Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
19673
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIÈRE DE CHANGEMENT CLIMATIQUE (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DU COMMONWEALTH DES BAHAMAS
22 mars 2024
[Traduction non révisée]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION .......................................................................................................................... 1
II. CONTEXTE FACTUEL .................................................................................................................. 4
A. Les émissions anthropiques de GES causent des dommages importants au système climatique et à d’autres parties de l’environnement ............................................................. 5
B. L’incidence spécifique des changements climatiques sur les Bahamas ............................. 10
1. Incidences sur le système météorologique : ouragans, cyclones tropicaux et autres phénomènes météorologiques extrêmes ........................................................................ 12
2. Incidences sur le territoire terrestre : élévation du niveau de la mer, inondation du territoire et menaces pour les systèmes socio-économiques ......................................... 16
3. Incidences sur le milieu marin : destruction des écosystèmes, des habitats et des espèces marins ............................................................................................................... 19
C. Mesures à prendre pour limiter les changements climatiques à des niveaux viables ......... 24
1. La primauté de la science environnementale ................................................................ 24
2. Limiter les changements climatiques à des niveaux durables nécessite des mesures d’atténuation et d’adaptation urgentes et ambitieuses ................................................... 28
III. LA COUR DEVRAIT EXERCER SA COMPÉTENCE POUR ACCUEILLIR LA DEMANDE ................... 32
IV. OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIÈRE DE CHANGEMENTS CLIMATIQUES .............................. 34
A. Obligations des États en vertu du droit international de l’environnement ......................... 34
1. Traités sur le climat ....................................................................................................... 35
2. Obligation de prévenir les dommages transfrontières en vertu du droit international coutumier ....................................................................................................................... 38
3. Obligation de coopérer en vertu du droit international coutumier ................................ 43
B. Obligations des États en vertu du droit international de la mer .......................................... 46
1. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer exige des États qu’ils protègent le milieu marin .............................................................................................. 47
2. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer exige des États qu’ils préviennent et maîtrisent la pollution du milieu marin, y compris la pollution transfrontière ................................................................................................................. 48
3. Autres obligations relatives à la réglementation des émissions de gaz à effet de serre ............................................................................................................................... 50
C. Obligations des États en vertu du droit international des droits de l’homme ..................... 54
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1. L’incidence négative directe des changements climatiques sur la jouissance des droits de l’homme ......................................................................................................... 55
2. Le droit international des droits de l’homme exige que tous les États respectent, protègent et garantissent les droits de l’homme affectés par les changements climatiques .................................................................................................................... 62
D. Obligations des États à l’égard des générations futures ..................................................... 70
V. LES OBLIGATIONS TRANSVERSALES ESSENTIELLES ................................................................ 72
A. Obligations fondamentales applicables sur le territoire d’un État ...................................... 73
1. Les États doivent adopter et maintenir une stratégie nationale globale en matière de climat ........................................................................................................................ 74
2. Les États doivent réglementer le comportement des acteurs privés, y compris leur comportement à l’étranger, le cas échéant .................................................................... 75
3. Les États doivent mettre en oeuvre et appliquer efficacement la législation et la réglementation ............................................................................................................... 77
4. Les États doivent promouvoir la transparence et une large participation du public au processus de prise de décision en matière d’environnement .................................... 79
B. Obligations fondamentales en matière de coopération mondiale ....................................... 80
1. Les États doivent accorder une coopération financière, technologique et scientifique et une assistance ......................................................................................... 81
2. Les États doivent négocier de bonne foi des mesures efficaces pour parvenir à une réduction profonde, rapide et durable des émissions mondiales de gaz à effet de serre et remédier à leurs effets néfastes ......................................................................... 82
3. Les États doivent coopérer en ce qui concerne les effets de l’élévation du niveau de la mer ........................................................................................................................ 84
4. Les États doivent coopérer en ce qui concerne les personnes déplacées par les changements climatiques............................................................................................... 89
VI. CONSÉQUENCES DE LA VIOLATION DES OBLIGATIONS PERTINENTES ...................................... 91
A. L’obligation de résultat ...................................................................................................... 91
B. L’obligation de mettre fin à l’acte illicite ........................................................................... 92
C. Le devoir de réparation ....................................................................................................... 92
1. Restitution ..................................................................................................................... 93
2. Indemnisation ................................................................................................................ 93
3. Satisfaction .................................................................................................................... 94
VII. INVOCATION DE LA RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE ......................................................... 94
I. INTRODUCTION
1. Comme de nombreuses personnes dans le monde, les habitants actuels et futurs des Bahamas sont confrontés à la menace existentielle des changements climatiques, qui continue de tuer, de déplacer et de détruire les moyens de subsistance, avec des conséquences encore plus graves à venir. Les Bahamas ne contribuent qu’à hauteur de 0,01 % des émissions de gaz à effet de serre (« GES ») au total mondial, mais continuent de subir les effets des actions — et de l’inaction — d’autres États. Les Bahamas font cette déclaration pour attirer l’attention de la Cour sur la situation critique des petits États insulaires dont la survie dépend de la communauté internationale et du droit international.
2. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (le « GIEC »), qui a rassemblé et analysé depuis 1988 des milliers de pages des dernières recherches scientifiques sur les changements climatiques, a déclaré avec une urgence sans ambiguïté dans son rapport de synthèse de 2023 :
« Les preuves scientifiques cumulées sont sans équivoque : les changements climatiques sont une menace pour le bien-être humain et la santé de la planète (degré de confiance très élevé). Tout retard supplémentaire dans l’action mondiale concertée et anticipative en matière d’adaptation et d’atténuation laissera passer une occasion brève et qui se referme rapidement d’assurer un avenir vivable et durable pour tous (degré de confiance très élevé) »1.
3. Lors de l’ouverture de la vingt-huitième session de la Conférence des Parties en novembre 2023, le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a lancé un avertissement : « Nous vivons un effondrement du climat en temps réel et les conséquences sont dévastatrices »2. Au cours des deux dernières décennies, les avertissements urgents n’ont pas manqué : si les États ne prennent pas des mesures rapides et radicales, les graves conséquences des changements climatiques continueront à détruire l’environnement et la vie humaine.
4. Selon les dernières données, 2023 a été l’année la plus chaude des 174 années d’observation3. La planète se rapproche à grands pas du seuil clé de 1,5 °C, la plupart des données suggérant que la moyenne de l’année dernière a atteint ce seuil ou s’en est approchée4. Le 17 novembre 2023, la température journalière de l’air à la surface du globe a dépassé pour la première fois les niveaux préindustriels de plus de 2 °C5. Ce réchauffement a entraîné une confluence sans précédent de conditions météorologiques extrêmes, notamment des vagues de chaleur, des
1 Intergovernmental Panel on Climate Change, Climate Change 2023: Synthesis Report. Contribution of Working Groups I, II and III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (mars 2023) (ci-après, « IPCC 2023 Synthesis Report »), p. 89.
2 « Science points to “climate collapse” as UN chief calls COP28 to action », UN News (30 November 2023), accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/en/story/2023/11/1144147.
3 World Meteorological Organization, Provisional State of the Global Climate 2023 (30 November 2023), p. 2, accessible à l’adresse suivante : https://wmo.int/files/provisional-state-of-global-climate-2023 (ci-après, « WMO 2023 Provisional Report on the State of the Climate »).
4 « World’s first year-long breach of key 1.5C warming limit », BBC News (8 February 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.bbc.com/news/science-environment-68110310 ; WMO 2023 Provisional Report on the State of the Climate, p. 2.
5 Copernicus Climate Change Service, Global temperature exceeds 2ºC above pre-industrial average on 17 November (21 November 2023), accessible à l’adresse suivante : https://climate.copernicus.eu/global-temperature-exceeds-2degc-above-pre-industrial-average-17-november.
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sécheresses et des inondations, qui ont causé d’importantes pertes de vies humaines6. En une seule année, le Canada a doublé son précédent record d’émissions de feux de forêt, la Grèce a battu des records et Hawaï a subi le cinquième incendie le plus meurtrier de l’histoire des États-Unis7. Le cyclone tropical Freddy, qui s’est produit en février et mars 2023, a été l’un des cyclones tropicaux les plus longs au monde. Il a provoqué des pluies extrêmement abondantes et des inondations au Mozambique et au Malawi, avec 679 décès signalés et près de 660 000 personnes déplacées dans leur propre pays, rien qu’au Malawi8. En septembre 2023, le cyclone méditerranéen Daniel a provoqué des précipitations extrêmes et des inondations en Grèce, en Bulgarie, en Turquie et en Libye, faisant près de 5 000 morts et 8 500 disparus rien qu’en Libye9. La forêt amazonienne a été frappée par une sécheresse dévastatrice, la pire jamais enregistrée dans de nombreuses régions, atteignant le niveau maximal « exceptionnel » sur l’échelle scientifique10. La glace de mer de l’Antarctique a atteint un niveau record et les glaciers de l’ouest de l’Amérique du Nord et des Alpes européennes ont connu une saison de fonte extrême, les glaciers suisses ayant perdu 10 % de leur volume résiduel au cours des deux dernières années seulement11. La liste est longue.
5. En tant qu’État archipel situé dans la « ceinture des ouragans » de l’Atlantique, les Bahamas sont particulièrement vulnérables aux graves effets des changements climatiques. Entre 2015 et 2019, elles ont été frappées par quatre ouragans de catégorie 4 à 5, dont l’ouragan Dorian en 2019, le plus puissant à avoir jamais frappé les Bahamas12. Il a fait 200 morts et de nombreux disparus, près de 10 000 personnes ont été déplacées, plus de 9 000 maisons ont été détruites et des infrastructures essentielles ont été gravement endommagées13. Dorian a causé des dommages économiques considérables, estimés à environ 3 milliards de dollars américains, et a entraîné une baisse du PIB national de 1 %. Les Bahamas en subissent encore les conséquences aujourd’hui.
6. En tant qu’État insulaire, les Bahamas dépendent aussi fortement des ressources de l’océan, qui sont gravement menacées par les changements climatiques. Le réchauffement et l’acidification des océans ont endommagé et détruit des écosystèmes essentiels, notamment les récifs coralliens, les forêts de mangroves et les herbiers marins. Lors de l’un des derniers événements de ce type, des températures record dans les eaux territoriales des Bahamas en juillet 2023 ont provoqué un blanchissement massif des coraux14. Ces événements sont de plus en plus fréquents. À l’échelle
6 WMO 2023 Provisional Report on the State of the Climate, p. 21-24.
7 Voir Copernicus Climate Change Service, Greece sees its most intense wildfire emissions for July on record (25 July 2023), accessible à l’adresse suivante : https://atmosphere.copernicus.eu/greece-sees-its-most-intense-wildfire-emissions-july-record ; Copernicus Climate Change Service, 2023 Canada wildfires emissions have already doubled previous annual record (3 August 2023), accessible à l’adresse suivante : https://atmosphere.copernicus.eu/2023-canada-wildfires-emissions-have-already-doubled-previous-annual-record ; WMO 2023 Provisional Report on the State of the Climate, p. 22-23.
8 WMO 2023 Provisional Report on the State of the Climate, p. 22, 25.
9 Ibid., p. 2, 22.
10 “Devastating drought in Amazon result of climate crisis, study shows”, The Guardian (24 January 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.theguardian.com/environment/2024/jan/24/devastating-drought-in-amazon-result-of-climat-crisis-study-shows.
11 WMO 2023 Provisional Report on the State of the Climate, p. 2.
12 Government of the Commonwealth of The Bahamas, The Bahamas 2022 Updated NDC (November 2022) (ci-après, « The Bahamas 2022 Updated NDC »), p. 10-11.
13 Voir The Bahamas High Commission London, NEMA Briefing by Prime Minister Minnis (4 September 2019), accessible à l’adresse suivante : https://www.bahamashclondon.net/nema-briefing-by-prime-minister-minnis/ ; Inter-American Development Bank, Assessment of the Effects and Impacts of Hurricane Dorian in the Bahamas (August 2020), p. 1, 18, 47-49, 57, 65, 71, 81, 93.
14 Perry Institute for Marine Science, Coral Bleaching Crisis: Massive Bleaching Demands Major Response, (7 October 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.perryinstitute.org/coral-bleaching-crisis-massive-bleaching-demands-major-response/.
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mondiale, près de 50 % des zones côtières humides ont disparu au cours des 100 dernières années, et les récifs coralliens vivants ont presque diminué de moitié au cours des 150 dernières années15. Même en limitant le réchauffement de la planète à 1,5 °C, jusqu’à 14 % des espèces de la planète seraient confrontées à un risque très élevé d’extinction et les récifs coralliens connaîtraient un déclin supplémentaire de 70-90 %16. Nombre de ces changements sont « irréversibles sur des échelles de temps allant du siècle au millénaire »17.
7. La crise climatique est un défi mondial qu’aucun État ne peut relever seul. Elle nécessite une action urgente, ambitieuse et coordonnée pour stopper le réchauffement de la planète causé par l’augmentation constante des GES émis dans l’atmosphère par l’activité humaine. Ces polluants ne connaissent pas de frontières et peuvent causer des dommages à des milliers de kilomètres. Malgré la complexité du défi, la voie à suivre est claire. Le GIEC a établi un plan d’action ambitieux en matière d’atténuation et d’adaptation qui favorise la santé de la planète et le développement durable. Le consensus scientifique est clair : un avenir vivable exige une transition rapide et généralisée vers des technologies à émissions de GES faibles ou nulles « dans tous les secteurs et systèmes », y compris l’énergie, l’agriculture, l’industrie et les transports18. Le seul moyen de parvenir à cet avenir est de réaliser et de maintenir une réduction profonde, rapide et durable des émissions mondiales de GES et d’atteindre finalement « zéro émission nette », où les émissions de GES que nous émettons du fait de l’activité humaine sont compensées par leur élimination de l’atmosphère19.
8. Le droit international joue un rôle important pour aider les États à faire face à des problèmes mondiaux tels que la crise climatique. La Cour a reconnu à plusieurs reprises l’importance de l’environnement en tant que ressource partagée par l’humanité, qui représente « l’espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de leur vie et leur santé, y compris pour les générations à venir »20. Le droit international se préoccupe depuis longtemps de la protection de cette ressource partagée. En 1972, la conférence des Nations Unies sur l’environnement humain a été la première conférence mondiale consacrée aux questions environnementales. Elle a conduit à l’adoption de la déclaration de Stockholm, qui proclame entre autres que
« [n]ous sommes à un moment de l’histoire où nous devons orienter nos actions dans le monde entier en songeant davantage à leurs répercussions sur l’environnement. Nous pouvons, par ignorance ou par négligence, causer des dommages considérables et irréversibles à l’environnement terrestre dont dépendent notre vie et notre bien-être »21.
Plus de 50 ans plus tard, l’Assemblée générale des Nations Unies, décrivant les changements climatiques comme « un défi sans précédent aux proportions de la civilisation », a demandé l’avis de la Cour sur « les obligations des États, en vertu du droit international, d’assurer la protection du
15 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 46; Nations Unies, Pourquoi la biodiversité est importante, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/fr/climatechange/science/climate-issues/biodiversity.
16 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 71.
17 Ibid., p. 69.
18 Ibid., p. 102.
19 Ibid., p. 68.
20 Voir, par exemple, Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997 (ci-après, le « Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt »), p. 41, par. 53 (citant Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (ci-après, l’« avis consultatif sur les armes nucléaires »), p. 241-242, par. 29).
21 Déclaration de Stockholm sur l’environnement humain, conférence des Nations Unies sur l’environnement humain, Stockholm (juin 1972), doc. A/CONF.48/14/Rev.1 (ci-après, la « déclaration de Stockholm »), préambule, par. 6.
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système climatique et d’autres éléments de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre pour les États et pour les générations présentes et futures »
22.
9. Le droit international impose aux États un large éventail d’obligations en matière de protection de l’environnement, qui convergent autour de deux principes clés : le devoir de prévenir les dommages environnementaux tels que ceux causés par les émissions de GES, et le devoir de coopérer avec d’autres États pour prendre des mesures efficaces d’atténuation et d’adaptation à l’échelle mondiale. Comme les Bahamas l’expliquent ci-dessous, le droit international de l’environnement, le droit de la mer et le droit international des droits de l’homme donnent tous lieu à des obligations en matière d’atténuation, d’adaptation et de coopération. Ils se réaffirment et se renforcent mutuellement et fournissent un cadre normatif clair aux États pour l’organisation de leurs sociétés et des affaires internationales.
10. Le droit international offre la seule perspective de justice et d’obligation redditionnelle pour les petits États insulaires comme les Bahamas, qui subissent de plein fouet la crise climatique. Il est essentiel que la Cour saisisse cette occasion pour rendre un avis solide et faisant autorité, qui énonce clairement et précisément les obligations des États en matière de protection de l’environnement contre les émissions anthropiques de GES et les changements climatiques, ainsi que les conséquences juridiques pour les États qui ne s’acquittent pas de cette obligation.
11. Le présent exposé écrit est divisé en sept sections. La section II décrit l’incidence des changements climatiques — à la fois aux Bahamas et dans le monde — et le consensus scientifique autour de la nécessité de le limiter à des niveaux durables. La section III explique pourquoi la Cour devrait exercer sa compétence pour accueillir la demande. La section IV analyse les trois domaines clés du droit international — le droit international de l’environnement, le droit de la mer et le droit international des droits de l’homme — qui donnent lieu aux obligations des États de protéger le système climatique contre les effets néfastes des émissions anthropiques de GES ; elle examine également comment ces obligations s’appliquent non seulement aux générations actuelles, mais aussi aux générations futures. La section V énonce les obligations fondamentales des États visant à garantir la mise en oeuvre effective de leurs obligations en matière d’atténuation, d’adaptation et de coopération. La section VI énonce les conséquences de la violation d’une obligation en matière de changements climatiques. La section VII explique les circonstances dans lesquelles un État est en droit d’invoquer la responsabilité d’un autre État.
II. CONTEXTE FACTUEL
12. La question posée à la Cour vise à clarifier les obligations des États de protéger l’environnement « des émissions anthropiques de gaz à effet de serre ». Cette section présente le contexte nécessaire à cette question. Elle aborde : i) le consensus scientifique sur l’incidence néfaste des émissions anthropiques de GES sur l’environnement et la vie humaine (section A) ; ii) l’incidence grave des changements climatiques sur les Bahamas (section B) ; et iii) le consensus scientifique sur l’action nécessaire pour limiter les changements climatiques à des niveaux durables (section C).
13. Il existe une abondance de recherches scientifiques documentant les effets destructeurs des émissions de GES générées par l’activité humaine (les « émissions anthropiques de GES ») sur
22 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/276, « Requête pour avis consultatif de la Cour internationale de justice sur les obligations des États en matière de changements climatiques », 29 mars 2023, doc. A/RES/77/276 (ci-après, la « requête pour avis consultatif sur les obligations des États en matière de changements climatiques »).
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l’environnement et la vie humaine. Les Bahamas s’appuient principalement sur les rapports d’évaluation préparés par le GIEC, l’organisme international placé sous l’égide des Nations Unies et chargé de fournir aux États des informations scientifiques sur les changements climatiques. En 2023, le GIEC a achevé son sixième cycle de rapports, publiant un certain nombre de rapports volumineux qui fournissent une vue d’ensemble de la science sur les changements climatiques, ses moteurs, ses incidences et les risques futurs, ainsi que la façon dont l’adaptation et l’atténuation peuvent réduire ces risques. Lors de chaque cycle de rapport, le GIEC évalue des milliers d’articles scientifiques reflétant un large éventail de points de vue et d’expertises, et détermine la force de l’accord scientifique dans différents domaines
23. À ce titre, ses rapports sont reconnus comme présentant les meilleures données scientifiques disponibles sur les changements climatiques.
A. Les émissions anthropiques de GES causent des dommages importants au système climatique et à d’autres parties de l’environnement
14. L’activité humaine a eu un effet profond sur le climat et, par conséquent, sur l’environnement. L’activité humaine génère des émissions de GES qui modifient la composition de l’atmosphère terrestre et entraînent un réchauffement de la planète. Ce réchauffement entraîne à son tour des phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents et plus intenses, des dommages ou des pertes d’écosystèmes étendus et souvent irréversibles, une élévation du niveau de la mer et d’autres changements ayant des répercussions négatives graves sur l’environnement et la vie humaine.
15. Des preuves scientifiques irréfutables confirment que les émissions anthropiques de gaz à effet de serre sont la cause principale des changements climatiques24. Les GES tels que le dioxyde de carbone (CO2), le méthane ou l’ozone existent naturellement dans l’atmosphère terrestre en certaines quantités25, mais l’activité humaine a provoqué une augmentation significative de leur concentration26. Les GES absorbent et émettent des rayonnements à des longueurs d’onde spécifiques, y compris les rayonnements provenant du soleil qui sont réfléchis par la surface de la Terre27. En d’autres termes, les GES piègent la chaleur. Si leur concentration dans l’atmosphère augmente de manière significative, comme c’est le cas en raison de l’activité humaine, cela entraîne une augmentation de la température moyenne à la surface de la Terre, ce que l’on appelle communément le réchauffement de la planète28.
16. Entre 2011 et 2020, la température moyenne à la surface de la Terre était supérieure de 1,1 °C à la température de référence de 1850-1900 (également appelée « niveaux préindustriels »), la première période pour laquelle il existe des données suffisantes29. 2023 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée, avec une température moyenne mondiale dépassant de 1,4-1,5 °C les niveaux de
23 Intergovernmental Panel on Climate Change, About the IPCC, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc. ch/about/.
24 Voir IPCC 2023 Synthesis Report, p. 42 et suivantes.
25 Les principaux GES présents dans l’atmosphère terrestre sont : la vapeur d’eau (H2O), le dioxyde de carbone (CO2), l’oxyde nitreux (N2O), le méthane (CH4) et l’ozone (O3). En outre, les GES d’origine humaine comprennent l’hexafluorure de soufre (SF6), les hydrofluorocarbures (HFC), les chlorofluorocarbures (CFC) et les perfluorocarbures (PFC). Voir ibid., annexe I (glossaire), p. 124.
26 Voir ibid., p. 42 et suivantes.
27 Ibid., annexe I (glossaire), p. 124.
28 Ibid.
29 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 42.
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1850-1900, poussant la moyenne décennale immédiatement précédente à 1,2 °C au-dessus des niveaux de 1850-1900
30.
17. Ce réchauffement correspond à une forte augmentation des émissions anthropiques de gaz à effet de serre générées par l’activité industrielle et d’autres activités humaines. Depuis 1990, l’homme a généré presque autant d’émissions de GES que pendant les 140 années précédentes31. En 2019, les émissions anthropiques de GES étaient supérieures de 12 % à celles de 2010 et de 54 % à celles de 199032. Cela a considérablement modifié les concentrations naturelles de GES dans l’atmosphère. Selon le GIEC, les concentrations actuelles de CO2 (le CO2 étant le principal GES) « sont plus élevées que jamais depuis au moins deux millions d’années », avec une augmentation de 47 % par rapport aux niveaux de 1750, et les concentrations de méthane et d’oxyde nitreux « ont augmenté à des niveaux sans précédent depuis au moins 800 000 ans »33.
18. En 2019, environ 34 % des émissions de GES proviennent du secteur de l’énergie, 24 % de l’industrie, 22 % de l’agriculture, de la sylviculture et des autres utilisations des terres, 15 % des transports et 6 % des bâtiments34. La combustion de combustibles fossiles est le principal facteur de réchauffement de la planète, représentant plus de 75 % des émissions de GES et près de 90 % de toutes les émissions de CO235.
19. Le GIEC a confirmé que « les activités humaines, principalement par le biais des émissions de gaz à effet de serre, ont sans équivoque provoqué le réchauffement de la planète »36.
20. Le réchauffement de la planète a des effets dévastateurs et potentiellement catastrophiques sur l’environnement, la vie humaine et notre capacité à maintenir la vie sur Terre. Voici quelques-unes de ses incidences sur le système climatique :
a) Réchauffement et acidification des océans. Environ 20-30 % des émissions anthropiques de CO2 sont finalement absorbées par l’océan, en raison de sa grande masse et de la capacité de l’eau de mer à absorber la chaleur mieux que l’air37. Le réchauffement des océans est responsable de 91 % du réchauffement du système climatique, et la perte de glace de 3 % supplémentaires38. L’absorption du CO2 de l’atmosphère non seulement réchauffe l’océan, mais réduit également le pH de l’océan et le rend plus acide au fil du temps39. Cette situation a des répercussions négatives
30 WMO 2023 Provisional Report on the State of the Climate, p. 2.
31 Voir IPCC 2023 Synthesis Report, p. 44.
32 Ibid.
33 Ibid., p. 42 (les italiques sont de nous).
34 Ibid., p. 44.
35 Nations Unies, « Causes du changement climatique », accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/fr/ climatechange/science/causes-effects-climate-change. Voir aussi IPCC 2023 Synthesis Report, p. 8.
36 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 42.
37 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, « L’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique » (2019) (ci-après, le « rapport spécial 2019 du GIEC sur l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique »), p. 9.
38 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 46.
39 Voir Secretariat of the Convention on Biological Diversity, Scientific Synthesis of the Impacts of Ocean Acidification on Marine Biodiversity, CBD Technical Series No. 46 (2009), p. 9-10 ; IPCC 2023 Synthesis Report, p. 46.
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sur les écosystèmes côtiers et la vie marine, notamment les récifs coralliens, les mangroves, les herbiers marins et les pêcheries
40.
b) Élévation du niveau de la mer. Le niveau moyen mondial de la mer a augmenté de 0,2 mètre entre 1901 et 2018, et le rythme de cette augmentation a doublé entre 2006 et 201841. En conséquence, les petits États insulaires tels que les Bahamas ont déjà connu de graves inondations, l’érosion côtière, la disparition d’îles récifales, les pertes forestières des mangroves et la contamination de l’eau douce42, comme nous le verrons plus en détail dans la section suivante. L’effet des émissions de GES passées et présentes est tel que même dans le scénario des émissions de GES les plus faibles modélisé par le GIEC, qui limite le réchauffement de la planète à 1,5 ºC, « [l]’élévation du niveau de la mer est inévitable pendant des siècles, voire des millénaires, en raison de la poursuite du réchauffement des océans profonds et de la fonte des nappes glaciaires, et le niveau de la mer restera élevé pendant des milliers d’années »43. Même un réchauffement de 1,5 °C pourrait entraîner une élévation du niveau de la mer de 2-3 mètres au cours des 2 000 prochaines années44, causant la disparition quasi-totale des Bahamas et de nombreux autres petits États insulaires. En fait, des atolls de faible altitude comme les îles Marshall ou Kiribati risquent d’être submergés d’ici à 2100, et certains deviendront inhabitables bien avant cette date45.
c) Événements climatiques extrêmes. Le réchauffement de la planète a entraîné une augmentation marquée de la fréquence et de l’intensité des phénomènes météorologiques extrêmes dans toutes les régions du globe, notamment les vagues de chaleur, les fortes pluies, les sécheresses et les cyclones tropicaux46. La section suivante décrit les effets des récents phénomènes météorologiques extrêmes sur les Bahamas, dont la fréquence, l’intensité et l’ampleur ne feront qu’augmenter à mesure que le réchauffement climatique s’accentuera, et qui se produiront de plus en plus souvent simultanément47. Les événements extrêmes liés au niveau de la mer, tels que les ondes de tempête, qui se produisaient une fois par siècle dans un passé récent, devraient se produire chaque année d’ici à 210048.
d) Dommages irréversibles et perte d’écosystèmes. Le réchauffement de la planète a entraîné la disparition d’espèces, la désertification et la dégradation des sols, la fonte des glaciers et de la calotte glaciaire, ainsi que le dégel du pergélisol, ou y a contribué de manière significative49. À l’échelle mondiale, près de 50 % des zones côtières humides ont disparu au cours des 100 dernières années, et les récifs coralliens vivants ont presque diminué de moitié au cours des 150 dernières années50. Même en limitant le réchauffement climatique à 1,5 °C, 14 % des dizaines de milliers d’espèces seraient confrontées à un risque d’extinction très élevé et les récifs
40 Rapport spécial 2019 du GIEC sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, p. 55.
41 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 46.
42 Voir Intergovernmental Panel on Climate Change, Climate Change: Impacts, Adaptation and Vulnerability (2022) (ci-après, « IPCC2022 Report on Impacts, Adaptation and Vulnerability »), p. 2053-2063 (discussion des incidences des changements climatiques sur les petites îles).
43 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 77.
44 Ibid.
45 « Sink or swim: Can island states survive the climate crisis? », UN News (31 July 2021), accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/en/story/2021/07/1096642.
46 Voir IPCC 2023 Synthesis Report, p. 46.
47 Voir ibid., p. 69, 97-100.
48 Ibid., p. 77.
49 Voir ibid., p. 46.
50 Ibid., p. 46 ; Nations Unies, « Pourquoi la biodiversité est importante », accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/fr/climatechange/science/climate-issues/biodiversity.
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coralliens déclineraient de 70-90 %
51. Nombre de ces changements sont « irréversibles sur des échelles de temps allant du siècle au millénaire »52.
21. Lors de l’ouverture de la vingt-huitième session de la Conférence des Parties en novembre 2023, le Secrétaire général des Nations Unies a déclaré : « Nous vivons un effondrement climatique en temps réel et les conséquences sont dévastatrices »53. En effet, les changements climatiques ont des implications directes et graves pour la vie humaine actuelle et future, notamment :
a) Insécurité alimentaire et hydrique. Les changements climatiques, notamment les phénomènes météorologiques extrêmes, le réchauffement des océans et l’acidification, ont eu des répercussions sur les récoltes, la pêche, les ressources en eau douce et d’autres moyens de subsistance, exposant ainsi des millions de personnes à l’insécurité alimentaire et hydrique54. Par exemple, la superficie mondiale des terres touchées par une sécheresse extrême est passée de 18 % en 1951-1960 à 47 % en 2013-2022, mettant en péril la sécurité de l’eau, l’assainissement et la production alimentaire55. Environ la moitié de la population mondiale souffre actuellement d’une grave pénurie d’eau pendant une partie de l’année, en raison d’une combinaison de causes climatiques et autres56.
b) Augmentation de la morbidité et de la mortalité, et autres effets négatifs sur la santé. Des milliers de personnes meurent ou tombent malades en raison des vagues de chaleur, des inondations, de la sécheresse et des maladies liées au climat telles que la maladie de Lyme, le virus du Nil occidental, la fièvre de la vallée et les maladies transmises par l’eau causées par l’agent pathogène Vibrio57. Les décès liés à la chaleur chez les personnes âgées de 65 ans et plus ont augmenté de 85 % en vingt ans58. L’Organisation mondiale de la santé estime qu’entre 2030 et 2050, les changements climatiques entraîneront environ 250 000 décès supplémentaires par an, uniquement dus à la sous-nutrition, au paludisme, à la diarrhée et au stress thermique59. En outre, les changements climatiques augmentent probablement le risque et la prévalence d’un certain nombre de maladies courantes, notamment les maladies cardiovasculaires et respiratoires, ainsi que le cancer60.
c) Déplacement à grande échelle. Les changements climatiques entraînent également des déplacements à grande échelle à l’intérieur des États et au-delà des frontières. Le GIEC a constaté que les conditions météorologiques extrêmes entraînent de plus en plus de déplacements en Afrique, en Asie, en Amérique du Nord, en Amérique centrale et en Amérique du Sud, les petits États insulaires des Caraïbes et du Pacifique Sud étant touchés de manière disproportionnée par
51 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 71.
52 Ibid., p. 69.
53 « Science points to “climate collapse” as UN chief calls COP28 to action », UN News (30 November 2023), accessible à l’adresse suivante : https://news.un.org/en/story/2023/11/1144147.
54 Voir IPCC 2023 Synthesis Report, p.50 ; WMO 2023 Provisional Report on the State of the Climate, p. 25.
55 M. Romanello et al., « The 2023 report of the Lancet Countdown on health and climate change: the imperative for a health-centred response in a world facing irreversible harms », 402 The Lancet (2023) 2346 (ci-après, « The Lancet 2023 Health and Climate Change Report »), p. 2346.
56 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 50.
57 Ibid., p. 50-51 ; IPCC 2022 Report on Impacts, Adaptation and Vulnerability, p. 11, 291 ; Centers for Disease Control and Prevention, Climate Change and Infectious Diseases, accessible à l’adresse suivante : https://www.cdc.gov/ ncezid/what-we-do/climate-change-and-infectious-diseases/index.html.
58 The Lancet 2023 Health and Climate Change Report, p. 2346.
59 Organisation mondiale de la santé, « Changement climatique » (12 octobre 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/climate-change-and-health.
60 Voir IPCC 2022 Report on Impacts, Adaptation and Vulnerability, p. 1071-1072.
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rapport à la taille réduite de leur population
61. Rien qu’en 2022, les catastrophes ont provoqué le déplacement de 32,6 millions de personnes, soit 41 % de plus que la moyenne annuelle de la dernière décennie62. 98 % des personnes déplacées l’ont été en raison de risques météorologiques tels que les tempêtes, les inondations et les sécheresses63. La section suivante décrit les graves conséquences du déplacement prolongé d’une partie de la population des Bahamas à la suite des récents événements climatiques extrêmes.
d) Pertes économiques, matérielles et autres à grande échelle. Les changements climatiques affectent les moyens de subsistance des populations et ont des répercussions économiques et sociétales à l’échelle mondiale64, les pays à faible revenu étant plus vulnérables que les autres65. Les dommages économiques globaux causés par les changements climatiques pour la période 2008-2200 sont estimés à 48,7 billions de dollars pour un réchauffement global d’environ 1,5 °C et à 60,7 billions de dollars pour un réchauffement de 2 °C66.
e) Aggravation des effets humanitaires. Les changements climatiques et leurs effets, tels que la pénurie de nourriture et d’eau, peuvent conduire ou contribuer de manière significative au déclenchement et à l’escalade de conflits et d’autres urgences humanitaires, notamment en aggravant et en additionnant l’incidence d’autres facteurs de risque tels que la pauvreté et l’inégalité67. Les conflits sapent à leur tour la capacité des États à atténuer les changements climatiques et à s’y adapter, et alimentent un cercle vicieux de crises humanitaires68.
22. Si ces effets négatifs sont ressentis à l’échelle mondiale, ils touchent plus durement ceux qui contribuent le moins aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Au niveau régional, les pays les moins avancés et les petits États insulaires tels que les Bahamas ont des émissions de GES par habitant bien inférieures à la moyenne mondiale, mais ils supportent une grande partie du fardeau des changements climatiques en raison de leur géographie, de leur topographie, de leurs ressources limitées et de leur dépendance vis-à-vis de la pêche, de l’agriculture et de la sylviculture69. Même au sein des États et des régions, certains groupes et individus sont affectés de manière disproportionnée par les changements climatiques en raison de leur statut socio-économique ou autre, notamment les
61 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 51.
62 Portail sur les données migratoires, « Migration environnementale » (8 juin 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/migration-environnementale.
63 Ibid.
64 Voir IPCC 2023 Synthesis Report, p. 51.
65 Voir International Monetary Fund, Climate Change: Climate and the Economy, accessible à l’adresse suivante : https://www.imf.org/en/Topics/climate-change/climate-and-the-economy.
66 R. Warren et al., « Global and regional aggregate damages associated with global warming of 1.5 to 4oC above pre-industrial levels », 168 Climatic Change (2021) 23, p. 24.
67 Voir United Nations Framework Convention on Climate Change Secretariat, Conflict and Climate (12 July 2022), accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/news/conflict-and-climate ; H. Buhaug, « Armed conflict and climate change: how these two threats play out in Africa », The Conversation (9 November 2022), accessible à l’adresse suivante : https://theconversation.com/armed-conflict-and-climate-change-how-these-two-threats-play-out-in-africa-193865 ; António Guterres, Secrétaire général des Nations Unies, « Climat : devant le Conseil de sécurité, le Secrétaire général propose des voies pour gérer les effets indéniables des changements climatiques sur la sécurité » (9 décembre 2021), accessible à l’adresse suivante : https://press.un.org/fr/2021/sgsm21074.doc.htm ; L. Jaramillo et al., « Climate Challenges in Fragile and Conflict-Affected States », International Monetary Fund Staff Climate Note No. 2023/001 (30 August 2023).
68 Voir H. Buhaug, « Armed conflict and climate change: how these two threats play out in Africa », The Conversation (9 November 2022), accessible à l’adresse suivante : https://theconversation.com/armed-conflict-and-climate-change-how-these-two-threats-play-out-in-africa-193865 ; N. von Uexkull et al., « Drought, Resilience, and Support for Violence: Household Survey Evidence from DR Congo », 64 Journal of Conflict Resolution (2020) 1994.
69 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 44, 51. Voir, de manière générale, N. Taconet et al., « Influence of climate change impacts and mitigation costs on inequality between countries », 160 Climatic Change (2020) 15.
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femmes et en particulier les ménages dirigés par une femme, les enfants, les personnes handicapées, les populations autochtones, les minorités ethniques et d’autres groupes socialement marginalisés
70.
B. L’incidence spécifique des changements climatiques sur les Bahamas
23. Les Bahamas sont une nation insulaire située à l’extrémité nord-ouest des Antilles, dans l’océan Atlantique. Son territoire terrestre comprend plus de 700 îles coralliennes et 2 400 cayes, et s’étend sur une superficie d’environ 5 358 milles carrés71, ce qui en fait l’un des plus grands États archipélagiques du monde72. Le pays a obtenu son indépendance en 1973 et est depuis lors une démocratie parlementaire dynamique et un membre actif du Commonwealth des Nations et des Nations Unies.
Figure 1 Localisation de l’archipel des Bahamas, montrant le Petit Banc des Bahamas au nord-ouest, la Langue de l’Océan entre les îles d’Andros et de New Providence dans le Grand Banc des Bahamas, et l’Exuma Sound à l’est des Exumas
Légende :
Map of the Commonwealth of The Bahamas
=
Carte du Commonwealth des Bahamas
24. La population des Bahamas est d’environ 409 984 habitants, dont près de 90 % résident sur les îles de New Providence, Grand Bahama et Abaco, et le reste sur vingt-six autres îles73. La plupart des infrastructures et des établissements humains sont situés près des côtes, où ils sont
70 Voir IPCC 2023 Synthesis Report, p. 51 ; World Bank, Social Dimensions of Climate Change (1st April 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.worldbank.org/en/topic/social-dimensions-of-climate-change.
71 The Commonwealth of The Bahamas, Overview of The Bahamas, accessible à l’adresse suivante : https:// tinyurl.com/The-Bahamas-Overview. Voir aussi The Bahamas 2022 Updated NDC, p. 9.
72 Voir The Bahamas 2022 Updated NDC, p. 9.
73 Ibid., p. 8-9.
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vulnérables aux inondations périodiques et à la menace croissante de l’élévation du niveau de la mer
74.
25. Une grande partie de l’archipel des Bahamas est constituée de plates-formes carbonatées peu profondes et submergées, dont la profondeur est généralement inférieure à 10 mètres75. La totalité de la masse terrestre côtière de roches et de sable, et 80 % de la masse terrestre totale, se trouvent à moins de 1,5 mètre au-dessus du niveau de la mer76.
26. Les Bahamas n’ont pas de véritables rivières, seulement des étangs et des lacs. Les précipitations sont le seul moyen de reconstituer les réserves d’eau douce des nappes phréatiques77. La baisse des précipitations dans le sud-est a entraîné une contamination de l’eau douce, des dommages aux infrastructures hydrologiques et une diminution générale de l’approvisionnement en eau potable. Ces défis à la sécurité de l’eau sont également liés aux changements climatiques78.
27. Les zones et habitats côtiers et marins comprennent les plages de sable, les rivages rocheux, les herbiers marins, les récifs coralliens et les mangroves ; une zone tampon de végétation de mangrove sépare la terre de l’environnement côtier et marin79. La résilience environnementale et économique du pays dépend de ces caractéristiques géographiques80. Les écosystèmes côtiers et marins contiennent un degré élevé de diversité biologique et sont reconnus comme des zones d’une beauté naturelle exceptionnelle. Ces caractéristiques contribuent à jeter les bases d’une économie fondée sur le tourisme, en offrant de nombreuses possibilités d’écotourisme, de récolte durable et de moyens de subsistance81.
28. Le tourisme est le secteur le plus important de l’économie bahaméenne : il représente environ la moitié du PIB annuel. Un peu moins de la moitié de la population active est directement employée dans le tourisme ; ce chiffre passe à 70 % si l’on tient compte des emplois indirects liés au tourisme82. L’hébergement est l’élément clé de l’industrie du tourisme, les éléments auxiliaires étant la restauration, les loisirs, le transport, les attractions touristiques et les conférences. Le secteur du tourisme est très vulnérable aux changements climatiques et aux événements météorologiques inhabituels ou extrêmes. Par exemple, les effets de l’ouragan Dorian en 2019, combinés à l’apparition de la pandémie de COVID-19 à l’échelle mondiale, ont entraîné une chute de 75 % du nombre de visiteurs en escale dans le pays en 202083.
74 Ibid., p. 9-11.
75 Voir World Bank Group Climate Change Knowledge Portal, Climate Change Overview: The Bahamas, accessible à l’adresse suivante : https://climateknowledgeportal.worldbank.org/country/bahamas ; annexe 1, The Commonwealth of The Bahamas, National Policy for the Adaptation to Climate Change (March 2005), p. 1.
76 Annexe 2, The Commonwealth of The Bahamas, First Biennial Update Report (BUR1) of The Commonwealth of The Bahamas to the United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC) (December 2022) (ci-après, « The Bahamas First Biennial Update Report »), p. 25, 61.
