Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
20057
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIÈRE DE CHANGEMENT CLIMATIQUE (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
OBSERVATIONS ÉCRITES DU BUREAU DES PARTIES À L’ACCORD DE NAURU
[Traduction non révisée]
TABLE DES MATIÈRES
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PARTIE A I. INTRODUCTION .............................................................................................................................. 1
PARTIE B II. ARGUMENTS DÉCOULANT DES EXPOSÉS ÉCRITS SOUMIS À LA COUR .................................. 1
A. La compétence de la Cour ........................................................................................................ 1
B. Le comportement des États ...................................................................................................... 4
C. Le droit applicable .................................................................................................................... 5
D. Les conséquences juridiques .................................................................................................... 7
PARTIE C III. CONCLUSIONS ................................................................................................................... 8
PARTIE A I. INTRODUCTION
1. Les présentes observations écrites sont soumises par le Bureau des parties à l’accord de Nauru en vertu de l’article 66 du Statut de la Cour, qui prévoit que les États ou organisations qui ont présenté des exposés écrits ou oraux sont admis à discuter les exposés faits par d’autres États et organisations dans les formes, mesures et délais fixés, dans chaque cas d’espèce, par la Cour ou, si elle ne siège pas, par le président.
2. En application de l’ordonnance de la présidente de la Cour en date du 15 décembre 2023, le Bureau des parties à l’accord de Nauru soumet les présentes observations écrites sur les exposés écrits présentés au sujet de la demande d’avis consultatif figurant dans la résolution 77/276 adoptée par consensus le 29 mars 2023 par l’Assemblée générale des Nations Unies. Les observations écrites abordent le contexte de l’accord de Nauru concernant la coopération et la gestion des pêches d’intérêt commun, et d’autres instruments connexes, en mettant particulièrement l’accent sur la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (CNUDM). Les présentes observations écrites sont soumises par le Bureau des parties à l’accord de Nauru sans préjudice des positions respectives des parties.
3. Les présentes observations écrites portent sur certaines questions spécifiques découlant des exposés écrits soumis par d’autres États ou organisations internationales et se composent de trois parties, dont la présente introduction. La deuxième partie aborde un certain nombre de sujets spécifiques dans les [quatre] sous-sections suivantes : A) La compétence de la Cour, B) Le comportement des États, C) Le droit applicable, et D) Les conséquences juridiques. Les conclusions des observations écrites sont résumées dans la troisième partie.
4. Globalement, le Bureau des parties à l’accord de Nauru fait respectueusement valoir que dans sa réponse aux questions qui lui sont posées, la Cour devrait souligner qu’elle est bel et bien compétente pour donner un avis consultatif et qu’il n’existe aucune raison décisive pour qu’elle s’abstienne de le faire. Eu égard à la question a), le comportement responsable des changements climatiques est clairement défini dans la résolution comme étant constitué par « le comportement des États dans le temps relativement aux activités contribuant aux changements climatiques et à leurs effets néfastes ». Eu égard à la question b), qui fait référence aux « actions ou omissions » des États par le biais desquelles ils « ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement », les obligations primaires des États au titre des changements climatiques ne se limitent pas à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et à l’accord de Paris, de sorte que la violation par un État de l’obligation primaire engagerait sa responsabilité internationale.
PARTIE B II. ARGUMENTS DÉCOULANT DES EXPOSÉS ÉCRITS SOUMIS À LA COUR
A. LA COMPÉTENCE DE LA COUR
5. Dans leurs exposés écrits, plusieurs États ont soulevé un certain nombre d’arguments au sujet du bien-fondé de l’utilisation par la Cour de son pouvoir discrétionnaire pour décider de rendre ou non l’avis consultatif demandé. Il s’agit des points suivants : i) les questions ne sont pas suffisamment précises (Iran) ; elles sont formulées en « termes généraux » (exposé écrit conjoint du Danemark, de la Finlande, de l’Islande, de la Norvège et de la Suède, qui ne préconisent toutefois
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pas que la Cour refuse de donner son avis consultatif ; voir aussi Afrique du Sud) ; ii) la question « invite la Cour à statuer de lege ferenda » (Iran) ; iii) la Cour pourrait envisager de reformuler la question (Iran ; voir aussi Afrique du Sud) ; iv) la Cour devrait « faire preuve de prudence dans l’exercice de sa compétence en raison de la nature politique des négociations en cours sur le droit international du changement climatique » et parce que les obligations internationales primaires des États au regard des changements climatiques découlent de la CCNUCC, du protocole de Kyoto et de l’accord de Paris (Arabie saoudite) ; v) les décisions de juridictions internationales multiples sur les changements climatiques risquent de conduire à « une fragmentation du droit international, de susciter l’incertitude et offr[ent] aux parties concernées la possibilité de choisir la jurisprudence la plus avantageuse » (Afrique du Sud). Ces arguments sont explicités et réfutés tour à tour ci-dessous.
