Óbservations écrites de Maurice

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187-20240815-WRI-05-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
20043
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIÈRE DE CHANGEMENT CLIMATIQUE
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA RÉPUBLIQUE DE MAURICE
15 août 2024
[Traduction non révisée]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION .......................................................................................................................... 1
II. QUESTION A) : LES OBLIGATIONS DES ÉTATS ............................................................................ 3
A. Les meilleures données scientifiques disponibles et l’obligation d’en tenir compte ............ 3
B. L’accord de Paris, une riposte renforcée .............................................................................. 9
C. La diligence requise............................................................................................................ 11
1. Objectif de température ................................................................................................. 13
2. Niveau d’ambition et progression ................................................................................. 14
3. Contributions déterminées au niveau national (CDN) .................................................. 15
4. Évaluation de l’impact sur l’environnement ................................................................. 16
D. Élimination progressive des combustibles fossiles ............................................................ 17
E. RCD-CR et équité .............................................................................................................. 19
F. Financement ....................................................................................................................... 23
G. Adaptation .......................................................................................................................... 24
H. Droits de l’homme .............................................................................................................. 25
I. Droit international coutumier ............................................................................................. 27
1. Prévention ..................................................................................................................... 28
2. Coopération ................................................................................................................... 30
3. Précaution ...................................................................................................................... 31
III. QUESTION B) : CONSÉQUENCES JURIDIQUES ........................................................................... 31
A. Responsabilité et dommages .............................................................................................. 31
1. Attribution ..................................................................................................................... 34
2. Violation ........................................................................................................................ 34
3. Dommages significatifs ................................................................................................. 38
4. Aspects temporels ......................................................................................................... 39
5. Lien de causalité ............................................................................................................ 40
6. Indemnisation ................................................................................................................ 41
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B. Frontières et droits maritimes ............................................................................................. 42
IV. CONCLUSIONS .......................................................................................................................... 43
I. INTRODUCTION
1. Conformément à l’ordonnance de la Cour en date du 30 mai 2024, la République de Maurice (ci-après, « Maurice ») soumet les présentes observations écrites sur les exposés écrits présentés par d’autres participants au sujet de la demande d’avis consultatif sur les Obligations des États en matière de changement climatique.
2. La participation sans précédent à l’instance met en exergue le risque urgent et catastrophique que présentent les changements climatiques. Des exposés écrits ont été soumis par 83 États et territoires, qui représentent environ 6 milliards de personnes, soit près de 75 % de la population mondiale. Des exposés écrits ont également été déposés par 12 organisations internationales composées des 193 États Membres de l’Organisation des Nations Unies.
3. Maurice relève qu’aucun participant n’a contesté la compétence de la Cour, et qu’il est admis quasi universellement qu’il n’existe aucune raison décisive pour la Cour de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire de donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale des Nations Unies (ci-après, l’« Assemblée générale »).
4. Maurice relève en outre que, le 21 mai 2024, le Tribunal international du droit de la mer (ci-après, le « TIDM » ou le « Tribunal ») a donné un avis consultatif unanime sur le changement climatique et le droit international (ci-après, l’« avis consultatif du TIDM »)1. Le Tribunal y a traité nombre des questions soumises à la Cour dans la présente procédure, quoique spécifiquement dans le cadre de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après, la « CNUDM »). Maurice estime que l’avis consultatif du TIDM, ainsi que la manière dont ce dernier est parvenu à ses conclusions, fournit un « énoncé de droit international faisant autorité pour les questions sur lesquelles il port[ait] »2. Compte tenu du principe de courtoisie entre les juridictions internationales, Maurice invite par conséquent la Cour à tenir dûment compte de l’avis consultatif du TIDM et à respecter et développer, selon qu’il convient, les conclusions de ce dernier (telles qu’elles seront examinées plus en détail ci-après).
5. La grande majorité des participants à la présente procédure reconnaissent que les obligations des États en matière de changements climatiques sont bien ancrées dans la climatologie. La science apporte un éclairage sur les causes et les conséquences desdits changements, ainsi que sur ce qu’il convient de faire pour prévenir les plus catastrophiques de ces conséquences. Soucieuse d’aider la Cour à donner un avis consultatif qui repose sur les meilleures données scientifiques disponibles sur le climat, Maurice a chargé M. James E. Hansen, qui est depuis plus de 40 ans un chef de file de la communauté scientifique en matière de changements climatiques, de lui fournir un rapport d’expert indépendant3. M. Hansen est professeur adjoint à l’Institut de la Terre de l’Université de Columbia, d’où il dirige un programme de climatologie, sensibilisation et solutions. Il apporte depuis plus de 40 ans une importante contribution dans le domaine de la climatologie, conseillant nombre de
1 Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international (Demande d’avis consultatif soumise au Tribunal), TIDM, avis consultatif du 21 mai 2024 (ci-après, « l’avis consultatif du TIDM »), accessible à l’adresse suivante : https://www.itlos.org/ fr/main/affaires/role-des-affaires/demande-davis-consultatif-soumise-par-la-commission-des-petits-etats-insulaires-sur-le-changement-climatique-et-le-droit-international-demande-davis-consultatif-soumise-au-tribunal/ (dernière consultation le 10 août 2024).
2 Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre Maurice et les Maldives dans l’océan Indien (Maurice/Maldives), TIDM, exceptions préliminaires, arrêt du 28 janvier 2021, par. 202.
3 Expert Report of Dr James E. Hansen in Support of the Republic of Mauritius (9 August 2024) (ci-après, le « rapport de M. James E. Hansen »), annexe 1.
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gouvernements ainsi que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (ci-après, le « GIEC »).
6. Dans les présentes observations écrites, Maurice traitera des neuf points ci-après en ce qui concerne la première question — les obligations des États au regard du droit international — en réponse aux exposés écrits présentés par d’autres participants :
a) l’obligation de tenir compte des meilleures données scientifiques disponibles ;
b) l’accord de Paris, qui souligne qu’il est urgent de combler l’écart entre ce qu’il convient de faire et ce qui a été réalisé jusqu’à présent ;
c) l’obligation de diligence requise, notamment en ce qui concerne :
i) l’objectif de température de 1,5 °C,
ii) l’exigence du « niveau d’ambition le plus élevé possible » et de la « progression » (article 4 3) de l’accord de Paris),
iii) les contributions déterminées au niveau national (ci-après, les « CDN »),
iv) l’évaluation de l’impact sur l’environnement ;
d) l’obligation de réduire d’urgence et considérablement les émissions de gaz à effet de serre (ci-après, les « GES »), qui impose notamment d’opérer immédiatement une transition vers des sources d’énergie autres que les combustibles fossiles ;
e) l’obligation de donner effet aux principes de l’équité, ainsi que des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives (ci-après, les « RCD-CR ») ;
f) l’obligation de mettre à la disposition des pays en développement un financement de l’action climatique qui soit accessible, juste et transparent ;
g) l’obligation de se pencher sur l’adaptation, en particulier au profit des États en développement et de ceux qui sont les plus vulnérables aux effets des changements climatiques, notamment les petits États insulaires en développement (ci-après, les « PEID ») ;
h) l’obligation incombant aux États de protéger les droits de l’homme, sur le fondement du principe de l’intégration systémique ;
i) le rôle des obligations de droit international coutumier, qui sont complétées (et non pas supplantées) par des traités multilatéraux dans le domaine de la protection du climat, notamment les obligations de :
i) prévention,
ii) coopération,
iii) précaution.
7. Pour ce qui est de la seconde question — qui porte sur les conséquences juridiques —, Maurice traite de l’applicabilité des principes généraux de la responsabilité de l’État à raison de manquements à des obligations liées au climat, notamment :
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a) les méthodes permettant d’attribuer des changements climatiques et leurs conséquences aux émissions, actes et omissions de tel ou tel État ;
b) les émissions, actes et omissions des États, à titre tant individuel que collectif, qui sont susceptibles de donner lieu à des manquements à des obligations internationales liées au climat ;
c) les dommages significatifs déjà causés par les changements climatiques, et le risque imminent de dommages plus catastrophiques encore ;
d) les émissions historiques et les aspects temporels de la responsabilité des États ;
e) les principes applicables en matière de lien de causalité ;
f) l’obligation de réparation, notamment l’indemnisation de pertes et préjudices résultant d’émissions de GES.
8. Enfin, Maurice s’intéresse à l’effet potentiel de l’élévation du niveau de la mer sur les frontières et les droits maritimes, question que le TIDM n’a pas abordée, mais qui revêt une importance fondamentale pour tant d’États, en particulier les PEID.
II. QUESTION A) : LES OBLIGATIONS DES ÉTATS
A. Les meilleures données scientifiques disponibles et l’obligation d’en tenir compte
9. La quasi-totalité des États et des organisations participant à la présente procédure (Maurice comprise) ont souligné qu’il convenait de s’appuyer sur les données scientifiques relatives aux changements climatiques, et notamment sur les conclusions et recommandations scientifiques du GIEC. À l’instar d’un grand nombre de participants, Maurice met l’accent sur la manière dont les obligations juridiques internationales sont enracinées dans ces données.