77 Ibid., p. 63.
78 Voir ibid., p. 25, 64-66.
79 Voir ibid., p. 63, 94.
80 Voir ibid., p. 94.
81 Voir ibid., p. 92.
82 Ibid., p. 76.
83 Ibid., p. 25-26, 80.
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29. L’agriculture et la pêche sont d’autres composantes essentielles de l’économie bahaméenne. La pêche contribue chaque année à l’économie à hauteur d’environ 80 millions de dollars en devises, tout en fournissant un emploi à temps plein à 9 300 pêcheurs commerciaux et des milliers d’autres emplois dans la pêche récréative, la transformation du poisson, la vente au détail et le commerce, ainsi que dans les services auxiliaires84. La pêche sportive et récréative contribue à l’économie nationale à hauteur d’environ 500 millions de dollars des États-Unis par an et emploie plus de 18 000 Bahamiens85. Le pays dispose également d’un secteur financier (qui représente environ 15 % du PIB) et d’un secteur manufacturier (qui, avec l’agriculture, contribue à hauteur de 7 % au PIB)86.
30. Comme indiqué ci-dessous, tous les systèmes sociaux, humains et naturels des Bahamas sont confrontés à une menace existentielle liée à la crise climatique. Comme d’autres petits États insulaires, les Bahamas ont été et continueront d’être affectés de manière disproportionnée par les changements climatiques. La géographie, le climat et les caractéristiques environnementales du territoire le rendent extrêmement vulnérable aux incidences néfastes associées aux changements climatiques87, y compris les phénomènes associés tels que les cyclones tropicaux, les ondes de tempête, l’élévation du niveau de la mer, l’érosion côtière et la destruction des habitats et des écosystèmes88. L’ampleur de cette menace est soulignée par le fait que les Bahamas sont classées au troisième rang mondial dans l’indice de risque climatique 2021, qui analyse la mesure dans laquelle les pays sont affectés par les effets des événements météorologiques89. Tout cela en dépit du fait que les Bahamas ont apporté des contributions de minimis aux changements climatiques, et que leur part des émissions mondiales de GES est estimée à 0,01 % au maximum90.
1. Incidences sur le système météorologique : ouragans, cyclones tropicaux et autres phénomènes météorologiques extrêmes
31. Les changements climatiques ont considérablement modifié les schémas météorologiques dans l’Atlantique, rendant les ouragans plus destructeurs pour les infrastructures et l’environnement bâti91, avec des effets graves sur l’économie bahaméenne et la santé physique et mentale des populations côtières92. Le GIEC a conclu avec un « degré de confiance élevé » que les changements climatiques anthropiques sont la cause de l’augmentation de l’intensité de ces cyclones tropicaux et des incidences associées93.
84 Ibid., p. 26.
85 Ibid., p. 84.
86 Ibid., p. 27, 75.
87 Voir The Commonwealth of The Bahamas, Intended Nationally Determined Contribution (NDC) Under the United National Framework Convention on Climate Change (17 November 2015) (ci-après, « The Bahamas 2015 NDC »), p. 1.
88 Voir IPCC 2023 Synthesis Report, p. 51 ; IPCC 2022 Report on Impacts, Adaptation and Vulnerability, p. 2045.
89 Germanwatch, Global Climate Risk Index 2021 (January 2021), p. 8 ; annexe 2, The Bahamas First Biennial Update Report, p. 25.
90 The Bahamas 2022 Updated NDC, p. 16.
91 Le terme « ouragan » est un nom spécifique à une région pour désigner un « cyclone tropical » dans les océans Atlantique Nord et Pacifique Nord-Est.
92 Voir, par exemple, J. M. Shultz et al., « Double Environmental Injustice - Climate Change, Hurricane Dorian, and the Bahamas », 382 New England Journal of Medicine (2020) 1, p. 1.
93 Rapport spécial 2019 du GIEC sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, p. 11.
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32. La situation de l’archipel des Bahamas — dans la zone que les météorologues appellent la « ceinture des ouragans » — le rend particulièrement vulnérable aux risques posés par une augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes94. Entre le début du XXe siècle et 2020, les Bahamas ont été confrontées à 55 ouragans, dont 13 ont été classés dans la catégorie « intensité élevée »95. Depuis 1990, elles ont connu une augmentation des tempêtes tropicales liée aux changements du schéma El Niño96 et une augmentation des vagues de chaleur97. Entre 2015 et 2019, le pays a été frappé par quatre ouragans de catégorie 4 à 598. Le graphique ci-dessous, publié par la Banque mondiale, illustre l’augmentation marquée de l’intensité et de la fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes aux Bahamas au cours des quatre dernières décennies99.
Légende :
Key Natural Hazard Statistics for 1980-2020
=
Principales statistiques sur les risques naturels pour la période 1980-2020
Number of people affected
=
Nombre de personnes touchées
Flood
=
Inondation
Storm
=
Tempête
33. En 2019, l’ouragan Dorian a apporté des vents violents et des ondes de tempête dévastatrices100. C’est l’ouragan le plus puissant qui ait jamais frappé les Bahamas : il a fait au moins 200 morts, de nombreux disparus et près de 10 000 personnes déplacées de leurs maisons et de leurs
94 Voir A. Wright, N. Rolle, A. Clarke, Global Warming and the Bahamas, Central Bank of The Bahamas Working Paper (30 March 2023), p. 1.
95 Inter-American Development Bank, Impact of Hurricane Dorian in The Bahamas: A View from the Sky (January 2020), p. 3-4.
96 El Niño – oscillation australe (« ENSO ») est un phénomène climatique naturel à grande échelle impliquant des fluctuations de la température des océans dans le centre et l’est du Pacifique équatorial, couplées à des changements dans l’atmosphère au-dessus. Voir Organisation mondiale de la santé, El Niño-Oscillation australe (ENSO) (9 novembre 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/el-nino-southern-oscillation-(enso).
97 The Bahamas 2022 Updated NDC, p. 10.
98 Ibid., p. 10-11.
99 World Bank Group, The Bahamas: Natural Hazard Statistics (2021), accessible à l’adresse suivante : https:// climateknowledgeportal.worldbank.org/country/bahamas/vulnerability.
100 Inter-American Development Bank, Assessment of the Effects and Impacts of Hurricane Dorian in the Bahamas (August 2020), p. 14.
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communautés
101. Il a également détruit plus de 9 000 habitations et gravement endommagé des infrastructures essentielles, notamment le deuxième hôpital public des Bahamas, des dizaines d’écoles, des routes, des aéroports et des ports maritimes, ainsi que des réseaux de production et de transmission d’électricité102. Sur l’île d’Abaco, particulièrement touchée, plus de 75 % des habitations ont été affectées, dont un tiers ont été complètement détruites103. La photo ci-dessous montre une vue aérienne des destructions causées par l’ouragan Dorian à Marsh Harbour et sur l’île de Great Abaco le 4 septembre 2019104.
34. L’ouragan Dorian continue de peser lourdement sur l’économie des Bahamas. Les dégâts causés par l’ouragan ont atteint environ 3 milliards de dollars des États-Unis, entraînant une baisse du PIB national de 1 %. Pour financer les secours, les Bahamas n’ont eu d’autre choix que de réaffecter les dépenses publiques des infrastructures essentielles et des programmes d’aide sociale105, et de contracter des dettes internationales élevées, notamment un prêt de 100 millions de dollars de la Banque interaméricaine de développement106 et un prêt de 50 millions de dollars de la Banque de
101 Voir The Bahamas High Commission London, NEMA Briefing by Prime Minister Minnis (4 September 2019), accessible à l’adresse suivante : https://www.bahamashclondon.net/nema-briefing-by-prime-minister-minnis/ ; Inter-American Development Bank, Assessment of the Effects and Impacts of Hurricane Dorian in the Bahamas (August 2020), p. 18, 47-49.
102 Inter-American Development Bank, Assessment of the Effects and Impacts of Hurricane Dorian in the Bahamas (August 2020), p. 57, 65, 71, 81, 93.
103 Ibid., p. 59.
104 Photo de Scott Olson, Getty Images.
105 Voir International Monetary Fund, IMF Staff Concludes Visit to The Bahamas (4 February 2020), accessible à l’adresse suivante : https://www.imf.org/en/News/Articles/2020/02/04/pr2032-bahamas-imf-staff-concludes-visit.
106 Inter-American Development Bank, Hurricane Dorian: IDB provides $100 million in emergency funding line to The Bahamas (6 September 2019), accessible à l’adresse suivante : https://www.iadb.org/en/news/hurricane-dorian-idb-provides-100-million-emergency-funding-line-bahamas.
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développement des Caraïbes
107. Les remboursements sont en cours et continuent d’entraver la capacité des Bahamas à atteindre leurs objectifs macroéconomiques et de croissance économique.
35. L’économie des Bahamas étant fortement tributaire du tourisme, le pays est particulièrement vulnérable à l’intensité croissante des cyclones tropicaux et des ondes de tempête. Trente-quatre pour cent des entreprises liées au tourisme à New Providence et à Paradise Island sont situées dans une zone d’ondes de tempête de catégorie 1, ce qui les met en danger en cas de tempête de catégorie 1. Plus de 83 % de ces entreprises sont situées dans une zone d’ondes de tempête de catégorie 5108. On estime actuellement que les phénomènes météorologiques extrêmes causés par les changements climatiques entraîneront une perte de 9 % du PIB annuel des Bahamas d’ici à 2030 et une perte de 34 % de la valeur des côtes sur une période de 50 ans109.
36. L’incidence des phénomènes météorologiques extrêmes ne se limite pas aux dommages économiques. Ces événements laissent également derrière eux « une traînée de chagrin, de douleur et de mort »110. Le coût humain comprend la perte culturelle et le déplacement des communautés de leurs terres ancestrales. Par exemple, toute la population de Ragged Island a été déplacée à la suite de l’ouragan Irma en 2017, lorsque l’île a été submergée et rendue inhabitable. La plupart de ses infrastructures, y compris les écoles, les dispensaires et les services publics essentiels, ont été réduits à l’état de ruines111. Les perturbations et les déplacements qui en ont résulté ont menacé l’identité et le sens de la cohésion de la communauté112, et détruit d’importantes structures sociales113.
37. Si la perte de vies humaines est sans aucun doute le coût le plus élevé des phénomènes météorologiques extrêmes, les milliers de personnes qui survivent subissent souvent des dommages importants à leur santé physique et mentale. Par exemple, le manque d’accès à l’eau potable, aux toilettes et aux installations de lavage, ainsi qu’aux médicaments, expose des milliers de personnes à des risques de maladie à la suite d’ouragans et de tempêtes tropicales. Les grandes quantités d’eau stagnante et non traitée laissées dans le sillage de ces événements constituent également un terrain de reproduction privilégié pour les moustiques, ce qui favorise l’apparition de maladies telles que la dengue, le chikungunya et le Zika114. L’économie des Bahamas étant très dépendante des importations étrangères, lorsque l’accès et les connexions aux marchés extérieurs sont réduits en raison de catastrophes naturelles, les conséquences économiques et humanitaires peuvent être catastrophiques115. Les conséquences sur la santé mentale sont également désastreuses. Par exemple, des études montrent que les survivants exposés à des risques de tempêtes extrêmes pendant et après l’ouragan Dorian courent un « risque élevé de développer un syndrome de stress post-traumatique »
107 Caribbean Development Bank, CDB to provide USD50 million loan to The Bahamas for recovery and reform after Hurricane Dorian (17 December 2019), accessible à l’adresse suivante : https://www.caribank.org/newsroom/news-and-events/cdb-provide-usd50-million-loan-bahamas-recovery-and-reform-after-hurricane-dorian-0.
108 A. Pathak et al., « Impacts of climate change on the tourism sector of a Small Island Developing State: A case study for the Bahamas », 37 Environmental Development (2021) 1, p. 10.
109 K. Sealey & E. Strobl, « A hurricane loss risk assessment of coastal properties in the Caribbean: Evidence from the Bahamas », 149 Ocean & Coastal Management (2017) 42, p. 2-3.
110 Inter-American Development Bank, Assessment of the Effects and Impacts of Hurricane Dorian in the Bahamas (August 2020), avant-propos (les italiques sont de nous).
111 Voir IPCC 2022 Report on Impacts, Adaptation and Vulnerability, p. 1206.
112 Ibid., p. 2069.
113 Ibid.
114 International Federation of Red Cross and Red Crescent Societies, Emergency Plan of Action Operation Update No. 2, The Bahamas: Hurricane Dorian (8 October 2019), p. 13.
115 International Monetary Fund, The Bahamas, Country Report No. 24/039 (January 2024), p. 29, 38-39 ; World Bank, Macro Poverty Outlook: The Bahamas (April 2023), p. 1-2.
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et que ceux qui ont subi des pertes massives ont souffert de « dépressions majeures ou de troubles anxieux »
116. Cela concorde avec les conclusions à « degré de confiance élevé » du GIEC selon lesquelles l’augmentation rapide des changements climatiques constitue une menace croissante pour la santé mentale et le bien-être psychosocial, notamment la détresse émotionnelle, l’anxiété, la dépression, le chagrin et le comportement suicidaire117.
2. Incidences sur le territoire terrestre : élévation du niveau de la mer, inondation du territoire et menaces pour les systèmes socio-économiques
38. Les îles des Bahamas sont extrêmement sensibles aux effets de l’élévation du niveau de la mer en raison de leur faible altitude. Il est alarmant de constater que, selon les estimations, le niveau moyen de la mer s’élèvera de 0,43 à 0,84 mètre d’ici à 2100118, ce qui serait catastrophique pour les Bahamas. Par rapport aux nations insulaires voisines, les Bahamas sont confrontées « de loin » à la plus grande menace proportionnelle liée à l’élévation du niveau de la mer, étant donné que 32 % de leur territoire, 25 % de leur population et 13 % de leur infrastructure Internet se trouvent à moins de 0,5 mètre au-dessus du niveau de la mer119.
39. Les îles du nord, telles que Grand Bahama et Abaco, sont les plus exposées à l’élévation du niveau de la mer, par rapport aux îles du centre et du sud, dont les terrains sont plus élevés et les infrastructures moins développées120. Les cartes ci-dessous indiquent en rouge la superficie des terres qui, d’ici 2100, devrait se trouver sous le niveau des crues annuelles en raison des inondations et de l’élévation du niveau de la mer, d’après les scénarios de modélisation probabiliste121.
116 J. M. Shultz et al., « Double Environmental Injustice - Climate Change, Hurricane Dorian, and the Bahamas », 382 New England Journal of Medicine (2020) 1, p. 2.
117 Voir IPCC 2022 Report on Impacts, Adaptation and Vulnerability, p. 1076-1078.
118 Rapport spécial 2019 du GIEC sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, p. 324.
119 B. Strauss & S. Kulp, Sea-level rise threats in the Caribbean: Data, tools, and analysis for a more resilient future, Inter-American Development Bank (2018), p. 1 (les italiques sont de nous).
120 Voir F. Martin del Campo et al., « The Bahamas at risk: Material stocks, sea-level rise, and the implications for development », 27 Journal of Industrial Ecology (2023) 1165, p. 1172.
121 R. Martyr-Koller et al., « Loss and damage implications of sea-level rise on Small Island Developing States », 50 Current Opinion in Environment Sustainability (2021) 245, p. 250.
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40. Bien avant que ces étendues de territoire ne soient submergées, l’élévation du niveau de la mer présentera des risques majeurs pour les Bahamas, notamment en raison de l’érosion côtière, des inondations, de la salinisation et des risques associés pour la sécurité de l’eau et de l’alimentation. Des mesures d’adaptation ont déjà été prises pour compenser la contamination et la perte d’aquifères importants après les tempêtes précédentes. L’osmose inverse, technologie qui consomme beaucoup d’énergie et dont l’entretien est coûteux, est actuellement la plus grande source d’eau potable aux Bahamas. Le GIEC a conclu avec un « degré de confiance très élevé » que l’incidence et la gravité de ces risques ne feront que continuer à augmenter de manière significative d’ici la fin du siècle sans efforts d’adaptation majeurs122.
41. Le risque de salinisation des sources d’eau douce est une préoccupation majeure pour les Bahamas, l’intrusion saline étant la menace la plus importante pour la sécurité de l’eau dans le pays123. Les sources d’eau douce sont rares, étant donné que le ruissellement des eaux de surface est modérément faible et que les îles des Bahamas n’ont pas de rivières d’eau douce124. De minces « lentilles » d’eau douce se déposent par précipitation à la surface des eaux hypersalines qui se
122 Rapport spécial 2019 du GIEC sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, p. 324.
123 Voir annexe 3, The Commonwealth of The Bahamas, The Second Communication of The Commonwealth of The Bahamas under the United Nations Framework Convention on Climate Change (September 2014) (ci-après, « Second Communication of The Bahamas under the UNFCCC »), p. 137 ; annexe 2, The Bahamas First Biennial Update Report, p. 64-65.
124 ICF Consulting, The Bahamas National Report Integrating Management of Watersheds and Coastal Areas in Small Island Developing States (SIDS) of the Caribbean (31 October 2012), p. 9-10.
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trouvent dans les sub-surfaces profondes ou dans les lacs et les étangs
125. Plus de 90 % des lentilles d’eau douce se trouvent à moins de cinq pieds de la surface du sol126. Cette pénurie est aggravée par la roche calcaire et la composition du sol bahaméen, qui est extrêmement poreux et permet à l’eau salée de saturer et d’endommager les ressources en eau souterraine127. L’élévation du niveau de la mer s’accompagne d’une élévation de la nappe phréatique, ce qui entraîne une intrusion saline dans d’importantes sources d’eau douce, telles que les puits128. Les puits sont particulièrement exposés au risque de contamination par l’eau salée en cas d’ondes de tempête et d’ouragans129.
42. L’érosion côtière et les inondations causées par l’élévation du niveau de la mer constituent une autre menace sérieuse. D’ici à 2050, les Bahamas devraient subir la plus forte perte de littoral de la région des Caraïbes, estimée entre 55 % et 59 %130. On estime également que d’ici 2100, toutes les plages de sable du pays auront disparu131. Ces effets délétères sur le littoral sont déjà évidents, avec des rapports faisant état de signes significatifs d’érosion (y compris de sapement, de plage exposée et de végétation exposée) sur des îles telles que New Providence132.
43. Cette perte du littoral aura des conséquences socio-économiques et culturelles négatives importantes pour le peuple bahaméen. Par exemple, les ports naturels situés le long des fronts de mer sont le lieu d’importants développements commerciaux, tels que des magasins, des hôtels de grande taille et des immeubles résidentiels133. Il y a de « graves implications économiques et sociales » pour le secteur du tourisme (qui représente plus de 50 % du PIB) et pour les communautés dont le littoral devient inhabitable en raison de l’élévation du niveau de la mer134. On prévoit actuellement qu’une élévation d’un mètre du niveau de la mer mettrait en péril 36 % des principaux sites touristiques, 38 % des aéroports, 14 % des réseaux routiers et 90 % des ports maritimes135. En outre, jusqu’à 51 % des propriétés liées au tourisme à New Providence et à Paradise Island seraient vulnérables à une tempête de catégorie 1 et jusqu’à 90 % à une tempête de catégorie 5 dans un scénario d’élévation du niveau de la mer d’un mètre136. Les inondations et les pertes côtières auront également des effets néfastes sur le patrimoine culturel et le mode de vie des Bahamiens, qui seront invariablement privés des utilisations traditionnelles, économiques et récréatives de leur territoire côtier.
125 Ibid.
126 Ibid.
127 Voir B. Strauss & S. Kulp, Sea-level rise threats in the Caribbean: Data, tools, and analysis for a more resilient future, Inter-American Development Bank (2018), p. 2, 9 ; annexe 3, Second Communication of The Bahamas under the UNFCCC, p. 136-137.
128 Voir annexe 3, Second Communication of The Bahamas under the UNFCCC, p. 137 ; O. McNair Nixon, Impact of climate change in precipitation and potable water resources in The Bahamas (2022), p. 57.
129 The Bahamas 2022 Updated NDC, p. 11.
130 N. Spencer, E. Strobl & A. Campbell, « Sea level rise under climate change: Implications for beach tourism in the Caribbean », 225 Ocean & Coastal Management (2022) 1, p. 7.
131 A. Pathak et al., « Impacts of climate change on the tourism sector of a Small Island Developing State: A case study for the Bahamas », 37 Environmental Development (2021) 1, p. 10.
132 J. Petzold, B. M. W. Ratter & A. Holdschlag, « Competing knowledge systems and adaptability to sea-level rise in the Bahamas », Royal Geographical Society 50 (2018) 91, p. 94.
133 Voir annexe 3, Second Communication of The Bahamas under the UNFCCC, p. 138-139 ; annexe 2, The Bahamas First Biennial Update Report, p. 76.
134 Voir annexe 2, The Bahamas First Biennial Update Report, p. 75-76.
135 K. H. Wyatt et al., « Integrated and innovative scenario approaches for sustainable development planning in The Bahamas », 26 Ecology and Society (2021), p. 3-4.
136 A. Pathak et al., « Impacts of climate change on the tourism sector of a Small Island Developing State: A case study for the Bahamas », 37 Environmental Development (2021) 1, p. 10.
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44. Enfin, l’élévation du niveau de la mer et l’érosion côtière, si elles ne sont pas atténuées, auront des effets en cascade sur l’intégrité territoriale des Bahamas. En tant qu’État archipélagique, ses lignes de base et ses zones maritimes sont d’une importance essentielle pour l’exercice de sa souveraineté et sa capacité à exploiter les ressources naturelles relevant de sa juridiction. Avec l’élévation du niveau de la mer et l’érosion des côtes, les lignes de base se déplaceront vers l’intérieur et les îlots périphériques, les récifs et la masse continentale des îles seront submergés. Si cette situation a une incidence socio-économique catastrophique sur le logement, les infrastructures et le tourisme, elle peut également entraîner une perte de territoire et une réduction des droits maritimes reconnus par le droit international137.
45. L’exercice de la souveraineté sur leurs zones maritimes est vital pour la capacité des Bahamas à protéger leur environnement marin et à garantir leurs droits économiques sur les ressources marines. Par exemple, elles ont adopté une législation interdisant la pêche d’espèces écologiquement importantes ou rares et ont désigné des zones marines protégées138. Elles ont également préservé la pêche dans leur zone économique exclusive pour les seuls ressortissants bahaméens afin de garantir leurs intérêts nationaux et d’assurer la subsistance de leurs citoyens139. Toutefois, l’élévation non atténuée du niveau de la mer menace de causer des dommages graves et irréparables à ces intérêts et à d’autres intérêts des Bahamas en ce qui concerne l’intégrité territoriale et maritime.
3. Incidences sur le milieu marin : destruction des écosystèmes, des habitats et des espèces marins
46. L’augmentation de la température des mers, les vagues de chaleur et d’autres changements d’origine climatique dans la composition physique et chimique des océans ont eu des répercussions importantes sur l’environnement marin et augmentent le risque de perte irréversible des écosystèmes qui soutiennent la vie aquatique et l’activité économique. Comme indiqué ci-dessous, bon nombre de ces changements affectent les Bahamas et continueront à le faire.
a) Acidification des océans
47. L’acidification des océans est un processus par lequel l’absorption du dioxyde de carbone de l’atmosphère entraîne une réduction du pH des océans et les rend plus acides au fil du temps140. Il s’agit d’une autre menace majeure pour l’environnement marin. Des recherches scientifiques menées aux Bahamas ont confirmé que l’acidification des océans se poursuit à un rythme soutenu et qu’elle devrait « augmenter de manière significative dans les Caraïbes au cours des prochaines décennies »141.
48. L’acidification croissante des océans a eu une incidence significative sur les écosystèmes du territoire bahaméen, notamment sur les récifs coralliens, les mangroves et les herbiers marins,
137 Voir sect. V.B.3, ci-dessous ; Commission du droit international, « L’élévation du niveau de la mer au regard du droit international », doc. A/CN.4/740 (28 février 2020), par. 76.
138 Voir, par exemple, Fisheries Act of The Bahamas (2020), art. 30, 35, accessible l’adresse suivante : https://nfa bahamas.org/resources.
139 Voir, par exemple, The Government of The Bahamas, ACP Secretariat: The Department of Marine Resources, accessible à l’adresse suivante : https://www.bahamas.gov.bs/wps/portal/public/.
140 Secretariat of the Convention on Biological Diversity, Scientific Synthesis of the Impacts of Ocean Acidification on Marine Biodiversity, CBD Technical Series No. 46, 2009, p. 9-10.
141 G. Carroll et al., « A participatory climate vulnerability assessment for recreational tidal flats fisheries in Belize and The Bahamas », 10 Frontiers in Marine Science (2023) 1, p. 11.
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ainsi que sur les stocks de poissons vitaux. Comme expliqué ci-dessus, les Bahamas dépendent fortement de la pêche, la pêche commerciale générant 80 millions de dollars des États-Unis par an et la pêche récréative contribuant à hauteur de 500 millions de dollars des États-Unis par an, parallèlement aux activités sportives et connexes, offrant des emplois à des dizaines de milliers de Bahamiens
142. L’acidification exponentielle des océans ayant des répercussions négatives sur la pêche, les conséquences économiques pour les Bahamas risquent d’être considérables.
b) Dommages aux récifs coralliens
49. Le GIEC a indiqué que les récifs coralliens sont « l’écosystème marin le plus menacé par les changements océaniques liés au climat, en particulier le réchauffement et l’acidification des océans »143. Les Bahamas, qui abritent 5 % des récifs coralliens de la planète et la troisième plus longue barrière de corail du monde144, ont subi un blanchissement important et une mortalité massive des coraux145. Par exemple, en juillet 2023, des scientifiques ont enregistré des températures océaniques atteignant 33 °C dans les eaux territoriales des Bahamas146. Ces températures exceptionnellement élevées de l’eau ont duré plusieurs mois et ont provoqué un épisode de blanchissement massif dévastateur147.
50. Les photographies ci-dessus montrent un gigantesque amas de coraux cornes d’élan situé au large du nord-ouest de l’île Rose, aux Bahamas148. Les deux photos ont été prises en 2023, à quelques semaines d’intervalle, et montrent la gravité du blanchissement, comme le montre la photo
142 Voir par. 29 ci-dessus.
143 Rapport spécial 2019 du GIEC sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, p. 379.
144 The Bahamas 2022 Updated NDC, p. 9.
145 C. Bove, L. Mudge & J. Bruno, « A century of warming on Caribbean reefs, » 1 PLOS Climate (2022) 1, p. 8.
146 T. Burrows, Coral Bleaching Crisis: Massive Bleaching Demands Major Response, Perry Institute for Marine Science (7 October 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.perryinstitute.org/coral-bleaching-crisis-massive-bleaching-demands-major-response/.
147 Ibid.
148 Les droits photographiques appartiennent au Perry Institute of Marine Science.
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de droite
149. Les scientifiques ont relevé d’autres exemples de blanchissement corallien grave dans les principaux systèmes de récifs autour du sud de New Providence, de Rose Island, de Bimini, d’Exuma, d’Abaco et d’Andros150.
51. Les récifs coralliens sont importants pour la biodiversité des Bahamas et constituent un élément essentiel du système de défense naturelle du pays contre les ondes de tempête et l’érosion151. Le réchauffement anthropique des océans altère la biodiversité et le fonctionnement écosystémique des récifs coralliens152, entraînant une grave perte d’écosystème due au blanchissement des coraux153. La destruction de l’écosystème des récifs coralliens a des conséquences environnementales et économiques importantes pour les Bahamas. Les nombreux récifs coralliens des eaux bahamiennes constituent une attraction majeure pour la plongée et d’autres activités, attirant ainsi les touristes et soutenant l’économie du tourisme154. La destruction du corail a également une incidence sur le stock de poissons, qui est vital pour l’emploi et la subsistance nutritionnelle.
c) Dommages aux mangroves
52. Les Bahamas ont également subi un assaut sur leurs écosystèmes de mangroves en raison des changements climatiques. Les écosystèmes sont composés d’arbres ou de grands arbustes tolérants au sel que l’on trouve dans les zones intertidales des littoraux tropicaux et qui jouent un rôle écologique et social important pour les communautés côtières155. Il s’agit d’écosystèmes complexes qui protègent les côtes de l’érosion, reconstituent les sols côtiers et réduisent l’incidence des tempêtes sur les populations côtières156. Ils sont interdépendants d’autres écosystèmes proches, tels que les récifs coralliens et les herbiers marins157, et fournissent des habitats pour les espèces
149 T. Burrows, Coral Bleaching Crisis: Massive Bleaching Demands Major Response, Perry Institute for Marine Science (7 October 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.perryinstitute.org/coral-bleaching-crisis-massive-bleaching-demands-major-response/.
150 Ibid. ; voir aussi ibid.
(« Malheureusement, même les projets de restauration des coraux in situ ont souffert. Le Reef Rescue Network a reçu des rapports de blanchissement sur les nurseries coralliennes et les récifs artificiels de la part de plus de 50 % des partenaires de l’archipel. Pour aggraver les choses, le blanchissement et la mortalité ont également été observés dans les colonies sauvages des espèces d’Acropidés que sont le corne d’élan, le corne de roche et le corne de roche fusionné »).
151 Voir annexe 3, Second Communication of The Bahamas under the UNFCCC, p. 140 ; annexe 2, The Bahamas First Biennial Update Report, p. 96.
152 C. Bove, L. Mudge & J. Bruno, « A century of warming on Caribbean reefs, » 1 PLOS Climate (2022) 1, p. 8. Cet article conclut qu’« il est urgent de réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en s’attaquant simultanément à ces facteurs de stress et à d’autres facteurs locaux et régionaux afin de protéger les récifs coralliens restants des Caraïbes et d’autres écosystèmes mondiaux également menacés ». Ibid., p. 11.
153 Annexe 3, Second Communication of The Bahamas under the UNFCCC, p. 162 ; NASA Earth Observatory, Stressful Summer for Coral Reefs (16 October 2023), accessible à l’adresse suivante : https://earthobservatory. nasa.gov/images/151945/stressful-summer-for-coral-reefs ; Coral Reef Watch, Northern Bahamas 5 km Regional Bleaching Heat Stress Maps and Gauges, accessible à l’adresse suivante : https://coralreefwatch.noaa.gov/product/vs/ gauges/northern_bahamas.php.
154 Voir annexe 3, Second Communication of The Bahamas under the UNFCCC, p. 140.
155 Voir A. Strauch et al., « Environmental Influences on the Distribution of Mangroves on Bahamas Island », 6 Journal of Wetlands Ecology (2012) 16, p. 16.
156 Ibid.
157 Voir R. Wilson, « Impacts of Climate Change on Mangrove Ecosystems in the Coastal and Marine Environments of Caribbean Small Island Developing States (SIDS) », Caribbean Marine Climate Report Card: Science Review (2017) 60, p. 60-61.
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marines, les oiseaux, les vertébrés et les invertébrés
158. Les mangroves jouent également un rôle essentiel dans le captage de grandes quantités de dioxyde de carbone en l’extrayant de l’air et en l’enfouissant dans les sédiments grâce à leurs racines, contribuant ainsi activement à la réduction des changements climatiques159.
53. Les Bahamas abritent certains des plus grands écosystèmes de mangroves des Caraïbes, dont la superficie totale est estimée à 612 000 acres160. Elles constituent une attraction touristique et une source d’approvisionnement pour les habitants161, dont la valeur est estimée à environ 3,2 millions de dollars des États-Unis par mille carré et par an162. Toutefois, ces écosystèmes sont également menacés par les effets néfastes des changements d’origine climatique sur les conditions météorologiques et l’environnement marin. Par exemple, plus de 90 % des mangroves viables ont disparu aux Bahamas à la suite d’un événement météorologique extrême163, 73,8 % des écosystèmes de mangroves de Grand Bahama et 40,1 % de ceux de l’île d’Abaco étant classés comme « endommagés » ou « détruits »164. La photographie ci-dessous montre la destruction d’importantes sections de forêts de mangroves à Grand Bahama à la suite de l’ouragan Dorian165.
Figure 6 Photo oblique de la partie nord de la zone de mangroves classifiée comme « endommagée » ou « détruite », au nord des petits bancs de sable. Vous pourrez constater l’abondance de la végétation de mangrove verte au sein de cette zone, les mangroves mortes se limitant au bord de mer et aux abords des ruisseaux.
158 Voir A. Strauch et al., « Environmental Influences on the Distribution of Mangroves on Bahamas Island », 6 Journal of Wetlands Ecology (2012) 16, p. 16.
159 Perry Institute for Marine Science, Mangrove Report Card for The Bahamas (2022), p. 6-7.
160 Ibid., p. 3.
161 Voir R. Wilson, « Impacts of Climate Change on Mangrove Ecosystems in the Coastal and Marine Environments of Caribbean Small Island Developing States (SIDS) », Caribbean Marine Climate Report Card: Science Review (2017) 60, p. 60.
162 Perry Institute for Marine Science, Mangrove Report Card for The Bahamas (2022), p. 6-7.
163 Ibid., p. 12.
164 C. Dahlgren, Preliminary Report: Post Dorian Mangrove Assessments for Grand Bahama and Abaco (July 24-August 8, 2021) (2021), p. 1.
165 Photo tirée de C. Dahlgren, Preliminary Report: Post Dorian Mangrove Assessments for Grand Bahama and Abaco (July 24-August 8, 2021) (2021), p. 8.
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54. Les changements climatiques devraient causer des dommages supplémentaires importants aux mangroves en raison de l’élévation du niveau de la mer et de la température à la surface de la mer, de la diminution des précipitations, de l’augmentation du nombre d’ouragans et de phénomènes météorologiques extrêmes, de la perte de la protection contre les vagues et les tempêtes offerte par les récifs coralliens les plus proches et de l’acidification des océans166.
d) Destruction des herbiers marins
55. Les écosystèmes d’herbiers marins, composés d’angiospermes (plantes qui produisent des fleurs et portent leurs graines dans des fruits167) présents dans les zones côtières, souffrent également. Ces organismes constituent d’importants puits de carbone et jouent un rôle crucial dans la biodiversité, la qualité de l’eau, la pêche et la protection des côtes, tout en apportant une valeur récréative et culturelle168. Les Bahamas abritent le plus grand écosystème marin du monde, couvrant une superficie estimée à 67 000-92 500 kilomètres2169. Les herbiers marins des Bahamas peuvent stocker entre 35,7 millions et 3,9 milliards de mégagrammes de carbone et entre 103 et 123 tonnes de dioxyde de carbone par an170. Les Bahamas sont donc considérées comme un « point chaud mondial de la répartition des herbiers marins et du bassin de carbone bleu »171 et sont l’un des 13 pays seulement qui intègrent les herbiers marins dans leurs contributions déterminées au niveau national dans le cadre de l’accord de Paris172. En fait, les écosystèmes d’herbiers marins des Bahamas ont été reconnus comme jouant un rôle essentiel dans l’atténuation des changements climatiques173. Cependant, les herbiers marins diminuent à l’échelle mondiale à un rythme de 1 à 2 % par an, en partie à cause des changements climatiques174. Les données disponibles indiquent que le captage du carbone diminue aux Bahamas depuis les années 1980, ce qui réduit la protection des côtes contre l’élévation du niveau de la mer et les ouragans175.
56. L’absorption du carbone atmosphérique par les herbiers marins et les mangroves revêt également une importance économique pour les Bahamas. Les herbiers marins constituent une base
166 Voir R. Wilson, « Impacts of Climate Change on Mangrove Ecosystems in the Coastal and Marine Environments of Caribbean Small Island Developing States (SIDS) », Caribbean Marine Climate Report Card: Science Review (2017) 60, p. 62-66.
167 Britannica, « Angiosperm », accessible à l’adresse suivante : https://www.britannica.com/plant/angiosperm (« Les angiospermes sont des plantes qui produisent des fleurs et portent leurs graines sous forme de fruits. Ils constituent le groupe le plus important et le plus diversifié du règne des Plantae, avec environ 300 000 espèces. Les angiospermes représentent environ 80 % de toutes les plantes vertes vivantes connues »).
168 Voir C. Fu et al., « Substantial blue carbon sequestration in the world’s largest seagrass meadow », 4 Earth & Environment (2023) 1, p. 2.
169 Ibid.
170 Son piégeage est évalué à 178 296 euros par km et par an, soit une valeur potentielle totale de piégeage comprise entre 6,99 et 8,34 milliards d’euros par an. Voir A. Blume et al., « Bahamian seagrass extent and blue carbon accounting using Earth Observation », 10 Frontiers in Marine Science (2023) 1, p. 5.
171 Ibid., p. 8. Le « carbone bleu » désigne le carbone capturé par les écosystèmes océaniques et côtiers, tels que les mangroves et les herbiers marins. Ibid., p. 2.
172 Ibid.
173 C. Fu et al., « Substantial blue carbon sequestration in the world’s largest seagrass meadow », 4 Earth & Environment (2023) 1, p. 5.
174 A. Blume et al., « Bahamian seagrass extent and blue carbon accounting using Earth Observation », 10 Frontiers in Marine Science (2023) 1, p. 2.
175 C. Fu et al., « Substantial blue carbon sequestration in the world’s largest seagrass meadow », 4 Earth & Environment (2023) 1, p. 6-7.
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importante du programme « Blue Carbon Credits »
176, qui permet aux entités de compenser leurs émissions de carbone en achetant des crédits de carbone bleu équivalents aux stocks de dioxyde de carbone séquestrés dans les herbiers marins des Bahamas177. Il est prévu que le programme « Blue Carbon Credits » sur le marché libre puisse générer des centaines de millions de dollars par an en revenus essentiels pour les Bahamas178. La destruction des herbiers marins aux Bahamas compromet cette possibilité.
*
* *
57. Le tableau décrit ci-dessus est désespérément sombre. Il montre clairement que les Bahamas sont confrontées à une menace existentielle et catastrophique liée aux effets des changements climatiques. L’environnement naturel et bâti, les structures sociales et économiques, les pratiques culturelles et l’intégrité territoriale du pays risquent de subir des dommages irréparables si la communauté internationale ne prend pas des mesures efficaces pour lutter contre les changements climatiques.
C. Mesures à prendre pour limiter les changements climatiques à des niveaux viables
58. Ce que la communauté internationale doit faire pour atténuer les nouvelles crises liées aux changements climatiques est clair. Il existe un large consensus scientifique autour des deux principaux piliers d’une action climatique efficace : l’atténuation et l’adaptation179. Ce consensus scientifique est directement lié à la portée et au contenu des obligations des États en matière de changements climatiques en vertu du droit international et donc à la question posée à la Cour.
1. La primauté de la science environnementale
59. L’incidence des émissions anthropiques de GES sur le système climatique et d’autres parties de l’environnement, ainsi que les voies disponibles pour l’atténuation et l’adaptation, sont des questions qui font l’objet de preuves scientifiques. Ainsi, les obligations des États « en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les
176 « Frequently Asked Questions », Carbon Management, accessible à l’adresse suivante : https://carbonmgmt.bs/ faqs/.
177 « Bahamas Blue Carbon Principles », Carbon Management, accessible à l’adresse suivante : https:// carbonmgmt.bs/bahamas-blue-carbon/.
178 Les actifs de l’écosystème du carbone bleu sont évalués à environ 300 millions de dollars des États-Unis. Voir « The Bahamas Plans to Sell ‘Blue’ Carbon Credits in 2022, PM Says », Bloomberg (28 April 2022), accessible à l’adresse suivante : https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-04-28/the-bahamas-plans-to-sell-blue-carbon-credits-in-2022-pm-says.
179 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, « Changements climatiques 2014 – Rapport de synthèse » (2014), accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/02/SYR_AR5_FINAL_ full_fr.pdf (ci-après, le « rapport de synthèse 2014 du GIEC »), p. 17 ; IPCC 2023 Synthesis Report, p. 24. Voir aussi Intergovernmental Panel on Climate Change, Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability, Contribution of Working Group III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (2022), accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-working-group-3/ (ci-après, « IPCC 2022 Report on Mitigation of Climate Change »).
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émissions anthropiques de gaz à effet de serre »
180 doivent être éclairées et guidées par les connaissances scientifiques les plus récentes. C’est un fait bien établi en droit international.
60. Les cours et tribunaux internationaux ont régulièrement reconnu l’importance de la science lors de l’examen du contenu et de la portée des obligations environnementales des États. Par exemple, dans l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros, la Cour a souligné que « ce sont les normes actuelles qui doivent être prises en considération » lors de l’évaluation des risques environnementaux181, et les nouvelles connaissances scientifiques et la prise de conscience croissante des risques doivent être prises en considération et « convenablement appréciées »182. La Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins du Tribunal international du droit de la mer a également reconnu, dans l’affaire relative à des Activités dans la Zone, que les normes de diligence requise « peuvent évoluer avec le temps » et peuvent dépendre de « nouvelles connaissances scientifiques ou technologiques »183.
61. Le principe est également reflété dans un certain nombre de traités environnementaux, y compris les traités sur le climat. Par exemple :
a) La convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (la « CCNUCC ») et l’accord de Paris précisent que les obligations des États en matière de climat sont étayées par les
180 Demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les obligations des États en matière de changements climatiques, p. 3.
181 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 78, par. 140.
(« Grâce aux nouvelles perspectives qu’offre la science et à une conscience croissante des risques que la poursuite de ces interventions a un rythme inconsidéré et soutenu représenterait pour l’humanité — qu’il s’agisse des générations actuelles ou futures —, de nouvelles normes et exigences ont été mises au point, qui ont été énoncées dans un grand nombre d’instruments au cours des deux dernières décennies. Ces normes nouvelles doivent être prises en considération et ces exigences nouvelles convenablement appréciées non seulement lorsque des États envisagent de nouvelles activités, mais aussi lorsqu’ils poursuivent des activités qu’ils ont engagées dans le passé. Cette nécessité de concilier le développement économique et la protection de l’environnement est bien exprimée dans le concept de développement durable »).