6. En premier lieu, il convient d’établir la compétence de la Cour dans la présente procédure. Les dispositions pertinentes sont le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies et le chapitre IV du Statut de la Cour, et plus particulièrement le paragraphe 1 de son article 65. Le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies se lit comme suit : « L’Assemblée générale … peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique ». Le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut de la Cour dispose ce qui suit : « La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies, ou conformément à ses dispositions, à demander cet avis »1.
7. Plusieurs considérations sont particulièrement pertinentes eu égard aux arguments recensés plus haut :
a) En réponse aux points i) et ii), des arguments analogues ont été soulevés dans le cadre de la demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (ci-après, la « COSIS ») au Tribunal international du droit de la mer (TIDM), qui a estimé ce qui suit :
« [L]es questions posées par la Commission sont suffisamment claires et précises pour lui permettre de donner un avis consultatif. Le Tribunal considère que des renseignements et des éléments de preuve suffisants lui ont été fournis sur lesquels fonder ses conclusions. Le Tribunal considère également que la demande est compatible avec ses fonctions judiciaires puisqu’il lui est demandé de fournir des éclaircissements et des orientations sur les obligations particulières des États Parties à la Convention en interprétant et en appliquant les dispositions de celle-ci, en particulier les dispositions de la partie XII, et d’autres règles pertinentes du droit international. Comme le Tribunal l’a précisé dans l’Avis consultatif CSRP, il “n’a pas à prendre position sur des questions ne relevant pas de ses fonctions judiciaires”. »
b) Il importe de souligner dans la présente procédure que la formulation de la question a été adoptée par consensus après d’intenses négociations au sujet de son libellé précis. En outre la résolution a été adoptée par consensus et coparrainée par un nombre sans précédent d’États, soit 132 au total. Dans ces conditions, il est difficile d’imaginer que la question ne corresponde pas exactement aux éléments que l’Assemblée générale souhaite voir clarifier par la Cour.
c) En outre, la Cour a clairement dit, dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, qu’elle pouvait répondre à des questions abstraites :
1 Nations Unies, résolution 77/276 de l’Assemblée générale, 29 mars 2023, doc. A/RES/77/276, demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les obligations des États à l’égard des changements climatiques.
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« [L]a Cour a clairement affirmé que l’allégation selon laquelle elle ne pourrait connaître d’une question posée en termes abstraits n’est qu’“une pure affirmation dénuée de toute justification”, et qu’elle “peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, abstraite ou non” (Conditions de l’admission d’un État comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), avis consultatif, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 61 ; voir aussi Effet de jugements du Tribunal administratif des Nations Unies accordant indemnité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1954, p. 51, et Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 27, par. 40). »2
d) En réponse au point iii), il convient de rappeler que la Cour n’a reformulé les questions qui lui étaient posées que dans des cas exceptionnels, pour des motifs qui sont loin de s’appliquer dans la présente procédure3.
