaux, racistes,
ou à d'autres formes de domination étrangère. Ainsi, le statut international des colonies
et des territoires non autonomes, ou occupés, en tant que territoires séparés et distincts du
territoire de l'Etat administrant ou occupant, est reconnu. Il le demeure tant que les
peuples de ces territoires n'ont pas exercé leur droit à disposer d'eux-mêmes
conformémentàlaCharte. Le principene couvrecependantpas les droits des nationalités

qui vivent dans un Etat souverain. En effet, si tout Etat a le devoir de favoriser le respect
universel et effectif des droits de l'homme, le principe de l'égalité des peuples et de leur
droit à disposer d'eux-mêmes ne peut être interprété comme autorisant ou encourageant
une action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou
partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique de tout Etat souverain et
indépendant.» (R. Daoudi, «Le principe de l'égalité des droits des peuples et de leur droit
à disposer d'eux-mêmes», dans Droit international, bilan et perspective,

Mohammed Bedjaoui, rédacteur général, éditions A. Pedone, Unesco, 1991, p. 518;
annexe, p. 876.)

B.1.2.12. Les peuples qui se sont joints à un Etat de leur propre gré, précisément en vertu du
principe de l'autodétermination, dans le gouvernement duquel ils sont représentés équitablement et
proportionnellement et au sein duquel ils sont libres de poursuivre leur développement économique,

social et culturel, ne peuvent pas invoquer le principe de l'égalité des droits et du droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes pour se séparer de cet Etat unilatéralement et par la force.

B.1.2.13. Les Serbes, les Croates et les Slovènes des territoires de l'ancien empire
austro-hongrois ont décidé librement, en invoquant le principe de l'autodétermination, de rejoindre le
Royaume de Serbie pour former, avec le Royaume du Monténégro, le Royaume des Serbes, Croates et
Slovènes. C'est ce qui ressort du préambule du traité conclu par les principales puissances alliées et

associées avec l'Etat serbe-croate-slovène et signé à Saint-Germain-en-Laye le 10 septembre 1919; le
texte dispose notamment ce qui suit :

«Considérant que les Serbes, les Croates et les Slovènes de l'ancienne monarchie
austro-hongroise ont, de leur propre volonté, résolu de s'unir avec la Serbie d'une façon
permanente dans le but de former un Etat indépendant et unifié sous le nom de Royaume
des Serbes, Croates et Slovènes;

Considérant que le prince régent de Serbie et le Gouvernement serbe ont accepté de
réaliser cette union et qu'en conséquence il a étéformé le Royaume des Serbes, Croates et
Slovènes, qui a assumé la souveraineté sur les territoires habités par ces peuples.»

B.1.2.14. Aucun autre groupe humain n'a peut-être vu sa condition rehaussée autant que les

Musulmans de Yougoslavie. Ils sont passés du statut de minorité religieuse qu'ils avaient en 1918, à
celui de peuple constitutif de la RS de Bosnie-Herzégovine, aux côtés des Serbes et des Croates. Ils
jouissaient librement du développement économique, politique, culturel et autres formes de
développement social, sur un pied d'égalité avec les Serbes et les Croates. Ils étaient représentés
proportionnellement danstoutesles instances de l'administration publique de la Bosnie-Herzégovine et,
par l'intermédiaire des représentants de cette République, dans l'administration fédérale yougoslave.

B.1.2.15.Une partie du peuple croate de la RSFY vivait dansla RS de Bosnie-Herzégovine. Les
Croates de cette République représentaient quelque 17 pour cent de la population, et jouissaient du
statut de peuple au même titre que les Serbes et les Musulmans. Ils bénéficiaient librement du
développement politique, économique et culturel. Ils étaient représentés proportionnellement à tous
les échelons de l'Etat. Pendant presque toute la période qui a suivi la seconde guerre mondiale, la - 59 -

Yougoslavie a eu un Croate pour chef de l'Etat, enla personne de Josip Broz Tito. En 1990 et 1991 le
premier ministre fédéral était un Croate, Ante Markovic.

B.1.2.16. Les Musulmans et les Croates vivant dans la RS de Bosnie-Herzégovine exerçaient
leurdroit àdisposerd'eux-mêmesenpoursuivantlibrement leurdéveloppementpolitique,économique,

culturel et social et en étant convenablement représentés dans les instances de la république. En
conséquence, les critères sociaux nécessaires afin que ces deux peuples puissent invoquer le principe
de l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes pour faire sécession de la
Yougoslavie n'étaient pas remplis.

B.1.2.17. Bien au contraire, l'action qu'ils ont entreprise était contraire à une disposition

explicite de la déclaration des Nations Unies relative aux principes du droit international touchant les
relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies, qui est
ainsi conçue :

«Rien dans les paragraphes précédents ne sera interprété comme autorisant ou
encourageant une action, quelle qu'elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement
ou partiellement, l'intégrité territoriale ou l'unité politique de tout Etat souverain et

indépendant se conduisant conformément au principede l'égalité de droits et du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes énoncé ci-dessus et doté ainsi d'un gouvernement
représentant l'ensemble du peuple appartenant au territoire sans distinction de race, de
croyance ou de couleur.»

B.1.2.18. C'est pourquoi l'Etat défendeur estime que les actes par lesquels l'Etat demandeur a été
constitué en tant qu'Etat indépendant sont contraires aux règles du droit international.

B.1.2.19. Par ailleurs, l'Etat défendeur tient à signaler que les autorités de Sarajevo, par leurs
actes, ont violé aussi le principe de l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes
à l'encontre des Serbes vivant dans le territoire de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine.

B.1.2.20. Les faits historiques, ainsi que l'évolution politique de la RS de Bosnie-Herzégovine
entre 1990 et avril 1992 constituent le fondement requis pour que les Serbes de Bosnie-Herzégovine
puissent invoquer le principe de l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

B.1.2.21. La partie du présent document dans laquelle les faits pertinents ont été présentés
contient une description du statut du peuple serbedans l'Empire ottoman. Ce statut était bien pire que

celui de n'importe quel peuple colonisé.

B.1.2.22. La partie dans laquelle les faits pertinents ont été présentés contient aussi une
description du statut du peuple serbe dans l'Etat indépendant de Croatie qui a été créé pendant la
secondeguerre mondiale et qui englobait le territoire de la Bosnie-Herzégovine. Les Serbes de cet Etat
ont subi un génocide. Des centaines de milliers depersonnes, notamment un grand nombre de gens du
territoire de la Bosnie-Herzégovine, ont péri dans le camp de concentration de Jasenovac et dans

d'autres camps. Le Gouvernement de l'Etat indépendant de Croatie comprenait à la fois des fascistes
croates et des fascistesmusulmans. Des Croates etdes Musulmansde Bosnie-Herzégovine comptaient
parmi les auteurs du génocide des Serbes. - 60 -

B.1.2.23. Alija Izetbegovic a présenté, dans la «déclaration islamique» publiée en 1990, son
programme politique de transformation de la Bosnie-Herzégovine en un Etat islamique.