Voir aussi l’arbitrage Indus Waters Kishenganga (Pakistan c. Inde), CPA, sentence partielle (20 décembre 2013), par. 452.
182 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 78, par. 140.
183 Responsabilités et obligations des États qui patronnent des personnes et des entités en ce qui concerne les activités menées dans la Zone, affaire no 17, avis consultatif, TIDM Recueil 2011 (1er février) (ci-après, l’« avis consultatif relatif à des Activités menées dans la Zone »), p. 43, par. 117 (les italiques sont de nous).
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« meilleures données scientifiques disponibles »
184 ou les « meilleures connaissances scientifiques disponibles »185.
b) La convention des Nations Unies sur le droit de la mer (la « CNUDM ») exige des États qu’ils adoptent des mesures de protection du milieu marin qui soient « fond[ées] sur les données scientifiques les plus fiables dont ils disposent »186.
c) Le traité multilatéral de droit de l’environnement le plus récent, la convention sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction
184 Nations Unies, accord de Paris relatif à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, 12 décembre 2015, Recueil des traités (RTNU), vol. 3156, p. 219 (ci-après, l’« accord de Paris »), art. 4, par. 1
(« En vue d’atteindre l’objectif de température à long terme énoncé à l’article 2, les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties, et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté. ») (les italiques sont de nous),
art. 7, par. 5
(« Les Parties reconnaissent que l’action pour l’adaptation devrait suivre une démarche impulsée par les pays, sensible à l’égalité des sexes, participative et totalement transparente, prenant en considération les groupes, les communautés et les écosystèmes vulnérables, et devrait tenir compte et s’inspirer des meilleures données scientifiques disponibles et, selon qu’il convient, des connaissances traditionnelles, du savoir des peuples autochtones et des systèmes de connaissances locaux, en vue d’intégrer l’adaptation dans les politiques et les mesures socioéconomiques et environnementales pertinentes, s’il y a lieu. ») (les italiques sont de nous),
art. 14, par. 1
(« La Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties au présent Accord fait périodiquement le bilan de la mise en oeuvre du présent Accord afin d’évaluer les progrès collectifs accomplis dans la réalisation de l’objet du présent Accord et de ses buts à long terme (ci-après, dénommé “bilan mondial”). Elle s’y emploie d’une manière globale, axée sur la facilitation, en prenant en considération l’atténuation, l’adaptation, les moyens de mise en oeuvre et l’appui et en tenant compte de l’équité et des meilleures données scientifiques disponibles. ») (les italiques sont de nous).
185 Nations Unies, convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, 9 mai 1992, RTNU, vol. 1771, p. 107 (ci-après, la « CCNUCC »), art. 4, par. 2, point c) [« Il conviendra que le calcul, aux fins de l’alinéa b), des quantités de gaz à effet de serre émises par les sources et absorbées par les puits s’effectue sur la base des meilleures connaissances scientifiques disponibles, notamment en ce qui concerne la capacité effective des puits et la contribution de chacun de ces gaz aux changements climatiques. »]. (les italiques sont de nous) ; accord de Paris, préambule, par. 4 (« Reconnaissant la nécessité d’une riposte efficace et progressive à la menace pressante des changements climatiques en se fondant sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles ») (les italiques sont de nous). Voir aussi protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, 11 décembre 1997, RTNU, vol. 2303, p. 162 (ci-après, le « protocole de Kyoto »), point b) du paragraphe 4 de l’article 13.
[« Elle examine périodiquement les obligations des Parties au titre du présent Protocole, en prenant dûment en considération tout examen prévu à l’alinéa d) du paragraphe 2 de l’article 4 et au paragraphe 2 de l’article 7 de la Convention et en tenant compte de l’objectif de la Convention, de l’expérience acquise lors de son application et de l’évolution des connaissances scientifiques et technologiques et, à cet égard, elle examine et adopte des rapports périodiques sur la mise en oeuvre du présent Protocole » (les italiques sont de nous)].
186 Voir, par exemple, convention des Nations Unies sur le droit de la mer, art. 119, par. 1, al. a) (« Les États … s’attachent, en se fondant sur les données scientifiques les plus fiables dont ils disposent, à maintenir ou rétablir les stocks des espèces exploitées à des niveaux… ») (les italiques sont de nous) ; art. 61, par. 2 (« L’État côtier, compte tenu des données scientifiques les plus fiables dont il dispose, prend des mesures appropriées de conservation et de gestion pour éviter que le maintien des ressources biologiques de sa zone économique exclusive ne soit compromis par une surexploitation ») (les italiques sont de nous) ; art. 234 (« Ces lois et règlements tiennent dûment compte de la navigation, ainsi que de la protection et de la préservation du milieu marin sur la base des données scientifiques les plus sûres dont on puisse disposer ») (les italiques sont de nous).
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nationale (le « traité BBNJ »), fait de « l’utilisation des meilleures connaissances et informations scientifiques disponibles » l’un de ses principes clés
187.
d) La convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone prévoit que les obligations des États sont étayées par des « considérations scientifiques et techniques pertinentes »188 et que les États facilitent et encouragent l’échange d’informations scientifiques189.
62. Le commentaire du projet d’articles de la Commission du droit international (« CDI ») sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses, dans le contexte du principe de précaution, note également qu’il est « nécessaire que les États réexaminent en permanence leurs obligations en matière de prévention afin de se tenir au courant des progrès des connaissances scientifiques »190.
63. Les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, tels que la Déclaration universelle des droits de l’homme191 et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels192, établissent également le droit des individus à « bénéficier du progrès scientifique », y compris le droit de bénéficier des résultats matériels du progrès scientifique (par exemple, les nouvelles technologies) et du développement et de la diffusion des connaissances scientifiques193. Le droit international des droits de l’homme exige donc que les États alignent leurs politiques et programmes gouvernementaux « sur les données scientifiques que l’on s’accorde à considérer comme les meilleures disponibles »194.
187 Accord se rapportant à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, 19 juin 2023, doc. A/CONF.232/2023/4 (ci-après, l’« accord BBNJ »), art. 7, al. i) (« Afin d’atteindre les objectifs du présent Accord, les Parties sont guidées par les principes et les approches suivants … i) l’utilisation des meilleures données scientifiques disponibles et des informations scientifiques ») (les italiques sont de nous).
188 Nations Unies, convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone, 22 septembre 1988, RTNU, vol. 1513, p. 293 (ci-après, la « convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone »), art. 2, par. 4 (« L’application du présent article se fonde sur des considérations scientifiques et techniques pertinentes. ») (les italiques sont de nous).
189 Ibid., art. 4, par. 1
(« Les Parties facilitent et encouragent l’échange des renseignements scientifiques, techniques, socio-économiques, commerciaux et juridiques appropriés aux fins de la présente convention et comme précisé à l’annexe II. Ces renseignements sont fournis aux organes agréés par les Parties. Tout organe qui reçoit des renseignements considérés comme confidentiels par la Partie qui les fournit veille à ce qu’ils ne soient pas divulgués et les agrège afin d’en protéger le caractère confidentiel avant de les mettre à la disposition de toutes les Parties ») (les italiques sont de nous).
190 Projet d’articles sur les dommages transfrontières de la commission du droit international, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II (deuxième partie), doc. A/56/10 (ci-après, le « projet d’articles sur les dommages transfrontières de la commission du droit international »), commentaire de l’article 10, par. 7. Voir aussi déclaration de Stockholm, principe 18 ; déclaration de Rio sur l’environnement et le développement, adoptée lors de la conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, Rio de Janeiro, doc. A/CONF.151/26/Rev.1. (vol. I) (14 juin 1992) (ci-après, la « déclaration de Rio »), principe 9.
191 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 217 A (III), « Déclaration universelle des droits de l’homme », 10 décembre 1948, doc. A/811 (ci-après, la « DUDH »), art. 27.
192 Nations Unies, Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 16 décembre 1966, RTNU, vol. 993, p. 3 (ci-après, le « PIDESC »), art. 15, al. b).
193 CDESC, observation générale no 25 sur la science et les droits économiques, sociaux et culturels (article 15, par. 1, point b, par. 2, 3 et 4 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), doc. E/C.12/GC25 (30 avril 2020), par. 8 (les italiques sont de nous).
194 Ibid., par. 52.
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64. La nécessité de se référer aux « meilleures connaissances scientifiques disponibles » signifie que le contenu et la portée précis des obligations des États en matière de protection de l’environnement doivent refléter et évoluer en fonction de nos connaissances scientifiques195.
2. Limiter les changements climatiques à des niveaux durables nécessite des mesures d’atténuation et d’adaptation urgentes et ambitieuses
65. Les mesures d’atténuation et d’adaptation sont au coeur des recommandations du GIEC pour une action climatique efficace196. L’atténuation fait référence à la réduction des émissions de GES et au renforcement des « puits » de GES (c’est-à-dire les environnements et les processus qui éliminent les GES de l’atmosphère), et l’adaptation fait référence aux mesures d’ajustement visant à atténuer les dommages causés par les effets climatiques réels ou prévus197.
a) Atténuation
66. La science de l’atténuation est claire : pour limiter le réchauffement de la planète à un niveau acceptable pour l’environnement, l’homme doit, à très court terme, cesser d’ajouter des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. On parle alors de « zéro émission nette », ce qui signifie que le total des GES émis par l’homme est égal ou inférieur aux GES retirés de l’atmosphère grâce, par exemple, au reboisement ou à la technologie. Par ailleurs, pour avoir une perspective réaliste d’atteindre le niveau de zéro émission nette à temps pour limiter le réchauffement de la planète à des niveaux durables, il faut une réduction profonde, rapide et soutenue des émissions de GES dès maintenant198.
67. Le raisonnement scientifique qui sous-tend le concept de « zéro émission nette » est évident. Comme indiqué ci-dessus, les émissions de GES se concentrent dans l’atmosphère et augmentent la température globale199. Le principal d’entre eux est le CO2, qui représente environ 75 % des émissions anthropiques de GES et possède le « potentiel de réchauffement de la planète » le plus élevé200. Pour cette raison, les émissions de CO2 servent de référence de base et chaque seuil de température (par exemple, 1,5 °C ou 2 °C) est associé à un « budget carbone » fini spécifique, c’est-à-dire la quantité totale maximale d’émissions nettes de CO2 qui ne peut être dépassée cumulativement sur toutes les périodes de temps afin de limiter l’augmentation de la température à ce seuil201. Un budget carbone fait référence à des émissions « nettes », car une partie des émissions de CO2 peut être retirée de l’atmosphère grâce à des processus humains (par exemple, reboisement ou « captage et stockage du carbone »). Cependant, seule une petite partie des émissions de CO2 peut être éliminée de cette manière, du moins avec la technologie actuelle202.
68. Le GIEC estime qu’en 2020, les humains auront épuisé : i) les 4/5 de leur budget carbone s’ils veulent limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C ; ou ii) les 2/3 de leur budget carbone
195 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 78, par. 140 ; avis consultatif relatif à des Activités menées dans la Zone, par. 43. 117.
196 Rapport de synthèse 2014 du GIEC, p. 17 ; IPCC 2023 Synthesis Report, p. 24; voir aussi IPCC 2022 Report on Mitigation of Climate Change.
197 IPCC 2023 Synthesis Report, Annex I (Glossary), p. 120, 126.
198 Voir ibid., p. 68.
199 Voir par. 15 ci-dessus.
200 IPCC 2022 Report on Mitigation of Climate Change, p. 7, Figure SPM.1.
201 IPCC 2023 Synthesis Report, Annex I (Glossary), p. 121.
202 IPCC 2022 Report on Mitigation of Climate Change, p. 38, Figure SPM.7.
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s’ils veulent limiter le réchauffement de la planète à 2 °C
203. Par conséquent, pour limiter le réchauffement de la planète à des niveaux durables, l’humanité doit atteindre le « zéro émission nette » de CO2 à court terme, puis le « zéro émission nette » de GES peu de temps après204.
a) En raison des limites inhérentes à l’élimination du CO2205pour parvenir à zéro émission nette de CO2 à court terme, il faut : i) une réduction profonde, rapide et soutenue des émissions anthropiques brutes de CO2 ; et ii) le déploiement d’une technologie d’élimination du CO2 « pour contrebalancer les émissions résiduelles difficiles à éliminer (par exemple, certaines émissions provenant de l’agriculture, de l’aviation, du transport maritime et des processus industriels) »206.
b) Pour parvenir à zéro émission nette de GES, il faut réduire fortement les émissions de GES autres que le CO2, en particulier le méthane, et parvenir à des émissions nettes de CO2 négatives (car nous ne sommes pas en mesure actuellement d’éliminer efficacement de l’atmosphère les émissions de GES autres que le CO2)207.
69. Réduction profonde. Le GIEC est clair : pour avoir une chance de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C, les émissions mondiales de GES doivent être réduites d’au moins 43 % d’ici à 2030, atteindre un niveau de zéro émission nette de CO2 d’ici à 2050, et un niveau de zéro émission nette de GES peu de temps après208. Pourtant, à ce stade, les émissions mondiales de GES continuent d’augmenter. Même si tous les objectifs nationaux d’atténuation annoncés dans le cadre de l’accord de Paris étaient pleinement atteints — ce qui est peu probable en raison du déficit persistant de mise en oeuvre —, nous ne parviendrions qu’à une réduction tout à fait insuffisante de 4 % d’ici à 2030209. Ce rythme de réduction entraînerait un réchauffement de la planète de 2,8 °C d’ici à 2100 et, si l’on tient compte du déficit de mise en oeuvre observé, de 3,2 °C d’ici à 2100210. Si la sensibilité du climat est plus élevée que les estimations actuelles, le réchauffement dans ce scénario pourrait dépasser 4 °C211. À ce niveau de réchauffement, les incidences néfastes sur l’environnement et la vie humaine seraient un multiple des risques recensés ci-dessus. Par exemple, un réchauffement de la planète de 4 °C et plus « aurait des répercussions considérables sur les systèmes naturels et humains … ; extinction locale d’environ 50 % des espèces marines tropicales … ; et environ 4 milliards de personnes … devraient être confrontées à une pénurie d’eau »212.
70. Réduction rapide. L’ampleur de la réduction nécessaire d’ici 2030 et 2050 montre clairement qu’une action radicale s’impose maintenant. Les scénarios modélisés par le GIEC qui limitent le réchauffement de la planète à 1,5 °C, voire à 2 °C, supposent une « action immédiate » en vue d’une réduction profonde d’ici à 2030, c’est-à-dire « l’adoption entre 2020 et au plus tard avant
203 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 82-83.
204 Ibid., p.82-85 (« Du point de vue de la science physique, limiter le réchauffement de la planète d’origine humaine à un niveau spécifique nécessite de limiter les émissions cumulées de CO2, d’atteindre des émissions nettes nulles ou nettes négatives de CO2, ainsi que d’importantes réductions des autres émissions de GES »).
205 Ibid., p. 87.
206 Ibid., p. 85 (les italiques sont de nous).
207 Ibid., p. 85.
208 Ibid., p. 59, figure 2.5, 82-85.
209 Ibid., p. 59, figure 2.5.
210 Ibid., p. 57-59, 68.
211 Ibid., p. 68.
212 Ibid., p. 71.
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2025 de politiques climatiques visant à limiter le réchauffement de la planète à un niveau donné »
213. Si nous continuons sur la trajectoire actuelle jusqu’en 2030, c’est-à-dire si l’action est limitée aux objectifs de réduction annoncés dans le cadre de l’accord de Paris, nous dépasserons 1,5 °C de réchauffement à court terme, et limiter le réchauffement à 2 °C « impliquerait une accélération sans précédent des efforts d’atténuation au cours de la période 2030-2050 »214. En d’autres termes, il n’y a pas de possibilité de retard. Comme le résume le GIEC,
« tout retard supplémentaire dans l’action mondiale concertée et anticipative en matière d’adaptation et d’atténuation laissera passer une occasion brève et qui se referme rapidement d’assurer un avenir vivable et durable pour tous (degré de confiance très élevé) »215.
71. Le dépassement de seuils importants tels que 1,5 °C (appelé « dépassement »), même légèrement et pour une durée limitée, s’accompagne d’incidences plus néfastes et de risques supplémentaires, notamment autour de ce que l’on appelle les « points de basculement »216. Les points de basculement sont des seuils critiques qui, lorsqu’ils sont franchis, entraînent des changements importants, accélérés, souvent brusques et irréversibles dans le système climatique217. De nombreux éléments du système climatique pourraient être soumis à un point de basculement, déclenchant des changements à grande échelle tels que la fonte et la disparition des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, le dégel du pergélisol et le dépérissement de la forêt tropicale amazonienne218. La perte de glace augmente la température globale ainsi que le niveau des mers ; le pergélisol stocke une quantité massive de carbone provenant de plantes et d’animaux morts il y a des milliers d’années, qui serait libéré dans l’atmosphère sous forme de CO2 et de méthane lors de son dégel ; et la forêt tropicale amazonienne absorbe et stocke une grande partie des émissions anthropiques de CO2219. Les changements importants dans ces systèmes se renforcent d’eux-mêmes, car ils conduisent à de nouvelles augmentations de la température mondiale, qui à leur tour entraînent une diminution de la capacité de protection des océans ou des forêts tropicales, par exemple, ce qui accélère encore le réchauffement220. Bien que les scientifiques ne puissent pas dire avec précision quelle augmentation de température déclencherait des points de basculement spécifiques, il est de plus en plus évident que certains ont déjà été franchis, tandis que d’autres le seraient à proximité ou au niveau du seuil de 1,5 °C d’augmentation de la température221. Selon le GIEC,
213 Ibid., p. 57, 82-86 (les italiques sont de nous).
214 Ibid., p. 57, 68.
215 Ibid., p. 89 (les italiques sont de nous).
216 Ibid., p. 87.
217 T. Lenton et al., « Climate tipping points - too risky to bet against », Nature (2019) 575, pp. 592-595 ; IPCC 2023 Synthesis Report, Annex I (Glossary), p. 129.
218 Voir D. McKay et al., « Exceeding 1.5ºC global warming could trigger multiple climate tipping points » Science (2022) 377 ; Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, « Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C » (2018) (ci-après, le « Rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C »), p. 262-265.
219 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 46, 77 ; GIEC, Rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C (2018), p. 262-265 ; Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Changement climatique 2021 – Les bases scientifiques physiques. Contribution du Groupe de travail I au sixième Rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ci-après, le « Rapport sur les bases scientifiques physiques (2021) »), p. 202-203, 739-742 ; D. McKay et al., « Exceeding 1.5ºC global warming could trigger multiple climate tipping points » Science (2022) 377.
220 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 82; GIEC, Rapport spécial sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C (2018), p. 262-265 ; Rapport sur les bases scientifiques physiques (2021), p. 202-203, 739-742 ; D. McKay et al., “Exceeding 1.5ºC global warming could trigger multiple climate tipping points” Science (2022) 377, p. 1.
221 D. McKay et al., “Exceeding 1.5ºC global warming could trigger multiple climate tipping points” Science (2022) 377, p. 1 ; IPCC 2023 Synthesis Report, p. 77.
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« [u]n dépassement de 1,5 °C entraînera des incidences négatives irréversibles sur certains écosystèmes à faible résilience, tels que les écosystèmes polaires, montagneux et côtiers, touchés par la fonte de la calotte glaciaire, la fonte des glaciers ou par l’accélération et l’augmentation de l’élévation garantie du niveau de la mer (degré de confiance élevé). Le dépassement augmente les risques d’incidences graves, telles que l’augmentation des feux de forêt, la mortalité massive des arbres, l’assèchement des tourbières, le dégel du pergélisol et l’affaiblissement des puits de carbone terrestres naturels ; ces incidences pourraient augmenter les rejets de GES, ce qui rendrait l’inversion des températures plus difficile (degré de confiance moyen) »222.
72. Enfin, il faut tenir compte du fait que la climatologie s’est révélée conservatrice dans ses prévisions par rapport aux effets observés des changements climatiques. Par exemple, le taux de fonte de la calotte glaciaire arctique est en avance d’au moins 100 ans sur les projections des trois premiers rapports du GIEC223, et la fonte des glaces du Groenland et de l’Antarctique est également bien supérieure aux scénarios modélisés224.
73. Réduction soutenue. L’implication nécessaire de la notion de « zéro émission nette » est que la forte réduction des émissions de gaz à effet de serre doit être maintenue dans le temps. Ainsi, pour limiter le réchauffement de la planète à des niveaux viables, il est nécessaire d’opérer une transition globale et durable vers des technologies à faibles émissions de gaz à effet de serre « dans tous les secteurs », notamment l’énergie, l’industrie, les transports, l’utilisation des sols et les bâtiments225. Par exemple, le GIEC a déclaré que
« [d]ans les trajectoires mondiales modélisées qui limitent le réchauffement à 2 °C ou moins, la quasi-totalité de l’électricité est fournie par des sources sans carbone ou à faible teneur en carbone en 2050, telles que les énergies renouvelables ou les combustibles fossiles avec captage et stockage du CO2, combinées à une électrification accrue de la demande d’énergie »226.
b) Adaptation
74. Indépendamment des mesures d’atténuation, la science de l’environnement confirme que « le réchauffement de la planète continuera à augmenter à court terme dans la quasi-totalité des scénarios envisagés et des trajectoires modélisées »227. Les effets environnementaux négatifs des émissions de GES anthropiques passées, présentes et futures (même avec la réduction requise) se
222 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 87 (les italiques sont de nous).
223 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, « Changement climatique : les évaluations du GIEC de 1990 et 1992. Premier Rapport d’évaluation du GIEC Aperçu général et Résumés destinés aux décideurs et Supplément 1992 du GIEC » (juin 1992), p. 110-111 ; Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, « Changement de climat 1995 : Seconde évaluation du GIEC, Un rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat » (1995), p. 30 ; Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, « Changements climatiques 2001: Rapport de synthèse » (2001), p. 84 ; G. Scherer, “IPCC Predictions: Then Versus Now”, Climate Central (11 December 2012), accessible à l’adresse suivante : https://www.climatecentral.org/news/ipcc-predictions-then-versus-now-15340.
224 G. Scherer, « IPCC Predictions: Then Versus Now », Climate Central (11 December 2012), accessible à l’adresse suivante : https://www.climatecentral.org/news/ipcc-predictions-then-versus-now-15340.
225 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 86-87.
226 Ibid.
227 Ibid., p. 68.
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poursuivront dans une certaine mesure, certains changements étant « irréversibles sur une échelle de temps centennale à millénaire », tels que l’élévation du niveau des mers
228.
75. Selon le GIEC, l’adaptation est un outil efficace pour réduire les risques climatiques, en particulier dans certains secteurs et certaines régions, et il existe des « synergies significatives » avec l’atténuation229. Par exemple, les mesures d’adaptation dans l’agriculture, telles que les cultivars améliorés, l’agroforesterie et les changements dans les modes de culture, contribuent à préserver les écosystèmes et leur capacité de protection naturelle230. D’autres mesures, telles que des systèmes d’alerte précoce et une gestion efficace des risques de catastrophe, permettront de sauver des vies et d’améliorer le bien-être, en particulier pour les populations vulnérables231. Toutefois, le GIEC a mis en garde contre le fait que de nombreuses mesures d’adaptation tendent à privilégier les risques à court terme, sont fragmentées, de faible ampleur et spécifiques à un secteur, ce qui réduit les possibilités d’une « adaptation transformationnelle »232. Il reste encore beaucoup à faire, notamment accélérer la mise en oeuvre de mesures d’adaptation globales et améliorer la disponibilité des financements233.
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76. Malgré ce large consensus scientifique, les États n’ont pas pris de mesures efficaces pour lutter contre les changements climatiques. Le prétendu manque de clarté des obligations juridiques internationales des États ne peut plus servir d’excuse à l’inaction et aux tergiversations des États. Cela conduirait certainement à une catastrophe environnementale et humaine. Il est donc primordial que la Cour prenne l’initiative de clarifier les obligations des États en vertu du droit international, ce qui est la raison d’être de la demande d’avis consultatif.
III. LA COUR DEVRAIT EXERCER SA COMPÉTENCE POUR ACCUEILLIR LA DEMANDE
77. Les Bahamas soutiennent respectueusement que la Cour devrait exercer sa compétence pour émettre l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale des Nations Unies. La Cour est habilitée à rendre un avis consultatif si : i) une demande est formulée par un organisme autorisé, ii) elle soulève des questions juridiques, et iii) il n’y a pas de raisons pour que la Cour refuse d’exercer sa compétence234. Les trois conditions sont remplies en l’espèce.
228 Ibid., p. 69.
229 Ibid., p. 52, 55-56.
230 Ibid., p. 106-108.
231 Ibid., p. 55-56.
232 Ibid., p. 61.
233 Ibid., p. 95-96.
234 Statut de la Cour internationale de Justice, art. 65, par. 1. Voir aussi Armes nucléaires, avis consultatif, p. 231, par. 10.
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78. Tout d’abord, la présente demande a été soumise à la Cour par la résolution 77/276 de l’Assemblée générale des Nations Unies235, qui est dûment autorisée à demander un avis consultatif à la Cour. Conformément au paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour, celle-ci « peut donner un avis consultatif sur toute question juridique à la demande de tout organe autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à celle-ci à formuler une telle demande ». Le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies prévoit quant à lui que « l’Assemblée générale … peut demander à la Cour internationale de Justice de donner un avis consultatif sur toute question juridique ». La Cour a réaffirmé à plusieurs reprises la compétence de l’Assemblée générale pour demander un avis consultatif236.
79. Deuxièmement, la demande soulève expressément des questions juridiques. Dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de l’île Maurice en 1965, la Cour a expliqué « qu’une demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale tendant à ce qu’elle examine une situation à l’aune du droit international concerne une question juridique »237. En l’espèce, l’Assemblée générale des Nations Unies a demandé à la Cour de préciser « quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre » et « les conséquences juridiques » « au regard de ces obligations »238. L’Assemblée générale des Nations Unies a expressément demandé à la Cour de répondre à ces questions « eu égard en particulier » à de multiples instruments de droit international et d’autres sources, notamment la Charte des Nations Unies, les traités internationaux sur les droits de l’homme, le droit de l’environnement, le droit de la mer et le droit international coutumier239.
80. Troisièmement, il n’y a aucune raison pour que la Cour refuse d’exercer sa compétence consultative. La compétence consultative de la Cour « représente sa participation aux activités des [Nations Unies] et, en principe, ne devrait pas être refusée » en l’absence de « raisons impérieuses » de le faire240. La Cour n’a jamais refusé de rendre un avis consultatif sur un motif discrétionnaire241, et il n’y a pas de raisons impérieuses de le faire ici. Au contraire, il existe des raisons impérieuses de rendre l’avis consultatif. Un avis consultatif de la Cour fournirait à l’Assemblée générale des Nations Unies les orientations et le cadre juridiques nécessaires pour traiter la question cruciale des changements climatiques induit par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, un sujet qui figure depuis longtemps en tête des priorités de l’Assemblée générale. Par exemple, la résolution 77/276 « constat[e] avec une profonde inquiétude » les conséquences de la poursuite des
235 Requête pour avis consultatif sur les obligations des États en matière de changements climatiques, p. 1.
236 Conséquences juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de l’île Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (ci-après, « Séparation de l’archipel des Chagos de l’île Maurice, avis consultatif »), p. 95, par. 56. Voir aussi demande de réformation du jugement no 273 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1982, p. 325, par. 21 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (ci-après, « Édification d’un mur, avis consultatif »), p. 136, par. 15 ; Armes nucléaires, avis consultatif, p. 233, par. 11 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010, p. 403, par. 21.
237 Séparation de l’archipel des Chagos de l’île Maurice, avis consultatif, p. 112, paragraphe 58 ; voir aussi Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 12, par. 15 (les questions qui sont « formulées en termes de droit et qui soulèvent des problèmes de droit international … sont par nature susceptibles d’une réponse fondée sur le droit ») ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010, p. 403, par. 25 ; Armes nucléaires, avis consultatif, p. 234, par. 13.
238 Requête pour avis consultatif sur les obligations des États en matière de changements climatiques, p. 3.
239 Ibid.
240 Séparation de l’archipel des Chagos de l’île Maurice, avis consultatif, p. 113, par. 65 ; Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 65, p. 71.
241 Construction d’un mur, avis consultatif, p. 156, par. 44.
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émissions de gaz à effet de serre, et « rappelle … toutes ses autres résolutions et décisions relatives à la sauvegarde du climat mondial », qui remontent à 1988
242. En rendant l’avis consultatif, la Cour « participerait aux activités des [Nations Unies] »243, restant ainsi « fidèle aux exigences de son caractère judiciaire » et s’acquittant de « ses fonctions en tant qu’organe judiciaire principal des Nations Unies »244.
81. Le fait que la Cour puisse être amenée à examiner des questions de fait complexes ne s’oppose pas à l’exercice de sa compétence. Comme la Cour l’a expliqué précédemment, elle peut analyser des questions de fait pour autant qu’elle « dispose de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour être à même de porter un jugement sur toute question de fait contestée »245. Comme dans les procédures consultatives antérieures qui impliquaient des questions factuelles246, la Cour recevra des informations substantielles sur les faits dont elle est saisie, y compris un dossier de huit documents du Secrétariat des Nations Unies, des observations écrites d’au moins dix organisations internationales et des observations écrites d’un grand nombre d’États.
82. En conséquence, la Cour devrait exercer sa compétence et rendre l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale des Nations Unies.
IV. OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIÈRE DE CHANGEMENTS CLIMATIQUES
83. Il existe trois domaines clés du droit international qui donnent lieu à des obligations pour les États de protéger le système climatique des effets néfastes des émissions de GES d’origine anthropique. Dans cette section, les Bahamas abordent les obligations des États en vertu du droit international de l’environnement (section A), du droit de la mer (section B), du droit international des droits de l’homme (section C), et l’interprétation de ces obligations conformément au principe de l’équité intergénérationnelle (section D). Il existe une symétrie remarquable dans la manière dont ces trois domaines de fond du droit international abordent les changements climatiques, en ce sens que les principes et obligations de base sont communs à ces trois domaines et se retrouvent dans chacun d’entre eux. Chaque corpus juridique donne lieu à des obligations indépendantes et solides en ce qui concerne les changements climatiques, mais ils se renforcent également les uns les autres et peuvent être considérés comme formant un régime normatif cohérent.
A. Obligations des États en vertu du droit international de l’environnement
84. L’objectif principal du droit international de l’environnement est de réglementer la conduite des États afin d’assurer une protection efficace de l’environnement pour le bien commun. En tant que tel, il régit l’obligation des États de protéger le système climatique des effets néfastes des
242 Requête pour avis consultatif sur les obligations des États en matière de changements climatiques, p. 1-2. Voir aussi Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/165, « Protection du climat mondial pour les générations présentes et futures », 21 décembre 2022, doc. A/RES/77/165, p. 1.
243 Séparation de l’archipel des Chagos de l’île Maurice, avis consultatif, p. 113, par. 65 ; Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 65, p. 71.
244 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 16, par. 41.
245 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 12, par. 46.
246 Voir, par exemple, Séparation de l’archipel des Chagos de l’île Maurice, avis consultatif, p. 114-115, par. 73 ; voir aussi Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 16, par. 40 ; Construction d’un mur, avis consultatif, p. 161-162, par. 57-58.
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émissions anthropiques de gaz à effet de serre par une combinaison de règles spécifiques et générales. Dès 1972, la déclaration de Stockholm représentait un large consensus sur le fait que « la protection et l’amélioration de l’environnement humain » était une « question majeure qui affecte le bien-être des peuples et le développement économique dans le monde entier », et appelait les États à « mettre un terme » aux rejets de substances toxiques et aux « dégagements de chaleur » en quantités nocives « afin d’éviter que des dommages graves ou irréversibles ne soient infligés aux écosystèmes »
247. Les traités sur le climat adoptés depuis lors comprennent la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1992, le protocole de Kyoto de 1997 et l’accord de Paris de 2015, en plus d’une multitude de traités régissant des sujets spécifiques tels que l’appauvrissement de la couche d’ozone ou la protection de la biodiversité248.
1. Traités sur le climat
85. L’adoption de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en 1992 a marqué le début d’efforts concertés sérieux au niveau international pour lutter contre les changements climatiques. L’objectif déclaré de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques est de « stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique »249. En tant qu’accord-cadre, la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques a mis en place une partie de l’infrastructure de base nécessaire pour lutter contre les changements climatiques en demandant aux États de tenir des inventaires nationaux des émissions de GES, d’adopter des plans d’atténuation et de promouvoir la recherche technologique et scientifique250. En 1997, les parties ont adopté le protocole de Kyoto, dans lequel certains pays développés ont pris des engagements quantifiés spécifiques pour limiter et réduire les émissions anthropiques de GES par rapport à leur niveau de référence de 1990, « en vue de réduire le total de leurs émissions de ces gaz d’au moins 5 % par rapport au niveau de 1990 au cours de la période d’engagement allant de 2008 à 2012 »251, et de 18 % au cours de la période allant de 2013 à 2020252.
86. Malgré les engagements plus spécifiques inscrits dans le protocole de Kyoto, l’évolution des connaissances scientifiques, notamment en ce qui concerne l’urgence et la gravité des changements climatiques, a donné lieu à un appel en faveur d’obligations plus ambitieuses et de plus grande portée. L’accord de Paris, adopté en 2015, visait ainsi à renforcer la réponse mondiale aux changements climatiques en prenant des mesures pour limiter le réchauffement climatique à bien moins de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, avec un objectif souhaité de 1,5 °C253. Dans la poursuite de cet objectif, les parties à l’accord de Paris ont chacune accepté d’« engager et de communiquer des contributions ambitieuses déterminées au niveau national » (« CDN ») — c’est-à-dire des engagements spécifiques déterminés unilatéralement pour réduire leurs émissions
247 Déclaration de Stockholm, proclamation 2, principe 6.
248 Voir Nations Unies, convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, 3 mars 1973, RTNU, vol. 993, p. 243 ; protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone, 16 septembre 1987, RTNU, vol. 1522, p. 3 ; convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone ; convention sur la diversité biologique, 5 juin 1992, RTNU, vol. 1760, p. 79 ; convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, 22 mars 1989, RTNU, vol. 1673, p. 57 ; convention sur la protection et l’utilisation des cours d’eau transfrontières et des lacs internationaux, 17 mars 1992, RTNU, vol. 1936, p. 269 ; convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants, 2 mai 2001, RTNU, vol. 2256, p. 119.
249 CCNUCC, art. 2 (« Objectif »).
250 Ibid., art. 3, par. 3, art. 4, par. 1, art. 5 et 9.
251 Protocole de Kyoto, art. 3, par. 1.
252 Amendement de Doha au protocole de Kyoto, 8 décembre 2021, doc. C.N.718.2012.TREATIES-XXVII.7.c, art. 3, par. 1 bis.
253 Accord de Paris, art. 2, par. 1, al. a).
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nationales de GES d’un pourcentage défini
254. Chaque État est tenu de préparer, de publier, de maintenir et de mettre à jour (à intervalles de cinq ans) ses CDN, qui doivent montrer une progression dans le temps « et refléter l’ambition la plus élevée possible [de l’État] », l’objectif étant de parvenir à zéro émission nette de GES aux alentours de 2050255. Les CDN sont donc essentielles pour renforcer les objectifs de l’accord de Paris, promouvoir la transparence, faciliter la coopération entre les États et assurer l’obligation redditionnelle des États pour réduire leurs émissions de GES.
87. Les traités sur le climat ont une adhésion quasi universelle256 et imposent aux États des obligations importantes en matière d’action face aux changements climatiques. Ils réaffirment et cherchent à rendre opérationnelles les obligations fondamentales de prévention et de coopération qui incombent aux États en vertu du droit international coutumier en ce qui concerne la protection de l’environnement, comme nous le verrons plus en détail ci-dessous257. En particulier :
a) La convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques note expressément dans son préambule l’obligation des États de prévenir les dommages transfrontières, c’est-à-dire de veiller à ce que les activités relevant de leur juridiction ou de leur contrôle ne causent pas de dommages à l’environnement d’autres États258. Les traités sur le climat imposent un certain nombre d’obligations aux États en vue de prévenir les dommages transfrontières causés par les émissions de GES. Par exemple, l’accord de Paris exige des États qu’ils communiquent leurs CDN et qu’ils « prennent des mesures internes pour l’atténuation en vue de réaliser les objectifs [des] contributions » déterminées au niveau national, y compris des « objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus à l’échelle de l’économie » dans le cas des États développés259. Il intègre expressément un objectif de zéro émission nette à atteindre aux alentours de 2050, en imposant aux parties de « cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais » et de « parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle »260. Afin d’aider les États à atteindre ces objectifs, l’accord de Paris exige, entre autres, qu’ils : i) élaborent des stratégies à long terme de faibles émissions de GES261 ; ii) encouragent une participation accrue des secteurs public et privé à la mise en oeuvre des CDN262 ; et iii) s’engagent dans la planification et la mise en oeuvre de l’adaptation, y compris au moyen de plans nationaux, de la diversification de l’économie et de la gestion durable des ressources naturelles263.
b) Reconnaissant que les changements climatiques constituent une crise mondiale et que les effets néfastes des émissions de GES ne s’arrêtent pas aux frontières nationales, les traités sur le climat
254 Ibid., art. 3.
255 Ibid., art. 4.
256 Par exemple, l’accord de Paris compte 198 signataires et 195 parties, comme indiqué dans la collection des traités des Nations Unies.
257 Voir sect. IV.A.2 et IV.A.3 ci-dessous.
258 Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, préambule
(« Rappelant que conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, les États ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources selon leur propre politique d’environnement et de développement, et ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l’environnement dans d’autres États ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale »).
259 Accord de Paris, art. 4.
260 Ibid., art. 4, par. 1.
261 Ibid., art. 4, par. 19.
262 Ibid., art. 6, par. 8, al. b).
263 Ibid., art. 4.
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comprennent tous des dispositions détaillées sur la coopération. Par exemple, la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques reconnaît expressément que « le caractère planétaire des changements climatiques requiert de tous les pays qu’ils coopèrent le plus possible » et que « les initiatives visant à faire face aux changements climatiques pourront faire l’objet d’une action concertée »
264. L’accord de Paris affirme également l’importance de la coopération « à tous les niveaux »265, et reconnaît l’importance de la coopération des États dans la mise en oeuvre des CDN, ainsi qu’en ce qui concerne le partage de l’information et des connaissances scientifiques sur les changements climatiques266. Les parties à l’accord de Paris se sont également engagées à renforcer la coopération en matière d’adaptation, notamment « en tenant compte des besoins urgents et immédiats des pays en développement parties qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques »267.
88. En outre, les traités sur le climat reconnaissent que la charge des changements climatiques et la responsabilité de l’action ne sont pas également réparties entre les États. D’une part, les traités reconnaissent que certains États et régions sont plus vulnérables aux effets graves des changements climatiques, notamment les petits États insulaires et les pays en développement. Dans le même temps, certains États et régions disposent d’une plus grande capacité — notamment financière, scientifique et technologique — pour mener la transition vers un monde à zéro émission nette. La convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris consacrent tous le « principe de l’équité et des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales »268, et exigent des États développés qu’ils prennent la tête de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes269.
89. Les traités sur le climat ne sont toutefois pas la seule source d’obligations des États en ce qui concerne les changements climatiques. En effet, ils coexistent avec deux règles fondamentales du droit international coutumier : les obligations de prévention des dommages transfrontières et de coopération. Les obligations des États en vertu du droit international coutumier et des traités sur le climat sont complémentaires et s’appliquent intégralement dans leur champ d’application respectif. En particulier, l’obligation, en vertu du droit international coutumier, de prévenir les dommages transfrontières en procédant à une réduction profonde, rapide et durable des émissions de GES s’applique parallèlement aux obligations d’atténuation contenues dans les traités sur le climat, même si leur champ d’application diffère.
90. En principe, la Cour a confirmé que le droit international coutumier continue de s’appliquer parallèlement aux dispositions conventionnelles régissant la même matière. Dans l’affaire Costa Rica c. Nicaragua, la Cour a confirmé que lorsqu’un État est soumis à des « obligations de nature procédurale relatives aux dommages transfrontières, qui pourraient exister en … droit international coutumier », une telle obligation reste contraignante même si elle ne figure pas dans un traité applicable270. Le même principe s’applique parfaitement aux circonstances actuelles.
264 CCNUCC, préambule, art. 3, par. 3.
265 Accord de Paris, préambule.
266 Ibid., art. 7, par. 7.
267 Ibid., art.7, par. 6.
268 Ibid., préambule.
269 Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, préambule, art. 3, 4, 5, 6 ; protocole de Kyoto, art. 2, 3, 10, 11 ; accord de Paris, art. 2, par. 1 et 2.
270 Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015, p. 708, par. 108.
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91. En effet, rien dans les traités climatiques existants ne suggère une intention de circonscrire la portée et l’effet des règles coutumières. Au contraire, les traités réaffirment et font expressément référence à l’obligation de droit coutumier de prévenir les dommages transfrontières271 et cherchent à rendre cette obligation opérationnelle en convenant d’objectifs de réduction quantifiés plus spécifiques, à la fois collectifs et individuels. Le simple fait qu’il n’existe pas de consensus politique suffisant pour adopter des objectifs de réduction plus ambitieux sous la forme d’un traité n’exclut pas l’existence d’une obligation distincte de le faire en vertu du droit international coutumier.