e) En réponse au point iv), des arguments analogues ont été soulevés dans le cadre de la demande d’avis consultatif soumise par la COSIS au TIDM au sujet de l’application de la CCNUCC et de l’accord de Paris au titre de la détermination des mesures nécessaires pour respecter l’article 194, paragraphe 1 de la CNUDM. Le TIDM a dit ce qui suit :
« Le Tribunal ne considère pas qu’il suffirait, pour remplir l’obligation posée par l’article 194, paragraphe 1, de la Convention, de se conformer simplement aux obligations et engagements énoncés dans l’Accord de Paris. La Convention et l’Accord de Paris sont des accords distincts, contenant des ensembles distincts d’obligations. Si l’Accord de Paris complète la Convention en ce qui concerne l’obligation de réglementer la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES [gaz à effet de serre], il ne s’y substitue pas pour autant. L’article 194, paragraphe 1, impose aux États l’obligation juridique de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES, dont des mesures pour réduire ces émissions. Un État qui ne se conformerait pas à cette obligation engagerait sa responsabilité internationale. »4
f) Plus fondamentalement, la Cour a souligné qu’elle ne pouvait remettre en cause le jugement de l’Assemblée générale au sujet de l’utilité politique d’un avis consultatif considération d’autant plus prégnante que la résolution demandant l’avis consultatif a été adoptée par consensus, signalant par là même sans équivoque qu’à ce moment précis, l’avis de la Cour était considéré comme crucial. Les négociations sur le climat peuvent grandement bénéficier d’une déclaration faisant autorité au sujet des principales obligations et de leurs implications pour le comportement qui est à l’origine des changements climatiques. Dans l’avis consultatif sur la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, la Cour a expressément déclaré ce qui suit :
« La Cour n’estime pas davantage qu’elle devrait refuser de répondre à la demande de l’Assemblée générale sur la base d’arguments, avancés par certains participants à la présente procédure, selon lesquels son avis risquerait d’avoir des conséquences politiques négatives. De même que la Cour ne peut substituer sa propre appréciation de l’utilité de l’avis demandé pour l’organe requérant à celle de ce dernier,
2 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226, par. 15.
3 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 403, par. 50.
4 Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, avis consultatif, 21 mai 2024, TIDM Recueil 2024 (https://www.itlos.org/fileadmin/ itlos/documents/cases/31/Advisory_Opinion/A31_avis_cons_21.05.2024_orig.pdf).
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elle ne peut tout particulièrement en l’absence d’éléments sur lesquels fonder cette appréciation faire prévaloir son propre point de vue sur les conséquences négatives que risquerait d’emporter son avis. Dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, alors qu’il avait été avancé qu’une réponse de sa part risquerait d’être préjudiciable aux négociations sur le désarmement, et que des positions contraires s’exprimaient à ce sujet, la Cour a indiqué qu’“il n’[était] pas de critère évident qui [lui] permettrait de donner la préférence à une position plutôt qu’à une autre”. »
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g) S’agissant du point v), il convient de relever que l’existence de procédures en cours consacrées à des questions connexes n’a jamais empêché la Cour de rendre un avis consultatif. Loin de mener à une fragmentation du droit international, ces autres procédures permettront à la Cour de connaître et de prendre en compte les positions adoptées par les organes judiciaires spécifiquement établis pour interpréter les traités pertinents.
B. LE COMPORTEMENT DES ÉTATS
8. Dans son avis consultatif sur les changements climatiques rendu à la demande du COSIS, le TIDM a précisé de la manière suivante l’obligation des États pour ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre (GES) :
« [L]’article 194, paragraphe 2, de la Convention impose aux États Parties une obligation spécifique applicable dans le contexte de la pollution transfrontière qui s’ajoute à l’obligation de prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES. Au titre de cette disposition, les États Parties ont l’obligation particulière de prendre toutes les mesures nécessaires pour que les émissions anthropiques de GES relevant de leur juridiction ou de leur contrôle ne causent pas de préjudice à d’autres États et à leur environnement, et pour que la pollution résultant de telles émissions relevant de leur juridiction ou de leur contrôle ne s’étende pas au-delà des zones où ils exercent des droits souverains. Il s’agit d’une obligation de diligence requise. Le niveau de diligence requise en vertu de l’article 194, paragraphe 2, peut être encore plus élevé que celui découlant de l’article 194, paragraphe 1, en raison de la nature de la pollution transfrontière. »
9. Le comportement qui est responsable des changements climatiques est expressément défini dans le texte de la résolution, d’abord en termes très généraux (la question a) fait référence aux « émissions anthropiques de gaz à effet de serre »), puis de manière plus détaillée afin d’orienter la détermination des obligations pertinentes (l’alinéa 5 du préambule se termine sur une référence au « comportement des États dans le temps relativement aux activités contribuant aux changements climatiques et à leurs effets néfastes ») puis finalement de manière très précise afin que la Cour détermine si, sur le principe, le comportement est conforme ou non au droit international, et dans ce dernier cas, quelles sont les conséquences juridiques spécifiques correspondantes (la question b) renvoie aux « actions ou omissions » par lesquelles les États « ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement »).