10. Le TIDM s’est amplement appuyé sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles, qui constituent le fondement même des conclusions juridiques qu’il a tirées dans son avis consultatif. Il a affirmé que « la science jou[ait] indubitablement un rôle crucial » dans la détermination de ce qui était attendu des États au regard de la CNDUM4. Tout au long de son avis, le TIDM a tenu compte d’éléments de preuve scientifiques faisant état d’un « risque élevé » que les conséquences soient plus graves encore en cas de non-respect de l’objectif de 1,5 ℃5. Pour déterminer les meilleures connaissances scientifiques disponibles, il s’est essentiellement fondé sur les rapports du GIEC6, observant que
« la plupart des participants à l’instance s[’étaie]nt référés aux rapports du GIEC, reconnaissant qu’il s’agissait d’évaluations faisant autorité des connaissances scientifiques sur le changement climatique, et qu’aucun des participants n’a[vait] mis en doute l’autorité de ces rapports »7.
4 Avis consultatif du TIDM, par. 212.
5 Ibid., par. 209, 241, 243, 399-400 et 441.
6 Ibid., par. 49-66. Voir aussi : exposé écrit de la République de Maurice soumis à la Cour internationale de Justice au sujet de la demande d’avis consultatif sur les Obligations des États en matière de changement climatique en date du 22 mars 2024 (ci-après, l’« exposé écrit de Maurice »), par. 45-53 et 104-105.
7 Avis consultatif du TIDM, par. 51.
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11. Maurice constate qu’il en va de même dans la présente procédure, et invite la Cour à le relever.
12. Une conséquence importante de ce lien entre la climatologie et le droit est le fait que les obligations juridiques pertinentes doivent être interprétées à la lumière des risques spécifiques, mesurables et temporels mis en évidence par cette science. Ainsi, celle-ci permet en outre de prendre la mesure de la signification de manquements à ces obligations, et des conséquences juridiques susceptibles de découler de tels manquements. Pareille approche accorde tout le poids voulu aux connaissances scientifiques, qui font autorité, du GIEC.
13. Maurice n’est pas d’accord avec les quelques rares participants qui invitent la Cour à répondre aux questions de l’Assemblée générale dans un vide juridique, sans tenir compte des données scientifiques ni des effets des changements climatiques. En s’acquittant de son mandat juridique, la Cour doit s’intéresser aux faits pertinents. Dans la présente procédure, ces faits comprennent, en tant qu’élément central, les meilleures données scientifiques disponibles sur le climat, et notamment les rapports du GIEC8.
14. Maurice se rallie à la grande majorité des participants qui ont souligné l’importance des principes essentiels de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques de 1994 (ci-après, la « CCNUCC ») et de l’accord de Paris, notamment les principes de l’équité et des RCD-CR. La nature dynamique du régime conventionnel relatif au climat procède de la nécessité de faire en sorte que ceux auxquels incombe la principale responsabilité, et qui sont le plus à même de le faire, montrent la voie en matière de réduction des émissions de GES, et de permettre à ceux qui sont les plus vulnérables aux effets des changements climatiques d’accroître leur résilience et d’atténuer leur vulnérabilité.
15. Comme d’autres participants, Maurice a relevé qu’il était nécessaire et urgent de prendre des mesures de lutte contre les changements climatiques, ainsi que l’ont confirmé les meilleures données scientifiques disponibles présentées par le GIEC9. Nombre de participants ont insisté sur les points essentiels suivants :
a) Compte tenu des éléments scientifiques attestant que les effets des changements climatiques seront bien moindres si la température ne s’accroît que de 1,5 °C, les Parties ont reconnu la nécessité de limiter le réchauffement à 1,5 °C (encore que l’on s’accorde largement à dire que même une telle hausse causerait néanmoins des dommages)10. En conséquence, l’objectif effectif de température prévu par l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 de l’accord de Paris, fondé sur les meilleures données scientifiques disponibles, prévoit une limitation à 1,5 °C (par opposition à 2 °C) du réchauffement moyen. Il s’agit là de l’objectif minimum à atteindre pour prévenir la
8 Exposé écrit de Maurice, par. 15 et 39-85.
9 Exposé écrit de Maurice, par. 83-85.
10 Voir, par exemple, le Plan de mise en oeuvre de Charm el-Cheikh, adopté à la 27e Conférence des Parties à la CCNUCC le 20 novembre 2022 (ci-après, le « Plan de mise en oeuvre de Charm el-Cheikh »), par. 4, accessible en anglais à l’adresse suivante : https://unfccc.int/documents/624444 (dernière consultation le 10 août 2024). Voir également : exposé écrit de Maurice, par. 101.
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perturbation anthropique du système climatique la plus dangereuse conformément à l’article 2 de la CCNUCC, lequel fixe l’objectif global pour le régime climatique international11.
b) Point important, nombre de participants ont mis en exergue le risque élevé que des dommages irréversibles catastrophiques soient causés en cas de dépassement de l’objectif de température de 1,5 °C. Le GIEC a démontré de manière saisissante l’ampleur de la différence qu’il y aurait selon que le réchauffement soit limité à 1,5 °C ou à 2 °C. Pour ne prendre qu’un seul exemple de ce qui est en jeu :
« La limitation du réchauffement à 1,5 °C plutôt qu’à 2 °C pourrait réduire de quelque 420 millions le nombre de personnes fréquemment exposées à des vagues de chaleur extrême, et de quelque 65 millions le nombre de personnes exposées à des vagues de chaleur exceptionnelle, en supposant une vulnérabilité constante (degré de confiance moyen). »12
Les Parties à la CCNUCC et à l’accord de Paris se sont déclarées gravement préoccupées par le risque bien réel de franchissement de points de non-retour13. Nombre d’États et d’organisations participants ont insisté sur ce risque, qui sera traité ci-après aux paragraphes 16-22, 36, 105 et 12914.
c) La capacité d’atteindre l’objectif de température est limitée par la quantité cumulée des émissions de GES dans l’atmosphère, généralement désignée le « budget carbone ». Le GIEC et le PNUE ont indiqué que la part disponible de ce budget s’amenuisait rapidement, et que cela avait des conséquences directes sur le niveau et l’ampleur des réductions de GES (trajectoires ou profils) requises pour atteindre l’objectif de température15. À la 28e Conférence des Parties, celles-ci se sont déclarées préoccupées par le fait que « le budget carbone compatible avec la réalisation de l’objectif de température fixé dans l’accord de Paris [étai]t désormais réduit et s’épuis[ait] rapidement »16. Le GIEC a relevé que toutes les trajectoires mondiales modélisées aux fins de la limitation du réchauffement à 1,5 °C, voire à 2 °C, exigeaient « des réductions des émissions [de
11 Les participants qui appuient la limitation à 1,5 °C comme objectif de température minimum dans leurs exposés écrits sont les suivants : Bangladesh (par. 135-139), Chili (par. 89), Colombie (par. 3.34), Grenade (par. 35), Kenya (par. 5.41), Liechtenstein (par. 73), Madagascar (par. 25 et 42), Mexique (par. 50), Micronésie (par. 35), Namibie (par. 46 et 81), Seychelles (par. 91), Sierra Leone (par. 3.129), Singapour (par. 3.30), Espagne (par. 7), Sainte-Lucie (par. 53), Timor-Leste (par. 100), Tonga (par. 141), Tuvalu (par. 111), Vanuatu (par. 400-405), Viet Nam (par. 19), Union africaine (par. 101), UICN (par. 34 et 111-113) et Commission des petits États insulaires sur les changements climatiques et le droit international (par. 106-114).
12 IPCC, “Global Warming of 1.5°C: an IPCC Special Report on the impacts of global warming of 1.5°C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty” (2018), accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/sr15/ (ci-après, « RS1.5 »), chap. 3, p. 36. S’agissant du recours aux évaluations de la « confiance » ou de la « probabilité » par le GIEC, voir : exposé écrit de Maurice, par. 51.
13 Voir, par exemple, le Plan de mise en oeuvre de Charm el-Cheikh, par. 5.
14 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Bahamas (par. 71), Barbade (par. 90-91), Kenya (par. 3.17), Pakistan (par. 5 c)), Îles Salomon (par. 47-51), Micronésie (par. 32-35), Vanuatu (par. 405), Commission des petits États insulaires sur les changements climatiques et le droit international (par. 176) et Union africaine (par. 97 a)).
15 Exposé écrit de Maurice, par. 74-76.
16 UNFCCC, First Global Stocktake (13 December 2023), par. 25, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc. int/sites/default/files/resource/cma2023_L17_adv.pdf (dernière consultation le 10 août 2024) (ci-après, le « premier bilan mondial »).