2. Obligation de prévenir les dommages transfrontières en vertu du droit international coutumier
92. En vertu du droit international coutumier, un État ne peut sciemment permettre que son territoire soit utilisé pour des actes contraires aux droits des autres États272. Ce grand principe a été adapté et étendu dans le contexte du droit international de l’environnement, exigeant que chaque État « mette en oeuvre tous les moyens dont il dispose pour éviter que les activités qui se déroulent sur son territoire, ou dans toute zone sous sa juridiction, ne causent des dommages importants à l’environnement d’un autre État » (l’« obligation de prévention »)273. La Cour a décrit cette obligation comme suit :
« Le principe de prévention, en tant que règle coutumière, trouve son origine dans la diligence requise d’un État sur son territoire. C’est « l’obligation, pour tout État, de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres États » [Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 22]. Un État est dans l’obligation de mettre en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour éviter que les activités qui se déroulent sur son territoire, ou sur tout espace relevant de sa juridiction, ne causent un préjudice sensible à l’environnement d’un autre État »274.
93. Trois observations préliminaires peuvent être faites à ce stade en ce qui concerne la portée et le contenu de l’obligation de prévention.
94. Tout d’abord, les Bahamas acceptent que l’obligation de prévention, dans sa formulation générale, est une obligation de comportement, c’est-à-dire qu’elle exige d’un État qu’il fasse preuve de la diligence requise en agissant ou en s’abstenant d’agir d’une certaine manière, mais elle peut être exécutée même si un dommage à l’environnement se produit en fin de compte275. Toutefois, dans l’exercice de la diligence requise, un État peut être tenu de prendre une mesure spécifique ou même d’obtenir un résultat spécifique. Par exemple, il est largement admis que les États ont l’obligation de réaliser une évaluation des incidences sur l’environnement dans le cadre de la
271 Nations Unies, convention sur la pollution atmosphérique transfrontière à longue distance, 13 novembre 1979, RTNU, vol. 1302, p. 217, préambule, 2, 4, 5 ; convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière (ci-après, la « convention d’Espoo »), 25 février 1991, RTNU, vol. 1989, p. 309, art. 2, par. 1, 2, 5 et 10 ; déclaration de Rio, principes 2, 19.
272 Affaire du canal de Corfou, arrêt du 9 avril 1949, C.I.J. Recueil 1949, p. 22, par. 2.
273 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (ci-après, « Usines de pâte à papier, arrêt »), p. 14, par. 101 ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015, p. 665, par. 140 ; Activités menées dans la Zone, avis consultatif, p. 41, par. 110 ; Nations Unies, convention sur la diversité biologique, 5 juin 1992, RTNU, vol. 1760, p. 79, art. 3 (qui prévoit que si les États ont le droit d’exploiter leurs propres ressources, ils ont aussi « la responsabilité de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommages à l’environnement d’autres États ou de régions ne relevant d’aucune juridiction nationale »).
274 Usines de pâte à papier, arrêt, p. 14, par. 101.
275 Ibid., p. 77, par. 187.
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diligence requise lorsqu’une nouvelle activité proposée risque de causer des dommages importants à l’environnement
276.
95. Deuxièmement, il s’agit d’une obligation onéreuse, exigeant d’un État qu’il « utilise tous les moyens à sa disposition »277. L’obligation n’est pas qualifiée par des termes couramment utilisés dans ce type de clauses, tels que « moyens raisonnables » ou « moyens appropriés ». Si l’obligation de « mettre en oeuvre tous les moyens » doit être interprétée de manière cohérente avec d’autres normes internationales, elle fait clairement peser une lourde charge sur les États lorsqu’ils cherchent à trouver un équilibre entre les mesures de protection de l’environnement et les mesures visant à assurer, par exemple, le développement économique. Ce qui constitue « tous les moyens à la disposition [de l’État] » dépend de la capacité individuelle de l’État, mais doit viser à atteindre effectivement l’objectif global, c’est-à-dire « d’éviter les activités … causant des dommages importants à l’environnement d’un autre État »278. En d’autres termes, les actions de l’État doivent être suffisamment ambitieuses et efficaces pour avoir au moins une chance raisonnable de prévenir des dommages significatifs à l’environnement. Cette évaluation doit s’appuyer sur l’évolution du consensus scientifique concernant les incidences de l’activité humaine sur l’environnement et les mesures d’atténuation et d’adaptation nécessaires279.
96. Troisièmement, l’obligation met l’accent sur la prévention plutôt que sur la réparation en ce qui concerne la protection de l’environnement. La Cour a reconnu que « la vigilance et la prévention s’imposent en raison du caractère souvent irréversible des atteintes à l’environnement et des limites inhérentes au mécanisme même de réparation de ce type de dommages »280.
97. Cela nécessite, entre autres, une approche proactive et vigilante pour recenser et évaluer les risques environnementaux, et prendre des mesures de protection dès qu’il y a une menace de dommages graves et irréversibles281.
98. L’obligation de prévention s’applique mutatis mutandis dans le contexte des changements climatiques. Historiquement, les règles relatives aux dommages transfrontières se sont développées dans le contexte de la pollution qui peut être retracée d’un État à l’autre, comme la pollution de l’eau qui se propage à travers une source d’eau partagée282 ou les fumées d’une usine qui affectent la qualité de l’air de part et d’autre d’une frontière internationale283. Cependant, il n’y a aucune raison de principe pour que l’obligation de prévention ne s’applique pas également aux dommages
276 Ibid., p. 82-83, par. 203-205 ; convention d’Espoo, art. 1, art. 2, par. 2 et 3 ; projet d’articles sur les dommages transfrontières de la Commission du droit international, commentaire de l’article 7, par. 4-8.
277 Usines de pâte à papier, arrêt, p. 14, par. 101.
278 Ibid.
279 Voir Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 78, par. 140.
280 Ibid.
281 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 78, par. 140 (« dans le domaine de la protection de l’environnement, la vigilance et la prévention s’imposent ») ; voir aussi Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), mesures conservatoires, ordonnance du 13 juillet 2006, opinion dissidente du juge ad hoc Vinuesa, C.I.J. Recueil 2006, p. 292, par. 98-99.
282 Usines de pâte à papier, arrêt, p. 74, 76-77, par. 177, 183, 185 ; projet d’articles sur les dommages transfrontières de la Commission du droit international, commentaire général, par. 5.
283 Affaire de la Fonderie du trail (États-Unis d’Amérique, Canada), sentence du 11 mars 1941, Rapport des sentences arbitrales internationales Volume III (ci-après, l’« Affaire de la Fonderie de Trail »), p. 1960, 1966, 1968 ; voir aussi projet d’articles sur les dommages transfrontières de la Commission du droit international, commentaire général, commentaire de l’article 7, par. 2.
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transfrontières causés par les émissions de GES. S’il n’est souvent pas possible d’établir une corrélation entre une partie spécifique des émissions anthropiques de GES et une atteinte spécifique à l’environnement (bien que la science rattrape rapidement son retard
284), il est clair que les émissions de GES ne respectent pas les frontières nationales et que chaque unité supplémentaire renforce l’atteinte grave à l’environnement qui se produit au même rythme à l’échelle mondiale. En fait, à la lumière des effets potentiellement catastrophiques des changements climatiques sur l’environnement et la vie humaine, l’obligation de prévenir les dommages transfrontières causés par les émissions de GES est encore plus exigeante et les États doivent faire preuve d’un degré de diligence particulièrement élevé. Comme l’a noté la Commission du droit international dans son commentaire sur le projet d’articles sur les dommages transfrontières : « Le degré de prudence requis est proportionnel au degré de danger encouru. … Plus le préjudice inadmissible est important, plus le devoir de diligence nécessaire pour l’éviter est élevé »285.
99. Comme indiqué ci-dessus, la double action d’atténuation et d’adaptation est au coeur des recommandations du GIEC pour une action efficace286. Sur cette base, il est clair que l’obligation de prévention requiert des États, collectivement et individuellement : i) qu’ils procèdent à une réduction profonde, rapide et durable des émissions anthropiques de GES en vue d’atteindre zéro émission nette à court terme ; et ii) qu’ils mettent en place des mesures d’adaptation afin de remédier aux dommages environnementaux qui résulteront des émissions de GES passées, présentes et futures.
a) Atténuation
100. Comme nous l’avons vu plus haut, pour limiter le réchauffement de la planète à des niveaux durables, il faut une réduction profonde, rapide et soutenue des émissions anthropiques mondiales de GES par rapport aux niveaux actuels, pour parvenir à des émissions nettes nulles de CO2, puis à des émissions nettes nulles de GES à court terme. Les niveaux mondiaux d’émissions anthropiques de GES n’échappent pas au contrôle des États ; au contraire, la régulation de l’activité humaine est l’une des fonctions essentielles d’un État et l’un des principaux « moyens à sa disposition ». Ainsi, les États ne peuvent se conformer à l’obligation de prévention et à la diligence requise qui leur incombe que s’ils procèdent effectivement à une réduction profonde, rapide et durable des émissions anthropiques mondiales de gaz à effet de serre. Les États disposent de divers moyens pour parvenir à la réduction requise, notamment en adoptant et en appliquant une législation sur les changements climatiques, en prenant des mesures pour réglementer le comportement des acteurs privés (y compris à l’étranger, le cas échéant) et en encourageant la transparence et une large
284 Depuis 2004, les scientifiques établissent une corrélation entre le degré de contribution des changements climatiques et les événements météorologiques par le biais d’analyses d’attribution, couvrant les changements dans le système climatique mondial, la probabilité et les caractéristiques des événements extrêmes, l’incidence sur l’homme et les écosystèmes, ainsi que les contributions relatives des différents secteurs, activités et entités. Voir Climate Attribution, Climate Attribution Database, accessible à l’adresse suivante : https://climateattribution.org/. La conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques a établi le mécanisme international de Varsovie pour les pertes et dommages liés aux incidences des changements climatiques en 2013, qui vise à traiter les pertes et dommages liés aux changements climatiques, y compris les phénomènes météorologiques extrêmes et les événements à évolution lente dans les pays en développement, qui sont particulièrement vulnérables aux incidences des changements climatiques. Voir United Nations Climate Change, Warsaw International Mechanism for Loss and Damage associated with Climate Change Impacts (WIM), accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/topics/adaptation-and-resilience/workstreams/loss-and-damage/warsaw-international-mechanism.
285 Projet d’articles sur les dommages transfrontières de la Commission du droit international, commentaire de l’article 3, par. 18.
286 Rapport de synthèse 2014 du GIEC, p. 17 ; IPCC 2023 Synthesis Report, p. 19; voir aussi IPCC 2022 Report on Mitigation of Climate Change.
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participation du public au processus de prise de décision en matière d’environnement
287. Comme l’a noté la Cour dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, l’obligation de prévention « implique non seulement la nécessité d’adopter les normes et mesures appropriées, mais encore … le contrôle administratif des opérateurs … privés, par exemple en assurant la surveillance des activités entreprises par ces opérateurs »288.
101. L’obligation d’utiliser « tous les moyens » à la disposition de l’État — y compris une action réglementaire ambitieuse — doit être interprétée de manière cohérente avec les autres normes du droit international. Par exemple, une certaine activité humaine génératrice de GES est nécessaire à court terme pour sauvegarder de nombreux droits de l’homme, car les États sont actuellement incapables de produire les quantités requises d’énergie, de nourriture ou d’eau potable, ou de fournir des logements, une éducation ou des soins de santé adéquats sans générer d’émissions de GES. La nécessité d’une certaine forme d’exercice de mise en balance est reconnue depuis longtemps289, y compris dans le cadre du concept de « développement durable ». Toutefois, l’exercice de mise en balance doit tenir pleinement compte des graves dommages que les changements climatiques infligent déjà et continueront d’infliger à la jouissance des droits de l’homme290. Comme l’a clairement indiqué le GIEC, la seule façon d’aller de l’avant est d’opérer une transition rapide et complète vers une technologie à faible teneur en gaz à effet de serre, voire sans gaz à effet de serre, dans la production d’énergie et dans tous les autres domaines de la vie humaine291.
102. Le fait que l’objectif ultime de limiter le réchauffement de la planète à des niveaux viables nécessite une action collective ne dilue en rien les obligations de chaque État en matière d’atténuation292. Au contraire, un État exerce un pouvoir réglementaire principalement sur son territoire et dans sa juridiction — à la fois en matière de droit293 et de capacité pratique — et a donc l’obligation de prendre des mesures en premier lieu sur son territoire et dans sa juridiction pour atteindre et maintenir un niveau d’émissions de GES d’origine anthropique qui soit durable du point de vue de l’environnement. Bien qu’il ne soit ni possible ni approprié, et que les Bahamas ne proposent pas, que la Cour détermine ce qui constitue un niveau écologiquement viable d’émissions anthropiques de GES pour chaque État, l’évaluation devrait être guidée par les principes suivants :
a) La primauté de la science environnementale. Comme indiqué plus haut, l’évaluation du niveau durable d’émissions de GES et des mesures à prendre pour atteindre ce niveau doit être fondée sur la science environnementale294.
287 Usines de pâte à papier, arrêt, p. 69, par. 197. Voir aussi projet d’articles sur les dommages transfrontières de la Commission du droit international, commentaire de l’article 3, par. 10 (notant que les États ont l’obligation de prendre des mesures pour prévenir les dommages transfrontières importants et que ces mesures doivent être mises en oeuvre et respectées) ; Activités menées dans la Zone, avis consultatif, par. 115, 131, 239 ; Demande d’avis consultatif présentée par la Commission sous-régionale des pêches (CSRP), avis consultatif du 2 avril 2015, rapports du Tribunal international du droit de la mer 2015 (ci-après, « CSRP, avis consultatif »), p. 41, par. 131 ; Mer de Chine méridionale (Philippines c. Chine), affaire CPA no 2013-19, sentence sur le fond, 12 juillet 2016, (ci-après, « Mer de Chine méridionale, sentence »), p. 375, par. 944.
288 Usines de pâte à papier, arrêt, p. 79, par. 197.
289 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 78, par. 140.
290 Voir sect. IV.C ci-dessous.
291 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 104-107.
292 Voir, par exemple, État des Pays-Bas c. Fondation Urgenda, Cour suprême des Pays-Bas (20 décembre 2019), par. 7.3.6 ; Générations futures c. Ministère de l’environnement et autres, Cour suprême de justice de Colombie, STC4360-2018 (5 avril 2018), par. 6, 11,3.
293 Affaire relative aux activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 27 juin 1986, C.I.J. Recueil 1986, p. 14, par. 212.
294 Voir sect. II.C.1 ci-dessus.
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b) Le zéro émission nette est l’objectif ultime. Comme indiqué plus haut, pour limiter le réchauffement de la planète à des niveaux durables, l’homme doit parvenir à des émissions anthropiques nettes de CO2 à court terme, puis à des émissions nettes nulles de GES à brève échéance295. Il s’agit d’un objectif clair et mesurable qui devrait guider la détermination des obligations individuelles en matière d’atténuation.
c) Proportionnalité. L’obligation de prévention exige que le niveau de réduction exigé des différents États soit largement proportionnel à leur contribution au dommage environnemental, c’est-à-dire au niveau des émissions de GES qu’ils génèrent. En 2022 (comme pour les périodes précédentes), plus de 60 % des émissions anthropiques mondiales de GES étaient générées par cinq États (la Chine, les États-Unis, l’Inde, la Russie et le Brésil) ainsi que par les pays de l’EU-27 (qui sont généralement traités comme un seul bloc car ils se sont engagés à réduire les émissions de GES au niveau de l’UE)296. Ces émissions causent toutefois de graves dommages bien au-delà des frontières de ces États, y compris dans les petits États insulaires tels que les Bahamas, souvent situés à des milliers de kilomètres. La réalité est que les États ne peuvent pas parvenir à la réduction globale nécessaire des émissions anthropiques de GES sans que les États les plus polluants prennent des mesures radicales au niveau individuel. Si la plupart des États doivent procéder à une certaine réduction pour atteindre l’objectif de zéro émission nette au niveau mondial, les plus gros émetteurs ont indéniablement l’obligation de faire preuve d’une grande diligence requise et de procéder à une réduction profonde, rapide et durable des émissions de GES sur leur territoire et sous leur juridiction297. En d’autres termes, plus un État contribue aux émissions de GES, plus son obligation d’agir est lourde.
d) Obligation permanente. La Cour a affirmé que dans le domaine de la protection de l’environnement, « la vigilance [est] nécessaire en raison du caractère souvent irréversible des dommages causés à l’environnement »298. La mise en conformité d’un État nécessite donc une surveillance constante et le suivi de l’évolution des normes scientifiques et technologiques, ainsi que l’ajustement des plans, politiques et actions nationaux lorsque l’évaluation de ce qui constitue un niveau durable d’émissions de GES et les mesures nécessaires pour atteindre ce niveau changent.
b) Adaptation
103. Comme indiqué ci-dessus, les effets néfastes sur l’environnement des émissions de GES anthropiques passées, présentes et futures (même si des mesures d’atténuation énergiques sont prises) se poursuivront dans une certaine mesure, certains changements tels que l’élévation du niveau des mers étant « irréversibles sur une échelle de temps allant du siècle au millénaire »299. Ces dommages prévisibles comprennent les pertes et les dommages causés à la vie, aux biens et à l’environnement physique par des phénomènes météorologiques extrêmes tels que les tempêtes et les sécheresses, l’extinction d’espèces végétales et animales affectant les écosystèmes locaux et mondiaux, y compris
295 Voir sect. II.C.2.a) ci-dessus.
296 La liste des plus gros émetteurs est relativement stable au fil des ans. Voir Emissions Database for Global Atmospheric Research, GHG emissions of all world countries: 2023 Report, accessible à l’adresse suivante : https://edgar.jrc.ec.europa.eu/report_2023.
297 Voir aussi IPCC 2023 Synthesis Report, p. 45 (figure 2.2 montrant comment « les émissions se sont développées dans la plupart des régions mais sont réparties de manière inégale … cumulativement depuis 1850 »), p. 60 (« L’adoption et la mise en oeuvre d’objectifs de zéro émission nette par les pays et les régions dépendent également de considérations d’équité et de capacité ») ; Emissions Database for Global Atmospheric Research, GHG emissions of all world countries: 2023 Report, accessible à l’adresse suivante : https://edgar.jrc.ec.europa.eu/report_2023.
298 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 78, par. 140.
299 Voir sect. II.C.2.b) ci-dessus ; IPCC 2023 Synthesis Report, p. 69.
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les moyens de subsistance tels que l’agriculture, la pêche et le tourisme, ainsi que le déplacement à long terme des populations touchées.
104. Par conséquent, outre la réduction des émissions anthropiques de GES, les États doivent faire preuve de la diligence requise et utiliser tous les moyens à leur disposition pour mettre en place des mesures d’adaptation en réponse aux changements climatiques, c’est-à-dire afin de remédier aux dommages que les émissions de GES passées, présentes et futures causeront à l’environnement. Parmi les exemples de mesures d’adaptation figurent la gestion des risques de catastrophe, les systèmes d’alerte précoce et les services climatologiques, le stockage de l’eau, la conservation de l’humidité du sol et l’irrigation, la production alimentaire durable, la mise en oeuvre du financement climatique et les filets de sécurité sociale300.
3. Obligation de coopérer en vertu du droit international coutumier
105. En outre, compte tenu de la nature mondiale des changements climatiques et de la nécessité d’une action collective forte, un État a l’obligation, en vertu du droit coutumier, de coopérer avec d’autres États, des organisations internationales et d’autres parties prenantes pour concevoir et mettre en oeuvre des mesures d’atténuation et d’adaptation efficaces.
106. L’obligation coutumière des États de coopérer pour résoudre les problèmes mondiaux est un principe fondamental du droit international (l’« obligation de coopération »)301. L’article 56 de la Charte des Nations Unies prévoit que les États « s’engagent, en vue d’atteindre les buts énoncés à l’article 55, à agir, tant conjointement que séparément, en coopération avec l’Organisation », buts qui comprennent « a. le relèvement des niveaux de vie … ; b. la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes … ; c. le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales »302.
107. La déclaration historique relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États reconnaît également que
« les États ont le devoir de coopérer les uns avec les autres, quelles que soient les différences entre leurs systèmes politiques, économiques et sociaux, dans les divers domaines des relations internationales, afin de maintenir la paix et la sécurité internationales et de promouvoir la stabilité et le progrès économiques internationaux, le bien-être général des nations et la coopération internationale, sans discrimination fondée sur ces différences »303.
300 Ibid., p. 55-56.
301 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 253, par. 46 ; Armes nucléaires, avis consultatif, p. 26, par. 102 ; Usines de pâte à papier, arrêt, p. 67, par. 145.
302 Charte des Nations Unies, art. 55-56 ; voir aussi article premier, par. 3 (« Les buts des Nations Unies sont : … 3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes d’ordre économique, social, culturel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales »).
303 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2625 (XXV), déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, 24 octobre 1970, doc. A/RES/2625 (XXV) ; CCNUCC, al. c) du paragraphe 1 de l’article 4 (demandant aux États parties de « coopérer à la mise au point, à l’application et à la diffusion, y compris le transfert, de technologies, de pratiques et de procédés qui permettent de maîtriser, de réduire ou de prévenir les émissions anthropiques ; émissions d’origine anthropique de gaz à effet de serre »), al. e) du paragraphe 1 de l’article 4 (demandant aux États parties de « [c]oopérer à la préparation de l’adaptation aux incidences des changements climatiques »).
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108. L’obligation de coopération a été largement reconnue dans le contexte spécifique du droit international de l’environnement304, qui traite de la protection d’une ressource partagée qu’aucun État n’est en mesure d’assurer seul305. La Cour a reconnu à plusieurs reprises la nécessité d’une coopération en matière d’environnement, notant que « c’est en coopérant que les États concernés peuvent gérer en commun les risques de dommages à l’environnement »306 et que les ressources partagées « ne peuvent être protégées que par une coopération étroite et continue »307. Écrivant séparément dans l’affaire relative à la Chasse à la baleine dans l’Antarctique, la juge de l’époque ad hoc Charlesworth a noté que
« [l]a notion de devoir de coopération est la pierre angulaire de tout régime juridique touchant notamment aux ressources communes et à l’environnement. Elle découle du principe voulant que la conservation et la gestion de l’environnement et de ressources communes répondent à des intérêts communs, et non pas aux intérêts d’une seule partie »308.
109. L’obligation de coopération prévue par le droit coutumier est reflétée dans un certain nombre de traités environnementaux, notamment :
a) La convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris, qui prévoient un certain nombre d’obligations en matière de coopération, notamment en ce qui concerne les changements climatiques et la réduction des émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Par exemple :
i) L’article 4 de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques prévoit que les États « soutiennent par leur coopération la mise au point, l’application et la diffusion — notamment par voie de transfert — de technologies, pratiques et procédés qui permettent de maîtriser, de réduire ou de prévenir les émissions anthropiques des gaz à effet de serre »309 et « préparent, en coopération, l’adaptation à l’impact des changements climatiques »310. L’article 5 charge les États de « coop[érer] pour améliorer [les] moyens et
304 Usine MOX (Irlande c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 3 décembre 2011, TIDM Recueil 2001, p. 95, par. 82 (« l’obligation de coopérer est un principe fondamental de la prévention de la pollution du milieu marin en vertu de la partie XII de la Convention et du droit international général ») ; voir aussi opinion individuelle du juge Wolfrum, ordonnance du 3 décembre 2011, TIDM Recueil 2001, p. 135 ; P. Okowa, « Procedural Obligations in International Environmental Agreements », 67 British Year Book of International Law (1997) 275, p. 333 ; M. Koyano, « The Significance of Procedural Obligations in International Environmental Law: Sovereignty and International Co-Operation », 45 Japanese Year Book of International Law (I2011) 97, p. 115-117, 147 ; J. Rudall, « The Obligation to Cooperate in the Fight against Climate Change », 23 International Community Law Review (2021), 184, p. 188 ; Nations Unies, Assemblée générale, résolution 3129 (XXVIII), « Coopération dans le domaine de l’environnement concernant les ressources naturelles partagées par deux ou plusieurs États », 13 décembre 1973, doc. A/RES/3129, résolutions 1 et 3 ; Nations Unies, Assemblée générale, résolution 76/300, « Le droit de l’homme à un environnement propre, sain et durable », 28 juillet 2022, doc. A/RES/76/300, résolution 4 ; Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/165, « Protection du climat mondial pour les générations présentes et futures », 14 décembre 2022, doc. A/RES/77/165, résolution 10.
305 La couche d’ozone en est un exemple. Voir convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone (qui a atteint la ratification universelle en 2009), qui prévoit que les États parties coopèrent selon plusieurs dimensions énoncées au paragraphe 2 de l’article 2 pour étudier et protéger la couche d’ozone, dans l’intérêt de la santé humaine et de l’environnement.
306 Usines de pâte à papier, arrêt, p. 49, par. 77.
307 Différend concernant le statut et l’utilisation des eaux du Silala (Chili c. Bolivie), arrêt, C.I.J Recueil 2022 p. 614, par. 100-101. Voir aussi Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 78, par. 140.
308 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon : Nouvelle-Zélande intervenante), opinion individuelle de la juge ad hoc Charlesworth, C.I.J. Recueil 2014, p. 453, par. 13.
309 CCNUCC, art. 4, par. 1, al. c).
310 Ibid., art. 4, par. 1, al. e).
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capacités endogènes » des pays en développement
311. L’article 6 invite également les États à « sout[enir] par leur coopération et encourage[r] au niveau international … la mise au point et l’échange de matériel éducatif et de matériel destiné à sensibiliser le public aux changements climatiques et à leurs effets » et « la mise au point et l’exécution de programmes d’éducation et de formation »312.
ii) L’accord de Paris prévoit une « coopération volontaire pour la mise en oeuvre des … contributions déterminées au niveau national » et pour l’engagement dans des « démarches concertées passant par l’utilisation de résultats d’atténuation transférés au niveau international »313. En outre, l’accord de Paris reconnaît
« l’importance de l’appui et de la coopération internationale aux efforts d’adaptation et la nécessité de prendre en considération les besoins des pays en développement Parties, notamment de ceux qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques »314.
Il prévoit également que les parties coopèrent en ce qui concerne le partage d’informations, les bonnes pratiques, le renforcement des dispositions institutionnelles, les connaissances scientifiques sur le climat, l’identification de pratiques d’adaptation efficaces et l’amélioration de « l’efficacité et [de] la pérennité des mesures d’adaptation »315.
iii) De même, l’article 2 du protocole de Kyoto impose aux États de coopérer avec les autres États parties pour « renforcer l’efficacité individuelle et globale » des politiques et mesures mises en oeuvre pour réduire les émissions de GES316.
b) La coopération internationale était déjà un pilier essentiel de la déclaration de Stockholm de 1972, qui prévoit que « les questions internationales se rapportant à la protection et à l’amélioration de l’environnement devraient être abordées dans un esprit de coopération » par le biais d’accords multilatéraux ou bilatéraux, ou par d’autres « moyens appropriés »317.
c) Le principe 7 de la déclaration de Rio de 1992 exige que les États « coopèrent dans un esprit de partenariat mondial pour conserver, protéger et rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre »318.
d) L’accord BBNJ prévoit que les États « coopèrent … pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale »319.
311 Ibid., art. 5, al. c).
312 Ibid., art. 6, al. b).
313 Accord de Paris, art. 6.
314 Ibid., art. 7, par. 6.
315 Ibid., art. 7, par. 7. Voir aussi article 8 du document sur la coopération et la facilitation pour « améliorer la compréhension, l’action et le soutien » en ce qui concerne les systèmes d’alerte précoce, la préparation aux situations d’urgence, les événements à évolution lente, les événements pouvant entraîner des pertes et des dommages irréversibles et permanents, l’évaluation et la gestion globales des risques, les mécanismes d’assurance des risques, la mise en commun des risques climatiques et d’autres solutions d’assurance, les pertes non économiques et la résilience des communautés, des moyens de subsistance et des écosystèmes.
316 Protocole de Kyoto, art. 2, par. 1, point b).
317 Déclaration de Stockholm, principe 24.
318 Déclaration de Rio, principe 7.
319 Accord BBNJ, art. 8, par. 1.
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110. Plusieurs résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies ont également affirmé la nécessité d’une large coopération dans la lutte contre les changements climatiques :
a) La résolution 76/300 adoptée le 28 juillet 2022 invite les États à renforcer la coopération internationale afin d’intensifier les efforts visant à garantir un « environnement propre, sain et durable pour tous »320.
b) La résolution 61/222 adoptée le 20 décembre 2006 s’inquiète des effets des changements climatiques sur les océans et le milieu marin et invite les États à « coopérer et à prendre des mesures » conformes à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer pour protéger et préserver le milieu marin321.
c) La résolution 43/53 adoptée le 6 décembre 1988 invite les États et la communauté internationale à « collaborer en faisant tout leur possible pour prévenir les effets néfastes sur le climat et les activités qui affectent l’équilibre écologique »322.
111. Le GIEC a également mis l’accent sur la nécessité d’une coopération internationale pour favoriser une action efficace en matière d’atténuation et d’adaptation323. Le GIEC considère que « [l]a nature transfrontière de nombreux risques liés aux changements climatiques … accroît la nécessité d’une gestion, d’une coopération, de réponses et de solutions transfrontières tenant compte du climat par le biais de processus de gouvernance multinationaux ou régionaux »324 et réaffirme que
« la coopération internationale sur les systèmes d’innovation et le développement et le transfert de technologies, accompagnée d’un renforcement des capacités, d’un partage des connaissances et d’un soutien technique et financier, peut accélérer la diffusion mondiale des technologies d’atténuation des effets des changements climatiques, des pratiques et des politiques »325.
La coopération est nécessaire dans tous les domaines de l’action climatique, mais les exemples clés comprennent la coopération financière, scientifique et technologique en vue d’accélérer la transition vers des technologies à émissions de gaz à effet de serre faibles ou nulles ; la coopération dans la négociation de bonne foi de mesures efficaces pour réduire les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre et traiter leurs effets ; la coopération dans l’élaboration de normes de droit international autour de questions nouvelles telles que l’élévation du niveau de la mer et la continuité de l’État ; et la coopération en ce qui concerne les populations déplacées par les changements climatiques.
B. Obligations des États en vertu du droit international de la mer
112. Comme d’autres branches du droit international relatives à la protection de l’environnement, la convention des Nations Unies sur le droit de la mer impose aux États parties l’obligation de se protéger contre les effets délétères des changements climatiques. En particulier, la partie XII de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer impose des obligations juridiques
320 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 76/300, « Le droit de l’homme à un environnement propre, sain et durable », 28 juillet 2022, doc. A/RES/76/300, résolution 4.
321 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 61/222, « Les océans et le droit de la mer », 20 décembre 2006, doc. A/RES/61/222, par. 74.
322 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 43/53, « Protection du climat mondial pour les générations présentes et futures », 6 décembre 1988, par. 9.
323 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 111.
324 Ibid., p. 112.
325 Ibid., p. 113.
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détaillées et solides aux États pour qu’ils protègent le milieu marin de la pollution et de ses effets néfastes, y compris la pollution due aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre.
113. Il n’est pas surprenant que la convention des Nations Unies sur le droit de la mer aborde les questions des changements climatiques. L’océan est le plus grand puits de chaleur et de carbone de la planète et constitue un élément essentiel du système climatique. Les changements climatiques ont entraîné l’absorption d’une quantité excessive de CO2 et de chaleur dans l’environnement marin, provoquant des changements significatifs dans les propriétés physiques et chimiques de l’océan326. Le GIEC a conclu, par exemple, qu’il est « pratiquement certain que l’absorption de CO2 anthropique a été le principal moteur de l’acidification observée de la surface de l’océan mondial »327. Comme indiqué plus haut, le réchauffement et l’acidification des océans ont entraîné la détérioration et la perte d’écosystèmes marins, notamment de récifs coralliens, de mangroves et d’herbiers marins, avec des conséquences particulièrement graves pour les petits États insulaires tels que les Bahamas328.
114. La partie XII de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer exige des États qu’ils prennent des mesures concrètes pour s’attaquer à ces sources de dommages et à d’autres sources de dommages au milieu marin. Il s’agit notamment de mesures visant à réduire fortement, rapidement et durablement les émissions anthropiques de gaz à effet de serre et à remédier à leurs effets néfastes sur le milieu marin.
1. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer exige des États qu’ils protègent le milieu marin
115. L’article 192 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer impose aux États l’obligation générale de « protéger et préserver le milieu marin ». Cette obligation s’applique à toutes les zones et aires marines, tant à l’intérieur de la juridiction nationale des États qu’au-delà, et comprend les « ressources biologiques de la mer » qui font partie de l’environnement marin329. Comme l’a expliqué le tribunal dans l’arbitrage relatif à la mer de Chine méridionale :
« Cette “obligation d’ordre général” s’étend à la fois à la “protection” du milieu marin contre des dommages futurs et à la “préservation” au sens du maintien ou de l’amélioration de l’état actuel du milieu marin. L’article 192 implique donc l’obligation positive de prendre des mesures actives afin de protéger et de préserver le milieu marin, et, par implication logique, l’obligation négative de ne pas dégrader le milieu marin »330.
116. Le tribunal a également estimé que cette obligation est « éclairée par les autres dispositions de la partie XII et les autres règles applicables du droit international »331. Les dispositions plus spécifiques de la partie XII doivent donc être lues parallèlement à cette obligation générale.
326 Rapport spécial 2019 du GIEC sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, p. 450.
327 Rapport sur les bases scientifiques physiques (2021), p. 427.
328 Voir sect. II.B.3 ci-dessus.
329 Thon à nageoire bleue (Nouvelle-Zélande c. Japon ; Australie c. Japon), mesures conservatoires, ordonnance du 27 août 1999, TIDM Recueil 1999, p. 280, par. 70. Voir aussi CSRP, avis consultatif, par. 216 (« les ressources vivantes et la vie marine font partie de l’environnement marin ») ; Mer de Chine méridionale, sentence, par. 945.
330 Mer de Chine méridionale, sentence, par. 941.
331 Ibid.
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2. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer exige des États qu’ils préviennent et maîtrisent la pollution du milieu marin, y compris la pollution transfrontière
117. Le paragraphe 1 de l’article 194 impose aux États des obligations plus spécifiques en matière de protection du milieu marin, en particulier pour lutter efficacement contre la pollution marine. Il prévoit :
« les États prennent, séparément ou conjointement selon qu’il convient, toutes les mesures compatibles avec la Convention qui sont nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin, quelle qu’en soit la source ; ils mettent en oeuvre à cette fin les moyens les mieux adaptés dont ils disposent, en fonction de leurs capacités, et ils s’efforcent d’harmoniser leurs politiques à cet égard »332.
118. Cette obligation vise à prévenir, réduire et contrôler la « pollution du milieu marin », définie comme suit au point 4 du paragraphe 1 de l’article premier de la convention des Nations unies sur le droit de la mer :
« L’introduction directe ou indirecte, par l’homme, de substances ou d’énergie dans le milieu marin, y compris les estuaires, lorsqu’elle a ou peut avoir des effets nuisibles tels que … altération de la qualité de l’eau de mer du point de vue de son utilisation et dégradation des valeurs d’agrément »333.
119. Le paragraphe 1 de l’article 194 englobe indubitablement une obligation de prévention et de protection contre les dommages causés au milieu marin par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre. Comme expliqué ci-dessus, les meilleures preuves scientifiques disponibles confirment que les émissions anthropiques de GES introduisent directement du carbone (une « substance ») et indirectement de la chaleur (qui équivaut à de l’« énergie ») dans l’océan et le milieu marin334. La science confirme également que cela a des « effets nuisibles » évidents sur le milieu marin335.
120. Dans l’arbitrage relatif à la Mer de Chine méridionale, le tribunal a conclu que l’utilisation de cyanure et de dynamite dans l’industrie de la pêche constituait une « pollution du milieu marin » au sens du paragraphe 1 de l’article 194 parce qu’elle « menaçait » l’écosystème des récifs coralliens et les habitats des espèces en voie de disparition336. Les incidences des émissions anthropiques de GES sur l’écosystème marin sont bien plus délétères et causent de graves « dommages aux ressources vivantes et à la vie marine, des risques pour la santé humaine, des entraves aux activités marines … et aux autres utilisations légitimes de la mer »337.
121. Le paragraphe 1 de l’article 194 impose aux États l’obligation d’adopter et de mettre en oeuvre « toutes les mesures … nécessaires » en utilisant « les moyens les mieux adaptés dont ils disposent », pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin par les émissions anthropiques de gaz à effet de serre338. Il s’agit d’une obligation solide et exigeante. La Cour a estimé
332 CNUDM, art. 194, par. 1 (les italiques sont de nous).
333 Ibid., article premier, par. 1, point 4 (les italiques sont de nous).
334 Voir sect. II.A ci-dessus.
335 Ibid.
336 Mer de Chine méridionale, sentence, par. 970.
337 CNUDM, art. 1, par. 1, point 4.
338 Ibid., art. 194, par. 1.
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qu’une obligation de prendre « toutes les mesures … nécessaires » pour atteindre un résultat exige une action directe et immédiate, lorsque ce résultat n’est pas « matériellement impossible … ou [lorsqu’il] n’entraînerait pas de charge … disproportionnée par rapport à l’avantage qui en découle »
339. Les États disposent d’un pouvoir discrétionnaire général lorsqu’ils décident des outils politiques spécifiques à utiliser et peuvent envisager toute la gamme des mesures préventives et correctives autorisées, y compris les politiques, la législation, les réglementations et les décisions judiciaires.
122. Toutefois, si un État doit utiliser « les meilleurs moyens pratiques à sa disposition » en fonction de ses « capacités », cela ne signifie pas que le respect du paragraphe 1 de l’article 194 relève de « l’appréciation subjective de la partie »340. La question de savoir si des mesures sont « nécessaires » pour prévenir la pollution marine et si toutes ces mesures ont été prises est une question objective. Dans le contexte des changements climatiques, le paragraphe 1 de l’article 194 exige l’adoption et la mise en oeuvre rapides de toutes les mesures qui sont objectivement « nécessaires » — selon les meilleures données scientifiques disponibles —341 pour atténuer la pollution due aux émissions de gaz à effet de serre.
123. La deuxième partie de l’article 194 codifie l’obligation de droit coutumier de prévenir les dommages transfrontières dans le contexte du milieu marin. Elle prévoit que les États doivent « pren[dre] toutes les mesures nécessaires pour que les activités relevant de leur juridiction ou de leur contrôle [soient conduites] de manière à ne pas causer de préjudice par pollution à d’autres États et à leur environnement »342. Comme indiqué ci-dessus, cette obligation s’applique mutatis mutandis aux dommages transfrontières causés par les émissions anthropiques de GES et exige des États qu’ils fassent preuve de la diligence requise en ce qui concerne les activités génératrices de GES relevant de leur juridiction ou de leur contrôle343. Le GIEC a noté, par exemple, qu’« il est de plus en plus reconnu que les petites îles sont exposées à des risques liés à des processus climatiques dont l’origine se situe bien au-delà des frontières d’une nation ou d’une île individuelle. Ces processus transfrontières ont déjà une incidence négative sur les petites îles (degré de confiance élevé ; preuves solides, accord moyen) »344. L’obligation de diligence requise peut être satisfaite par un large éventail de mesures, y compris l’adoption d’une législation, la réglementation des acteurs privés et la mise en oeuvre et l’application vigilantes des règles applicables345.
(« Les États prennent, séparément ou conjointement selon qu’il convient, toutes les mesures compatibles avec la présente Convention qui sont nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin, quelle qu’en soit la source, ils mettent en oeuvre à cette fin les moyens les mieux adaptés dont ils disposent, en fonction de leurs capacités, et ils s’efforcent d’harmoniser leurs politiques à cet égard »).
339 Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie : Grèce intervenante), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 99, par. 137.
340 Voir Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), arrêt du 30 mars 2023, par. 106 (notant que « la question de savoir si une mesure donnée est “nécessaire” ne relève pas uniquement de l’appréciation subjective de la partie »).
341 Voir sect. II.C.1 ci-dessus.
342 CNUDM, art. 194, par. 2.
343 Voir par. 98 ci-dessus.
344 Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, « Changements climatiques 2014. Incidences, adaptation et vulnérabilité » (2014) (ci-après, le « Rapport Incidences, adaptation et vulnérabilité (2014) »), p. 1616.
345 Voir sect. IV.A ci-dessus.
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3. Autres obligations relatives à la réglementation des émissions de gaz à effet de serre
124. Outre les obligations générales des États parties en matière de prévention, de réduction et de maîtrise de la pollution marine, la partie XII impose aux États d’autres obligations directes qui complètent (tout en étant indépendantes) celles énoncées aux articles 192 et 194. Comme l’a noté la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins du Tribunal international du droit de la mer dans l’avis consultatif sur l’affaire relative à des Activités dans la Zone, le respect par les États parties des autres obligations découlant de la partie XII est un facteur pertinent pour satisfaire à l’obligation de diligence requise au titre des articles 192 et 194346. L’ensemble de ces obligations constitue un cadre global pour la prévention et la maîtrise de la pollution marine.
a) Les États doivent, au minimum, adopter des mesures législatives et réglementaires visant à éliminer les émissions de GES
125. Le paragraphe 1 de l’article 207 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer impose aux États d’adopter « des lois et règlements pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin »347. Cette obligation requiert, au minimum, que les États parties adoptent des règles juridiquement contraignantes pour prévenir et contrôler les émissions de GES sur leur territoire. Indépendamment du choix de la structure législative, l’exigence primordiale de la partie XII est que les diverses mesures adoptées représentent le « maximum »348 et le « meilleur effort possible »349 de l’État pour prévenir et contrôler les émissions de GES, et constituent le « meilleur moyen pratique »350 d’y parvenir, compte tenu des capacités de l’État.