B.1.2.24. L'essentiel du programme d'A. Izetbegovic est énoncé dans le passage suivant de la
«déclaration islamique» :

«La première et la plus importante de ces conclusions est incontestablement celle qui
concerne l'incompatibilité de l'Islam et des régimes non islamiques. Il ne peut y avoir ni
paix, ni coexistence entre la «foi islamique» et les institutions sociopolitiques
«non islamiques». L'échec de ces institutions et l'instabilité du régime des pays

musulmans, qui se traduisent par des renversements et des coups d'Etat fréquents, sont,
d'une manière générale, la conséquence de l'opposition à priori à l'Islam en tant que
sentiment fondamental qui inspire le peuple de ces pays. Réclamant pour lui-même le
droit de réglementer son propre monde, l'Islam exclut manifestement tout droit ou
possibilité d'action d'une quelconque idéologie étrangère sur son sol. Autrement dit, il n'y
a aucune place pour le principe de la laïcité et l'Etat doit être l'expression et le soutien des
préceptes moraux de la religion.» (Les italiques sont de nous.)

B.1.2.25. Conformément à ce programme, M. Izetbegovic a noué des relations avec certains
régimes islamiques et il s'est acquis l'appui de beaucoup de pays islamiques pour parvenir à ses fins.

B.1.2.26. Pour des raisons tactiques, M. Izetbegovic a formé une alliance avec l'union
démocratique croate afin de liguer leurs forces contre les Serbes.

B.1.2.27.Contrairementà la constitution de la RSde Bosnie-Herzégovine et aux lois en vigueur,
beaucoup de décisions importantes sont prises au scrutin majoritaire, c'est-à-dire grâce aux voix des
représentants du parti d'action démocratique et de l'union démocratique croate. Toutes les décisions

concernant l'indépendance ont été prises de cette façon. Dans ce processus, il n'a été tenu aucun
compte des représentants serbes dans les instances du gouvernement républicain.

B.1.2.28. En 1990 et 1991 les Serbes de Bosnie-Herzégovine ont été vilipendés par les médias,
notamment par la télévision de Sarajevo, ainsi que par la presse écrite.

B.1.2.29.eres violences exercées contre des personnes de nationalité serbe ont atteint leur
paroxysme le 1 mars 1992, jour du référendum, date à laquelle un certain nombre de Musulmans ont
tiré sur une noce serbe à Sarajevo. Les responsables ont été identifiés peu de temps après, mais on n'a
rien fait pour les arrêter.

B.1.2.30. Au moment où il s'apprêtait à proclamerl'indépendance de la Bosnie-Herzégovine, A.
Izetbegovic était en train de constituer des unités paramilitaires et de les armer clandestinement, pour
les préparer à s'opposer par la force au droit du peuple serbe à disposer de lui-même.

B.1.2.31. Lors du retrait de Sarajevo et de Tuzla d'unités de l'armée populaire yougoslave, les

forces militaires inféodées à A. Izetbegovic ont attaqué ces unités, malgré la promesse qu'elles avaient
faites de laisser l'armée se retirer en bon ordre,ce qui prouve que A. Izetbegovic voulait faire éclater un
conflit armé. - 61 -

B.1.2.32. Par ailleurs, Izetbegovic a répété à plusieurs reprises que pour lui une Bosnie
indépendante et unifiée était plus importante que la paix.

B.1.2.33. Ayant fait des préparatifs pour tenter de priver par la force le peuple serbe les droits

découlant du principe de l'égalité des droits et de l'autodétermination, le gouvernement
d'A. Izetbegovic a commis une violation flagrante de ses obligations, en vertu desquelles :

«Tout Etat a le devoir de s'abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait
de leur droit à l'autodétermination, à la liberté et à l'indépendance les peuples mentionnés
dans la formulation du principe de l'égalité des droits et de leur droit à disposer
d'eux-mêmes.»

B.1.2.34. Les faits susmentionnés constituent une donnée concrète qui justifie l'invocation par
les Serbes vivant sur le territoire de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine du principe de
l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, afin de préserver leur libre
développement politique, économique, culturel et social.

B.1.2.35. Il est évident aujourd'hui que les Croates de Bosnie-Herzégovine se sentaient menacés
eux aussi par le régime d'A. Izetbegovic, de sorte qu'ils ont formé à leur tour une entité étatique
distincte, l'Herceg-Bosna.

B.1.2.36. Le plan de 1994 du groupe de contact sur la création d'une union de la fédération
croato-musulmane et de la République Srpska rejettela pratique du régime d'A. Izetbegovic consistant

à s'opposer par la force aux droits des Serbes vivant sur le territoire de l'ex-République yougoslave de
Bosnie-Herzégovine, droits qui découlent du principe de l'égalité et de l'autodétermination. En
acceptant la proposition du groupe de contact, le régime d'A. Izetbegovic admettait avoir violé
auparavant les droits inaliénables des Serbes.

B.1.2.37. Si ce régime avait accepté la proposition du parti démocratique serbe (résolution sur la

position de la Bosnie-Herzégovine dans le règlement de la crise yougoslave, annexes, p. 878)
d'octobre 1991 ou le plan Coutilhero de 1992, les hostilités, avec toutes les conséquences graves
qu'elles ont entraînées, n'auraient pas éclaté.

B.1.2.38. En refusant de reconnaître en temps voulu les revendications des Serbes de
Bosnie-Herzégovine fondées sur le principe de l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer

d'eux-mêmes, l'Etat demandeur a violé de façon flagrante le droit de ce peuple à l'autodétermination.

B.1.2.39. L'Etat demandeur a violé aussi les obligations découlant du principe de l'égalité des
droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes en quittant la Yougoslavie unilatéralement et en
tentant de s'opposer par la force à l'exercice des droits des Serbes vivant sur le territoire de
l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine, droits qui leur appartiennent en vertu du principe
de l'égalité des droits et de l'autodétermination.

L'Etat demandeur ne peut pas adhérer par succession aux traités internationaux auxquels l'Etat
prédécesseur était partie car il a violé de façon flagrante le principe de l'égalité desdroits et dudroit des
peuples à disposer d'eux-mêmes. - 62 -

B.1.3. L'adhésion de l'Etat demandeur à la convention de 1948 sur le génocide
par une notification de succession est contraire au droit international

B.1.3.1. Etant donné que la convention de Vienne de 1978 sur la succession d'Etats en matière
de traités n'est pas encore entrée en vigueur, la succession d'Etats parties à des traités internationaux est
gouvernée par les règles coutumières du droit international.

B.1.3.2. Or, comme quelques Etats seulement ont ratifié la convention de Vienne de 1978, les
règles conventionnelles qui y sont énoncées n'ont pas été transformées en règles de droit coutumier.

B.1.3.3. Les parties ne sont donc pas liées par les dispositions de la convention de Vienne
de 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités (annexes, p. 880), sauf si les dispositions de la
convention sont en vigueur en tant que règles de droit coutumier. D'ailleurs, même si les dispositions
de la convention de Vienne devaient s'appliquer, la note sur la succession présentée par l'Etat
demandeur le 29 décembre 1992 serait contraire à ces dispositions.

B.1.3.4. L'article 6 de la convention de Vienne de1978 est ainsi libellé :

«La présente convention s'applique uniquement aux effets d'une succession d'Etats se
produisant conformément au droit international, etplus particulièrement aux principes du

droit international incorporés dans la Charte des Nations Unies.»

B.1.3.5. Etant donné que l'Etat demandeur a violé les obligations découlant du principe de
l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, la convention de Vienne sur la
succession d'Etats en matière de traités ne pourrait pas s'appliquer en l'espèce, même si elle était entrée
en vigueur.