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GES] rapides et considérables — et, dans la plupart des cas, immédiates — dans l’ensemble des secteurs cette décennie »
17.
d) Conjointement avec de nombreux autres participants, Maurice a souligné l’importance des écarts en matière d’émissions et de production pour montrer tout ce qu’il fallait faire de plus pour atteindre les objectifs internationaux relatifs au climat (voir également les paragraphes 49, 121 c)-d), 124 et 127 ci-après)18. Ces écarts font l’objet de rapports annuels publiés par le PNUE. Dans le dernier en date consacré à l’écart en matière d’émissions, intitulé « Broken Record » [« Un message repassé en boucle »], il est confirmé que « [l]e monde assiste à une augmentation perturbante du nombre, de la vitesse et de l’ampleur de messages climatiques repassés en boucle », et que ceux-ci s’accompagnent de phénomènes extrêmes dévastateurs19. Dans son rapport de 2023 concernant l’écart en matière de production (ci-après, le « rapport du PNUE sur l’écart en matière de production »), le PNUE souligne que « [l]a poursuite de la production et de l’utilisation de charbon, de pétrole et de gaz n’est pas compatible avec un avenir sûr et propice à la vie »20. L’analyse du PNUE, qui repose directement sur les données scientifiques présentées par le GIEC, indique on ne peut plus clairement la catastrophe que risquent de subir les êtres vivants de la planète si les politiques actuelles en matière de production de combustibles fossiles sont maintenues. Comme le GIEC l’a confirmé dans son sixième rapport d’évaluation (ci-après, le « sixième rapport d’évaluation du GIEC » ), il n’existe qu’une fenêtre étroite et se refermant rapidement dans laquelle les États peuvent agir sur la base des données scientifiques pour éviter de nouveaux dommages catastrophiques. Voilà qui dresse le contexte aux fins de la recherche et de l’interprétation des obligations juridiques devant être examinées par la Cour21.
e) Bien que l’on possède d’importantes connaissances sur les risques présentés par différents niveaux de réchauffement, des incertitudes demeurent quant à la question de savoir si certaines augmentations de la température pourraient en entraîner d’autres, plus élevées encore, en raison de ce que l’on appelle couramment les « boucles de rétroaction ». Le GIEC a relevé que le réchauffement pourrait dépasser les 4 °C si la sensibilité climatique ou les rétroactions climat-cycle du carbone excédaient les meilleures estimations (degré de confiance élevé)22 . Dans ces conditions, le principe de précaution, que nombre de participants ont mentionné, est clairement pertinent (voir les paragraphes 105 à 107 ci-après).
f) En dépit du consensus quant aux données scientifiques et de l’adhésion quasi universelle aux objectifs internationaux en matière de climat, le monde n’est pas sur la bonne voie pour prévenir les changements climatiques dangereux. Ce fait central est un élément essentiel aux fins de l’interprétation des obligations juridiques. Des préoccupations ont été exprimées à cet égard, avec
17 IPCC, “Synthesis Report of the Sixth Assessment Report” (2023), Summary for Policymakers, B.6, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-cycle/ (dernière consultation le 10 août 2024) (ci-après, le « rapport de synthèse afférent au sixième rapport d’évaluation »). Voir aussi : exposé écrit de Maurice, par. 76.
18 Exposé écrit de Maurice, par. 77-82.
19 UNEP, Emissions Gap Report (2023), “Broken Record”, p. 1, accessible à l’adresse suivante : https://wedocs. unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/43922/EGR2023.pdf?sequence=3&isAllowed=y (dernière consultation le 10 août 2024). Voir aussi : exposé écrit de Maurice, par. 78.
20 UNEP, Production Gap Report (2023), “Phasing down or phasing up?”, p. 8 (ci-après, le « rapport du PNUE sur l’écart en matière de production »), accessible à l’adresse suivante : https://productiongap.org/wp-content/uploads/ 2023/11/PGR2023_ExecSum_web.pdf (dernière consultation le 10 août 2024). Voir aussi : exposé écrit de Maurice, par. 81.
21 Maurice relève que le TIDM a confirmé que les évaluations du GIEC concernant les risques liés au climat et l’atténuation des changements climatiques devaient faire l’objet d’une attention particulière (avis consultatif du TIDM, par. 208).
22 IPCC, Working Group III, “Mitigation of Climate Change”, Sixth Assessment Report (ci-après, le « sixième rapport d’évaluation »), Summary for Policymakers (ci-après, le « résumé à l’intention des décideurs »), C.1.3, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/downloads/report/IPCC_AR6_WGIII_SummaryFor Policymakers.pdf (dernière consultation le 10 août 2024).
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un désespoir croissant, par la communauté scientifique internationale, ainsi que par les États vulnérables.
16. Toutes ces indications tirées des meilleures données scientifiques disponibles confirment qu’il est urgent que des mesures soient prises aux fins de la prévention de changements climatiques catastrophiques, qui entraîneront des dommages irréversibles. Ceux qui reconnaissent l’importance de la science sans faire référence à ces éléments spécifiques ont tendance à plaider en faveur d’une approche plus progressive, qui ne tient pas compte du caractère grave et urgent de la situation. Au vu de l’amenuisement rapide du budget carbone, de l’existence d’importants écarts en matière d’émissions et de production, et des risques présentés par le franchissement de points de non-retour et les boucles de rétroaction, les actions des États doivent, du point de vue du droit international, être fondées sur les trajectoires et cas de figure quantifiés relatifs aux émissions que le GIEC a qualifiés de nécessaires à la réalisation de l’objectif de température23.
17. Un autre aspect essentiel sur lequel le GIEC a mis l’accent dans son sixième rapport d’évaluation est le fait que les effets des changements climatiques et les risques y afférents deviennent de plus en plus complexes et difficiles à gérer. Le GIEC a relevé ce qui suit :
« Plusieurs aléas climatiques se produiront simultanément, et de multiples risques climatiques et non climatiques interagiront, entraînant une aggravation du risque global et des risques en cascade à travers les secteurs et les régions. Certaines ripostes aux changements climatiques se traduiront par de nouveaux effets et risques (degré de confiance élevé). »24
18. Les conséquences globales actuelles et futures des changements climatiques, telles que déterminées par le GIEC, ont été résumées comme suit par M. Hansen :
«  Les changements climatiques ont entraîné la disparition d’espèces locales, une augmentation du nombre de maladies, des événements de mortalité de masse de plantes et d’animaux, ce qui a provoqué les premières extinctions dues au climat, une restructuration des écosystèmes, un accroissement des zones brûlées par des feux de forêt et une baisse des services écosystémiques essentiels.
 La destruction généralisée et la grave détérioration de systèmes humains et naturels sont favorisées par les changements climatiques d’origine anthropique qui accroissent la fréquence, l’intensité ou la durée des phénomènes météorologiques extrêmes, notamment les sécheresses, les feux de forêt, les vagues de chaleur terrestres et maritimes, les cyclones (degré de confiance élevé) et les inondations (degré de confiance faible). Les extrêmes ont raison de la résilience de certains systèmes écologiques et humains.
 Les phénomènes météorologiques extrêmes et les vulnérabilités sous-jacentes ont exacerbé les effets sociaux des sécheresses et des inondations, nui à l’agriculture et à la production d’énergie, et accru l’incidence des maladies d’origine hydrique. Les
23 Voir l’avis consultatif du TIDM, par. 222 : « l’objectif de température et le calendrier des trajectoires des émissions fixés dans l’Accord de Paris éclairent le contenu des mesures nécessaires à prendre au titre de l’article 194, paragraphe 1, de la Convention. »
24 IPCC, Working Group II, “Impacts, Adaptation and Vulnerability”, sixième rapport d’évaluation, résumé à l’intention des décideurs, B.5, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/ (dernière consultation le 10 août 2024).
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effets économiques et sociaux de l’insécurité hydrique sont plus prononcés dans les pays à faibles revenus que dans les pays à revenus moyens ou élevés.
 Selon les estimations, plus de 9 millions de décès liés au climat se produiront tous les ans d’ici à la fin du siècle, dans un scénario d’émissions élevées et compte tenu de la croissance démographique, du développement économique et de l’adaptation.
 Dans bien des régions, la fréquence ou la gravité des inondations, des orages violents et des sécheresses devrait s’accroître au cours des décennies à venir, surtout dans les scénarios d’émissions élevées, d’où une augmentation du risque futur de déplacements dans les zones les plus exposées. Quel que soit le niveau du réchauffement planétaire, certaines régions aujourd’hui densément peuplées deviendront insalubres ou inhabitables.
 Entre 3,3 et 3,6 milliards de personnes environ vivent dans des contextes très vulnérables aux changements climatiques. Une importante proportion d’espèces y sont également vulnérables. La vulnérabilité de l’homme et celle des écosystèmes sont interdépendantes. »25
19. La réévaluation continue des considérations scientifiques, techniques et économiques appropriées est considérée comme nécessaire dans la CCNUCC26. Cette réévaluation est pertinente aux fins :
a) de la prise de conscience que l’objectif de température (minimum) de 1,5 °C est conforme à l’objet global du régime climatique et nécessaire à la prévention de changements climatiques dangereux (article 2 de la CCNUCC) ;
b) du délai urgent dans lequel il convient de réduire les émissions de GES et de la nécessité que la transition vers des sources d’énergie autres que les combustibles fossiles soit opérée dans les meilleurs délais.
20. Les données scientifiques indiquent clairement pourquoi il y a lieu d’agir de toute urgence, et le cadre juridique est destiné à permettre aux États de relever ce défi en exigeant qu’ils fassent preuve d’un niveau d’ambition progressif et proportionnel à l’ampleur du risque présenté par les changements climatiques27. Le reconnaissant tacitement, ceux qui cherchent à se soustraire à ces obligations méconnaissent l’urgence et l’ampleur du risque, tels qu’ils sont attestés par les données scientifiques (comme on peut le constater dans certains des exposés écrits soumis dans la présente procédure).