126. Si l’adoption de mesures législatives et réglementaires est une obligation fondamentale en vertu de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, il s’agit d’une exigence minimale. La partie XII précise que les États doivent également « prendre les autres mesures qui peuvent être nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser … la pollution »351. Ces autres mesures peuvent inclure, par exemple, des mesures budgétaires, qui sont particulièrement importantes pour le respect des obligations des États au titre de la partie XII, notamment parce que les ressources financières sont indispensables pour réduire efficacement la pollution du milieu marin par les émissions de GES352 et promouvoir l’adaptation et la résilience du milieu marin353.
b) Les mesures législatives et autres doivent réglementer les émissions de GES des acteurs étatiques et non étatiques
127. Les acteurs privés génèrent la majorité des émissions anthropiques de GES354 et les États doivent donc s’engager auprès d’eux en tant qu’agents d’atténuation s’ils veulent se conformer à leur
346 Activités menées dans la Zone, avis consultatif, par. 123.
347 CNUDM, art. 207, par. 1 (les italiques sont de nous).
348 Activités menées dans la Zone, avis consultatif, par. 110 ; CSRP, avis consultatif, par. 128.
349 Ibid.
350 CNUDM, art. 194, par. 1.
351 Ibid., art. 207, par. 2, art. 208, par. 2, art. 210, par. 2, art. 212, par. 2.
352 Projet d’articles sur les dommages transfrontières de la Commission du droit international, commentaire de l’article 3, par. 14 (« Une mise en oeuvre efficace de l’obligation de prévention peut nécessiter l’amélioration de l’apport technologique dans l’activité ainsi que l’allocation de ressources financières et humaines adéquates avec la formation nécessaire pour la gestion et la surveillance de l’activité »).
353 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 9, 11.
354 CDP, CDP Carbon Majors Report (juillet 2017), p. 7.
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obligation de prévenir et de maîtriser la pollution marine
355. Il n’est pas adéquat ou « satisfaisant de s’appuyer sur la simple application du principe selon lequel le comportement de personnes ou d’entités privées n’est pas attribuable à l’État en vertu du droit international »356. Comme l’a expliqué la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins dans l’avis consultatif relatif à des Activités de la Zone, les obligations de diligence requise imposées en vertu de la partie XII créent une « obligation … que les États parties doivent remplir en exerçant leur pouvoir sur les entités dont ils ont la nationalité et qui sont placées sous leur contrôle »357.
128. La diligence requise au titre de la partie XII exige que les États parties prennent des mesures appropriées pour réglementer les acteurs non étatiques et veiller à ce qu’ils ne causent pas de « pollution du milieu marin, quelle qu’en soit la source »358. Pour ce faire, les États doivent, entre autres, adopter et appliquer un ensemble approprié de lois, de règlements et de politiques qui encouragent ou obligent les acteurs privés à réduire les émissions de GES et à prendre d’autres mesures pour prévenir leurs effets néfastes sur le milieu marin.
c) Les mesures législatives et réglementaires relatives à la pollution marine due aux émissions de GES doivent être mises en oeuvre dans le cadre du droit national
129. Les États sont également tenus de « faire appliquer leurs lois et règlements »359 concernant la prévention, la réduction et la maîtrise de la pollution marine. En d’autres termes, ils doivent veiller à ce que les entités et les individus qui ne respectent pas les lois et règlements environnementaux puissent être mis en conformité ou sanctionnés par des actions civiles, administratives ou pénales. Comme l’a expliqué le Tribunal international du droit de la mer dans l’avis consultatif CSRP :
« Si la nature des lois, règlements et mesures à adopter par l’État … est laissée à l’appréciation de chaque … État conformément à son système juridique, … l’État a néanmoins l’obligation d’y inclure des mécanismes d’application pour contrôler et garantir le respect de ces lois et règlements. Les sanctions applicables … doivent être suffisantes pour dissuader les violations et priver les contrevenants des avantages découlant d’un … [comportement illégal] »360.
130. L’efficacité de l’application dépendra, entre autres, de lois et de règlements bien élaborés, d’un cadre institutionnel suffisant, de la formation, de capacités d’application suffisantes, ainsi que de la sensibilisation et de l’éducation du public en matière d’environnement. Il est bien connu que les régulateurs environnementaux souffrent souvent d’un manque de financement, de formation et de capacité à accomplir des tâches importantes, en particulier dans les pays moins développés361. Cela souligne encore davantage l’importance de la coopération internationale, qui est abordée ci-dessous.
355 Usines de pâte à papier, arrêt, par. 197.
356 Activités menées dans la Zone, avis consultatif, par. 112.
357 Ibid., par. 108.
358 CNUDM, art. 194, par. 1.
359 Ibid., art. 213-218, 220, 222.
360 CSRP, avis consultatif, par. 138. Voir aussi Activités menées dans la Zone, avis consultatif, par. 111-120 ; Mer de Chine méridionale, arrêt, par. 944.
361 United Nations Environment Programme, Environmental Rule of Law: First Global Report (January 2019), p. viii.
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d) La convention des Nations Unies sur le droit de la mer exige des États qu’ils s’engagent dans une coopération internationale
131. L’obligation de prévenir les dommages au milieu marin ne peut être pleinement remplie sans l’obligation corollaire de coopération. Le devoir de coopération internationale a été reconnu par le Tribunal international du droit de la mer comme un « principe fondamental dans la prévention de la pollution du milieu marin en vertu de la partie XII de la [convention des Nations Unies sur le droit de la mer] et du droit international général »362.
132. D’une manière générale, la convention des Nations Unies sur le droit de la mer impose aux États trois catégories d’obligations de coopération, à savoir i) obligations d’harmoniser les lois et les politiques ; ii) obligations de prendre des mesures de coopération par l’intermédiaire d’organisations internationales ; et iii) obligations d’accorder une assistance aux États en développement. Chacune d’entre elles est abordée ci-dessous.
i) L’obligation d’harmoniser les lois et les politiques
133. Le paragraphe 1 de l’article 194 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer impose aux États de prendre « individuellement ou globalement » toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine et de s’efforcer « d’harmoniser leurs politiques à cet égard ». Cette obligation (qui se reflète également dans les articles 207 et 208) requiert des États qu’ils formulent et dirigent collectivement des politiques de lutte contre la pollution marine363, y compris dans le contexte des changements climatiques.
134. La nécessité d’une coordination mondiale des politiques est cruciale pour le plein respect de la partie XII de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Les changements climatiques sont un problème d’action collective par excellence. Si les États adoptent des normes et des approches réglementaires divergentes ou contradictoires, la communauté internationale ne parviendra pas à lutter efficacement contre les dommages causés au milieu marin par le climat.
ii) Coopération internationale par le biais d’organisations internationales
135. La partie XII prévoit que les États prennent des mesures au niveau international, y compris par l’intermédiaire d’organisations internationales, en ce qui concerne l’établissement de normes et le développement progressif du droit international sur la question de la pollution marine et des dommages transfrontières causés au milieu marin. Cela inclut l’obligation de formuler et d’élaborer des règles, des normes et des pratiques recommandées au niveau international364. Par exemple, le paragraphe 4 de l’article 207 prévoit que les États doivent agir par l’intermédiaire « d’organisations internationales ou de conférences diplomatiques compétentes » et s’efforcer « d’établir des règles, des normes et des pratiques et procédures mondiales et régionales recommandées pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin d’origine tellurique ».
362 Usine MOX (Irlande c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 3 décembre 2001, TIDM Recueil 2001, p. 95, par. 82 (les italiques sont de nous). Voir aussi Usines de pâte à papier, arrêt, p. 49, 105, par. 77, 281 (« c’est en coopérant que les États concernés peuvent gérer conjointement les risques de dommages à l’environnement ») ; Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon : Nouvelle-Zélande intervenante), opinion individuelle de la juge ad hoc Charlesworth, C.I.J. Recueil 2014, p. 452, par. 13 (« la conservation et la gestion des ressources et de l’environnement partagés doivent être fondées sur des intérêts partagés, plutôt que sur les intérêts d’une seule partie »).
363 CNUDM, art. 194, par. 3, art. 207, par. 3, art. 208, par. 4.
364 Ibid., art. 197.
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Ces organisations peuvent être les Nations Unies, le secrétariat de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ou divers organismes régionaux.
136. La partie XII impose des obligations spécifiques concernant l’engagement et les activités de l’État dans les organisations internationales, y compris des devoirs :
a) d’entreprendre des programmes de recherche scientifique et d’encourager « l’échange de renseignements et de données sur la pollution du milieu marin » (article 200) ;
b) de participer à des programmes régionaux et mondiaux visant à « l’acquisition des connaissances requises pour déterminer la nature et l’ampleur de la pollution, l’exposition à la pollution, les voies qu’elle emprunte, les risques qu’elle comporte et les remèdes possibles » (article 200) ;
c) d’établir des critères scientifiques appropriés pour la formulation et l’élaboration de règles et de normes, ainsi que de pratiques et procédures recommandées visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin (article 201) ;
d) de promouvoir des programmes d’assistance aux États en développement dans les domaines de la science, de l’éducation, de la technique et dans d’autres domaines, en vue de protéger et de préserver le milieu marin et de prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine [alinéa a) de l’article 202].
137. Dans tous ces contextes, les obligations de diligence requise des États requièrent qu’ils « mettent en oeuvre des moyens adéquats, déploient les meilleurs efforts possibles [et] fassent le maximum » dans le contexte des divers organes et activités au sein des organisations internationales concernées, pour atteindre les objectifs de fond décrits ci-dessus365.
iii) L’obligation d’accorder une assistance aux États en développement
138. Enfin, les États parties à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer ont reconnu à juste titre que la résolution des problèmes environnementaux mondiaux nécessitait une solidarité internationale et des responsabilités communes mais différenciées entre les États. Conformément à cette approche, les articles 202 et 203 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer imposent aux États parties l’obligation contraignante d’aider les États en développement dans leurs efforts de protection et de préservation du milieu marin. Par exemple, l’alinéa a) de l’article 202 impose aux États parties de « promouvoir des programmes d’assistance aux États en développement dans les domaines de la science, de l’éducation, de la technique et dans d’autres domaines … en vue de prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine »366. Il précise également que cette assistance consiste notamment à « former leur personnel scientifique et technique », « fournir le matériel et les facilités nécessaires » et « accroître leur capacité de fabriquer eux-mêmes ce matériel »367. Les devoirs d’assistance scientifique et technologique sont encore renforcés par les articles 266, 276 et 277 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Par exemple, les articles 276 et 277 invitent les États à « facilite[r] la création de centres régionaux de recherche scientifique et technique marine, notamment dans les États en développement », et
365 Activités menées dans la Zone, avis consultatif, par. 110.
366 CNUDM, art. 202, al. a).
367 Ibid.
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notamment à promouvoir « des programmes d’études ayant trait à la protection et à la préservation du milieu marin et à la prévention, la réduction et la maîtrise de la pollution »
368.
139. Outre l’assistance technique et scientifique, les États parties sont également tenus, en vertu de la partie XII, de fournir une assistance financière aux États en développement en ce qui concerne la préservation et la protection du milieu marin. L’octroi d’une aide financière aux pays en développement est l’une des nombreuses mesures prévues au paragraphe 1 de l’article 194. En outre, l’article 203 accorde expressément aux États en développement une « préférence » dans « l’affectation des fonds appropriés ».
140. Il est important de noter que la convention des Nations Unies sur le droit de la mer n’impose pas de hiérarchie entre les différentes formes d’assistance. Les États parties sont tenus de travailler conjointement pour adopter toutes les mesures nécessaires à la protection du milieu marin. Cela nécessitera différentes formes d’assistance internationale, financière et non financière, en fonction de chaque cas.
C. Obligations des États en vertu du droit international des droits de l’homme
141. Comme l’a reconnu l’Assemblée générale des Nations Unies, « les effets des changements climatiques … interfèrent avec la jouissance d’un environnement propre, sain et durable et … ont des implications négatives, directes et indirectes, pour la jouissance effective de tous les droits de l’homme »369.
142. L’objectif primordial du droit international des droits de l’homme est de « réaliser … la promotion du respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales »370. En tant que tel, le droit international des droits de l’homme impose aux États des obligations juridiques détaillées et solides de prendre toutes les mesures nécessaires pour éliminer les effets préjudiciables des changements climatiques sur la jouissance des droits de l’homme. Ces obligations incluent nécessairement des réductions profondes, rapides et durables des émissions de GES d’origine anthropique.
143. Cette section traite des obligations des États en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme (en particulier, en vertu des deux pactes internationaux, de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du droit international coutumier). Elle fournit i) une illustration générale des façons dont les changements climatiques ont une incidence négative sur les droits de l’homme protégés au niveau international ; et ii) un aperçu de la nature et de la portée des obligations juridiques des États de protéger et de garantir les droits de l’homme qui sont ou pourraient être altérés par les changements climatiques.
368 Ibid., art. 276-277.
369 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 76/300, « Le droit de l’homme à un environnement propre, sain et durable », 28 juillet 2022, doc. A/RES/76/300, considérant, p. 2.
370 DUDH, préambule.
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1. L’incidence négative directe des changements climatiques sur la jouissance des droits de l’homme
144. Les changements climatiques constituent une menace importante pour la jouissance et la protection d’un large éventail de droits de l’homme protégés au niveau international. Par exemple :
a) Le droit à la vie
145. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (« PIDCP »), dans son article 6, affirme que « le droit à la vie est inhérent à la personne humaine »371. Ce droit protège, entre autres, le droit des « individus à jouir d’une vie digne et à ne pas subir d’actes ou d’omissions susceptibles d’entraîner une mort non naturelle ou prématurée »372. L’obligation des États, en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de respecter et de protéger le droit à la vie « va au-delà de l’atteinte à l’intégrité physique ou mentale » et « s’étend aux menaces raisonnablement prévisibles et aux situations mettant la vie en danger qui peuvent entraîner la perte de la vie »373. Ce droit est reconnu comme « le droit suprême auquel aucune dérogation n’est permise » en vertu du droit international374.
146. Comme l’a noté le Comité des droits de l’homme des Nations Unies (« CDH »), la crise climatique fait partie des « menaces les plus pressantes et les plus graves qui pèsent sur la capacité des générations présentes et futures à jouir du droit à la vie »375. En effet, les changements climatiques ont et continueront d’avoir un effet néfaste significatif sur la dignité et les conditions de vie des êtres humains dans le monde. Comme indiqué précédemment, le consensus scientifique irréfutable est que la mortalité et la morbidité humaines augmenteront en raison des phénomènes induits par les changements climatiques, tels que les vagues de chaleur, les inondations et autres extrêmes climatiques, l’exposition accrue à diverses maladies, l’insécurité alimentaire et hydrique, la destruction des écosystèmes nécessaires à la subsistance et à la survie de l’homme, ainsi que les
371 Nations Unies, Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 19 décembre 1966, RTNU, vol. 999, p. 171 (ci-après, le « PIDCP »), art. 6. Voir aussi DUDH, art. 3 ; convention américaine relative aux droits de l’homme, 22 novembre 1969, RTNU, vol. 1144, p. 17955 (ci-après, la « CADH »), art. 4 ; convention européenne des droits de l’homme, 4 novembre 1950 (ci-après, la « CEDH »), art. 2 ; charte africaine des droits de l’homme et des peuples, 21 octobre 1986, RTNU, vol. 1520, p. 217 (ci-après, la « charte africaine »), art. 4.
372 Daniel Billy et al. c. Australie — pétition des autochtones des îles du détroit de Torres, communication no 3624/2019, décision, doc. CCPR/C/135/D/3624/2019 (2022), par. 8.3 ; Teitiota c. Nouvelle-Zélande, communication no 2728/2016, décision, doc. CCPR/C/127/D/2728/2016 (2020), par. 9.4. Voir aussi CDH, observation générale no 36 sur l’article 6 : le droit à la vie, doc. CCPR/C/GC/36 (2019), par. 2 ; Toussaint c. Canada, communication no 2348/2014, décision, doc. CCPR/C/123/D/2348/2014 (24 juillet 2018), par. 11.3 (constatant que « l’obligation des États parties de respecter et de garantir le droit à la vie vaut face aux menaces et situations raisonnablement prévisibles qui mettent la vie en danger » et qu’« il peut y avoir violation de l’article 6 par les États parties même si de telles menaces ou situations n’ont pas effectivement abouti à la perte de la vie ») ; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, observation générale no 3 (18 novembre 2015), par. 6 (« Le droit à la vie ne devrait pas être interprété au sens étroit du terme. Pour assurer une vie digne à tous, le droit à la vie exige la réalisation de tous les droits de l’homme reconnus par la Charte, y compris les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels et les droits de peuples, en particulier le droit à la paix »).
373 Daniel Billy et al. c. Australie — pétition des autochtones des îles du détroit de Torres, communication no 3624/2019, décision, doc. CCPR/C/135/D/3624/2019 (2022), par.8.3.
374 CDH, observation générale no 36 sur l’article 6 : le droit à la vie, doc. CCPR/C/GC/36 (2019), par. 2.
375 Ibid., par. 62. Voir aussi Conseil des droits de l’homme, résolution 10/4, « Droits de l’homme et changements climatiques », doc. A/HRC/Res/10/4 (2009), préambule ; HCDH, « Rapport sur la relation entre les changements climatiques et les droits de l’homme », doc. A/HRC/10/61 (15 janvier 2009), par. 21-24 ; Daniel Billy et al. c. Australie — pétition des autochtones des îles du détroit de Torres, communication no 3624/2019, décision, doc. CCPR/C/135/D/3624/2019 (2022), par. 8.3 ; Comité des droits de l’enfant, observation générale no 26 (2023) sur les droits de l’enfant et l’environnement, avec un accent particulier sur les changements climatiques, doc. CRC/C/GC/26 (2023), par. 20.
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crises humanitaires, les conflits et les déplacements forcés de populations
376. À la lumière de ces éléments, le CDH a conclu que « les effets des changements climatiques peuvent exposer les individus à une violation de leurs droits au titre de l’article 6 [du Pacte international relatif aux droits civils et politiques] » si les États n’adoptent pas d’urgence les mesures d’atténuation et d’adaptation qui s’imposent377.
b) Le droit à la santé
147. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (« PIDESC ») consacre « le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre »378. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnaît expressément que l’environnement est un facteur déterminant de la santé humaine et que la « pleine réalisation » du droit à la santé passe par l’amélioration générale des conditions environnementales379. La Cour a également reconnu le lien vital entre l’environnement et le droit à la santé, notant dans l’avis consultatif relatif aux Armes nucléaires que l’environnement représente « la santé même des êtres humains, y compris des générations à naître »380. Dans le même ordre d’idées, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (« CDESC ») a noté que le droit à la santé comprend, entre autres, l’obligation de réduire et de prévenir les « facteurs environnementaux nocifs ayant une incidence directe ou indirecte sur la santé des individus »381.
148. Comme l’a fait remarquer l’Organisation mondiale de la santé, « les changements climatiques constituent une menace fondamentale pour la santé humaine »382. Les risques météorologiques et environnementaux induits par le climat affectent la santé à la fois directement et indirectement, en augmentant l’insécurité alimentaire et hydrique, les blessures et les traumatismes dus à des phénomènes météorologiques extrêmes, ainsi que le risque de décès dus à des maladies non transmissibles, l’émergence et la propagation de maladies infectieuses et les situations d’urgence
376 Voir par. 21 ci-dessus.
377 Daniel Billy et al. c. Australie — pétition des autochtones des îles du détroit de Torres, communication no 3624/2019, décision, doc. CCPR/C/135/D/3624/2019 (2022), par. 8.7 [citant Teitiota c. Nouvelle-Zélande, communication no 2728/2016, décision, doc. CCPR/C/127/D/2728/2016 (2020), par. 9,9]. Voir aussi Portillo Caceres c. Paraguay, communication no 2751/2016, décision, doc. CCPR/C/126/D/2751/2016 (2019) (constatation d’une violation de l’article 6 du PIDCP dans une communication individuelle sur la pollution de l’environnement).
378 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 12, par. 1. Voir aussi DUDH, art. 25 ; charte africaine, art. 16 ; protocole additionnel à la convention américaine dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels, 17 novembre 1988, art. 10 ; charte sociale européenne, 18 octobre 1961, art. 3, 11.
379 PIDESC, art. 12, par. 2, al. b) (« Les mesures que les États parties au présent Pacte prendront en vue d’assurer le plein exercice de ce droit devront comprendre celles qui sont nécessaires pour assurer … l’amélioration de tous les aspects de l’hygiène du milieu »).
380 Armes nucléaires, avis consultatif, p. 241, par. 29. Voir aussi Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, opinion dissidente du juge Weeramantry, C.I.J. Recueil 1996, p. 461-462 (« Les effets intergénérations des armes nucléaires en font une catégorie d’armes à part. … Il y a là un problème de droits de l’homme très sérieux, qui a surgi longtemps après l’explosion de la bombe et qui se posera nécessairement pendant des générations »).
381 CDESC, observation générale no 14 sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12), doc. E/C.12/2000/4 (2000), par. 15. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible a également souligné que le droit à la santé s’étendait aux déterminants sous-jacents de la santé, tels que l’eau salubre, l’assainissement adéquat et les conditions environnementales saines en général. Voir rapport du rapporteur spécial sur le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, doc. A/62/214 (8 août 2007), par. 104.
382 Organisation mondiale de la santé, Changement climatique (12 octobre 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/climate-change-and-health.
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sanitaire
383. Ces phénomènes affectent également l’environnement physique et les systèmes naturels et humains, y compris les conditions sociales et économiques et le fonctionnement des systèmes de santé384. Ainsi, si les États ne parviennent pas à lutter de manière adéquate contre les changements climatiques, il y aura une atteinte au droit à la santé, y compris une atteinte aux
« conditions dans lesquelles les êtres humains peuvent mener une vie saine, et … aux facteurs fondamentaux déterminants de la santé tels que l’alimentation et la nutrition, le logement, l’accès à l’eau salubre et potable et à un système adéquat d’assainissement, des conditions de travail sûres et hygiéniques et un environnement sain »385.
c) Droit à un niveau de vie adéquat
149. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnaît également « le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence »386. Ce droit est également reflété dans le paragraphe 1 de l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme387.
150. En ce qui concerne l’alimentation, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a averti que « la dégradation de l’environnement, la désertification et les changements climatiques mondiaux sont des facteurs qui contribuent à la misère et au désespoir et ont une incidence négative sur la réalisation du droit à l’alimentation, en particulier dans les pays en développement »388. Les chaleurs extrêmes, la sécheresse, les changements au niveau des précipitations et la dégradation des écosystèmes constituent une grave menace pour la production agricole389. En outre, le réchauffement et l’acidification de l’environnement marin causés par les émissions anthropiques de GES ont également des effets négatifs sur les pêcheries, les coquillages et les algues, qui constituent tous une source majeure d’alimentation pour les individus et les communautés du monde entier390.
151. En ce qui concerne le logement, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (« HCDH ») a noté que le droit à un niveau de vie adéquat implique le droit de ne pas faire
383 The Lancet 2023 Health and Climate Change Report, p. 2346.
384 Ibid.
385 CDESC, observation générale no 14 sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12), doc. E/C.12/2000/4, par. 4.
386 PIDESC, art. 11, par. 1. Voir aussi Nations Unies, convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, 18 décembre 1979, RTNU, vol. 1249, p. 13 (ci-après, la « CEDAW »), art. 14, par. 2 ; convention des droits de l’enfant, 20 novembre 1989, RTNU, vol. 1577, p. 3 (ci-après, la « CDE »), art. 27. Cf. protocole additionnel à la convention américaine dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels, 17 novembre 1988, art. 12 ; charte sociale européenne, 18 octobre 1961, art. 30, 31.
387 DUDH, art. 25, par. 1 (« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires »).
388 Conseil des droits de l’homme, résolution 13/4, « Le droit à l’alimentation », doc. A/HRC/RES/13/4 (2010), préambule.
389 United States Department of Agriculture, Fifth U.S. National Climate Assessment (November 2023), p. 23. Le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation a souligné que la productivité agricole « reculera sensiblement » à l’avenir si les changements climatiques et les pratiques agricoles non durables se poursuivent au rythme actuel ; voir rapport du rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier De Schutter, doc. A/HRC/13/33/Add.2 (28 décembre 2009), par. 21.
390 Voir IPCC 2022 Report on Impacts, Adaptation and Vulnerability, p. 456-460. Voir aussi sect. II.A et II.B ci-dessus.
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l’objet d’immixtions arbitraires dans son domicile, sa vie privée et sa famille, de choisir sa résidence, de déterminer son lieu de vie et de circuler librement
391. Les phénomènes météorologiques extrêmes, tels que les cyclones et les typhons, et les phénomènes à évolution lente, tels que l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation des températures, peuvent tous avoir des répercussions sur l’habitabilité et l’accessibilité financière des logements392. Ils sont également de plus en plus à l’origine de déplacements à l’échelle mondiale, les petits États insulaires des Caraïbes et du Pacifique Sud étant touchés de manière disproportionnée par rapport à la taille réduite de leur population393. Sans adaptation, le GIEC prévoit avec un degré de confiance élevé que « des centaines de millions de personnes seront touchées par les inondations côtières et seront déplacées en raison de la perte de terres d’ici l’an 2100 »394.
d) Le droit à l’eau
152. Le droit à l’eau est un droit de l’homme autonome en vertu du droit international395, et est également reconnu comme un élément distinct des droits à un niveau de vie et de santé adéquat consacrés par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels396. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a noté que le respect de cette obligation exige des États parties qu’ils « adoptent des stratégies et des programmes globaux et intégrés pour veiller à ce que les générations actuelles et futures disposent d’une eau salubre en quantité suffisante », et notamment qu’ils « évaluent l’incidence des actions susceptibles de porter atteinte à la disponibilité de l’eau et aux bassins versants des écosystèmes naturels, telles que les changements climatiques, la désertification et l’augmentation de la salinité des sols, la déforestation et la perte de biodiversité »397.
153. Les changements climatiques compromettent l’accès des individus à « une eau suffisante, salubre, acceptable et abordable pour les usages personnels et domestiques »398, un élément essentiel du droit à l’eau. Comme l’a fait remarquer le rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’eau potable et à l’assainissement, « les changements climatiques contribuent à rompre la durabilité des écosystèmes aquatiques, en modifiant les régimes pluviométriques, ce qui a des répercussions disproportionnées sur les personnes vivant dans la pauvreté »399 et sur d’autres communautés vulnérables. Les effets des changements climatiques comprennent également la réduction de la couverture neigeuse, la désertification et la contamination accrue des sources d’eau, autant de facteurs qui peuvent compromettre le droit à l’eau400.
391 Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, « Le droit à un logement convenable : fiche d’information no 21/Rev.1 » (2009), p. 3.
392 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 6.
393 Ibid., p. 6.
394 Rapport Incidences, adaptation et vulnérabilité (2014), p. 364.
395 Voir, par exemple, CEDAW, art. 14, par. 2, al. h) ; CDE, art. 24, par. 2, al. c) ; Nations Unies, convention relative aux droits des personnes handicapées, 13 décembre 2006, RTNU, vol. 2515, p. 3, art. 28.
396 CDESC, observation générale no 15 sur le droit à l’eau, doc. E/C.12/2002/11 (2003), par. 3, 8.
397 Ibid., par. 28.
398 CDESC, observation générale no 15 sur le droit à l’eau, doc. E/C.12/2002/11 (2003), par. 2.
399 Statement by the Special Rapporteur on the human rights to safe drinking water and sanitation, Pedro Arrojo-Agudo (14 September 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/issues/ water/statements/stm-sr-watsan-14-september-2023.pdf.
400 Voir aussi Conseil des droits de l’homme, résolution 10/4, « Droits de l’homme et changements climatiques », doc. A/HRC/Res/10/4 (2009), préambule ; HCDH, « Rapport sur la relation entre les changements climatiques et les droits de l’homme », doc. A/HRC/10/61 (15 janvier 2009), par. 29.
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e) Le droit à l’autodétermination
154. Le droit des peuples à l’autodétermination — « déterminer librement leur statut politique et assurer librement leur développement économique, social et culturel »401 — a été reconnu par la Cour comme un « droit de l’homme fondamental » et une norme de droit international coutumier donnant lieu à des obligations étatiques erga omnes402. Ce droit est inscrit dans un certain nombre de traités internationaux, notamment le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Charte des Nations Unies403.
155. Les changements climatiques ont des effets profonds sur l’exercice du droit des peuples à l’autodétermination, notamment en détruisant les habitats humains, en sapant les structures sociales, en menaçant l’habitabilité et, à long terme, l’intégrité territoriale de nombreux États404. L’élévation du niveau des mers peut inonder et submerger en particulier les États insulaires de faible élévation, une réalité reconnue par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme comme ayant « des implications pour le droit à l’autodétermination » ainsi que pour l’ensemble des droits de l’homme pour lesquels les individus dépendent de l’État pour leur protection405. Les changements climatiques ont également des répercussions sur le droit coutumier des peuples à la souveraineté permanente sur leurs ressources naturelles, qui est un autre élément clé du droit à l’autodétermination406. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques lient explicitement le droit à l’autodétermination au droit des peuples à, entre autres, « disposer librement de leurs richesses et ressources naturelles »407 — un droit fondamental qui est menacé par le processus des changements climatiques.
156. Les droits à la terre et aux écosystèmes et ressources terrestres sont également menacés par les effets des changements climatiques. Dans son rapport spécial sur les changements climatiques et les terres, le GIEC note que l’augmentation des émissions de GES a conduit à la désertification, à la dégradation des terres et à des effets de plus en plus néfastes sur les écosystèmes terrestres408.
401 PIDESC, article premier, par. 1 ; PIDCP, art. premier, par. 1.
402 Voir Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 16, par. 52 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 31-32, par. 54-59 ; Séparation de l’archipel des Chagos de l’île Maurice, avis consultatif, p. 131, par. 144 ; Affaire relative à la Barcelona Traction, Light and Power Company, Ltd. (Belgique c. Espagne), arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33.
403 Charte des Nations Unies, article premier, par. 2 (soulignant « le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes »), art. 55 (reconnaissant que « les conditions de stabilité et de bien-être » sont nécessaires à l’autodétermination des peuples) ; PIDESC, article premier, par. 1 (« Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel ») ; PIDCP, article premier ; charte africaine, art. 20.
404 Voir, de manière générale, T. Frere et al., « Climate Change and Challenges to Self-Determination: Case Studies from French Polynesia and the Republic of Kiribati », 129 Yale Law Journal Forum (2020) 648.
405 HCDH, « Rapport sur les relations entre les changements climatiques et les droits de l’homme », doc. A/HRC/10/61 (15 janvier 2009), par. 41.
406 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1314 (XVIII), « Recommandations concernant le respect international du droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes », 12 décembre 1958, doc. A/RES/1314 (XIII) (« Notant que le droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes … comprend un “droit de souveraineté permanent sur leurs richesses et leurs ressources naturelles” »).
407 PIDESC, article premier, par. 2 ; PIDCP, article premier, par. 2. Voir aussi charte africaine, art. 21.
408 Intergovernmental Panel on Climate Change, Climate Change and Land: an IPCC special report on climate change, desertification, land degradation, sustainable land management, food security, and greenhouse gas fluxes in terrestrial ecosystems (2019), p. 7, par. A.2.
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L’élévation du niveau de la mer réduit encore davantage les terres arables et habitables disponibles
409. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a également observé que
« la dégradation de l’eau due à la surexploitation, à la mauvaise gestion et aux pratiques agricoles non durables a provoqué l’insécurité alimentaire et la dégradation de l’eau et est directement liée aux changements climatiques et à la dégradation de l’environnement, ce qui accroît le risque de changements environnementaux généralisés, brusques et irréversibles, y compris une désertification massive »410.
En outre, les changements climatiques sont susceptibles « d’accroître les tensions sur l’accès à la terre, son utilisation et son occupation, avec des implications négatives pour les droits de l’homme »411.
f) Le droit au développement
157. La communauté internationale reconnaît depuis longtemps un droit de l’homme « inaliénable » au développement,
« en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales puissent être pleinement réalisés, et de bénéficier de ce développement »412.
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels intègrent également le droit au développement en tant que dimension du droit à l’autodétermination, en prévoyant le droit des peuples à « poursuivre librement leur développement économique, social et culturel »413. L’article 55 de la Charte des Nations Unies dispose que les États doivent favoriser « les conditions de progrès et de développement dans l’ordre
(« Depuis la période préindustrielle, la température de l’air à la surface des terres a augmenté près de deux fois plus que la température moyenne mondiale (degré de confiance élevé). Les changements climatiques, y compris l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes extrêmes, ont eu une incidence négative sur la sécurité alimentaire et les écosystèmes terrestres et ont contribué à la désertification et à la dégradation des sols dans de nombreuses régions (degré de confiance élevé). »).
409 Voir, par exemple, Climate Central, Sinking Tax Base: Land & Property at Risk from Rising Seas (9 August 2022), p. 2.
410 CDESC, observation générale no 26 sur la terre et les droits économiques, sociaux et culturels, doc. E/C.12/GC/26 (2023), par. 2, al. d).
411 Ibid., par. 2, al. f).
412 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 41/128, « Déclaration sur le droit au développement », 4 décembre 1986, doc. A/RES/41/128, art. premier, par. 1.
413 PIDESC, article premier, par. 1 ; PIDCP, article premier, par. 1. Voir aussi charte africaine, art. 22 (« Tous les peuples ont droit à leur développement économique, social et culturel dans le respect strict de leur liberté et de leur identité, et à la jouissance égale du patrimoine commun de l’humanité ») ; Organisation des États américains, résolution AG/RES. 2878, charte sociale des Amériques (4 juin 2012), article premier (« Les peuples des Amériques ont droit au développement dans le cadre de la solidarité, de l’équité, de la paix et de la liberté, et les États membres ont la responsabilité de le promouvoir en vue d’éliminer la pauvreté, en particulier l’extrême pauvreté, et d’atteindre un niveau de vie décent pour tous ») ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 37 (« Un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable ») ; cf. charte africaine, art. 24 (« Tous les peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement »).
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économique et social »
414. Compte tenu de son importance, le droit au développement est un pilier essentiel de la politique des Bahamas en matière de droits de l’homme415.
158. Plusieurs organismes de défense des droits de l’homme ont reconnu que l’environnement est inextricablement lié au développement économique, social et culturel416. Les changements climatiques et leurs effets sur l’environnement peuvent donc porter atteinte de manière significative au droit au développement. Comme l’a noté la Cour interaméricaine des droits de l’homme, cela est particulièrement vrai pour
« les communautés qui, essentiellement, dépendent économiquement ou pour leur survie des ressources environnementales du milieu marin, des zones forestières et des bassins fluviaux, ou qui courent un risque particulier d’être affectées en raison de leur situation géographique, telles que les communautés côtières ou les petites îles »417.
L’Agenda 2030 des Nations Unies pour le développement durable a ainsi reconnu que les effets néfastes des changements climatiques « compromettent la capacité de tous les pays à parvenir à un développement durable », et plus précisément que
« l’augmentation de la température mondiale, l’élévation du niveau de la mer, l’acidification des océans et d’autres effets des changements climatiques affectent gravement les zones côtières et les pays côtiers de faible élévation, y compris de nombreux pays les moins avancés et petits États insulaires en développement »418.
Conscient de cette réalité, l’objectif de développement durable 13 du Programme de développement durable à l’horizon 2030 consiste à « [prendre] d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions »419.
414 Charte des Nations Unies, art. 55.
415 Voir, par exemple, annexe 4, The Commonwealth of The Bahamas, Human Rights 75 High-Level Climate and Environment Roundtable: L’avenir des droits de l’homme, de l’environnement et du climat : Advancing the right to a healthy environment, including a safe and stable climate for all (12 December 2023), accessible à l’adresse suivante : https://znsbahamas.com/wp-content/uploads/2023/12/un-high-level-roundtable-climate-change-dec-11.pdf (notant que les changements climatiques constituent une « menace matérielle pour les droits fondamentaux de notre peuple, notamment le droit à un environnement sain, le droit à la vie, le droit au développement, le droit à l’eau et le droit à l’autodétermination »). Voir aussi Ministry of Foreign Affairs of The Commonwealth of The Bahamas, “Candidature of the Bahamas for Election to the Human Rights Council (2019-2021)”, accessible à l’adresse suivante : https://ishr.ch/wp-content/uploads/ 2021/08/Bahamas-Voluntary-pledges-SGC-FINAL.pdf ; Ministry of Foreign Affairs of The Commonwealth of The Bahamas, “Ministry of Foreign Affairs Observes 75th Anniversary of The Universal Declaration of Human Rights”, accessible à l’adresse suivante : https://mofa.gov.bs/ministry-of-foreign-affairs-observes-75th-anniversary-of-the-universal-declaration-of-human-rights/.
416 Voir, par exemple, The Social and Economic Rights Action Center et le Center for Economic and Social Rights c. Nigeria, African Commission on Human and Peoples’ Rights, Decision (27 October 2001), par. 51 (notant qu’« un environnement dégradé par la pollution et défiguré par la destruction de toute beauté et variété est aussi contraire à des conditions de vie satisfaisantes et [au] développement que la rupture des équilibres écologiques fondamentaux est nuisible à la santé physique et morale ») (citations internes omises) ; Cour interaméricaine des droits de l’homme, L’environnement et les droits de l’homme, avis consultatif OC-23/17 (15 novembre 2017) (ci-après, l’« avis consultatif de la CIADH (2017) »), par. 52 (« La relation interdépendante entre la protection de l’environnement, le développement durable et les droits de l’homme est largement reconnue en droit international. ») ; Organisation des États américains, résolution AG/RES. 2878, charte sociale des Amériques (4 juin 2012), préambule (« Reconnaissant qu’un environnement sûr est essentiel au développement intégral »).
417 Avis consultatif de la CIADH (2017), par. 67.
418 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 70/1, « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 », 25 septembre 2015, doc. A/RES/70/1, par. 14.
419 Ibid., p. 23.
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2. Le droit international des droits de l’homme exige que tous les États respectent, protègent et garantissent les droits de l’homme affectés par les changements climatiques
159. Le droit international des droits de l’homme impose à tous les États l’obligation de protéger l’ensemble des droits de l’homme protégés au niveau international qui sont menacés par l’incidence des changements climatiques. Toutefois, la nature et la portée de chaque obligation peuvent varier en fonction du droit spécifique concerné.
a) Obligations générales imposées par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
160. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques impose à l’État « [de] respecter et [de] garantir à tous les individus se trouvant sur [son] territoire et relevant de [sa] compétence les droits reconnus dans le présent Pacte »420. Cette obligation générale est conforme à celle que l’on trouve dans d’autres traités relatifs aux droits de l’homme421. Il est bien établi que cette obligation donne lieu à trois types d’obligations interconnectées : une obligation de respecter, une obligation de protéger, et une obligation de mettre en oeuvre les droits de l’homme422.
161. Le devoir de respect est une obligation négative, qui exige des États qu’ils s’abstiennent de prendre des mesures susceptibles d’entraver ou de restreindre la jouissance des droits de l’homme423. Le devoir de protection impose l’obligation de protéger les droits de l’homme contre les violations commises par des tiers424. Enfin, l’obligation de réaliser les droits de l’homme, une obligation positive, exige des États qu’ils prennent des mesures pour garantir la réalisation des droits de tous les membres de la société.
162. Les changements climatiques mettent en jeu chaque élément des obligations des États, qu’il soit négatif ou positif. Les obligations négatives des États exigent qu’ils s’abstiennent d’actions incompatibles avec la réalisation de réductions durables des émissions anthropiques de GES et la neutralisation de leurs effets néfastes sur la jouissance des droits de l’homme. Les obligations positives des États exigent qu’ils prennent des mesures positives pour protéger la jouissance des
420 CNUDM, art. 2, par. 1 (les italiques sont de nous).
421 CADH, article premier, par. 1 (« Les États parties à la présente Convention s’engagent à respecter les droits et libertés reconnus dans la présente Convention et à en garantir le libre et plein exercice à toute personne relevant de leur juridiction ») ; CDE, art. 2, par. 1 (« Les États parties s’engagent à respecter les droits qui sont énoncés dans la présente Convention et à les garantir à tout enfant relevant de leur juridiction, sans distinction aucune ») ; CEDH, article premier (« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention »).
422 Voir, de manière générale, CDH, observation générale no 31 sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13 (2004) ; P. Hunt et al., « Climate Change and the Right to the Highest Attainable Standard of Health » in Human Rights and Climate Change (Cambridge University Press, 2009), p. 252.
423 Voir CDH, observation générale no 31 sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13. (2004), par. 6.
424 Ibid., par. 8.
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droits de l’homme contre les effets néfastes des changements climatiques
425. Par exemple, le droit à la vie comprend « le droit des individus à jouir d’une vie dans la dignité et à ne pas subir d’actes ou d’omissions susceptibles d’entraîner une mort non naturelle ou prématurée »426. L’obligation des États de respecter et de garantir le droit à la vie comporte donc un important élément de prévention tourné vers l’avenir, qui les oblige à « prendre toutes les mesures appropriées pour remédier aux conditions générales de la société qui peuvent donner lieu à des menaces directes contre le droit à la vie ou empêcher les individus de jouir de leur droit à la vie dans la dignité »427. Ainsi, les obligations en matière de droits de l’homme s’apparentent à l’obligation générale de diligence requise prévue par le droit international de l’environnement et le droit de la mer, et les renforcent428.
