Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
19658
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIÈRE DE CHANGEMENT CLIMATIQUE (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DU GROUPE FER DE LANCE MÉLANÉSIEN (GFLM)
22 mars 2024
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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I. INTRODUCTION ................................................................................................................................ 1
II. LA COMPÉTENCE ............................................................................................................................ 5
III. LA MÉLANÉSIE ............................................................................................................................. 5
IV. LES EFFETS DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES ............................................................................ 9
1. Culture et tradition .................................................................................................................. 10
2. Biodiversité ............................................................................................................................. 30
3. Communautés rurales (jeunes et enfants)................................................................................ 40
V. LA QUESTION JURIDIQUE ............................................................................................................. 45
1. Comportement ......................................................................................................................... 45
2. Question a) .............................................................................................................................. 47
3. Question b) .............................................................................................................................. 62
VI. CONCLUSION .............................................................................................................................. 74
« Les Mélanésiens ont une civilisation avec ses coutumes, ses valeurs, sa
connaissance et sa sagesse qui les ont guidés à travers les âges. Ce sont là leurs vérités
révélées. Notre histoire n’a pas commencé au contact des explorateurs occidentaux.
Notre civilisation n’a pas démarré à l’arrivée de la mission chrétienne : parce que notre
civilisation est ancienne, il est important pour nous de donner une place digne de ce nom
à notre histoire. »
Bernard Narakobi, The Melanesian Way1.
I. INTRODUCTION
1. L’Assemblée générale des Nations Unies (ci-après, l’« Assemblée générale ») a adopté le
29 mars 2023 la résolution 77/276 intitulée « Demande d’avis consultatif de la Cour internationale
de Justice sur les obligations des États à l’égard des changements climatiques », dans laquelle sont
énoncées les questions juridiques auxquelles la Cour est appelée à répondre :
« Eu égard en particulier à la Charte des Nations Unies, au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, au Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, à la Convention-cadre des Nations Unies sur les
changements climatiques, à l’Accord de Paris, à la Convention des Nations Unies sur le
droit de la mer, à l’obligation de diligence requise, aux droits reconnus dans la
Déclaration universelle des droits de l’homme, au principe de prévention des dommages
significatifs à l’environnement et à l’obligation de protéger et de préserver le milieu
marin :
a) Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce
qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de
l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre pour les
États et pour les générations présentes et futures ?
b) Quelles sont, au regard de ces obligations, les conséquences juridiques pour les États
qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système
climatique et à d’autres composantes de l’environnement, à l’égard :
i) Des États, y compris, en particulier, des petits États insulaires en
développement, qui, de par leur situation géographique et leur niveau de
développement, sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des
changements climatiques ou sont particulièrement vulnérables face à ces
effets ;
ii) Des peuples et des individus des générations présentes et futures atteints par
les effets néfastes des changements climatiques ? »
2. Le 6 septembre 2023, le Groupe Fer de lance mélanésien (GFLM) a demandé à la Cour
l’autorisation de présenter un exposé écrit dans le cadre de la présente procédure consultative, ainsi
que des observations écrites sur tout exposé écrit déposé par d’autres participants.
1 Bernard Narokobi, The Melanesian Way (Boroko ; Institute of Papua New Guinea Studies, 1980), p. 3.
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3. Le 15 septembre 2023, le greffier a confirmé que le Groupe Fer de lance mélanésien était
susceptible de fournir des renseignements sur les questions qui sont posées à la Cour et l’a autorisé
à participer à la présente procédure en application de l’article 66 du Statut de la Cour.
4. Le présent exposé écrit est présenté dans les délais prescrits par l’ordonnance datée du
15 décembre 2023, par laquelle ont été prorogés les délais de présentation des exposés écrits et des
observations écrites.
5. Le Groupe Fer de lance mélanésien est une organisation intergouvernementale qui compte
les membres suivants : l’État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée (ci-après, la
« Papouasie-Nouvelle-Guinée »), les Îles Salomon, la République de Vanuatu (ci-après,
« Vanuatu »), la République des Fidji (ci-après, les « Fidji »), ainsi que le Front de libération
nationale kanak et socialiste (FLNKS) de Nouvelle-Calédonie (collectivement dénommés ci-après
« membres du Groupe Fer de lance mélanésien »). La Nouvelle-Calédonie est un territoire non
autonome administré par la France.
6. Sur la base d’intérêts communs, dont la promotion de la coopération régionale et le respect
du droit à l’autodétermination, le Groupe Fer de lance mélanésien a été institué en tant que groupe
sous-régional réunissant les nombreux peuples que compte la Mélanésie. La présence du FLNKS
témoigne des racines historiques uniques du Groupe, dans lequel « les pays mélanésiens
nouvellement indépendants se sont réunis dans un esprit de solidarité ethnique et culturel en
s’engageant expressément à oeuvrer à la libération de leurs frères kanaks ». C’est ce même sentiment
qui a guidé la signature des principes de coopération convenus entre les États indépendants (« Agreed
Principles of Co-operation Among Independent States of Melanesia ») en 1988, de l’accord
commercial du Groupe Fer de lance mélanésien (« MSG Trade Agreement ») en 1993 et de l’accord
établissant le Groupe Fer de lance mélanésien en 2007.
7. L’un des autres grands objectifs du Groupe Fer de lance mélanésien est la promotion du
développement économique, du progrès social et de la préservation culturelle parmi ses membres.
Pour ce faire, le Groupe s’attache à renforcer le commerce et les investissements, à améliorer les
transports et les infrastructures et à préserver la culture et les traditions mélanésiennes.
L’organisation oeuvre également à répondre aux préoccupations en matière de sécurité et aux
menaces pour l’environnement à l’échelle régionale.
8. Les membres du Groupe Fer de lance mélanésien se situent dans la sous-région du Pacifique
appelée « Mélanésie », qui est unique de par son extraordinaire biodiversité (qui représente une part
importante de la biodiversité mondiale) et sa diversité linguistique, puisqu’elle compte près de
1 500 groupes linguistiques distincts.
9. Le Groupe Fer de lance mélanésien espère pouvoir aider la Cour à s’acquitter de sa tâche
consistant à préciser les obligations juridiques internationales au moyen d’une procédure
consultative, et la prie instamment de le faire eu égard aux questions juridiques posées dans la
résolution 77/276. S’il ne fait pas de doute que ces questions sont d’importance mondiale, les
réponses attendues sont cependant particulièrement urgentes pour ceux qui sont lésés ou
spécialement concernés par les effets néfastes des changements climatiques ou qui y sont le plus
vulnérables. Le Groupe Fer de lance mélanésien fait valoir en particulier que tous ses membres, ainsi
que tous les peuples qu’il représente, y compris les générations actuelles et futures, figurent parmi
les bénéficiaires envisagés par la résolution 77/276.
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10. Le présent exposé écrit entend compléter, et non remplacer, les exposés écrits présentés
individuellement par les membres du Groupe Fer de lance mélanésien.
11. Cet exposé écrit est limité dans sa portée et se concentrera sur les enjeux d’intérêt commun
aux membres du Groupe Fer de lance mélanésien, énumérés ci-dessous :
a) les effets des changements climatiques sur la culture et les traditions ;
b) les effets des changements climatiques sur la biodiversité ; et
c) les effets des changements climatiques sur les communautés rurales, et plus particulièrement sur
les jeunes et les enfants.
12. Le Groupe Fer de lance mélanésien s’attache à fournir dans le présent exposé des
renseignements essentiels et de première main concernant les effets des changements climatiques sur
la sous-région mélanésienne. Les auteurs du document se sont déplacés dans tous les territoires
membres du Groupe pour recueillir des témoignages sur les effets des changements climatiques à
l’échelle locale. Ils ont également fait appel à des experts pour obtenir des rapports, des témoignages
et des déclarations utiles au regard des trois axes prioritaires précités. Ces éléments d’information
sont annexés au présent exposé écrit et il y est fait référence tout au long du document.
13. Le Groupe Fer de lance mélanésien prend acte des données scientifiques incontestables,
telles que résumées dans les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du
climat (GIEC), qui attestent les effets dévastateurs et, dans certains cas, irréversibles des
changements climatiques anthropiques sur tous les aspects de la vie humaine. Il est également
conscient des effets des changements climatiques sur les droits de l’homme protégés, notamment,
mais pas seulement, le droit des peuples à l’autodétermination, à la vie, à la santé, à la propriété, à la
vie privée et familiale, à la vie culturelle et à un niveau de vie suffisant, y compris l’accès à la
nourriture, à l’eau, à des vêtements, au logement, à des soins médicaux et aux services sociaux
nécessaires.
14. Les effets néfastes des changements climatiques incluent généralement, sans toutefois s’y
limiter, la fréquence et l’intensité accrues des phénomènes météorologiques extrêmes (tels que les
cyclones, les inondations et les glissements de terrain), la hausse des précipitations, la détérioration
généralisée des écosystèmes et la disparition d’espèces, la déstabilisation des tendances
météorologiques et saisonnières, l’acidification et le réchauffement des océans, le blanchissement
des coraux, la fonte des glaciers et de la glace de mer et l’élévation du niveau de la mer. Ces effets
ont donné lieu à une insécurité alimentaire et à des famines, à la raréfaction de l’eau, à des
déplacements forcés, à des pertes en vies humaines et en qualité de vie, à des pertes économiques et
des obstacles au développement, et à une perte de culture, avec des conséquences pour le bien-être
humain partout dans le monde.
15. Les changements climatiques ont déjà causé un immense préjudice aux biens uniques et
précieux que sont l’environnement, l’écologie et la biodiversité en Mélanésie. Nos peuples ont subi
des changements environnementaux dévastateurs, parmi lesquels des phénomènes météorologiques
extrêmes plus fréquents, des cyclones plus intenses, des conditions météorologiques et des saisons
plus imprévisibles et instables, des précipitations et inondations extrêmes, une érosion côtière, des
glissements de terrain, le blanchissement et la dégradation des coraux, la perte de terres du fait de
l’élévation du niveau de la mer et la prolifération d’espèces invasives. Tous ces effets sont
scientifiquement imputables aux changements climatiques anthropiques.
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16. S’agissant de la culture et de la tradition, les communautés qui ont été forcées de se
réinstaller ailleurs en raison des changements climatiques ont, bien souvent, laissé derrière eux leurs
habitations, leurs lieux de sépulture ancestraux et d’autres sites sacrés et autochtones, outre leurs
biens et leurs moyens de subsistance. Des peuples dans toute la région ont perdu des cultures, des
espèces et des ressources sacrées qui sont essentielles à la vie et aux systèmes de croyances en
Mélanésie. Des langues, des pratiques culturelles et des connaissances sacrées traditionnelles ont été
définitivement perdues. À bien des égards, l’importance et la gravité de ces pertes ne peuvent être
quantifiées. Des cosmologies et des formes de savoir-être mélanésiennes ont disparu.
17. S’agissant de la biodiversité, toute la sous-région mélanésienne est un point chaud de
biodiversité, avec l’une des plus riches biodiversités de la planète, à la fois dans les terres (la
Mélanésie possède notamment la troisième forêt tropicale au monde) et dans les océans, dont les
récifs coralliens abritent une biodiversité exceptionnelle. Maintenant, les peuples de Mélanésie
voient blanchir leurs récifs, mourir leurs mangroves du fait de l’intrusion d’eau de mer et des
dommages croissants causés par les tempêtes, et disparaître leurs plantes médicinales et espèces
marines du fait de l’évolution des tendances et conditions météorologiques. La pêche, qu’elle soit
destinée à l’usage de la communauté ou au commerce, est de plus en plus menacée du fait du
blanchissement des récifs coralliens, des violentes tempêtes et du caractère imprévisible des saisons.
18. Les communautés rurales mélanésiennes, et en particulier leurs jeunes et leurs enfants,
sont beaucoup plus vulnérables face aux effets susmentionnés des changements climatiques. Elles
sont déjà contraintes de se déplacer en raison des chocs causés à l’environnement naturel dans lequel
elles vivent. Les cyclones, les glissements de terrain et autres catastrophes naturelles menacent la vie
des populations rurales, en zone côtière comme dans l’intérieur des terres. Les jeunes et les enfants,
qui représentent environ 44 % de la population totale de la Mélanésie, l’une des plus jeunes régions
du monde sur le plan démographique, subissent des conséquences encore plus fortes, du fait que cela
perturbe leur santé, leur niveau de vie, leurs perspectives économiques et leur éducation. En outre,
les changements climatiques ayant déjà entraîné la perte de nombreuses pratiques culturelles
mélanésiennes, les jeunes de la sous-région n’ont plus la possibilité d’apprendre et de vivre leur
culture ; ils ont été coupés de leur patrimoine culturel.
19. Les changements climatiques frappent au coeur même de la Mélanésie et de ses nombreuses
civilisations autochtones et anciennes, lesquelles reposent sur les liens particuliers, physiques et
précisément localisés qu’elles ont avec leurs terres, leurs territoires et leurs ressources hérités des
ancêtres, y compris l’ensemble de la faune et de la flore et tout l’éventail des espèces non humaines.
Par conséquent, le socle même de nos sociétés est l’indivisibilité entre culture et nature, ou ce que
l’on pourrait appeler l’environnement total.
20. Le Groupe Fer de lance mélanésien fait valoir que cette indivisibilité doit être prise en
considération par la Cour lorsque celle-ci examinera la nature et le degré du préjudice causé par les
changements climatiques aux membres du Groupe et à leurs peuples, ainsi que le caractère approprié
des remèdes offerts en droit de la responsabilité de l’État pour réparer ledit préjudice. Les effets
généralisés et localisés des changements climatiques sur les habitants de la Mélanésie ne sauraient
être sous-estimés et appellent réparation.
21. Le présent exposé écrit est divisé en six sections, dont la présente introduction (section I).
La section II montrera que la Cour est compétente pour répondre aux questions juridiques qui lui
sont posées et qu’il n’existe pas de raison décisive pour elle de ne pas rendre l’avis demandé. La
section III donnera des informations générales et contextuelles concernant la sous-région
mélanésienne. La section IV décrira les nombreuses façons dont les changements climatiques ont
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déjà considérablement porté préjudice aux membres du Groupe Fer de lance mélanésien et à leurs
peuples, en particulier concernant la culture et la tradition, la biodiversité et les communautés rurales
(l’accent étant mis sur les jeunes et les enfants). Ces renseignements donnent du poids à nos
arguments s’agissant à la fois des obligations des États et des conséquences juridiques des
manquements à ces obligations. La section V traitera des éléments distincts qui composent les
questions juridiques auxquelles il est demandé à la Cour de répondre, à savoir la question a) et la
question b). La section VI conclura le présent exposé.
II. LA COMPÉTENCE
22. Le Groupe Fer de lance mélanésien est d’avis que la Cour a compétence pour donner l’avis
consultatif demandé par l’Assemblée générale dans sa résolution 77/276 et qu’il n’y a pas de raison
décisive pour qu’elle refuse de le faire. L’article 65 du Statut de la Cour dispose que « [l]a Cour peut
donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui
aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet
avis ». L’article 96 de la Charte des Nations Unies dispose, pour sa part, que « [l]’Assemblée
générale … peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question
juridique ». Dès lors, la Cour dispose d’une large compétence pour répondre à toute question
juridique qui lui est posée par l’Assemblée générale. Une raison supplémentaire pour elle de ne pas
refuser de donner suite à cette demande est que jamais auparavant l’Assemblée générale n’avait
décidé par consensus de lui soumettre une demande d’avis consultatif, ce qui est révélateur de
l’importance inédite de la question juridique à laquelle la Cour est appelée de répondre et de la
nécessité qui en découle de rendre l’avis demandé.
23. Le Groupe Fer de lance mélanésien avance en outre qu’il n’y a pas de raison décisive pour
la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas donner suite à la demande d’avis consultatif.
Sachant que la Cour a souligné que ce pouvoir (de refuser de donner suite à une demande qui lui a
été dûment présentée) ne devrait être exercé que dans des circonstances exceptionnelles, le Groupe
soutient que la réponse actuellement attendue de la Cour « ne devrait pas être refusée »2.
III. LA MÉLANÉSIE
24. Les membres du Groupe Fer de lance mélanésien se trouvent dans une sous-région du
Pacifique communément appelée « Mélanésie »3, qui est géographiquement plus large que celle
correspondant aux seuls membres du Groupe (ainsi, la région mélanésienne comprend également les
îles du détroit de Torres et la Papouasie occidentale).
25. L’histoire et la diversité de la Mélanésie remontent à loin : elles ont commencé en
Nouvelle-Guinée il y a 40 000 à 50 000 ans, mais la sous-région compte aussi des récits
2 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.
3 La Mélanésie est une sous-région autochtone de l’Océanie, laquelle comprend également les sous-régions de
Polynésie et de Micronésie. Ce sont là des désignations, notamment géographiques, apparues avec les premiers explorateurs
européens, la Mélanésie signifiant les « îles noires », la Polynésie, les « nombreuses îles », et la Micronésie, les « petites
îles ». Ces termes sont employés aujourd’hui comme points de référence pratiques pour désigner des groupes régionaux
mais éludent en même temps les liens entre les sous-régions et la diversité propre à chacune. Même si la majeure partie de
la population de la sous-région s’identifie comme mélanésienne, la Mélanésie compte aussi d’autres peuples océaniens,
tels que les Polynésiens, également autochtones de cette sous-région. Pour des travaux de référence sur la région employant
des termes culturels plus proches de ceux qu’elle-même emploie (et critiquant la taxonomie européenne), voir Damon
Salesa, An Indigenous Ocean: Pacific Essays (Bridget Williams Books, 2023).
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cosmologiques et généalogiques divers et variés des origines des peuples qui reposent sur une
chronologie et une pratique historique totalement différentes.
26. La Mélanésie comprend de vastes zones d’océan. Parmi les écosystèmes les plus précieux
du Pacifique et de la Mélanésie se trouvent les récifs coralliens, que l’on retrouve tout autour des îles
et qui constituent un point central de la vie côtière en Mélanésie. La Papouasie-Nouvelle-Guinée, les
Îles Salomon, les Fidji et la Nouvelle-Calédonie possèdent également des sites coralliens importants
de la Grande Barrière de corail, du Triangle de corail, des lagons de Nouvelle-Calédonie et du récif
de corail des Fidji (également appelé récif de Cakaulevu). Tous ces écosystèmes de récifs sont
reconnus comme étant des régions névralgiques de la biodiversité, ce qui signifie qu’ils contiennent
une richesse exceptionnelle d’espèces, et notamment d’espèces rares et endémiques4. Les lagons de
Nouvelle-Calédonie abritent la plus grande diversité de coraux dans le monde et sont inscrits sur la
liste du patrimoine mondial.
27. L’île de Nouvelle-Guinée, qui comprend la Papouasie-Nouvelle-Guinée, accueille la
troisième forêt tropicale au monde ainsi que 7 à 10 % de la biodiversité terrestre mondiale. La plupart
des espèces en Mélanésie sont endémiques, on ne les trouve nulle part ailleurs sur la planète.
28. La Mélanésie est une région névralgique non seulement pour la biodiversité, mais aussi
pour la diversité culturelle. Elle offre en effet la plus grande diversité linguistique au monde, avec le
nombre impressionnant de 1 500 groupes linguistiques distincts5. La biodiversité et la diversité
linguistique de la région sont étroitement liées.
29. Le Groupe Fer de lance mélanésien était au départ un groupement informel formé par la
Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Îles Salomon et Vanuatu, initié en 1988 par les principes de
coopération convenus entre États indépendants, peu après que ces États eurent achevé leur
décolonisation officielle. Le FLNKS était membre d’origine et les Fidji ont rejoint l’organisation
plus tard, en 19966.
30. Le Groupe Fer de lance mélanésien a été fondé avec le souhait d’exprimer une solidarité
avec les peuples mélanésiens qui continuent de lutter pour leur autodétermination et leur
indépendance, tels que les Kanaks de Nouvelle-Calédonie, qui sont le peuple autochtone de
Nouvelle-Calédonie. De fait, le Groupe est né « d’une vision portée par un désir politique fort de
lutter pour la décolonisation et la liberté de tous les pays et territoires mélanésiens encore sous
administration coloniale dans le Pacifique Sud »7. Dès le départ, son action a été guidée par les
principes d’autodétermination, de solidarité et de bien-être collectif plutôt que d’individualisme, et
4 M.J. Costello, M.M. Vale, W. Kiessling, S. Maharaj, J. Price, and G.H. Talukdar, 2022 : Cross-Chapter Paper 1:
Biodiversity Hotspots. In: Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability. Contribution of Working Group II
to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [H.-O. Pörtner, D.C. Roberts, M. Tignor,
E.S. Poloczanska, K. Mintenbeck, A. Alegría, M. Craig, S. Langsdorf, S. Löschke, V. Möller, A. Okem, B. Rama (eds.)].
Cambridge University Press, Cambridge, UK and New York, NY, USA, pp. 2123-2161, doi:10.1017/9781009325844.018,
p. 2126. See also, Table CCP1.1, p. 2130.
5 Antoinette Schapper, Linguistic Melanesia. Routledge Handbook of Language Contact, 2020.
6 Bien que le Groupe Fer de lance mélanésien soit composé des seuls membres ici cités, les peuples du détroit de
Torres et de Papouasie occidentale sont également d’origine mélanésienne et partagent les mêmes cultures et traditions.
Pour cette raison, sans être membres officiels, les peuples du détroit de Torres et de Papouasie occidentale participent
également aux événements culturels organisés par le Groupe.
7 Melanesian Spearhead Group, “About Us”, accessible à l’adresse suivante : https://msgsec.info/about-us/
(dernière consultation le 7 février 2024).
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notamment la reconnaissance des droits sociaux, culturels, humains et autochtones et du
développement durable. Ces principes continuent de guider le Groupe aujourd’hui.
31. Les principes directeurs du Groupe Fer de lance mélanésien (qui, dans leur version
anglaise, commencent chacun par une lettre du terme « Melanesia » de façon à former un) sont les
suivants :
« Les cultures, traditions et valeurs Mélanésiennes ainsi que celles d’autres
communautés autochtones au sein des trois pays.
Les Échanges et autres liens traditionnels susceptibles de dépasser les frontières
internationales.
Les Liens d’amitié et de coopération avec les Membres de l’Organisation des
Nations Unies et ceux du Forum du Pacifique Sud, tant à titre individuel que collectif.
Les Arrangements qui favorisent des consultations, des échanges et une
coopération réguliers, de haut niveau et de vaste portée entre les [É]tats indépendants
de Mélanésie.
L’indépendance Nationale et l’égalité souveraine, l’intégrité territoriale et le droit
à la non-ingérence dans les affaires internes des États indépendants.
La coopération Économique et technique entre États, ainsi que les échanges entre
individus et groupes ayant des intérêts communs.
La Solidarité et la coopération au service des intérêts nationaux partagés, par
l’intermédiaire, autant que possible, des institutions plus générales de coopération
régionale et internationale et avec l’objectif de renforcer celles-ci.
L’Indépendance en tant que droit inaliénable des pays et peuples sous
administration coloniale.
Le contrôle de l’Armement et le désarmement, ainsi que la volonté de réduire les
tensions internationales, de limiter les rivalités entre grandes puissances, de garantir les
droits de l’homme et d’assurer un règlement pacifique des différends. »8
32. Le Groupe Fer de lance mélanésien a officiellement été créé en tant qu’organisation
intergouvernementale le 23 mars 2007 au Vanuatu, par un accord multilatéral entré en vigueur le
12 mars 2010. L’accord établissant le Groupe Fer de lance mélanésien a été enregistré auprès du
Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies (ONU) le 10 mars 2010. Il est reproduit à l’annexe 1
au présent exposé écrit, avec les instruments de dépôt correspondants.
33. En 2015, l’accord établissant le Groupe Fer de lance mélanésien a fait l’objet d’une
révision. Un exemplaire de l’accord révisé est joint en tant qu’annexe 2 au présent exposé. Le nouvel
article 3 définit le mandat du Groupe Fer de lance mélanésien comme suit :
8 Voir Melanesian Spearhead Group, “Agreed Principlles of Co-operation among Independent States in Melanesia”
(14 March 1988), accessible à l’adresse suivante : https://www.msgsec.info/wp-content/uploads/msghistoricaldocuments/
1988-14-Mar-Agreed-Principles-of-Co-operation-among-Independent-States-in-Melanesia.pdf (dernière consultation le
7 février 2024).
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« Promouvoir, coordonner et renforcer le commerce entre les membres, les
échanges de cultures, traditions et valeurs mélanésiennes, l’égalité souveraine, la
coopération économique et technique entre [É]tats et l’harmonisation des politiques afin
de faire encore progresser les buts communs aux membres du Groupe Fer de lance
mélanésien que sont la croissance économique, le développement durable, la bonne
gouvernance, la paix et la sécurité. »
34. Les obligations juridiques internationales des États face aux changements climatiques et
les conséquences juridiques du manquement à ces obligations revêtent une grande importance pour
les membres du Groupe Fer de lance mélanésien. Non seulement nos membres sont extrêmement
vulnérables, et de manière disproportionnée, face aux effets néfastes des changements climatiques,
mais la crise climatique soulève en outre des questions en lien avec une profonde iniquité, la nécessité
d’une évolution sociétale mondiale vers le bien-être collectif, la solidarité au sein de la communauté
internationale, et le développement durable réel, en d’autres termes, les valeurs et les priorités
fondamentales portées par le Groupe Fer de lance mélanésien.
35. En se centrant ici sur trois domaines prioritaires, à savoir la culture et la tradition, la
biodiversité, et les communautés rurales (en particulier, les jeunes et les enfants), le Groupe Fer de
lance mélanésien entend compléter les exposés écrits présentés par ses membres. Ces domaines
correspondent aux intérêts collectifs des membres du Groupe et ont une incidence directe sur notre
organisation intergouvernementale, comme en témoignent les différents instruments qui sont décrits
ci-après.
36. L’article 5 de l’accord établissant le Groupe Fer de lance mélanésien requiert la
coopération dans la promotion d’un développement durable centrée sur la personne humaine, ainsi
que le respect et la préconisation des droits de l’homme, y compris les droits communaux et les droits
des peuples et communautés autochtones. Il reconnaît que la démocratisation, le développement et
la protection des libertés et des droits humains fondamentaux se renforcent mutuellement et sont
étroitement liés.
37. Conformément aux objectifs généraux énoncés dans l’accord, en 2012 a été adoptée la
déclaration des dirigeants du Groupe Fer de lance mélanésien relative à l’environnement et aux
changements climatiques (« Melanesian Spearhead Group Leaders’ Declaration on Environment and
Climate Change »), par laquelle les dirigeants des membres reconnaissent « l’importance cruciale
d’un environnement sain pour la pérennité des moyens de subsistance de [leur] peuple » et la
nécessité de prendre des mesures pour assurer la gestion et la conservation de leurs écosystèmes et
biodiversités uniques. Ils relèvent que les changements climatiques exacerbent les défis que posent
le développement durable, et qu’ils menacent aussi la « viabilité de certaines de [leurs] communautés
insulaires ». Dans cette déclaration sont également présentées les initiatives que le Groupe se propose
de mettre en oeuvre en faveur de la conservation, de la gestion durable et de la restauration des milieux
et écosystèmes marins et terrestres.
38. En 2023, les dirigeants du Groupe Fer de lance mélanésien ont adopté la déclaration
d’Udaune sur les changements climatiques (« Uduane Declaration on Climate Change by Members
of the Melanesian Spearhead Group »), dans laquelle ils constatent avec préoccupation que le faible
niveau d’ambition mondiale qui ressort actuellement de l’accord de Paris accélère un peu plus la
vulnérabilité du Pacifique et, en particulier, de la sous-région mélanésienne. Ils y réaffirment que les
changements climatiques sont la plus grande menace existentielle à laquelle le Pacifique est exposé
et que la région océanienne dans son ensemble est en état d’urgence climatique. La déclaration
d’Udaune est jointe au présent exposé écrit en tant qu’annexe 3.
- 9 -
39. En reconnaissance de l’importance de la diversité et de la richesse des cultures et traditions
mélanésiennes, les dirigeants du Groupe Fer de lance mélanésien ont signé en 2011 un traité
sous-régional historique, le traité-cadre relatif à la protection des savoirs traditionnels et des
expressions culturelles (ci-après, « le traité-cadre »), qui reconnaît ces savoirs traditionnels et
expressions culturelles et leur accorde des protections juridiques tout en prenant également acte de
leur caractère patrimonial. Ce traité est joint au présent exposé écrit en tant qu’annexe 4.
40. Bien que ledit traité-cadre ne fasse pas partie de l’ensemble des obligations internationales
directement pertinentes pour les questions juridiques posées à la Cour, il est important pour la Cour
de comprendre la notion de savoirs traditionnels ; dans le présent exposé écrit, le Groupe Fer de lance
mélanésien s’efforcera donc de démontrer en quoi les changements climatiques ont entraîné et
favorisé la perte et la détérioration des savoirs traditionnels et des expressions culturelles. Le Groupe
fait valoir en particulier qu’une telle perte n’est pas sans conséquences pour les droits de l’homme à
l’échelle internationale. Le traité-cadre reconnaît et protège les savoirs traditionnels, définis comme :
« [T]out savoir issu d’une communauté locale, autochtone et traditionnelle qui
résulte d’une activité intellectuelle et de la connaissance d’un contexte traditionnel y
compris le savoir-faire, les talents, les créations innovatrices, les pratiques et
l’apprentissage, où la connaissance prend corps dans le style de vie d’une communauté,
ou est contenue dans le système de connaissances codifié transmis de génération en
génération. Le terme ne doit pas être limité à un domaine technique particulier, et peut
inclure la connaissance en agriculture, en environnement ou en médecine, ou toute
connaissance associée aux ressources génétiques. »9
41. Les expressions culturelles désignent « toute manière dont le savoir traditionnel apparaît
ou est manifesté, quel que soit le contenu, la qualité ou le but, tangible ou intangible »10. Elles
comprennent, par exemple, les noms, les contes et récits, les chants, les productions artistiques, l’art
culinaire, la médecine, le travail des coquillages, les tapis, les costumes, ainsi que des formes
musicales et architecturales. La protection s’étend aux connaissances traditionnelles sans forme
matérielle, qui ont été transmises de génération en génération et qui sont d’origine collective et
détenues en commun.
42. Le Groupe Fer de lance mélanésien fait observer que la notion de savoir traditionnels a été
reconnue dans des instruments de droit international de l’environnement tels que le protocole de
Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant
de leur utilisation relatif à la convention sur la diversité biologique de 2010 et l’accord se rapportant
à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation
durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, qui a
été ouvert à la signature le 20 juillet 2023, mais n’est pas encore en vigueur.
IV. LES EFFETS DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
43. Dans la présente section, le Groupe Fer de lance mélanésien présentera de manière détaillée
les effets des changements climatiques sur ses membres et leurs peuples, plus précisément : 1) sur la
culture et les traditions ; 2) sur la biodiversité ; et 3) sur les communautés rurales, et plus
particulièrement sur les jeunes et les enfants.