10. Le comportement spécifique devant être évalué est défini à la question b) comme constitué par les « actions ou omissions » par lesquelles un ou plusieurs États « ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement ». Ce comportement peut être évalué pour des États individuels, un groupe spécifique d’États ou de
5 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 403, par. 35.
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manière générale (afin de déterminer si, sur le principe, il est conforme ou non avec le droit international). Le dossier comporte des éléments permettant à la Cour de procéder à l’une quelconque de ces trois évaluations. Elle a déjà adopté cette démarche par le passé.
11. Dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour était consultée pour savoir s’il était permis « en droit international » de recourir à « la menace ou à l’emploi d’armes nucléaires » « en toute circonstance ». L’Assemblée générale n’a pas fait référence à un État particulier ni à un groupe d’États, ni même à des circonstances spécifiques dans lesquelles il serait recouru à la menace ou à l’emploi d’armes nucléaires. La Cour a analysé le comportement de manière générale, en faisant parfois la distinction entre les « États dotés d’armes nucléaires » et les « États non dotés d’armes nucléaires », tout en reconnaissant d’autres sujets pertinents tels que les détenteurs individuels du droit à la vie.
C. LE DROIT APPLICABLE
12. Certains exposés écrits ont soulevé des arguments offrant des versions différenciées de l’état actuel du droit international applicable au comportement responsable des changements climatiques. On constate en effet que i) certains États ont fait valoir, principalement en réponse à la question a) posée dans la résolution 77/276, que les obligations juridiques internationales applicables aux changements climatiques émanaient des traités du régime y relatif, à savoir principalement la CCNUCC et l’accord de Paris (États-Unis, OPEP, Arabie saoudite, Koweït, Chine, Japon, Afrique du Sud, Brésil) ; ii) certains États ont également affirmé, cette fois en réponse à la question b), que le Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (ci-après, le « Projet d’articles sur la responsabilité de l’État ») de la Commission du droit international (CDI)6 n’était pas applicable (Chine, OPEP, Royaume-Uni, Japon, Union européenne) ou ne présentait qu’une utilité limitée (Arabie saoudite ; exposé écrit conjoint du Danemark, de la Finlande, de l’Islande, de la Norvège et de la Suède ; Afrique du Sud ; Nouvelle-Zélande ; Corée ; Fédération de Russie ; Australie).
13. Les obligations des États au titre de différentes conventions ont été évoquées dans le cadre de la demande d’avis consultatif soumise par la COSIS au TIDM au sujet de l’application de la CCNUCC et de l’accord de Paris et de la détermination des mesures nécessaires pour respecter l’article 194, paragraphe 1 de la CNUDM. Le TIDM a conclu ce qui suit :
« Le Tribunal ne considère pas qu’il suffirait, pour remplir l’obligation posée par l’article 194, paragraphe 1, de la Convention, de se conformer simplement aux obligations et engagements énoncés dans l’Accord de Paris. La Convention et l’Accord de Paris sont des accords distincts, contenant des ensembles distincts d’obligations. Si l’Accord de Paris complète la Convention en ce qui concerne l’obligation de réglementer la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES, il ne s’y substitue pas pour autant. L’article 194, paragraphe 1, impose aux États l’obligation juridique de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES, dont des mesures pour réduire ces émissions. Un État qui ne se conformerait pas à cette obligation engagerait sa responsabilité internationale. »
6 Nations Unies, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, Annuaire de la Commission du droit international (2001), volume II, deuxième partie, rapport de la Commission à l’Assemblée générale sur les travaux de sa cinquante-troisième session, doc. A/CN.4/SER.A/2001/Add.1 (Part 2) (https://legal.un.org/ilc/publications/yearbooks/french/ilc_2001_v2_p2.pdf).