163. Étant donné l’énorme risque que les émissions anthropiques de GES non atténuées font peser sur la vie humaine, l’obligation d’un État de respecter, de protéger et de mettre en oeuvre les droits de l’homme sur son territoire et dans sa juridiction doit nécessairement inclure l’obligation de
425 Human Rights Council resolution 10/4, Human Rights and Climate Change, doc. A/HRC/Res/10/4 (2009) ; HCDH, « Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur les liens entre les changements climatiques et les droits de l’homme », doc. A/HRC/10/61 (2009) ; CDH, « Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication nº 3624/2019 », doc. CCPR/C/135/D/3624/2019 (2023) ; Comité des droits de l’enfant, observation générale no 26 (2023) sur les droits de l’enfant et l’environnement, mettant l’accent en particulier sur les changements climatiques, doc. CRC/C/GC/26 (2023) ; CDH, « Principes-cadres relatifs aux droits de l’homme et à l’environnement », doc. A/HRC/37/59 (2018), p. 6, framework principle 1. Voir aussi, par exemple, Jonah Ghemre c. Shell Petroleum Development Co. Nigeria Ltd et al., Federal High Court of Nigeria, AHRLR 151 (2005), p. 6-7, par. 5 ; Subhash Kumar c. État de Bihar, Cour suprême d’Inde 240 (1991), p. 2 (estimant que le droit à un environnement sûr faisait partie intégrante du droit à la vie en vertu de l’article 21 de la Constitution indienne) ; Neubauer et autres c. Allemagne, Cour constitutionnelle fédérale d’Allemagne, no 31/2021 (2021), par. 144 (estimant que « le droit fondamental à la protection de la vie et de la santé … oblige l’État à assurer une protection contre les risques des changements climatiques. L’État doit lutter contre les risques potentiels considérables liés aux changements climatiques en prenant des mesures qui — avec l’aide de la communauté internationale — contribuent à stopper le réchauffement climatique d’origine humaine et à limiter les changements climatiques qui en découlent ») ; Klimaatzaak c. L’État Belge, Cour d’appel de Bruxelles, 2e chambre – Affaires Civiles, No. 2021/AR/1589, 2022/AR/737, 2022/AR/891 (2023), p. 157-159 ; Sharma et autres c. Ministre de l’environnement, Cour fédérale d’Australie, VID 607/2020 (2021), par. 253-254 ; Ashgar Leghari c. Fédération du Pakistan, Haute Cour de Lahore, Ordonnance W.P. No 22501/2015 (2015) ; Urgenda Foundation c. L’État des Pays-Bas, Cour suprême des Pays-Bas, no 19/00135 (2020), par. 5.6.2-5.6.3 (concluant que l’État doit prendre davantage de mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre) ; PSB et al. c. Brésil, Cour Suprême du Brésil, ADPF 708 (2022), par. 36-37.
426 Daniel Billy et al. c. Australie — pétition des autochtones des îles du détroit de Torres, communication no 3624/2019, décision, doc. CCPR/C/135/D/3624/2019 (2022), par. 8.3 ; Teitiota c. Nouvelle-Zélande, communication no 2728/2016, décision, doc. CCPR/C/127/D/2728/2016 (2020), par. 9.11 (« étant donné que le risque qu’un pays entier soit submergé par les eaux est un risque tellement extrême, les conditions de vie dans un tel pays peuvent devenir incompatibles avec le droit à la vie dans la dignité avant que le risque ne se réalise. »). Voir aussi CIADH, Yakye Axa Indigenous Community c. Paraguay, arrêt sur le fond, les réparations et les frais (17 juin 2005), par. 161-162
(« [Le droit à la vie] comprend non seulement le droit de tout être humain de ne pas être arbitrairement privé de sa vie, mais aussi le droit de ne pas créer de conditions qui empêchent ou entravent l’accès à une existence décente. … L’une des obligations que l’État doit inéluctablement assumer en tant que garant, pour protéger et assurer le droit à la vie, est celle de créer des conditions de vie minimales compatibles avec la dignité de la personne humaine et de ne pas créer de conditions qui l’entravent ou l’empêchent. ») ;
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, Social and Economic Rights Action Center (SERAC) et Center for Economic and Social Rights (CESR) c. Nigeria, décision sur la plainte 155/96 (2001), par. 67 ; Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, observation générale no 3 sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : le droit à la vie (article 4) (2015), par. 6 ; Kolyadenko & autres c. Russie, Cour européenne des droits de l’homme, requête no 17423/05, 20534/05, 20678/05, 23263/05, 24283/05 et 35673/05, arrêt du 28 février 2012, par. 157, 188, 202-203.
427 Daniel Billy et al. c. Australie — pétition des autochtones des îles du détroit de Torres, communication no 3624/2019, décision, doc. CCPR/C/135/D/3624/2019 (2022), par. 8.3 (les italiques sont de nous) ; voir aussi CDH, observation générale no 36 sur l’article 6 : droit à la vie, doc. CCPR/C/GC/36 (2019), par. 26, 62.
428 Voir aussi sect. IV.A et IV.B ci-dessus.
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« prendre toutes les mesures appropriées »
429 et d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour atteindre et maintenir un niveau d’émissions de GES durable sur le plan environnemental et pour remédier aux effets néfastes des émissions de GES passées, présentes et à venir. Cela suppose que les États procèdent à des réductions profondes, rapides et durables des émissions de GES d’origine anthropique et s’attaquent à leurs effets néfastes sur la jouissance des droits de l’homme.
a) Obligations générales imposées par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels
164. Bien que les obligations découlant du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels soient formulées en des termes quelque peu différents de ceux du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ce qui traduit les caractéristiques particulières des droits économiques, sociaux et culturels), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels n’en contient pas moins des obligations solides et concrètes en ce qui concerne les changements climatiques. Les États ont l’obligation, en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, « d’agir … au maximum de [leurs] ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le … Pacte par tous les moyens appropriés »430. Cette obligation de « réalisation progressive » ne permet toutefois pas aux États de retarder les mesures urgentes à prendre en matière de climat.
165. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels impose des obligations de comportement et de résultat431. Par exemple, l’engagement pris par les États de « prendre des mesures » au paragraphe 1 de l’article 2 est une obligation « d’effet immédiat », qui exige que les États prennent des mesures « dans un délai raisonnablement court »432. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a expliqué que les mesures prises par les États doivent être « délibérées, concrètes et ciblées aussi clairement que possible » pour satisfaire aux obligations du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels en utilisant « tous les moyens appropriés »433. Cela passe nécessairement par l’adoption de mesures législatives, réglementaires et fiscales434. En outre,
« des mesures telles que la limitation de l’utilisation des combustibles fossiles, la réduction de la pollution transfrontière et des émissions de gaz à effet de serre et la promotion de la transition vers des sources d’énergie renouvelables sont considérées comme des étapes cruciales dans l’atténuation des changements climatiques et des incidences négatives sur les droits de l’homme des effets néfastes des changements climatiques et des catastrophes à l’échelle mondiale »435.
429 Daniel Billy et al. c. Australie — pétition des autochtones des îles du détroit de Torres, communication no 3624/2019, avis, doc. CCPR/C/135/D/3624/2019 (2022), par. 8.3 (les italiques sont de nous) ; voir aussi CDH, observation générale no 36 sur l’article 6 : droit à la vie, doc. CCPR/C/GC/36 (2019), par. 26, 62.
430 CNUDM, art. 2, par. 1 (les italiques sont de nous).
431 CDESC, observation générale no 3 sur la nature des obligations des États parties (art. 2, par. 1, du Pacte), doc. E/1991/23 (1990), par. 1.
432 Ibid., par. 1-2.
433 Ibid., par. 2-3 ; PIDESC, art. 2, par. 1.
434 Voir CDESC, observation générale no 3 sur la nature des obligations des États parties (art. 2, par. 1, du Pacte), doc. E/1991/23 (1990), par. 2-3 ; PIDESC, art. 2, par. 1 (Chacun des États parties « s’engage à agir … au maximum de ses ressources disponibles … par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives »).
435 Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, « Recommandation générale no 37 sur les dimensions sexospécifiques de la réduction des risques de catastrophe dans le contexte des changements climatiques », doc. CEDAW/C/GC/38 (2018), par. 43.
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166. Chaque État est tenu de prendre les mesures appropriées pour atténuer les changements climatiques « au maximum de ses ressources disponibles »436. Dans le contexte des changements climatiques, cette obligation n’est pas différente de l’obligation de prévention prévue par le droit international de l’environnement, qui exige des États qu’ils « utilisent tous les moyens à leur disposition »437. Bien que les États disposent de ressources économiques et financières différentes, ce qui affecte dans une certaine mesure la portée de leurs obligations respectives en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de protéger l’environnement contre les changements climatiques, chaque État doit agir et mobiliser tous les moyens à sa disposition pour protéger les droits de l’homme. Au minimum, les obligations exigent que chaque État réglemente les émissions anthropiques de GES (y compris par « l’adoption de mesures législatives »438), dans le but d’atteindre et de maintenir un niveau d’émissions de GES écologiquement viable sur son territoire et dans sa juridiction, et d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour remédier à leurs effets néfastes sur la dignité et les droits de l’homme des individus. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels a expliqué que l’obligation de chaque État « de prendre des mesures … au maximum de ses ressources disponibles » pour parvenir à la pleine réalisation des droits de l’homme, devrait tenir compte « à la fois des ressources existant à l’intérieur d’un État et de celles que la communauté internationale met à sa disposition par le biais de la coopération et de l’assistance internationales »439.
c) Les États ont l’obligation de réglementer l’incidence des acteurs non étatiques sur le climat
167. Les obligations en matière de droits de l’homme concernant les changements climatiques sont contraignantes pour les États et n’ont pas, en tant que telles, d’effet horizontal en droit international440. Toutefois, étant donné que les émissions anthropiques de GES résultent en grande partie des activités d’acteurs non étatiques, les obligations positives des États de garantir le respect des droits ne seront pas pleinement remplies si les individus ne sont protégés que contre les violations des droits de l’homme commises par des agents de l’État. Pour que les droits de l’homme soient pleinement réalisés, les individus doivent également être protégés contre « les actes commis par des personnes ou des entités privées qui porteraient atteinte à la jouissance des … droits »441. L’obligation d’un État de « prendre toutes les mesures appropriées pour faire face … aux menaces directes »442 liées aux changements climatiques doit donc englober l’obligation de réglementer les émissions de gaz à effet de serre des acteurs non étatiques relevant de sa juridiction. Comme l’a noté le Comité des droits de l’homme,
« [d]ans certaines circonstances, il peut arriver qu’un manquement à l’obligation de garantir … les droits … se traduise par une violation de ces droits par un État partie si celui-ci tolère de tels actes ou s’abstient de prendre des mesures appropriées ou
436 PIDESC, art. 2, par. 1.
437 Voir aussi sect. IV.A.2 et IV.B.2 ci-dessus.
438 Le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels exige spécifiquement des États qu’ils prennent des mesures en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits économiques, sociaux et culturels « par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives » (les italiques sont de nous). Voir aussi CDESC, observation générale no 3 sur la nature des obligations des États parties (art. 2, par. 1, du Pacte), doc. E/1991/23 (1990), par. 3.
439 CDESC, observation générale no 3 sur la nature des obligations des États parties (art. 2, par. 1, du Pacte), doc. E/1991/23 (1990), par. 13.
440 Voir CDH, observation générale no 31 sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13. (2004), par. 8.
441 Ibid.
442 Daniel Billy et al. c. Australie — pétition des autochtones des îles du détroit de Torres, communication no 3624/2019, avis, doc. CCPR/C/135/D/3624/2019 (2022), par. 8.3 ; voir aussi CDH, observation générale no 36 sur l’article 6 : droit à la vie, doc. CCPR/C/GC/36 (2019), par. 26, 62.
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d’exercer la diligence nécessaire pour prévenir et punir de tels actes commis par des personnes privées, physiques ou morales »
443.
168. L’obligation qui incombe aux États, en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de protéger les droits économiques, sociaux et culturels exige également qu’ils prennent des mesures pour empêcher des tiers d’interférer avec les différents droits protégés par le Pacte. Comme l’a expliqué le Comité des droits économiques, sociaux et culturels dans son observation générale no 24,
« [l]’obligation de protection signifie que les États parties doivent prévenir efficacement les atteintes aux droits économiques, sociaux et culturels dans le cadre des activités des entreprises. Cela implique que les États parties adoptent des mesures législatives, administratives, éducatives et autres mesures appropriées pour assurer une protection efficace contre les violations des droits du Pacte liées aux activités des entreprises, et qu’ils offrent aux victimes de ces abus des entreprises un accès à des recours efficaces »444.
169. De l’obligation de protéger découle un devoir positif d’adopter un cadre juridique imposant aux entreprises
« d’exercer une diligence raisonnable en matière de droits de l’homme afin de détecter les risques de violation des droits garantis par le Pacte, de prévenir et d’atténuer ces risques, de faire en sorte que lesdits droits ne soient pas bafoués et de rendre compte des incidences négatives que leurs décisions peuvent avoir ou auxquelles elles peuvent contribuer »445.
d) Les États ont des obligations extraterritoriales en matière de changements climatiques
170. Les obligations imposées par le droit international des droits de l’homme en matière de respect, de protection et de mise en oeuvre des droits de l’homme ont une portée essentiellement territoriale. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques oblige expressément les États à garantir les droits civils et politiques à « tous les individus se trouvant sur [leur] territoire et relevant de [leur] juridiction »446, et de nombreux autres traités relatifs aux droits de l’homme définissent leur champ d’application par référence à la « juridiction » de l’État447. La Cour a également affirmé que la portée des obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est « essentiellement territoriale » par nature448. Cependant, la Cour a reconnu
443 Voir CDH, observation générale no 31 sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13. (2004), par. 8.
444 CDESC, observation générale no 24 sur les obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des activités des entreprises, doc. E/C.12/GC/24 (2017), par. 14.
445 Ibid., par. 16.
446 PIDCP, art. 2, par. 1.
447 Voir, par exemple, CEDH, article premier (« Les Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis dans … la présente Convention ») ; CADH, article premier, par. 1 ; CDE, art. 2, par. 1 ; Nations Unies, convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, 10 décembre 1984, RTNU, vol. 1465, p. 85, art. 2, par. 1 ; convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, 21 décembre 1965, RTNU, vol. 660, p. 195, art. 3.
448 Construction d’un mur, avis consultatif, p. 180, par. 112.
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que la « juridiction » d’un État s’étend au-delà de son territoire souverain
449, et que, par conséquent, les obligations découlant du Pacte international relatif aux droits civils et politiques450 et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels451 peuvent s’étendre à des personnes qui se trouvent en dehors du territoire de l’État, mais sur lesquelles celui-ci exerce un contrôle effectif452. Cela est conforme aux conclusions du CDH453 et du Comité des droits économiques, sociaux et culturels454, à la pratique desquels la Cour attribue un « poids important »455, ainsi que d’autres organes et juridictions de défense des droits de l’homme456.
171. En ce qui concerne la portée extraterritoriale du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a confirmé à plusieurs reprises que les États sont tenus de s’abstenir d’entraver la jouissance des droits
449 Ibid., p. 179, par. 109 (« La Cour rappelle que, si la juridiction des États est avant tout territoriale, elle peut parfois s’exercer en dehors du territoire national »). Voir aussi Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 15 octobre 2008, C.I.J. Recueil 2008, p. 386, par. 109 (où la Cour ne se référait pas spécifiquement au concept de « juridiction », mais acceptait que le traité pertinent s’applique « aux actes d’un État partie lorsque celui-ci agit en dehors de son territoire »).
450 Construction d’un mur, avis consultatif, p. 179-180, par. 109-111 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), C.I.J. Recueil 2005, p. 242-243, par. 216.
451 Construction d’un mur, avis consultatif, p. 180-181, par. 112.
452 Voir, par exemple, CDH, observation générale no 36 sur l’article 6 : droit à la vie, doc. CCPR/C/GC/36 (2019), par. 63
(« un État partie a l’obligation de respecter et de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire, et à toutes les personnes relevant de sa compétence, c’est-à-dire à toutes les personnes dont la jouissance du droit à la vie dépend de son pouvoir ou de son contrôle effectif, les droits reconnus à l’article 6. Cela inclut les personnes se trouvant à l’extérieur de tout territoire effectivement contrôlé par l’État mais dont le droit à la vie est néanmoins affecté par ses activités militaires ou autres de manière directe et raisonnablement prévisible ») ;
Comité des droits de l’enfant, « décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, relative à une procédure de présentation de communications, concernant la communication nº 104/2019 », doc. CRC/C/88/D/104/2019 (2021), par. 10.12 ; avis consultatif de la CIADH (2017), par. 79, 81, 102-103.
453 Voir CDH, observation générale no 31 sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13. (2004), par. 10.
454 CDESC, « Examen des rapports présentés par les États parties en vertu des articles 16 et 17 du Pacte, Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels », doc. E/C.12/ISR/CO/3 (2011), (« Le Comité, tout en prenant note des préoccupations légitimes de l’État partie dans le domaine de la sécurité, rappelle à celui-ci l’obligation qui lui incombe de pleinement garantir et réaliser les droits consacrés par le Pacte pour tous les habitants de l’ensemble des territoires qui sont sous son contrôle effectif, et d’en rendre compte. »).
455 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), arrêt, C.I.J. Recueil 2010, p. 664, par. 66. Voir aussi ibid., p. 664, par. 67 (« De même, lorsque la Cour est appelée, comme dans la présente procédure, à appliquer un instrument régional de protection des droits de l’homme, elle doit tenir dûment compte de l’interprétation de cet instrument adoptée par les organismes indépendants qui ont été spécifiquement créés, le cas échéant, pour veiller à la bonne application du traité en question »).
456 Voir, par exemple, Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni, Cour européenne des droits de l’homme, requête no 55721/07, arrêt du 7 juillet 2011, par. 138 ; Comité contre la torture, observation générale no 2 sur la mise en oeuvre de l’article 2 par les États parties, doc. CAT/C/GC/2 (2008), par. 16 ; Comité contre la torture, « examen des rapports présentés par les États parties en vertu de l’article 19 de la Convention, conclusions et recommandations du Comité contre la torture : Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, dépendances de la Couronne et territoires d’outre-mer », doc. CAT/C/CR/33/3 (2004), par. 4, al. b) ; avis consultatif de la CIADH (2017), par. 81, 104 ; Loizidou c. Turquie, Cour européenne des droits de l’homme, requête no 15318/89, arrêt du 23 mars 1995, par. 62 ; Saldaño c. Argentine, Commission interaméricaine des droits de l’homme, rapport no 38/99 (11 mars 1999), par. 17.
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économiques, sociaux et culturels « dans d’autres pays »
457 ou à l’égard de « populations se trouvant en dehors de leur territoire »458. Cette obligation est particulièrement pertinente dans le cadre des changements climatiques, étant donné que les actes et les omissions à l’origine des changements climatiques concernent non seulement le territoire d’où proviennent ces actes ou omissions, mais également d’autres zones situées en dehors de la juridiction de l’État.
e) Les États ont l’obligation de coopérer et d’accorder une assistance internationale
172. Chaque État a l’obligation de coopérer avec les autres pour assurer la promotion et la pleine réalisation des droits de l’homme. Comme indiqué plus haut, l’obligation de coopérer pour résoudre les problèmes mondiaux est un principe fondamental du droit international459, qui a également été reconnu dans le contexte du droit international des droits de l’homme460. Par exemple le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels prévoit que
« chacun des États parties au présent Pacte s’engage à agir, tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives »461.
173. Le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnaît expressément l’importance de « l’assistance et de la coopération internationales » pour la pleine réalisation des droits économiques, sociaux et culturels. Ainsi, il a été noté que, « même si l’obligation première doit être considérée comme incombant à l’État de faire tout ce qui est en son pouvoir pour réaliser [les droits de l’homme], le manque de ressources pourrait obliger certains États à se tourner vers la communauté internationale pour obtenir de l’aide à cette fin »462. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a souligné la nécessité pour les États de « reconnaître le rôle essentiel de la coopération internationale et de respecter l’engagement qu’ils
457 Voir aussi CDESC, observation générale no 14 sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12), doc. E/C.12/2000/4 (2000), par. 39 ; CDESC, observation générale no 12 sur le droit à une alimentation adéquate (art. 11), doc. E/C.12/1999/5 (1999), par. 36 ; CDESC, observation générale no 15 sur le droit à l’eau (art. 11 et 12 du Pacte), doc. E/C.12/2002/11 (2003), par. 31.
458 CDESC, « Les changements climatiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels », doc. E/C.12/2018/1* (2018), par. 5. Voir aussi M. den Heijer et R. Lawson, « Extraterritorial Human Rights and the Concept of “Jurisdiction” » in Global Justice, State Duties: The Extraterritorial Scope of Economic, Social, and Cultural Rights in International Law (Cambridge University Press, 2013), p. 189.
459 Voir sect. IV.A.3. ci-dessus.
460 Charte des Nations Unies, art. 55-56 ; voir aussi article premier, par. 3 (« Les buts des Nations Unies sont : … 3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes internationaux d’ordre économique, social, culturel ou humanitaire, en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ») ; DUDH, préambule ; Nations Unies, Assemblée générale, résolution 2625, « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies », 24 octobre 1970, doc. A/RES/2625 (XXV) ; Conseil des droits de l’homme, « Le devoir de coopérer et les acteurs non étatiques », doc. A/HRC/EMRTD/7/CRP.3 (2023), par. 3 ; Nations Unies, Assemblée générale, résolution S-24/2, « Nouvelles initiatives en faveur du développement social », 15 décembre 2000, doc. A/RES/S-24/2, p. 13 ; CDESC, observation générale no 3 sur la nature des obligations des États parties (art. 2, par. 1, du Pacte), doc. E/1991/23 (1990), par. 13.
461 CNUDM, art. 2, par. 1 (les italiques sont de nous).
462 M. Craven, The International Covenant on Economic, Social, and Cultural Rights: Perspective on Its Development (Oxford, 1995), p. 144-145.
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ont pris d’agir conjointement et séparément pour parvenir à la pleine réalisation des [droits économiques, sociaux et culturels] »
463.
174. L’obligation des États de coopérer en vue de la pleine réalisation des droits est particulièrement pertinente dans le contexte des changements climatiques, où les émissions de gaz à effet de serre provenant d’un État ou d’une région peuvent avoir des effets dévastateurs sur des individus situés à des milliers de kilomètres de là. Comme indiqué plus haut, les changements climatiques induits par les émissions anthropiques de GES ont des répercussions négatives sur un large éventail de droits économiques, sociaux et culturels, qui ne peuvent être « pleinement réalisés » sans une réduction profonde, rapide et durable des émissions mondiales de GES et l’adoption de mesures visant à remédier à leurs effets néfastes persistants, ce qui nécessite une large coopération internationale. Sur la question des changements climatiques, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a noté que
« la coopération internationale est essentielle car les risques les plus graves pour le monde liés à la science et à la technologie, tels que les changements climatiques … , sont transnationaux et ne peuvent être traités de manière adéquate sans une solide coopération internationale. Les États devraient promouvoir des accords multilatéraux pour empêcher ces risques de se matérialiser ou pour en atténuer les effets »464.
175. Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a également appelé tous les États à « continuer à renforcer le dialogue et la coopération au niveau international en ce qui concerne les effets néfastes des changements climatiques sur la jouissance des droits de l’homme »465. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également noté que dans le contexte environnemental, le respect du devoir de coopération « est un élément important dans l’évaluation de l’obligation [d’un État] de respecter et de garantir les droits de l’homme des personnes qui se trouvent en dehors de son territoire et qui peuvent être affectées par des activités menées sur son territoire »466. D’autres organismes internationaux ont également rappelé la centralité de l’obligation de coopération en matière de lutte contre les changements climatiques dans le contexte des droits de l’homme467.
463 CDESC, observation générale no 14 sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12), doc. E/C.12/2000/4 (2000), par. 38.
464 CDESC, observation générale no 25 sur la science et les droits économiques, sociaux et culturels [art. 15, par. 1, al. b), par. 2, 3 et 4 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels], doc. E/C.12/GC25 (2020), par. 81.
465 Conseil des droits de l’homme, résolution 26/27, « Droits de l’homme et changements climatiques », doc. A/HRC/RES/26/27 (2014), par. 5.
466 Avis consultatif de la CIADH (2017), par. 182.
467 Voir Conseil des droits de l’homme, résolution 26/27, « Droits de l’homme et changements climatiques », doc. A/HRC/RES/26/27 (2014), p. 2 (« [L]e caractère planétaire des changements climatiques requiert de tous les pays qu’ils coopèrent le plus possible et participent à une action internationale efficace et appropriée… ») ; HCDH, « Rapport sur les liens entre changements climatiques et droits de l’homme », doc. A/HRC/10/61 (2009), par. 99 (notant « non seulement l’utilité mais aussi le caractère obligatoire de la coopération internationale pour la défense des droits de l’homme, dont l’objectif central est la mise en oeuvre de ces droits ») ; Conseil des droits de l’homme, « Rapport du Rapporteur spécial sur la question des obligations en rapport avec les droits de l’homme qui concernent la jouissance d’un environnement sûr, propre, sain et durable », doc. A/HRC/31/52 (2016), par. 42 (« Les États ont toujours envisagé les changements climatiques comme un problème mondial qui nécessite une riposte mondiale. Cette approche n’est pas seulement la plus logique au plan pratique, elle est aussi conforme au devoir de coopération internationale, et peut être considérée comme une application de celui-ci. ») ; Conseil des droits de l’homme, résolution 44/7, « Droits de l’homme et changements climatiques », doc. A/HRC/RES/44/7 (2020), p. 2, 5 (soulignant que les changements climatiques requièrent « de tous les pays qu’ils coopèrent le plus possible » et demandant aux États
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D. Obligations des États à l’égard des générations futures
176. Les différentes obligations décrites ci-dessus ne protègent pas seulement les intérêts des individus qui habitent actuellement la Terre, mais aussi ceux des générations qui ne sont pas encore nées et qui ont un intérêt légitime dans l’héritage environnemental commun et le patrimoine écologique qui leur seront transmis. Le droit international reflète ainsi un engagement normatif en faveur des principes d’équité intergénérationnelle. Il reconnaît que les États doivent agir pour parvenir à une réduction profonde, rapide et durable des émissions mondiales de GES, afin de ne pas faire peser une charge injuste et disproportionnée sur les enfants d’aujourd’hui et les générations futures.
177. Le principe de l’équité intergénérationnelle a longtemps inspiré l’interprétation des normes du droit international de l’environnement et des droits de l’homme. Dans l’affaire des Essais nucléaires, le juge Weeramantry a noté que l’équité intergénérationnelle était un « principe important et en plein développement du droit international contemporain »468. En 2010, dans une opinion séparée dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, le juge Cançado Trindade a déclaré qu’« il ne fait aucun doute que la reconnaissance de l’équité intergénérationnelle fait partie de la sagesse conventionnelle dans le droit international de l’environnement »469. La Cour a également tenu compte des générations futures lors de l’évaluation des risques catastrophiques pour l’environnement. Par exemple, dans l’affaire relative aux Armes nucléaires, la Cour a reconnu l’importance de l’environnement pour les générations futures, en notant que l’environnement représente « l’espace vital, la qualité de vie et la santé même » des êtres humains, « y compris les générations à naître »470. Dans l’affaire Projet Gabčíkovo-Nagymaros, la Cour a de même déclaré qu’elle « ne perd[ait] pas de vue que, dans le domaine de la protection de l’environnement, la vigilance et la prévention s’imposent en raison du caractère souvent irréversible des dommages causés à l’environnement » et que les risques pour « les générations présentes et futures » doivent être considérés comme une composante de l’élaboration des normes et des standards471.
178. Les États ont également tenu compte des principes d’équité intergénérationnelle lors de la conclusion de traités et d’instruments environnementaux tels que la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques472, la déclaration de Stockholm473, la déclaration de
« de poursuivre et de renforcer la coopération et l’assistance internationales relatives aux mesures d’atténuation et d’adaptation, notamment sous la forme de financement, de transfert de technologies et de renforcement des capacités, afin d’aider les pays en développement, en particulier ceux qui sont particulièrement vulnérables face aux effets néfastes des changements climatiques »).
Voir aussi, de manière générale, J. Rudall, « The Obligation to Cooperate in the Fight against Climate Change », 23 International Community Law Review (2021), p. 184-196.
468 Demande d’examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt rendu par la Cour le 20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), opinion dissidente du juge Weeramantry, C.I.J. Recueil 1995, p. 341, par. 341.
469 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), opinion individuelle du juge Cançado Trindade, C.I.J. Recueil 2010, p. 181, par. 122.
470 Armes nucléaires, avis consultatif, p. 241-242, par. 29.
471 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 78, par. 140
(« Grâce aux nouvelles perspectives qu’offre la science et à une conscience croissante des risques que la poursuite de ces interventions à un rythme inconsidéré et soutenu représenterait pour l’humanité — qu’il s’agisse des générations actuelles ou futures —, de nouvelles normes et exigences ont été mises au point, qui ont été énoncées dans un grand nombre d’instruments au cours des deux dernières décennies. »).
472 CCNUCC, art. 3, par. 1.
473 Déclaration de Stockholm, al. 6, principes 1 et 2.
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Rio
474, ou la convention sur la diversité biologique475. Plus récemment, dans le plan de mise en oeuvre 2022 de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, les États parties ont souligné que l’équité intergénérationnelle était une considération pertinente lors de l’évaluation des obligations en matière d’environnement, en particulier dans le contexte des changements climatiques476.
179. De nombreux droits inscrits dans la législation internationale sur les droits de l’homme ont une composante intergénérationnelle inhérente et exigent des États qu’ils tiennent compte de leurs obligations positives et négatives à l’égard des générations existantes et de celles qui ne sont pas encore nées. Par exemple, le droit à la culture implique l’obligation pour l’État de conserver et de transmettre les pratiques et les objets culturels d’une génération à l’autre477. En effet, le fait qu’un État ne prenne pas suffisamment en compte les dimensions transgénérationnelles de ses obligations en matière de droits de l’homme peut le placer en situation de violation du droit international. Par exemple, le CDH a estimé dans l’affaire Billy que le fait que l’Australie n’ait pas adopté en temps utile des mesures d’adaptation en vue d’atténuer les menaces futures pesant sur la culture des peuples autochtones des îles du détroit de Torres constituait un manquement à ses obligations positives de protéger les droits culturels face aux changements climatiques478. Les droits de l’enfant comportent également des éléments importants axés sur l’avenir, la convention relative aux droits de l’enfant imposant aux États l’obligation d’accorder une « attention primordiale » « dans toutes les décisions qui concernent les enfants [à] l’intérêt supérieur de l’enfant »479.
180. Les tribunaux nationaux ont également invoqué le principe de l’équité intergénérationnelle dans leur jurisprudence environnementale. Par exemple, la Cour suprême de Colombie a appliqué le principe de l’équité intergénérationnelle pour étendre la protection des droits fondamentaux aux générations futures et a estimé que la déforestation en Amazonie avait causé un dommage imminent et grave à tous les Colombiens des générations actuelles et futures en provoquant d’importantes émissions de gaz à effet de serre480. La Cour constitutionnelle allemande a également appliqué le principe de l’équité intergénérationnelle lors de l’évaluation de la loi fédérale allemande sur la protection du climat :
474 Déclaration de Rio, principe 7.
475 Nations Unies, convention sur la diversité biologique, 5 juin 1992, RTNU, vol. 1760, p. 79, art. 1-2 (incluant les générations futures dans la définition de l’utilisation durable, qui figure parmi les objectifs de la convention).
476 CCNUCC, Plan de mise en oeuvre de Charm el-Cheikh, décision -/CP.27 (20 novembre 2022), p. 9.
477 D. Bertram, « For You Will (Still) Be Here Tomorrow: The Many Lives of Intergenerational Equity », 12 Transnational Environmental Law (2023) 121, p. 132. Voir aussi CDESC, observation générale no 12 sur le droit à une alimentation adéquate (art. 11), doc. E/C.12/1999/5 (1999), par. 7 (décrivant les contours du droit à l’alimentation et notant que la « durabilité » exige que la nourriture soit accessible aux générations actuelles et futures).
478 Daniel Billy et al. c. Australie — pétition des autochtones des îles du détroit de Torres, communication no 3624/2019, décision, doc. CCPR/C/135/D/3624/2019 (2022), par. 8.14. Voir aussi ibid., opinion concordante de Gentian Zyberi, membre du Comité, par. 6 (notant que « le Comité aurait dû lier plus clairement aux mesures d’atténuation l’obligation de l’État de “protéger la capacité collective des auteurs à maintenir leur mode de vie traditionnel, à transmettre à leurs enfants et aux générations futures leur culture et leurs traditions et l’utilisation des ressources terrestres et marines” ») (citations internes omises).
479 Conseil des droits de l’homme, résolution 35/20, « Droits de l’homme et changements climatiques », 22 juin 2017, doc. A/HRC/RES/35/20, préambule
(« [L]es enfants … font partie des groupes les plus vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques, qui peuvent sérieusement compromettre leurs chances de bénéficier du meilleur état de santé physique et mentale susceptible d’être atteint et de l’accès à l’éducation, à une nourriture suffisante, à un logement convenable et à l’eau potable et l’assainissement. »).
480 Future Generations v. Ministry of Environment and Others, Supreme Court of Justice of Colombia, STC4360-2018 (5 April 2018).
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« Il découle du principe de proportionnalité qu’une génération ne doit pas être autorisée à consommer une grande partie du budget CO2 tout en supportant une part relativement mineure de l’effort de réduction, si cela implique de laisser aux générations suivantes un fardeau de réduction drastique et d’exposer leur vie à de graves pertes de liberté »481.
181. La Cour a finalement demandé à l’Allemagne de mettre à jour son plan d’action sur le climat afin de refléter une répartition proportionnelle des ressources et des charges entre les générations482. D’autres tribunaux dans le monde ont également appliqué le principe de l’équité intergénérationnelle comme outil d’interprétation pour analyser les obligations des États et mettre en balance les intérêts des générations actuelles et futures483. Ce principe est également inscrit dans les constitutions nationales, notamment celles du Brésil, de l’Allemagne, de la Guyane, de la Norvège, de l’Afrique du Sud et du Vanuatu, et trouve également son expression dans la législation nationale sur l’environnement d’un certain nombre d’États484.
182. Le principe d’équité intergénérationnelle vise à assurer une répartition juste et équitable des charges, des intérêts et des ressources entre les générations qui habiteront la Terre. Ce principe est particulièrement pertinent dans le contexte des changements climatiques, qui menacent les générations futures et leurs droits de manière encore plus aiguë que les droits des générations actuelles. En raison des dommages souvent irréversibles causés par les changements climatiques, l’inaction des États aujourd’hui garantira effectivement que le monde en 2100 et au-delà sera inhabitable pour les générations suivantes. C’est manifestement injuste. Pour se conformer aux obligations qui leur incombent en vertu du droit international de l’environnement et des droits de l’homme, les États doivent tenir compte de l’incidence de leurs actions sur les enfants d’aujourd’hui et sur les générations futures.
V. LES OBLIGATIONS TRANSVERSALES ESSENTIELLES
183. L’aperçu des obligations des États en matière de changements climatiques en vertu du droit international de l’environnement, du droit de la mer et du droit international des droits de l’homme montre clairement que chaque corpus juridique exige des États : i) qu’ils procèdent à une réduction profonde, rapide et durable des émissions anthropiques de GES ; et ii) qu’ils utilisent tous les moyens à leur disposition pour mettre en place des mesures d’adaptation afin de remédier aux dommages environnementaux qui résulteront de manière prévisible des émissions de GES passées, présentes et futures.
184. La science est claire sur ce qu’il faut faire pour y parvenir : le GIEC confirme que la réalisation et le maintien de réductions profondes et durables des émissions de GES nécessitent des « transitions rapides et de grande envergure dans tous les secteurs et systèmes »485, y compris, par exemple :
481 Neubauer and Others v. Germany, Federal Constitutional Court of Germany, Nr. 31/2021 (2021), par. 192.
482 Ibid., par. 266.
483 Voir D. Bertram, « For You Will (Still) Be Here Tomorrow: The Many Lives of Intergenerational Equity », 12 Transnational Environmental Law (2023) 121, p. 133-137 (analyse de l’application du principe d’équité intergénérationnelle dans les litiges nationaux au niveau mondial) ; voir aussi M. Wewerinke-Singh et al., « In Defence of Future Generations: A Reply to Stephen Humphreys », 34 European Journal of International Law (2023) 651, p. 657-666.
484 L. Slobodian, « Defending the Future: Intergenerational Equity in Climate Litigation », 32 Georgetown Environmental Law Review (2020) 569, p. 572.
485 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 102.
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a) Dans le secteur de l’énergie, une réduction substantielle de l’utilisation des combustibles fossiles, la transition vers une production d’électricité sans émissions de CO2 et l’utilisation de sources d’énergie renouvelables, la conservation de l’énergie et l’efficacité énergétique486.
b) Dans le secteur de l’industrie, il est nécessaire de mener une « action coordonnée … pour promouvoir toutes les options d’atténuation », y compris l’efficacité énergétique et matérielle, la circularité (par exemple, le recyclage, le surcylage et la réutilisation), l’électrification, l’utilisation de combustibles alternatifs et la décarbonation de la production et de l’utilisation du ciment487.
c) Dans le secteur urbain, la construction intégrée, le transport et d’autres formes de planification urbaine, y compris la promotion de la sylviculture urbaine et des espaces verts, l’électrification et les politiques visant à encourager le cyclisme, la marche et d’autres changements dans le comportement des consommateurs488.
d) Dans le secteur de l’agriculture, de la sylviculture et de l’utilisation des terres, la conservation (« réduction de la déforestation dans les régions tropicales ayant le potentiel d’atténuation total le plus élevé »), le reboisement, l’adoption de régimes alimentaires durables et sains et la réduction du gaspillage alimentaire489.
185. En outre, la lutte contre les effets néfastes des émissions de GES passées, présentes et futures sur l’environnement et la vie humaine nécessite une multitude de mesures d’adaptation allant de la gestion efficace des risques de catastrophe, des systèmes d’alerte précoce, de l’agroforesterie et de la diversification de l’utilisation des terres à la restauration des zones humides et des rivières et à la promotion d’une gestion responsable des forêts afin de renforcer les défenses contre les inondations490.
186. Le droit international impose aux États un certain nombre d’obligations transversales fondamentales, conçues pour garantir la mise en oeuvre effective de leurs obligations en matière d’atténuation, d’adaptation et de coopération. Sans prétendre à l’exhaustivité, la présente section examine certaines de ces obligations fondamentales et transversales telles qu’elles s’appliquent sur le territoire et dans la juridiction d’un État (section A), et telles qu’elles s’appliquent à l’action coopérative mondiale des États (section B). Toutes ces obligations transversales ont en commun de trouver leur expression dans plus d’un des domaines du droit — et souvent dans tous — examinés ci-dessus dans la section IV, et de refléter ainsi certains des aspects essentiels de l’action efficace des États en matière de changements climatiques.
A. Obligations fondamentales applicables sur le territoire d’un État
187. Comme indiqué ci-dessus, les États ont l’obligation d’adopter et de mettre en oeuvre des mesures d’atténuation et d’adaptation efficaces en premier lieu sur leur territoire et sous leur juridiction491. Le droit international impose un certain nombre d’obligations fondamentales et transversales à cet égard, notamment : i) l’obligation d’adopter et de maintenir une stratégie nationale sur le climat ; ii) l’obligation de réglementer la conduite des acteurs privés ; iii) l’obligation de mettre
486 Ibid., p. 104.
487 Ibid., p. 104-105.
488 Ibid., p. 105.
489 Ibid., p. 106.
490 Ibid., p. 102-109.
491 Voir sect. IV.A.2 ci-dessus.
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en oeuvre et d’appliquer des mesures législatives et réglementaires ; et iv) l’obligation de promouvoir la transparence et une large participation du public à la prise de décision en matière d’environnement.
1. Les États doivent adopter et maintenir une stratégie nationale globale en matière de climat
188. Comme l’indique le GIEC, « une action climatique efficace nécessite un engagement politique, une gouvernance multi-niveaux bien alignée et des cadres institutionnels, des lois, des politiques et des stratégies »492. Au niveau national et infranational (par exemple, régions, villes), il est nécessaire de prendre des mesures globales et intégrées afin de réduire les émissions anthropiques de GES et de remédier à leurs effets néfastes493. Les Bahamas estiment donc que l’obligation d’adopter et de maintenir une stratégie nationale globale en matière de climat est un corollaire nécessaire aux obligations des États en matière d’atténuation et d’adaptation. Cela se reflète également dans un certain nombre de traités sur le climat et d’autres instruments, notamment :
a) l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 4 de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui dispose que les États
« élaborent, mettent en oeuvre, publient et mettent régulièrement à jour des programmes nationaux et, le cas échéant, régionaux contenant des mesures visant à atténuer les changements climatiques … ainsi que des mesures visant à faciliter l’adaptation voulue aux changements climatiques »494 ;
et
b) le paragraphe 19 de l’article 4 de l’accord de Paris, qui prévoit que « toutes les Parties devraient s’efforcer de formuler et de communiquer des stratégies de développement à faible émission de gaz à effet de serre à long terme »495.
189. L’importance des stratégies et des programmes nationaux a également été reconnue dans le contexte des droits de l’homme. Par exemple, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a noté dans son observation générale no 15 sur le droit à l’eau que « les États parties devraient adopter des stratégies et des programmes globaux et intégrés pour veiller à ce qu’il y ait suffisamment d’eau salubre pour les générations présentes et futures »496.
190. En ce qui concerne l’adaptation, le GIEC a noté que « la plupart des mesures d’adaptation observées sont fragmentées, de faible ampleur, progressives, sectorielles et davantage axées sur la planification que sur la mise en oeuvre »497. Au lieu de cela, des « solutions multisectorielles intégrées
492 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 110.