9 Voir traité-cadre relatif à la protection des savoirs traditionnels et des expressions culturelles (annexe 4), art. 3.1.
10 Ibid. (dernière consultation le 7 février 2024).
- 10 -
44. Des témoignages directs de personnes et de communautés issues de différents territoires
des membres du Groupe Fer de lance mélanésien seront présentés, afin de permettre à la Cour
d’appréhender la profondeur et l’importance des pertes que subissent ces personnes et ces
communautés. Nombre des témoins ici cités ont imploré les avocats et les agents du Groupe Fer de
lance mélanésien de faire entendre leurs voix par la Cour. Ils ont partagé des aspects intimes de leur
culture, de leurs coutumes et de leur vie, y compris en conduisant les avocats et agents du Groupe à
leurs lieux sacrés et secrets. Certains de ces lieux étaient si sacrés que la communauté était consciente
de mettre en péril le bien-être et la destinée de ses membres, tant individuellement que
collectivement, mais a néanmoins jugé indispensable que le Groupe Fer de lance mélanésien
transmette l’importance de leur témoignage et du préjudice qu’ils subissent. Les auteurs du présent
document prient respectueusement la Cour d’accorder un soin et une attention particuliers à la lecture
de la présente section et des annexes auxquelles il est fait référence.
45. Le Groupe Fer de lance mélanésien ne cherche pas, dans la présente section, à prouver des
pertes ou des dommages mais simplement illustrer et de faire comprendre, par ces récits, comment
se manifestent localement les changements climatiques et leurs effets néfastes.
1. Culture et tradition
La culture mélanésienne
46. La sous-région mélanésienne abrite des cultures riches et variées. Si les divers peuples
mélanésiens possèdent leurs propres coutumes, traditions et croyances, uniques et précieux, ils sont
également unis par un pilier culturel fondamental : le caractère indissociable des peuples et de leurs
environnements.
47. Le lien profond entre les peuples mélanésiens et leurs environnements se reflète dans les
quelque 1 500 langues distinctes parlées dans la région. Chacune de ces langues est liée à la
biodiversité unique et précieuse du lieu précis où elle est parlée. Ara Kouwo, le chef du village de
Veraibari situé à l’embouchure du fleuve Kikori en Papouasie-Nouvelle-Guinée, exprime sa relation
avec le lieu où il vit quand il dit qu’il « parle la langue de cette terre »11. Dans de nombreuses langues,
des termes servant à décrire des éléments de la nature sont aussi utilisés pour décrire des éléments
des êtres humains. Par exemple, à Bau (Fidji), dra désigne à la fois le sang humain et la sève d’une
plante12.
48. Pour de nombreuses communautés de la sous-région, leur lieu de vie est leur identité. Le
terme anglais « placeperson » est utilisé pour décrire des communautés en Mélanésie. Il atteste de la
profondeur du lien entre personne et lieu, si bien qu’il est « difficile de distinguer les personnes des
lieux, et inversement »13. Dans de nombreux systèmes de croyances mélanésiens, tous les éléments
de la nature — les humains n’étant que l’un d’eux — sont étroitement liés par le biais du cosmos.
11 Statement of Ara Kouwo, par. 56 (annexe 14).
12 Expert Report of Fabrice Wacalie, par. 19 (annexe 30)
13 Expert Statement of Jamon Halvaksz, par. 8 (annexe 33).
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49. Les cultures mélanésiennes sont plus justement comprises comme étant « bioculturelles » :
« [l]e biologique et le culturel sont indissociables. Ils sont liés l’un à l’autre, se modifient l’un l’autre
et vivent, de préférence, en harmonie »14.
50. Jean-Yves Poedi est membre du Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie, un organe kanak
quasi gouvernemental qui conseille les communautés kanakes sur toutes les questions relatives à
l’identité et à la culture kanake. Les sénateurs sont choisis sur la base de leurs valeurs et de leurs
savoirs traditionnels kanaks. Jean-Yves Poedi explique la relation entre les humains et
l’environnement dans le monde kanak :
« En Occident, ils voient une séparation entre l’homme et l’environnement. Dans
le monde kanak, il n’y a pas de vide. Nous sommes toutes ces choses. Nous sommes
elles. Nous sommes l’un des éléments qui constituent l’environnement. Nous sommes
les requins, nous sommes les arbres, nous sommes les pierres, nous sommes tout cela.
Il n’y a pas de vide, donc si nous perturbons ou faisons souffrir l’environnement, c’est
nous-mêmes que nous faisons souffrir. C’est ainsi. »15
51. Cette relation est similaire pour Sailosi Ramatu, ancien chef de Vunidogoloa (Fidji), qui
explique que, pour son peuple, Vanua, ou la terre16, est tout :
« J’ai été créé de la Vanua et je fais partie de la Vanua. De cette façon, nous
sommes étroitement liés. La Vanua est notre identité, parce que nous sommes inscrits
en elle. Elle est comme notre mère. Elle nous donne tout. Quand on meurt, on ne fait à
nouveau plus qu’un avec la Vanua. Nos ancêtres qui sont décédés font déjà partie de la
Vanua. »17
Le peuple de Vunidogoloa a été forcé de quitter sa terre en 2014, celle-ci étant devenue inhabitable
du fait de l’élévation du niveau de la mer18.
52. Les Gimi des Hautes-Terres orientales de Papouasie-Nouvelle-Guinée inhument leurs
morts sur leurs terres de chasse parce que « ce qui était un humain vivant et ce que l’on appellerait
une “âme” en français retourne dans cette terre et l’imprègne »19. Dans certaines communautés, la
présence ancestrale sur la terre constitue le fondement du droit coutumier à la terre qui, dans tous les
États du Groupe Fer de lance mélanésien, est protégé par la Constitution en tant que « propriété ».
53. Les Biangai de Papouasie-Nouvelle-Guinée désignent couramment leur terre comme « leur
“colonne vertébrale” », c’est-à-dire quelque chose qui est essentiel au fait d’être une personne dans
ce monde »20. Les Biangai emploient également le terme ngaibilak pour désigner leur terre, ce qui se
14 Statement of Francis Hickey, par. 16 (annexe 18).
15 Statement of Jean-Yves Poedi, par. 52 (annexe 9).
16 La terre dans ce contexte désigne non seulement le terrain physique, mais aussi les espèces, les ressources, les
conditions météorologiques et climatiques, et les liens ancestraux et spirituels qui forment le lieu auquel un peuple
appartient.
17 Statement of Sailosi Ramatu, par. 20 (annexe 8).
18 Voir Statement of Sailosi Ramatu, par. 11 (annexe 8).
19 Expert Statement of Paige West, par. 17 (annexe 36).
20 Expert Statement of Jamon Halvaksz, par. 8 (annexe 33).
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traduit par « la terre dont on prend soin » ou « la terre qui prend soin »21. Ce terme atteste de la
relation mutuelle, à savoir la terre prenant soin du peuple et le peuple prenant soin de la terre22.
54. La notion de « prendre soin » inhérente au ngaibilak des Biangai est présente à bien
d’autres endroits en Mélanésie. François Neudjen est le conseiller spécial auprès du Sénat coutumier
de Nouvelle-Calédonie, en raison de sa grande connaissance des savoirs traditionnels. Il explique
que les Kanaks, eux aussi, ont une relation mutuelle de soin avec la terre :
« C’est la terre qui nous façonne tels que nous sommes. Et donc, dans la vie, dans
la pratique, dans notre responsabilité, nous ne sommes que des gardiens de la terre. Nous
n’avons pas vocation à rester. Nous ne faisons que traverser cette vie. Pendant notre vie,
il est de notre responsabilité de prendre soin des terres, qui nous ont donné tout ce que
nous avons et tout ce que nous sommes. »23
55. Les relations individuelles, familiales et communautaires se développent grâce au lien
étroit avec le lieu. Par exemple, Jeanette Bolenga, membre de la tribu Tapi du nord de l’île de
Pentecôte (Vanuatu) parle de l’agamali, qui est « le lieu central du village où tout le monde se réunit.
Il y a un grand sentiment d’amour dans ce lieu. On se réunit et on partage et on mange. »24 Elle
explique qu’il s’agit d’un lieu de soin et de générosité pour tous ceux qui s’y rendent : « Personne
n’a faim sur l’île de Pentecôte et personne ne dort jamais dehors, car chaque village a un agamali et
on y est toujours le bienvenu. C’est ce qui se pratique depuis des siècles sur l’île de Pentecôte. »25
56. Les échanges cérémoniels de récoltes ayant une importance culturelle entre familles et
communautés contribuent au renforcement des liens. Par exemple, Mangau Iokai, l’un des chefs
spirituels du village de Yakel sur l’île de Tanna (Vanuatu), explique la cérémonie du Niel :
« C’est une cérémonie du don. Nous faisons le Niel quand nous avons une récolte
abondante avec beaucoup de surplus. Pendant le Niel, nous faisons don des récoltes qui
nous restent et dont nous n’avons pas besoin à quelqu’un d’autre, parfois à une autre
famille ou un autre village. C’est un moyen important pour nous de maintenir et de
renforcer les relations. Quand la récolte n’est pas bonne, il n’y a pas de Niel. »26
57. Les pratiques collectives centrées sur les ressources naturelles, notamment la pêche
collective27, le tressage et l’artisanat28, mais aussi la danse29, sont également essentielles pour
maintenir la paix, l’unité et la camaraderie.
21 Ibid., par. 8 (annexe 33).
22 Ibid., par. 8.
23 Statement of Francois Neudjen, par. 17 (annexe 11).
24 Statement of Jeanette Bolenga, par. 63 (annexe 19).
25 Statement of Jeanette Bolenga, par. 67 (annexe 19).
26 Statement of Mangau Iokai, par. 51 (annexe 21).
27 Voir, par exemple, Statement of Hilary Fioru, par. 21-29 (annexe 16).
28 Voir, par exemple, Statement of Jeanette Bolenga, par. 6-11 (annexe 19) ; Statement of Faye Mercy, par. 38-45
(annexe 17) ; Statement of Cynthia Rosah Bareagihaka Houniuhi, par. 20-23 (annexe 15).
29 Voir, par exemple, Statement of Mangau Iokai, par. 51-55 (annexe 21) ; Statement of Ara Kouwo, par. 60-62
(annexe 14).
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58. En bref, les communautés mélanésiennes dépendent totalement de la santé et du bien-être
de l’environnement. Comme il sera présenté de manière détaillée ci-après, les changements
climatiques ont eu des effets dévastateurs sur les lieux et les peuples en Mélanésie. L’essence même
de la vie a commencé à se désagréger et, dans de nombreux cas, la perte est permanente et irréparable.
59. Le Groupe Fer de lance mélanésien présente ci-après quelques récits décrivant le préjudice
qu’ont déjà causé les changements climatiques aux cultures et aux traditions mélanésiennes. Ces
exemples sont représentatifs de pertes systématiques plus générales, vécues dans l’ensemble de la
région.
Les effets sur l’alimentation coutumière
60. La culture potagère est au coeur de la vie et de la culture mélanésiennes. De nombreuses
communautés en Mélanésie dépendent de leurs potagers pour se nourrir à la fois sur le plan physique
et spirituel. Les potagers fournissent non seulement des denrées essentielles aux régimes alimentaires
mélanésiens, mais aussi des denrées culturelles qui sont essentielles à tous les cérémonies et rituels
importants.
61. La viabilité des potagers dépend d’un calendrier des saisons stable et prévisible. Toutes les
cultures ont besoin de conditions précises pour pousser et les semailles ont donc lieu à certaines
périodes de l’année en fonction des cycles prévisibles et fiables de la nature30. Traditionnellement,
la Mélanésie connaît des saisons stables. Par exemple, la Nouvelle-Calédonie compte deux saisons :
la saison chaude et la saison froide, avec une période de pluie lors de la transition de l’une à l’autre31.
Cette fiabilité des saisons a permis aux peuples de Mélanésie de cultiver en accord avec la nature et
de produire avec fiabilité des récoltes abondantes.
62. Les changements climatiques ont perturbé le calendrier des saisons. La météorologie est
devenue de plus en plus changeante ces vingt dernières années, mettant en péril la capacité de la
population à faire pousser des denrées alimentaires. Comme l’explique François Neudjen : « [I]l y a
eu un bouleversement. Quelque chose ne va plus. Le cycle des saisons est perturbé. On n’arrive plus
à planter comme on le devrait. »32
63. La pluie arrive quand on ne l’attend pas, même pendant la saison sèche33. Les récoltes se
mettent à pourrir et sont gâchées34. Les fortes pluies provoquent aussi des inondations et des
glissements de terrain qui, en plus de détruire la récolte, rendent les terres arables inutilisables35.
30 Voir, par exemple, Statement of Jeanette Bolenga, par. 79-88 (annexe 19) ; Statement of Francis Hickey,
par. 14-31 (annexe 18).
31 Statement of Francois Neudjen, par. 27 (annexe 11).
32 Statement of Francois Neudjen, par. 28 (annexe 11) ; voir aussi, par exemple, Statement of Yvon Poedi,
par. 20-22 (annexe 9) ; Statement of Alpi Nangia, par. 20 (annexe 23) ; Statement of Sailosi Ramatu, par. 24-28 (annexe 8).
33 Voir, par exemple, Statement of Francis Hickey, par. 36 (annexe 18) ; Statement of Jenny Toata, par. 14
(annexe 24).
34 Voir, par exemple, Statement of Cynthia Rosah Bareagihaka Houniuhi, par. 17-19 (annexe 15).
35 Voir, par exemple, Statement of the Women of Yakel Village, par. 7-8 (annexe 27) ; Statement of the Ouara
Tribe, par. 34-37, 48-52, 59 (annexe 12) ; Expert Statement of Jamon Halvaksz, par. 16-17 (annexe 33).
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64. Même quand la météorologie est normale, soit un temps chaud et sec pendant la saison
sèche et pluvieux pendant la saison humide, elle est devenue extrême. Le soleil tape trop fort, ce qui
fait flétrir les plantes sur pied. Les pluies sont trop importantes et inondent les potagers, faisant
pourrir les plantes36.
65. Viennent s’ajouter à ces dommages des cyclones qui ont gagné en intensité, détruisant les
potagers et leur laissant peu de temps pour se remettre37, et l’élévation du niveau de la mer qui
provoque l’inondation des sols et les rend trop salés pour être cultivés, ce qui se traduit par la perte
des récoltes situées près du littoral38.
66. À Yakel, tous ces effets se sont conjugués pour entraîner d’importantes pénuries
alimentaires, rendant la vie intenable. Yakel est un village kastom, ou coutumier, ce qui signifie que
les habitants ont choisi de rejeter les influences occidentales et de préserver leurs modes de vie
traditionnels.
67. Mangau Iokai, cultivateur de 78 ans originaire de Yakel, explique que les changements
météorologiques sont si extrêmes qu’il ne reconnaît plus le monde dans lequel il vit :
« J’ai vu la météo énormément changer au cours de ma vie. Avant, je connaissais
les tendances météorologiques. Mais maintenant, même si je vis sur ma terre natale, j’ai
l’impression de vivre sur une terre étrangère. C’est bizarre. Je ne reconnais plus mon
lieu. »39
68. En conséquence de ces changements, les habitants de Yakel ont perdu toutes leurs récoltes
d’aliments de base de base, dont la noix de coco, la banane, le taro et l’igname40. Ils ont remarqué
les premiers changements dans les années 1980, mais ont constaté que les choses ont très nettement
empiré depuis le cyclone Pam en 201541. Les femmes de Yakel, qui ont choisi de témoigner à titre
collectif, expliquent que « la météo changeante donne des récoltes plus petites. La pluie est trop
importante et le soleil est trop fort. Ça tue les cultures. Les glissements de terrain et cyclones à
répétition détruisent aussi les récoltes. À cause de ces changements, [il n’y a] pas assez de
nourriture. »42
69. Johnny Loh, cultivateur, observe :
« Tanna a toujours été une île d’abondance. Notre terre est naturellement fertile.
Notre peuple n’a jamais connu la faim. Il y avait toujours à manger dans le potager.
Notre peuple était très autosuffisant s’agissant d’agriculture de subsistance. Nous avions
36 Voir, par exemple, Statement of Johnny Loh, par. 26-32 (annexe 26) ; Statement of Simione Batu, par. 7-11
(annexe 6) ; Statement of the Women of Yakel Village, par. 9 (annexe 27).
37 Voir, par exemple, Statement of Jimmy Namile, par. 24 (annexe 28).
38 Voir, par exemple, Statement of the Ouara Tribe, par. 38-40 (annexe 12) ; Statement of Ara Kouwo, par. 68-74
(annexe 14).
39 Statement of Mangau Iokai, par. 8 (annexe 21).
40 Statement of Johnny Loh, par. 9-22 (annexe 26).
41 Ibid., par. 23.
42 Statement of the Women of Yakel Village, par. 9 (annexe 27).
- 15 -
beaucoup. Mais aujourd’hui, c’est très différent. Les récoltes sont de plus en plus
maigres, et à chaque fois qu’on a une petite récolte, on a de moins en moins à planter. »43
70. Les glissements de terrain ont épuisé la rivière voisine de ses crevettes, poissons et
anguilles, qui étaient jadis des produits de base du régime alimentaire des habitants de Yakel et
constituaient une source importante de protéines. Les glissements de terrain ont aussi détruit les terres
de chasse du village, sur lesquelles les habitants chassaient des poules et des cochons sauvages44.
71. Par le passé, les femmes tenaient leurs potagers près du village. Or, le cyclone Pam en
2015 a provoqué un glissement de terrain qui a rendu les terres arables près du village totalement
inutilisables. Les femmes sont donc obligées de s’éloigner de leur village pour trouver des terres
adaptées à la culture potagère, et il leur faut descendre une montagne, traverser une vallée, puis gravir
le flanc de la montagne de l’autre côté. Le trajet aller-retour prend presque toute la journée45.
72. Le trajet est si long que les femmes ne peuvent rester qu’entre 30 minutes et une heure
dans leur potager46, et il est si épuisant que, parfois, les femmes n’ont même pas l’énergie de le faire,
ce qui réduit encore plus la quantité de nourriture dont disposent leurs familles47.
73. Le village a perdu toutes ses sources primaires de nourriture et n’a pas assez à manger. Les
pénuries alimentaires constantes compromettent la santé des habitants. Les femmes de Yakel
expliquent :
« Les pénuries alimentaires ont des répercussions sur notre santé. Notre espérance
de vie se réduit. Les femmes meurent plus jeunes et n’atteignent plus l’âge auquel elles
sont censées mourir. »48
« Les pénuries pèsent sur la croissance de nos enfants et de nos adultes. Nous
sommes de plus en plus petits. Si nous continuons sans nos aliments de base, nous avons
peur de tomber malades. »49
74. Les pénuries alimentaires empêchent également les habitants du village de se livrer à des
pratiques culturelles essentielles. Ainsi, faute d’avoir grand-chose d’autre à manger, les habitants ont
été forcés de consommer des animaux élevés pour les cérémonies. Les femmes expliquent ainsi ce
qui se passe parce qu’elles ont dû manger des animaux de cérémonie : « [N]ous ne pouvons pas
effectuer nos cérémonies coutumières … [n]ous évitons de les faire quand nous sommes censées les
faire, et à chaque cérémonie que nous manquons, ça s’additionne. »50
43 Statement of Johnny Loh, par. 25 (annexe 26).
44 Statement of the Women of Yakel Village, par. 12-17, 24-26 (annexe 27).
45 Statement of the Women of Yakel Village, par. 7 (annexe 27).
46 Statement of Jenny Toata, par. 25 (annexe 24).
47 Ibid., par. 27.
48 Statement of the Women of Yakel Village, par. 21 (annexe 27).
49 Ibid., par. 15.
50 Ibid., par. 28.
- 16 -
75. Les cérémonies sont un devoir sacré à l’égard du Nakamal, qui est le coeur du village et le
lieu où les habitants peuvent communier avec les esprits. Les femmes, en particulier, ressentent un
profond sentiment de honte et d’échec quand elles ne peuvent effectuer leurs cérémonies51 : « Nous
sommes très déprimées et inquiètes. Certaines femmes de la communauté sont désormais si inquiètes
par rapport à la cérémonie coutumière qu’elles sont censées effectuer qu’elles ont des attaques
cérébrales. »52.
76. Le mode de vie coutumier que le peuple de Yakel a choisi de conserver a résisté aux
pressions de la colonisation, de la chrétienté, de la modernité et de la mondialisation. Or, à présent,
les pénuries alimentaires et autres difficultés causées par les changements climatiques menacent de
faire disparaître ce mode de vie. Les femmes de Yakel expliquent :
« À cause des pénuries alimentaires dues aux changements météorologiques, la
vie devient plus dure. Nos enfants partent ailleurs chercher une autre vie. Ils quittent le
village. En tant que mères, cela nous rend si tristes, car nous voulons qu’ils préservent
notre coutume et notre mode de vie. »53
77. Partout dans la région, la perte des potagers et d’autres sources de nourriture a remplacé
l’abondance par la disette. Ce manque érode les relations existantes et le développement de nouvelles
relations.
78. Jeanette Bolenga, de l’île de Pentecôte (Vanuatu), explique qu’un aspect important de la
culture de sa communauté est de se retrouver à l’agamali pour partager la nourriture. Ces dernières
années, en raison des pénuries alimentaires causées par la perturbation des tendances
météorologiques saisonnières, les habitants n’ont pas assez de nourriture à partager, si bien qu’ils ne
se réunissent plus54.
79. Jeanette a grandi sur l’île de Pentecôte, mais vit désormais dans le centre-ville de Port-Vila.
Elle raconte ce qu’elle a vécu récemment lorsqu’elle s’est rendue dans son village natal :
« [Avant, quand je rendais visite], tout le monde [était] content de me voir, ils
[venaient] tous me dire bonjour, les jeunes et les anciens, tout le monde, et ils
m’offraient des fruits, beaucoup de choses à manger. Mais cette fois, les gens semblaient
un peu hésitants à me parler. Je ne comprenais pas pourquoi. Ils se tenaient à une
certaine distance et ne me saluaient pas chaleureusement. Il y avait quelque chose de
bizarre. Je pense que c’est parce qu’ils n’avaient rien à m’offrir. Ils n’avaient pas assez
de nourriture à partager, ils n’avaient rien à me donner, alors ils avaient honte et
l’impression qu’ils ne pouvaient pas me saluer normalement. La vie a changé. La
pénurie a changé ce que sont les gens … la pénurie de nourriture change le caractère
même de notre peuple. »55
80. De même, la communauté du village de Vunidogoloa (Fidji) a perdu une grande partie de
son dalo (taro), qui est une culture importante, essentielle à la pratique coutumière du don. Le dalo
51 Voir ibid., par. 6-8.
52 Ibid., par. 29.
53 Ibid., par. 35.
54 Statement of Jeanette Bolenga, par. 71 (annexe 19).
55 Ibid., par. 70 et 96.
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est présenté par les hommes aux membres de leur communauté et à leurs chefs en signe de respect,
et il est aussi présenté lors de funérailles et d’autres cérémonies importantes. « Dans le protocole
I-taukei (autochtone des Fidji), il est impossible d’aller voir le chef les mains vides ou de se rendre
à une cérémonie sans rien à présenter. Ça ne se fait pas. »56 Or, l’excès de soleil et de pluie a mis en
péril le dalo au point que la communauté ne peut plus en faire pousser en quantité suffisante pour se
livrer aux dons protocolaires. Il est donc « devenu difficile de maintenir [les] traditions avec le
dalo »57.
81. Les mêmes effets des changements climatiques ⎯ modification des saisons, fortes pluies,
glissements de terrain, cyclones et intrusion d’eau de mer ⎯ entraînent de mauvaises récoltes de
cultures qui sont sacrées. Les habitants ont des relations familiales intimes avec nombre de ces
cultures, qui sont chères à leur coeur.
82. Les cultures coutumières sont essentielles à un grand nombre de cérémonies et de rituels.
Du fait des mauvaises récoltes et de la destruction des potagers, les peuples de toute la Mélanésie ne
peuvent pas effectuer correctement leurs cérémonies coutumières.
83. Par exemple, à Port Resolution, sur l’île de Tanna (Vanuatu), la banane est liée à la création
de la terre. De nombreuses espèces de banane y poussent. Toutes ces variétés sont des ancêtres et
revêtent une grande importance pour les habitants de Port Resolution. Elles sont nécessaires pour les
cérémonies ainsi que pour la médecine traditionnelle. Chacune de ces variétés connaît des difficultés
du fait d’une chaleur de plus en plus extrême, qui empêche le bananier de bien produire des fruits. Il
y a sept ans, plusieurs de ces variétés ont totalement arrêté de pousser. Comme l’explique Werry
Narua, un chef communautaire de Port Resolution, il s’agit d’une « profonde perte spirituelle, car
ces bananes sont … des ancêtres et font partie de l’origine de [son] lieu »58.
Les effets sur l’igname
84. L’igname est la plus importante des espèces coutumières touchées par les effets des
changements climatiques. Pour de nombreux peuples mélanésiens, le calendrier des saisons ⎯ la vie
elle-même ⎯ tourne autour de l’igname.
85. Au Vanuatu, « l’igname est très, très importante », comme l’explique Jeanette Bolenga :
« Nos saisons, notre calendrier et nos vies tournent autour de l’igname. »59 Mangau Iokai renchérit :
« L’igname est l’espèce la plus importante dans notre coutume … de toutes les espèces, l’igname est
la plus importante. Nous considérons que c’est l’espèce reine. De toutes celles que j’ai dans mon
potager, je dois avoir celle-là avant tout. »
86. En Nouvelle-Calédonie :
56 Statement of Sailosi Ramatu, par. 30 (annexe 8).
57 Ibid.
58 Statement of Werry Narua, par. 18, 33 (annexe 29).
59 Statement of Jeanette Bolenga, par. 73 (annexe 19).
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« L’igname est tout. Elle est au centre de nos vies. Elle est sacrée. Elle est ce que
nous sommes … Le cycle de l’igname a toujours été le principe d’organisation de la vie
kanake60.
Nous disons que l’homme est l’igname. L’igname, c’est nous. Nos vies sont
entrelacées. Il y a d’autres espèces qui sont importantes aussi, comme le taro. Elles sont
aussi importantes pour la coutume. Mais l’igname est la coutume. C’est parce que c’est
elle qui est responsable. Elle gère l’année pour nous. »61
87. L’igname fait partie de la vie en Mélanésie depuis que l’homme s’est installé dans la
sous-région. Son origine est ancienne. Différentes communautés en offrent différents récits. Pour
certaines, l’igname se déplace avec l’homme. Au Vanuatu, « [l]’igname est ce que les habitants
mangent depuis qu’ils sont arrivés sur ces îles il y a plus de 3 000 ans. C’est leur produit de base et
ce qui les nourrit. »62
88. Mais l’igname est aussi bien plus que cela. Elle est sacrée. Plusieurs communautés en
Mélanésie ont de magnifiques récits qui placent l’igname au centre de la création63. Les détails
peuvent varier, mais beaucoup croient que l’igname est un cadeau de Dieu, ou des ancêtres, qui a
permis à leurs communautés de survivre et de prospérer depuis le début64. Dans les communautés
qui ont ces croyances, la quasi-totalité des cérémonies et rituels coutumiers exige la présence de
l’igname65.
89. Le calendrier des saisons dans différentes communautés tourne autour de l’igname, parce
que cette espèce nécessite des conditions particulières pour pousser. En effet,
« [l]e caractère prévisible des saisons et la météorologie sont ce qui a toujours permis à
l’igname de bien pousser. L’igname a besoin d’une courte période de pluie pour que la
plante grimpante sorte, et ensuite, de beaucoup de soleil pour s’affermir et pousser
sainement. Comme l’igname dépend de températures, d’une météo, de pluies et de
saisons prévisibles, ceux-ci sont tous des facteurs essentiels de notre culture. »66
90. La perturbation du calendrier des saisons a mis l’igname en péril. Dans toute la Mélanésie,
cette plante lutte pour survivre. Les récoltes sont de plus en plus faibles, et la taille des tubercules
diminue. Dans certains endroits, l’igname a totalement disparu.
60 Statement of the Ouara Tribe, par. 18, 21 (annexe 12).
61 Statement of Francois Neudjen, par. 23 (annexe 11).
62 Statement of Francis Hickey, par. 32 (annexe 18).
63 Voir, par exemple, Statement of Mangau Iokai, par. 16-26 (annexe 21) ; Statement of Jeanette Bolenga,
par. 73-78 (annexe 19).
64 Voir, par exemple, Statement of Jeanette Bolenga, par. 74 (« L’igname est à l’origine un cadeau d’un dieu, un
dieu spirituel. Celui-ci s’appelait Saldam. Il était vivant, mais il a décidé qu’il devait être tué pour devenir quelque chose
pour le peuple. Il a décidé de se sacrifier pour faire quelque chose de bien pour le peuple. ») ; Expert Statement of Jamon
Halvaksz, par. 11 (« Les ignames sont importantes pour le peuple biangai, car elles marquent une relation à la fois avec les
ancêtres historiques qui les auraient créées de leur propre chair et avec les lignées généalogiques actuelles. ») (Annexe 19.)
65 Voir, par exemple, Statement of Johnny Loh, par. 34 (« Chacune des cérémonies exige différentes espèces.
L’igname est l’espèce reine et joue un rôle central dans toutes les cérémonies. ») (Annexe 26) ; Statement of the Ouara
Tribe, par. 20 (« L’igname est nécessaire pour toutes nos cérémonies et elle est au centre de tous nos événements
importants. Par exemple, l’igname est essentielle pour le mariage, et pour le deuil, et pour les décès. ») (Annexe 12.)
66 Statement of Francois Neudjen, par. 27 (annexe 11).
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91. À Yakel, l’igname ne pousse plus depuis quatre ans en raison des changements
météorologiques. Les habitants ont constaté que c’est la « mauvaise pluie », c’est-à-dire une pluie
trop forte et qui tombe au mauvais moment, qui a entraîné sa disparition67. Tous les ans, ils ont planté
l’igname, mais elle n’a pas poussé. Ils ont tout essayé pour faire pousser les plantes ⎯ planter
ailleurs, enrichir le sol, utiliser des bacs surélevés ⎯ mais l’igname refuse de pousser68.
92. Dans de nombreux autres endroits de Mélanésie, l’igname n’a pas encore disparu, mais
elle lutte pour survivre. Les habitants se retrouvent souvent avec des récoltes insuffisantes pour leurs
besoins alimentaires ou les besoins des cérémonies et rituels importants.
93. Par exemple, sur l’île Ouen (Nouvelle-Calédonie), de fortes pluies associées à des
intrusions d’eau salée dues à l’élévation du niveau de la mer ont plusieurs fois inondé les potagers et
détruit l’igname. L’igname n’a pas totalement disparu, mais la totalité de la récolte a été détruite à
de nombreuses reprises. La communauté Ouara a été obligée d’abandonner ses lieux traditionnels de
culture potagère pour planter à plus haute altitude, près de la seule montagne de l’île69.