21. Bien que l’importance des données scientifiques aux fins de l’examen des questions juridiques posées à la Cour fasse consensus, les auteurs des exposés écrits sont manifestement divisés à cet égard. Si aucun des participants à l’instance n’a adopté une position climato-négationniste consistant à tenter de désavouer les éléments de preuve scientifiques liés à l’existence des
25 Rapport d’expert de M. James E. Hansen, p. 2, annexe 1.
26 Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ci-après, la « CCNUCC »), préambule, al. 16
(« Conscientes que les mesures permettant de comprendre les changements climatiques et d’y faire face auront une efficacité pour l’environnement et une efficacité sociale et économique maximales si elles se fondent sur les considérations scientifiques, techniques et économiques appropriées et si elles sont constamment réévaluées à la lumière des nouveaux progrès réalisés dans ces domaines »).
27 Exposé écrit de Maurice, par. 83-85.
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changements climatiques, un petit nombre d’entre eux ont toutefois cherché à escamoter le caractère urgent, qui fait partie intégrante desdits éléments présentés par le GIEC. À l’inverse, nombre de participants reconnaissent clairement non seulement les données scientifiques qui établissent l’existence de ces changements et le rôle essentiel joué par les émissions de GES, mais aussi et surtout l’urgence qu’il y a à combler les écarts existants et l’ampleur des dommages susceptibles d’être causés en cas de non-respect de l’objectif de température de 1,5 °C
28.
22. Maurice soutient que méconnaître la nécessité de renoncer d’urgence au statu quo équivaut à faire abstraction des données scientifiques, et suppose (à tort) que reporter des réductions accrues des émissions et une transition plus rapide vers des sources d’énergie autres que les combustibles fossiles cadre avec les objectifs et les obligations en matière climatique. Or, cette forme de procrastination climatique met en péril ces objectifs mêmes. Comme l’a relevé M. Hansen dans son rapport d’expert, « [l]e temps presse. Tout nouveau retard entraînera un réchauffement supplémentaire, accroîtra le risque pesant sur les systèmes naturels et humains, et augmentera la probabilité que des points de non-retour soient franchis dans le système planétaire. »29
23. La procrastination climatique risque d’entraîner le dépassement de l’objectif de température, le franchissement irréversible de points de non-retour au niveau planétaire et une aggravation terrifiante des dommages catastrophiques. Selon le GIEC, « [s]ans un renforcement des politiques allant au-delà de celles mises en oeuvre d’ici à la fin de l’année 2020, les émissions de GES devraient augmenter jusqu’après 2025, entraînant un réchauffement planétaire médian de 3,2 °C [2,2 à 3,5 °C] d’ici à 2100 (degré de confiance moyen) »30.
24. Dans un monde dont la température aurait augmenté de 3,2 °C, la vie telle que nous la connaissons aujourd’hui ne serait plus possible. Le GIEC le confirme :
« En cas de réchauffement planétaire de 3 °C, les risques additionnels dans de nombreux secteurs et régions atteindront des niveaux élevés ou très élevés, comprenant des effets systémiques généralisés, des changements irréversibles et bien d’autres limites en matière d’adaptation... (degré de confiance élevé). »31
25. La procrastination climatique va à rebours des données scientifiques et n’est donc pas, comme cela sera exposé ci-après, autorisée par le droit international.
B. L’accord de Paris, une riposte renforcée
26. Comme Maurice et bien d’autres l’ont relevé, l’accord de Paris est expressément conçu comme une riposte renforcée à la menace des changements climatiques, dans une situation où la communauté internationale a pris conscience qu’elle n’était pas sur la bonne voie pour prévenir cette
28 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Bahamas (par. 70), Colombie (par. 2.4-2.13), Grenade (par. 27), Kenya (par. 3.14-3.17), Nauru (par. 11), Nouvelle-Zélande (par. 5), Pérou (par. 63), Roumanie (par. 39), Saint-Vincent-et-les Grenadines (par. 51), Tuvalu (par. 22-24 et 62), Uruguay (par. 24-25 et 33), Vanuatu (par. 94-101) et Union africaine (par. 7).
29 Rapport de M. James E. Hansen, p. 3 (annexe 1).
30 IPCC, Working Group III, “Mitigation of Climate Change”, sixième rapport d’évaluation, résumé à l’intention des décideurs, C.1 (notes de bas de page omises), accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg3/ downloads/report/IPCC_AR6_WGIII_SummaryForPolicymakers.pdf (dernière consultation le 10 août 2024).
31 GIEC, rapport de synthèse afférent au sixième rapport d’évaluation (rapport plus long), p. 37, accessible en anglais à l’adresse suivante : https://report.ipcc.ch/ar6syr/pdf/IPCC_AR6_SYR_LongerReport.pdf (dernière consultation le 10 août 2024).
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menace. Le Kenya a mentionné avec à-propos que cet instrument avait marqué « “un changement profond” dans la réglementation internationale des changements climatiques »
32. Le fait que les États, lorsqu’ils ont adopté l’accord de Paris, ont souligné qu’il fallait combler d’urgence l’écart entre ce qui était nécessaire pour prévenir les changements climatiques dangereux et ce qui avait été réalisé jusqu’alors constitue un élément contextuel essentiel aux fins de l’interprétation des dispositions de cet instrument33.
27. Comme cela est expressément précisé au paragraphe 1 de l’article 2, l’accord de Paris vise à permettre de riposter de manière plus efficace et plus ambitieuse à la menace urgente des changements climatiques dangereux, tout en respectant et en développant les principes essentiels de la CCNUCC34. Dans ce contexte, nombre de participants ont insisté sur l’exigence expresse que les Parties démontrent le caractère ambitieux et équitable de leurs CDN, comme cela était reflété dans la décision portant adoption de l’accord de Paris, ainsi que dans les dispositions expresses en matière de transparence énoncées au paragraphe 13 de l’article 4 et à l’article 1335.
28. La riposte renforcée prévue par l’accord de Paris comprend les éléments essentiels suivants :
a) un objectif de température expressément énoncé (article 2 1) a)) ;
b) un centrage accru et exprès sur l’adaptation et les flux financiers (articles 2 1) b) et c), 7 et 9) ;
c) un calendrier visant à garantir le plafonnement des émissions et la réalisation de l’objectif communément appelé « zéro émission nette » (article 4 1), qui représente les importantes réductions des émissions nécessaires à la réalisation des objectifs fixés à l’article 2 et de ceux de la CCNUCC).
29. L’impulsion donnée par cette riposte renforcée doit être préservée par l’intermédiaire du mécanisme du bilan mondial, dont les résultats
« éclairent les Parties dans l’actualisation et le renforcement de leurs mesures et de leur appui selon des modalités déterminées au niveau national, conformément aux dispositions pertinentes d[e l’]Accord [de Paris], ainsi que dans l’intensification de la coopération internationale pour l’action climatique »36.
32 Exposé écrit du Kenya, par. 5.35.
33 CCNUCC, 21e Conférence des Parties, adoption de l’accord de Paris (12 décembre 2015), FCCC/CP/2015/L.9/Rev.1 (ci-après, l’« adoption de l’accord de Paris à la COP21 »), préambule, 9e al., accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/doc/undoc/ltd/g15/283/20/pdf/g1528320.pdf (dernière consultation le 16 février 2024) :
« Insistant avec une vive préoccupation sur le fait qu’il est urgent de combler l’écart significatif entre l’effet global des engagements d’atténuation pris par les Parties en termes d’émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre jusqu’à 2020 et les profils d’évolution des émissions globales compatibles avec la perspective de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et de poursuivre l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels ».
34 Accord de Paris, article 2 1) : « Le présent Accord, en contribuant à la mise en oeuvre de la Convention, notamment de son objectif, vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté » Voir aussi les articles 3 et 4 3) de cet instrument.
35 Voir, par exemple, l’exposé écrit de la Nouvelle-Zélande, par. 58-59.
36 Accord de Paris, article 14 3).
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30. Nombre de participants ont fait référence aux résultats du bilan mondial, adopté en 2023 à la COP 28 à Dubaï, dans lequel les Parties ont confirmé « la nécessité de réduire considérablement, rapidement et durablement les émissions de [GES], conformément aux trajectoires de 1,5 °C »37. Cela exige notamment d’opérer une transition juste, ordonnée et équitable vers des sources d’énergie autres que les combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques, « en accélérant l’action au cours de cette décennie cruciale, afin d’atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050, conformément aux données scientifiques »38. À la Conférence des Parties, celles-ci ont à maintes reprises mentionné l’urgence et exprimé la vive préoccupation que leur inspirait le fait que
« 2023 devrait être l’année la plus chaude jamais enregistrée et que les effets du changement climatique s’accél[érai]ent rapidement, … soulign[ant] la nécessité d’une action et d’un soutien urgents pour maintenir l’objectif de 1,5 °C à portée de main et pour faire face à la crise climatique au cours de cette décennie cruciale »39.
31. Comme nombre d’autres participants, Maurice insiste sur la nature dynamique du régime climatique international et sur les éléments qui exigent une accélération des efforts visant à faire face à une menace urgente40. Cet élément dynamique ressort de la disposition expresse relative au niveau d’ambition et à la progression, ainsi que de l’obligation d’agir sur le fondement des meilleures données scientifiques disponibles (traitée aux paragraphes 9 à 25 ci-dessus)41.