493 Ibid., p. 110-111, 114-115.
494 Voir aussi CCNUCC, art. 4, par. 2, al. a) (obligation distincte des États développés parties d’« adopte[r] des politiques nationales et [de] prend[re] en conséquence les mesures voulues pour atténuer les changements climatiques »).
495 Voir protocole de Kyoto, art. 5, par. 1, art. 10, al. a) et b) ; convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone, art. 2, par. 2, al. b) ; accord BBNJ, art. 14, par. 3, art. 53 ; Nations Unies, « Rapport du Sommet mondial sur le développement durable », doc. A/CONF.199/20*. (2002), par. 162-163.
496 CDESC, observation générale no 15 sur le droit à l’eau (art. 11 et 12 du Pacte), doc. E/C.12/2002/11 (2003), par. 28. Voir aussi CDESC, « Les changements climatiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels », doc. E/C.12/2018/1* (2018), par. 7 (« Les États parties devraient en outre adopter des mesures pour s’adapter aux effets néfastes des changements climatiques et les intégrer dans leurs politiques sociales, environnementales et budgétaires au niveau national. »).
497 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 61.
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et transversales » sont nécessaires
498, et ne peuvent être mises en oeuvre sans une stratégie nationale globale en matière de climat.
2. Les États doivent réglementer le comportement des acteurs privés, y compris leur comportement à l’étranger, le cas échéant
191. L’obligation pour un État de réglementer le comportement des acteurs privés qui génèrent des émissions de GES est essentielle, car une part très importante des émissions mondiales de GES est imputable à des activités privées499.
192. Comme indiqué ci-dessus, les mesures législatives et réglementaires sont les principaux moyens dont dispose l’État pour réduire les émissions anthropiques de GES et remédier à leurs effets néfastes. La Cour a reconnu dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier que la diligence requise d’un État pour se conformer aux obligations en matière de protection de l’environnement comprend l’obligation d’adopter des « règles et mesures appropriées »500, et un grand nombre de traités environnementaux exigent des États qu’ils adoptent des lois et des réglementations pour la protection de l’environnement501. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer et les traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques502 et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels503, exigent également des États qu’ils adoptent des mesures législatives appropriées504. Par exemple, en vertu du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, les États parties s’engagent à prendre des mesures en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits énoncés dans le Pacte « par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives ». En vertu de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, les États ont l’obligation d’adopter des lois et des règlements pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin505.
193. Il est largement admis que le devoir de réglementation de l’État s’étend à la conduite privée. Dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, la Cour a reconnu que les obligations
498 Ibid., p. 78.
499 Carbon Disclosure Project (« CDP »), CDP Carbon Majors Report 2017 (juillet 2017), p. 5-7.
500 Usines de pâte à papier, arrêt, p. 79-80, par. 197.
501 Voir, par exemple, CNUDM, art. 207-212 ; déclaration de Rio, principe 11 ; Nations Unies, convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes (convention de Carthagène), 11 octobre 1986, RTNU, vol. 1506, p. 158 (adhésion le 24 juin 2010), art. 12, par. 1 ; convention pour la protection, la gestion et le développement du milieu marin et côtier de l’océan Indien occidental (convention de Nairobi), 31 mars 2010, art. 14, par. 1 ; convention de coopération pour la protection et la mise en valeur du milieu marin et côtier de la région de l’Afrique de l’Ouest et du Centre (Convention d’Abidjan), 5 août 1984, art. 4 ; convention-cadre pour la protection du milieu marin de la mer Caspienne (convention de Téhéran), 12 août 2006, art. 15 et 18, art. 19, par. 4 ; accord sur la conservation des cétacés de la mer Noire, de la Méditerranée et de la zone Atlantique adjacente (ACCOBAMS), 1er juin 2001, art. II, par. 3 ; convention pour la protection de l’environnement marin de la zone de la mer Baltique (convention d’Helsinki), 17 janvier 2000, art. 3, par. 1, art. 6, par. 2 et art. 16, par. 1, al. a) ; et convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est (OSPAR), 25 mars 1998, RTNU, vol. 2354, p. 67, art. 22, al. a).
502 PIDCP, art. 2, par. 2 (« Les États parties au présent Pacte s’engagent à prendre … les arrangements devant permettre l’adoption de telles mesures d’ordre législatif ou autre, propres à donner effet aux droits reconnus dans le présent Pacte »).
503 PIDESC, art. 2, par. 1.
504 Outre le PIDCP et le PIDESC, Voir, par exemple, avis consultatif de la CIADH (2017), par. 146-151 (« Compte tenu de la relation entre la protection de l’environnement et les droits de l’homme … , tous les États doivent réglementer cette question et prendre d’autres mesures similaires pour prévenir les dommages significatifs à l’environnement »).
505 CNUDM, art. 207, par. 1.
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d’un État en matière de protection de l’environnement impliquent « l’exercice d’un contrôle administratif applicable aux opérateurs publics et privés »
506. De même, dans l’arbitrage relatif à la Fonderie de Trail, le tribunal a estimé qu’il incombait au Canada de veiller à ce que le comportement de l’opérateur privé soit « conforme à l’obligation [de l’État] en vertu du droit international »507. Cette obligation se retrouve également dans un certain nombre de traités environnementaux508.
194. En vertu de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, l’obligation d’adopter des lois et des règlements comprend « l’exercice du pouvoir [de l’État] sur les entités de [sa] nationalité et sous [son] contrôle »509. De même, en vertu du droit international des droits de l’homme, les États ont l’obligation positive de veiller à ce que les personnes se trouvant sur leur territoire et sous leur juridiction soient protégées contre les violations de leurs droits fondamentaux par des personnes privées, ce qui inclut l’obligation de réglementer efficacement le comportement des personnes privées510. L’observation générale no 24 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur les obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des activités commerciales souligne que
« [l]’obligation de protection signifie que les États parties doivent prévenir efficacement les atteintes aux droits économiques, sociaux et culturels dans le cadre des activités des entreprises. Cela implique que les États parties adoptent des mesures législatives, administratives, éducatives et autres mesures appropriées pour assurer une protection efficace contre les violations des droits du Pacte liées aux activités des entreprises, et qu’ils offrent aux victimes de ces abus des entreprises un accès à des recours efficaces »511.
195. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a estimé que les mesures requises peuvent inclure l’adoption de lois et de règlements, l’imposition de sanctions pénales ou administratives, la possibilité pour les victimes d’intenter une action civile contre les entreprises, ou l’obligation pour les entreprises d’exercer une diligence requise en matière de droits de l’homme afin de recenser, de prévenir et d’atténuer les risques de violation des droits sociaux, économiques et culturels512.
196. Le devoir de réglementation de l’État peut s’étendre à la conduite privée à l’étranger dans des cas appropriés. Par exemple, en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, comme nous l’avons vu plus haut, les États ont assumé l’obligation de prendre des mesures progressives en vue de la pleine réalisation des droits économiques, sociaux et culturels
506 Usines de pâte à papier, arrêt, p. 79-80, par. 197 (les italiques sont de nous).
507 Affaire relative à la Fonderie de Trail, p. 1965-1966. Voir aussi Activités menées dans la Zone, avis consultatif, p. 41, par. 112 ; projet d’articles sur les dommages transfrontières de la Commission du droit international, commentaire de l’article 5, par. 3 (notant que l’obligation d’adopter « des mesures législatives, administratives ou autres » pour remplir les obligations énoncées dans les articles implique nécessairement de réglementer les acteurs privés impliqués dans ces opérations).
508 Voir, par exemple, CNUDM, art. 117, 207-212 ; CCNUCC, art. 4, par. 2, al. a) ; déclaration de Rio, principe 11.
509 Activités menées dans la Zone, avis consultatif, par. 112.
510 Avis consultatif de la CIADH (2017), par. 118, 151 ; CDH, observation générale no 31 sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13 (2004), par. 8 ; Affaire Öneryildiz c. Turquie, Cour européenne des droits de l’homme, requête no 48939/99, arrêt du 30 novembre 2004, par. 90 ; Affaire Budayeva et autres c. Russie, Requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme no 15339/02, 21166/02, 20058/02, 11673/02 et 15343/02, arrêt du 20 mars 2008, par. 132 ; PIDESC, art. 2, par. 1 ; PIDCP, art. 2, par. 2.
511 CDESC, observation générale no 24 sur les obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des activités des entreprises, doc. E/C.12/GC/24 (2017), par. 14.
512 Ibid., par. 14-22.
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de la communauté mondiale, et non pas seulement des individus se trouvant sur leur territoire et sous leur juridiction
513. Conformément à cette ambition universelle, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels considère que « les États parties sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les violations des droits de l’homme commises à l’étranger par des sociétés domiciliées sur leur territoire et/ou sous leur juridiction », tout en respectant la souveraineté de l’État d’accueil514. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale est parvenu à la même conclusion en ce qui concerne les obligations des États au titre de la convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale515.
197. En conséquence, l’obligation d’un État d’atteindre et de maintenir un niveau d’émissions de GES durable pour l’environnement et de remédier à leurs effets nocifs l’oblige à réglementer le comportement des acteurs privés qui génèrent des émissions de GES. Dans la pratique, il peut s’agir de l’interdiction ou de la limitation d’activités à forte intensité de GES516, de l’imposition de sanctions efficaces en cas de violation, ou d’obligations de divulgation et de déclaration concernant les activités génératrices de GES de l’acteur517.
3. Les États doivent mettre en oeuvre et appliquer efficacement la législation et la réglementation
198. S’il est essentiel de réglementer les comportements étatiques et non étatiques qui génèrent des émissions de GES, l’adoption de stratégies, de lois et de règlements n’est pas suffisante. Les États doivent également prendre des mesures pour mettre en oeuvre activement leurs stratégies d’atténuation et d’adaptation et appliquer la législation et les réglementations sous-jacentes.
199. Comme l’a confirmé la Cour dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier, la diligence requise en matière d’environnement implique « non seulement l’adoption de règles et de mesures appropriées, mais aussi un certain niveau de vigilance dans leur mise en oeuvre et l’exercice
513 Voir sect. IV.C.2.b) et IV.C.2.d) ci-dessus.
514 CDESC, observation générale no 24 sur les obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des activités des entreprises, doc. E/C.12/GC/24 (2017), par. 26. Voir aussi ibid., par. 16 ; CDESC, observation générale no 14 sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12), doc. E/C.12/2000/4 (2000), par. 39 ; CDESC, observation générale no 15 sur le droit à l’eau (art. 11 et 12 du Pacte), doc. E/C.12/2002/11 (2003), par. 33.
515 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, « Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale : États-Unis d’Amérique », doc. CERD/C/USA/CO/6 (2008), par. 30 (encourageant les États à « prendre les mesures législatives ou administratives appropriées pour empêcher que les agissements des sociétés transnationales enregistrées dans l’État partie n’affectent de manière néfaste l’exercice des droits » de l’homme des individus en dehors de leur territoire).
516 Par exemple, le GIEC confirme que le maintien d’un niveau écologiquement viable d’émissions mondiales de GES implique « une réduction substantielle de l’utilisation globale des combustibles fossiles, une utilisation minimale des combustibles fossiles non exploités et le recours au captage et au stockage du carbone dans les systèmes d’exploitation des combustibles fossiles restants ». Voir IPCC 2023 Synthesis Report, p. 104. Voir aussi CDESC, observation générale no 24 sur les obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des activités des entreprises, doc. E/C.12/GC/24 (2017), par. 32.
517 Voir, par exemple, United Nations High‑Level Expert Group on the Net Zero Emissions Commitments of Non‑State Entities, Integrity Matters: Net Zero Commitments by Businesses, Financial Institutions, Cities and Regions (2022), p. 12-13 (recommandant la communication des plans d’entreprise « net zéro », la fixation d’objectifs publics en matière de réduction des émissions, des obligations de diligence requise pour évaluer les incidences liées au climat et la conception de plans « net zéro » portant sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, et la publication des données relatives aux émissions de GES).
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du contrôle administratif applicable aux opérateurs publics et privés »
518. Dans le contexte des changements climatiques, où les dommages sont souvent irréversibles, l’obligation est particulièrement lourde519. Le GIEC a spécifiquement constaté un « écart de mise en oeuvre » entre les réductions d’émissions de GES prévues par les États et les résultats réels, et que « sans un renforcement des politiques, les émissions devraient augmenter, entraînant un réchauffement médian de la planète de 2,2 °C à 3,5 °C »520.
200. En vertu de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, les États ont l’obligation de faire appliquer leurs lois et règlements pour protéger le milieu marin, y compris contre la pollution d’origine terrestre et la pollution atmosphérique521.
201. Une obligation équivalente a été reconnue dans le contexte des droits de l’homme. Par exemple, le Comité des droits de l’homme considère qu’un manquement à l’obligation d’enquêter, de punir ou de réparer un préjudice causé par des personnes ou des entités privées pourrait constituer une violation des obligations de l’État en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques522, et le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a adopté le même point de vue dans le contexte des obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels523. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a déclaré que « les États parties devraient régulièrement examiner l’adéquation des lois et recenser et traiter les lacunes en matière de respect des lois et d’information, ainsi que les problèmes émergents »524.
202. Une mesure clé qui sous-tend la mise en oeuvre et l’application efficaces des lois et des règlements concernant les émissions de GES est la surveillance active et continue des émissions de GES et de leur incidence sur l’environnement, comme l’a reconnu la Cour dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier525. La surveillance des émissions de GES et la recherche scientifique sont depuis longtemps reconnues comme un aspect essentiel des politiques climatiques, notamment dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer et l’accord de Paris, qui exigent des États parties qu’ils établissent et tiennent à jour des inventaires nationaux de leurs émissions de GES526, et qu’ils « amélior[ent] les connaissances scientifiques sur le climat », notamment par la recherche et
518 Usines de pâte à papier, arrêt, p. 79-80, par. 197 (les italiques sont de nous). Voir aussi projet d’articles sur les dommages transfrontières de la Commission du droit international, commentaire de l’article 3, par. 10 (notant que les États ont l’obligation de prendre des mesures pour prévenir les dommages transfrontières significatifs et que ces mesures doivent être mises en oeuvre et appliquées) ; Activités dans la zone, avis consultatif, p. 42, 73, par. 115, 239 ; CSRP, avis consultatif, p. 41, par. 131 ; Mer de Chine méridionale, sentence, p. 375-376, par. 944.
519 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 78, par. 140 (« La Cour ne perd pas de vue que, dans le domaine de la protection de l’environnement, la vigilance et la prévention s’imposent en raison du caractère souvent irréversible des dommages causés à l’environnement et des limites inhérentes au mécanisme même de réparation de ce type de dommages. »).
520 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 57.
521 CNUDM, art. 213-222.
522 CDH, observation générale no 31 sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13. (2004), par. 8.
523 CDESC, observation générale no 24 sur les obligations des États en vertu du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dans le contexte des activités des entreprises, doc. E/C.12/GC/24 (2017), par. 15.
524 Ibid. Voir aussi avis consultatif de la CIADH (2017), par. 152-155.
525 Usines de pâte à papier, arrêt, p. 76, 77, par. 185, 188. Voir aussi B. Mayer, International Law Obligations on Climate Change Mitigation (Oxford University Press, 2022), p. 295-296 ; IPCC 2023 Synthesis Report, avant-propos, p. v.
526 CCNUCC, art. 4, par. 1, al. a) ; accord de Paris, art. 13, par. 7, al. a).
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« l’observation systématique »
527. De même, la convention des Nations Unies sur le droit de la mer exige des États qu’ils « observe[nt], mesure[nt], évalue[nt] et analyse[nt] … les risques ou les conséquences [de la] pollution du milieu marin »528.
203. Deuxièmement, la mise en oeuvre effective des stratégies et politiques climatiques nécessite des financements529, et les États devraient prévoir des dispositions adéquates dans les processus budgétaires nationaux pour soutenir la mise en oeuvre de leurs stratégies d’atténuation et d’adaptation, ainsi que pour mettre en place des mesures qui mobilisent des capitaux privés et d’autres mécanismes de financement. Le GIEC estime que les investissements dans la lutte contre les changements climatiques doivent être multipliés par trois à six si nous voulons limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C, voire à 2 °C530.
4. Les États doivent promouvoir la transparence et une large participation du public au processus de prise de décision en matière d’environnement
204. Les obligations des États de promouvoir la transparence et une large participation du public au processus de prise de décision en matière d’environnement reposent principalement sur le droit international relatif aux droits de l’homme et sur les traités relatifs au climat. Elles favorisent également l’adoption, la mise en oeuvre et l’application de politiques climatiques efficaces et, à ce titre, facilitent le respect par l’État de toutes les autres obligations énoncées ci-dessus. Par exemple, le GIEC a conclu que la diffusion d’informations sur les risques et les mesures d’atténuation et d’adaptation disponibles facilite les changements de comportement et de mode de vie, ce qui peut contribuer à réduire considérablement les émissions mondiales de GES et constituer un outil d’obligation redditionnelle important531.
205. Il est largement reconnu que le droit des individus, en vertu de la législation internationale sur les droits de l’homme, de rechercher et de recevoir des informations532, de participer au processus de prise de décision en matière d’environnement533, d’exprimer librement ses opinions534, de se réunir pacifiquement et de s’associer avec d’autres535 est essentiel à la protection de l’environnement et permet aux individus d’exercer un large éventail d’autres droits de l’homme, y compris leur droit
527 CCNUCC, art. 4, par. 1, al. g) ; accord de Paris, art. 7, par. 7, al. c). Voir aussi convention d’Espoo, art. 2, par. 2-3, art. 9, al. a) ; déclaration de Rio, principe 17 ; Association de droit international, « Déclaration des principes juridiques relatifs aux changements climatiques », résolution no 2/2014 (2014), projet d’article 5.
528 CNUDM, art. 204, par. 1.
529 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 111.
530 Ibid.
531 Ibid., p. 107. Voir aussi Comité des droits de l’enfant, observation générale no 26 (2023) sur les droits de l’enfant et l’environnement, mettant l’accent en particulier sur les changements climatiques, doc. CRC/C/GC/26 (2023), par. 8
(« L’exercice par les enfants de leur droit à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, de leur droit à l’information et à l’éducation, de leur droit de participer et d’être entendus, et de leur droit à un recours utile peut déboucher sur l’adoption de politiques environnementales plus respectueuses des droits, et donc plus ambitieuses et plus efficaces. »).
532 DUDH, art. 19 ; PIDCP, art. 19.
533 DUDH, art. 21 ; PIDCP, art. 25.
534 PIDCP, art. 19 ; DUDH, art. 19 ; CDE, art. 12.
535 PIDCP, art. 21, 22 ; DUDH, art. 20 ; CDE, art. 15.
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à la vie et à la santé
536. Les États sont tenus non seulement de s’abstenir d’interférer avec ces droits, mais aussi de prendre des mesures positives pour promouvoir activement la transparence et la participation.
206. En outre, l’obligation de promouvoir la transparence et la participation du public s’inscrit parfaitement dans l’obligation générale de prévention d’un État537, et est également reflétée dans un certain nombre de traités sur le climat, notamment la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et l’accord de Paris538, ainsi que la convention des Nations Unies sur le droit de la mer539.
207. Compte tenu des effets disproportionnés des changements climatiques sur certains groupes, notamment les enfants, les minorités, les populations autochtones et les populations vulnérables sur le plan socio-économique, l’obligation des États de prendre des mesures positives pour garantir leur droit à l’information et à la participation effective est particulièrement exigeante540.
B. Obligations fondamentales en matière de coopération mondiale
208. Comme indiqué ci-dessus, les États ont l’obligation générale de coopérer avec d’autres afin de parvenir à une réduction profonde, rapide et durable des émissions anthropiques mondiales de GES et de mettre en place des mesures d’adaptation pour remédier à leurs effets néfastes sur l’environnement et la vie humaine541. Sans prétendre à l’exhaustivité, les Bahamas concentrent leurs observations sur quatre manifestations spécifiques de l’obligation de coopération : i) l’obligation de coopération financière, technologique et scientifique ; ii) l’obligation de négocier de bonne foi en ce qui concerne l’action climatique mondiale, y compris les traités climatiques contraignants ; iii) l’obligation de coopérer en ce qui concerne les effets de l’élévation du niveau de la mer sur le territoire d’un État ; et iv) l’obligation de coopérer en ce qui concerne les personnes déplacées par les changements climatiques.
536 HCDH, « Principes-cadres relatifs aux droits de l’homme et à l’environnement », doc. A/HRC/37/59 (2018), par. 4 (« [L]’exercice des droits de l’homme, notamment du droit à la liberté d’expression et à la liberté d’association, à l’éducation de même qu’à l’information, à la participation et à des recours utiles, est indispensable à la protection de l’environnement. ») ; Conseil des droits de l’homme, « Rapport de l’Expert indépendant chargé d’examiner la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable », doc. A/HRC/22/43 (2012), par. 25.
537 Voir sect. IV.A.2 ci-dessus.
538 CCNUCC, art. 4, par. 1, al. i), point 6 ; accord de Paris, art. 6, par. 8, art. 7, par. 5. Voir aussi déclaration de Rio, principe 10 ; Commission économique des Nations Unies, « Protocole relatif à l’évaluation stratégique environnementale à la Convention sur l’évaluation de l’impact sur l’environnement dans un contexte transfrontière » (2003), art. 8, par. 1.
539 CNUDM, art. 244.
540 Voir, par exemple, l’obligation de consulter les peuples autochtones et d’obtenir leur consentement préalable, libre et éclairé avant d’adopter des mesures susceptibles de les affecter, y compris leur capacité à jouir des ressources naturelles et à les exploiter ; déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, doc. A/RES/61/295 (2007), art. 18, 19, 29, 32. Voir aussi Conseil des droits de l’homme, résolution 52/23, « Le droit à un environnement propre, sain et durable », doc. A/HRC/RES/52/23 (2023), par. 4, al. c) (demandant aux États
« [d]e faciliter la sensibilisation et la participation du public à la prise des décisions concernant l’environnement, notamment de la société civile, des femmes, des enfants, des jeunes, des peuples autochtones, des communautés locales, des paysans, des personnes âgées, des personnes handicapées et des autres personnes qui dépendent directement de la biodiversité et des services écosystémiques, en protégeant tous les droits de l’homme, y compris les droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique et d’association »).
541 Voir sect. IV.A.3, IV.B.3.d).ii), et IV.C.2.e) ci-dessus.
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1. Les États doivent accorder une coopération financière, technologique et scientifique et une assistance
209. L’obligation de coopérer dans les domaines financier, technologique et scientifique est un corollaire nécessaire aux obligations des États en matière d’atténuation et d’adaptation.
210. Un certain nombre de traités prévoient déjà des obligations de coopération financière. Par exemple, comme indiqué ci-dessus, la convention des Nations Unies sur le droit de la mer exige des États qu’ils fournissent une assistance financière en rapport avec la préservation et la protection du milieu marin, ce qui inclut la protection contre les dommages causés par les émissions de GES, et qu’ils accordent aux États en développement un traitement préférentiel dans l’allocation des fonds542. De même, l’accord de Paris, la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et le protocole de Kyoto exigent expressément des parties développées qu’elles fournissent des ressources financières aux parties en développement en ce qui concerne les objectifs d’atténuation des changements climatiques et d’émissions de GES543. Conformément à ce devoir, les États devraient par exemple commencer ou continuer à contribuer aux efforts multilatéraux tels que le fonds de pertes et dommages pour les États en développement vulnérables aux changements climatiques que la conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques a établi lors de ses dernières réunions544.
211. Les devoirs de coopération internationale en matière de science et de technologie sont également largement applicables545, et particulièrement importants dans le contexte des changements climatiques546. Par exemple, la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques exige que toutes les parties coopèrent au développement et au transfert de technologies susceptibles de réduire, de contrôler ou de prévenir les émissions anthropiques de GES547. Des instruments plus
542 Voir sect. IV.B.3.d).iii) ci-dessus.
543 Voir accord de Paris, art. 9, par. 1 (« Les pays développés Parties fournissent des ressources financières pour venir en aide aux pays en développement Parties aux fins tant de l’atténuation que de l’adaptation dans la continuité de leurs obligations au titre de la Convention »). Voir aussi CCNUCC, art. 4, par. 3 (« les pays développés parties … fournissent des ressources financières nouvelles et additionnelles pour couvrir la totalité des coûts convenus encourus par les pays en développement parties du fait de l’exécution de leurs obligations ») ; protocole de Kyoto, art. 11, par. 2, al. b) (« les Parties développées … fournissent les ressources financières dont [les pays en développement parties] ont besoin pour couvrir la totalité des coûts supplémentaires convenus pour progresser dans l’exécution des engagements déjà énoncés »).
544 Voir décision 2/CP.27 de la CCNUCC, « Modalités de financement pour faire face aux pertes et dommages liés aux effets néfastes des changements climatiques, notamment en mettant l’accent sur la lutte contre les pertes et dommages », doc. FCCC/CP/2022/10/Add.1.
545 Par exemple, les traités relatifs à l’environnement imposent souvent des obligations de coopération internationale en matière de diffusion des avancées scientifiques ou de la recherche. Voir, par exemple, accord BBNJ, art. 8, par. 3 (« Les Parties favorisent la coopération internationale en matière de recherche scientifique marine et de développement et de transfert des techniques marines ») ; CNUDM, art. 201 (« Les États coopèrent, directement ou par l’intermédiaire des organisations internationales compétentes, en vue d’établir des critères scientifiques appropriés pour la formulation et l’élaboration de règles et de normes, ainsi que de pratiques et procédures recommandées visant à prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin »).
546 CDESC, observation générale no 25 sur la science et les droits économiques, sociaux et culturels [art. 15, par. 1, al. b), par. 2, 3 et 4 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels], doc. E/C.12/GC25 (2020), par. 81 (« la coopération internationale est primordiale du fait que les risques mondiaux les plus graves … se rattachent à la science et à la technologie, tels que les changements climatiques »). Voir aussi déclaration de Rio, principe 9 (« Les États devraient coopérer pour renforcer … le développement durable en améliorant la compréhension scientifique par l’échange de connaissances scientifiques et technologiques »).
547 CCNUCC, art. 4, par. 1, al. a) (« Toutes les Parties … établissent, mettent à jour périodiquement, publient et mettent à la disposition … des inventaires nationaux des émissions anthropiques par leurs sources et de l’absorption par leurs puits de tous les gaz à effet de serre »), art. 4, par. 1, al. d) (« Toutes les Parties … encouragent la gestion rationnelle et encouragent et soutiennent par leur coopération la conservation et, le cas échéant, le renforcement des puits et réservoirs de tous les gaz à effet de serre »). Voir aussi protocole de Kyoto, art. 10, al. c).
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récents, tels que l’accord de Paris, soulignent la nécessité de renforcer la coopération en matière d’échange de connaissances scientifiques et de fourniture d’un soutien technique et d’orientations afin d’améliorer les efforts d’adaptation aux changements climatiques
548. De même, la convention des Nations Unies sur le droit de la mer demande aux États de « promouvoir des programmes d’assistance aux États en développement dans les domaines de la science, de l’éducation, de la technique et dans d’autres domaines … en vue de prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine »549. Cette obligation incombe principalement aux pays développés, qui ont le savoir-faire technique à partager et les moyens de financer le développement scientifique et technologique550.
212. En outre, comme indiqué ci-dessus dans la section II.C.1, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels protège le droit de bénéficier des résultats matériels du progrès scientifique (par exemple, nouvelles technologies) et du développement et de la diffusion des connaissances scientifiques551. Ce mandat ne peut être efficace sans une coopération solide entre tous les États, car le progrès scientifique n’est pas équitablement réparti552.
2. Les États doivent négocier de bonne foi des mesures efficaces pour parvenir à une réduction profonde, rapide et durable des émissions mondiales de gaz à effet de serre et remédier à leurs effets néfastes
213. L’obligation de négocier de bonne foi en ce qui concerne l’action mondiale en matière de climat est une extension logique et essentielle des obligations de réduire les émissions mondiales de
(« Toutes les Parties … [c]oopèrent afin de promouvoir des modalités efficaces pour mettre au point, appliquer et diffuser des technologies, savoir-faire, pratiques et procédés écologiquement rationnels présentant un intérêt du point de vue des changements climatiques, et prennent toutes les mesures possibles pour promouvoir, faciliter et financer, selon qu’il convient, l’accès à ces ressources ou leur transfert »),
art. 10, al. d) (« Toutes les Parties … [c]oopèrent aux travaux de recherche technique et scientifique et encouragent l’exploitation et le développement de systèmes d’observation systématique et la constitution d’archives de données afin de réduire les incertitudes concernant le système climatique »).
548 Voir, par exemple, accord de Paris, art. 7, par. 7, al. c) (« Les Parties devraient intensifier leur coopération en vue d’améliorer l’action pour l’adaptation, notamment afin : c) D’améliorer les connaissances scientifiques sur le climat, y compris la recherche »), art. 10, par. 6
(« Un appui, financier notamment, est fourni aux pays en développement Parties aux fins de l’application du présent article, y compris pour le renforcement d’une action de coopération en matière de mise au point et de transfert de technologies à différents stades du cycle technologique, en vue de parvenir à un équilibre entre l’appui à l’atténuation et l’appui à l’adaptation. »).
549 CNUDM, art. 202, al. a) ; voir aussi ibid., art. 7276-277 ; sect. IV.B.3.d).iii) ci-dessus.
550 Voir, par exemple, IPCC 2023 Synthesis Report, p. 112 (« Un soutien accéléré de la part des pays développés et des institutions multilatérales est essentiel pour renforcer les mesures d’atténuation et d’adaptation et peut remédier aux inégalités en matière de financement, notamment en ce qui concerne les coûts, les conditions et la vulnérabilité économique aux changements climatiques »).
551 CDESC, observation générale no 25 sur la science et les droits économiques, sociaux et culturels [art. 15, par. 1, al. b), par. 2, 3 et 4 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels], doc. E/C.12/GC25 (2020), paragraphe 8
(« Le mot “avantages” renvoie en premier lieu aux résultats matériels des applications de la recherche scientifique … En deuxième lieu, il renvoie aux connaissances et aux informations scientifiques qui proviennent directement de l’activité scientifique. Enfin, il renvoie aussi au rôle de la science dans la formation de citoyens responsables et capables d’esprit critique qui sont en mesure de prendre toute leur part à une société démocratique. »).
552 Ibid., par. 79 (« En deuxième lieu, la coopération internationale est indispensable en raison des disparités profondes qui existent entre les pays dans les domaines de la science et de la technologie. »).
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GES et de coopérer à cette fin
553. Comme indiqué plus haut, la réduction profonde, rapide et durable des émissions mondiales de GES est un défi mondial qu’aucun État ne peut relever seul. Si tous les États ont des obligations individuelles, notamment celle d’atteindre et de maintenir un niveau d’émissions de GES écologiquement viable sur leur territoire et dans leur juridiction, il est également essentiel pour le succès des efforts mondiaux que la répartition exacte des droits et obligations mutuels entre les États et les modalités spécifiques de leur coopération mondiale soient convenues au niveau international554. Par exemple, si la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris sont des pas dans la bonne direction, les scientifiques s’accordent largement à dire que les politiques nationales de réduction des GES mises en oeuvre dans le cadre de ces accords sont totalement insuffisantes pour limiter les changements climatiques à des niveaux durables. Comme indiqué plus haut, la poursuite des politiques actuelles entraînerait un réchauffement de la planète de 3,2 °C d’ici à 2100, ce qui aurait des conséquences désastreuses555. Une action nettement plus ambitieuse, coordonnée et responsable est nécessaire pour changer cette situation556, et elle nécessitera probablement l’adoption de traités multilatéraux contraignants sur le climat.
214. La Cour a fourni des indications utiles sur la manière d’interpréter les obligations de négocier. Les États doivent agir de manière à ce que « les négociations soient significatives » et non pas « simplement passer par un processus formel » sans envisager de modifier leurs positions557. En effet, les négociations exigent « une volonté mutuelle de discuter de bonne foi des risques environnementaux réels et potentiels »558, et que les États « tiennent dûment compte » d’autres positions et recommandations d’organes experts ou techniques559. Divers instruments internationaux reflètent l’obligation de mener des négociations significatives. Par exemple, le principe 13 de la
553 Voir aussi B. Mayer, International Law Obligations on Climate Change Mitigation (Oxford University Press, 2022), p. 285 (« le devoir de coopération est simplement un corollaire des obligations générales en matière d’atténuation ») ; ibid., p. 287
(« Une première application du devoir de coopération est qu’un État doit négocier de bonne foi avec d’autres États dans le but de promouvoir des mesures d’atténuation efficaces. Un État, ayant reconnu avec force que des réponses efficaces aux changements climatiques nécessitent une coopération internationale, ferait preuve de négligence s’il ne promouvait pas cette coopération en jouant un rôle actif et constructif dans les négociations internationales »).
554 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 112 (« La coopération internationale est un outil essentiel pour atteindre des objectifs ambitieux en matière d’atténuation des changements climatiques et de développement résilient aux changements climatiques. ») ; voir aussi B. Mayer, International Law Obligations on Climate Change Mitigation (Oxford University Press, 2022), p. 287.
555 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 68.
556 Voir sect. V.A ci-dessus.
557 Plateau continental de la mer du Nord (Allemagne/Danemark, Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 47, par. 85 ; voir aussi Usines de pâte à papier, arrêt, p. 67, par. 146-147.
558 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 68, par. 112. Voir aussi Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015, p. 707, par. 104 (notant que dans le contexte d’activités qui risquent de causer un dommage transfrontière significatif, les États doivent « informer et consulter de bonne foi l’État potentiellement affecté, lorsque cela est nécessaire pour déterminer les mesures appropriées afin de prévenir ou d’atténuer ce risque »).
559 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon : Nouvelle-Zélande intervenante), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 257, par. 83. Voir aussi l’arbitrage du Lac Lanoux (France c. Espagne), sentence du 16 novembre 1957, 24 I.L.R. 101, p. 31-32, par. 21-22 (interprétation d’une disposition conventionnelle qui imposait à chaque État de sauvegarder les intérêts de l’autre État lorsqu’il entreprenait des travaux susceptibles d’affecter le cours ou le volume d’un cours d’eau : l’État agissant doit faire preuve de bonne foi pour considérer « les divers intérêts en présence, chercher à leur donner toute satisfaction compatible avec la poursuite de ses propres intérêts, et montrer qu’à cet égard il est réellement soucieux de concilier les intérêts de l’autre État riverain avec les siens ») ; arbitrage relatif à l’aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), CPA, sentence du 18 mars 2015, p. 202, par. 519 (interprétation de l’obligation de tenir « dûment compte » des droits et obligations d’un autre État : « l’étendue de la prise en compte requise par la Convention dépendra de la nature des droits détenus par Maurice, de leur importance, de l’étendue de l’atteinte prévue, de la nature et de l’importance des activités envisagées par le Royaume-Uni, et de la disponibilité d’autres approches »).
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déclaration de Rio prévoit la coopération des États pour développer le droit international relatif à la responsabilité et à l’indemnisation des effets néfastes des dommages causés à l’environnement « d’une manière rapide et plus déterminée ».
215. En outre, si les États considèrent que des traités multilatéraux contraignants sur le climat sont un outil essentiel pour parvenir à une réduction profonde, rapide et durable des émissions mondiales de gaz à effet de serre, l’avis consultatif de la Cour relatif aux Armes nucléaires confirme que l’obligation de négocier de tels traités est une obligation de résultat et non de comportement. Dans le contexte d’une obligation conventionnelle de négocier de bonne foi « un traité de désarmement général et complet », la Cour a estimé que la disposition conventionnelle pertinente imposait une obligation « d’aboutir à un résultat précis … en adoptant un comportement particulier, à savoir la poursuite de bonne foi des négociations sur la question »560. La Cour a noté dans ce contexte l’adhésion quasi universelle au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires et le large soutien de la communauté internationale aux résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le désarmement nucléaire561. Ce raisonnement s’applique avec la même force à l’action mondiale sur les changements climatiques, qui « nécessite la coopération de tous les États » et dont le besoin urgent est largement reconnu par les États562 ainsi que par la communauté scientifique563.
216. Au-delà de l’obligation fondamentale de négocier de bonne foi, il appartient aux États et aux autres parties prenantes de décider des modalités précises des négociations. Par exemple, les négociations peuvent être menées d’un État à l’autre ou par l’intermédiaire d’organisations internationales ou avec elles564. Elles peuvent déboucher sur une série d’accords portant sur des questions distinctes ou sur un traité global unique. Les accords régionaux peuvent être utilisés pour compléter efficacement les efforts mondiaux. Toutefois, les modalités des négociations doivent à tout moment être guidées par l’obligation collective des États (en plus des obligations individuelles) de parvenir à une réduction profonde, rapide et durable des émissions de GES d’origine anthropique et de s’y tenir, et de remédier à leurs effets néfastes.
3. Les États doivent coopérer en ce qui concerne les effets de l’élévation du niveau de la mer
217. Comme indiqué plus haut, la menace toujours plus grave de l’élévation du niveau de la mer risque d’entraîner la submersion des côtes et des îles, la régression de l’espace terrestre et, à long terme, la submersion complète et la disparition d’États, les petits États insulaires étant les plus exposés à ce risque565. Ces phénomènes induits par les changements climatiques sont susceptibles d’anéantir les droits souverains et territoriaux des États en vertu du droit international.
560 Armes nucléaires, avis consultatif, p. 263-264, par. 99.
561 Ibid., p. 264, par. 100.
562 Par exemple, la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris comptent respectivement 198, 192 et 195 États parties et de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies (ainsi que d’autres organes des Nations Unies) reconnaissent le besoin urgent d’une action mondiale coordonnée sur les changements climatiques ; voir, par exemple, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/165, « Protection du climat mondial pour les générations présentes et futures », 21 décembre 2022, doc. A/RES/77/165, p. 1 (énumérant les résolutions récentes de l’Assemblée générale des Nations Unies).
563 IPCC 2023 Synthesis Report, p. 112 (« La coopération internationale est un outil essentiel pour atteindre des objectifs ambitieux d’atténuation des changements climatiques et de développement résilient aux changements climatiques »).
564 Voir, par exemple, projet d’articles sur les dommages transfrontières de la Commission du droit international, art. 4.
565 Voir par. 20, al. a) et sect. II.B.2 ci-dessus.
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218. Compte tenu de ce qui précède, les Bahamas estiment que l’obligation des États de coopérer pour lutter contre les effets néfastes des émissions de GES s’étend nécessairement à la coopération visant à établir un cadre juridique clair et équitable pour traiter et atténuer les effets de l’élévation du niveau de la mer sur le territoire d’un État et sur son statut d’État. En effet, l’exercice effectif de la juridiction et de la souveraineté sur les zones maritimes est essentiel pour que les États puissent s’acquitter correctement de leur obligation de protéger le milieu marin, ainsi que de leur obligation générale de promouvoir le développement économique et de protéger le bien-être des personnes.
219. Les zones maritimes — c’est-à-dire la mer territoriale, la zone contiguë, la zone économique exclusive et le plateau continental — créent des droits et des obligations importants pour les États côtiers566. Conformément à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, ces zones sont établies par référence à des « lignes de base », qui correspondent à la ligne de basse mer le long de la côte de l’État567. Pour les États archipels tels que les Bahamas, les lignes de base suivent « les points extrêmes des îles les plus éloignées et les récifs en voie de dessèchement »568. Lorsque le niveau de la mer monte, il pousse la ligne de basse mer vers l’intérieur et peut également submerger les îlots et les récifs périphériques, ce qui risque d’éroder les droits maritimes établis d’un État569.
220. L’érosion de la juridiction des États côtiers sur les zones maritimes compromet également leur capacité à protéger et à réglementer l’environnement dans ces zones, conformément aux obligations qui leur incombent en vertu de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer et du droit international en général. Par exemple, les Bahamas réglementent la pollution de leurs eaux territoriales et de leurs zones maritimes en vertu d’un régime législatif étendu, notamment dans le cadre de la loi de 1976 sur la marine marchande (pollution par les hydrocarbures)570. Elles ont également désigné des zones marines protégées et mis en oeuvre des mesures de protection pour les espèces rares et importantes sur le plan écologique dans le cadre d’une législation telle que la loi sur la pêche de 2020571. L’exercice de cette forme de réglementation environnementale pourrait être considérablement réduit, à moins que les droits maritimes et territoriaux des États ne restent intacts malgré l’érosion côtière et d’autres effets physiques des changements climatiques.
221. Le principe selon lequel les lignes de base des États (et les droits maritimes correspondants) restent fixes malgré les changements physiques dus à l’élévation du niveau de la mer est conforme aux dispositions de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer. La convention définit les lignes de base par référence à certaines caractéristiques physiques telles que la ligne de basse mer « telle que marquée » sur les cartes officielles, et n’envisage pas de modifier les lignes de base ou les cartes pour tenir compte des changements ultérieurs de l’environnement
566 CNUDM, art. 25, par. 1, art. 33, par. 1, art. 57 et 77.
567 Ibid., art. 5.
568 Ibid., art. 5 et art. 47, par. 1.
569 Commission du droit international, « L’élévation du niveau de la mer au regard du droit international », doc. A/CN.4/740 (28 février 2020) (ci-après, la « première note thématique de la CDI (2020) »), p. 27, par. 76.
570 Voir Merchant Shipping (Oil Pollution) Act 1976 of The Commonwealth of The Bahamas, Part II.
571 Voir Fisheries Act 2020 of The Commonwealth of The Bahamas, art. 30, 35.
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physique
572. Ainsi, les termes de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer suggèrent que les lignes de base restent légalement fixées malgré les effets de l’élévation du niveau de la mer573.