94. Ce déplacement n’est toutefois pas une solution, car des glissements de terrain ont
commencé à se produire régulièrement en raison des fortes pluies inhabituelles. Certains des potagers
réinstallés ont déjà été détruits par des glissements de terrain70. Les habitants n’ont nulle part où
aller : « Avec l’eau de mer qui vient de la côte et les glissements de terrain qui viennent de la
montagne, l’espace restant pour cultiver son potager diminue. Nous sommes pris en tenaille des deux
côtés. »71
95. À Yakel, la perte de l’igname a fragilisé la gouvernance de la communauté, qui repose sur
ses coutumes et fonctionne par autodétermination. La plus importante cérémonie à Yakel est le
Naukial. C’est une cérémonie de danse qui a lieu tous les quatre à cinq ans. De nombreuses danses
y sont interprétées, dont le toka est la plus importante72. Mangau Iokai explique :
« C’est essentiel pour notre gouvernance. C’est pendant le toka que nous
décidons qui est Ialmalu, c’est-à-dire le plus grand chef de notre village … Pour faire
le toka, nous devons avoir de l’igname. Il n’y a que l’igname qui est utilisée dans le
toka, ça démontre son importance. La préparation du toka prend toute une année.
L’igname joue un rôle essentiel, parce qu’elle est la reine des espèces et que le
toka est la danse qui décide de l’Ialmalu. L’igname nous donne aussi l’énergie de danser
pendant les quatre jours entiers…
Maintenant que l’igname a disparu, le Naukial ne se pratique plus autant. Je ne
suis pas sûr qu’il puisse survivre à l’avenir. »73
67 Statement of Mangau Iokai, par. 33 (annexe 21).
68 Ibid., par. 36-37.
69 Statement of the Ouara Tribe, par. 32-33 (annexe 12).
70 Ibid., par. 59.
71 Ibid., par. 36.
72 Statement of Mangau Iokai, par. 52 (annexe 21).
73 Ibid., par. 53, 54 et 56.
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96. L’igname est essentielle aux cérémonies coutumières de nombreuses communautés. Quand
elles n’ont pas assez d’igname pour les rituels, les communautés procèdent quand même aux
cérémonies, mais sans l’igname, celles-ci sont vidées de leur sens, de leur valeur et de leur but. Les
membres des communautés touchées en ont le coeur brisé :
« Depuis que l’igname a disparu, je continue de faire les cérémonies coutumières,
mais j’utilise une autre espèce, le taro. Ce n’est pas bien. Pour les rituels coutumiers,
c’est très important que j’aie de l’igname. Quand je faisais la cérémonie coutumière
avec l’igname, c’était bien et juste … Mais maintenant, même si je procède quand
même à la cérémonie, je ne trouve pas ça bien dans mon coeur. Les cérémonies ne valent
rien sans l’igname. »74
« Effectuer la cérémonie sans l’igname, ça ne semble pas bien. Ce n’est pas
normal. Nous avons un mot pour décrire le sentiment qu’inspire la célébration d’une
cérémonie sans l’igname, mais il n’existe pas de traduction. La meilleure description
serait de dire que la cérémonie est dévalorisée. Mais ça ne restitue pas vraiment la
profondeur de notre sentiment ou ce que cela veut dire de faire la cérémonie sans
l’igname. »75
« L’igname est une identité nationale. Elle est utilisée dans toutes nos coutumes :
dans les mariages coutumiers, lors des obsèques, des naissances, et pour sélectionner et
nommer les chefs. On ne peut pas concevoir ces cérémonies sans l’igname. On doit
impérativement avoir de l’igname pour ces cérémonies. Autrement, elles n’ont aucun
sens. Elles ne sont pas réelles … Un aspect important de la cérémonie est le discours,
qui décrit notre relation avec l’igname. Quand on utilise un aliment acheté [en
remplacement], ça perd son sens. L’esprit n’est plus là. La relation n’est plus là. On se
sent méprisable. Ce n’est pas bien. »76
La perte de terres et les déplacements forcés
97. Dans toute la Mélanésie, des terres ont été perdues en raison des effets des changements
climatiques, et notamment de l’élévation du niveau de la mer et de l’intensification des catastrophes
naturelles. Des communautés de toute la région ont d’ores et déjà été déplacées de force à cause de
ces effets, et de nombreuses autres voient leurs terres disparaître sous leurs yeux. En Mélanésie, la
culture est liée à la terre, et cette perte de terres représente aussi une perte culturelle incontestable.
Nous proposons ci-après quelques récits qui illustrent les pertes subies par nos peuples.
98. Dans le delta du fleuve Kikori en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le village de Veraibari a
déjà dû se réinstaller quatre fois du fait de l’élévation du niveau de la mer77.
99. Le village se prépare maintenant à se réinstaller pour la cinquième et dernière fois. Ce sera
la dernière parce qu’il n’y a plus nulle part où aller. M. Ara, le chef du village, explique : « La mer
vient jusque dans nos maisons, qui sont bâties sur des fondations faites de grands piquets de bois. Si
74 Ibid., par. 56.
75 Statement of the Women of Yakel Village, par. 34 (annexe 27).
76 Statement of Yvon Kona, par. 33, 39-40 (annexe 10).
77 Statement of Ara Kouwo, par. 9 (annexe 14).
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cette réinstallation échoue, nous n’avons nulle part où aller, car nous reculons déjà dans les terres
marécageuses. »78
100. De l’emplacement actuel, M. Ara voit l’endroit où se tenait auparavant le village. Cet
endroit est désormais totalement submergé79.
101. M. Ara explique que l’intervalle entre chaque réinstallation s’est réduit, parce que le
niveau de la mer augmente de plus en plus vite. La première réinstallation a eu lieu avant sa naissance
(en 1972), la deuxième en 1980, la troisième en 2013, et la quatrième en 2020. Aujourd’hui, à peine
quatre ans plus tard, les habitants du village n’ont d’autre choix que de partir à nouveau80. À chaque
réinstallation, ils ont été obligés d’abandonner leurs logements et de reconstruire de zéro. Comme
l’explique M. Ara : « nous ne pouvons pas suivre le rythme de l’élévation du niveau de la mer. Ça
augmente tellement vite, maintenant. Ces trois dernières années, ça a été rapide. »81
102. Les habitants n’ont d’autre choix que de partir parce que leurs conditions de vie sont
devenues mortifères. Comme le dit M. Ara, « la mer continue de s’approcher et elle met en péril
[leurs] vies et [leurs] habitations »82.
103. Lors des marées hautes mensuelles et des grandes marées, les eaux pénètrent dans le
village et le balayent de rondins et de gros débris : « [a]vec les vagues qui déferlent, les rondins
n’arrêtent pas de frapper les structures en bois qui soutiennent [le]s maisons, ce qui peut les faire
s’effondrer ». Souvent, cela se passe la nuit83.
104. Pour éviter l’effondrement des maisons, les garçons et les hommes du village doivent
sauter dans l’eau et faire de leur mieux pour empêcher physiquement les rondins de frapper les
maisons. Parfois, la situation est si catastrophique que tous les habitants doivent se mettre à l’eau
pour aider. Ils risquent leur vie pour protéger leurs habitations :
« Il y a des crocodiles marins là où nous vivons … Je crains qu’un des enfants,
ou même des adultes, soit attaqué par un crocodile, surtout la nuit lors d’une grande
marée, quand nous sommes dans l’eau à essayer d’empêcher nos maisons de
s’effondrer …
En 2018, un jeune garçon s’est fait prendre par un crocodile sur le rivage, alors
j’ai toujours cette inquiétude à l’esprit lors des marées hautes et des grandes marées. »84
105. Malgré tous les efforts de la communauté, certaines maisons se sont effondrées sous
l’assaut des fortes vagues. Ceux qui perdent ainsi leur logement, récupèrent tout ce qui peut l’être et
essaient de construire une structure temporaire, mais l’élévation du niveau de la mer n’a laissé aux
78 Ibid.
79 Ibid., par. 21.
80 Ibid., par. 25.
81 Ibid., par. 10.
82 Ibid., par. 41.
83 Ibid., par. 42.
84 Ibid., par. 43-44.
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habitants que peu de matériaux de construction, et peu de terres où ériger ces structures temporaires.
Par conséquent, plusieurs familles partagent désormais de petites habitations85.
106. Le village subit également des tempêtes et des vents de plus en plus forts. En 2022, il a
été frappé par un cyclone pour la première fois. Le cyclone a détruit 12 habitations et en a
endommagé 21, et il a détruit un grand nombre des palétuviers que les habitants utilisent pour
construire leurs maisons86.
107. Autrefois, le village comptait sur les eaux souterraines comme source d’eau douce. Or,
la communauté a perdu cette source d’eau en 1995, l’élévation du niveau de la mer ayant rendu les
puits « définitivement salés »87. Désormais, les habitants collectent l’eau de pluie dans des réservoirs
pour la boire et filtrent l’eau de mer pour d’autres usages, comme la cuisson et l’hygiène. Ils sont
régulièrement privés d’eau potable, en particulier pendant la saison sèche88. « Quand il n’y a pas de
pluie, nous allons aussi dans le marais à l’intérieur des terres … nous avons mal au ventre, de la toux
et la diarrhée quand nous buvons cette eau, mais bien souvent, c’est la seule source d’eau. »89
108. L’île comptait autrefois une forêt de cocotiers, et les habitants pouvaient boire l’eau des
noix de coco pour s’hydrater. Mais la plupart des cocotiers ont, eux aussi, été détruits par l’élévation
du niveau de la mer90. Celle-ci a également privé les habitants de nourriture adéquate. Selon M. Ara :
« Avec l’élévation du niveau de la mer, l’eau a détruit la plupart de nos potagers
en 2022. Nos récoltes ne peuvent pas pousser si la terre est gorgée d’eau salée.
Nous avons un problème de sécurité alimentaire. Nous ne pouvons plus avoir de
potagers comme c’était le cas traditionnellement avant. Nous avions même un projet de
sécurité alimentaire avec le Piku Biodiversity Network [une ONG locale] pour essayer
de trouver des solutions de remplacement pour assurer notre sécurité alimentaire, et ça
n’a pas marché. Les grandes marées ont balayé ces autres solutions. »91
109. Ces conditions qui menacent la vie même ne font que s’intensifier. M. Ara craint que la
cinquième réinstallation ne soit elle aussi un échec. Les habitants ne peuvent pas aller plus loin dans
les terres, parce qu’il ne reste plus que des marécages et qu’ils ont atteint la limite de leurs terres
coutumières. Si cette réinstallation échoue, ils n’auront d’autre choix que d’abandonner
complètement leur lieu92.
110. Or, la perspective de quitter le delta du Kikori est inimaginable. D’autres tribus ont migré
dans la région, mais le peuple de Verabairi a été créé à Kikori, c’est de là qu’il vient :
85 Ibid., par. 45-46.
86 Ibid., par. 48.
87 Ibid., par. 28.
88 Ibid., par. 29-34.
89 Ibid., par. 34.
90 Ibid., par. 73.
91 Ibid., par. 68-69.
92 Ibid., par. 75.
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« Nous n’avons pas émigré jusqu’ici … Nous avons nos origines ici, nous avons
été créés ici. Nous sommes d’ici. C’est notre seule terre natale. On ne peut pas partir. »93
« Ma mère m’a donné naissance ici, son sang a été versé sur cette terre, quand
elle m’a fait naître. Mon cordon ombilical a été enterré dans cette terre, et je suis donc
attaché à la terre pour toujours. Je ne peux pas être séparé de la terre et je parle la langue
de cette terre. »94
111. La plupart des liens culturels entre les habitants de Veraibari et leur village ont d’ores et
déjà été rompus. Par exemple, le village disposait de plusieurs lieux secrets et sacrés pour communier
avec les esprits des ancêtres95. Tous ces sites, sauf un, ont été détruits à cause de l’élévation du niveau
de la mer. Les villageois expriment ainsi cette perte : « [n]otre possibilité de communier avec les
esprits [a] disparu. L’esprit collectif dans le village en a aussi souffert. Nous avons perdu nos savoirs
traditionnels et la coutume qui est associée à nos lieux sacrés parce que nous ne pouvons plus nous
y rendre. »96
112. L’un de ces lieux est leur arbre secret, qui se trouvait au centre du village. L’arbre abritait
l’homme esprit. Lors d’une naissance, les oncles amenaient le bébé jusqu’à l’arbre. Ils faisaient une
offrande à l’homme esprit et invoquaient sa présence à la fête. L’homme esprit reliait le bébé à la
communauté et à leur lieu ⎯ la terre et la mer : « [c]ette nuit-là, toute la communauté dans[ait] et
fai[sai]t la fête. Il y [avait] beaucoup de joie, parce que l’homme esprit les a[vait] rejoints et qu’ils
sont liés. »97 Désormais, l’arbre n’est plus là, et cette cérémonie du lien ne peut plus se tenir.
113. Si les habitants sont obligés de partir, leur lien avec la terre, et donc avec leur culture,
sera totalement détruit :
« Si nous sommes obligés d’aller vivre sur les terres des autres, elles ne seront
jamais à nous en raison de la façon dont fonctionne la terre coutumière ici. Ça entraînera
la discorde sociale et le conflit. Nous perdrons nos sources de nourriture et nos terres de
chasse. Qu’adviendra-t-il de nous ? »98
114. M. Ara a entendu parler des changements climatiques pour la première fois en 2020, et il
a commencé à comprendre d’où venaient les pertes subies par son village :
« Après m’être renseigné sur le problème, … j’ai passé un peu de temps à
l’étranger et, dans une ville, j’ai vu dans le ciel la fumée venant des usines … Je me suis
alors rendu compte que nous n’avons pas d’usines à Kikori. Nous sommes innocents.
Nous avons besoin d’aide. »99
93 Ibid., par. 6.
94 Ibid., par. 56.
95 Ibid., par. 58.
96 Ibid., par. 59.
97 Ibid., par. 60.
98 Ibid., par. 77.
99 Ibid., par. 80.
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115. Aux Fidji aussi, certaines communautés ont déjà été déplacées de leurs terres. En 2014,
les habitants du village de Vunidogoloa dans la province de Cakaudrove ont dû abandonner leur terre
natale et se réinstaller à l’intérieur des terres. Leur village est devenu inhabitable en raison
d’inondations de plus en plus fréquentes et violentes, provoquées par l’élévation du niveau de la mer
et par des précipitations de plus en plus fréquentes et abondantes100.
116. Les effets de l’élévation du niveau de la mer ont commencé à se faire sentir dans le village
dès les années 1970, quand l’eau a détruit les potagers, pénétré dans les habitations et balayé la
terre101. Les habitants du village ont tenté par deux fois d’ériger des digues, mais à chaque fois,
celles-ci ont été emportées par la mer toujours plus haute. « [L]es digues n’ont pas pu … protéger »
les villageois102.
117. De plus en plus souvent, à marée haute, l’eau entrait dans les habitations du village.
L’ancien chef du village de Vunidogoloa, Sailosi Ramatu, se rappelle : « la nuit, quand on dormait,
on entendait l’eau entrer dans la maison … Parfois, on quittait totalement notre maison. On escaladait
une colline pour s’y installer jusqu’au matin, quand la mer redescendait, et on rentrait chez nous. »103
118. À partir de 2000, les habitants du village ont commencé à envisager une réinstallation.
La communauté possédait du foncier dans une zone à l’intérieur des terres et pouvait donc se déplacer
assez facilement, mais les discussions se sont éternisées, de nombreuses personnes ne souhaitant pas
quitter leur village. Or, à partir de 2013, les inondations se sont aggravées au point que le village est
devenu inhabitable. « À marée haute, l’eau de mer arrivait jusqu’au milieu du village. La moitié du
village [était] sous l’eau. »104
119. Aux Fidji, comme partout en Mélanésie, la terre et les êtres humains ne font qu’un. Par
conséquent, « [q]uand la terre est détruite et balayée par l’eau de mer qui arrive, c’est comme si on
[les] tuait »105. Sailosi Ramatu était le chef du village Vunidogoloa au moment de la réinstallation.
Le jour du départ a été le plus douloureux de sa vie :
« Quand nous avons quitté l’ancien village, nous avons dû rompre notre lien avec
la terre, et l’environnement, et nos ancêtres. Le jour où nous sommes partis a été un jour
triste pour nous. Ce jour-là, tout le monde était très ému et on entendait certains pleurer.
Je n’avais pas vécu de deuil jusqu’alors, et le jour où nous avons quitté le village est
celui où j’ai ressenti une peine encore plus forte que la perte d’un proche. »106
120. Aujourd’hui, le site de l’ancien village est submergé. « Tout le village a été englouti. »107
Le village était le lieu de sépulture des ancêtres. Quand les habitants se sont réinstallés, ils ont été
obligés de laisser leurs ancêtres derrière eux. L’élévation du niveau de la mer a de fait condamné les
100 Statement of Simione Batu, par. 7-14 (annexe 6).
101 Ibid.
102 Statement of Sailosi Ramatu, par. 15 (annexe 8).
103 Ibid., par. 17.
104 Statement of Penioni Suqovata, par. 5-6 (annexe 5).
105 Statement of Sailosi Ramatu, par. 20 (annexe 8).
106 Ibid., par. 21.
107 Ibid., par. 16.
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tombes108. Le chef actuel, Simione Batu, explique le préjudice subi par la communauté du fait de la
perte du cimetière :
« Le cimetière où nos ancêtres sont enterrés est sacré pour nous, car c’est leur
dernière demeure. L’intrusion d’eau de mer et les inondations … ont encore plus
perturbé notre lien avec nos ancêtres, une perte qui sera difficile à quantifier, car cela
fait partie de notre identité. Auparavant, il y avait des rituels coutumiers qui supposaient
de se rendre sur les tombes, d’allumer des lanternes sur les tombes et d’effectuer des
rituels. Désormais, nous ne pouvons plus effectuer ces rituels. »109
121. Les habitants du village sont un peuple côtier et, à ce titre, leur identité, leurs pratiques
culturelles et leur mode de vie tournent autour de l’océan. Les villageois pleurent cette perte, non
seulement à cause de la culture qu’ils ont dû abandonner, mais parce que « [la] jeune génération
n’aura jamais la possibilité de vivre la vie telle qu’elle était et d’en connaître l’origine »110.
122. La communauté ouara de l’île Ouen (Nouvelle-Calédonie) a également vécu une
réinstallation forcée, mais davantage à cause de la colonisation française que des changements
climatiques :
« Nos ancêtres sont de toute la Nouvelle-Calédonie. Nous avons été évincés de
nos terres par les colonisateurs. D’abord, nous avons été obligés d’aller à Mont-Dore,
qui est un village sur l’île principale près de Nouméa. Puis nous avons été forcés de
venir ici. Pour certains d’entre nous, ce sont nos arrière-grands-parents qui ont été forcés
de déménager, et pour d’autres, ce sont nos grands-parents. Ce n’était pas leur choix. Ils
ont été déplacés. Ils ont été chassés ici par les Français. C’est arrivé il y a longtemps,
plus de 100 ans, à la fin du XIXe siècle.
Nos arrière-grands-parents et grands-parents nous ont dit que nos terres d’avant
étaient bien meilleures. Le sol était meilleur et plus fertile. Et nous avions énormément
de terres à cultiver, à travailler, à occuper. Mais comme nos terres étaient de si bonne
qualité, les Français les voulaient pour eux. Ils nous ont violemment chassés de nos
terres et nous nous sommes retrouvés ici, sur cette île. »111
123. Ceux qui ont été forcés d’aller sur l’île Ouen venaient de toute la Nouvelle-Calédonie et
n’avaient pas de lien entre eux avant la réinstallation forcée. Ce n’est plus le cas : « [m]ême si nos
ancêtres ont été déplacés ici contre leur volonté, cette île, c’est chez nous à présent. Et même si nous
venons de clans et de lieux différents, désormais, nous ne sommes qu’un. Nous sommes la tribu de
Ouara de l’île Ouen. C’est ce que nous sommes. »112
124. Sur l’île, la tribu a établi des relations particulières avec trois animaux : la tortue,
représentée par la seule montagne de l’île, qui en est la gardienne ; la baleine, qui est la gardienne du
108 Statement of Simione Batu, par. 18 (annexe 6).
109 Ibid.
110 Ibid., par. 19.
111 Statement of the Ouara Tribe, par. 9-10 (annexe 12).
112 Ibid., par. 12.
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récif ; et le requin, qui est son totem et protège tous les Kanaks qui vivent le long des eaux
méridionales du pays113.
125. Les Ouara font désormais face à la menace d’une deuxième réinstallation, cette fois en
raison des changements climatiques. Côté océan, la mer gagne sur le village et inonde régulièrement
la seule route de l’île, pénétrant dans les habitations et détruisant les potagers. La communauté a
déplacé des habitations et des potagers à l’intérieur des terres, vers la montagne. Mais des pluies de
plus en plus importantes entraînent des glissements de terrain qui détruisent les habitations et les
potagers ainsi déplacés. La tribu n’a plus d’autre endroit où aller114.
126. Les habitants savent qu’il est de plus en plus difficile de vivre sur l’île Ouen, mais pour
eux, « partir n’est pas une option »115 :
« À cause de la colonisation, nous avons déjà perdu nos terres et nous avons dû
partir. Nous ne voulons pas partir encore une fois. Nous réfléchissons depuis plusieurs
mois et années à comment faire en sorte que la mer ne vienne pas inonder nos potagers.
À ce que nous pouvons faire pour pouvoir continuer à vivre ici …
Nous voulons installer des digues pour empêcher la mer de pénétrer et aussi
effectuer des dragages et des remblais pour protéger l’île. On sait que ça n’empêchera
pas le niveau de la mer de monter, mais ça pourrait nous permettre de rester plus
longtemps. Nous n’avons pas les moyens financiers de le faire seuls, alors nous essayons
de réfléchir à comment faire financer des projets visant à protéger notre communauté et
notre île, ainsi que notre vie ici.
Nous ne voulons pas quitter notre terre. Pas encore une fois. »116
127. La situation est la même pour de nombreux peuples côtiers en Mélanésie. Lentement ou
rapidement, la mer prend leurs terres, leurs potagers, leurs maisons et leurs morts117.
128. Les peuples de l’intérieur sont, eux aussi, contraints de se déplacer, non pas en raison de
l’élévation du niveau de la mer, mais à cause d’événements météorologiques de plus en plus
extrêmes. Par exemple, à l’intérieur des terres en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le peuple biangai vit
sur les versants supérieurs de la vallée de Bulolo. Il est devenu de plus en plus difficile d’y vivre à
cause de la fréquence accrue des épisodes de fortes pluies, de glissements de terrain et de
sécheresse118.
129. Ainsi, pendant le phénomène « El Niño » de 2015-2016, les Biangai ont vécu une
sécheresse, qui a entraîné une pénurie alimentaire extrême, des feux d’herbes et de forêts et des
pénuries d’eau. La sécheresse a également tué la végétation, dont le rôle est essentiel au maintien de
la stabilité des sols des versants. Elle a été suivie par une période de très fortes pluies. Les pluies
113 Ibid., par. 13-17.
114 Ibid., par. 28-36.
115 Ibid., par. 50.
116 Ibid., par. 51 et 53-54.
117 Voir, par exemple, Statement of Hilary Fioru, par. 59-66 (annexe 16) ; Statement of Francois Neudjen,
par. 51-56 (annexe 11).
118 Expert Statement of Jamon Halvaksz, par. 13-16 (annexe 33).
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« étaient si fortes qu’elles ont balayé des potagers où poussaient le café et l’igname et les ont
complètement dévastés »119. Les effets des fortes pluies ont été exacerbés par des infrastructures
minières à proximité, dont les réseaux d’évacuation « faisaient redescendre toutes les nouvelles
pluies et fortes pluies vers ces potagers. En conséquence, les potagers ont été totalement envahis de
boue et de sédiments, ils ne sont plus viables et ils meurent. »120
130. Pour les Biangai, la terre est « essentielle au fait d’être une personne dans ce monde »121.
Le lien est si fort qu’il est « difficile de distinguer les personnes des lieux, et inversement, au regard
de ce que cela signifie pour les Biangai »122.
131. Les Biangai sont liés à leur communauté et à leurs ancêtres par la terre. Les empreintes
que les personnes laissent sur la terre l’emplissent de leur présence et créent des liens profonds avec
les autres membres de la communauté, passés et présents. Les Biangai emploient le terme han mak
(marque de la main) pour expliquer cette présence123.
132. L’un des sites importants du han mak est le potager où on cultive l’igname. Pour les
Biangai, « les ignames sont des membres de la famille »124. Elles sont créées à partir de la chair
d’ancêtres historiques et font partie de la généalogie actuelle du peuple. Les Biangai plantent leurs
ignames dans les mêmes potagers que leurs ancêtres, « renforçant ce lien entre ignames d’aujourd’hui
et d’hier et maraîchers présents et passés. Perdre un potager, c’est perdre cet historique de
relations »125.
133. La météorologie violente que subissent les Biangai a réduit à néant les potagers, les
rendant méconnaissables. Les potagers ont été décimés au point qu’il n’est plus viable d’y planter
quoi que ce soit. La perte des potagers a rompu les liens entre les gens et leurs terres. Certains
cultivateurs en ont été tellement affectés qu’ils ont quitté le village pour s’installer avec des membres
de leur famille dans d’autres communautés126.
134. Dans son témoignage, l’expert Jamon Halvaksz raconte les histoires de deux hommes
actifs et en bonne santé qui sont partis après la destruction des potagers. L’un d’entre eux, Yalamu,
a expliqué : « Ça ne sert plus à rien que je reste ici. Je n’ai rien à faire et je n’y trouve pas de
plaisir. »127 Alors qu’il était par ailleurs en bonne santé, il est mort un an après. Son décès était
prématuré par rapport à la norme en Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’autre homme, lui aussi, est mort
peu après avoir abandonné son potager128.
119 Ibid., par. 17.
120 Ibid., par. 18.
121 Ibid., par. 8.
122 Ibid.
123 Ibid., par. 9.
124 Ibid., par. 11.
125 Ibid., par. 10.
126 Ibid., par. 17, 19 et 24.
127 Ibid., par. 21.
128 Ibid., par. 23.
- 28 -
La destruction de mondes
135. Comme en attestent les récits ci-dessus, les changements climatiques ont fait se
désagréger l’essence même de la vie dans toute la Mélanésie. De fait, les changements climatiques
détruisent des systèmes de croyances entiers, des modes de vie entiers et des mondes entiers.
136. En Nouvelle-Calédonie, c’est toute la cosmologie des Kanaks qui a été détruite. François
Neudjen, conseiller spécial auprès du Sénat coutumier de Nouvelle-Calédonie, explique ce qui suit :
« [Le] monde kanak est constitué de trois royaumes : le végétal, l’animal et le
minéral. Ensemble, ces trois royaumes nous complètent et forment notre existence …
[L]e royaume minéral concerne le cosmos … Selon nous, le minéral est
synonyme de pouvoir. Il y a du pouvoir dans les pierres. Par exemple, une pierre en
particulier a le pouvoir de faire venir la pluie, une autre a le pouvoir de veiller à ce que
les plantes poussent.
Ces pierres puissantes ne peuvent pas être utilisées par n’importe qui. Un clan
bien précis a la relation qui lui permet d’invoquer une pierre de pouvoir donnée. Un clan
est en relation avec la pierre qui permet de faire venir la pluie, par exemple, et un autre
avec la pierre qui a le pouvoir d’aider les plantes à pousser. Donc, pour être clair, étant
donné que chaque clan a un pouvoir précis, ces clans ont aussi un rôle à jouer et une
responsabilité au niveau de la société, du clan, du groupe dont il fait partie et auquel il
appartient. »129
137. Auparavant, il était possible d’invoquer le pouvoir des pierres et d’en voir les résultats.
« Ce qui était si puissant, c’est qu’alors que nos grands-parents ne connaissaient
pas du tout la science, ils connaissaient le pouvoir du cosmos. Ils le recevaient
directement. Ils pouvaient le ressentir. Ils pouvaient le voir. Ils pouvaient le sentir. Ils
savaient comment lire l’harmonie de la nature et comprendre leur monde. »130
« Mais le pouvoir des pierres ne fonctionne plus à présent. On ne peut plus faire
venir la pluie ou s’assurer que les plantes pousseront. Il y a eu une perte. Nous avons
perdu une grande partie du cosmos. La connexion a disparu. Nous sommes déconnectés.
Ce n’est pas harmonieux. »131
138. François Neudjen explique que ses aïeux avaient prédit cet effondrement au vu de
l’industrialisation qu’ils observaient :
« [N]os grands-pères voyaient aussi que les choses changeraient à cause de
l’industrie. Et aujourd’hui, les choses ont tellement changé. La météo est imprévisible,
les pluies ne viennent pas, les saisons sont perturbées. Nous n’arrivons plus à
comprendre notre monde ni à nous connecter au cosmos. Nous déplorons cette perte,
mais nos grands-pères savaient que cela arriverait. »132
129 Statement of Francois Neudjen, par. 18, 34-35 (annexe 11).
130 Ibid., par. 38.
131 Ibid., par. 37.
132 Ibid., par. 39.
- 29 -
139. Les changements climatiques ont également privé le peuple de Yakel de ses ancêtres et
du cosmos. Mangau Iokai n’est pas seulement cultivateur d’igname, il est aussi le tupunis pour
l’igname. Sur l’île de Tanna (Vanuatu), les tupunis sont des personnes à part, qui ont « une relation
particulière avec une culture, une espèce ou un élément donnés, et qui en ont une connaissance sacrée.
Par exemple, [il y a] un tupunis pour le taro, un tupunis pour le kava, et un tupunis pour le temps
qu’il fait. »133
140. Mangau est tupunis pour l’igname en raison de sa lignée : « Mon premier ancêtre était
l’esprit de l’igname. Il est apparu sous la forme d’un être humain à Yakel et ma famille est ici depuis
lors, à s’occuper de la culture de l’igname. »134 « L’esprit de l’igname traverse mes ancêtres, ma
famille et moi. »135
141. En tant que tupunis, Mangau est le gardien de pierres sacrées. Les pierres et les savoirs
nécessaires pour les utiliser ont été transmis à ses ancêtres par leur dieu le plus important,
Kalbapeng136. Il explique :
« En tant que tupunis, je suis chargé de m’assurer que nous avons une bonne
récolte d’igname. J’utilise des pierres sacrées pour communier avec les esprits, et leur
demander de veiller sur la récolte et de faire en sorte que ma communauté ait
suffisamment à manger.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Maintenant que l’igname a disparu, j’ai le coeur brisé. Mon lien avec l’esprit de
l’igname est rompu. Avant, par l’intermédiaire de ma famille et de mes ancêtres, j’ai pu
apprendre à invoquer l’esprit quand j’en avais besoin. Mais à présent, je n’ai plus rien
sur quoi m’appuyer. C’est comme un vide. Comme l’esprit n’est plus là, je me sens
vide. J’erre comme une coquille vide. J’ai l’impression d’avoir failli au devoir qui a été
transmis par mes ancêtres à mes grands-pères, puis à moi. »137
142. Le pouvoir cosmologique d’autres tupunis a également été rompu. Par exemple, il existe
aussi un tupunis pour la météorologie qui, auparavant, pouvait invoquer les pierres pour « empêcher
les cyclones de nous toucher, mais ça ne marche plus … les rituels ne fonctionnent plus. Le pouvoir
est brisé. »138
143. Les changements climatiques modifient également certains paysages sacrés. Ainsi, pour
les Kanaks, les montagnes sont sacrées. Elles renferment des remèdes, des totems, et un pouvoir
sacré. Elles sont aussi le lieu de sépulture des morts. Yvon Kona, membre du Sénat coutumier de
Nouvelle-Calédonie et résident de Canala, explique :
« Les esprits du peuple près de la mer s’en vont reposer sur les monts sousmarins,
et les esprits du peuple de l’intérieur vont sur les montagnes. Pour nous, peuple
de l’intérieur, les montagnes sont notre cimetière, notre dernière demeure. Mais elles
133 Statement of Mangau Iokai, par. 26 (annexe 21).
134 Ibid., par. 29.
135 Ibid., par. 28.
136 Ibid., par. 30-31.
137 Ibid., par. 30 et 43.
138 Ibid., par. 63.
- 30 -
sont connectées aux monts sous-marins. Tout est lié. Les monts sous-marins sont liés
aux montagnes, et nos esprits sont donc aussi connectés.