B.1.4. Règles pertinentes du droit international coutumier

B.1.4.1. Au paragraphe 4.2.1.44. du mémoire (p. 151), il est dit ce qui suit :

«Ces traits particuliers renforcent le principe général énoncé à l'article 34 de la
convention de 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités qui, comme on l'a vu
précédemment, codifie simplement la pratique moderne des Etats. Aux termes de cet
article :

«Lorsqu'une partie ou des parties du territoire d'un Etat s'en séparent pour former un ou
plusieurs Etats, que l'Etat prédécesseur continue ou non d'exister :

a)tout traité en vigueur à la date de la succession d'Etats à l'égard de l'ensemble du territoire de
l'Etat prédécesseur reste en vigueur à l'égard de chaque Etat successeur ainsi formé.»

Dans les paragraphes précédents du mémoire (p. 149-151), le demandeur mentionne certaines
opinions d'auteurs qui ne corroborent pas sa propre thèse. De toute façon, ces opinions sont celles
d'une minorité de spécialistes du droit international (Ian Brownlie, Principles of Public International
e
Law, 4 éd., Clarendon Press, Oxford, 1990, p. 670, annexes, p. 920). Le demandeur ne dit rien de la
pratique codifiée par l'article susmentionné, et pour cause : la disposition en question, c'est-à-dire
l'article 34, va dans le sens contraire à sa thèse. - 63 -

L'article 34 de la convention de Vienne de 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités
n'est pas applicable en tant que règle de droit international coutumier. Il a été introduit dans la
convention non à la suite d'une codification, maisà la suite d'une évolution progressive (déclarationde
M. Ritter, représentant de la Suisse à la conférence des Nations Unies sur la succession d'Etats en

matière de traités, Vienne, 31 juillet-23 août 1978, p. 53-56; déclaration du représentant de l'Espagne
à la conférence de Vienne, ibid., p. 61; déclaration de sir Ian Sinclair, représentant du Royaume-Uni,
ibid., p. 61-62; déclaration de M. Dogan, représentant de la Turquie, ibid., p. 68, annexes, p. 920-926).

B.1.4.2. Le demandeur dit au paragraphe 4.2.1.42 de son mémoire (p. 150) : «La continuité
automatique est particulièrement bien établie en ce qui concerne les conventions à caractère
e
humanitaire.» Il se réfère ici à l'opinion exprimée dans l'ouvrage d'Oppenheim, 9 édition. Or, il faut
lire le texte intégral, qui est ainsi rédigé :

«Il peut arriver qu'une partie d'un Etat fasse sécession et devienne un Etat distinct. En
pareil cas, la pratique avant 1945 tendait à confirmer la conclusion selon laquelle le
nouvel Etat ne succédait pas aux traités conclus par l'Etat dont il faisait auparavant partie
mais qu'il commençait son existence internationale libre de tout héritage conventionnel

(sauf pour les droits et obligations conventionnelsliés localement à son territoire), et c'est
probablement ainsi qu'il convient de l'entendre aujourd'hui encore. Depuis 1956, la
pratique est ambiguë, et aussi limitée (sauf pour les territoires dépendants accédant à
l'indépendance, qui font l'objet de considérations spéciales et qui appellent un traitement
distinct au paragraphe 66).

Quoi qu'il en soit, alors qu'en matière de traitésen général, la situation est essentiellement
analogue à celle qui règne en cas d'annexion (par. 62), on est davantage fondé à penser
qu'en cas de séparation donnant naissance à un nouvel Etat, ce dernier est lié par des
traités généraux de caractère normatif — ou tout au moins habilité à y adhérer —,
notamment par ceux qui ont un caractère humanitaire, et qui auparavant s'imposaient à lui
en tant que partie de l'Etat dont il s'est séparé. Ainsi le Pakistan et la Birmanie, lorsqu'ils
ont accepté en 1949 les obligations imposées par la Constitution de l'Organisation

internationale du Travail, ont-ils reconnu être liés par les différentes conventions
internationalessur le travail qui s'appliquaient àleur territoire lorsqu'ils faisaient partie de
l'Inde. De même, le Pakistan se considérait-il partie à la convention de 1921 pour la
répression de la traite des femmes et des enfants en vertu du fait que l'Inde était devenue
partie à la convention avant la création du Pakistan en tant qu'Etat indépendant.

L'Etat duquel il a été fait sécession continue en principe, et malgré l'amputation de son
territoire,à être lié par ses traités,encore quedans certains cas sa perte de territoire puisse
avoir des conséquencesepour le maintien de l'application du traité.» (Oppenheim,
International Law, 9 éd., vol. I, édité par sir Robert Jennings, Q.C. et sir Arthur Watts,
K.C.M.G., Q.C., 1992, p. 222-223, annexes, p. 928.)

En conséquence, le paragraphe pertinent a été formulé avec beaucoup de soin pour refléter le

caractère incertain de ces droits : «on est davantage fondé à penser qu'en cas de séparation donnant
naissance à un nouvel Etat, ce dernier est lié par les traités généraux de caractère normatif, — ou tout
au moins habilité à y adhérer —, notamment par ceux qui ont un caractère humanitaire» (les italiques
sont de nous). La pratique montre que cette prudence dans la formulation était judicieuse et elle a
confirmé une idée différente, à savoir que les nouveaux Etats sont habilités à adhérer à des traités
généraux...

B.1.4.3. Les nouveaux Etats créés sur le territoire de l'ex-URSS — Azerbaïdjan, Estonie,
Géorgie,Arménie,Kazakhstan,Kirghizistan,Lettonie, Lituanie,Moldavie, Tadjikistan,Turkménistan,
Ouzbékistan — ne sont pas conformés à la règle énoncée à l'article 34 de la convention de Vienne - 64 -

de 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités. Ils ont tous agi selon le principe de la «table
rase» et ils sont devenus parties aux traités de l'Etat prédécesseur par adhésion.

B.1.4.4. Ainsi, une note d'adhésion a été communiquée au dépositaire de la convention de 1948
sur le génocide, à laquelle l'URSS était partie, par l'Arménie (23 juin 1993), l'Estonie

(21 octobre 1991), la Géorgie (11 octobre 1993), la Lettonie (14 avril 1992) et la Moldavie
(26 janvier 1993); ces républiques sont devenues parties à la convention conformément à ses
dispositions. D'autres Etats nouvellement créés sur le territoire de l'ex-URSS ne sont pas parties à la
convention.

On peut citer un autre exemple, la convention internationale sur l'élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (1966) à laquelle l'URSS était partie (4 février 1969). Par adhésion,

l'Arménie (23 juin 1993), l'Estonie (21 octobre 1991), la Lettonie (14 avril 1992) et la Moldavie
(26 janvier 1993) ont adhéré à la convention. D'autres Etats nouveaux n'y sont pas parties.

Troisièmement,lesEtatssuivantssont devenuspartiespar adhésion au pacte international relatif
aux droits civils et politiques (1966) auquel l'URSS était déjà partie (16 octobre 1973) : Arménie
(23 juin 1993), Azerbaïdjan (13 août 1992), Géorgie (3 mai 1994), Kirghizistan (7 octobre 1994),
Estonie (21 octobre 1991), Lettonie (14 avril 1992), Lituanie (20 novembre 1991) et Moldavie

(26 janvier 1993). D'autres Etats nouveaux n'ont pas adhéré au pacte et n'en sont pas parties
contractantes (traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au 31 décembre 1993).