222. Cela correspond à la pratique des petits États insulaires, dont la pratique est particulièrement pertinente dans ce contexte, étant donné qu’ils sont « spécialement affectés » par l’élévation du niveau de la mer, l’érosion côtière induite par le climat et l’inondation de leur territoire574. Cette position est également soutenue par des États côtiers de diverses régions géographiques575. Par exemple, la position de l’Allemagne est qu’« une lecture contemporaine [de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer] donne à l’État côtier le droit d’actualiser ses lignes de base lorsque le niveau de la mer monte ou descend ou que le trait de côte se déplace, mais n’oblige pas l’État côtier à le faire »576, et les États-Unis ont déclaré qu’ils « ne contesteront pas de telles lignes de base et limites de zones maritimes qui ne sont pas actualisées par la suite malgré l’élévation du niveau de la mer causée par les changements climatiques »577. La Commission du droit
572 CNUDM, art. 5 et 16.
573 International Law Association, Report of the International Law Association Committee on International Law and Sea Level Rise, Sydney Conference (2018), p. 18; International Law Association, Report of the Committee on International Law and Sea Level Rise, Lisbon Conference (2022), p. 21.
574 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark), arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 3, par. 73. Voir aussi Pacific Islands Forum, Declaration on Preserving Maritime Zones in the Face of Climate Change-related Sea-Level Rise, Fifty-First Pacific Islands Forum (6 août 2021), accessible à l’adresse suivante : https://forumsec.org/publications/declaration-preserving-maritime-zones-face-climate-change-related-sea-level-rise (« La [CNUDM] n’impose aucune obligation affirmative de réexaminer les lignes de base et les limites extérieures des zones maritimes … nous n’avons pas l’intention de réexaminer et d’actualiser les lignes de base et les limites extérieures de nos zones maritimes en raison de l’élévation du niveau de la mer liée aux changements climatiques. ») ; Alliance of Small Island States, Leaders’ Declaration, 2021 (22 septembre 2021), par. 41, accessible à l’adresse suivante : https://www.aosis. org/launch-of-the-alliance-of-small-island-states-leaders-declaration ; Climate Vulnerable Forum, Dhaka-Glasgow Declaration of the Climate Vulnerable Forum (2 novembre 2021), Key Priority 8, accessible à l’adresse suivante : https://thecvf.org/our-voice/statements/dhaka-glasgow-declaration-of-the-cvf/ ; Organisation of the African Caribbean and Pacific States, Declaration of the Seventh Meeting of the Organization of African, Caribbean and Pacific States Ministers in Charge of Fisheries and Aquaculture (8 avril 2022), accessible à l’adresse suivante : https://www.oacps. org/wp-content/uploads/2022/05/Declaration_-7thMMFA_EN.pdf, p. 8 ; Statement by the Maldives On Agenda Item 80 (5 novembre 2020), accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/en/ga/sixth/75/pdfs/statements/ilc/13mtg_ maldives.pdf, p. 4 ; Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa soixante-douzième session (5 novembre 2020), doc. A/76/10 (8 octobre 2021), p. 4 ; Antigua and Barbuda’s submission on the effects of sea-level rise on the law of the sea (2021), accessible à l’adresse suivante : https://legal.un.org/ilc/sessions/72/pdfs/english/slr_antigua_ barbuda.pdf, par. 10 ; communication des États fédérés de Micronésie à la Commission du droit international (27 décembre 2019), accessible à l’adresse suivante : https://legal.un.org/ilc/sessions/72/pdfs/english/slr_micronesia.pdf, p. 2 ; déclarations sur le point 82 de l’ordre du jour : rapport du groupe II de la Commission du droit international, de Samoa au nom des États insulaires en développement du Pacifique (28 octobre 2021), p. 2, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée (28 octobre 2021), p. 3, de Tonga (28 octobre 2021), par. 4, des Îles Salomon (29 octobre 2021), p. 1.
575 Voir, par exemple, déclarations sur le point 82 de l’ordre du jour : rapport du groupe II de la Commission du droit international, de l’Argentine (1er novembre 2021), p. 3, du Chili (29 octobre 2021), p. 6, de l’Estonie (29 octobre 2021), p. 4, de la Grèce (octobre 2021), p. 5 ; mémoire de l’Allemagne à la CDI sur l’élévation du niveau de la mer au regard du droit international (30 juin 2022), accessible à l’adresse suivante : https://legal.un.org/ilc/sessions/74/pdfs/ english/slr_germany.pdf, p. 2 ; communication de la France à la CDI concernant le sous-thème de l’élévation du niveau de la mer en relation avec le droit de la mer (29 novembre 2022), accessible à l’adresse suivante : https://legal.un.org/ilc/ sessions/74/pdfs/french/slr_france.pdf, p. 3 ; déclaration de la Croatie sur le point 77 de l’ordre du jour : Rapport des groupes I et II de la Commission du droit international (26 octobre 2022), p. 3 ; déclaration de l’Union européenne sur l’élévation du niveau de la mer en relation avec le droit international (AGNU, 6e Commission, 77e session, 2022), par. 8.
576 Déclaration de l’Allemagne sur le point 77 de l’ordre du jour -Rapport II de la Commission du droit international (28 octobre 2022), p. 1 (les italiques sont de nous).
577 Déclaration des États-Unis sur le point 77 de l’ordre du jour : Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa soixante-treizième session (27 octobre 2022), p. 2 (les italiques sont de nous).
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international a noté qu’« aucun État n’a émis d’objection » à cette interprétation de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer
578.
223. Le principe des lignes de base fixes est également cohérent avec les principes de stabilité juridique et d’équité. La stabilité et le caractère définitif des frontières terrestres et maritimes ont été affirmés depuis longtemps par la Cour et les tribunaux arbitraux internationaux579. Les États ont eux aussi souligné à plusieurs reprises la nécessité d’une stabilité juridique dans le contexte des zones maritimes et des lignes de base580. Cela se reflète, par exemple, dans la reconnaissance de longue date des droits sur les « baies historiques » et autres eaux sur lesquelles les États ont historiquement exercé leur souveraineté581, y compris dans le contexte de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer582. La reconnaissance juridique des titres historiques reflète le désir des États de préserver équitablement les droits existants sur les eaux qui étaient souvent « vitales » pour les intérêts de l’État côtier583, car ignorer ces réalités peut être « arbitraire et susceptible, si cela s’applique dans la pratique, de causer des difficultés internationales »584.
224. Bien que la stabilité et la préservation des droits maritimes face à l’élévation du niveau de la mer soient clairement justifiées et soutenues, le droit dans ce domaine doit reposer sur des bases plus solides585. La coopération internationale est essentielle à cet égard. Les Bahamas estiment que les États ont l’obligation de coopérer à la mise en place d’un cadre juridique clair, prévisible et équitable qui préserve les droits maritimes des effets potentiels de l’élévation du niveau de la mer et aborde les questions relatives au maintien de la souveraineté de l’État. Cette obligation découle, entre autres, de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer, qui exige que les États coopèrent
578 Commission du droit international, « L’élévation du niveau de la mer au regard du droit international », doc. A/CN.4/740 (28 février 2020) (ci-après, « première note thématique de la CDI (2020) »), par. 93, par. 98, al. b) (les italiques sont de nous).
579 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), objections préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 832, par. 89 ; Affaire du temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt du 15 juin 1962 : C.I.J. Recueil 1962, p. 34 ; Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 37, par. 72 ; Arbitrage sur la frontière maritime du golfe du Bengale (Bangladesh c. Inde), affaire CPA 2010-16, sentence du 7 juillet 2014, par. 217.
580 Première note thématique de la CDI (2020), par. 83, n. 148. Voir, par exemple, déclaration de la Nouvelle-Zélande sur le point 82 de l’ordre du jour -rapport du groupe II de la Commission du droit international (29 octobre 2021), p. 4, 5 ; déclaration de la Thaïlande sur le point 77 de l’ordre du jour -rapport du groupe II de la Commission du droit international (28 octobre 2022), par. 7.
581 Affaire des pêcheries de la côte nord de l’Atlantique (Grande-Bretagne / États-Unis d’Amérique), sentence finale (7 septembre 1910), p. 25 ; République d’El Salvador c. République du Nicaragua, Cour centraméricaine de justice, avis et décision de la Cour, 11 AJIL (1917), p. 693 ; Affaire des pêcheries (Royaume-Uni c. Norvège), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 130 ; Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras : Nicaragua intervenant), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 116, par. 394, 405 ; arbitrage sur la mer de Chine méridionale entre les Philippines et la République populaire de Chine, affaire no 2013-19, CPA, sentence, 12 juillet 2016, p. 96, par. 225.
582 CNUDM, art. 10, par. 6, art. 15.
583 Annuaire de la Commission du droit international, 1962, vol. II, doc. A/CN.4/SER.A/1962, p. 7, par. 38. Voir aussi Différend relatif aux frontières terrestres, insulaires et maritimes (El Salvador/Honduras : Nicaragua intervenant), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 591, par. 391.
584 Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, Genève, 24 février-27 avril 1958, Documents officiels de la conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, vol. I (documents préparatoires), doc. A/CONF.13/1, p. 3, par. 10. Voir aussi Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), opinion dissidente du juge Oda, C.I.J. Recueil 1982, p. 209-210, par. 86 ; Annuaire de la Commission du droit international, 1962, vol. II, doc. A/CN.4/SER.A/1962, p. 7, par. 38, 39.
585 Commission du droit international, rapport sur la soixante-quatorzième session (24 avril-2 juin et 3 juillet-4 août 2023), doc. A/78/10, par. 209 ; première note thématique de la CDI (2020), par. 168 ; D. Caron, « When law makes climate change worse: rethinking the law of baselines in light of a rising sea level », 17 Ecology Law Quarterly (1990) 4,p. 650-651 ; E. Sobenes Obregon, « Historic waters regime: a potential legal solution to sea level rise », 7 International Journal of Maritime Affairs and Fisheries (2015) 1, p. 17-32.
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pour prévenir les dommages au milieu marin en adoptant et en harmonisant des lois et des politiques (voir section IV.B ci-dessus). L’obligation découle également du devoir des États de coopérer en vue d’atténuer les effets des dommages transfrontières. En effet, dans les cas où l’érosion des droits maritimes des petits États insulaires est principalement imputable aux actions d’autres États (en particulier les principaux émetteurs de gaz à effet de serre), le devoir de coopération internationale revêt une importance réparatrice.
225. Les États reconnaissent déjà le devoir de coopérer pour établir un cadre juridique équitable et prévisible en ce qui concerne les effets de l’élévation du niveau de la mer sur les lignes de base des États et les droits maritimes existants. Par exemple, l’Allemagne a noté que « l’élévation du niveau de la mer ne peut être abordée par tous les États que sur la base de la coopération » et que, par conséquent, les États devraient « collaborer avec d’autres pour préserver leurs zones maritimes et les droits et avantages qui en découlent, d’une manière compatible avec [la convention des Nations Unies sur le droit de la mer] »586. Les États insulaires du Pacifique ont également appelé à des efforts collectifs pour obtenir la reconnaissance internationale de l’intégrité des zones maritimes face aux effets de l’élévation du niveau de la mer587.
226. Le devoir de coopération va au-delà de la préservation des lignes de base. Le territoire étant un aspect essentiel de la qualité d’État, l’élévation du niveau de la mer constitue une menace pour la survie même des États en tant que sujets de droit588. Les États ont reconnu que la menace existentielle que représente l’élévation du niveau de la mer due au climat nécessitera une approche plus souple et plus équitable du statut d’État589. Toutefois, il est nécessaire de coopérer pour garantir la reconnaissance continue du statut d’État des petits États insulaires vulnérables. Ce principe a été affirmé tout récemment par la déclaration 2023 du Forum des îles du Pacifique sur la création d’un État, qui invite la communauté internationale à « soutenir la présente déclaration et à coopérer à la réalisation de ses objectifs, conformément au devoir de coopération et aux principes d’équité et de justice »590.
586 Submission by Germany to the ILC on Sea-level rise in relation to international law (30 juin 2022), accessible à l’adresse suivante : https://legal.un.org/ilc/sessions/74/pdfs/english/slr_germany.pdf, p. 1 (les italiques sont de nous).
587 48th Pacific Islands Forum, 5-8 septembre 2017, Forum Communiqué (septembre 2017), par. 10 ; 50th Pacific Islands Forum, 13-16 août 2019, Forum Communiqué (août 2019), par. 24-25.
588 Voir, par exemple, convention de Montevideo sur les droits et devoirs des États, 26 décembre 1933, 165 LNTS 19 ; D. Freestone et D. Çiçek, « Legal Dimensions of Sea Level Rise: Pacific Perspectives » (World Bank Group, 2021), p. 51.
589 The White House, « FACT SHEET: Energizing the U.S.-Pacific Islands Forum Partnership » (10 November 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2023/11/10/fact-sheet-energizing-the-u-s-pacific-islands-forum-partnership/ ; Pacific Islands Forum, 2023 Declaration on the Continuity of Statehood and the Protection of Person in the Face of Climate Change-Related Sea-Level Rise (9 November 2023), par. 9, 11-13 ; communication de la Principauté du Liechtenstein à la Commission du droit international sur le thème « L’élévation du niveau de la mer au regard du droit international » (29 juin 2023), p. 3 ; communication de la Nouvelle-Zélande à la Commission du droit international concernant l’élévation du niveau de la mer en relation avec le statut d’État et la protection des personnes (30 juin 2023), p. 1 ; communication d’Antigua-et-Barbuda en réponse au deuxième document de la Commission du droit international sur l’élévation du niveau de la mer et la protection des personnes, doc. A/CN.4/752 (30 juin 2023), par. 39-40 ; déclarations sur le point 82 de l’ordre du jour : rapport du groupe II de la Commission du droit international, de Cuba (29 octobre 2021), par. 32, Îles Salomon (29 octobre 2021), p. 2, Samoa au nom des petits États insulaires en développement du Pacifique (28 octobre 2021), p. 2-3.
590 Pacific Islands Forum, 2023 Declaration on the Continuity of Statehood and the Protection of Person in the Face of Climate Change-Related Sea-Level Rise (9 November 2023), par. 15-16.
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4. Les États doivent coopérer en ce qui concerne les personnes déplacées par les changements climatiques
227. Les changements climatiques sont l’un des principaux facteurs de déplacement dans le monde591. Comme l’explique le Comité des droits de l’homme, « [l]es événements soudains, tels que les tempêtes et les inondations intenses, et les processus lents, tels que l’élévation du niveau de la mer, la salinisation et la dégradation des sols, peuvent entraîner des mouvements transfrontières de personnes cherchant à se protéger contre les dommages liés aux changements climatiques »592. Rien qu’en 2022, les catastrophes ont provoqué le déplacement de 32,6 millions de personnes, soit 41 % de plus que la moyenne annuelle de la dernière décennie593. 98 % des personnes déplacées l’ont été en raison de risques météorologiques tels que les tempêtes, les inondations et les sécheresses594.
228. Ces événements ne sont que trop connus pour les Bahamas. Comme indiqué ci-dessus, en 2019, l’ouragan Dorian, le plus puissant jamais enregistré dans la région, a déplacé 9 840 personnes, en a tué plus de 200 et a laissé derrière lui des dégâts estimés à 3 milliards de dollars595. Près de la moitié des Bahamiens déplacés se sont réinstallés à New Providence en tant que personnes déplacées dans leur propre pays ; des centaines d’autres se sont dispersés dans d’autres îles, et plusieurs centaines sont allés aux États-Unis et au Canada596.
229. Le déplacement porte gravement et directement atteinte aux droits de l’homme des personnes déplacées, notamment au droit à un niveau de vie suffisant, qui comprend le droit à un logement et à une alimentation adéquats. Il est également susceptible d’interférer avec leur droit à une vie digne, leur droit à la vie privée et familiale, leur droit à l’éducation, leur droit à la santé, etc. Ainsi, les États territoriaux auront l’obligation de prendre des mesures positives pour garantir aux personnes affectées la jouissance des droits de l’homme, par exemple en leur fournissant des abris, des établissements scolaires et sanitaires temporaires, ainsi que de la nourriture, de l’eau et de l’électricité597.
230. En outre, l’obligation des États de coopérer pour faire face aux effets néfastes des changements climatiques inclut la coopération en ce qui concerne les personnes déplacées, y compris au-delà de leur juridiction territoriale598. Selon le projet d’articles de la Commission du droit international sur la protection des personnes en cas de catastrophe, « les États doivent … coopérer entre eux, avec les Nations Unies, avec les composantes du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge et avec d’autres acteurs de l’assistance » pour protéger les droits de l’homme des
591 Voir par. 21, al. c) ci-dessus.
592 CDH, constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2728/2016, doc. CCPR/C/127/D/2728/2016 (2020), par. 9.11.
593 Voir par. 21, al. c) ci-dessus ; Portail sur les données migratoires, Migration environnementale (8 juin 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/migration-environnementale.
594 Ibid.
595 Voir par. 33 ci-dessus.
596 J. Marazita, Displacement in Paradise: Hurricane Dorian Slams the Bahamas, Thematic report of the Internal Displacement Monitoring Center (mai 2020), p. 11.
597 Voir sect. IV.C ci-dessus. Voir aussi Commission du droit international, projet d’articles sur la protection des personnes en cas de catastrophe, avec commentaires (2016) (ci-après, le « projet d’articles sur la protection des personnes en cas de catastrophe de la Commission du droit international »), art. 5 ; Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies, Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays (1998), principe 18.
598 Voir sect. IV.C.2.d)-e) ci-dessus. Voir aussi CDH, observation générale no 36 sur l’article 6 : droit à la vie, doc. CCPR/C/GC/36 (2019), par. 62 (« Les États parties devraient par conséquent … notifier aux autres États concernés les catastrophes naturelles et situations d’urgence et coopérer avec eux »).
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personnes déplacées
599. La déclaration de principes de Sydney sur la protection des personnes déplacées dans le contexte de l’élévation du niveau de la mer, qui est « fondée sur et dérivée des dispositions, principes et cadres juridiques internationaux pertinents », prévoit que les États coopèrent pour faire face aux risques liés aux catastrophes et aux changements climatiques, notamment en « s’efforçant de faire en sorte que les personnes qui traversent les frontières soient admises et accueillies dans le respect de leur sécurité, de leur dignité et de leurs droits de l’homme »600. Au niveau régional, les États de l’Union africaine sont déjà soumis à des obligations similaires en vertu de la convention de Kampala601.
231. Dans la pratique, cela peut inclure :
a) la fourniture et la coordination de l’aide humanitaire immédiate, y compris la fourniture de personnel, d’équipements, de biens et de ressources602 ;
b) l’offre d’un statut juridique et d’avantages, y compris le droit de résider et de travailler, aux personnes déplacées par les changements climatiques (par le biais de la législation nationale ou d’accords internationaux, tels que le traité récemment conclu entre l’Australie et Tuvalu)603 ;
c) l’élaboration de cadres juridiques communs pour garantir les droits des personnes déplacées et faciliter la coopération internationale604.
232. En fin de compte, « les formes que peut prendre la coopération dépendront nécessairement d’une série de facteurs, notamment … les besoins des personnes concernées »605. En tout état de cause, dans l’exercice de leurs fonctions, les États doivent agir « conformément aux principes d’humanité, de neutralité et d’impartialité, et sur la base de la non-discrimination, tout en tenant compte des besoins des personnes particulièrement vulnérables »606.
599 Voir projet d’articles sur la protection des personnes en cas de catastrophe de la Commission du droit international, art. 7.
600 Comité de l’ADI sur le droit international et l’élévation du niveau de la mer, résolution 6/2018 : déclaration de principes de Sydney sur la protection des personnes déplacées dans le contexte de l’élévation du niveau de la mer (19-24 août 2018) (ci-après, la « déclaration de Sydney »), principe 4, par. 2, al. b).
601 Voir, par exemple, convention de l’Union africaine sur la protection et l’assistance aux personnes déplacées en Afrique (convention de Kampala), 23 octobre 2009, art. 5, par. 2 et 4
(« Les États parties coopèrent, à l’initiative de l’État concerné ou de la Conférence des États parties, en vue de protéger et d’assister les personnes déplacées. … Les États parties prennent les mesures nécessaires pour assurer protection et assistance aux personnes victimes de déplacement interne en raison de catastrophes naturelles ou humaines y compris du changement climatique. »).
602 Voir projet d’articles sur la protection des personnes en cas de catastrophe de la Commission du droit international, commentaire du paragraphe 2 de l’article 8. Voir aussi Nations Unies, Assemblée générale, résolution 69/283, « Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030 », 23 juin 2015, doc. A/RES/69/283, annexe II, par. 33, al. h) ; déclaration de Sydney, principe 4.
603 The Nansen Initiative, Agenda for the Protection of Cross-Border Displaced Persons in the Context of Disasters and Climate ChangeVolume I (December 2015), pp. 7-8, 36 ; Australie-Tuvalu Falepili Union Treaty, 9 November 2023, art. 2-3 ; « Australia to offer residency to Tuvalu citizens displaced by climate change », The Guardian (10 November 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.theguardian.com/australia-news/2023/nov/10/australia-to-offer-residency-to-tuvalu-residents-displaced-by-climate-change. Voir aussi déclaration de Sydney, principe 4.
604 Conférence intergouvernementale chargée d’adopter le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, « Projet de document final de la conférence », doc. A/CONF.231/3 (2018), annexe : Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, par. 18, al. k). Voir aussi déclaration de Sydney, principe 4.
605 Voir projet d’articles sur la protection des personnes en cas de catastrophe de la Commission du droit international, commentaire de l’article 8, par. 6.
606 Ibid., art. 6.
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VI. CONSÉQUENCES DE LA VIOLATION DES OBLIGATIONS PERTINENTES
233. Il est de principe que « tout fait internationalement illicite d’un État engage la responsabilité internationale de cet État »607. Ce principe s’applique aux violations de toutes des obligations relatives aux changements climatiques décrites dans les présentes observations, qu’elles soient qualifiées d’obligations de comportement, d’obligations de résultat, d’obligations procédurales ou de toute autre désignation. Il découle de règles bien établies du droit international coutumier et de dispositions conventionnelles relatives à la responsabilité des États. Par exemple, le paragraphe 1 de l’article 235 de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer dispose qu’« il incombe aux États de veiller à l’exécution de leurs obligations internationales en ce qui concerne la protection et la préservation du milieu marin. Ils sont responsables conformément au droit international ».
234. La question de la responsabilité de l’État dépendra nécessairement i) de la portée et de la formulation de la règle primaire de droit international invoquée ; et ii) de la question de savoir si une violation pertinente est imputable à l’État réputé ne pas se conformer. Lorsque plusieurs États sont responsables du même fait internationalement illicite, la responsabilité de chaque État peut être invoquée par rapport à ce fait608. Lorsque plusieurs États commettent indépendamment des actes distincts qui contribuent à un dommage indivisible, la responsabilité peut être attribuée conformément aux principes d’équité et de proportionnalité ou aux principes généraux de la responsabilité conjointe et solidaire, en fonction des circonstances de l’espèce609.
235. Lorsqu’un État contrevient à une obligation pertinente en matière de changements climatiques, trois conséquences juridiques principales en découlent : premièrement, l’État est toujours tenu d’exécuter l’obligation violée ; deuxièmement, l’État a l’obligation de mettre fin à l’acte illicite ; et troisièmement, l’État est tenu de réparer intégralement tout préjudice causé.
A. L’obligation de résultat
236. Si un État manque à ses obligations internationales en matière de changements climatiques, l’obligation d’exécution sous-jacente n’est pas éteinte ; l’État a une obligation continue d’exécuter l’obligation610. Ainsi, par exemple, lorsqu’un État ne respecte pas les obligations énoncées dans les sections IV et V ci-dessus, cela ne diminue ni ne perturbe en rien l’obligation juridique de l’État de parvenir à une réduction profonde, rapide et durable des émissions anthropiques nettes de GES à l’échelle mondiale, et d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour lutter contre les effets néfastes des émissions anthropiques de GES sur l’environnement et la vie humaine611.
607 Commission du droit international, Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (2001) (ci-après, les « articles de la CDI sur la responsabilité de l’État »), article premier.
608 Ibid., art. 47.
609 Voir C. Voigt, « State Responsibility for Climate Change Damages », 77 Nordic Journal of International Law (2008), p. 20.
610 Articles sur la responsabilité de l’État, art. 29 (« Les conséquences juridiques d’un fait internationalement illicite prévues dans la présente partie n’affectent pas le maintien du devoir de l’État responsable d’exécuter l’obligation violée »).
611 Voir par. 183 ci-dessus.
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B. L’obligation de mettre fin à l’acte illicite
237. L’État responsable doit également mettre fin au fait internationalement illicite612 et offrir des assurances et des garanties de non-répétition appropriées si les circonstances l’exigent613. La cessation est une obligation inhérente à l’État responsable. Par conséquent, l’État responsable doit mettre fin au comportement illicite, même si l’État lésé n’a pas formulé de demande de cessation614. L’obligation de cessation n’est généralement pas soumise à une exigence de proportionnalité615.
238. Par conséquent, lorsqu’un État enfreint l’une des obligations relatives aux changements climatiques décrites ci-dessus616, il est tenu de mettre fin à l’action ou à l’omission incriminée. Cela peut signifier, par exemple, que l’État est obligé de cesser les activités à l’intérieur de ses frontières qui sont incompatibles avec les obligations internationales et causent un excès d’émissions de GES, et/ou de prendre des mesures positives pour réglementer la réduction effective des émissions de GES617. Même si un État n’est pas en mesure de réduire efficacement ses émissions de GES ou de prendre des mesures d’adaptation dans un court laps de temps, l’obligation de cessation persiste et l’État doit s’efforcer de bonne foi d’atteindre cet objectif618. En cas de violations répétées, et si les circonstances l’exigent, l’État responsable peut également être tenu de donner des assurances et des garanties appropriées de non-répétition.
C. Le devoir de réparation
239. La troisième obligation générale est l’obligation de réparation intégrale. En cas de commission d’un fait internationalement illicite, l’État responsable est tenu d’accorder une « réparation intégrale » pour tout préjudice causé par le fait internationalement illicite619, que le dommage soit de nature matérielle ou morale620. En général, la réparation vise à placer la partie lésée dans la même situation que si aucun acte illicite n’avait été commis, sans tenir compte du coût ou des conséquences pour l’auteur de l’acte illicite621. L’État responsable doit s’efforcer « d’effacer
612 Le terme « acte » englobe à la fois les actes et les omissions. Voir commentaire de l’article 30, projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II (deuxième partie) (ci-après, les « commentaires sur les articles relatifs à la responsabilité de l’État de la Commission du droit international »), p. 88-89, par. 2.
613 Articles sur la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, art. 30.
614 Voir D. Shelton, « Reparations », Max Planck Encyclopaedia of International Law, Oxford Public International Law (dernière mise à jour en août 2015), par. 22, accessible à l’adresse suivante : https://opil.ouplaw.com/display/10.1093/ law:epil/9780199231690/law-9780199231690-e392.
615 Commentaires sur les articles relatifs à la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, commentaire de l’article 30, p. 89, par. 7.
616 Voir aussi sect. IV et V ci-dessus.
617 Voir, par exemple, Urgenda Foundation c. L’État des Pays-Bas, Cour d’appel de La Haye (9 octobre 2018), par. 73 ; État des Pays-Bas c. Urgenda Foundation, Cour suprême des Pays-Bas (20 décembre 2019), par. 8.3.5 (exigeant des Pays-Bas qu’ils réduisent davantage leurs émissions de gaz à effet de serre). Voir aussi affaire relative à la Fonderie de Trail, p. 1965-1966 (exigeant du Canada qu’il mette fin à la pollution transfrontière).
618 Voir C. Voigt, « State Responsibility for Climate Change Damages », 77 Nordic Journal of International Law (2008), p. 18.
619 Articles sur la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, art. 31 ; Usine de Chorzów, compétence, arrêt no 8, 1927, C.P.J.I., série A, no 9, p. 21 ; Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I., série A, no 17, p. 47.
620 Commentaires sur les articles relatifs à la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, commentaire de l’article 31, p. 91-92, par 7. 5.
621 Voir D. Shelton, « Reparations », Max Planck Encyclopaedias of International Law, Oxford Public International Law, (dernière mise à jour en août 2015), par. 22, accessible à l’adresse suivante : https://opil.ouplaw.com/display/10.1093/ law:epil/9780199231690/law-9780199231690-e392, par. 3.
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toutes les conséquences de l’acte illicite et de rétablir la situation qui aurait vraisemblablement existé si cet acte n’avait pas été commis »
622.
240. L’obligation de « réparation intégrale » peut être remplie de trois manières : par des mesures de restitution, d’indemnisation ou de satisfaction.
1. Restitution
241. La restitution implique le rétablissement de la situation antérieure à la violation dans la mesure où la restitution n’est pas matériellement impossible ou totalement disproportionnée623. Il peut s’agir de l’établissement ou du rétablissement de la situation qui aurait existé si l’acte illicite n’avait pas été commis624. La restitution a un sens large et peut englober toute action qui doit être entreprise par l’État responsable pour rétablir la situation résultant de son fait internationalement illicite625. En règle générale, la restitution concerne une certaine forme de comportement de la part de l’État responsable626. Toutefois, la nature de l’infraction déterminera ce qui est spécifiquement requis.
242. Compte tenu des dommages graves et irréversibles causés par les changements climatiques, il peut être matériellement impossible pour un État responsable de rétablir la situation antérieure à la violation. Une indemnisation financière des coûts liés aux dommages peut être plus appropriée627.
2. Indemnisation
243. L’État responsable a l’obligation d’indemniser la partie lésée pour les dommages matériels ou moraux causés par un fait illicite, dans la mesure où ces dommages ne sont pas couverts par la restitution628. L’indemnisation vise à compenser les « pertes réelles » et se limite donc aux dommages effectivement subis en raison du fait internationalement illicite ; elle ne vise pas à punir
622 Usine de Chorzów, fond, arrêt nº 13, 1928, C.P.J.I., série A, no 17, p. 47 (« [L]a réparation doit, dans la mesure du possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir la situation qui aurait vraisemblablement existé si cet acte n’avait pas été commis ») ; commentaires sur les articles relatifs à la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, commentaire de l’article 31, p. 91, par. 3.
623 Articles sur la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, art. 35 ; commentaires sur les articles relatifs à la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, commentaire de l’article 35, p. 96, 98, par. 1, 7.
624 Articles sur la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, art. 35 ; commentaires sur les articles relatifs à la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, commentaire de l’article 35, p. 96, par. 2.
625 Commentaires sur les articles relatifs à la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, commentaire de l’article 35, p. 97-98, par. 5.
626 Ibid., p. 96, par. 1.
627 Voir C. Voigt, « State Responsibility for Climate Change Damages », 77 Nordic Journal of International Law (2008), p. 18.
628 Articles sur la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, art. 36, par. 1 ; Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I., série A, no 17, p. 48 (l’État responsable avait « l’obligation de restaurer l’entreprise et, si cela n’est pas possible, de payer sa valeur au moment de l’indemnisation, cette valeur étant destinée à se substituer à la restitution devenue impossible »). Voir aussi Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 81, par. 152 (« II est une règle bien établie du droit international, qu’un État lésé est en droit d’être indemnisé, par l’État auteur d’un fait internationalement illicite, des dommages résultant de celui-ci. »).
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l’État responsable
629. L’indemnisation vise à réparer aussi bien les dommages subis par l’État lui-même que ceux subis par les ressortissants au nom desquels l’État agit dans le cadre de la protection diplomatique630.
244. Étant donné que la restitution est probablement impossible dans le contexte des changements climatiques, les États responsables seront probablement obligés de payer une indemnisation pour les dommages matériels et moraux découlant de leurs actes illicites. Les dommages matériels comprennent la perte potentielle d’infrastructures, de biens et d’autres actifs économiques clairement définis, y compris les coûts engagés pour la riposte aux changements climatiques, tels que les coûts associés aux mesures d’adaptation au climat631. Le dommage moral comprendrait des préjudices tels que la douleur et la souffrance individuelles, la perte de vie ou le sentiment d’affront causé par l’acte préjudiciable en question632.
3. Satisfaction
245. L’État responsable sera tenu de réparer le préjudice causé par son acte préjudiciable dans la mesure où il ne peut être réparé par la restitution ou l’indemnisation633. La satisfaction peut prendre la forme d’une reconnaissance de la violation, d’une expression de regrets, d’excuses formelles ou d’une autre modalité appropriée634. Toutefois, la mesure doit être proportionnelle au préjudice causé635. La satisfaction peut être le remède approprié pour les dommages liés aux changements climatiques qui ne sont pas évaluables financièrement et qui constituent un affront pour l’État lésé636.
VII. INVOCATION DE LA RESPONSABILITÉ INTERNATIONALE
246. Un État est en droit d’invoquer la responsabilité internationale d’un autre État pour violation d’obligations liées aux changements climatiques lorsque l’obligation violée est due à l’État lésé individuellement637. Les États ont également le droit d’invoquer la responsabilité internationale pour les violations des obligations liées aux changements climatiques qui sont dues erga omnes638. L’invocation de la responsabilité erga omnes ne nécessite pas de démontrer que l’État qui l’invoque a lui-même subi un « préjudice »639.
629 Commentaires de la CDI sur les articles relatifs à la responsabilité de l’État, commentaire de l’article 36, p. 99, par. 4 ; ibid., commentaire de l’article 34, p. 96, par. 5.
630 Commentaires sur les articles relatifs à la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, commentaire de l’article 36, p. 99, par. 5.
631 Ibid., commentaire de l’article 31, p. 91-92, par. 5 ; C. Voigt, « State Responsibility for Climate Change Damages », 77 Nordic Journal of International Law (2008), p. 18.
632 Commentaires sur les articles relatifs à la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, commentaire de l’article 31, p. 91-92, par. 5.
633 Articles sur la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, art. 37, par. 1.
634 Ibid., art. 37, par. 2.
635 Ibid., art. 37, par. 3.
636 Commentaires sur les articles relatifs à la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, commentaire de l’article 37, p. 106, par. 3.
637 Articles sur la responsabilité de l’État de la Commission du droit international, art. 42, al. a).
638 Ibid., art. 48.
639 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), objections préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2022, p. 477, par. 106-112.
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247. La Cour a décrit les obligations erga omnes comme celles que « chaque État … a intérêt à respecter … dans un cas donné »640. Ainsi, par exemple, dans l’affaire relative à l’Application de la convention sur le génocide, la Cour a noté que les obligations découlant de la convention sur le génocide étaient erga omnes parce qu’il existait un « intérêt commun » à assurer le respect de l’obligation de prévenir, de réprimer et de punir le génocide641. Dans l’affaire relative à l’Obligation de poursuivre ou d’extrader, la Cour a conclu que certaines obligations découlant de la convention contre la torture avaient un caractère erga omnes parce qu’elles mettaient en jeu les « valeurs communes » des États parties642. Et dans l’affaire relative à Barcelona Traction, la Cour a conclu que tous les États avaient un intérêt juridique dans les obligations dues à la communauté internationale dans son ensemble « compte tenu de l’importance des droits en cause » dans cette affaire643.
248. Les Bahamas soutiennent que les diverses obligations relatives aux changements climatiques énoncées aux sections IV et V sont également dues erga omnes parce qu’elles sont sous-tendues par des « valeurs partagées » et un « intérêt commun » à les respecter644. L’intérêt commun de la communauté internationale à respecter les obligations est bien établi, tant sur le plan scientifique et juridique que sur celui du consensus politique. Dans l’affaire Projet Gabčíkovo-Nagymaros, la Cour a relevé que « la sauvegarde de l’équilibre écologique en est venue à être considérée comme répondant à un “intérêt essentiel” de tous les États » et elle rappelle « toute l’importance que le respect de l’environnement revêt … pour l’ensemble du genre humain »645. Dans son opinion dissidente dans cette affaire, le juge Weeramantry a fait valoir que les normes internationales relatives à la protection de l’environnement étaient analogues à d’autres obligations erga omnes (par exemple, en vertu du droit international des droits de l’homme) et a suggéré que les cas impliquant des « dommages environnementaux de nature profonde et irréversible » mettaient en jeu des obligations erga omnes646. Dans le contexte du droit de la mer, le Tribunal international du
640 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), objections préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2022, p. 516, par. 107 (citant Questions relatives à l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 442, par. 68) ; voir aussi Institut de droit international, résolution « Les obligations et les droits erga omnes en droit international », session de Cracovie (2005), article premier
(« une obligation erga omnes est a) une obligation relevant du droit international général à laquelle un État est tenu en toutes circonstances envers la communauté internationale, en raison de ses valeurs communes et de son intérêt à ce que cette obligation soit respectée, de telle sorte que sa violation autorise tous les États à réagir ; ou b) une obligation relevant d’un traité multilatéral à laquelle un État partie à ce traité est tenu en toutes circonstances envers tous les autres États parties au traité, en raison des valeurs qui leur sont communes et de leur intérêt à ce que cette obligation soit respectée, de telle sorte que sa violation autorise tous ces autres États à réagir. »).
641 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), objections préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2022, p. 515, par. 107.
642 Questions relatives à l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 449, par. 68.
643 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33.
644 Cf. Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), objections préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2022, par. 107 ; Questions relatives à l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 449, par. 68.
645 Projet Gabčíkovo-Nagymaros, arrêt, p. 41, par. 53. Voir aussi accord de Paris, préambule (« Conscientes que les changements climatiques sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière et que, lorsqu’elles prennent des mesures face à ces changements, les Parties devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives ») ; CCNUCC, préambule (« Conscientes que les changements du climat de la planète et leurs effets néfastes sont un sujet de préoccupation pour l’humanité tout entière ») ; CIT, rapport sur les travaux de sa soixante-dixième session, doc. A/73/10 (2008), Lignes directrices sur la protection de l’atmosphère, préambule.
646 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), opinion individuelle du juge Weeramantry, C.I.J. Recueil 1997, p. 91-92
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droit de la mer a estimé que les obligations relatives à la préservation de l’environnement marin constituent des obligations erga omnes
647. Divers États648 et d’éminents publicistes649 ont également affirmé que les obligations relatives à la protection de l’environnement, y compris les émissions de GES, ont un caractère erga omnes.
(« La protection de l’environnement est, elle aussi, un élément essentiel de la doctrine contemporaine des droits de l’homme, car elle est une condition sine qua non de nombre de droits de l’homme tels que le droit à la santé et le droit à la vie lui-même. [L]es dommages causés à l’environnement peuvent compromettre et saper tous les droits de l’homme dont parlent la déclaration universelle et les autres actes consacrant de tels droits. ») ;
ibid., p. 117-118
(« Il se pose un important problème conceptuel lorsque, dans un différend inter partes comme celui-ci, il est excipé de la violation de droits ou d’obligations opposables au reste du monde. La Cour, dans l’exercice de son obligation traditionnelle de statuer entre les parties, se prononce de la manière conforme à la justice et à l’équité entre les parties. La procédure qu’elle suit est dans une large mesure contradictoire. Or, cela ne rend guère justice aux droits et obligations opposables erga omnes, surtout dans les affaires où il s’agit d’un dommage écologique d’une grande portée et d’un caractère irréversible. … La Hongrie a eu un comportement qui l’empêcherait, dans un contentieux inter partes ordinaire, d’adopter des positions tout à fait incompatibles. Cependant, des questions écologiques graves peuvent-elles être tranchées sur la base d’un tel comportement inter partes ? Dans des affaires où les questions erga omnes présentent une importance suffisante, je ne le crois pas. »).
647 Activités dans la Zone, avis consultatif, par. 180.
648 CDI, Protection de l’atmosphère : Commentaires et observations reçus des États et des organisations internationales, doc. A/CN.4/735, p. 21-22 (notant qu’Antigua-et-Barbuda et l’Allemagne ont déclaré que l’obligation de protéger l’atmosphère est erga omnes).
649 Voir, par exemple, Institut de droit international, résolution « Les obligations et les droits erga omnes en droit international », session de Cracovie (2005), préambule (notant que le « large consensus pour admettre que … les obligations relatives à l’environnement des espaces communs constituent des exemples d’obligations qui reflètent [les] valeurs fondamentales » de la communauté internationale) ; CDI, troisième rapport du rapporteur spécial James Crawford sur la responsabilité des États, doc. A/CN/4/507/Add.4 (2000), p. 100, par. 379 ; Patrick Daillier et al., Droit international public (9e éd. 2022), p. 1750
(« Il n’en reste pas moins que l’environnement est de plus en plus perçu comme une valeur commune à l’humanité tout entière dont la préservation est l’affaire de la communauté internationale dans son ensemble, et que l’on retrouve dans les règles qui lui sont applicables la plupart des principes relatifs au patrimoine commun de l’humanité : absence de réciprocité et nature erga omnes des obligations des États, principes de gestion rationnelle, non-appropriation. »).
Voir aussi O. Quirico, « Towards a Peremptory Duty to Curb Greenhouse Gas Emissions », 44 Fordham International Law Journal (2021) 923, p. 937.
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249. Étant donné le caractère erga omnes des obligations relatives aux changements climatiques décrites dans le présent document, les Bahamas soutiennent que les États sont en droit d’invoquer la responsabilité en cas de violation de ces obligations et qu’ils n’ont pas besoin de prouver qu’ils ont un intérêt particulier ou qu’ils subissent un préjudice pour le faire650.
Le tout respectueusement soumis.
Le 22 mars 2024.
Le procureur général et ministre des affaires juridiques des Bahamas,
(Signé) L’honorable sénateur Leo Ryan PINDER.
___________
650 Questions relatives à l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 450, par. 69 ; Institut de droit international, résolution « Les obligations et les droits erga omnes en droit international », session de Cracovie (2005), article premier (la violation d’une obligation erga omnes « autorise tous les États à réagir »).
Exposé écrit des Bahamas