Les esprits dans les montagnes ont un chemin pour aller aux monts sous-marins,
c’est un moyen pour eux d’aller dans l’océan. Ils sautent depuis des sites précis, bien
connus, dans les montagnes. Nous avons des noms locaux pour ces lieux sacrés. Depuis
ces endroits, les esprits peuvent plonger dans les profondeurs de l’océan et atteindre la
terre sous-marine, le cimetière. Donc, les esprits de tous les Kanaks, à l’intérieur des
terres comme de la mer, sont connectés. »139
144. Les montagnes ont déjà été abîmées par l’exploitation minière et forestière française, qui
les ont dépouillées, les rendant vulnérables. Désormais, en raison de fortes pluies liées au climat, ces
montagnes sacrées s’effondrent140.
145. Les cosmologies, les croyances et les modes de vie de la Mélanésie ont déjà été
endommagés de manière irréparable par les effets des changements climatiques.
2. Biodiversité
146. La Mélanésie est l’une des régions du monde les plus riches en biodiversité141. Toute la
région est un point chaud de la biodiversité. La Papouasie-Nouvelle-Guinée, en particulier, abrite la
troisième forêt tropicale au monde, ainsi que 7 à 10 % de la biodiversité mondiale. Elle comporte
également de nombreux habitats distincts, dont des glaciers montagneux, des forêts tropicales
humides, des zones humides marécageuses et des récifs coralliens.
147. Les zones maritimes des membres du Groupe Fer de lance mélanésien sont parmi les plus
riches en biodiversité au monde142. Les Îles Salomon et la Papouasie-Nouvelle-Guinée font partie du
Triangle de corail, qui est « le centre de la biodiversité de la vie marine dans le monde »143. Le récif
corallien de Nouvelle-Calédonie compte parmi les trois plus grands du monde et a la plus grande
diversité de coraux de tous les récifs de la planète. En 2008, les récifs de Nouvelle-Calédonie ont été
inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, en reconnaissance de cette richesse inégalée
de biodiversité144.
148. La culture mélanésienne s’est développée grâce à la biodiversité de la sous-région et reste
profondément connectée à celle-ci. La biodiversité est sacrée, et de nombreuses communautés
mélanésiennes s’en considèrent comme les gardiennes, ayant pour devoir de protéger ces espèces
non seulement pour elles-mêmes, mais aussi pour les générations futures et l’humanité dans son
ensemble.
139 Statement of Yvon Kona, par. 26-27 (annexe 10).
140 Ibid., par. 28.
141 The Pacific Community (SPC), Expert Report for the Melanesian Spearhead Group from the Pacific
Community’s Geoscience, Energy and Maritime Division, Fisheries, Aquaculture and Marine Ecosystems Division, Land
Resources Division, and Human Rights and Social Development Division, p. 5 [ci-après « SPC Report »] (annexe 37).
142 SPC Report, p. 5 (annexe 37).
143 Ibid.
144 UNESCO, décision 32 COM 8B.10, « Examen des propositions d’inscription de biens naturels, mixtes et
culturels sur la liste du Patrimoine mondial ⎯ Lagons de Nouvelle-Calédonie (France) ».
- 31 -
149. La biodiversité de la région est aussi essentielle à la culture et au bien-être des peuples
mélanésiens. Pour de nombreuses communautés, la biodiversité est la source de tout ce qui est
nécessaire à la vie, notamment manger, se soigner et se loger. De nombreuses plantes indigènes sont
également au coeur de la culture et ont des usages spirituels et culturels particuliers, dans les
cérémonies, les rituels et la magie.
150. Comme il sera exposé plus en détail ci-après, les changements climatiques nuisent à la
biodiversité dans la région, ce qui a des conséquences profondes et déchirantes pour les peuples
mélanésiens.
Les effets sur la biodiversité terrestre
151. Les changements climatiques ont détruit la biodiversité terrestre dans l’ensemble de la
sous-région mélanésienne, bouleversant profondément les communautés qui en dépendent. Dans
cette section seront présentés des récits portant sur des pertes déjà vécues et sur le préjudice que
ressentent déjà de ce fait les peuples mélanésiens. Ces récits sont représentatifs de pertes
systématiques plus générales qui ont eu lieu dans l’ensemble de la sous-région.
152. Les effets du climat détruisent et dégradent des écosystèmes entiers en Mélanésie. En
Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’un des écosystèmes ayant la plus grande biodiversité est le bassin
fluvial du Kikori. Ce site abrite un nombre impressionnant d’espèces, dont 41 espèces de requins et
de raies, dont beaucoup sont en danger critique d’extinction. Le delta accueille aussi 33 des
34 espèces de palétuviers qui existent dans le monde.
153. Les grands écosystèmes de mangroves du delta constituaient traditionnellement un habitat
important pour de nombreuses espèces, dont la tortue à nez de cochon, espèce en danger. Ils
protégeaient également les villages situés le long des rives du fleuve Kikori, en leur permettant de
résister aux tempêtes et aux crues.
154. Les écosystèmes de mangroves se meurent du fait de l’intrusion d’eau de mer et des
dommages de plus en plus lourds causés par les tempêtes. Yolarnie Ampou, biologiste de
Papouasie-Nouvelle-Guinée et fondatrice du Piku Biodiversity Network, oeuvre depuis 2012 à la
conservation du delta du Kikori, où elle vit six mois par an. Chaque année depuis 2012, elle a vu
disparaître de plus en plus de palétuviers145.
155. La disparition des mangroves s’est intensifiée au point que les villages situés sur les bords
du delta se retrouvent « très peu protégés » des tempêtes de plus en plus violentes146. Par conséquent,
explique Yolarnie,
« après chaque saison de tempêtes, certains villages ont cessé d’exister comme c’était
le cas avant. Les habitants n’ont pas pu rester dans leurs villages et ils ont donc quitté
leurs maisons pour s’installer dans l’intérieur des terres, dans la ville de Kikori, où ils
se sont pour la plupart mis à vivre dans des camps de squatteurs … de plus en plus de
villages entiers [sont] en train d’être abandonnés. »147
145 Expert Statement of Yolarnie Amepou, par. 78 (annexe 35).
146 Ibid., par. 83.
147 Ibid., par. 85.
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Elle précise :
« [q]uand des habitants sont forcés d’abandonner leurs villages, ils disent souvent “la
mer a pris notre village”. C’est une phrase courante pour de nombreux villages des îles
du delta du Kikori. Et ce que l’on comprend, c’est que la mer empiète, qu’elle a atteint
les sources d’eau douce, qu’elle a détruit les maisons, tout cela. Et que c’est pour ces
raisons qu’ils sont partis. »148
156. Dans l’ensemble de la sous-région mélanésienne, l’évolution des conditions
météorologiques a également entraîné une perte de biodiversité essentielle à des pratiques culturelles
importantes. Par exemple, les plantes utilisées en médecine traditionnelle disparaissent du fait des
changements météorologiques, ce qui compromet la santé des communautés mélanésiennes, et les
empêche aussi de pratiquer leurs cultures.
157. À Yakel, les habitants ont besoin de certaines herbes pour se soigner. Naus Iaho, une
guérisseuse du village, est chargée de fabriquer un remède pour aider les femmes à tomber enceintes.
158. Auparavant, les herbes étaient abondantes, et Naus n’avait aucun mal à préparer le
remède. Mais à présent, les herbes ont pour la plupart disparu. Elle constate que « [a]vant … [il y
avait] de la bonne pluie et les herbes médicinales poussaient bien »149. Mais désormais, la « mauvaise
pluie » qui est trop forte arrive et « fait mourir les plantes »150. Elle a constaté que les mauvaises
pluies ont commencé à nuire aux herbes aux alentours du passage du cyclone Uma en 1987, et que
la situation a largement empiré depuis le cyclone Pam en 2015151.
159. La disparition des herbes a rendu la préparation des remèdes difficile et, parfois,
impossible. Il s’agit à la fois d’une perte profonde sur le plan culturel, mais aussi d’une rupture du
devoir sacré qui incombe à Naus en tant que guérisseuse. Elle explique :
« On me demande de préparer le remède à chaque fois qu’une femme veut avoir
un bébé. Elles me demandent à chaque fois, parce que le remède a une si grande
importance … Avant, j’arrivais toujours à le faire. Mais maintenant, quand je n’arrive
pas à trouver les herbes, parfois quand elles viennent me voir, je ne peux pas préparer
le remède … Fabriquer le remède est mon devoir sacré. C’est quelque chose que je dois
impérativement faire … Je dois chercher la plante partout pour que la femme tombe
enceinte grâce à moi. Quand je ne peux pas le faire, pour moi, c’est un échec. »152
160. Une autre guérisseuse du village, Sera Nawahta, prépare des remèdes « essentiels » pour
soulager la fièvre, les douleurs articulaires et les maux de tête153. Les mêmes fortes pluies qui ont tué
les plantes dont Naus a besoin ont entraîné la disparition des herbes que Sera utilise154. Sera craint
148 Ibid., par. 89.
149 Statement of Naus Iaho, par. 10 (annexe 22).
150 Ibid.
151 Ibid., par. 11.
152 Ibid., par. 7, 12 et 13.
153 Statement of Sera Nawahta, par. 2, 10 (annexe 25).
154 Ibid., par. 4-6.
- 33 -
pour le bien-être de la communauté, car « sans les plantes pour préparer les remèdes, [elle] ne peu[t]
pas répondre aux besoins médicaux des membres de [s]a communauté »155.
161. Sera veut transmettre à sa fille les connaissances nécessaires pour préparer les remèdes,
mais avec la disparition des plantes elle craint que cela soit en vain :
« Je comptais enseigner à ma fille les remèdes mais compte tenu de la météo, je
ne sais pas si je vais le faire. Je voudrais que ma fille apprenne ces remèdes pour pouvoir
rendre service aux membres de la communauté en leur sauvant la vie quand ils sont
malades. Si le[s] plante[s] ne pousse[nt] plus, elle risque de ne pas trouver les espèces
nécessaires pour pratiquer la médecine. »156
162. À Lilisiana (Îles Salomon), les plantes utilisées en médecine traditionnelle disparaissent
également, cette fois à cause de l’élévation du niveau de la mer. Une certaine herbe qui soigne la
toux ne peut être plantée qu’au bord de la mer. Hilary Fioru est un habitant du village qui pratique la
médecine traditionnelle. Il a constaté que, ces dix dernières années, les ondes de tempête ont détruit
ces plantes et que les inondations d’eau de mer ont rendu le sol trop salé pour qu’elles y poussent.
La communauté a tenté de planter l’herbe plus à l’intérieur des terres, mais les conditions ne sont pas
bonnes et les plants déplacés sont tous morts157. Comme l’explique Hilary :
« À cause de cette situation, notre peuple a perdu ces herbes médicinales, et nous
n’y avons plus accès pour le soigner … C’est une grande perte de la connaissance
traditionnelle des remèdes à base d’herbes. Désormais, nous devons acheter des
médicaments hospitaliers pour nous soigner et ça coûte aussi très cher d’acheter des
médicaments au dispensaire. »158
163. Ces récits ne sont que quelques exemples de la façon dont les changements climatiques
dégradent la biodiversité et, en conséquence, mettent en péril des aspects fondamentaux de la vie
pour les peuples mélanésiens.
Les effets sur la biodiversité marine
164. Les milieux marins et les récifs coralliens de Mélanésie ont été irrémédiablement
endommagés par les effets des changements climatiques, notamment par l’acidification des océans,
l’élévation de la température de surface des océans et l’accroissement de la sédimentation par suite
des tempêtes et de l’érosion côtière. Ces effets et d’autres conséquences des changements climatiques
ont mis en péril la biodiversité de la région, entraînant le déclin et l’extinction d’espèces précieuses
qui font partie intégrante de la culture mélanésienne.
165. En Nouvelle-Calédonie, par exemple, des communautés ont constaté que certaines
espèces de crustacés et de poissons avaient totalement disparu. Jean-Yves Poedi est membre du Sénat
coutumier. Il possède une expertise particulière de l’environnement océanique et, de ce fait, occupe
aussi une fonction spéciale au Sénat en tant que référent pour la mer. Il apporte ainsi des
connaissances, une expertise et des conseils utiles aux activités et aux décisions du Sénat coutumier
155 Ibid., par. 10.
156 Ibid., par. 8.
157 Statement of Hilary Fioru, par. 67-69 (annexe 16).
158 Ibid., par. 70.
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concernant la mer. Jean-Yves a constaté que certaines espèces avaient totalement disparu de
l’environnement ces deux dernières années. Il explique que ces espèces souffraient déjà de la
pollution due à l’exploitation minière du nickel par la France et n’ont pas réussi à supporter la
contrainte supplémentaire que constitue la hausse des températures des océans159.
166. Ces espèces jouaient un rôle important sur le plan écologique. Par exemple, un crustacé
bien précis, qui n’a pas d’autre nom que l’appellation autochtone que lui donne la population locale
et qui est transmise oralement, nettoyait le sable, notamment les détritus laissés par l’exploitation
minière du nickel sur la plage. Désormais, le crustacé ayant disparu, la pollution s’installe160. De
même, on ne voit plus un serpent de mer particulier qui jouait un rôle important pour maintenir la
propreté du récif161.
167. Au-delà de leur rôle écologique, ces espèces font partie intégrante de la généalogie des
communautés kanakes. Jean-Yves explique :
« Réciter la généalogie est au coeur de la vie kanake. Nous récitons la généalogie
aux trois moments les plus importants de la vie [kanake] : la naissance, le mariage
coutumier et la mort. Nous récitons la généalogie d’une personne en remontant sur
plusieurs générations, en incluant les liens avec les ancêtres et les différents clans par le
mariage. Et quand nous le faisons, nous parlons aussi des environnements dans lesquels
vivaient nos aïeux, et notamment de chacune des espèces de l’environnement, parce que
cela fait partie de leur identité et de notre identité. Ces espèces sont aussi notre famille
et nos ancêtres … Maintenant que les espèces ont disparu, il manque un maillon dans la
généalogie. La généalogie est incomplète. Une partie de notre identité a disparu. »162
168. Jean-Yves explique que cela va plus loin que l’importance généalogique de ces espèces :
« [l]a biodiversité qui nous entoure crée notre monde et aussi notre façon de comprendre le monde.
Maintenant que ces espèces ont disparu, on ne parle plus d’elles, et nous perdons ces connaissances.
Nous perdons une partie de notre monde, notre vision kanake. »163
169. En Nouvelle-Calédonie, cette perte est particulièrement dévastatrice en raison du statut
non autonome des peuples kanaks. Jean-Yves poursuit son explication :
« Notre culture a déjà été lourdement endommagée par le colonialisme français.
Nous travaillons d’arrache-pied pour redynamiser la culture et construire un panier de
culture kanake et de vision kanake à rapporter au pays. Mais, dans le même temps, nous
perdons des éléments revêtant une importance culturelle, comme ces poissons et ces
crustacés. Il est donc difficile de remplir le panier et de porter notre culture vers
l’avant … La culture tout entière risque de s’effondrer et de disparaître du fait de la
perte de ces espèces. »164
159 Statement of Jean-Yves Poedi, par. 15 (annexe 9).
160 Ibid., par. 17.
161 Ibid., par. 18.
162 Ibid., par. 21 et 23.
163 Ibid., par. 26.
164 Ibid., par. 27-28.
- 35 -
170. Partout en Mélanésie, les récifs coralliens blanchissent et meurent à cause des
changements climatiques. Werry Narua, qui vit à Port Resolution, sur l’île de Tanna (Vanuatu),
habite et pêche sur le récif depuis son enfance. Il se souvient avoir vu les récifs « près du rivage » et
constaté que « les coraux [étaient] colorés et vivants. Il y avait des coraux de différentes formes et
beaucoup de poissons. » Mais aujourd’hui, Werry constate que les coraux sont « gravement
endommagés, mais surtout morts pour la plupart »165.
171. Werry observe la terre et la mer depuis qu’il est enfant et détient des connaissances
coutumières sur les liens qui les unissent. En s’appuyant sur ses connaissances intimes de
l’environnement, il a observé que la mort des coraux était causée par les « cyclones, le soleil et le
ruissellement des sols dû aux glissements de terrain, qui sont devenus plus fréquents ces dernières
années »166. En outre, en raison des cyclones intenses qu’a subi plus fréquemment sa communauté
ces dernières années, « les coraux n’ont jamais le temps de se remettre » et « le récif ne revient pas.
Il disparaît lentement. Il est en train de mourir. »167 En conséquence, la population de poissons et de
crustacés sur le récif a fortement baissé, et notamment les troches et les poissons-perroquets, qui
étaient une source importante de nourriture pour les habitants168.
172. Hilary Fioru, pêcheur des Îles Salomon, a lui aussi observé le déclin des écosystèmes
récifaux depuis son enfance. Voici ce qu’il dit de son village : « traditionnellement, notre peuple
compte sur la pêche pour sa nourriture quotidienne : nous pêchons pour nourrir nos familles et aussi
pour gagner notre vie en vendant le poisson sur le marché local »169.
173. Dans le village de Hilary, l’une des pratiques culturelles importantes est la pêche
collective, qui se déroulait dans un lieu de pêche traditionnel, appelé e’re. Celui-ci était situé « juste
devant le village et à l’intérieur de la mangrove. Cette zone fertile, marécageuse, était remplie de
créatures marines et toute la communauté pouvait y pêcher. »170
174. La pêche collective réunissait tout le village et était un moyen de nouer des relations et
de les renforcer. Hilary décrit ainsi la pratique de la pêche collective :
« La pratique de la pêche collective avait lieu dans le e’re et se déroulait ainsi [:]
tous les hommes se réunissaient debout en cercle autour du e’re, à tenir des filets de
pêche en coco, tressés par nos femmes, pour attraper les poissons. Une fois que les
hommes avaient coincé tous les poissons à un endroit, ceux qui étaient armés de harpons
harponnaient les poissons.
Après la capture, la pratique usuelle est d’offrir d’abord certains poissons en
sacrifice aux ancêtres, avant de partager le reste avec tout le village. Le sacrifice aux
ancêtres est fait pour remercier les ancêtres d’avoir béni leur capture de poissons. »171
165 Statement of Werry Narua, par. 43, 46 (annexe 29).
166 Ibid., par. 46-47.
167 Ibid., par. 48-49.
168 Ibid., par. 50.
169 Statement of Hilary Fioru, par. 10 (annexe 16).
170 Ibid., par. 22.
171 Ibid., par. 24-25.
- 36 -
175. La pratique de la pêche collective a cessé à la fin des années 1980, car l’élévation du
niveau de la mer a détruit le e’re et tué les créatures marines qui y vivaient. Même si, au début des
années 1980, la communauté a construit une digue pour protéger le e’re et le village de la montée
des eaux, « cela ne les a pas protégés longtemps. Toutes les mangroves sur [leur] rivage ont fini par
être déracinées par la force des eaux, et avec elles ont disparu toutes les créatures marines qui vivaient
à leurs racines. »172 Le e’re est à présent un « endroit mort »173.
176. L’écosystème du e’re ayant été détruit, Hilary n’a jamais pu participer à la pratique de la
pêche collective. Cependant, « [s]on grand-père et [s]on père [lui] ont raconté comment ils
pratiquaient la pêche collective, et [lui] ont parlé du e’re et de son importance. Ils [lui] ont expliqué
la signification culturelle de la pêche collective dans [leur] village, du fait qu’elle apporte unité, paix
et harmonie. » Il dit : « Je suis triste de perdre ces pratiques, qui nous unissaient et qui assuraient la
cohésion de notre communauté et de notre peuple. C’est effroyable pour notre peuple de perdre le
mode de vie qui favorise l’unité de notre village. »174
177. La disparition de la pratique de la pêche collective a eu des effets en cascade sur la culture.
En effet, cette pratique était le mécanisme qui permettait de transmettre aux générations futures les
savoirs traditionnels en matière de pêche. Mais il est « très difficile de pratiquer ces traditions quand
il n’y a pas de lieu de pêche pour le faire, alors les anciens ne transmettent pas les connaissances et
elles sont perdues »175. De même, la méthode traditionnelle qu’utilisaient les femmes pour tresser de
grands filets de pêche en coco pour la pêche collective n’a plus cours. La pratique est « désormais
morte et aujourd’hui, les villageoises n’ont plus cette connaissance et ce savoir-faire »176.
178. Les fortes tempêtes et les grandes marées ont aussi détruit le récif côtier, et Hilary a vu
des coraux être rejetés sur le rivage jusque dans le village. Les poissons ont disparu du récif à
l’agonie, et personne ne peut plus y pêcher.
179. À cause de la mort du récif, les pêcheurs sont obligés d’aller jusqu’en haute mer chercher
du poisson. Les habitants du village ont donc dû abandonner leurs pirogues traditionnelles, appelées
baru, pour partir en bateau à moteur. Le passage aux bateaux à moteur est coûteux, ce qui signifie
que, pour beaucoup, il est plus économique de modifier son régime alimentaire en remplaçant la
consommation de poisson frais par l’achat de conserves. Les pratiques culturelles que sont la
construction de pirogues et la navigation avec ce type d’embarcations sont aussi en train de reculer177.
180. Hilary explique que la pêche est également devenue difficile en raison d’une météorologie
de plus en plus inégale. Auparavant, le temps était stable, avec deux saisons prévisibles : Koburu (la
saison des cyclones) et Ara (la saison humide). Il explique que, « [p]ar le passé, on pouvait pêcher
grâce à [la] connaissance des saisons Koburu et Ara. On savait où le vent allait souffler, quel temps
172 Ibid., par. 28.
173 Ibid., par. 30.
174 Ibid., par. 29 et 45.
175 Ibid., par. 38.
176 Ibid., par. 40.
177 Ibid., par. 47-52.
- 37 -
il ferait et comment se comporteraient les marées. » Or, ces 15 dernières années, « les saisons Koburu
et Ara sont devenues très imprévisibles »178.
181. Conjuguées, l’imprévisibilité des saisons et la perte de la biodiversité des récifs coralliens
et de la pêche côtière ont entraîné une situation mortifère :
« Tout récemment en 2023, vers la fin de l’année, quatre pêcheurs locaux de notre
village ont disparu en mer à la suite d’un changement imprévisible de la météo. Ils ont
subi des vents forts et des pluies violentes en mer sur le trajet du retour vers le village
et se sont perdus. Nous avons envoyé une équipe à leur recherche pendant
deux semaines, mais nous n’avons jamais retrouvé les corps. Certains veulent
abandonner la pêche par peur de perdre en mer ceux qui leur sont chers. Ces expériences
traumatisantes de perdre nos familles dans le village me font si peur à moi aussi quand
je vais pêcher. »179
182. Les changements climatiques nuisent aussi directement à des espèces marines en danger
qui ont une importance culturelle. Au Vanuatu, par exemple, la tortue luth, qui est en danger critique
d’extinction, est particulièrement touchée.
183. Francis Hickey est le coordonnateur du programme de gestion des ressources
traditionnelles au centre coutumier de Vanuatu et dirige aussi le programme national de surveillance
des tortues. Il explique que pour les Vanuatuans (ou Ni-Vanuatu), les tortues font « partie de la vie
depuis le début », c’est-à-dire quand le premier peuple s’est installé dans les îles180. Les communautés
au Vanuatu « ont [toujours] vécu avec les tortues comme faisant partie de leurs sphères
bioculturelles … Certaines tribus ont pour totem la tortue, ce qui signifie qu’elle les représente et
qu’elle est aussi leur gardienne et leur protectrice. »181
184. Les tortues sont sacrées. On les mange occasionnellement, dans le cadre de certaines
cérémonies ou pour exprimer un grand honneur. La capture de tortues pour ces raisons est gérée avec
soin par les chefs, selon des pratiques de gestion des ressources traditionnelles, qui sont également
liées au calendrier des saisons et au cycle de l’igname182.
185. Francis explique que les « tortues sont très importantes pour la culture. Très importantes
pour l’essence même de la vie ici. Malheureusement, elles sont vraiment touchées par les
changements climatiques. »183 Les nids, en particulier, sont balayés par les cyclones, les tempêtes,
les inondations et les grandes marées. Francis explique :
« Les tortues viennent toujours sur les mêmes lieux de ponte, c’est dans leur
ADN … [D]ésormais, à cause du mauvais temps, de l’élévation du niveau de la mer qui
provoque de plus grandes marées et une onde de tempête plus forte, et des cyclones de
plus en plus intenses, les nids de tortues se font tout simplement emporter. C’est arrivé
178 Ibid., par. 14.
179 Ibid., par. 54-55.
180 Statement of Francis Hickey, par. 48 (annexe 18).
181 Ibid.
182 Ibid., par. 50-53.
183 Ibid., par. 54.
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à de nombreuses reprises. Et c’est vraiment inquiétant, car ces tortues sont en
danger. »184
186. La hausse des températures a aussi une incidence sur les tortues. Dans l’océan, cette
hausse est en train de tuer les écosystèmes d’herbiers marins, qui sont l’une des principales sources
de nourriture des tortues. Sur terre, la hausse des températures influe sur le sexe des tortues à naître :
« Avec les températures plus chaudes que nous connaissons, il éclot plus de
femelles que de mâles. À court terme, on peut penser que c’est bien, parce que ce sont
les femelles qui pondent les oeufs, mais sur le long terme, on a besoin à la fois de mâles
et de femelles pour que l’espèce survive. S’il fait trop chaud, on n’aura aucun mâle, et
il va continuer à faire de plus en plus chaud. »185
187. Francis raconte aussi une histoire issue de la coutume sur la tortue :
« Un jour, un jeune homme se réveille et a subitement très envie de manger de la
tortue. Il se dit, il faut vraiment que je mange de la tortue aujourd’hui. Alors, il marche
jusqu’au rivage, il reste debout avec son harpon et il attend toute la journée qu’une tortue
nage par là. Il y reste sur l’heure du déjeuner, il ne bouge pas, et tout le monde se
demande, “qu’est-ce qui lui arrive, à ce type ?”. Puis on approche du crépuscule, et il
n’a toujours pas bougé, alors quelques amis à lui vont le voir et lui demandent :
“qu’est-ce que tu fais ? Pourquoi n’as-tu pas bougé de la journée ?” Et il répond, “je
suis à la recherche d’une tortue”. Et eux lui disent, “Eh bien, regarde sous tes pieds, tu
es debout sur une tortue !”
C’est une histoire qui plaît beaucoup et un de nos proverbes dit “être sur le dos
d’une tortue”, ce qui signifie chercher quelque chose qu’on a déjà. Et on le fait tous,
n’est-ce pas ? Nous avons tout ce qu’il nous faut, mais nous en voulons encore plus.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
C’est une bonne analogie … tout doit être relié à la base, aux fondements,
c’est-à-dire à la culture. On a déjà ce dont on a besoin, tout ce dont on a besoin, dans la
culture. Nous avons de la chance d’avoir encore un système vivant. Donc pour moi, le
plus grand trésor, ce qu’il y a de plus important dans la culture, c’est la connaissance de
l’environnement, comment vivre avec, le peuple qui vit de la terre et de la mer. Ce sont
des connaissances si précieuses. »186
188. Dans toute la Mélanésie, la perte de biodiversité entraîne une érosion de ces précieuses
connaissances, dont la manifestation la plus directe a des effets similaires sur la diversité linguistique.
Les effets de la perte de biodiversité sur la langue et la culture
189. La région mélanésienne abrite non seulement la biodiversité la plus riche du monde, mais
aussi la plus grande diversité linguistique. Il est bien établi que la diversité linguistique est
directement liée à la biodiversité.
184 Ibid., par. 56 et 58.
185 Ibid., par. 60.
186 Ibid., par. 65-67.
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190. La région du globe située entre le 45e parallèle et le tropique du Capricorne regorge à la
fois de foyers de biodiversité et de foyers de diversité linguistique187. L’on y trouve en effet un tiers
des langues du monde, ou près de 20 % de la diversité linguistique mondiale. Tous les membres du
Groupe Fer de lance mélanésien se trouvent dans cette région. En Mélanésie, on parle
environ 1 500 langues distinctes188. Certaines sont sur le point de disparaître, n’ayant parfois plus
qu’une vingtaine de locuteurs encore vivants189.
191. C’est la richesse de la biodiversité de la Mélanésie qui donne naissance à la diversité
linguistique. Parallèlement, la préservation de la diversité linguistique est essentielle pour protéger
la biodiversité. Les langues locales et autochtones contiennent de nombreux niveaux de
connaissances sur la faune et la flore propres aux lieux où elles sont parlées. Les noms des différentes
espèces renseignent sur leur utilisation et sur les pratiques culturelles, ainsi que sur la gestion des
ressources190. Ainsi, la langue elle-même devient un mécanisme de transmission des connaissances
coutumières et ancestrales.
192. Fabrice Wacalie, expert linguistique de Nouvelle-Calédonie, explique que dans sa langue
maternelle, le drehu, qui est l’une des 28 langues autochtones parlées en Nouvelle-Calédonie, un
certain poisson, le « bec-de-cane » en français, a plusieurs noms en fonction du degré de maturité.
Cette diversité de noms sert à transmettre les connaissances autochtones, puisque le poisson ne doit
être pêché que lorsqu’il a atteint une certaine maturité. Fabrice explique qu’« on peut ferrer ce type
de poisson, le pêcher, uniquement à un certain moment, quand il a atteint un certain niveau de
maturité ; ainsi, le nom permet de savoir quand on peut aller le pêcher »191. Cette convention relative
aux noms garantit des pratiques de pêche durables et protège l’espèce. Fabrice explique que le bon
moment pour pêcher est aussi indiqué par la nature. Par exemple, quand certains arbres fleurissent,
on sait que la saison de la pêche est arrivée. Toutes ces connaissances sont contenues dans la
langue192.