B.1.4.5. La République tchèque et la République slovaque, en tant que nouveaux Etats,
n'agissent pas non plus conformément à la règle énoncée à l'article 34 de la convention de Vienne
de 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités. Elles aussi procèdent selon le principe de la
«table rase» et adhérent aux traités auxquels l'Etat prédécesseur était partie comme elles l'entendent,

soit par adhésion, soit pas succession. Elles adhèrent par succession aux traités dont le Secrétaire
général de l'ONU est dépositaire, alors qu'elles adhèrent à d'autres traités multilatéraux principalement
par adhésion.

La République tchèque a adhéré à la convention internationale de 1985 contre l'apartheid dans
les sports, à laquelle la République socialiste tchécoslovaque était partie (29 juillet 1987), par une
notification de succession (22 février 1993), mais non la Slovaquie. En revanche, la Slovaquie est

devenue partie par succession (28 mai 1993) à la convention et statut sur la liberté du transit (1921), à
laquelle la Tchécoslovaquie était partie, mais non la République tchèque. De même, la Slovaquie a
adhéré sur la base de la succession (28 mai 1993) à la convention et statut sur le régime international
des ports maritimes (1923) à laquelle la Tchécoslovaquie était partie (10 juillet 1931), mais non la
République tchèque (traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au
31 décembre 1993).

B.1.4.6. Les nouveaux Etats qui ont été créés sur le territoire de la RSFY n'ont pas agi selon la
règle énoncée à l'article 34 de la convention de Vienne de 1978 sur la succession d'Etats en matière de
traités. Ils ont agi selon le principe de «la table rase» en choisissant les traités auxquels la RSFY était
partie et auxquels ils souhaitaient adhérer. Ils ont marqué leur intention d'adhérer aux traités dont le
Secrétaire généralde l'OrganisationdesNations Uniesétait dépositaire essentiellement par notification
de succession, alors qu'ils ont préféré l'adhésion pour d'autres traités multilatéraux.

L'ex-République yougoslave de Macédoine n'a pas adhéré à la convention de 1948 pour la
prévention et la répression du crime de génocide à laquelle la RSFY était partie (29 août 1950). Elle
n'est donc pas partie à cette convention (traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général,état
au 31 décembre 1993). - 65 -

B.1.4.7. L'Etat demandeur n'a pas agi conformémentà l'article 34 de la convention de Vienne de
1978, il a suivi le principe de la «table rase». La RSFY, c'est-à-dire la RFY, est partie au protocole de
signature facultative à la convention de Vienne surles relations diplomatiques concernant l'acquisition
de la nationalité (1961); l'Etat demandeur n'a pas envoyé de note de succession à ce protocole. L'Etat
demandeur n'a pas envoyé de note de succession concernant le protocole de 1946 amendant lesaccords,

conventions et protocoles sur les stupéfiants conclus à La Haye (1912), Genève (1925, 1931, 1936) et
Bangkok (1931), auxquels la RSFY, c'est-à-dire la RFY, est partie depuis le 19 mai 1948. L'Etat
demandeur n'a pas présenté de notification de succession au protocole de 1972 portant amendement de
la convention unique sur les stupéfiants (1961) à laquelle la RSFY, c'est-à-dire la RFY, est partie
depuis le 23 juin 1978. Il en va de même de la convention douanière relative aux conteneurs (1956), à
laquelle la RSFY, c'est-à-dire la RFY, est partie depuis le 9 mars 1961, de la convention douanière
relative à l'importation temporaire des véhicules routiers commerciaux (1956), à laquelle la RSFY,

c'est-à-dire la RFY, est partie depuis le 12 juin 1961, de la convention européenne relative au régime
douanier des palettes utilisées dans les transports internationaux (1960), à laquelle la RSFY,
c'est-à-dire la RFY, est partie depuis le 19 juin 1964, de la convention sur la signalisation routière
(1968) à laquelle la RSFY, c'est-à-dire la RFY, est partie depuis le 6 juin 1977, de l'accord européen
relatif autravail des équipages des véhicules effectuant des transports internationaux par route (AETR)
(1970) auquel la RSFY, c'est-à-dire la RFY, est partie depuis le 17 décembre 1974, de l'accord relatif
aux transports internationaux de denrées périssables et aux engins spéciaux à utiliser pour ces

transports(ATP)(1970)auquellaRSFY,c'est-à-dire la RFY,est partie depuis le 21 décembre 1975, de
l'accord visant à faciliter la circulation internationale du matériel visuel et auditif de caractère éducatif,
scientifique et culturel (1949) auquel la RSFY,c'est-à-dire la RFY, est partie depuis le 30 juin 1950, de
la convention surle plateaucontinental(1958)àlaquelle la RSFY, c'est-à-dire la RFY,est partie depuis
le 18 janvier 1966, de la convention concernant la distribution de signaux porteurs de programmes
transmis par satellite (1974) à laquelle la RSFY, c'est-à-dire la RFY, est partie depuis le 29 décembre
1976,du protocole relatif aux clauses d'arbitrage(1923) auquel la RSFY, c'est-à-dire la RFY, est partie
depuis le 13 mars 1959, de la convention sur l'exécution des sentences arbitrales étrangères (1927) à

laquelle la RSFY, c'est-à-dire la RFY, est partie depuis le 13 mars 1959, de la déclaration portant
reconnaissance du droit au pavillon des Etats dépourvus de littoral maritime (1921) à laquelle la
Yougoslavieestpartie depuis le 7 mai 1930, ni dela convention et statut sur le régime internationaldes
ports maritimes (1923) à laquelle la Yougoslavie est partie depuis le 20 novembre 1931 (traités
multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au 31 décembre 1993).

Les nouveaux Etats qui ont été créés sur le territoire de la RSFY sont devenues parties, par

adhésion, aux traités suivants conclus dans le cadre du Conseil de l'Europe et auxquels la RSFY,
c'est-à-dire la RFY, était partie : convention européenne relative à l'équivalence de diplômes donnant
accès aux établissements universitaires (1953), convention culturelle européenne (1954), convention
européenne sur l'équivalence des périodes d'étudesuniversitaires (1956), convention européenne sur la
reconnaissance académique des qualifications universitaires (1959), protocole additionnel à la
convention européenne relative à l'équivalence de diplômes donnant accès aux établissements
universitaires (1964), convention relative à l'élaboration d'une pharmacopée européenne (1964),

convention européenne pour la surveillance des personnes condamnées ou libérées sous condition
(1964), convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique (1969), accord
européen sur le maintien du paiement des bourses aux étudiants poursuivant leurs études à l'étranger
(1969), convention européenne sur la protection des animaux dans les élevages (1976), convention
européenne sur les effets internationaux de la déchéance du droit de conduire un véhicule à moteur
(1976), convention européenne sur la protection des animaux d'abattage (1979), convention
européenne sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et
notamment de matchs de football (1985), conventionpour la sauvegarde du patrimoine architectural de

l'Europe (1985), convention contre le dopage (1989). En revanche, l'Etat demandeur n'a adhéré à
aucun des instruments susmentionnés.