C. La diligence requise
32. La grande majorité des participants à l’instance ont mentionné l’obligation de diligence requise dans leurs exposés42. En ce qui concerne les changements climatiques, cette obligation prend naissance dans le cadre des régimes conventionnels pertinents, notamment la CCNUCC, l’accord de Paris et la CNUDM, ainsi qu’au regard du droit international coutumier, principalement par l’intermédiaire de l’obligation de prévention. La diligence requise est essentielle à l’exécution d’obligations particulières, dont celles qui se rapportent à l’évaluation de l’impact sur l’environnement, à l’évaluation environnementale stratégique et à l’examen des décisions relatives aux flux financiers et à l’adaptation.
37 UNFCCC, First Global Stocktake (13 December 2023), accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/sites/ default/files/resource/cma2023_L17_adv.pdf (dernière consultation le 10 août 2024) (ci-après, le « bilan mondial »). Voir, par exemple, les exposés écrits d’Antigua-et-Barbuda (par. 284), de la Grenade (par. 31), de la Lettonie (par. 18), de l’Indonésie (par. 58-59), des Pays-Bas (par. 3.13), du Royaume-Uni (par. 62) et de l’Union européenne (par. 162-163).
38 Bilan mondial, par. 28 d).
39 Ibid., par. 5.
40 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Bahamas (par. 70), Colombie (par. 2.4-2.13), Grenade (par. 27), Kenya (par. 3.14-3.17), Nauru (par. 11), Nouvelle-Zélande (par. 5), Pérou (par. 63), Roumanie (par. 38-39), Saint-Vincent-et-les Grenadines (par. 51), Tuvalu (par. 22-24 et 62), Uruguay (par. 24-25 et 33), Vanuatu (par. 94-101) et Union africaine (par. 7).
41 Accord de Paris, articles 3, 4, 7 5) et 14 1).
42 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 71-82), Antigua-et-Barbuda (par. 305-337), Bangladesh (par. 90-95), Belize (par. 35), Burkina Faso (par. 165), Cameroun (par. 13), Chili (par. 89), Chine (par. 131), Colombie (par. 3.13-3.30), République démocratique du Congo (par. 134-165), Costa Rica (par. 37-39), Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède (par. 73-76), Équateur (par. 3.23), Égypte (par. 97-111), Ghana (par. 26), Grenade (par. 41), Kenya (par. 5.9-5.13), Lettonie (par. 46 et 52-53), Îles Marshall (par. 23 et 27), Mexique (par. 42-48), Nauru (par. 28-33), Pays-Bas (par. 3.66), Philippines (par. 62-63), Roumanie (par. 75 et 90-104), Sierra Leone (par. 3.13-3.34), Seychelles (par. 96, 101 et 124), Singapour (par. 3.2-3.20), Îles Salomon (par. 153-160), Afrique du Sud (par. 77), Sri Lanka (par. 94-96), Saint-Vincent-et-les Grenadines (par. 108), Suisse (par. 47), Tonga (par. 146-154), Vanuatu (par. 235 et 243), Viet Nam (par. 25 et 28), Union africaine (par. 55, 90, 95-96 et 101), Union européenne (par. 81-87), OEACP (par. 96) et UICN (par. 342-349).
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33. Dans son avis consultatif, le TIDM a souligné ce qui suit : « Le contenu d’une obligation de diligence requise devrait être déterminé objectivement en fonction des circonstances, en tenant compte de facteurs pertinents. Dans de nombreux cas, l’obligation de diligence requise peut être extrêmement exigeante. »43
34. Point important, le TIDM a rejeté l’argument avancé par certains États voulant que les obligations de diligence requise ne soient que des obligations de moyen. Il a déterminé que les obligations de diligence requise pouvaient au contraire être des obligations de résultat lorsque l’obligation juridique en cause imposait aux États d’atteindre un résultat donné44. Le Tribunal a souligné que la diligence requise était une notion ayant « un caractère variable », qui évoluait au fil du temps et était fortement tributaire des « informations scientifiques et technologiques, [d]es règles et normes internationales pertinentes, [du] risque de dommage et [de] l’urgence de la situation »45. Il s’est appuyé sur les travaux du GIEC pour parvenir à la conclusion que le critère était « exigean[t] », compte tenu de l’urgence qu’il y avait à réduire considérablement les émissions de GES46. L’obligation a été jugée plus stricte encore dans le contexte de la pollution transfrontière47. Le TIDM a en outre précisé que la mise en oeuvre de l’obligation de diligence requise était fonction des capacités et ressources des États, et que ceux qui possédaient beaucoup de ressources étaient tenus de faire davantage que ceux qui en avaient peu48. La réduction des émissions de GES a été considérée comme une mesure nécessaire au respect, par les États, de leur obligation de faire preuve de la diligence requise49.
35. Maurice soutient que ce qui vaut pour la diligence requise au titre de la CNUDM vaut également dans le cadre de la CCNUCC et de l’accord de Paris. Les facteurs pertinents aux fins de l’exercice de la diligence requise au regard de l’accord de Paris sont notamment les suivants :
a) l’objectif de température à long terme ;
b) les exigences expresses relatives au niveau d’ambition et à la progression, qui reflètent la nécessité de combler d’urgence les écarts en matière d’émissions et de production ;
c) le principe de l’équité.
36. Ces éléments, examinés à la lumière des meilleures données scientifiques disponibles, indiquent que le critère de diligence requise prévu par l’accord de Paris est exigeant. Nombre d’États ont reconnu que les obligations y afférentes en matière de changements climatiques dépendaient de l’évolution des données scientifiques50. Celles-ci éclairent l’exécution de ces obligations dans toutes les branches du droit international relatives aux changements climatiques. La vitesse et l’ampleur des réductions des émissions de GES nécessaires au respect du budget carbone et à la prévention d’un dépassement sont clairement énoncées dans les rapports du GIEC. De nombreux participants ont fait
43 Avis consultatif du TIDM, par. 257.
44 Ibid., par. 238.
45 Ibid., par. 239. Voir aussi : exposé écrit de Maurice, par. 83-85, 154 d) et 193-195.
46 Avis consultatif du TIDM, par. 241.
47 Avis consultatif du TIDM, par. 256 (« En ce qui concerne la pollution transfrontière affectant l’environnement d’autres États, le niveau de diligence requise peut être encore plus élevé »).
48 Ibid., par. 241. Voir aussi : exposé écrit de Maurice, par. 118-121.
49 Avis consultatif du TIDM, par. 243.
50 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 72-82), Équateur (par. 3.23-3.24), Sierra Leone (par. 3.14), Singapour (par. 3.8), Îles Salomon (par. 160), Suisse (par. 42) et Thaïlande (par. 14).
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valoir que le critère de diligence requise devait être exigeant pour éviter les graves risques de non-respect des objectifs et de franchissement de points de non-retour
51. Dans le contexte de la diligence requise, la bonne foi exige que les enquêtes, évaluations et mesures soient fondées sur les meilleures données scientifiques disponibles et qu’elles tiennent pleinement compte de l’urgence et de l’ampleur des risques posés.
37. Le principe de l’équité éclaire également l’exécution de la diligence requise et exige que les pays en développement se voient fournir l’appui dont ils ont besoin pour s’acquitter efficacement de cette obligation. L’équité et le principe des RCD-CR ont été traités dans l’exposé écrit de Maurice et le seront également aux paragraphes 59 à 73 ci-après52.
38. Comme l’ont indiqué nombre de participants, l’obligation de diligence requise signifie que les États sont tenus par le droit international de réglementer le comportement des acteurs privés — y compris les biens qu’ils fabriquent et les services qu’ils fournissent — qui relèvent de leur juridiction et se trouvent sous leur contrôle, en votant des lois, en élaborant des politiques et en mettant en place des réglementations, et de les faire appliquer avec la vigilance nécessaire53. Ainsi que l’a relevé le TIDM, « [c]ette obligation de diligence requise est particulièrement pertinente dans une situation où les activités en question sont essentiellement accomplies par des personnes ou entités privées »54.
39. Maurice a examiné la portée de cette obligation dans son exposé écrit55 et, à la lumière des observations présentées par d’autres participants, relève ce qui suit :
1. Objectif de température
40. Comme cela a été exposé aux paragraphes 15-28 ci-dessus, les meilleures données scientifiques disponibles font clairement apparaître que l’objectif international de température est essentiel à la réalisation de tous les objectifs internationaux en matière de climat, en particulier l’objectif global consistant à empêcher toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique (article 2 de la CCNUCC). Dès lors, l’objectif de température de 1,5 °C éclaire directement l’obligation de diligence requise56. Cela a des conséquences concrètes et mesurables sur le respect de cette obligation : ce qui est « requis » doit être évalué à la lumière des données scientifiques et des actions mesurables nécessaires à la réalisation de l’objectif de température57.
41. Maurice n’est pas d’accord avec les participants qui ont décrit l’objectif de température comme constituant une aspiration ou une exhortation. Compte tenu de l’ampleur des dommages
51 Voir, par exemple, les exposés écrits des Seychelles (par. 96, « degré de diligence élevé »), de la Sierra Leone (par. 3.41, par référence au principe du « niveau d’ambition le plus élevé possible »), de l’UICN (par. 39 i), « un degré de diligence nettement plus élevé ») et de l’OEACP (par. 100, « norme stricte »).