193. La diversité linguistique consacre également des cosmologies et des modes de pensée qui
constituent le socle de la culture. En particulier, les langues mélanésiennes rendent compte de la
relation entre les humains, la nature et le cosmos : « [L]e Kanak s’identifie au monde qui l’entoure,
et plus particulièrement au monde végétal. Le monde vit en lui, est en lui. »193 Ainsi, certaines langues
mélanésiennes emploient le même mot pour la feuille de l’arbre et le poumon de l’homme, et le
même mot pour la sève de l’arbre et le sang humain. Les termes ne sont pas métaphoriques, mais
représentent simultanément à la fois des éléments de la nature et des éléments de l’humanité,
démontrant qu’ils ne font qu’un194.
194. La perte de biodiversité a des conséquences directes sur la diversité linguistique, « parce
qu’on ne peut nommer que ce qui existe. Et donc, inévitablement, quand des éléments de la nature
disparaissent, les mots qui sont attribués à ces éléments vont disparaître aussi. »195 La perte de
187 Expert Report of Fabrice Wacalie, par. 10-11 (annexe 30).
188 Ibid., par. 12.
189 Ibid., par. 14.
190 Ibid., par. 8.
191 Ibid., at Annexure 1, p. 8-9 (annexe 30).
192 Ibid., at Annexure 1, p. 9 (annexe 30).
193 Ibid., par. 20 (annexe 30).
194 Ibid., par. 19.
195 Ibid., Annexure 1, p. 17 (annexe 30).
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biodiversité équivaut à une perte de la langue et, donc à une perte de culture. Ce n’est pas un seul
mot qui sera effacé quand un élément disparaît. Par exemple, dans la langue maternelle de Fabrice,
le drehu, il y a « plus d’une centaine de mots pour décrire le cocotier »196. Par conséquent, si on perd
le cocotier, tous ces mots et tous les niveaux de connaissances qui y sont associés vont, eux aussi,
disparaître.
195. La perte de biodiversité est un dommage irréparable, non seulement pour les peuples de
Mélanésie, mais aussi pour l’humanité dans son ensemble197. Fabrice explique que, quand la
biodiversité est perdue, ce que l’on a perdu, c’est le patrimoine humain : en Nouvelle-Calédonie,
« c’est le peuple kanak qui doit préserver les éléments de la nature. Nous, les Kanaks, avons été
placés ici d’une certaine manière pour prendre soin des espèces … nous nous considérons comme
les garants de cette nature, mais nous ne la protégeons pas uniquement pour nous-mêmes, nous la
protégeons intégralement. »198
3. Communautés rurales (les jeunes et les enfants)
196. La Mélanésie compte la plus importante population de jeunes dans le monde. Nos enfants
et nos jeunes sont lourdement touchés par les changements climatiques, et plus particulièrement les
jeunes des communautés rurales. Ce sont aussi les jeunes qui devront faire face aux conséquences à
long terme du réchauffement de la planète.
197. Les jeunes de Mélanésie luttent également pour un avenir meilleur. C’est un groupe de
jeunes Mélanésiens, appelé « Pacific Students Fighting Climate Change » (PISFCC), qui a lancé en
2019 la campagne visant à demander un avis consultatif sur les changements climatiques à la Cour
internationale de Justice. Ces 27 étudiants en droit de l’Université du Pacifique Sud (University of
the South Pacific) ont développé l’idée et l’ont présentée à des dirigeants de toute la région. C’est
finalement le Gouvernement de Vanuatu qui a accepté de porter l’initiative.
198. Cynthia Rosah Bareagihaka Houniuhi, jeune femme originaire des Îles Salomon qui fait
partie des 27 étudiants fondateurs du groupe PISFCC, explique qu’elle a voulu faire du droit afin
d’aider son peuple :
« Ma motivation … a toujours été notre peuple et le fait qu’il mérite mieux. Il ne
mérite pas la réalité qui est la sienne aujourd’hui et c’est pour cette raison que j’ai rejoint
“Pacific Islands Students Fighting Climate Change”. Je voulais ramener un peu d’espoir
à notre peuple, un peu de certitude. »199
199. Pour ces raisons, le Groupe Fer de lance mélanésien a choisi de mettre plus
particulièrement en évidence les effets des changements climatiques sur les jeunes et les enfants.
196 Ibid., Annexure 1, p. 17 (annexe 30).
197 Ibid., Annexure 1, p. 18 (annexe 30).
198 Ibid., Annexure 1, p. 18 (annexe 30).
199 Statement of Cynthia Rosah Bareagihaka Houniuhi, par. 33 (annexe 15).
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Les effets sur le bien-être physique et psychologique
200. Les changements climatiques sont associés à de nombreux effets qui touchent la santé et
le bien-être physique des enfants et des jeunes, notamment les pénuries alimentaires, l’insécurité en
matière d’eau et une plus forte morbidité. Des liens ont été établis entre la hausse des températures
et une plus grande prévalence de la malnutrition, du choléra, des maladies diarrhéiques et des
maladies vectorielles telles que la dengue et le paludisme. Les enfants présentent un risque nettement
plus élevé que les adultes de contracter ces maladies et de succomber à leurs complications. En effet :
« Les enfants passent souvent plus de temps dehors (ce qui est le cas dans le
Pacifique), ce qui augmente leur risque d’exposition à la pollution atmosphérique, aux
allergènes, à la chaleur extrême ou aux agents pathogènes d’origine hydrique liés aux
changements climatiques. En raison de l’immaturité de leur système de
thermorégulation, les enfants sont plus vulnérables aux chocs thermiques, en particulier
avant l’âge d’un an. Les changements climatiques augmentent le risque de contracter
plusieurs maladies vectorielles qui touchent les enfants, telles que le paludisme, la
dengue et le chikungunya. Le paludisme est l’une des principales causes de mortalité
infantile dans le monde. La dengue est le virus transporté par les moustiques qui se
propage le plus rapidement dans le monde et ceux qui en meurent chaque année sont
majoritairement des enfants. Les maladies diarrhéiques sont la troisième cause de décès
chez les enfants de moins de cinq ans et tuent environ 450 000 enfants chaque
année. »200
201. Par exemple, en raison de la destruction des potagers et d’autres sources de nourriture,
les enfants subissent une insécurité alimentaire qui a des conséquences directes sur leur bien-être
physique. Ainsi, à Yakel, comme il a été expliqué dans le détail plus haut, la nourriture se fait si rare
que la croissance des enfants en est affectée201. De même, à Cynthia, un village des Îles Salomon, les
fortes pluies et la surabondance de soleil abîment les potagers et les habitants n’ont plus suffisamment
à manger202.
202. L’un des effets les plus dévastateurs pour les jeunes et les enfants est la fréquence accrue
des cyclones violents. Au Vanuatu, on s’attend à un cyclone violent (de catégorie 3 à 5) tous les trois
ans. Rien qu’au cours de ces trois dernières années, Vanuatu a subi quatre cyclones violents.
203. En 2015, le cyclone Pam a touché le pays avec une puissance sans précédent. À l’époque,
c’était le cyclone le plus violent qu’ait jamais connu le Pacifique Sud. Camila Noel, une jeune femme
de 23 ans, membre du PISFCC, a vécu le cyclone Pam à Port-Vila (Vanuatu). Elle avait 14 ans. Elle
avait entendu parler des changements climatiques à l’école, mais « entendre parler de quelque chose
et le vivre directement sont deux expériences bien différentes »203.
204. Camila se souvient de sa peur le soir où le cyclone Pam a touché terre. Elle explique :
« Je dormais par terre quand l’eau s’est engouffrée sous les volets. La moitié de
la maison a été inondée et je flottais véritablement dans ma propre maison.
200 Expert Statement of Tan Sri Dr. Jemilah Mahmood, section 9.
201 Statement of the Women of Yakel, par. 15 (annexe 27).
202 Statement of Cynthia Rosah Bareagihaka Houniuhi, par. 17-19 (annexe 15).
203 Statement of Camila Noel, par. 15 (annexe 20).
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Je n’étais pas le seul enfant dans la maison, mon neveu de huit ans, le fils de ma
cousine, était là aussi. J’ai essayé de le rassurer, de lui dire que tout irait bien car sa
mère était là. Puis, je me suis rendu compte que mes parents n’étaient pas là et j’ai
commencé à me demander “et s’il m’arrive quelque chose ?” ou encore “est-ce que je
serai en vie demain ?” J’étais terrifiée et je n’ai rien pu faire d’autre que d’étreindre mon
neveu jusqu’au lendemain matin, en essayant de ne pas lui montrer que j’avais peur. »204
Camila décrit ainsi ce qu’elle a vu le lendemain :
« J’ai vu des gens assis, abattus, devant leurs maisons qui n’avaient plus de toit.
Je voyais l’inquiétude sur les visages. L’inquiétude de savoir comment ils
reconstruiraient après ça. Il faut se rappeler que je n’avais vu que ce qui s’était passé
dans la capitale, Port-Vila, et je ne pouvais qu’imaginer la situation dans les zones
rurales. J’ai vu des mères bricoler comme elles pouvaient des abris pour leurs enfants,
et j’aurais voulu être plus âgée pour pouvoir aider ou, si j’avais eu de l’argent, leur en
donner, mais je ne pouvais rien faire d’autre que prier pour elles. »205
205. Depuis, Camila a constaté que les cyclones suivants ont eu le même effet destructeur. Les
cyclones sont exacerbés par d’autres changements, tels que les saisons sèches qui se prolongent et
une insécurité croissante en matière d’eau, ce qui signifie que la situation « n’a fait qu’empirer »206.
206. Les anciens constatent que la situation est différente pour les enfants aujourd’hui par
rapport à ce qu’eux-mêmes ont connu dans leur enfance, quand les cyclones n’étaient pas si violents.
Alpi Nangia, chef à Yakel, se souvient comment il a vécu le cyclone Pam : « J’étais sous le choc et
je me demandais : qu’est-ce que c’est que ça ? De quel genre de cyclone s’agit-il ? Je n’avais jamais
vu un cyclone comme Pam … il a détruit tous les arbres, tout détruit. Il a détruit toutes nos
récoltes. »207
207. Jimmy Namile, l’un des anciens de la région de White Sands sur l’île de Tanna (Vanuatu),
s’inquiète pour ses petits-enfants et arrière-petits-enfants. Il se souvient du passage du cyclone Pam :
« Les enfants ont vraiment souffert … Mes petits-enfants avaient peur et ressentent encore la même
chose dès qu’il y a de fortes pluies ou une tempête. »208 Il poursuit : « Dans le futur, je serai déjà
mort, mais je m’inquiète pour mes petits-enfants et arrière-petits-enfants. Je voudrais que ces
changements s’arrêtent. »209
208. L’éducation des enfants dans toute la Mélanésie est également menacée par les
changements climatiques. La fréquence et la violence des cyclones, des glissements de terrain et des
inondations ont empêché les enfants d’aller à l’école et de bénéficier d’une éducation210.
204 Ibid., par. 16-17.
205 Ibid., par. 18.
206 Ibid., par. 19.
207 Statement of Alpi Nangia, par. 34 (annexe 23).
208 Statement of Jimmy Namile, par. 25 (annexe 28).
209 Ibid., par. 27.
210 Voir, par exemple, Statement of Simione Batu, par. 16 (annexe 6).
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209. À Verabairi, l’école a été détruite deux fois du fait de l’élévation du niveau de la mer.
Après la première destruction, les habitants se sont réinstallés plus en hauteur, mais la nouvelle école
a aussi été détruite. La communauté a été obligée de se réinstaller quatre fois à cause des changements
climatiques, et n’a plus les ressources pour construire une nouvelle école. Les enfants n’ont pas pu
retourner à l’école depuis 2020. Le chef de Verabairi, M. Ara, souhaite économiser pour envoyer ses
enfants à l’école ailleurs, mais il n’y parvient pas en raison du coût des réinstallations successives211.
210. Les changements climatiques ont privé les enfants d’une grande partie de leurs sources
de joie. Avant la réinstallation, les enfants de Vunidogoloa avaient énormément d’espace pour jouer
et explorer près de la mer. Maintenant, ils n’ont plus guère d’espace de jeu et ni accès aux mêmes
loisirs que sur le littoral212. Plus généralement, les enfants de toute la région sont de plus en plus
obligés de délaisser à la fois leur éducation et leurs jeux pour aider leurs familles à survivre, par
exemple, en aidant au potager ou en faisant de longs trajets pour aller chercher une eau trop rare213.
211. Tous les jours, les jeunes de Mélanésie sont exposés à des pertes et des dommages
incessants du fait des changements climatiques. Contrairement à leurs aînés, les enfants mélanésiens
ont toujours vécu dans un monde profondément altéré par les changements climatiques. Ils ont été
témoins de la dégradation rapide de leur environnement, de la perte de leur culture et de la souffrance
de leur peuple. De nombreux jeunes sont ainsi désespérés quant à l’avenir. Cynthia, membre du
PISFCC, explique : « Quand je parle avec des jeunes, beaucoup d’entre eux sont désespérés ; ils
disent, “nous sommes une petite nation insulaire, que pouvons-nous faire pour que ça change si le
problème est de la faute de plus gros pays ?” Ils ont l’impression que rien ne va changer, que le
système n’est pas pour nous. »214
212. Pour Camila, la destruction de sa terre natale a rompu son lien avec la nature. Elle
explique que ses parents « ont fusionné son éducation avec l’environnement »215 :
« Ils m’ont appris que, quand le monde exerce sa pression extérieure sur moi, je
peux toujours trouver du réconfort dans la nature … J’ai été élevée dans l’idée que, si
on prend soin de notre environnement, notre environnement prendra aussi soin de nous,
alors le moins que l’on puisse faire, c’est de montrer notre reconnaissance et de ne pas
nuire à l’environnement. Cette mentalité n’est pas uniquement la mienne, car c’est ainsi
que tout le monde a été élevé dans mon village. La nature dans laquelle nous avons
grandi est devenue un lieu de solitude dans lequel nous nous retirons quand les temps
sont durs. »216
213. Elle poursuit en expliquant en quoi les changements climatiques lui ont pris son lien avec
la nature :
« Avant, la nature me parlait et j’écoutais, mais aujourd’hui, le lien que j’avais
tissé avec mon environnement se perd progressivement. C’est parce que
l’environnement change et devient méconnaissable. La nature n’est plus le refuge
qu’elle était auparavant. À la place, j’ai peur. Je constate de grandes pertes quand je vois
211 Statement of Ara Kouwo, par. 37-40 (annexe 14).
212 Statement of Penioni Suquvata, par. 11 (annexe 5).
213 SPC Expert Report, p. 14 (annexe 37).
214 Statement of Cynthia Rosah Bareagihaka Houniuhi, par. 16 (annexe 15).
215 Ibid.
216 Statement of Camila Noel, par. 10, 12 (annexe 20).
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les zones qui sont touchées par l’élévation du niveau de la mer. Ces familles sont
obligées de quitter leurs logements et de s’adapter aux zones dans lesquelles elles se
réinstallent parce que, d’une certaine manière, elles laissent leur culture derrière
elles. »217
214. Les jeunes Mélanésiens craignent pour leur peuple et leur avenir. Camila explique :
« Je ne veux pas voir mon peuple lutter de nouveau, car ça fait de la peine. Même
les plus petits qui sont encore tout jeunes, ils n’ont pas choisi de vivre dans un monde
aussi abîmé et chaotique. Il n’y a pas que les cyclones, il y a aussi l’accès à la nourriture
et l’eau, les saisons sèches plus longues, l’élévation du niveau de la mer et les
réinstallations. Il n’y a pas qu’un seul problème. »218
215. Cynthia craint aussi pour l’avenir des Îles Salomon :
« Penser à l’avenir des Îles Salomon me fait peur. C’est très incertain, et
l’incertitude m’empêche de dormir la nuit. Je me demande, “et si tel ou tel événement
météo violent arrive, que devra affronter la population ? Et si un cyclone ou un ouragan
frappait un de mes proches ?” Tout ça me fait réfléchir à l’injustice réelle de la situation.
Pourquoi notre peuple souffre-t-il plus et doit-il faire face à cette incertitude ?
Tout le monde est informé des changements climatiques, mais pourquoi est-ce
que rien ne change ? Pour moi, cette situation est source de beaucoup d’inquiétude, de
peur et d’anxiété quant à l’avenir, mais aussi de colère et de contrariété quand je me
demande pourquoi rien n’est fait, parce que j’ai beaucoup à perdre, et mon peuple aussi
a beaucoup à perdre. Nous posons la question : est-ce que ça va s’arrêter ? Faudra-t-il
qu’une autre île soit engloutie pour que le monde s’intéresse à la situation ? Quelle île
sera concernée ? Est-ce que ce sera la mienne ?
La situation semble vraiment sans espoir, mais nous faisons le choix de rester et
de nous battre pour les enfants que nous mettrons au monde. »219
Les effets sur la transmission de la culture
216. Comme il a été démontré, dans toute la Mélanésie, des communautés sont en train de
perdre leurs pratiques coutumières à cause des changements climatiques. Chez nombre d’entre elles,
des pratiques coutumières importantes, telles que la pêche, la culture potagère, la médecine et le
tressage, ont été perdues ou sont en passe de l’être. Il est désormais impossible de transmettre ces
pratiques et savoirs à la génération suivante220.
217. Par exemple, dans le nord de l’île de Pentecôte (Vanuatu), les cyclones à répétition ont
détruit les pandanus, arbres qui sont nécessaires au tressage de tapis de cérémonie appelés bwana.
Les bwana sont sacrés et requis dans toutes les cérémonies. Ces tapis servent de linceuls pour les
morts, sont échangés lors des mariages pour lier ensemble les deux familles, et jouent un rôle
essentiel dans la cérémonie de désignation des chefs communautaires. Jeanette Bolenga explique :
217 Ibid.
218 Ibid., par. 24.
219 Statement of Cynthia Rosah Bareagihaka Houniuhi, par. 29-31 (annexe 15).
220 Voir, par exemple, Statement of Naus Iaho, par. 14 (annexe 22) ; Statement of Hilary Fioru, par. 20, 46
(annexe 16) ; Statement of Simione Batu, par. 19 (annexe 6) ; Statement of Adi Sivo, par. 14 (annexe 7).
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« Les bwana sont tout simplement essentiels à nos coutumes. Ils sont ce qui nous lie. Ils sont nos
relations et notre identité. »221
218. Les femmes ont toujours tressé les bwana, que l’on retrouve dans l’histoire de la création
de la partie septentrionale de l’île de Pentecôte : « Le tressage est au coeur de la vie d’une femme. »222
Aujourd’hui, les fillettes ne tressent plus. Jeanette constate que la modernisation éloignait déjà les
fillettes de leur culture, mais que cette tendance a été largement accélérée et exacerbée par la pénurie
de pandanus, qui a rendu la pratique du tressage quasiment impossible223.
219. Devant la perte de tant de pratiques coutumières, les communautés se demandent avec
inquiétude comment les jeunes vivront sans leurs coutumes et traditions. Yvon Poedi explique : « Ça
m’attriste. Je pense surtout à mes petits-enfants. Comment vont-ils gérer les changements
climatiques ? J’essaie de réfléchir à des moyens de préserver la culture pour eux. Mais nous sommes
face à un mur en ce moment. C’est difficile d’envisager des possibilités. »224
V. LA QUESTION JURIDIQUE
220. Dans la présente section, le Groupe Fer de lance mélanésien traitera des questions
juridiques auxquelles l’Assemblée générale a demandé à la Cour de répondre. Le Groupe décrira
d’abord brièvement le comportement pertinent qui doit être évalué en vue de répondre à la fois à la
question a) et à la question b). Il examinera ensuite la question a), par laquelle il est demandé à la
Cour de clarifier les obligations juridiques internationales incombant aux États en ce qui concerne
les changements climatiques. Enfin, il examinera la question b), qui porte sur les conséquences
juridiques auxquelles s’exposent les États qui manquent à leurs obligations en matière de
changements climatiques.
1. Comportement
221. Dans la présence sous-section, le Groupe Fer de lance mélanésien traitera du
comportement des États que la Cour est appelée à évaluer. Dans les deux questions a) et b) de la
résolution 77/276, la Cour est priée d’examiner le comportement qui cause les changements
climatiques et leurs effets néfastes.
222. Sur le plan scientifique, la cause des changements climatiques est incontestable. Il ne fait
pas débat que
« [l]es activités humaines, principalement par l’émission de gaz à effet de serre, ont
indubitablement causé le réchauffement de la planète, la température à la surface du
globe ayant atteint entre 2011 et 2020 1,1 °C de plus qu’entre 1850 et 1900. Les
émissions mondiales de gaz à effet de serre ont continué d’augmenter, du fait de
contributions passées et actuelles inégales qui découlent de pratiques non durables
s’agissant de l’utilisation de l’énergie, de l’utilisation des terres, des changements
221 Statement of Jeanette Lini Bolenga., par. 11 (annexe 19).
222 Ibid., par. 41.
223 Ibid.
224 Statement of Yvon Poedi, par. 42 (annexe 10).
- 46 -
d’affectation des terres, des modes de vie et des schémas de consommation et de
production dans toutes les régions, dans les pays et entre eux, et entre les individus. »225
Et que « [h]istoriquement, ce sont les populations vulnérables ayant le moins contribué aux
changements climatiques actuels qui sont les plus touchées (degré élevé de confiance) »226.
223. Cette thèse a été établie et réaffirmée à de nombreuses reprises dans les « résumés à
l’intention des décideurs » publiés par le GIEC, qui reflètent le consensus à la fois scientifique et
politique sur la question des changements climatiques227.
224. Ces constats démontrent donc scientifiquement non seulement que l’activité humaine est
la cause des changements climatiques, mais aussi qu’il existe de profondes inégalités inhérentes à ce
comportement. Les différents pays n’ont pas contribué au même degré au phénomène que nous
appelons aujourd’hui « changements climatiques », et pourtant ceux qui y ont le moins contribué
subissent un préjudice disproportionné.
225. C’est à la fois la cause anthropique des changements climatiques et les inégalités
inhérentes à ce comportement que la Cour est appelée à examiner pour répondre aux deux
questions, a) et b).
226. La question a) porte sur les « émissions anthropiques de gaz à effet de serre ». Ainsi qu’il
ressort clairement du paragraphe cité plus haut, ces émissions anthropiques trouvent leur source dans
« [l]es activités humaines » et notamment dans « le caractère non durable de l’utilisation de l’énergie,
de l’utilisation des terres, des changements d’affectation des terres, des modes de vie et des schémas
de consommation et de production dans toutes les régions du monde ».
227. Le cinquième alinéa du préambule de la résolution 77/276 donne d’autres orientations,
indiquant que les questions juridiques portent sur « le comportement des États dans le temps
relativement aux activités contribuant aux changements climatiques et à leurs effets néfastes ». Il est
ainsi précisé que le comportement en question est celui des « États dans le temps », ayant causé
l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre qu’ils ont produites par le passé « relativement aux
activités », ce qui englobe non seulement les émissions des États eux-mêmes, mais aussi celles
d’acteurs privés relevant de leur juridiction. Les activités en question sont celles qui « contribu[e]nt »
aux changements climatiques et à leurs effets néfastes, indépendamment de la question de savoir si
elles en sont la cause exclusive ou principale.
225 GIEC, Synthesis Report of the IPCC Sixth Assessment Report (AR6), Summary for Policymakers, March 2023,
statement A.1, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_
SPM.pdf.
226 GIEC, Synthesis Report of the IPCC Sixth Assessment Report (AR6), Summary for Policymakers, March 2023,
statement A.2, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_
SPM.pdf.
227 Le GIEC est un organe intergouvernemental de l’ONU, lequel a pour mandat de produire des rapports sur l’état
de la science en matière de changements climatiques. Ses rapports sont rédigés par les experts les plus qualifiés sur le sujet
des changements climatiques, représentant la quasi-totalité des pays du monde, industrialisés ou en développement. Ils
constituent donc les meilleures connaissances scientifiques disponibles sur la question. En outre, les sections des rapports
du GIEC intitulées « Résumés à l’intention des décideurs » reflètent le consensus non seulement scientifique mais aussi
politique sur la question des changements climatiques. Les résumés sont passés en revue ligne par ligne par les
gouvernements de tous les États membres du GIEC (au nombre de 195), qui se mettent d’accord à ce niveau de détail. Les
déclarations figurant dans ces documents ne prêtent donc pas à controverse, ni du point de vue scientifique ni du point de
vue politique.
- 47 -
228. Par la question a), il est demandé à la Cour de préciser quelles sont, « en droit
international, les obligations qui incombent aux États » en ce qui concerne ces activités. Ce libellé
confirme que le comportement des États devant être évalué par la Cour inclut non seulement la
production d’émissions directes par les États, mais aussi l’adoption souveraine par ceux-ci de
mesures pour réguler les émissions anthropiques relevant de leur juridiction et de leur contrôle
conformément à leurs obligations juridiques internationales.
229. Après avoir identifié le comportement pertinent en réponse à la question a), la Cour est
priée, pour répondre à la question b), de préciser les conséquences juridiques de ce comportement
pour les États qui, « par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système
climatique et à d’autres composantes de l’environnement ». La locution « ont causé » signale, là
encore, que c’est le comportement des États au fil du temps qui sera apprécié, autrement dit les
émissions passées et présentes, avec les implications pour l’avenir. En particulier, les actions ou
inactions d’un seul État, même si elles ne peuvent être considérées comme la cause unique des
changements climatiques, sont tout de même réputées faire partie du comportement que la Cour doit
évaluer dès lors qu’elles « ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres
composantes de l’environnement ».
230. Le critère des « dommages significatifs » réduit la portée du comportement visé par la
question b). Il est seulement demandé à la Cour d’examiner les conséquences juridiques s’agissant
du comportement des États qui ont dépassé la limite des « dommages significatifs ». Le Groupe Fer
de lance mélanésien estime que « dommages significatifs » désigne ce qui va au-delà du négligeable
mais est bien moindre que le catastrophique.
2. La question a)
231. Par la question a), il est demandé à la Cour d’examiner les obligations qui incombent aux
États au regard de l’ensemble des règles du droit international. Si le paragraphe introductif énumère
les sources de droit auxquelles la Cour devrait se référer en particulier, la liste n’est toutefois pas
exhaustive. Le Groupe Fer de lance mélanésien invite la Cour à considérer l’ensemble des règles du
droit international.
232. Dans les paragraphes qui suivent, le Groupe Fer de lance mélanésien se penchera sur
celles desdites obligations qui ont une pertinence particulière au regard de nos trois axes de
préoccupation : 1) la culture et les traditions ; 2) la biodiversité ; et 3) les communautés rurales (les
jeunes et les enfants). Ces obligations sont les droits suivants : 1) le droit à l’autodétermination ; et
2) les droits de l’homme, en particulier le droit à la vie, les droits culturels et le droit à un
environnement propre, sain et durable.
Le droit à l’autodétermination
233. Le droit à l’autodétermination est à la fois un principe essentiel du droit international et
un droit fondamental de la personne humaine228. Il garantit à tous les peuples le droit inaliénable de
228 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29 ; Effets juridiques de la
séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 131, par. 144.
- 48 -
contrôler leur propre destin en « détermin[ant] librement leur statut politique et [en] assur[ant]
librement leur développement économique, social et culturel »229.
234. Le droit à l’autodétermination est expressément reconnu dans la Charte des Nations Unies
de 1945230, en tant que principe et en tant que droit231. La norme que constitue le droit à
l’autodétermination a depuis lors été consacrée dans de nombreux instruments internationaux, dont
l’article premier commun aux Pacte international relatif aux droits civils et politiques et Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Au-delà de ces instruments, le droit
à l’autodétermination est largement reconnu comme norme impérative du droit international
coutumier, ayant le statut de jus cogens232. La Cour a reconnu que les obligations des États à l’égard
du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sont des obligations erga omnes233. Dès lors, tous les
États, qu’ils soient ou non parties à un traité donné, sont tenus de respecter et de garantir ce droit,
sans dérogations possibles. Par conséquent, tous les États sont tenus de respecter et de garantir le
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes au moins depuis 1945, date à laquelle le principe de
l’autodétermination a été codifié dans la Charte des Nations Unies. Et ce, indépendamment de la
question de savoir si et quand un État a signé et ratifié l’un quelconque des traités relatifs aux droits
de l’homme applicables.
235. Le droit à l’autodétermination est un droit collectif dont jouissent les peuples. Même s’il
revêt une importance particulière dans le contexte de la décolonisation234, ce droit appartient à « tous
les peuples » indépendamment de leur statut colonial235. Les « peuples » peuvent inclure toutes les
229 Paragraphe 1 de l’article premier commun au Pacte international relatif aux droits civils et politiques du
16 décembre 1966 (Nations Unies, Recueil des traités (RTNU), vol. 999, p. 171) et au Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 (RTNU, vol. 993, p. 3) ; voir aussi Nations Unies, Assemblée
générale, résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, intitulée « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et
aux peuples coloniaux », par. 2.
230 Charte des Nations Unies, art. 1, par. 2 (l’un des buts des Nations Unies étant de « [d]évelopper entre les nations
des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer
d’eux-mêmes ») et art. 55 (faisant référence à l’objectif des Nations Unies, dans les domaines du développement
économique et social et du respect des droits de l’homme, de créer « les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires
pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits
des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes »).
231 La version française de ces dispositions fait référence au respect du « droit » à l’autodétermination (« le principe
de l’égalité de droits des peuples et leur droit à disposer d’eux-mêmes ») alors que la version anglaise parle seulement
d’autodétermination « self-determination »).
232 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs
(ci-après les « articles sur la responsabilité de l’État »), rapport de la Commission du droit international sur les travaux de
sa cinquante-troisième session, doc. A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2), p. 85, reproduit dans Annuaire de la Commission
du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, paragraphe 5 du commentaire de l’article 26 (Respect de normes
impératives) ; voir aussi Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 2019 (I), opinion individuelle du juge Robinson, p. 317, par. 71, al. a) ; ONU, « Quatrième rapport sur les
normes impératives du droit international général (jus cogens) » présenté par Dire Tladi, rapporteur spécial, 31 janvier
2019, doc. A/CN.4/727, p. 48-52, par. 108-115 ; Marcelo G. Kohen, « Self-Determination » in Jorge E Viñuales (sous la
dir. de), The UN Friendly Relations Declaration at 50 ‒ An Assessment of the Fundamental Principles of International Law
(Cambridge University Press, 2020), p. 151 et 153.
233 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2004 (I), p. 199, par. 156 ; Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
234 Par exemple, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 158-160, par. 49-52 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975,
p. 24-26, par. 31-36 ; Nations Unies, Assemblée générale, résolution 65/119 du 10 décembre 2010, intitulée « Troisième
Décennie internationale de l’élimination du colonialisme », doc. A/RES/65/119.
235 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. Ier, par. 1 ; Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, art. Ier, par. 1.
- 49 -
populations d’un État, des peuples autochtones, des peuples colonisés et des groupes minoritaires au
sein d’un État qui partagent une identité commune.