D'évidence, vu les considérations qui précèdent, les notifications de succession de l'Etat
demandeur ne constituaient pas une preuve formelle de la continuité des traités, mais résultaient du - 66 -

choix qu'il avait fait d'y adhérer, ce qui prouve que cet Etat se considérait libéré de tous les traités
auxquels la RSFY était partie; autrement dit, comme tous les autres nouveaux Etats concernés, il a
procédé selon le principe de la «table rase».

B.1.4.8. D'ailleurs, la notification de successiondu 29 décembre 1992 est ainsi libellée :

«Le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine, ayant examiné la
convention du 9 décembre 1948 pour la prévention etla répression du crime de génocide,
à laquelle l'ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie était partie, souhaite
succéder à ladite convention et s'engage à respecter et àappliquer scrupuleusement toutes
ses dispositions, avec effet au 6 mars 1992, date à laquelle la République de
Bosnie-Herzégovine est devenue indépendante.» (Lesitaliques sont de nous.)

Il est donc évident qu'au moment où il a rédigé cette note, le gouvernement de l'Etat demandeur
ne s'inspirait pas du principe de la continuité automatique mais plutôt de l'idée d'adhérer librement aux
traités auxquels la RSFY, c'est-à-dire la RFY, était partie. - 67 -

B.1.4.9. La République fédérative de Yougoslavie assume les droits et devoirs établis par les
traités signés par la République socialiste fédérative de Yougoslavie. Aux fins des relations
internationales, la République fédérative de Yougoslavie est identique à la République socialiste
fédérative de Yougoslavie. C'est pourquoi la position de la République fédérative de Yougoslavie ne
peut pas être assimilée à celle des nouveaux Etats créés sur le territoire de l'ex-RSFY. Dans les
archives de tous les dépositaires, la République fédérative de Yougoslavie figure en tant que partie à

compter de la date de dépôt des instruments de ratification ou d'adhésion émis par la République
socialiste fédérative de Yougoslavie et, avant la guerre, par le Royaume de Yougoslavie, c'est-à-dire le
Royaume desSerbes, Croates et Slovènes. Tous lesnouveaux Etats crééssur le territoire de l'ex-RSFY
figurent en tant que parties à compter de la date de dépôt de leurs notifications de succession ou
d'adhésion.

B.1.4.10. Le principe de la «table rase» est et demeure en vigueur en tant que norme de droit
international coutumier pour les nouveaux Etats. Ceux-ci choisissent librement les traités de l'Etat
prédécesseur auxquels ils souhaitent adhérer, exception faite, bien entendu, de ceux qui portent sur les
frontières et les régimes territoriaux.

L'adhésion par notification d'adhésion est la plus fréquente mais l'adhésion par notification de
succession paraît être tolérée dans les cas où la succession s'est faite conformément au droit

international, c'est-à-dire dans les circonstances et selon les modalités qui sont apparues au cours du
processus de décolonisation. Dans ce dernier cas, les règles du droit coutumier sur l'adhésion aux
traités par voie de succession s'appliquent; elles ont été élaborées à l'occasion de la décolonisation et
codifiées par la convention de Vienne de 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités.

B.1.4.11. La notification de succession est un moyen d'adhérer aux traités conclus par l'Etat
prédécesseur lorsque le nouvel Etat a fondé son existence sur le principe de l'égalité des droits et du

droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Or, en l'espèce, l'Etat demandeur a fondé son existence sur
la violation des droits découlant de ce principe; par conséquent, il ne saurait recourir à la notification
de succession comme moyen d'adhésion aux traités internationaux de son prédécesseur.

B.1.4.12. La République fédérative de Yougoslaviea fait valoir qu'à son avis la succession de la
prétendue République de Bosnie-Herzégovine n'étaitpas conforme au droit international; le Secrétaire

général de l'ONU, en sa qualité de dépositaire, a pris acte de cette objection dans son rapport sur les
traités multilatéraux (traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au
31 décembre 1993, p. 96, annexes, p. 931).

B.1.4.13. Par contre, l'Etat demandeur a la faculté de devenir partie à des traités internationaux
par une notification d'adhésion. - 68 -

Q UATRIEME EXCEPTION PRELIMINAIRE

B.2. COMME SA RECONNAISSANCE EST CONTRAIRE AUX REGLES DUDROIT INTERNATIONAL
ET COMME IL EXISTE QUATRE ETATS SUR LE TERRITOIRE DE L 'EX-R EPUBLIQUE
YOUGOSLAVE DE BOSNIE -H ERZEGOVINE ,LA PRETENDUE R EPUBLIQUE DE
BOSNIE -H ERZEGOVINE N 'EST PAS PARTIE A LA CONVENTION

DE 1948 SUR LE GENOCIDE

B.2.1. Premièrement, la prétendue République de Bosnie-Herzégovine a bénéficié d'une
reconnaissance pour des motifs qui n'ont rien à voir avec le droit et en l'absence d'un gouvernement
central exerçant un pouvoir effectif sur le territoire correspondant. Deuxièmement, et sans préjudice

de la première considération, la qualité d'Etat de la Bosnie-Herzégovine n'est pas valable étant donné
que l'entité politique qui revendique cette qualiténe satisfait pas au principe de l'autodétermination des
peuplesreconnuparla ChartedesNations Unies etle droit international général et ayant le statut dejus
cogens.

B.2.2. La reconnaissance de la prétendue République de Bosnie-Herzégovine s'est faite à un
moment où les conditionsjuridiques internationalesde sa reconnaissance en qualité d'Etat n'étaient pas
remplies.

B.2.3. A l'époque où cette reconnaissance lui a été accordée, la guerre civile faisait rage sur le
territoire de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine et la plus grande partie du territoire
revendiquée par les autorités de Sarajevo échappait à leur contrôle. Au moment de la reconnaissance,
il y avait sur la plus grande partie du territoire de l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine

un autre Etat — la République serbe de Bosnie (République Srpska) — avec laquelle la prétendue
République de Bosnie-Herzégovine était en conflit.

B.2.4. Au moment de la reconnaissance, il n'y avait pas d'autorité centrale stable et la majorité

de la population n'acceptait pas la Bosnie-Herzégovine qui avait été reconnue, comme en témoigne le
fait qu'outre la République Srpska, sont vite apparus de nouveaux Etats véritablement indépendants de
l'autorité centrale : la République d'Herceg-Bosnaet la province autonome de la Bosnie occidentale.

B.2.5. La prétendue République de Bosnie-Herzégovine n'a jamais existé en tant qu'Etat sur le

territoire qu'elle affirme être le sien. Il existeactuellement sur ce territoire quatre Etats entretenant des
rapports mutuels instables et entre lesquels les relations d'association ou les cessez-le-feu cèdent
souvent le pas aux hostilités.

B.2.6. Etant donné que les actes par lesquels l'Etat demandeur a été constitué en tant qu'Etat
indépendant ont violé les obligations découlant du principe de l'égalité des droits et du droit des
peuples à disposer d'eux-mêmes, et que ce principe est une règle du jus cogens, ces violations ne
peuvent pas être effacées par la reconnaissance decet Etat.