52 Exposé écrit de Maurice, par. 118-121.
53 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Bahamas (par. 191-197), Barbade (par. 163), Costa Rica (par. 39), République dominicaine (par. 4.59 et 5.1), Équateur (par. 3.64-3.65, dans le contexte du principe « pollueur-payeur »), Égypte (par. 244-247), Kenya (par. 6.104), Namibie (par. 132-134), Îles Salomon (par. 200), Union africaine (par. 208) et UICN (par. 554).
54 Avis consultatif du TIDM, par. 236.
55 Exposé écrit de Maurice, par. 189-199.
56 Voir aussi : avis consultatif du TIDM, par. 222.
57 S’agissant du rapport entre l’objectif de 1,5 °C et la diligence requise, voir les exposés écrits de la République démocratique du Congo (par. 208-210) et de l’Union africaine (par. 101).
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additionnels et irréversibles qui se produiront en cas de dépassement de l’objectif de 1,5 °C, ainsi que des actions mesurables qui ont été recensées et considérées comme nécessaires pour avoir la meilleure chance de l’atteindre, cet objectif représente clairement un critère viable et concret encadrant le comportement des Parties à l’accord de Paris.
42. Maurice se rallie à ceux qui soutiennent que l’objectif de réduction de la température moyenne mondiale, tel que fixé par l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2, se trouve au coeur des obligations imposées par l’accord de Paris, ce qui a des conséquences au regard du droit international général et d’autres régimes juridiques spécifiques. L’objectif fixé est contraignant et constitue une référence quantifiable ; tous les États membres sont tenus de l’atteindre conjointement58. Maurice affirme que l’objectif de température fournit un critère objectif à l’aune duquel peut être évaluée l’exécution de bonne foi d’obligations particulières imposées par l’accord de Paris, et notamment les articles 4 et 9 de celui-ci. S’agissant de l’article 4 de cet instrument, l’on notera que les tout premiers mots de l’alinéa 1 font directement référence à l’objectif de température à long terme qui, partant, régit les exigences ultérieures relatives au plafonnement des émissions et à la réalisation de l’objectif de zéro émission nette, ainsi que les obligations et exigences connexes qui sont énoncées ensuite dans le libellé de l’article 4 :
« En vue d’atteindre l’objectif de température à long terme énoncé à l’article 2, les parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement parties, et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté. »59
43. Le paragraphe 5 de l’article 4 de l’accord de Paris prévoit que les pays en développement se voient fournir un appui, notamment financier, « pour l’application du présent article », ce qui subordonne là encore cet appui au but consistant à atteindre l’objectif de température à long terme. Les obligations d’ordre financier énoncées à l’article 9 seront examinées aux paragraphes 74 à 79 ci-après, mais il importe de les considérer également à la lumière dudit objectif et de la nécessité que soit respecté un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques (article 2 1) c) de l’accord de Paris).
2. Niveau d’ambition et progression
44. Le libellé exprès des traités pertinents encadre l’exercice de la diligence requise. Nombre de participants ont relevé les références faites au niveau d’ambition et à la progression au
58 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Allemagne (par. 43), Équateur (par. 3.77), Kenya (par. 5.36), Madagascar (par. 25 et 42), Roumanie (par. 74) et UICN (par. 108-123).
59 Accord de Paris, article 4 1) (les italiques sont de nous).
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paragraphe 3 de l’article 4 de l’accord de Paris
60. Maurice considère que la formulation y afférente doit être interprétée en fonction de l’objet et du but de l’accord de Paris (article 2), ainsi que du contexte factuel et scientifique dans lequel s’inscrit l’actuelle menace urgente. Les exigences concernant le « niveau d’ambition le plus élevé possible » et la « progression » énoncées au paragraphe 3 de l’article 4 de l’accord de Paris constituent des expressions spécifiques de l’obligation générale de bonne foi qui est reflétée à l’article 26 et au paragraphe 1 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Ces exigences sont directement pertinentes aux fins de l’exécution d’obligations particulières découlant de l’accord de Paris, notamment l’exercice de la diligence requise. Comme d’aucuns l’ont fait observer, le libellé du paragraphe 3 de l’article 4 de l’accord de Paris (verbes au futur) est plus fort que celui d’autres dispositions (exemple : verbes au conditionnel au paragraphe 4 de l’article 4).
45. Comme de nombreux participants l’ont également relevé, la mention des RCD-CR au paragraphe 3 de l’article 4 de l’accord de Paris confirme que les États devraient assumer une part juste de la charge en matière d’atténuation, eu égard à des considérations d’équité.
3. Contributions déterminées au niveau national (CDN)
46. La plupart des participants à l’instance ont examiné la portée des obligations des États relatives aux CDN qui découlent de l’accord de Paris, surtout en ce qui concerne l’atténuation des émissions de GES. D’aucuns ont allégué que certains éléments des exigences en matière de CDN n’étaient pas contraignants, bien qu’il fallût s’y conformer de bonne foi61. Maurice soutient que, si les États jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire quant à la formulation et au contenu précis de leur CDN, ce pouvoir n’est cependant pas illimité. Le paragraphe 2 de l’article 4 de l’accord de Paris dispose en effet comme suit : « Chaque Partie établit, communique et actualise les [CDN] successives qu’elle prévoit de réaliser. Les Parties prennent des mesures internes pour l’atténuation en vue de réaliser les objectifs desdites contributions. »62
47. Cela suppose nécessairement que les États ont l’obligation juridique d’établir, de communiquer et d’actualiser des CDN, et de le faire de bonne foi dans le but d’atteindre les objectifs qui y sont fixés. Dans ce contexte, la bonne foi est associée à un comportement qui doit être fondé sur le niveau d’ambition le plus élevé possible et sur les meilleures données scientifiques disponibles, et tenir compte des RCD-CR ainsi que de l’obligation de fournir un appui (article 9).
48. L’exercice du pouvoir discrétionnaire est encadré par les principes énoncés dans la CCNUCC et l’accord de Paris, notamment les principes de précaution, de prévention et des RCD-CR, ainsi que par le niveau d’ambition et la progression. Maurice est d’accord avec l’Équateur et d’autres participants pour dire que les CDN des États doivent refléter leur niveau d’ambition le plus élevé possible et être compatibles avec la réalisation de l’objectif de température à long terme à la lumière
60 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Antigua-et-Barbuda (par. 358), Australie (par. 2.23), Barbade (par. 207), Chine (par. 47, 49, 54 et 56), Colombie (par. 3.41), Équateur (par. 3.81), Grenade (par. 31), Micronésie (par. 91), Îles Marshall (par. 17 et 20), Samoa (par. 169), Seychelles (par. 72-77 et 150), Sainte-Lucie (par. 54), Tonga (par. 153), Vanuatu (par. 319, 411, 414, 435, 441, 511 et 579), Union africaine (par. 104, 113, 132 et 205), Union européenne (par. 144-154) et UICN (par. 37, 88, 93, 129, 132, 136-137, 140, 151, 303 et 370-376). Le paragraphe 3 de l’article 4 de l’accord de Paris dispose comme suit : « La [CDN] suivante de chaque Partie représentera une progression par rapport à la [CDN] antérieure et correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible, compte tenu de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales. »
61 Voir, par exemple, l’exposé écrit de la Nouvelle-Zélande, par. 54.
62 Accord de Paris, article 4 2).
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des meilleures données scientifiques disponibles
63. Cela a des répercussions concrètes, étant donné que la progression, ou l’absence de progression, vers la réalisation de l’objectif de température est mesurable au niveau mondial et prise en considération dans les trajectoires d’atténuation recensées par le GIEC64. Compte tenu de l’obligation des États développés de montrer la voie en matière de réduction des émissions, ainsi que du principe des RCD-CR de manière plus générale (tel qu’il sera traité aux paragraphes 59-73 ci-après), l’objectif de température et le budget carbone mondial ont des conséquences particulières mesurables aux fins d’une évaluation de la conformité des CDN à ces exigences.
49. Maurice soutient que toute régression des CDN — telle qu’une révision à la baisse du niveau d’ambition des objectifs de réduction des émissions — emporterait violation des exigences du paragraphe 3 de l’article 4 de l’accord de Paris. En outre, les écarts existants en matière d’émissions et de production signifient que toute action d’un État constitutive d’une régression — par exemple la promotion d’une nouvelle production de combustibles fossiles —, qu’elle trouve expressément son expression dans la CDN ou (ce qui est plus probable) qu’elle soit simplement passée sous silence, compromettrait la réalisation de l’objectif de température et est donc incompatible avec les exigences des articles 3 et 4 de l’accord de Paris. Maurice se rallie aux nombreux participants qui affirment que les CDN sont éclairées par les principes de l’équité et des RCD-CR, relativement à l’ensemble des obligations65.
4. Évaluation de l’impact sur l’environnement
50. Compte tenu des obligations de transparence énoncées dans l’accord de Paris66, ainsi que de la nature des informations exigées, la diligence requise impose aux États d’évaluer toutes les activités susceptibles de provoquer des changements climatiques, et de le faire avant d’autoriser qu’elles soient menées. Cela signifie également que toutes les émissions potentielles, y compris celles qualifiées d’« émissions du champ d’application 3 », doivent être quantifiées et évaluées dans le cadre des effets cumulés des projets en question67.