236. Le droit à l’autodétermination englobe le droit à la souveraineté permanente sur les
ressources naturelles. Le droit à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles est à la fois
une norme coutumière autonome et partie intégrante du droit à l’autodétermination236. Il prévoit ce
qui suit :
« Pour atteindre leurs fins, tous les peuples peuvent disposer librement de leurs
richesses et de leurs ressources naturelles, sans préjudice des obligations qui découlent
de la coopération économique internationale, fondée sur le principe de l’intérêt mutuel,
et du droit international. En aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres
moyens de subsistance. »237
237. L’intégrité territoriale, ou le droit à l’inviolabilité et à la cohésion du territoire, est un
corollaire essentiel de tous les aspects de l’autodétermination238.
238. Les changements climatiques — et donc le comportement qui en est responsable — ont
bafoué le droit à l’autodétermination de tous les peuples représentés par le Groupe Fer de lance
mélanésien 1) en détruisant les ressources naturelles ; et 2) en mettant en péril l’intégrité territoriale.
239. S’agissant de la destruction des ressources naturelles, ainsi que nous l’avons expliqué à
la section III, les effets des changements climatiques, et notamment les tempêtes et cyclones de plus
en plus intenses, l’élévation du niveau de la mer, l’érosion côtière, l’intrusion d’eau de mer, les
inondations, les sécheresses et la chaleur extrême, dégradent les ressources naturelles terrestres,
privant les peuples touchés de la souveraineté permanente sur ces ressources. La hausse de la
température des océans et leur acidification, conjuguées aux dégâts des cyclones et à l’érosion
côtière, ont abîmé et dégradé des ressources marines essentielles, et notamment les pêcheries côtières
et les écosystèmes de récifs coralliens. Dans de nombreux cas, d’importantes ressources naturelles
et espèces ont totalement disparu à cause des effets des changements climatiques, empêchant
définitivement les peuples de jouir de la souveraineté permanente sur ces ressources.
240. En outre, parmi les ressources naturelles touchées par les changements climatiques
figurent aussi de nombreux produits agricoles essentiels aux régimes alimentaires mélanésiens. Les
changements climatiques privent donc concrètement nos peuples de leurs « propres moyens de
subsistance », ce qui constitue une violation claire de leurs droits à la souveraineté permanente sur
les ressources naturelles.
236 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J.
Recueil 2005, p. 251-252, par. 244.
237 Cf. le paragraphe 2 de l’article premier commun aux Pacte international relatif aux droits civils et politiques et
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Voir aussi Nations Unies, Assemblée générale,
résolution 1803 (XVII) du 14 décembre 1962, intitulée « Souveraineté permanente sur les ressources naturelles »,
doc. A/RES/1803(XVII), par. 1 ; et déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 8, par. 2,
al. b).
238 Voir, par exemple, Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 94 (où il est dit que
« l’intégrité et l’unité [du] territoire » sont fondamentaux pour le droit à l’autodétermination) ; voir Effets juridiques de la
séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 138-139, par. 177 (où
est examinée la question de l’autodétermination dans le contexte de la décolonisation).
- 50 -
241. Pour les peuples autochtones de Mélanésie, la perte de ressources naturelles due au climat
témoigne aussi de violations connexes mais distinctes de leur droit à l’autodétermination. Comme
nous l’avons démontré, les changements climatiques ont entraîné la perte de ressources qui sont
vitales pour les systèmes culturels, économiques, sociaux et de gouvernance des peuples autochtones
de toute la Mélanésie. En endommageant, et parfois en détruisant totalement, ces ressources
naturelles importantes, les changements climatiques entraînent la désintégration progressive de
l’essence même de la vie. Ces pertes sont si grandes que plusieurs peuples autochtones de Mélanésie
ne peuvent plus pratiquer leurs modes de vie239.
242. La perte de ces modes de vie équivaut à une violation manifeste du droit à
l’autodétermination. De fait, de nombreuses juridictions ont reconnu que les effets des changements
climatiques sur les ressources naturelles portaient profondément atteinte à l’autodétermination des
peuples autochtones, constatant que, « [d]ans le cas de peuples autochtones, les liens étroits que ceuxci
entretiennent avec leurs terres constituent “le socle fondamental de leurs cultures, de leur vie
spirituelle, de leur intégrité et de leur survie économique” »240.
243. S’agissant de l’intégrité territoriale, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits
de l’homme a averti en 2009 que les changements climatiques étaient susceptibles d’entraver
l’exercice du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes en « risqu[a]nt de priver des peuples
autochtones de leurs territoires naturels et de leurs sources de revenus »241. En Mélanésie, cette
menace s’est à présent concrétisée. Comme nous l’avons expliqué, les peuples autochtones de
Mélanésie ont déjà été privés de leurs territoires et moyens de subsistance traditionnels à la suite de
catastrophes naturelles et d’inondations côtières dues aux changements climatiques.
244. En outre, on s’attend à ce que l’élévation du niveau de la mer non seulement perturbe
l’intégrité territoriale, mais chasse aussi de leurs territoires habitables des États et des peuples entiers
qui vivent sur des îles de faible altitude242. La perte de territoires habitables met en péril l’existence
même des États et des peuples concernés. C’est particulièrement le cas pour les peuples de Mélanésie,
dont l’identité collective est inséparable de leurs terres.
245. Le Groupe Fer de lance mélanésien fait valoir qu’en vertu des obligations erga omnes qui
leur incombent de respecter et de garantir le droit à l’autodétermination, les États sont tenus de
239 Voir Agreed Principles of Co-operation Among Independent States in Melanesia (1988).
240 I/A Court H.R., Mayagna (Sumo) Awas Tingni Community v. Nicaragua, Judgment of Aug. 31, 2001 (Merits,
Reparations and Costs), Series C, No. 79, par. 149. Voir aussi : I/A Court H.R, Yakye Indigenous Community v Paraguay,
Judgment of June 17, 2005, Series C, No. 125, par. 135 ; I/A Court H.R., Saramaka People v Suriname, Judgment of
Nov. 28, 2007, Series C, No. 125, par. 90 ; I/A Court H.R., Moiwana Community v Suriname (2005), Judgment of June 15,
2005, Series C, No. 124, par. 132-133 ; I/A Court H.R., Kichwa Indigenous People of Sarayaku v. Ecuador, Judgment of
27 June 2012 (Merits and Compensation), Series C No. 245, par. 145-147. Le lien particulier qu’ont les peuples
autochtones avec leurs territoires a également été reconnu par des juridictions nationales, voir, par exemple, Mabo v.
Queensland (No 2), [1992] HCA 23 ; (1992) 175 CLR 1 at pp. 15-16 (Mason CJ and McHugh J), 68-70 (Brennan J), 100
(Deane and Gaudron JJ) (Australia) ; Northern Territory v. Griffiths (Deceased) on behalf of the Ngaliwurru and Nungali
Peoples, [2019] HCA 7 ; (2019) 269 CLR 1 at par. 23, 84, 98, 153, 187, 206, 217, 223 (Kiefel CJ, Bell, Keane, Nettle and
Gordon JJ) (Australia) ; Delgamuukw v. British Columbia, [1997] 3 SCR 1010 (Canada), par. 65, 71, voir par. 137-139.
241 Rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur les liens entre les changements
climatiques et les droits de l’homme (15 janvier 2009), doc. A/HRC/10/61, par. 40.
242 GIEC, Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability: Working Group II Contribution to the
Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change (2022), p. 2095, accessible à l’adresse
suivante : https://report.ipcc.ch/ar6/wg2/IPCC_AR6_WGII_FullReport.pdf (dernière consultation le 7 février 2024) ; voir
Storlazzi, C et al., “Most Atolls Will Be Uninhabitable by the Mid21st Century Because of Sea-Level Rise Exacerbating
Wave-Driven Flooding”, 4 SCI. ADVANCES 1, 3-6 (2018), accessible à l’adresse suivante : https://www.science.org/
doi/10.1126/sciadv.aap9741 (dernière consultation le 27 février 2024).
- 51 -
prendre les mesures nécessaires pour empêcher toute atteinte supplémentaire à ce droit, y compris en
réduisant leurs émissions de gaz à effet de serre et en réparant les éventuels dommages résultant
d’une inaction, notamment, mais pas seulement, sous la forme d’une aide à l’adaptation aux
changements climatiques.
Le cas particulier de la Nouvelle-Calédonie en tant que territoire non autonome
246. En tant que puissance administrante du territoire non autonome de Nouvelle-Calédonie,
la France est tenue à des obligations particulières de préservation du droit à l’autodétermination du
peuple de ce territoire, les Kanaks. Le droit à l’autodétermination a une importance particulière dans
le contexte des peuples colonisés. Avec la création de l’ONU en 1945, la décolonisation est devenue,
et est toujours, l’un des objectifs premiers de l’ordre juridique international moderne243. Les
Nations Unies ont réaffirmé l’importance de cet objectif par la déclaration sur l’octroi de
l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux en 1960, par laquelle elles se sont engagées à
« mettre … fin au colonialisme … dans toutes ses manifestations »244. Cet objectif s’est également
traduit par la mise en place des Décennies internationales de l’élimination du colonialisme, dont la
quatrième est en cours245.
247. Ainsi que la Cour l’a confirmé, le droit des peuples colonisés à disposer d’eux-mêmes
s’est cristallisé en tant que norme coutumière du droit international au moins dès 1960, avec
l’adoption par l’Assemblée générale de la déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux
peuples coloniaux246. La norme dispose que le joug colonial est un déni fondamental du droit à
l’autodétermination et que la décolonisation est dès lors un droit juridique absolu des peuples
colonisés, comme condition nécessaire à la réalisation de l’autodétermination247.
248. La Nouvelle-Calédonie est inscrite depuis 1946 sur la liste des territoires non autonomes
établie par l’ONU248. Cette liste regroupe les territoires qui, selon l’ONU, ne s’administrant pas
encore eux-mêmes, ne peuvent exercer leur droit à l’autodétermination à cause du joug colonial, et
peuvent par conséquent prétendre à un acte formel de décolonisation249.
249. Les puissances administrantes des territoires non autonomes ont accepté, en tant que
« mission sacrée », les obligations de garantir le bien-être des habitants des territoires et de donner
effet à leur droit à l’autodétermination250. Ces obligations comprennent non seulement le devoir
243 Charte des Nations Unies, art. 1, par. 2, et art. 55 et 73.
244 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, intitulée « Déclaration sur
l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux ».
245 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 75/123 du 21 décembre 2020, intitulée, « Quatrième décennie
internationale de l’élimination du colonialisme », doc. A/RES/75/123.
246 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil
2019 (I), p. 132-133, par. 150-155.
247 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil
2019 (I), p. 134, par. 160 ; Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, intitulée
« Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux », doc. A/RES/1514 (XV).
248 Voir Nations Unies, Territoires non autonomes, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/dppa/
decolonization/fr/nsgt (dernière consultation le 7 février 2024).
249 Nations Unies, Territoires non autonomes, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/dppa/
decolonization/fr/nsgt (dernière consultation le 7 février 2024) ; voir aussi Charte des Nations Unies, art. 73 à 75 ; Effets
juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 134,
par. 160.
250 Charte des Nations Unies, art. 73.
- 52 -
d’effectuer la décolonisation, mais aussi celui d’assurer la capacité des peuples colonisés à jouir de
leur entière autodétermination une fois la décolonisation achevée, notamment par la protection et la
préservation de l’intégrité territoriale et des ressources naturelles251.
250. En tant que puissance administrante de la Nouvelle-Calédonie, la France assume cette
« mission sacrée » à l’égard des Kanaks. En particulier, elle est tenue de faciliter la décolonisation
en assurant le « progrès politique, économique et social, ainsi que le développement de
[l’]instruction », en aidant le peuple kanak à « développer [sa] capacité de s’administrer » lui-même
en « ten[ant] compte des aspirations politiques des populations », en aidant celles-ci « dans le
développement progressif de leurs libres institutions politiques » et en préservant leur intégrité
territoriale et leur droit à la souveraineté permanente sur les ressources naturelles252.
251. Le Groupe Fer de lance mélanésien fait valoir qu’en vertu de ses devoirs sacrés, la France
est dans l’obligation de protéger les peuples colonisés de Nouvelle-Calédonie des effets des
changements climatiques qui portent atteinte à leur droit à l’autodétermination, et qui menacent leur
aptitude à exercer pleinement ce droit à l’avenir, notamment par des financements climatiques et des
mesures d’adaptation climatique253. Conformément à l’obligation de la France de donner effet au
droit du peuple kanak à s’administrer lui-même, ces mesures devraient garantir l’autonomie de
celui-ci254. Ces mêmes obligations incombent à toutes les autorités administrantes à l’égard des
peuples de leurs territoires non autonomes.
Les droits de l’homme
252. Le Groupe Fer de lance mélanésien soutient que l’éventail complet des droits de l’homme
reconnus en droit international fait naître pour les États l’obligation de garantir la protection du
système climatique et d’autres composantes de l’environnement.
253. Les droits de l’homme font partie intégrante de l’ordre juridique international depuis au
moins 1945, date à laquelle ils ont été consacrés dans la Charte des Nations Unies et la Déclaration
universelle des droits de l’homme255. Ces droits sont universels, ce qui signifie que toute personne
dispose, dans des conditions d’égalité, du plein exercice des mêmes droits, et ils sont inaliénables,
ce qui signifie qu’on ne peut y renoncer et qu’ils ne peuvent être retirés. Tout individu est légalement
251 Voir Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J.
Recueil 2019 (I), p. 143, par. 160 (« La Cour considère que les peuples des territoires non autonomes sont habilités à exercer
leurs droits à l’autodétermination sur l’ensemble de leurs territoires dont l’intégrité doit être respectée par la puissance
administrante. »).
252 Charte des Nations Unies, art. 73.
253 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, observations finales concernant le rapport de la France
valant vingt-deuxième et vingt-troisième rapports périodiques, 14 décembre 2022 (appelant la France, s’agissant du peuple
kanak de Nouvelle-Calédonie à « adopter … des mesures pour remédier aux conséquences des activités extractives sur la
santé et l’environnement de ces populations et atténuer ces conséquences, ainsi que des mesures d’atténuation des effets de
la crise climatique sur leurs terres, territoires et ressources afin de protéger leurs modes de vie et moyens de subsistance »).
254 Charte des Nations Unies, art. 73.
255 Cette conception est consacrée par la résolution 217A (III) 10 décembre 1948, par laquelle l’Assemblée générale
des Nations Unies a adopté la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui précisait en quoi la Déclaration devait
approfondir et donner corps aux dispositions de la Charte ayant trait aux droits de l’homme, doc. A/RES/217(III). Par la
suite, l’Assemblée générale a affirmé dans de nombreuses résolutions que « [t]ous les États doivent observer fidèlement et
strictement les dispositions … de la Déclaration universelle des droits de l’homme » : voir Nations Unies, Assemblée
générale, résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960, intitulée « Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et
aux peuples coloniaux, par. 7, doc. A/RES/1514 (XV).
- 53 -
en droit d’être protégé de toute entrave à l’exercice de ses droits et doit disposer d’un recours utile
en cas de violation de ses droits.
254. Les droits de l’homme sont ancrés à la fois dans le droit international coutumier et dans
le droit conventionnel. L’instrument fondateur, la Déclaration universelle des droits de l’homme,
consacre un certain nombre de droits fondamentaux dont l’exercice est compromis par les effets des
changements climatiques, parmi lesquels le droit à la vie, le droit à la vie privée et à la vie familiale,
le droit à la vie culturelle et le droit à un niveau de vie suffisant. Les droits ainsi touchés, et d’autres,
sont également consacrés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui imposent des obligations
juridiquement contraignantes à leurs États parties (175 pour le premier et 173 pour le second).
255. Le Groupe Fer de lance mélanésien est d’avis que les droits énoncés dans la Déclaration
universelle des droits de l’homme ont cristallisé en normes coutumières du droit international. Ces
droits figuraient dans le droit interne de 55 nations lors de l’adoption de la Déclaration, ce qui montre
que celle-ci codifiait une pratique antérieure des États256. Depuis, la pratique des États a encore
confirmé le statut coutumier de ces droits, puisque la quasi-totalité des États les ont intégrés dans
leur ordre juridique national257. De plus, ces droits sous-tendent de nombreux traités et conventions
largement ratifiés258, et la pratique de l’ONU a systématiquement et régulièrement confirmé que les
droits et obligations visés dans la Déclaration universelle des droits de l’homme sont applicables à
tous les États259. De nombreuses juridictions nationales, internationales et régionales260, dont la
Cour261, ainsi que des juristes262, ont reconnu le caractère coutumier des droits figurant dans la
Déclaration. En conséquence, ces normes s’imposent à tous les États, qu’ils aient ou non ratifié le
256 Voir W. Schabas, “The Customary International Law of Human Rights” (OUP, 2021), p. 15 ; M. O’Boyle and
M. Lafferty, ‘General Principles and Constitutions as Sources of Human Rights Law’, in D. Shelton (ed.), The Oxford
Handbook of International Human Rights Law (Oxford University Press, 2013), p. 199.
257 Voir M. O’Boyle and M. Lafferty, ‘General Principles and Constitutions as Sources of Human Rights Law’, in
D. Shelton (ed.), The Oxford Handbook of International Human Rights Law (Oxford University Press, 2013), p. 203-204.
258 Tous les États Membres de l’ONU ont ratifié au moins un des traités fondamentaux relatifs aux droits de
l’homme et 80 % en ont ratifié au moins quatre : voir Nations Unies, Déclaration universelle des droits de l’homme :
Fondement du droit international relatif aux droits de l’homme (site Internet), accessible à l’adresse suivante :
https://www.un.org/fr/about-us/udhr/foundation-of-international-human-rights-law#:~:text=Aujourd%E2%80%99hui%2
C%20tous%20les,de%20l%E2%80%99homme%20internationaux (dernière consultation le 7 février 2024).
259 Voir les nombreux exemples traités dans Myres S. McDougal, Harold D. Lasswell, Lung-chu Chen, Human
Rights and World Public Order (Oxford University Press, 2nd ed, 2019), p. 328-330 (faisant aussi référence à la publication
United Nations Action in the Field of Human Rights (1974), doc.ST/HR/2, p. 129-151). Voir, par ailleurs, Bruno Simma
and Philip Alston, “The Sources of Human Rights Law: Custom, Jus Cogens, and General Principles” (1992) 12 Australian
Yearbook of International Law 82, 98.
260 H. Hannam, “The Status of the Universal Declaration of Human Rights in National and International Law”
(1995/96) 25 Georgia Journal of International and Comparative Law 287, p. 377-391. Pour des exemples plus récents
d’affaires nationales dans lesquelles a été invoquée la Déclaration universelle des droits de l’homme, voir, par exemple,
European Roma Rights v. Immigration Officer at Prague Airport (2004) 131 ILR 652, 684-5 ; Re Minister for Immigration,
ex p Ame (2005) 148 ILR 503, 549-50 ; HJ (Iran) v. Home Secretary (2010) 159 ILR 428, 440-1 ; Wakaba v.
Attorney-General (2010) 152 ILR 431,445-6 ; Juri-Nepal v. Government of Nepal (2014) 158 ILR 476, 516-7, 523-4. Dans
le contexte régional, voir, par exemple, In the matter of Anudo Ochieng Anudo v. United Republic of Tanzania (African
Court of Human and Peoples’ Rights, Judgment, 22 March 2018), par. 76 (reconnaissant la Déclaration universelle des
droits de l’homme comme « faisant partie du droit international coutumier »).
261 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil
2019 (I), opinion individuelle du juge Robinson, p. 304, par. 35 (« Il ne fait aucun doute que la [Déclaration universelle
des droits de l’homme] reflète le droit international coutumier »).
262 Voir, par exemple, William A Schabas, The Customary International Law of Human Rights (Oxford University
Press, 2021), p. 18, p. 15-21 ; Olivier de Schutter, International Human Rights Law, Cases, Materials, Commentary
(Cambridge University Press, 3rd ed., 2019), p. 60 ; Ilias Bantekas and Lutz Oette, International Human Rights, Law and
Practice (Cambridge University Press, 3rd ed., 2020), p. 6 ; Myres S. McDougal, Harold D. Lasswell, Lung-chu Chen,
Human Rights and World Public Order (Oxford University Press, 2nd ed., 2019), p. xcvii.
- 54 -
Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels.
256. En vertu du droit coutumier comme du droit conventionnel, les États sont dans
l’obligation de respecter, de protéger et de donner effet aux droits de l’homme. Ces obligations
s’étendent à tous les domaines de la gouvernance, ainsi qu’au comportement de tiers relevant de la
juridiction et du contrôle de l’État263. Si, par leurs actions ou omissions, les États ont manqué à ces
obligations, il leur incombe de réparer les violations des droits de l’homme qui ont découlé de ces
manquements.
257. Le Groupe Fer de lance mélanésien soutient que les obligations coutumières des États à
l’égard des droits de l’homme ont un caractère erga omnes264 et qu’elles s’appliquent de manière
extraterritoriale. Cette interprétation est corroborée par le fait que la Déclaration universelle des
droits de l’homme garantit les droits fondamentaux à « [t]ous les êtres humains » et ne prévoit aucune
restriction territoriale aux obligations des États de les respecter, de les protéger et de leur donner
effet265. De nombreux organes des droits de l’homme ou juridictions spécialisées ont confirmé que,
même en vertu des conventions relatives aux droits de l’homme, « [l]es obligations des États dans le
contexte des changements climatiques et autres dommages environnementaux s’étendent à tous les
détenteurs de droits et aux dommages survenus tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières
[nationales] »266.
258. À l’instar de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international
relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ne comporte aucune clause de compétence. Il fait
en outre aux États l’obligation de coopérer au niveau international pour parvenir à la réalisation
universelle des droits qu’il consacre, notamment au moyen d’une aide fournie par les États
développés aux États en développement267. Cette obligation, conjuguée aux références à l’action
internationale qui sont faites tout au long du texte268 et aux interprétations de l’application
263 Voir, par exemple, Comité des droits de l’enfant, « Observation générale no 26 (2023) sur les droits de l’enfant
et l’environnement, mettant l’accent en particulier sur les changements climatiques », doc. CRC/C/GC/26 (22 août 2023),
par. 69 et 106.
264 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne),
deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 34 (où il est dit que des obligations erga omnes découlent « des
principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine ») ; Questions concernant l’obligation
de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 448-450, par. 64-70.
265 Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 1.
266 Voir, par exemple, Office of the High Commissioner of Human Rights, Key Messages on Climate Change and
Human Rights ; Nations Unies, déclaration sur les droits de l’homme et les changements climatiques : « Déclaration
conjointe du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, du Comité des droits économiques,
sociaux et culturels, du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille,
du Comité des droits de l’enfant et du Comité des droits des personnes handicapées », doc. HRI/2019/1, par. 10 (14 mai
2020). Voir, en outre, dans le contexte des obligations extraterritoriales à l’égard des droits économiques, sociaux et
culturels : Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « Observation générale no 26 (2022) sur la terre et les droits
économiques, sociaux et culturels », doc. E/C.12/GC/26, par. 40-47 (24 janvier 2023) ; Comité des droits de l’enfant,
décision adoptée par le Comité au titre du protocole facultatif à la convention relative aux droits de l’enfant établissant une
procédure de présentation de communications, concernant la communication no 104/2019, doc. CRC/C/88/D/104/2019
(Sacchi c. Argentine), par. 10.7 (11 novembre 2021) ; Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation
générale no 14 : « Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint » (article 12 du Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels), doc. E/C.12/2000/4, par. 39 (11 août 2000) ; Comité des droits économiques,
sociaux et culturels, « Questions de fond au regard de la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels ». Observation générale no 12 : « Le droit à une nourriture suffisante » (art. 11),
doc. E/C.12/1999/5, par. 36-37 (12 mai 1999).
267 Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, art. 2, par. 1.
268 Voir ibid., art. 2, par. 1 et art. 11, 15, 22 et 23.
- 55 -
extraterritoriale qu’en donne le Comité des droits économiques, sociaux et culturels269, montre que
le Pacte a vocation à s’appliquer de manière extraterritoriale.
259. Même si le Pacte international relatif aux droits civils et politiques contient quant à lui
une clause de compétence270, il ressort clairement du texte du traité271 et de l’interprétation qu’en a
donnée par la suite le Comité des droits de l’homme272 que cette disposition ne limite pas les
obligations des États aux peuples et aux individus qui se trouvent sur le territoire de l’État concerné.
Plus particulièrement, il est bien établi qu’en vertu du Pacte, tout État partie est tenu de « respecter
et garantir à quiconque se trouve sous son pouvoir ou son contrôle effectif les droits reconnus dans
le Pacte même s’il ne se trouve pas sur son territoire »273. La logique est qu’un État ne saurait être
autorisé « à perpétrer sur le territoire d’un autre État des violations du Pacte qu’il ne serait pas
autorisé à perpétrer sur son propre territoire »274. Cette approche contribue à donner effet à l’objet et
au but des traités relatifs aux droits de l’homme275, et s’avère particulièrement pertinente dans les cas
de dommage transfrontière à l’environnement276.
260. Dans l’affaire Chiara Sacchi et consorts c. Argentine, Brésil, France et Allemagne, le
Comité des droits de l’enfant a interprété la clause de compétence de la convention relative aux droits
de l’enfant ⎯ libellée de manière similaire à celle du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques ⎯ en relation avec les changements climatiques. Plus particulièrement, l’affaire portait
sur les actions ou omissions des États s’agissant des changements climatiques et de leurs effets sur
des détenteurs de droits situés hors du territoire de l’État concerné. Le Comité a confirmé que les
détenteurs de droits relèvent de la juridiction d’un État dès lors que celui-ci a la capacité de
« réglementer les activités qui sont la source [des] émissions [de carbone] et de faire respecter les
269 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 14 : « Le droit au meilleur état de
santé susceptible d’être atteint » (article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels),
doc. E/C.12/2000/4, par. 39 (11 août 2000) ; Comité des droits économiques, sociaux et culturels, « Questions de fond au
regard de la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ». Observation
générale no 12 : « Le droit à une nourriture suffisante » (art. 11), doc. E/C.12/1999/5, par. 36-37 (12 mai 1999).
270 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 2, par. 1.
271 Par exemple, art. 5, par. 1 :
« Aucune disposition du présent Pacte ne peut être interprétée comme impliquant pour un État, un
groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d’accomplir un acte visant à
la destruction des droits et des libertés reconnus dans le présent Pacte ou à des limitations plus amples que
celles prévues audit Pacte. »
272 Par exemple, Comité des droits de l’homme, « Constatations du Comité des droits de l’homme en vertu du
paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques
concernant la communication no R.12/52 » (Sergio Rubén López Burgos c. Uruguay), par. 12.3.
273 Comité des droits de l’homme, observation générale no 31 : « La nature de l’obligation juridique générale
imposée aux États parties au Pacte », 26 mai 2004, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, par. 10.
274 Comité des droits de l’homme, « Constatations du Comité des droits de l’homme en vertu du paragraphe 4 de
l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques concernant la
communication no R.12/52 » (Sergio Rubén López Burgos c. Uruguay), doc. A/36/40(SUPP), par. 12.3.
275 Cour européenne des droits de l’homme, Autriche c. Italie, par. 116 et suiv.
276 Advisory Opinion on Human Rights and the Environment, OC-23/17, 15 November 2017, Inter-American Court
of Human Rights Series A No. 23, par. 95, 101-102.
- 56 -
réglementations adoptées », car de ce fait « l’État partie exerce un contrôle effectif sur les
émissions »277.
261. Le Groupe Fer de lance mélanésien estime que cette interprétation est correcte, ce qui
signifie que les peuples et individus en Mélanésie dont les droits sont touchés par un dommage
significatif au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement relèvent de la
juridiction des États qui ont causé ce dommage par leurs actions ou omissions.
262. Il convient également de noter que nombre des droits codifiés dans le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques font partie du droit international coutumier et qu’à ce titre, tous
les États sont tenus de les respecter et de les garantir aux peuples et aux individus qui subissent leurs
actions ou omissions, où qu’ils se trouvent.
263. Le fait que les changements climatiques entraînent des violations des droits de l’homme
a été confirmé par un grand nombre de juridictions, d’organes créés en vertu d’instruments relatifs
aux droits de l’homme et d’autres organes de l’ONU278. Les communautés de Mélanésie sont
exposées de manière disproportionnée aux changements climatiques et ont déjà subi de graves
violations de leurs droits fondamentaux.
264. Le reste de la présente section portera sur les droits de l’homme qui intéressent
particulièrement la région mélanésienne, à savoir le droit à la vie, les droits culturels et le droit à un
environnement propre, sain et durable.
Le droit à la vie
265. Le droit à la vie est largement reconnu comme un principe fondamental du droit
international coutumier auquel aucune dérogation n’est autorisée279. Il est également codifié dans de
nombreux instruments relatifs aux droits de l’homme, notamment à l’article 3 de la Déclaration
universelle des droits de l’homme et à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques280. Le droit à la vie est le « droit suprême » dont découlent tous les autres droits281. Il
garantit aux personnes la protection contre une privation arbitraire de la vie, ainsi que contre les
277 Comité des droits de l’enfant, Chiara Sacchi et consorts c. Argentine, Brésil, France et Allemagne
(communications nos 104 à 107/2019, doc. CRC/C/88/D/104/2019, CRC/C/88/D/105/2019, CRC/C/88/D/106/2019,
CRC/C/88/D/107/2019), par. 10.9 (11 novembre 2021), voir aussi par. 10.7 (dans lequel le Comité a cherché à adapter
l’approche pertinente de la notion de compétence retenue par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans son avis
consultatif sur les droits de l’homme et l’environnement) ; voir Advisory Opinion on Human Rights and the Environment,
Advisory Opinion OC-23/17, 15 November 2017, Inter-American Court of Human Rights Series A No. 23, par. 95, 101-102.
278 Voir Comité des droits de l’homme, observation générale no 36 (Article 6 : « Droit à la vie »),
doc. CCPR/C/GC/36, par. 3 (3 septembre 2019).
279 Schabas, W, The Customary International Law of Human Rights (Oxford University Press, 2021), p. 112 ; see
ACHPR, GC 3, 12 December 2015, par. 5 ; Mario Alfredo Lares-Reyes et al. v. United States, Case 12.379, Report
No. 19/02, 27 February 2002, par. 46, fn. 23.
280 Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 3 (« Tout individu a droit à la vie. ») ; Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, art. 6 (« [l]e droit à la vie est inhérent à la personne humaine »).
281 Comité des droits de l’homme, observation générale no 36 (Article 6 : « Droit à la vie »), doc. CCPR/C/GC/36,
par. 2 (3 septembre 2019). Voir aussi Comité des droits de l’homme, observation générale no 6 (Article 6 : « droit à la
vie »), par. 1 (30 avril 1982).
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actions ou omissions ayant pour but de causer, ou dont on peut attendre qu’elles causent, leur décès
non naturel ou prématuré. Il confère également à chaque personne le droit de vivre dans la dignité282.