B.2.7.En conséquence,la prétendue République deBosnie-Herzégovine ne peut pas adhérer par
succession à la convention de 1948 sur le génocide. - 69 -

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES À LA COMPÉTENCE
DE LA COUR RATIONE MATERIAE

C INQUIEME EXCEPTION PRELIMINAIRE

C. L N EXISTE PAS ENTRE LES P ARTIES DE DIFFEREND QUI RELEVERAIT DE

L ARTICLE IX DE LA CONVENTION DE 1948 SUR LE GENOCIDE

C.1. La convention de 1948 sur le génocide ne peut s'appliquer que lorsque l'Etat concerné a
compétence territoriale dans les régions où les infractions à la convention sont alléguées avoir eu lieu.
Les dispositions principales de la convention prévoient que les Etats parties doivent «prévenir et

punir» le crime de génocide, (article premier), prendre des mesures législatives nécessaires pour
assurerl'applicationde la convention (art. 5) ettraduire les personnes accusées de génocide devant«les
tribunaux compétents de l'Etat sur le territoire duquel l'acte a été commis»(art. 6). Or, l'Etat défendeur
n'avait pas compétence territoriale, ni aux fins d'application ni aux fins de prescription, dans les zones
concernées au cours de la période visée par la requête.

C.2. La responsabilité d'un Etat partie en vertu de la convention de 1948 ne s'applique pas aux
revendications énoncées dans les conclusions de l'Etat demandeur. Les devoirs imposés par la
convention concernent en effet «la prévention et larépression du crime de génocide» lorsque ce crime
est commis par des particuliers : les articles IV,V, VI et VII sont très clairs sur ce point.

C.3.Lesdeuxconsidérationsqui précèdent excluentconjointementetséparément la compétence
selon l'article IX de la convention sur le génocide.

C.4.Le mémoire de l'Etat demandeur est fondé surune interprétation foncièrement erronée de la
convention de 1948 sur le génocide; en conséquence, les demandes formulées dans les «conclusions»
(mémoire,p. 293-295)sontfondées sur des allégations de responsabilité d'Etat qui n'entrent pas dansle
champ d'application de la convention ni de sa clause compromissoire. - 70 -

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES À LA COMPÉTENCE

DE LA COUR RATIONE TEMPORIS

D. M EME SI LA CONVENTION DE 1948 POUR LA PREVENTION ET LA REPRESSION
DU CRIME DE GENOCIDE ETAIT EN VIGUEUR ENTRE LES PARTIES ,

ELLE N EST PAS EN VIGUEUR ,C EST -A-DIRE QU 'ELLE N EST
PAS APPLICABLE DEPUIS LE 6MARS 1992

SIXIEME EXCEPTION PRELIMINAIRE

D.1. AU CAS OU LA COUR CONSIDERERAIT LA NOTIFICATION DE SUCCESSION COMME
UNE ADHESION ,LA CONVENTION DE 1948 SUR LE GENOCIDE SERAIT

EN VIGUEUR ENTRE LES P ARTIES DEPUIS LE 29 MARS 1993

D.1.1. La République fédérative de Yougoslavie demande à la Cour de délibérer et statuer sur la
présente exception préliminaire uniquement si elle n'accepte aucune des exceptions exposées dans les
sections A, B et C.

D.1.2. La République fédérative de Yougoslavie ne voit aucune possibilité de considérer la
notification de succession par laquelle la prétendue République de Bosnie-Herzégovine souhaitait
adhérer à la convention de 1948 sur le génocide comme étant son instrument d'adhésion à la

convention.

D.1.3. Si la Cour rejette la thèse de la République fédérative de Yougoslavie exposée au
paragraphe D.1.2, celle-ci demande à la Cour de considérer ce qui suit : il découle du mémoire que

l'Etat demandeur consent à ce que sa notification de succession soit interprétée comme une adhésion à
la convention de 1948 sur le génocide. Le paragraphe 4.2.1.51 du mémoire (p. 153) est ainsi libellé :

«Par conséquent, il appert que :

.....................................................................................................................................................

iii)en tant que tel, elle lui a automatiquement succédé comme partie à la convention de 1948 sur
le génocide ou, subsidiairement (et à titre complémentaire), a établi son acceptation de la

convention par la communication qu'elle a adressée au Secrétaire général le
29 décembre 1992...»

D.1.4. Conformément à l'article XIII de la convention de 1948 sur le génocide :

«La présente convention entrera en vigueur le quatre-vingt-dixième jour qui suivra la date
du dépôt du vingtième instrument de ratification oud'adhésion.

Toute ratification ou adhésion effectuée ultérieurement à la dernière date prendra effet le

quatre-vingt-dixième jour qui suivra le dépôt de l'instrument de ratification ou
d'adhésion.» - 71 -

D.1.5. Par conséquent, si la Cour qualifiait d'adhésion la notification de succession, la
convention de 1948 sur le génocide prendrait effet pour les parties, en vertu de son article XIII,

quatre-vingt-dix joursaprèsledépôtdesinstruments,c'est-à-dire le 29 mars 1993. Dansce cas,laCour
serait compétente à partir de cette date.

SEPTIEME EXCEPTION PRELIMINAIRE

D.2. SI LA COUR CONCLUAIT QUE L 'ADHESION DE LA PRETENDUE REPUBLIQUE DE
B OSNIE -HERZEGOVINE A LA CONVENTION DE 1948 SUR LE GENOCIDE PAR
SUCCESSION EST VALABLE POUR QUELQUE RAISON QUE CE SOIT ,

LA CONVENTION PRENDRAIT EFFET ENTRE LES P ARTIES
A COMPTER DU 29 DECEMBRE 1992

D.2.1. Si la Cour estime que l'Etat demandeur pouvait néanmoins avoir adhéré à la convention
de 1948 sur le génocide, cette convention n'est pas devenue applicable aux Parties, en vertu de la
notification de succession, à compter du 6 mars 1992, date à laquelle, d'après le requérant, l'Etat

demandeur est devenu indépendant.

D.2.2. Si le traité multilatéral auquel le nouvel Etat est devenu partie par notification de
succession était en vigueur entre le nouvel Etat et d'autres Etats parties à la date où le nouvel Etat a
accédé à l'indépendance, la notification de succession faite après cette date aurait un effet rétroactif sur

l'application de ce traité international, ce qui est contraire au droit conventionnel. Cela introduirait un
élément d'insécurité juridique dans les relations du nouvel Etat avec les Etats parties aux traités
multilatéraux car ces derniersne sauraient pas siun traité multilatéral est applicable au nouvel Etat tant
que celui-ci n'a pas notifié sa succession au traité. Comme il n'est pas prévu de délai pour la
notification de succession, la période d'incertitude serait indéterminée.

D.2.3. Le problème a été mis en lumière tant particulièrement par Israël, la Grande-Bretagne et
les Etats-Unis dans leurs observations sur l'article 18 du projet de convention relatif aux effets d'une
notification de succession (Succession d'Etats en matière de traités, premier rapport sur la succession
d'Etats en matière de traités, par sir Francis Vallat,rapporteur spécial, Nations Unies, doc. A/CN.4/278

et add.1-6, Annuaire de la Commission du droit international, 1974, vol. II, première partie, p. 57).