51. À cet égard, le TIDM a déterminé que la disposition de la CNUDM relative à l’évaluation de l’impact sur l’environnement (article 206) s’appliquait à « [t]oute activité envisagée, qu’elle [fû]t publique ou privée, qui risqu[ait] d’entraîner une pollution importante ou des modifications
63 Exposé écrit de l’Équateur, par. 3.81.
64 Le GIEC a précisé qu’« [i]l exist[ait] un important “écart entre les émissions” mondiales de GES en 2030 associées à la mise en oeuvre des CDN annoncées avant la COP26 et celles associées à des trajectoires d’atténuation modélisées limitant le réchauffement à 1,5 °C (> 50 %) avec un dépassement limité ou nul, ou limitant le réchauffement à 2 °C (> 67 %), à supposer que des mesures [fuss]ent prises immédiatement (degré de confiance élevé) » (note de bas de page omise). Voir : GIEC, rapport de synthèse afférent au sixième rapport d’évaluation, résumé à l’intention des décideurs, A.4.3, accessible en anglais à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_ FullVolume.pdf (dernière consultation le 10 août 2024).
65 Voir, par exemple, l’exposé écrit d’Antigua-et-Barbuda (par. 276).
66 Accord de Paris, articles 4 8) et 13), 6 2), 7 5), 9 7), 11 1), 13 et 15 2).
67 Exposé écrit de Maurice, par. 195. Voir aussi : exposé écrit du Belize, par. 37-63. Les « émissions du champ d’application 3 » comprennent celles qui ne sont pas le fait de l’État, de l’acteur ou du projet lui-même, mais dont l’État, l’acteur ou le projet est indirectement responsable dans sa chaîne de valeur élargie (qui comprend notamment les fournisseurs et les clients). Voir aussi les décisions récemment rendues par les tribunaux britannique et norvégien relativement à la nécessité d’inclure les émissions du champ d’application 3 dans l’évaluation de l’impact sur l’environnement : Greenpeace Nordic v The State of Norway (représenté par le ministère du pétrole et de l’énergie), affaire no 23-099330TVI-TOSL/05, et R (Finch on behalf of the Weald Action Group) v Surrey County Council and others [2024] UKSC 20.
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considérables et nuisibles du milieu marin par des émissions anthropiques de GES, y compris par effets cumulatifs »
68.
52. Maurice soutient que l’exigence d’évaluer les effets cumulatifs s’applique également aux obligations de réaliser des évaluations de l’impact sur l’environnement découlant de la CCNUCC, de l’accord de Paris ou du droit international coutumier, surtout à la lumière de l’importance que lesdits effets revêtent dans le contexte des changements climatiques.
D. Élimination progressive des combustibles fossiles
53. S’agissant de la nécessité de procéder d’urgence à d’importantes réductions des émissions de GES afin d’atteindre l’objectif de température, les données scientifiques sont claires : les combustibles fossiles doivent être éliminés progressivement et les États sont tenus, au regard du droit international général, d’opérer une transition vers d’autres sources d’énergie. Dans son rapport intitulé « Net Zero by 2050 » [« Réduction à zéro des émissions d’ici à 2050 »], l’Agence internationale de l’énergie a souligné ce qui suit : « En dehors des projets qui avaient déjà donné lieu à un engagement en 2021, la mise en valeur d’aucun nouveau gisement de pétrole ou de gaz n’est approuvée dans le cadre de la trajectoire prévue, et aucune nouvelle mine de charbon ou extension de mine n’est requise. »69
54. Comme l’a relevé M. Hansen, les émissions provenant de combustibles fossiles ont augmenté de 0,9 % en 2022, puis de 1,1 % en 202370. Le niveau sûr des concentrations atmosphériques de CO2 a d’ores et déjà été dépassé71. Selon le PNUE, « les gouvernements de par le monde prévoient cependant toujours, globalement, d’accroître la production de charbon jusqu’en 2030 et celle de pétrole et de gaz au moins jusqu’en 2050 »72. Et M. Hansen de conclure : « [c]es augmentations projetées de la production de combustibles fossiles sont incompatibles avec un engagement international de prévenir les changements climatiques dangereux »73.
55. La nécessité d’opérer d’urgence une transition vers des sources d’énergie autres que les combustibles fossiles est de plus en plus clairement reconnue par les Parties à l’accord de Paris, y compris dans le bilan mondial74. Celui-ci appelle les États non seulement à « accélérer l’action pendant cette décennie cruciale, afin d’atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050, conformément aux données scientifiques », mais aussi à « intensifier les efforts visant à réduire progressivement la production continue de charbon » et à « [é]liminer progressivement et dès que possible les subventions inefficaces aux combustibles fossiles qui ne permettent pas de lutter contre la pauvreté énergétique ou d’assurer des transitions justes »75.
68 Avis consultatif du TIDM, par. 367.
69 IEA, “Net Zero by 2050: A Road map for the Global Energy Sector” (2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.iea.org/reports/net-zero-by-2050 (dernière consultation le 10 août 2024), p. 13.
70 Rapport de M. James E. Hansen, p. 1 (annexe 1).
71 Ibid., p. 2.
72 Rapport du PNUE sur l’écart en matière de production, p. vii.
73 Rapport de M. James E. Hansen, p. 3 (annexe 1).
74 Bilan mondial, par. 5 : « Se déclarent vivement préoccupés par le fait que 2023 devrait être l’année la plus chaude jamais enregistrée et que les effets du changement climatique s’accélèrent rapidement, et soulignent la nécessité d’une action et d’un soutien urgents pour maintenir l’objectif de 1,5 °C à portée de main et pour faire face à la crise climatique au cours de cette décennie cruciale ». Voir aussi les paragraphes 15-17.
75 Bilan mondial, par. 28. Voir aussi exposé écrit de Maurice, par. 127.
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56. Dans les conclusions du bilan mondial, il est également relevé que « les combustibles transitoires peuvent jouer un rôle pour faciliter la transition énergétique tout en assurant la sécurité énergétique »76. Toute transition doit garantir que les États respectent le budget carbone mondial existant. La mise en oeuvre effective et de bonne foi de l’accord de Paris signifie que l’élimination progressive des combustibles fossiles ne peut être reportée d’une manière qui menacerait la réalisation de l’objectif de température et des objectifs connexes. L’obligation de bonne foi exige que les traités soient appliqués d’une manière qui ne soit pas contraire à leur objet ni à leur but77. Dans ce contexte, comme nombre de participants l’ont souligné, l’obligation de réduire les émissions de GES, imposée aux États par l’article 4 de l’accord de Paris, doit contribuer à la réalisation collective de l’objectif de température. Maurice ajoute cependant que les Parties sont aussi tenues de veiller à ce que d’autres actions, notamment l’acheminement des flux financiers, ne réduisent pas à néant les efforts déployés par les Parties pour limiter leurs émissions nationales de GES78. Le financement sera traité aux paragraphes 74 à 79 ci-après.
57. Au titre du paragraphe 9 de l’article 4 et du paragraphe 3 de l’article 14 de l’accord de Paris, les Parties sont tenues de s’assurer que leurs CDN tiennent compte des résultats du bilan mondial. Elles sont en outre convenues de fournir, dans leurs CDN pour 2025, des informations sur la manière dont ces résultats ont influencé l’élaboration de leurs CDN actualisées79. En 2025, toutes les Parties doivent communiquer une CDN contenant une répartition à l’échelle de leur pays des efforts mondiaux consacrés aux énergies renouvelables, à la transition vers des sources d’énergie autres que les combustibles fossiles, à la protection de la nature, des océans et de la biodiversité, etc. Il s’ensuit qu’elles doivent prendre en considération les conclusions du bilan mondial relatives aux combustibles fossiles.
58. La plupart des participants à l’instance ont reconnu la nécessité d’opérer une transition vers des sources d’énergie autres que les combustibles fossiles80. Il convient de prendre en considération cette reconnaissance générale et expresse dans l’analyse des obligations juridiques pertinentes, tout en tenant pleinement compte de l’ampleur et de l’urgence de la menace que la persistance des émissions de GES fait peser sur les objectifs climatiques internationaux. Comme Maurice l’a précisé dans son exposé écrit, les obligations ci-après sont directement pertinentes aux fins de l’élimination progressive des combustibles fossiles :
a) la nécessité de procéder à ladite élimination sur le fondement des données scientifiques présentées par le GIEC et le PNUE au sujet de l’ampleur des réductions requises et du délai dans lequel ces réductions doivent être réalisées, compte tenu de l’amenuisement rapide du budget carbone ;
b) l’obligation de faire en sorte que les flux financiers soient compatibles avec des trajectoires à faibles émissions, qui suppose de prendre conscience que, comme l’ont indiqué le PNUE et l’AIE,
76 Bilan mondial, par. 29.
77 Voir l’exposé écrit de la Nouvelle-Zélande, par. 51.
78 Article 2 1) c) de l’accord de Paris.
79 CCNUCC, décision 4/CMA.1, « Autres directives concernant la section de la décision 1/CP.21 relative à l’atténuation » (19 mars 2019), Nations Unies, doc. FCCC/PA/CMA/2018/3/Add.1, annexe I, par. 4 c), accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/sites/default/files/resource/cma2018_03a01F.pdf (dernière consultation le 10 août 2024).