266. Le droit à la vie est intrinsèquement lié au bien-être environnemental. Le Comité des
droits de l’homme a expliqué que « la dégradation de l’environnement pouvait compromettre la
jouissance effective du droit à la vie » et qu’une « grave dégradation de l’environnement pouvait
avoir des répercussions négatives sur le bien-être des personnes et entraîner une violation du droit à
la vie »283. En effet, « la dégradation de l’environnement, les changements climatiques et le
développement non durable font partie des menaces les plus urgentes et les plus graves pesant sur la
capacité des générations présentes et futures de jouir du droit à la vie »284.
267. Les États ont à la fois des obligations positives de protéger contre la privation de la vie et
des obligations négatives de s’abstenir de tout comportement qui aboutirait à une privation arbitraire
de la vie. Dans les deux cas, cela s’applique aussi à la privation de la vie dans la dignité. Les
obligations des États en matière de protection s’étendent aux menaces raisonnablement prévisibles
qui pourraient entraîner des violations du droit à la vie285. En ne prenant pas de mesures pour protéger
de ces menaces prévisibles, les États pourraient se trouver en violation de leurs obligations, « même
si une telle menace ou situation n’aboutit pas à la perte de la vie »286. Dès lors, le droit de vivre dans
la dignité protège les conditions de vie.
268. L’on peut donc considérer que le critère pour apprécier le respect par les États de leurs
obligations est celui de la diligence requise.
269. Comme l’a rappelé le Comité des droits de l’homme dans Billy c. Australie (dans la droite
ligne de son observation générale no 36) : « [l]es États devraient prendre des mesures appropriées
destinées à améliorer certains contextes dans la société susceptibles d’engendrer des menaces
directes pour la vie ou d’empêcher des personnes de jouir de leur droit à la vie dans la dignité »287.
270. Parmi ces contextes figure le bien-être environnemental. En l’affaire Portillo Cáceres
c. Paraguay, le Comité des droits de l’homme a conclu qu’il y avait eu violation du droit à la vie
(dans la dignité) en raison de l’usage massif de produits phytosanitaires toxiques. Ces produits
constituaient une menace raisonnablement prévisible pour la vie des auteurs de la communication,
des fumigations massives ayant contaminé les cours d’eau dans lesquels ceux-ci pêchaient, les puits
282 Comité des droits de l’homme, observation générale no 36 (Article 6 : « Droit à la vie »), doc. CCPR/C/GC/36,
par. 3 (3 septembre 2019). Voir General Comment No. 3 on the African Charter of Human and Peoples’ Rights: The Right
to Life (Article 4), African Commission on Human and Peoples’ Rights, 12 December 2015, par. 3 et 6 ; voir Comité des
droits de l’homme, « Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 » (paragraphe 4 du Protocole facultatif,
concernant la communication no 3624/2019 » doc. CCPR/C/135/D/3624/2019 (ci-après, « Billy c. Australie »), par. 8.3
(18 septembre 2023).
283 Billy c. Australie, par. 8.[5].
284 Ibid., par. 8.3.
285 Comité des droits de l’homme, observation générale no 36 (Article 6 : « Droit à la vie »), doc. CCPR/C/GC/36,
par. 7 (3 septembre 2019).
286 Billy c. Australie, par. 8.3.
287 Ibid., par. 8.3.
- 58 -
dont ils buvaient l’eau et les arbres fruitiers, les cultures et les animaux d’élevage dont ils se
nourrissaient288.
271. Dans Billy c. Australie, le Comité des droits de l’homme a considéré que les effets des
changements climatiques pouvaient faire partie des menaces pesant sur le droit à la vie :
« Le Comité considère que les effets néfastes des changements climatiques
peuvent être compris dans ces menaces et rappelle que la dégradation de
l’environnement, les changements climatiques et le développement non durable font
partie des menaces les plus urgentes et les plus graves pesant sur la capacité des
générations présentes et futures de jouir du droit à la vie. »289
272. Bien que le Comité ait conclu que la violation du droit à la vie dans l’affaire Billy
c. Australie n’était pas démontrée (les preuves n’allant pas au-delà du fait que les auteurs se disaient
« préoccupés »), le Groupe Fer de lance mélanésien estime que cela ne signifie pas pour autant
qu’aucune violation du droit à la vie ne se soit produite dans le contexte des changements climatiques.
Au contraire, comme l’ont démontré les récits des peuples de l’ensemble de la région mélanésienne,
des violations du droit à la vie ont déjà eu lieu du fait du comportement des États en jeu dans la
présente procédure. Certains ont perdu la vie en raison des effets des changements climatiques et des
communautés entières ont été privées de leur capacité à vivre dans la dignité.
Les droits culturels
273. Les droits culturels, bien qu’ils y soient décrits différemment, sont codifiés dans la
Déclaration universelle des droits de l’homme290, dans plusieurs traités parmi lesquels le Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels et la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale291, et dans plusieurs autres traités de l’ONU relatifs aux droits de
l’homme de groupes spécifiques292. Ils sont également codifiés dans plusieurs déclarations de l’ONU,
dont la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones293. De plus, le droit d’un
peuple à oeuvrer librement au développement de sa culture est un élément essentiel du droit à
l’autodétermination. Le Groupe Fer de lance mélanésien soutient que le droit à la culture et le droit
288 Comité des droits de l’homme, « Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 » (paragraphe 4 du
Protocole facultatif, concernant la communication no 2751/2016 (Portillo Cáceres et consorts c. Paraguay),
doc. CCPR/C/126/D/2751/2016, par. 7.5.
289 Billy c. Australie, par. 8.3.
290 Déclaration universelle des droits de l’homme, art. 27, par. 1(« Toute personne a le droit de prendre part
librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui
en résultent. »).
291 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 27 ; Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, art. 15, et convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, art. 5, litt. e), al. iv).
292 Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, art. 13 al. c) ;
convention relative aux droits de l’enfant, art. 31, par. 2) ; convention internationale sur la protection des droits de tous les
travailleurs migrants et des membres de leur famille, art. 43, par. 1), al. g) ; convention relative aux droits des personnes
handicapées, art. 30, par. 1.
293 Voir, par exemple, déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 1, 8, par. 1 ;
Nations Unies, Assemblée générale, résolution 47/135 du 18 décembre 1992, intitulée « Déclaration sur les droits des
personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques », art. 1, par. 1), art. 2, par.1 et
art. 4, par. 2), doc. A/RES/47/135.
- 59 -
de prendre part librement à la vie culturelle ont également acquis un caractère coutumier294. Ces
droits culturels sont aussi reflétés et confirmés dans le traité-cadre régional relatif à la protection des
savoirs traditionnels et des expressions culturelles.
274. Dans la présente sous-section, le Groupe Fer de lance mélanésien s’intéressera à la teneur
du droit énoncé à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à
l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (en se référant
au chevauchement de sens entre les diverses expressions de ce droit, notamment tel qu’il est énoncé
dans la convention relative aux droits de l’enfant aux articles 30 et 31)295. La convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale sera également
examinée dans ce contexte.
275. Reflétant le libellé de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 15 du
Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels protège le droit de chacun de
« participer à la vie culturelle ». Pour pouvoir jouir de ce droit, les personnes doivent pouvoir accéder
à des aspects essentiels de leur culture, parmi lesquels « les bienfaits de la nature dont jouit un État
tels que les mers, lacs, fleuves, montagnes, forêts et réserves naturelles, y compris la flore et la faune
qui s’y trouvent », ainsi que « les biens culturels incorporels tels que les langues, les coutumes, les
traditions, les croyances, le savoir et l’histoire, ainsi que les valeurs »296.
276. Le droit énoncé à l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
a une portée plus restreinte, étant réservé aux « minorités ethniques, religieuses ou linguistiques », y
compris les peuples autochtones. Il garantit aux personnes appartenant à des groupes minoritaires le
droit « d’avoir … leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion [et]
d’employer leur propre langue »297. Bien qu’il soit individuel, son respect dépend néanmoins de la
mesure dans laquelle le groupe minoritaire maintient sa culture.
294 William A. Schabas, The Customary International Law of Human Rights (Oxford University Press, 2021),
p. 321-323 (et les documents sur lesquels se fonde l’auteur).
295 L’article 30 de la convention relative aux droits de l’enfant se lit comme suit :
« [d]ans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques ou des personnes
d’origine autochtone, un enfant autochtone ou appartenant à une de ces minorités ne peut être privé du droit
d’avoir sa propre vie culturelle, de professer et de pratiquer sa propre religion ou d’employer sa propre
langue en commun avec les autres membres de son groupe » ;
et l’article 31 se lit comme suit :
« 1. Les États parties reconnaissent à l’enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à
des activités récréatives propres à son âge et de participer librement à la vie culturelle et artistique. 2. Les
États parties respectent et favorisent le droit de l’enfant de participer pleinement à la vie culturelle et
artistique et encouragent l’organisation à son intention de moyens appropriés de loisirs et d’activités
récréatives, artistiques et culturelles, dans des conditions d’égalité. »
296 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 21 : « Droit de chacun de participer
à la vie culturelle » (article 15, par. 1, al. a) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels »,
doc. E/C.12/GC/21, par. 16, al. a) (21 décembre 2009).
297 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art. 27.
- 60 -
277. Les peuples autochtones possèdent des droits culturels distincts, qui traduisent le
caractère fondamentalement collectif de la culture autochtone298, et le fait que la culture et
l’environnement autochtones sont indissociables299. Les peuples autochtones bénéficient aussi de
protections culturelles particulières, en reconnaissance des génocides culturels qu’ils ont subis
pendant la colonisation. Par exemple, la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones établit que « [l]es autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir
d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture »300.
278. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a confirmé que
« [l]es valeurs culturelles et les droits des peuples autochtones qui ont trait à leurs terres
ancestrales et à leur relation avec la nature devraient être considérés avec respect et
protégés, afin d’empêcher la dégradation de leur mode de vie particulier, notamment de
leurs moyens de subsistance, la perte de leurs ressources naturelles et, en fin de compte,
de leur identité culturelle »301.
279. De même, dans Billy c. Australie, le Comité des droits de l’homme a récemment
confirmé, lorsqu’il a conclu que les changements climatiques portaient atteinte aux droits culturels
des insulaires autochtones du détroit de Torres au titre du Pacte international relatif aux droits civils
et politiques, que
« l’article 27 du Pacte, interprété à la lumière de la Déclaration des Nations Unies sur
les droits des peuples autochtones, consacre le droit inaliénable des peuples autochtones
de jouir des territoires et des ressources naturelles qu’ils utilisent traditionnellement
pour leur subsistance et qui font partie de leur identité culturelle »302.
280. Le droit à la culture pour les peuples autochtones englobe également le droit de « de
transmettre à leurs enfants et aux générations futures leur culture, leurs traditions et leurs modes
d’utilisation des ressources foncières et marines »303.
281. Il y a violation des droits culturels lorsqu’une action ou une omission a des répercussions
importantes sur la culture ou les pratiques culturelles.
298 Comité des droits de l’homme, « Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 » (paragraphe 4 du
Protocole facultatif, concernant la communication no 2552/2015 (Benito Oliveira Pereira et consorts c. Paraguay),
21 septembre 2022, doc. CCPR/C/132/D/2552/2015, par. 8.6 (« la forte dimension collective des droits des peuples
autochtones est indispensable à leur existence, à leur bien-être et à leur développement intégral et comprend le droit aux
terres, territoires et ressources qu’ils possèdent ou occupent traditionnellement ou qu’ils ont utilisés ou acquis »).
299 Benito Oliveira Pereira et consorts c. Paraguay, par. 8.6 (« dans le cas des peuples autochtones, le droit d’avoir
leur vie culturelle peut consister à conserver un mode de vie étroitement associé au territoire et à l’utilisation de ses
ressources et peut porter sur l’exercice d’activités traditionnelles telles que la pêche ou la chasse ; la protection de ce droit
vise ainsi à assurer la survie et le développement permanent de l’identité culturelle »). Voir aussi Comité des droits de
l’homme, « Constatations : communication no 1457/2006 », Ángela Poma Poma c. Pérou, doc. CCPR/C/95/D/1457/2006,
27 mars 2009.
300 Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, art. 8, par. 1.
301 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 21, « Droit de chacun de participer
à la vie culturelle » (article 15, paragraphe 1, alinéa a) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels), doc. E/C.12/GC/21, 21 décembre 2009.
302 Billy c. Australie, par. 8.13.
303 Ibid., par. 8.14.
- 61 -
282. Les changements climatiques ont déjà eu des effets dévastateurs et irréparables sur le
droit à la culture dans toute la Mélanésie. Dans Billy c. Australie, le Comité des droits de l’homme a
conclu qu’il y avait violation de ce droit tel qu’il est protégé par le Pacte international relatif aux
droits civils et politiques dès lors que, pour les plaignants, « les effets des changements climatiques
sur la viabilité de leurs îles et des mers environnantes nuisent déjà à leur capacité de préserver leur
culture »304. Plus particulièrement, le Comité a conclu que les changements climatiques avaient mis
en péril la culture par une « détérioration des terres traditionnelles et des ressources naturelles que
les [plaignants] utilisent pour pratiquer la pêche et l’agriculture traditionnelle et tenir des cérémonies
culturelles qui ne peuvent avoir lieu que sur ces îles »305. Il a relevé en outre que « la santé de leur
territoire et des mers environnantes est étroitement liée à leur intégrité culturelle »306. Ainsi que nous
l’avons démontré à la section III, les mêmes effets, ainsi que d’autres, ont déjà été subis dans toute
la Mélanésie.
Le droit à un environnement propre, sain et durable
283. Le Groupe Fer de lance mélanésien fait valoir que le droit à un environnement propre,
sain et durable est un droit de l’homme que les États sont tenus de respecter, de protéger, de garantir
et de réaliser. Ce droit découle de l’une au moins des raisons ci-après et fait partie des droits de
l’homme à l’égard desquels les États ont des obligations de fond :
a) c’est un droit sui generis en droit international coutumier ;
b) c’est un principe général de droit ;
c) c’est un droit dérivé de la Déclaration universelle des droits de l’homme, du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques ou du Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels (« un environnement propre, sain et durable est essentiel à la jouissance de
tous les droits de l’homme ») ;
d) c’est un droit des peuples autochtones (voir droits culturels).
284. Le Groupe Fer de lance mélanésien avance que, du point de vue du fond, peu importe que
le droit à un environnement sain naisse de l’un ou l’autre des éléments énumérés aux alinéas a) à d).
Selon lui, le droit à un environnement sain est désormais un droit autonome ou indépendant.
285. Comme il a été relevé plus haut, le droit à un environnement sain en tant que droit de
l’homme a été reconnu à la fois par le Conseil des droits de l’homme et par l’Assemblée générale
des Nations Unies. Dans deux résolutions adoptées avec un très large soutien307, le Conseil des droits
de l’homme a reconnu le droit à un environnement propre, sain et durable comme un droit de
l’homme dont la jouissance est une condition préalable à la jouissance d’autres droits de l’homme.
L’Assemblée générale a, elle aussi, reconnu le droit à un environnement propre, sain et durable
304 Billy c. Australie, par. 8.14.
305 Ibid., par. 8.14.
306 Ibid., par. 8.14.
307 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution du 8 octobre 2021, intitulée « Droit à un
environnement propre, sain et durable », doc. A/HRC/RES/48/13 (adoptée avec 43 voix pour, 4 abstentions et zéro voix
contre).
- 62 -
comme étant un droit de l’homme dans une résolution adoptée avec seulement huit abstentions et
aucune voix contre308.
286. Les preuves que ce droit a le statut de règle du droit international général sont très
nombreuses. Les États siégeant au Conseil des droits de l’homme et l’Assemblée générale ont adopté
à une très large majorité les deux résolutions reconnaissant ce droit (sans aucune voix contre). Dans
le cadre du processus d’examen périodique universel, de nombreux États ont mentionné
expressément le droit à un environnement sain. Ils sont aussi plus de 110 à avoir inscrit ce droit dans
leur constitution (notamment les Fidji), et bien plus de 150 (soit plus de 80 % des États Membres de
l’ONU) à l’avoir reconnu dans leur constitution mais aussi dans leur législation, des décisions de
justice (notamment la Papouasie-Nouvelle-Guinée) et des traités régionaux309.
287. Ensuite, avec l’existence de ce droit comme droit de l’homme dérivé d’autres droits,
comme le Groupe Fer de lance mélanésien vient de le démontrer, le droit des droits de l’homme a
pris un tournant écologique important à l’échelle internationale. Cette évolution, ainsi qu’on l’a vu,
est bien établie et conforme à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Mais
l’existence d’un droit à un environnement sain découlant du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques ou du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels est
également fermement ancrée dans le principe de l’effet utile, c’est-à-dire le principe qui veut que les
droits et les obligations aient un effet. Le Comité des droits de l’homme et l’Assemblée générale des
Nations Unies ont tous deux expressément reconnu qu’il en allait ainsi. Même si le principe de l’effet
utile ne figure pas expressément à l’article 31 de la convention de Vienne, il est considéré comme un
principe sous-jacent de cette norme.
288. À titre subsidiaire, le Groupe Fer de lance mélanésien soutient que le droit à un
environnement sain existe manifestement pour les peuples autochtones et d’autres qui se trouvent
dans une situation similaire.
289. La teneur du droit repose sur deux éléments. Premièrement, le droit protège la qualité de
l’environnement (« propre », « sain », « durable »). Deuxièmement, il concerne « l’environnement »
qui, comme on l’a vu plus haut, est lié au contexte. Au surplus, la qualité de l’environnement que ce
droit protège est aussi fonction de l’environnement effectivement concerné. Ainsi, pour les peuples
autochtones qui dépendent de leur environnement pour vivre, par exemple, cet environnement doit
être d’autant plus propre, sain et durable.
3. La question b)
290. Par la question b), il est demandé à la Cour d’examiner quelles sont, au regard des
obligations juridiques applicables (telles que définies en réponse à la question a), les conséquences
308 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 76/300 du 28 juillet 2022, intitulée « Droit à un environnement
propre, sain et durable », doc. A/RES/76/300 (adoptée avec 161 voix pour, 8 abstentions et zéro voix contre).
309 John H. Knox, “Human Rights” in Lavanya Rajamani and Jacqueline Peel (eds.), The Oxford Handbook of
International Environmental Law (Oxford University Press, 2nd ed., 2021) 784, 786-787 (link or exhibit) ; Nations Unies,
Conseil des droits de l’homme, « Droit à un environnement sain : bonnes pratiques », rapport du rapporteur spécial sur la
question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr,
propre, sain et durable, doc. A/HRC/43/53, par. 10 (30 décembre 2019). Certaines constitutions, lois et politiques parlent
du droit à un environnement sain comme d’une garantie individuelle, tandis que d’autres en font un droit collectif ou un
principe général ; certains textes utilisent des termes différents pour décrire un droit qui est similaire sur le fond. À cet
égard, Vanuatu fait valoir que la pratique des États n’a pas besoin d’être identique, en se référant à : Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986,
p. 98, par. 186.
- 63 -
pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système
climatique et à d’autres composantes de l’environnement, à l’égard 1) « [d]es États, y compris, en
particulier, des petits États insulaires en développement, qui, de par leur situation géographique et
leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des
changements climatiques ou y sont particulièrement vulnérables » ; et 2) « [d]es peuples et des
individus des générations présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements
climatiques ».
291. Pour répondre à cette question, la Cour doit s’acquitter de deux tâches. Premièrement,
elle doit établir que le comportement des États ayant causé des dommages significatifs au système
climatique et à d’autres composantes de l’environnement constitue un fait internationalement illicite,
contraire aux obligations identifiées en réponse à la question a). Deuxièmement, elle doit déterminer
quelles sont les conséquences juridiques de tels manquements. Le Groupe Fer de lance mélanésien
traitera ces deux points tour à tour.
Les faits internationalement illicites
292. Le Groupe Fer de lance mélanésien soutient que les États qui ont causé des dommages
significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement ont commis des
faits internationalement illicites. La question du comportement internationalement illicite est régie
par le droit international général de la responsabilité de l’État, tel qu’il est reflété dans le « Projet
d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite de la Commission du
droit international » (ci-après, la « CDI ») (ci-après, les « articles sur la responsabilité de l’État »).
293. Pour constituer un fait internationalement illicite engageant la responsabilité de l’État, le
comportement 1) doit être attribuable à l’État ; et 2) doit constituer une violation d’une ou plusieurs
obligations internationales de l’État en question. Le Groupe Fer de lance mélanésien fait valoir que
chacune de ces conditions est remplie s’agissant des « actions ou omissions » qui « ont causé des
dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement ». Il
soutient que pareil comportement est attribuable aux États concernés et qu’il constitue une violation
des obligations pertinentes en droit international auxquelles étaient tenus ces États au moment des
faits, conformément au principe de contemporanéité codifié à l’article 13 des articles sur la
responsabilité de l’État.
294. Aux fins de l’établissement de la responsabilité internationale, le comportement est
constitué des actions ou omissions de l’État lui-même ou de l’un de ses organes310. Dans le cas
présent, plusieurs formes de comportement causant des dommages significatifs au système
climatique sont attribuables à l’État, parmi lesquelles 1) le versement de subventions publiques aux
combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz) ; 2) l’adoption de lois, politiques, programmes et
décisions en matière de politique énergétique ; et, surtout, 3) le défaut d’action pour limiter les
émissions de gaz à effet de serre à un niveau inférieur à la limite du dommage significatif.
295. Les deux premières catégories de comportement sont attribuables à l’État pour la même
raison. Les subventions, ainsi que les lois, politiques, programmes et décisions en matière
énergétique sont tous attribuables à l’État s’ils émanent de l’État lui-même ou de l’un quelconque de
310 Articles sur la responsabilité de l’État, paragraphe 1 et 5 du commentaire de l’article 4 (« Le principe de l’unité
de l’État veut que les actions ou omissions de tous les organes de l’État soient réputées être des actions ou omissions de
l’État aux fins de la responsabilité internationale. »).
- 64 -
ses organes311. Dès lors, les subventions publiques aux combustibles fossiles ainsi que toute mesure
législative ou gouvernementale ou autre mesure de politique générale destinée à promouvoir la
production de combustibles fossiles sont directement attribuables à l’État. Au surplus, les
subventions et mesures de politique générale émanant d’une entité qui ne fait pas structurellement
partie de l’État restent attribuables à celui-ci si l’entité est « habilitée par le droit de cet État à exercer
des prérogatives de puissance publique » et pour autant qu’elle « agisse en cette qualité »312.
296. Le fait de ne pas agir pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre en deçà de la
limite du dommage significatif est aussi directement attribuable à l’État. Il s’agit là de l’aspect le
plus important du comportement en cause dans la présente procédure, en particulier en ce qui
concerne la poignée d’États ayant sous leur juridiction ou leur contrôle des entreprises et d’autres
entités qui ont produit d’importantes émissions de gaz à effet de serre au fil du temps. Seuls les États
sont souverains pour réglementer les émissions de gaz à effet de serre d’entités privées relevant de
leur juridiction ou de leur contrôle. S’ils ne le font pas, c’est une omission (c’est-à-dire, un
comportement) qui leur est directement attribuable.
297. Ensuite, les actions ou omissions de l’État qui ont causé, par les émissions de gaz à effet
de serre qui en ont résulté, des dommages significatifs au système climatique et à d’autres
composantes de l’environnement, constituent des violations des obligations internationales de l’État.
Le comportement de l’État constitue une violation « lorsqu’un fait [de l’]État n’est pas conforme à
ce qui est requis de lui en vertu de cette obligation, quelle que soit l’origine ou la nature de
celle-ci »313. Ainsi qu’on l’a vu au sujet de la question a), nombre des règles internationales régissant
le comportement en cause exigent des États qu’ils prennent des mesures pour éviter de nuire à
d’autres États, individus et peuples. À ce titre, le fait d’avoir manqué à agir au fil du temps pour
ramener les émissions de gaz à effet de serre en deçà de la limite du dommage significatif constitue
une omission internationalement illicite attribuable à l’État.
298. Le Groupe Fer de lance mélanésien relève que les États sont tenus au moins depuis le
XIXe siècle au devoir de diligence requise, qui leur impose de ne pas permettre que leur territoire
soit utilisé d’une manière susceptible de causer des dommages significatifs à d’autres États314. Ce
devoir est devenu plus spécifique à la protection de l’environnement au cours du XXe siècle,
311 Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme,
avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 87-88, par. 62. L’article 4 des articles sur la responsabilité de l’État définit un
organe comme suit :
« 1. Le comportement de tout organe de l’État est considéré comme un fait de l’État d’après le droit
international, que cet organe exerce des fonctions législative, exécutive, judiciaire ou autres, quelle que soit
la position qu’il occupe dans l’organisation de l’État, et quelle que soit sa nature en tant qu’organe du
gouvernement central ou d’une collectivité territoriale de l’État.
2. Un organe comprend toute personne ou entité qui a ce statut d’après le droit interne de l’État. »
312 Noble Ventures, Inc. v. Romania, Centre international pour le règlement des différends relatifs aux
investissements (CIRDI), affaire no ARB/01/11, sentence (12 octobre 2005), par. 70 ; Jan de Nul N.V., Dredging
International N.V. v. Egypt, CIRDI, affaire no ARB/04/13, Decision on Jurisdiction (16 juin 2006), par. 89.
313 Articles sur la responsabilité de l’État, art. 12.
314 Voir Alabama Claims of the United States of America against Great Britain, Award rendered on 14 September
1872 by the tribunal of arbitration established by Article I of the Treaty of Washington of 8 May 1871, XXIX Reports of
International Arbitral Awards p. 125. Voir aussi International Duties of Neutral States — Rules of Washington’ in James
Brown Scott (ed.), Resolutions of the Institute of International Law Dealing with the Law of Nations: With an Historical
Introduction and Explanatory Notes (Oxford University Press 1916), accessible à l’adresse suivante :
https://www.idi-iil.org/app/uploads/2019/06/Annexe-1bis-Compilation-Resolutions-EN.pdf. Voir aussi la version
originale en français : « Devoirs internationaux des États neutres. Règles de Washington. Conclusions adoptées à La Haye »
(1877), Annuaire de l’Institut de droit international, tome 1, p. 139, accessible à l’adresse suivante :
https://www.idi-iil.org/app/uploads/2017/06/1875_haye_04_fr.pdf.
- 65 -
notamment à la suite de l’arbitrage de la Fonderie de Trail, qui a établi qu’aucun État n’a le droit
d’utiliser son territoire pour causer un préjudice grave à un autre État par pollution de l’air315. Par
conséquent, laisser perdurer des émissions élevées de gaz à effet de serre alors que les risques en
étaient désormais compris sur le plan scientifique, en particulier à partir des années 1960, constitue
un manquement manifeste, par les grands pays émetteurs, du devoir de diligence requise. De plus,
comme il a déjà été relevé plus haut, les États sont tenus depuis 1945 à des obligations en ce qui
concerne les droits de l’homme, et notamment le droit à l’autodétermination et du principe de
non-discrimination. Les effets disproportionnés des changements climatiques sur les groupes
vulnérables, dont font partie les peuples autochtones de Mélanésie, sont constitutifs de manquements,
par les grands pays émetteurs, de ces obligations à l’égard des droits de l’homme.
299. En raison de leur nature cumulative, les actions ou omissions de l’État ayant causé le
dommage climatique constituent un fait composite au sens de l’article 15 des articles sur la
responsabilité de l’État, puisque la violation s’étend sur la totalité de la période qui commence
rétroactivement à la date de la première action ou omission de la série. Le manquement à agir pour
faire baisser les émissions se poursuit encore aujourd’hui, ce qui signifie que le fait composite
continue. Le Groupe Fer de lance mélanésien considère que, pour en déterminer les conséquences
juridiques, le comportement illicite doit être envisagé dans son intégralité, en tant que comportement
total.
300. Le Groupe Fer de lance mélanésien relève qu’il n’existe pas de circonstances excluant
l’illicéité qui pourraient justifier le comportement internationalement illicite. Les motifs énumérés
aux articles 20 à 26 des articles sur la responsabilité de l’État, tels que la nécessité et la force majeure,
doivent être expressément invoqués et ne valent pas autorisation globale de se livrer à un
comportement qui serait autrement illicite. Pareil comportement demeure illicite en principe à moins
d’être justifié. Au surplus, le caractère impératif de certaines des obligations auxquelles il est manqué
en l’espèce, notamment l’obligation de respecter le droit à l’autodétermination et l’interdiction de la
discrimination raciale, limite strictement toute tentative d’exclure l’illicéité.
Les conséquences juridiques
301. Le Groupe Fer de lance mélanésien en vient à présent aux conséquences juridiques du
comportement total constitutif qu’ont eu, en violation des obligations internationales, les États ayant
généré par le passé d’importantes émissions de gaz à effet de serre. Ainsi que la Cour l’a dit dans son
avis consultatif concernant la Namibie, une situation illégale constatée par un organe compétent des
Nations Unies « ne peut rester sans conséquence » et la Cour ne s’acquitterait pas de ses fonctions
judiciaires si elle ne déclarait pas qu’il existe une obligation de mettre fin à cette situation316. La
présente section traitera des critères à prendre en considération s’agissant des violations dues au
comportement en cause, en ce qui concerne les deux catégories de victimes envisagées dans la
question juridique posée à la Cour : 1) certains États victimes ; et 2) les victimes humaines, y compris
les individus et les peuples des générations actuelles et futures.
Les conséquences juridiques des dommages causés à certains États
302. La Cour est priée de préciser les conséquences juridiques du comportement
internationalement illicite des États s’agissant des dommages causés à d’autres États « qui, de par
leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement atteints par
315 Trail Smelter Arbitration, RIAA, vol. III, p. 1905-82, p. 1963, p. 1965.
316 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 54, par. 117.
- 66 -
les effets néfastes des changements climatiques ou y sont particulièrement vulnérables ». Elle est
également priée de tenir particulièrement compte des dommages causés aux petits États insulaires en
développement, dont il est largement reconnu qu’ils sont la catégorie d’États la plus touchée par les
effets néfastes des changements climatiques.
303. La catégorie des victimes qui sont des « États » dans la question posée à la Cour est
identifiée sur la base du droit international de la responsabilité de l’État pour faits illicites317. En
particulier, les termes « lésé » et « spécialement atteints » sont codifiés dans les articles sur la
responsabilité de l’État.
304. Le paragraphe 2 de l’article 31 des articles sur la responsabilité de l’État définit le
« préjudice » comme « tout dommage, tant matériel que moral, résultant du fait internationalement
illicite de l’État ». De toute évidence, cette définition s’applique aux préjudices, décrits dans les
sections précédentes, qui découlent du comportement des États causant des dommages significatifs
aux systèmes climatiques et à d’autres composantes de l’environnement.
305. L’article 42 des articles sur la responsabilité de l’État prévoit qu’un État lésé peut
invoquer la responsabilité d’un autre État ayant manqué à ses obligations internationales dans trois
situations318. La première est celle où « l’obligation violée est due [à] cet État individuellement »319.