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14. Dans son avis consultatif donné en réponse à la demande de la COSIS, le TIDM interprète la CNUDM comme incluant des obligations pour les États de faire face aux effets des changements climatiques sur le milieu marin, s’inscrivant ainsi dans la logique de l’objectif de l’accord de Paris de limiter l’augmentation de la température mondiale et de réduire les émissions de GES.
15. Dans son avis consultatif, le TIDM explique que les émissions de GES sont une forme de pollution marine et que des mesures rigoureuses sont requises au titre des obligations des États pour protéger le milieu marin des effets des changements climatiques.
16. Pour ce qui concerne les obligations des États, il est généralement reconnu que le Projet d’articles sur la responsabilité de l’État s’applique indépendamment des règles primaires (les obligations) qui ont été violées7. Ce n’est que si le traité en question contient des règles secondaires spéciales que le Projet d’articles sur la responsabilité de l’État le cède à ces règles et ceci uniquement pour les aspects spécifiques sur lesquels portent lesdites règles. Pas plus la CCNUCC que l’accord de Paris ne contient des règles secondaires spéciales définissant la teneur de la responsabilité des États. Deuxièmement, l’application du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État au comportement pertinent (émissions anthropiques de gaz à effet de serre d’un État) a été expressément reconnue et analysée dans l’Affaire Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a fait la constatation suivante :
« [L]a Cour observe que, si le changement climatique est sans conteste un phénomène mondial qui mérite d’être traité au niveau international par l’ensemble des États, le régime climatique mondial établi par la CCNUCC repose sur le principe des responsabilités communes, mais différenciées et des capacités respectives des États (article 3 § 1). Ce principe a été réaffirmé dans l’Accord de Paris (article 2 § 2) et repris dans le Pacte de Glasgow pour le climat (précité, paragraphe 18), ainsi que dans le Plan de mise en oeuvre de Charm el-Cheikh (précité, paragraphe 12). Il s’ensuit que chaque État a sa propre part de responsabilité s’agissant de prendre des mesures pour faire face au changement climatique et que l’adoption de ces mesures est déterminée par les capacités propres de l’État concerné, et non par une action (ou omission) particulière de tout autre État (Duarte Agostinho et autres, décision précitée, §§ 202-203). La Cour considère qu’un État défendeur ne doit pas se soustraire à sa responsabilité en mettant en avant celle d’autres États, qu’il s’agisse ou non de Parties contractantes à la Convention.
Cette position est conforme à celle que la Cour a adoptée dans des affaires où des violations alléguées de droits protégés par la Convention mettaient en jeu la responsabilité conjointe de plusieurs États, chacun d’entre eux pouvant avoir à rendre des comptes à raison de sa part de responsabilité dans la violation en question (voir, quoique dans des contextes différents, M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, §§ 264 et 367, et Razvozzhayev c. Russie et Ukraine et Udaltsov c. Russie, nos 75734/12 et 2 autres, §§ 160-161 et 179-181, 19 novembre 2019). Elle cadre également avec les principes de droit international relatifs à la responsabilité d’une pluralité d’États, selon lesquels la responsabilité de chaque État concerné est établie séparément, sur la base de son propre comportement et au regard de ses propres obligations internationales (CDI, Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et
7 Ibid., commentaire général, par. 5
(« les présents articles portent sur l’ensemble du domaine de la responsabilité des États. Ils ne sont donc pas limités aux violations d’obligations bilatérales, celles qui résultent par exemple d’un traité bilatéral conclu avec un autre État, mais s’appliquent à l’ensemble des obligations internationales des États, que l’obligation existe envers un ou plusieurs États, envers un individu ou un groupe, ou envers la communauté internationale dans son ensemble. »)
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commentaires y relatifs, commentaire sur l’article 47, paragraphes 6 et 8). De même, la violation alléguée de droits garantis par la Convention en raison d’un dommage résultant des émissions de GES à l’échelle mondiale et des actions et omissions de multiples États dans la lutte contre les effets néfastes du changement climatique peut engager la responsabilité de chaque Partie contractante. »
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17. Troisièmement, le texte du dispositif de la résolution 77/276 reprend expressément, tant dans la version anglaise que française, la terminologie du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État. À la question b), les termes États « lésés » (« injured » dans la version anglaise de la résolution 77/276) et États « spécialement atteints » (« specially affected » dans la version anglaise) sont tirés de l’article 42 du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État. Quatrièmement, l’Assemblée générale des Nations Unies a expressément employé l’expression « conséquences juridiques », considérée par la Cour dans sa jurisprudence comme renvoyant à la responsabilité de l’État9.
D. LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES
18. Compte tenu de l’occasion unique représentée par la présente procédure consultative, il importe de définir de la manière la plus précise possible les conséquences juridiques du comportement emportant violation tel que défini aux alinéas i) et ii) de la question b) de la résolution 77/276.
19. Les conséquences juridiques sont les suivantes :
a) S’agissant des « États, y compris, en particulier, des petits États insulaires en développement, qui, de par leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des changements climatiques ou y sont particulièrement vulnérables » :
i) Au titre de l’obligation de cessation et de non-répétition : obligation d’adopter la législation nécessaire sur la base des meilleures données scientifiques disponibles et de reconnaître le caractère contraignant des politiques incluses dans les contributions déterminées au niveau national en application de l’accord de Paris ; reconnaissance du fait que la géo-ingénierie et l’élimination du dioxyde de carbone ne relèvent pas de la cessation.
ii) Au titre de l’obligation de réparation (restitution) : reconnaissance du fait que les zones maritimes d’un État, telles qu’établies et notifiées au Secrétaire général de l’ONU conformément à la CNUDM, ainsi que les droits qui en découlent, continuent de s’appliquer, sans réduction, quels que soient les changements physiques associés à l’élévation du niveau de la mer liée aux changements climatiques ; que l’État conservera son statut et sa souveraineté et que les droits et les obligations qui en découlent seront maintenus, nonobstant les effets de l’élévation du niveau de la mer liée aux changements climatiques.
iii) Au titre de l’obligation de réparation (indemnisation) : indemnisation des pertes et préjudices, non pas en tant que simple règle primaire (aide ou assistance financière), mais aussi en tant que règle secondaire de la responsabilité d’un État.
8 Affaire Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse, Cour européenne des droits de l’homme, requête no 53600/20, Grande Chambre, arrêt (9 avril 2024), par. 442-443.
9 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 95, par. 175-182.
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iv) Au titre de l’obligation de réparation (satisfaction) : reconnaissance du fait que les zones maritimes d’un État, telles qu’établies et notifiées au Secrétaire général de l’ONU conformément à la CNUDM, ainsi que les droits qui en découlent, continuent de s’appliquer, sans réduction, quels que soient les changements physiques associés à l’élévation du niveau de la mer liée aux changements climatiques, que l’État conservera son statut et sa souveraineté et que les droits et les obligations qui en découlent seront maintenus, nonobstant les effets de l’élévation du niveau de la mer liée aux changements climatiques.
v) Conséquences juridiques résultant de violations graves des obligations erga omnes ou dues à la communauté internationale dans son ensemble.
PARTIE C III. CONCLUSIONS
20. À la lumière de ce qui précède, le Bureau des parties à l’accord de Nauru soutient respectueusement que les éléments suivants devraient figurer dans les réponses de la Cour aux questions posées par l’Assemblée générale dans sa demande d’avis consultatif contenue dans la résolution 77/276. La Cour est bel et bien compétente pour donner un avis consultatif et il n’existe aucune raison décisive pour qu’elle s’abstienne de le faire. Eu égard à la question a), le comportement responsable des changements climatiques est clairement défini dans la résolution comme étant constitué par « le comportement des États dans le temps relativement aux activités contribuant aux changements climatiques et à leurs effets néfastes ». Eu égard à la question b), qui fait référence aux « actions ou omissions » des États par le biais desquelles ils « ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement », les obligations primaires des États au titre des changements climatiques ne se limitent pas à la CCNUCC et à l’accord de Paris, de sorte que la violation par un État de l’obligation primaire engagerait sa responsabilité internationale.
La présidente-directrice générale,
Sangaalofa CLARK.
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Observations écrites du Bureau des parties à l'accord de Nauru (BPAN)