D.2.4. Le problème ne s'est pas posé lors de la décolonisation, parce qu'avant d'accéder à
l'indépendance ou peu de temps après les nouveaux Etats avaient adressé à tous les Etats Membres de

l'ONU, par l'intermédiaire du Secrétaire général, une note sur l'application temporaire des traités. Ils y
exprimaient l'intention d'appliquer temporairementles traités multilatéraux de l'Etat prédécesseur dans
leurs relations avec les Etats parties à ces traités, réservant le droit de décider, au cours de la période
d'application temporaire, des traités auxquels ils deviendraient parties par succession ou par adhésion,
c'est-à-dire des traités qui resteraient en vigueur et de ceux auxquels il serait mis fin (rapport de la
Commission à l'Assemblée générale, Nations Unies, doc. A/9610/Rev.1, rapport de la Commission du

droit international sur les travaux de sa vingt-sixième session (6 mai-26 juillet 1974), Annuaire de la
Commission du droit international, 1974, vol. II, p. 193-199, annexe, p. 934). - 72 -

D.2.5. Les pays suivants ont fait usage d'une note sur l'application temporaire des traités :
Antigua-et-Barbuda (note du 4 novembre 1981), Bahamas (note du 10 juillet 1973), Barbade (note du
16 mars 1967), Belize (note du 29 septembre 1982), Botswana (note d'octobre 1966), Brunéi (note du
er
1 janvier 1984), Burundi (note du 26 juin 1964), Grenade (note du 19 août 1974), Guyana (note du
30 juin 1966),Lesotho (notedu22 mars 1967),Malawi (note du24 novembre 1964),Maurice(note du
12 mars 1968), Nauru (28 mai 1968), Papouasie-Nouvelle-Guinée (notes du 16 septembre 1975 et du
24 septembre 1980), Saint-Christopher-et-Nevis (note du 15 novembre 1983), Sainte-Lucie (note du
5 avril 1959), Saint-Vincent-et-les Grenadines (note du 30 septembre 1983), Iles Salomon (note du
7 juillet 1978), Suriname (note du 29 novembre 1975), Swaziland (note du 22 octobre 1968),
er
Tanganyika (note du 9 décembre 1961) et Zambie (note du 1 septembre 1965) (annexe, p. 941-973).

D.2.6. Tous ces Etats ont adhéré par la suite à différents traités multilatéraux au moyen de notes
distinctes, soit sur la base de la succession, soit sur celle de l'adhésion, ainsi qu'il ressort des
enregistrements du dépositaire.

Pour ce qui est de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques adoptée le
17 avril 1961, les pays ont procédé comme suit : Antigua-et-Barbuda n'a pas adhéré; les Bahamas ont
adhéré par une notification de succession le 17 mars 1977; la Barbade a adhéré par une notification de
succession le 6 mai 1968; le Belize n'a pas adhéré; le Botswana a adhéré par une notification de
succession le 11 avril 1969; le Brunéi n'a pas adhéré; le Burundi a adhéré par une notification
er
d'adhésion le 1 mai 1968; la Grenade n'a pas adhéré; le Guyana a adhéré par une notification
d'adhésion le 28 décembre 1972; le Lesotho a adhéré par une notification d'adhésion le
26 novembre 1969; le Malawi a adhéré par une notification d'adhésion le 28 mars 1968; Maurice a
adhéré par une notification de succession le 18 juillet 1969; Nauru a adhéré par une notification de
succession le 6 mai 1978; la Papouasie-Nouvelle-Guinée a adhéré par une notification de succession le
4 décembre 1975; Saint-Kitts-et-Nevis n'a pas adhéré; Sainte-Lucie a adhéré par une notification de

succession le 27 août 1986; Saint-Vincent-et-les Grenadines n'a pas adhéré; les Iles Salomon n'ont pas
adhéré; le Suriname n'a pas adhéré; le Swaziland a adhéré par une notification d'adhésion le
25 avril 1969; la Zambie a adhéré par une notification de succession le 16 juin 1975 (traités
multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général, état au 31 décembre 1993).

D.2.7. Pour régler le problème de l'effet temporaire de la notification de succession, la
Commission du droit international a proposé une solution qui est formulée dans les articles 23 et 27 de
la convention de Vienne de 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités (rapport de la
Commission à l'Assemblée générale, Nations Unies, doc. A/9610/Rev.1, rapport de la Commission du
droit international sur les travaux de sa vingt-sixième session (6 mai-26 juillet 1974), Annuaire de la
Commission du droit international, 1974, vol. II, première partie, p. 243-244, annexe, p. 975).

D.2.8. L'article 23 de la convention de Vienne de1978 susmentionnée est ainsi libellé :

«1. A moins que le traité n'en dispose autrement ou qu'il n'en soit autrement convenu, un
Etat nouvellement indépendant qui fait une notification de succession conformément à
l'article 17 ou au paragraphe 2 de l'article 18 est considéré comme partie au traité à

compter de la date de la succession d'Etats ou à compter de la date de l'entrée en vigueur
du traité, si cette date est postérieure.

2. Toutefois, l'application du traité est considérée comme suspendue entre l'Etat
nouvellement indépendant et les autres parties au traité jusqu'à la date à laquelle la
notification de succession est faite, sauf dans la mesure où le traité est appliqué à titre

provisoire conformément à l'article 27 ou s'il en est autrement convenu.

3. ...» - 73 -

D.2.9. En vertu de l'article 72 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, qui
reflète le principe général du droit des traités, les conséquences de la suspension de l'application d'un
traité sont les suivantes :

«1. A moins que le traité n'en dispose ou que les parties n'en conviennent autrement, la
suspension del'applicationd'untraité surlabasede sesdispositions ou conformément à la
présente convention :

a)libère les parties entre lesquelles l'application du traité est suspendue de l'obligation d'exécuter
le traité dans leurs relations mutuelles pendant lapériode de suspension;

b)...»

D.2.10. L'usage de la notification d'application temporaire de traités est énoncé à l'article 27 de
la convention de Vienne de 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités, dans les termes
suivants :

«1. Si, à la date de la succession d'Etats, un traité multilatéral était en vigueur à l'égard du
territoire auquel se rapporte la succession d'Etats et si l'Etat nouvellement indépendant
fait part de son intention que ce traité soit appliqué à titre provisoire à l'égard de son
territoire,letraité s'appliqueà ce titreentrel'Etatnouvellement indépendant et toute partie
qui y consent expressément ou qui, en raison de sa conduite, doit être considérée comme
y ayant consenti.

2. ...»

D.2.11. Les dispositions précitées des articles 23 et 27 de la convention de Vienne reflètent les
règles du droit international coutumier. Si la Cour décide que l'Etat demandeur peut adhérer à la
convention de 1948 sur le génocide par une notification de succession et dès lors que cet Etat n'a pas
proposé par une note distincte de signifier l'application temporaire de la convention, les dispositions de
cette convention prendraient effet entre les parties à compter du 29 décembre 1992.

E. C ONCLUSIONS CONCERNANT LE DROIT

E.1. Les circonstances qui constituent l'arrière-plan des «conclusions» du mémoire, dans la
mesure où l'on peut dire que ces conclusions ressortissent bien à la convention sur le génocide (ce qui
n'est pas l'avis de l'Etat défendeur), sont dominées par des éléments de conflit civil et, par conséquent,

il n'y a pas de différend international sur lequel la Cour puisse régulièrement exercer sa compétence.

E.2. Alija Izetbegovic a outrepassé les pouvoirs qui lui sont dévolus par la constitution en
donnant l'autorisation d'introduire une instance pour régler le différend.