Dans le contexte des changements climatiques, tel serait le cas, par exemple, de l’engagement de
fournir une aide financière à certains États, pris en vertu du paragraphe 5 de l’article 11 de la
convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
306. Les deux autres situations sont celles où l’obligation violée est due à un groupe d’États
dont fait partie l’État lésé ou à la communauté internationale dans son ensemble. Premièrement, un
État lésé peut invoquer la responsabilité internationale de l’État commettant la violation si celle-ci
cause un dommage qui « atteint spécialement » l’État lésé. Cela signifie que l’État « doit être atteint
par la violation d’une manière qui le distingue des autres États auxquels l’obligation est due »320.
307. La situation des États « spécialement atteints » est particulièrement pertinente dans le
contexte des changements climatiques. En effet, nombre des obligations qui nous intéressent sont
dues à la communauté internationale dans son ensemble, or le préjudice découlant de la violation de
ces obligations, causé sous la forme de dommages significatifs au système climatique, a été et
continue d’être ressenti de manière disproportionnée par certains États, au premier chef desquels les
petits États insulaires en développement, dont ceux situés en Mélanésie.
308. De fait, il existe un consensus à la fois politique et scientifique, exprimé régulièrement
dans les résumés du GIEC à l’intention des décideurs ainsi que dans des publications et autres
317 Le Secrétariat de l’ONU a confirmé cette référence et inclus dans le dossier communiqué à la Cour les articles
sur la responsabilité de l’État, ainsi que les commentaires y relatifs et le supplément.
318 Dans son intégralité, l’article 42 des articles sur la responsabilité de l’État se lit comme suit :
« Un État est en droit en tant qu’État lésé d’invoquer la responsabilité d’un autre État si l’obligation
violée est due : a) À cet État individuellement ; ou b) À un groupe d’États dont il fait partie ou à la
communauté internationale dans son ensemble, et si la violation de l’obligation : i) Atteint spécialement cet
État ; ou ii) Est de nature à modifier radicalement la situation de tous les autres États auxquels l’obligation
est due quant à l’exécution ultérieure de cette obligation. » (Les italiques sont de nous.)
319 Articles sur la responsabilité de l’État, art. 42, al. a).
320 Articles sur la responsabilité de l’État, art. 42, litt. b), al. i) et paragraphe 12 du commentaire.
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productions d’organismes spécialisés de l’ONU, quant au fait que les petits États insulaires subissent
de manière exceptionnelle et disproportionnée les effets des changements climatiques321.
309. De surcroît, comme le démontrent les éléments de preuve produits à l’appui du présent
exposé, les changements climatiques désagrègent l’essence même de la vie dans toute la Mélanésie,
et ce, parce que nos modes de vie mélanésiens sont intimement liés à nos environnements322.
Le même profond préjudice est ressenti par des États dans la même situation, dont les modes de vie
sont eux aussi indissociables de la terre et de la mer, parmi lesquels d’autres petits États insulaires
en développement323. Le profond préjudice subi par les États mélanésiens est disproportionné par
rapport à celui subi par les autres États, en particulier ceux dans lesquels les ontologies et les
philosophies conçoivent les systèmes humains et naturels comme distincts.
310. Enfin, un État lésé peut invoquer la responsabilité internationale de l’État qui commet
une violation si celle-ci est « de nature à modifier radicalement la situation de tous les autres États
auxquels l’obligation est due quant à l’exécution ultérieure de cette obligation »324. Les obligations
de ce type naissent de traités « dont l’exécution par chacune des parties dépend effectivement de son
exécution par chacune des autres parties, et exige cette exécution »325. Ce cas de figure se pose à
l’évidence s’agissant des obligations des États identifiées plus haut dans le cadre de la question a).
311. Outre les États lésés et spécialement atteints, il est demandé à la Cour dans la question
juridique d’examiner les conséquences juridiques à l’égard des États « particulièrement
vulnérables ». Dans le contexte climatique, la vulnérabilité s’entend généralement comme la
« [p]ropension ou prédisposition à subir des dommages », notamment en raison d’une « sensibilité
ou d’une susceptibilité aux dommages et d’une absence de capacité à faire face et à s’adapter »326.
Cette catégorie regroupe donc les États qui, bien que n’étant pas touchés au point d’être « lésés » ou
« spécialement atteints », sont néanmoins plus exposés que les autres États aux effets néfastes des
changements climatiques « de par leur situation géographique et leur niveau de développement ».
312. Les États qui ont, par leur comportement internationalement illicite, causé un préjudice à
d’autres États, comme exposé ci-dessus, voient leur responsabilité internationale engagée. En vertu
des règles coutumières en matière de responsabilité de l’État codifiées dans les articles sur la
responsabilité de l’État, plusieurs conséquences naissent de telles violations.
313. Les règles de droit international général régissant la responsabilité de l’État disposent que
les États responsables sont tenus de garantir aux États lésés, a minima, 1) la cessation et la
321 Voir, de manière générale, GIEC, “Chapter 15: Small Islands” in Climate Change 2022: Impacts, Adaptation
and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on
Climate Change, Full Report (2022), accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/chapter/
chapter-15/ (dernière consultation le 7 février 2024).
322 Voir partie VI, supra.
323 Voir, de manière générale, GIEC, “Chapter 15: Small Islands” in Climate Change 2022: Impacts, Adaptation
and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on
Climate Change, Full Report (2022), accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/chapter/
chapter-15/ (dernière consultation le 7 février 2024).
324 Articles sur la responsabilité de l’État, art. 42, litt. b), al. ii).
325 Articles sur la responsabilité de l’État, paragraphe 13 du commentaire de l’article 42.
326 IPCC Glossary, accessible à l’adresse suivante : https://apps.ipcc.ch/glossary/.
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non-répétition de la violation ; et 2) une réparation sous une forme adéquate, notamment la restitution
ou l’indemnisation, ou une combinaison des deux327.
314. Dans ce contexte, la cessation impose aux États d’arrêter de causer des dommages
significatifs aux systèmes climatiques et à d’autres composantes de l’environnement. Cela signifie
que les États doivent faire usage de leurs pouvoirs souverains pour adopter de toute urgence des
mesures en vue de faire baisser les émissions anthropiques produites sous leur juridiction ou leur
contrôle à un niveau dont les meilleures données scientifiques indiquent qu’il est nécessaire pour
empêcher d’autres dommages. Comme l’a dit le GIEC, il est ainsi exigé des États ayant produit par
le passé les émissions les plus élevées qu’ils réduisent drastiquement leurs émissions dans l’ensemble
des secteurs, en faisant baisser sans délai l’utilisation et la production de combustibles fossiles. L’une
des exigences spécifiques découlant de l’obligation de cessation est, en outre, qu’aucun nouveau
projet de site relatif aux combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz) ne soit approuvé ou mis en
oeuvre328.
315. Outre la cessation, les États responsables doivent fournir des assurances et des garanties
de non-répétition329. Il ne doit pas s’agir de prononcer de simples mots d’apaisement, mais de prendre
des mesures concrètes pour garantir que la violation ne se produira plus, autrement dit, dans le présent
contexte, de s’engager immédiatement dans un retrait progressif des combustibles fossiles.
316. De plus, les États responsables sont tenus de fournir réparation aux États lésés afin de
remédier aux dommages déjà subis du fait de leur comportement internationalement illicite330. La
réparation revêt la plus haute importance pour les membres du Groupe Fer de lance mélanésien et
d’autres pays vulnérables vis-à-vis du climat, en ce qu’elle amorce une réponse à l’injustice
fondamentale que constitue le fait que ceux qui ont le moins contribué à la crise climatique sont les
plus touchés par ses effets. La réparation doit donc être conçue comme s’inscrivant dans un processus
visant à remédier aux faits passés.
317. La forme privilégiée de réparation est la restitution, qui suppose que l’État responsable
prenne des mesures pour « “effacer” les conséquences juridiques et matérielles de son fait illicite en
rétablissant la situation qui aurait existé si ce fait n’avait pas été commis »331. L’objectif de la
restitution est d’annuler les dommages et de replacer l’État lésé dans la position qui était la sienne
avant les dommages332. La notion de restitution revêt un sens large, recouvrant « toutes les mesures
que doit prendre l’État responsable pour rétablir la situation qui existait avant son fait
327 Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I),
p. 153-154, par. 137. (« l’État responsable d’un [fait internationalement illicite] a l’obligation d’y mettre fin si ce fait
présente un caractère continu. En outre, même si le fait en question a pris fin, l’État responsable est tenu, à titre de
réparation, de rétablir la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis. »).
328 United Nations Environment Programme, Emissions Gap Report 2023: Broken Record. Temperatures reach
new highs, yet world fails to cut emissions (again) (November 2023), at p. 30.
329 Articles sur la responsabilité de l’État, paragraphe 13 du commentaire de l’article 30.
330 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 232-233, par. 460 ; Immunités juridictionnelles de l’État
(Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 153-154, par. 137.
331 Articles sur la responsabilité de l’État, paragraphe 3 du commentaire de l’article 35 (« la restitution est le mode
de réparation le plus conforme au principe général selon lequel l’État responsable est tenu d’“effacer” les conséquences
juridiques et matérielles de son fait illicite en rétablissant la situation qui aurait existé si ce fait n’avait pas été commis ; à
ce titre, elle prime tout autre mode de réparation »).
332 Articles sur la responsabilité de l’État, paragraphe 3 du commentaire de l’article 35.
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internationalement illicite »333. La restitution peut prendre la forme d’une restitution matérielle, ou
d’une restitution de terres, de personnes ou de biens, ou bien encore d’une annulation d’un acte
juridique, voire d’une combinaison de ces différentes hypothèses334.
318. Dans le contexte des changements climatiques, même s’il n’est pas possible de restaurer
pleinement le système climatique ni de revenir sur l’ensemble des pertes et dommages associés, le
Groupe Fer de lance mélanésien est d’avis que la restitution peut néanmoins être mise en oeuvre au
moyen, entre autres, d’une aide en matière de mesures d’adaptation permettant de réduire la
vulnérabilité et de reconstruire la résilience335. Il pourrait notamment s’agir de mesures visant à
restaurer activement la perte de biodiversité et les terres dégradées, à regagner ou à protéger des
territoires, et à fournir les moyens financiers et technologiques permettant une adaptation
transformatrice. Une telle aide contribuerait à rapprocher les États lésés des conditions, sur le plan
de la vulnérabilité et de la résilience au climat, qui existaient avant qu’ils ne subissent les dommages
climatiques.
319. Cependant, dans de nombreux cas, la restitution est matériellement impossible étant
donné que les changements climatiques ont entraîné des pertes irréparables. Ainsi qu’il a été exposé
dans les sections qui précèdent, il s’agit notamment de l’extinction de la biodiversité, de
l’effondrement d’écosystèmes et de la perte définitive de territoires, y compris, parfois, d’îles
entières. Il n’est pas possible de faire revivre une espèce désormais éteinte, de restaurer un
écosystème qui s’est effondré ou de retrouver un territoire qui a été détruit. Pour remédier à ces
préjudices, les États responsables sont tenus de fournir une indemnisation adéquate, qui comprend le
versement de dommages et intérêts pécuniaires aux États lésés. Il s’agit notamment d’indemniser à
la fois « les dommages environnementaux … en eux-mêmes … en sus de dépenses engagées par
l’État lésé en conséquence de tels dommages »336.
320. Une indemnisation doit être versée à la fois pour les dommages tangibles et intangibles.
Certains des dommages causés par les changements climatiques sont tangibles et peuvent être
aisément évalués et indemnisés en termes économiques. C’est notamment le cas de la destruction
d’infrastructures, des coûts associés à la réinstallation de peuples déplacés et de la valeur matérielle
des ressources naturelles. Les dommages culturels peuvent eux aussi ouvrir droit à une
indemnisation, bien que celle-ci soit plus difficile à quantifier337. Point important, le droit
international permet d’accorder une indemnisation sur une base équitable, quand l’existence des
dommages est évidente mais que leur valeur monétaire est difficile à calculer précisément.
L’indemnité à verser doit alors être évaluée au cas par cas.
333 Articles sur la responsabilité de l’État, paragraphe 5 du commentaire de l’article 35.
334 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 103-104,
par. 273.
335 GIEC, Synthesis Report of the IPCC Sixth Assessment Report (AR6), Summary for Policymakers, March 2023,
statement A.3, B.4, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_
SYR_SPM.pdf (dernière consultation le 7 février 2024). Il est à noter qu’une adaptation inefficace (ou maladaptation) peut
en réalité accroître la vulnérabilité. Par conséquent, l’adaptation doit reposer sur des données scientifiques exactes, être
propre au lieu et aux communautés concernés, répondre aux besoins des peuples touchés, être souple et être envisagée à de
long terme, avec une prise en considération des risques futurs et des incertitudes climatiques, entre autres critères. Dans
tous les cas, il est essentiel que les États et les communautés touchés soient autonomes dans la gestion de leur adaptation.
336 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua),
indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 26, par. 34, et p. 28-29, par. 41-43.
337 Ibid., p. 26, par. 34, et p. 28-29, par. 41-43.
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321. Dans le contexte des changements climatiques, les « dépenses engagées par l’État lésé »
comprennent également les investissements que l’État concerné a dû faire pour réagir et s’adapter
aux changements climatiques. Bien souvent, les États vulnérables ont dû rediriger une part
importante de leur budget national limité pour financer des interventions lors de catastrophes, la
construction d’infrastructures résistantes au climat et la réinstallation de communautés, au détriment
d’autres priorités urgentes telles que la santé, l’éducation et la lutte contre la pauvreté. Ils ont
également été obligés de s’endetter à des niveaux qui ne sont pas viables. Outre l’indemnisation des
dommages causés à l’environnement proprement dit, les États responsables doivent indemniser les
États lésés pour les dépenses engagées par ces derniers afin de remédier aux préjudices climatiques.
322. Compte tenu de l’ampleur considérable des dégâts climatiques subis par les membres du
Groupe Fer de lance mélanésien et d’autres États particulièrement vulnérables, des réparations par la
seule voie de restitution et d’indemnisation ne sont pas suffisantes. Les États responsables sont aussi
tenus de coopérer à une réforme fondamentale des systèmes économiques et financiers
internationaux qui ont accru la vulnérabilité et exacerbé les effets des changements climatiques. De
telles réformes sont nécessaires pour faire baisser les coûts phénoménaux liés à la résilience
climatique et remédier aux injustices systémiques qui entravent le développement durable. Des
modalités telles que le nouveau fonds pour les pertes et les préjudices mis en place par la conférence
des Nations Unies sur les changements climatiques peuvent contribuer au versement
d’indemnisations, mais ne sauraient se substituer à l’obligation juridique sous-jacente qui incombent
aux États responsables de réparer intégralement le préjudice.
La responsabilité aggravée en cas de violations d’obligations ayant un caractère de jus cogens et
erga omnes
323. Il faut souligner en outre que le comportement ayant causé les changements climatiques
viole non seulement des obligations internationales ordinaires, mais également plusieurs normes
reconnues comme étant impératives ou erga omnes, parmi lesquelles le droit à l’autodétermination
et le principe de non-discrimination, l’interdiction du génocide et de l’apartheid et les devoirs de
diligence requise et de prévention des dommages transfrontières. Pour de telles violations graves des
normes les plus fondamentales du droit international, les règles coutumières codifiées dans les
articles sur la responsabilité de l’État prévoient un régime de responsabilité aggravée de l’État
entraînant des conséquences juridiques supplémentaires.
324. Il ressort clairement de l’article 40 des articles sur la responsabilité de l’État que ce régime
spécial s’applique en cas de violation « grave » de normes impératives, définie comme impliquant
« un manquement flagrant ou systématique à l’exécution de l’obligation ». La Cour comme la
Commission du droit international ont systématiquement affirmé que les violations graves de normes
du jus cogens et d’obligations erga omnes déclenchent cette responsabilité aggravée.
325. Compte tenu de la nature et de la gravité des obligations impératives et erga omnes qui
sont violées du fait du comportement ayant causé les changements climatiques, tous les États ont des
obligations supplémentaires, autres que celles imposées aux États directement responsables des
dommages.
326. Premièrement, tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître comme licite
une situation résultant de pareilles violations graves. Dans le contexte des changements climatiques,
une telle situation serait celle des États vulnérables sur le plan climatique qui se voient refuser des
droits à des espaces maritimes ou le statut d’État en raison de l’élévation du niveau de la mer ou
d’autres dommages irréversibles causés par des violations du droit international. Deuxièmement,
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tous les États doivent s’abstenir de prêter une aide ou une assistance qui contribuerait à perpétuer la
situation illicite, ce qui signifie qu’ils doivent cesser tout soutien, que ce soit par un financement ou
par une réglementation, aux activités qui génèrent de nouvelles émissions de gaz à effet de serre.
Enfin, tous les États doivent activement coopérer, par des moyens licites, à faire cesser ces violations
systématiques le plus rapidement possible, en particulier les violations du droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes qui perdurent.
Les conséquences juridiques des dommages causés aux individus et aux peuples
327. La Cour est également priée de préciser les conséquences juridiques du comportement
internationalement illicite des États s’agissant des « peuples et [aux] individus des générations
présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements climatiques ». Par cette
formulation, il est demandé à la Cour d’examiner particulièrement quels sont les recours et les
remèdes dont peuvent bénéficier les victimes de violations des droits de l’homme découlant du
comportement des États en matière de changements climatiques. La question concerne les détenteurs
de droits tant individuels que collectifs qui subissent ces violations.
328. La question des conséquences juridiques pour les États ayant violé des droits individuels
et collectifs revêt une importance majeure pour le Groupe Fer de lance mélanésien. Comme le
démontrent les éléments de preuve et les témoignages présentés ici, nos peuples et communautés
subissent déjà des effets dévastateurs sur le plan des droits de l’homme, en ce qu’ils perdent tout, de
leurs terres ancestrales à leurs vies et leurs moyens de subsistance, en passant par leurs traditions et
leur patrimoine culturels. La charge disproportionnée qui pèse sur les jeunes, les femmes, les
personnes handicapées et autres groupes marginalisés vient aggraver cette injustice.
329. Au surplus, la population étant très jeune, les enfants d’aujourd’hui et les générations
futures de Mélanésiens sont condamnés à subir des violations de plus en plus graves de leurs droits
tout au long de leur vie, à moins que les États qui sont les plus responsables de la crise climatique ne
changent radicalement de cap. Le Groupe Fer de lance mélanésien fait observer que, dans la demande
d’avis consultatif, l’Assemblée générale charge délibérément et sans ambiguïté la Cour d’examiner
au regard du droit international les préjudices causés aussi bien aux générations actuelles qu’à celles
qui suivront. La pertinence de cette approche est renforcée par les avis d’organes spécialisés, dont le
Comité des droits de l’homme, qui a précisé que : « [l]es générations futures … ont le droit
fondamental de bénéficier d’un système climatique stable compatible avec la vie humaine »338. De
même, le Comité des droits de l’enfant a confirmé que « le principe de l’équité intergénérationnelle
et sur les intérêts des générations futures » guide la teneur des obligations des États au regard des
droits de l’homme339.
330. La mention expresse des « peuples » comme victimes du préjudice climatique revêt
également une importance critique pour le Groupe Fer de lance mélanésien, compte tenu de nos
identités culturelles fortes en tant que peuples mélanésiens dont les liens entre terre et communauté
sont profonds, et de notre engagement en faveur de la libération collective et durable des peuples
colonisés, pour ceux de nos membres qui ont obtenu l’indépendance et l’autodétermination comme
338 Billy c. Australie, par. 3.7.
339 Nations Unies, Comité des droits de l’enfant, « Observation générale no 26 (2023) sur les droits de l’enfant et
l’environnement, mettant l’accent en particulier sur les changements climatiques », doc. CRC/C/GC/26 (22 août 2023),
par. 11.
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pour ceux qui demeurent soumis à l’oppression coloniale340. Cette formulation caractérise à juste
titre les changements climatiques comme une menace pour la jouissance collective des droits de
l’homme, en plus d’une source de violations individuelles.
331. Il est désormais bien établi que les changements climatiques compromettent un large
éventail de droits de l’homme internationalement protégés, tant individuels que collectifs. Les
organes et les rapporteurs spéciaux de l’ONU chargés des droits de l’homme, les juridictions
régionales des droits de l’homme et d’autres autorités spécialisées ont confirmé que les effets
climatiques causés par des manquements aux obligations internationales violent les droits à la vie, à
la santé, à la nourriture, à l’eau, au logement, au développement, à l’autodétermination, à un
environnement sain, à la culture, et bien d’autres encore. Cela entraîne inévitablement des
conséquences juridiques pour les États responsables des violations.
332 C’est une règle générale en droit international qu’un État qui a commis des violations des
droits de l’homme est tenu d’assurer aux victimes 1) la cessation du comportement illicite et sa
non-répétition ; 2) une réparation intégrale du préjudice, notamment par voie de restitution,
d’indemnisation, de satisfaction et de réhabilitation, selon le cas ; et 3) la mise en place de réformes
structurelles des lois et pratiques afin d’empêcher que des violations similaires se répètent. En
fonction des sources de droit qui s’imposent à l’État, ces devoirs peuvent naître en tant que lex
specialis en vertu de régimes conventionnels particuliers ou découler du droit international général
de la responsabilité de l’État tel qu’adapté au contexte des droits de l’homme. Dans tous les cas,
l’exigence principale est la même : les États qui violent les droits de l’homme sont tenus d’assurer
aux victimes des recours utiles341.
333. Dans le contexte des changements climatiques, l’obligation de cessation impose aux États
de mettre en oeuvre de toute urgence toutes les mesures nécessaires pour empêcher des émissions
futures qui entraîneraient de nouvelles atteintes aux droits de l’homme, notamment une transition
rapide et juste vers d’autres énergies que les combustibles fossiles. Comme l’ont affirmé maintes
entités des droits de l’homme de l’ONU, pareilles mesures sont essentielles pour que les États
s’acquittent de leurs obligations positives de protéger les droits de l’homme de violations
prévisibles342.
334. Pour s’acquitter de leur devoir de réparation des violations des droits de l’homme qu’ils
ont causées par leurs actions ou omissions en matière de changements climatiques, les États
responsables doivent fournir des modalités qui permettent de réparer comme il se doit et de manière
adéquate les préjudices subis par les victimes, en fonction de la nature et de la gravité des droits
touchés. On trouvera quelques orientations auprès d’organes conventionnels des droits de l’homme
de l’ONU qui ont conclu que des violations des droits de l’homme découlant du comportement des
États contribuaient aux changements climatiques. Par exemple, dans Billy c. Australie, le Comité des
droits de l’homme a précisé que pour l’État responsable, assurer des recours utiles aux peuples
autochtones dont les droits ont été violés du fait des changements climatiques supposait, entre autres :
340 Comme vu précédemment, le terme « peuples » peut inclure les « peuples » des États ayant déclaré leur
indépendance, les « peuples » de territoires non autonomes, les « peuples autochtones » et les « peuples tribaux » ou
« Premières Nations ».
341 Comité des droits de l’homme, observation générale no 31 : « La nature de l’obligation juridique générale
imposée aux États parties au Pacte », 26 mai 2004, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, par. 15.
342 Voir, par exemple, rapport du rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le
contexte des changements climatiques, doc. A/77/226, par. 26 (26 juillet 2022) ; Comité des droits de l’homme, observation
générale no 31 : « La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte », 26 mai 2004,
doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, par. 15-17, par. 106.
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« [D]’accorder aux auteurs une indemnisation appropriée pour le préjudice subi,
d’engager de véritables consultations avec les communautés auxquelles appartiennent
les auteurs afin de procéder à une évaluation des besoins, de continuer à appliquer les
mesures nécessaires afin que ces communautés puissent continuer à vivre en toute
sécurité sur leurs îles respectives, de suivre l’application des mesures et d’évaluer leur
efficacité afin de remédier dès que possible aux éventuels problèmes. [L’État partie] est
également tenu de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues
ne se reproduisent pas. »343
335. Comme il est dit ci-dessus, l’un des éléments d’un recours utile est l’apport d’une aide en
matière d’adaptation climatique. Si la cessation de la violation (pour ce qui est de la réduction des
émissions de gaz à effet de serre) est nécessaire pour remédier aux dommages à venir, l’adaptation
climatique l’est également. Une véritable adaptation climatique est essentielle pour résister à de
nouveaux dommages et peut dès lors contribuer à empêcher des violations et pertes futures ⎯ en
évitant ainsi la nécessité d’une indemnisation supplémentaire, et souvent inadéquate, pour des pertes
et dommages qui, sans cela, seraient inévitables344.
336. Outre les réparations propres aux victimes, un recours utile exige la mise en oeuvre de
changements structurels, notamment de « la législation et des pratiques » de l’État, nécessaires pour
éviter « éviter la répétition du type de violation considéré »345. Il peut notamment s’agir, outre une
régulation adéquate par les États des émissions de gaz à effet de serre relevant de leur juridiction et
de leur contrôle, d’adopter une législation, des stratégies et des politiques visant à remédier aux
violations des droits de l’homme découlant des changements climatiques et à empêcher qu’elles ne
se reproduisent. Ainsi que l’a formulé le rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits
de l’homme dans le contexte des changements climatiques, cela nécessite d’adopter des dispositions
législatives qui :
a) soutiennent les processus de coopération internationale relatifs aux pertes et préjudices qui
reposent sur le principe de solidarité, lequel implique un devoir d’assistance sans attente de
réciprocité ;
b) prévoient des dispositions portant indemnisation, responsabilité et réparations en cas de préjudice
afin d’obliger les principaux émetteurs de gaz à effet de serre ⎯ les pays comme les sociétés ⎯
à payer pour les préjudices qu’ils causent. Ces dispositions devraient inclure la responsabilité
nationale et transnationale ;
c) garantissent aux personnes la liberté de circulation et tous les droits que la loi reconnaît aux
réfugiés si elles viennent à être déplacées à l’intérieur de leur pays et d’un pays à l’autre en raison
des changements climatiques ;
d) prévoient la mise en place de mécanismes d’assurance et de mutualisation des risques abordables,
aux fins de l’aide aux personnes les plus vulnérables ;
343 Billy c. Australie, par. 11.
344 GIEC, Synthesis Report of the IPCC Sixth Assessment Report (AR6), Summary for Policymakers, March 2023,
statement A.3, B.4, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_
SYR_SPM.pdf (dernière consultation le 7 février 2024). Bien entendu, si les pertes et dommages sont inévitables, une
indemnisation s’impose.
345 Comité des droits de l’homme, observation générale no 31 : « La nature de l’obligation juridique générale
imposée aux États parties au Pacte », 26 mai 2004, doc. CCPR/C/21/Rev.1/Add.13, par. 17.
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e) créent des mécanismes permettant d’évaluer, de quantifier et de compenser les pertes et
préjudices économiques et non économiques, y compris les répercussions sur les droits de
l’homme ;
f) favorisent la mise en place d’un mécanisme international de traitement accéléré des demandes
d’indemnisation pour les pertes et préjudices subis346.
337. Pour certaines des atteintes aux droits de l’homme subies en Mélanésie, telles que la perte
définitive de terres ancestrales, de sites culturels et de références culturelles essentielles (comme
l’igname), aucun recours ne sera jamais pleinement utile. La cessation ne peut ramener ce qui a été
pris de manière irrécupérable et l’argent ne peut compenser la privation d’un mode de vie, la rupture
du lien avec les esprits et les ancêtres, la perte de toute une langue. S’agissant de telles pertes
existentielles, le Groupe Fer de lance mélanésien affirme qu’il faut quelque chose de plus. Les États
responsables doivent oeuvrer avec les communautés touchées à la cocréation de mécanismes, tels
qu’une commission vérité et réconciliation, permettant une reconnaissance, une prise en
considération et un apaisement conformes aux attentes des victimes, y compris les générations
futures. Des rituels culturellement ancrés d’expiation et de réconciliation doivent compléter les
recours juridiques formels.
VI. CONCLUSION
338. La Mélanésie a déjà subi un préjudice irréparable du fait des innombrables effets néfastes
des changements climatiques. À mesure que ces préjudices se multiplient et s’intensifient, il est
indispensable que les États redoublent d’efforts pour protéger ceux qui sont vulnérables face au
climat. Or, le rythme extrêmement lent auquel progresse l’action climatique mondiale démontre
clairement que les États manquent à s’acquitter des obligations qui leur incombent en droit
international de protéger le système climatique et d’autres composantes de l’environnement. Cela
s’explique en partie par le fait que ces obligations sont restées trop longtemps vagues et mal définies.
Ce manque de clarté a entravé la capacité de la communauté internationale à répondre efficacement
à la crise climatique. Il a été demandé à la Cour d’apporter cette clarté juridique.
339. La Cour étant l’organe judiciaire principal de l’ONU, un avis consultatif qui préciserait
les principes juridiques internationaux en matière de changements climatiques constituerait une
appréciation indépendante et faisant autorité du caractère adéquat des actions climatiques en cours
et annoncées à ce jour. Il permettrait aussi de reconnaître que les changements climatiques sont
ressentis de manière disproportionnée par ceux qui se trouvent en situation de vulnérabilité comme
c’est le cas, d’une manière générale, de ceux qui vivent dans le Pacifique, et en particulier de ceux
qui vivent dans la sous-région mélanésienne.
340. Le Groupe Fer de lance mélanésien invite particulièrement la Cour à confirmer que les
actions ou omissions des États ayant causé des dommages significatifs au système climatique et à
d’autres composantes de l’environnement constituent une violation par les États en question de leurs
obligations en vertu du droit international. Cette violation prend la forme d’un « fait composite » ou
« d’une série d’actions ou d’omissions, définie dans son ensemble comme illicite »347. Lorsque les
règles auxquelles il est manqué ont le statut de jus cogens ou d’obligation erga omnes, la série
d’actions ou d’omissions est une violation de nature grave.
346 Rapport du rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des
changements climatiques, doc. A/78/255, par. 72 (28 juillet 2023).
347 Conformément à la règle codifiée au paragraphe 1 de l’article 15 des articles sur la responsabilité de l’État.
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341. En tout état de cause, la violation déclenche des conséquences juridiques à l’égard des
deux catégories de victimes. Renforcer et préciser ces conséquences juridiques à mesure qu’elles se
font jour s’agissant des deux catégories de victimes visées à la question b) dans le dispositif de la
résolution 77/276 permettrait d’accélérer l’action des États dans la mise en place de solutions utiles
et équitables aux changements climatiques, tout en aidant à déterminer qui porte la responsabilité des
changements climatiques et quelles mesures doivent être prises en droit pour remédier à la situation.
Les États pourraient ainsi partager équitablement la charge des changements climatiques et les
mesures à prendre pour y remédier, tout en préservant les droits des plus vulnérables, dont font partie
les membres du Groupe Fer de lance mélanésien et leurs peuples. Un avis de la Cour à ce sujet
marquerait enfin un début de réponse à la promesse de justice climatique.
342. L’avis ainsi rendu pourrait à terme assurer la perpétuation du mode de vie mélanésien,
riche des précieuses cultures, traditions et valeurs qui ont guidé les nombreux peuples de la
sous-région à travers les âges.
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Exposé écrit du Groupe de Fer de lance mélanésien (GFLM)