E.3. La convention de Vienne de 1978 sur la succession d'Etats en matière de traités n'est pas

entrée en vigueur entre les Parties et ne s'applique pas entre elles. - 74 -

E.4. L'article 34 de la convention de Vienne de 1978 sur la succession d'Etats en matière de
traités ne résulte pas d'une codification et par conséquent elle ne s'applique pas en tant que règle de
droit international coutumier.

E.5. La pratique contemporaine a confirmé le principe ancien de la «table rase» en ce qui

concerne les Etats nouvellement constitués. Ces Etats deviennent parties aux traités internationaux
multilatéraux de l'Etat prédécesseur par notification d'adhésion ou de succession si leur succession s'est
faite conformément au droit international.

E.6. La notification de succession a été créée spécialement en tant qu'instrument juridique pour
les besoins de la décolonisation et elle implique qu'un Etat nouvellement constitué a acquis son

indépendance conformément au principe de l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes.

E.7. Par ses actes relatifs à l'indépendance de l'Etat, le demandeur a violé les obligations
découlant du principe de l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, de sorte
qu'il ne peut devenir partie à la convention de 1948 sur le génocide au moyen d'une notification de

succession.

E.8. La reconnaissance de l'Etat nouvellement constitué est contraire aux règles du droit
international. Etant donné qu'en proclamant son indépendance l'Etat demandeur a violé les obligations
découlant de la règle du jus cogens, la reconnaissance du nouvel Etat ne peut pas effacer le caractère
illégal de ses actes; par conséquent, malgré sa reconnaissance, l'Etat demandeur ne peut pas adhérer à
la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide par une notification de

succession.

E.9. Etant donné que la République fédérative de Yougoslavie n'a exercé aucune juridiction ni
aucun pouvoir dans les zones en cause au cours de la période visée par la requête, les conditions
requisespourl'applicationdel'article IX delaconventionde 1948 sur le génocide ne sont pas remplies.

E.10. L'Etat demandeur aurait pu devenir partie à la convention de 1948 sur le génocide par
adhésion et convient que sa notification de succession du 29 décembre 1992 devrait être interprétée
comme une adhésion à la convention. La République fédérative de Yougoslavie soutient que cette
interprétationestimpossible maissila Courestd'aviscontraire,celasignifie que la convention de 1948
sur le génocide est en vigueur entre les Parties depuis le 29 mars 1993.

E.11. Si la Cour estime que la notification de succession du 29 décembre 1992 a produit des
effets juridiques valables, la convention de 1948 sur le génocide serait applicable entre les Parties à
compter du 29 décembre 1992. - 75 -

CONCLUSIONS

La République fédérative de Yougoslavie prie la Cour de dire et juger :

Première exception préliminaire

A.1. Attendu que la guerre civile exclut l'existence d'un différend international, la requête de la
prétendue République de Bosnie-Herzégovine n'est pas recevable.

Deuxième exception préliminaire

A.2. Attendu qu'Alija Izetbegovic n'occupait pas les fonctions de président de la République à
l'époque où il a donné l'autorisation d'introduireune instance et attendu que la décision d'introduire une
instance n'a pas été prise par un organe compétent, la présidence ou le gouvernement, l'autorisation
d'introduire et de conduire une instance a été accordée en violation d'une règle de droit interne
d'importance fondamentale; en conséquence,

la requête de la prétendue République de Bosnie-Herzégovine n'est pas recevable.

Troisième exception préliminaire

B.1.Attenduquelaprétendue République de Bosnie-Herzégovine a violé de façon flagrante, par
ses actes relatifs à l'accession à l'indépendance, les obligations découlant du principe de l'égalité des
droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et que pour cette raison la notification de

succession du demandeur, en date du 29 décembre 1992, à la convention de 1948 pour la prévention et
la répression du crime de génocide est sans effet juridique,

Attendu que la prétendue République de Bosnie-Herzégovine n'est pas devenue Etat partie à la
convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide conformément aux
dispositions de la convention elle-même,

La prétendue République de Bosnie-Herzégovine n'est pas un Etat partie à la convention
de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide; en conséquence,

La Cour n'a pas compétence en la présente affaire.

Quatrième exception préliminaire

B.2. Attendu que la reconnaissance de la prétendue République de Bosnie-Herzégovine est
contraire aux règles du droit international et que celle-ci n'a jamais été établie sur le territoire qu'elle
revendique comme le sien et dans la forme sous laquelle elle prétend exister depuis sa déclaration
illégale d'indépendance, et attendu qu'il existe actuellement quatre Etats sur le territoire de
l'ex-République yougoslave de Bosnie-Herzégovine, la prétendue République de Bosnie-Herzégovine
n'est pas partie à la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide; en
conséquence,

La Cour n'est pas compétente en la présente affaire. - 76 -

Cinquième exception préliminaire

C. Attendu qu'il y a en l'espèce un conflit interne entre quatre parties, conflit auquel la RF de
Yougoslavie n'est pas partie prenante, et attendu que la RF de Yougoslavie n'exerçait aucune
juridiction sur les territoires en cause pendant la période considérée,

attendu que le mémoire de l'Etat demandeur est fondé sur une interprétation foncièrement
erronée de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide et qu'en
conséquence les arguments présentés dans les «conclusions» sont fondées sur des allégations de
responsabilité d'Etat qui échappent au domaine d'application de la convention et de sa clause
compromissoire,

il n'existe pas de différend international au sens de l'article IX de la convention de 1948 pour la

prévention et la répression du crime de génocide; en conséquence,

la Cour n'est pas compétente en la présente affaire.

Si la Cour ne retient aucune des exceptions préliminaires susmentionnées,

Sixième exception préliminaire

D.1. Sans préjudice des exceptions préliminaires qui précèdent, attendu que la notification de
succession en date du 29 décembre 1992 par laquellela prétendue République de Bosnie-Herzégovine
exprimait son intention d'adhérer à la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime
de génocide ne peut avoir pour effet que l'adhésionà la convention,

La Cour est compétente en l'espèce à compter du 29mars 1993 de sorte que les revendications

du demandeur relatives aux actes ou faits allégués par lui et intervenus antérieurement à cette date ne
sont pas du ressort de la Cour.

Au cas où la Cour refuserait de faire droit à l'exception préliminaire visée en D.1.

Septième exception préliminaire

D.2. Sans préjudice de la sixième exception préliminaire, si la notification de succession de
l'Etat demandeur en date du 29 décembre 1992 est interprétée comme ayant pour effet que l'Etat
demandeur estdevenupartieà la conventionde 1948surle génocideà compterdu6 mars 1992, d'après
la règle du droit international coutumier, la convention de 1948 pour la prévention et la répression du
crime de génocide ne serait pas applicable entre les Parties avant le 29 décembre 1992 et elle ne
conférerait donc pas à la Cour compétence à l'égard d'événements intervenus avant cette date; en

conséquence,

les revendications du demandeur relatives aux actes ou faits allégués par lui qui sont antérieurs
au 29 décembre 1992 ne sont pas du ressort de la Cour.

La République fédérative de Yougoslavie se réserve le droit de compléter ou de modifier ses
conclusions à la lumière des plaidoiries à venir.

Belgrade, le 25 juin 1995.

(Signé)Rodoljub ETINSKI
Agent du
Gouvernement de la RF de Yougoslavie.

__________

Document file FR
Document
Document Long Title

Exceptions préliminaires du Gouvernement de la République fédérative de Yougoslavie

Links