80 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 78), Antigua-et-Barbuda (par. 117 et 481-482), Australie (par. 2.53), Bahamas (par. 184), Bangladesh (par. 10), Colombie (par. 2.38) et 4.10), Costa Rica (par. 102 et 110), République démocratique du Congo (par. 211-212), République dominicaine (par. 4.62), Égypte (par. 137), Kenya (par. 6.120-6.124), Équateur (par. 3.30), Îles Salomon (par. 18), Saint-Vincent-et-les Grenadines (par. 51), Tuvalu (par. 7, 68 et 105), Émirats arabes unis (par. 61), États-Unis d’Amérique (par. 3.39), Vanuatu (par. 511), Union européenne (par. 162), Groupe Fer de lance mélanésien (par. 315), Union africaine (par. 107-108), Commission des petits États insulaires sur les changements climatiques et le droit international (par. 56-62), OEACP (par. 119) et UICN (appendice II, par. 17-18).
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tout investissement dans une nouvelle production de combustibles fossiles est incompatible avec la réalisation de l’objectif de température prévu dans l’accord de Paris ;
c) compte tenu des obligations susmentionnées, les États, notamment les États développés et les principaux émetteurs, devraient s’abstenir d’accorder de nouveaux permis aux fins de la production de combustibles fossiles.
E. RCD-CR et équité
59. De nombreux participants ont relevé que les contributions inégales aux émissions de GES et aux changements climatiques, ainsi que les modes de consommation inégaux et non durables, constituaient un élément contextuel important aux fins de l’examen des obligations juridiques, au regard tant de l’accord de Paris lui-même que du droit international coutumier81.
60. Le principe des RCD-CR traduit l’acceptation, conformément au principe de l’équité, que les États qui ont, par le passé, bénéficié d’un développement fondé sur les combustibles fossiles ont la responsabilité d’aider les autres États à opérer rapidement une transition vers des sources d’énergie alternatives. Comme Maurice l’a relevé dans son exposé écrit, le budget carbone est limité ; il diminue et doit être réparti équitablement82. Ainsi que l’indique la Thaïlande, les États développés et les États en développement ne disposent pas des mêmes moyens, ce qui signifie qu’il convient d’admettre une certaine flexibilité en matière de diligence requise, en permettant aux États d’employer « les moyens les mieux adaptés dont ils disposent, en fonction de leurs capacités »83.
61. Le GIEC a précisé que « [l]’équité demeur[ait] un élément central dans le régime climatique de l’Organisation des Nations Unies, en dépit de la différenciation mouvante entre les États au fil du temps et des défis que pos[ait] l’évaluation des parts équitables »84. Comme beaucoup de participants l’ont souligné, l’ajout du membre de phrase « eu égard aux … situations nationales » dans l’accord de Paris introduit un élément dynamique en ce qui concerne les exigences imposées aux Parties85. Il importe toutefois de noter que cette formulation ne limite pas les dispositions de la CCNUCC et de l’accord de Paris qui mettent des obligations particulières à la charge des États développés.
62. L’accord de Paris reconnaît « que l’action et la riposte face aux changements climatiques et les effets des changements climatiques sont intrinsèquement liés à un accès équitable au
81 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Brésil (par. 81), Équateur (par. 1.9), Nouvelle-Zélande (par. 28 a)), Îles Salomon (par. 66) et Vanuatu (par. 169-170). Certains États ont fait référence aux émissions de luxe, par opposition aux émissions de survie, pour refléter cette inégalité, voir, par exemple, les exposés écrits de la Chine (par. 30 et 60) et de l’Inde (par. 37).
82 Exposé écrit de Maurice, par. 74-82 et 118-121.
83 Exposé écrit de la Thaïlande, par. 20 (par référence à l’article 194 de la CNUDM).
84 GIEC, rapport de synthèse afférent au sixième rapport d’évaluation, résumé à l’intention des décideurs, C.5.1, accessible en anglais à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_SPM. pdf (dernière consultation le 11 août 2024).
85 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Chine (par. 64), Pays-Bas (par. 3.6), Nouvelle-Zélande (par. 47), Union européenne (par. 68, 83, 144, 146, 166, 198-210 et 362) et UICN (par. 133). Le paragraphe 3 de l’article 4 de l’accord de Paris dispose comme suit :
« La contribution déterminée au niveau national suivante de chaque Partie représentera une progression par rapport à la contribution déterminée au niveau national antérieure et correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible, compte tenu de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales. »
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développement durable et à l’élimination de la pauvreté »
86. Cet instrument fait expressément référence au développement durable et à la nécessité d’éradiquer la pauvreté, qui constituent le contexte dans lequel s’inscrivent les objectifs et obligations qu’il prévoit87. Le GIEC a confirmé que le dépassement de l’objectif de température augmentera le nombre de personnes vivant dans la pauvreté et compromettra la réalisation des objectifs de développement durable88. La prévention des changements climatiques dangereux et l’obtention d’un développement durable ne sont donc pas des objectifs contradictoires, contrairement à ce que d’aucuns ont allégué. C’est même l’inverse. Le GIEC a souligné avec un degré de confiance élevé que
« [d]es mesures accélérées et équitables visant à atténuer les changements climatiques et à s’y adapter [étaie]nt indispensables au développement durable. Les mesures d’atténuation et d’adaptation produisent davantage de synergies que les compromis relatifs aux objectifs de développement durable »89.
63. Il s’ensuit que les objectifs en matière de climat et de développement sont nécessairement complémentaires et interdépendants.
64. En 2018, le GIEC a précisé ce qui suit :
« Avec un réchauffement planétaire de 1,5 °C environ (2030), les changements climatiques devraient être un multiplicateur de pauvreté, rendant les pauvres encore plus pauvres et augmentant le nombre de personnes vivant dans la pauvreté … Les personnes pauvres pourraient être fortement touchées par les changements climatiques même si les effets sur le reste de la population étaient limités. »90
65. L’élimination de la pauvreté sera compromise si l’objectif de température de 1,5 °C n’est pas atteint. C’est pourquoi l’accord de Paris associe cette élimination et le développement durable aux objectifs climatiques fondés sur les données scientifiques. Le GIEC a lui aussi confirmé avec un degré de confiance élevé que,
« [l]es mesures d’adaptation et d’atténuation donnant la priorité à l’équité, la justice sociale, la justice climatique, les approches fondées sur les droits et l’inclusivité conduis[ai]ent à des résultats plus durables, réduis[ai]ent les compromis, appuy[ai]ent les changements en profondeur et favoris[ai]ent un développement résilient aux changements climatiques »91.
66. Le principe des RCD-CR exige des États que, en poursuivant leurs objectifs communs découlant de l’article 2 de la CCNUCC et de l’accord de Paris, ils coopèrent et contribuent à l’effort
86 Accord de Paris, préambule, al. 8.
87 Ibid., articles 2 1), 4 1) et 6 8).
88 IPCC, “Global Warming of 1.5°C: an IPCC Special Report on the impacts of global warming of 1.5°C above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradicate poverty” (2018) (ci-après, « RS1.5 »), chapitre 5, “Sustainable Development, Poverty Eradication and Reducing Inequalities”, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/sr15/ (dernière consultation le 11 août 2024).
89 GIEC, rapport de synthèse afférent au sixième rapport d’évaluation, résumé à l’intention des décideurs, C.4.
90 GIEC, RS1.5, chapitre 3, “Impacts of 1.5°C global warming on natural and human systems”, 3.4.10.1, p. 244, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2022/06/SR15_Chapter_3_LR.pdf (dernière consultation le 11 août 2024).
91 GIEC, rapport de synthèse afférent au sixième rapport d’évaluation, résumé à l’intention des décideurs, C.5.2.
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partagé conformément à leurs responsabilités différenciées et à leurs capacités respectives. En se conformant aux obligations que leur impose l’accord de Paris, les États ont l’obligation d’affecter équitablement la charge des réductions de GES tout en veillant à ce que le budget carbone ne soit pas dépassé. Cela a des répercussions sur l’attribution de l’appui, l’indemnisation, le transfert de technologies et éventuellement d’autres domaines, notamment les contributions au fonds pour les pertes et les préjudices, l’allégement des dettes et les termes de l’échange
92.
67. Maurice relève que, dans le contexte des CDN, le paragraphe 5 de l’article 4 de l’accord de Paris dispose comme suit : « Un appui est fourni aux pays en développement Parties pour l’application du présent article, conformément aux articles 9, 10 et 11, étant entendu qu’un appui renforcé en faveur des pays en développement Parties leur permettra de prendre des mesures plus ambitieuses. »93
68. Une évaluation de l’exécution, par un État, des obligations qui lui incombent doit tenir compte des ressources dont il dispose et de la mesure dans laquelle il a bénéficié d’un appui financier et technique, d’une part, et, d’autre part, du fait que tout État a l’obligation de prendre les mesures le plus ambitieuses possible.
69. Maurice relève la conclusion du TIDM selon laquelle, au regard de la CNUDM, les États disposant de grandes capacités et de ressources suffisantes sont tenus de faire davantage que les États « moins bien pourvu[s] »94. Néanmoins, même ces derniers doivent faire tout leur possible, selon leurs capacités et leurs ressources, pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES95.
70. D’aucuns allèguent que l’accord de Paris vise à garantir aux pays en développement parties une part équitable du « budget carbone restant »96. Maurice relève que, si les données scientifiques dictent le montant de ce dernier qui subsiste, les principes de l’équité et des RCD-CR ne peuvent cependant pas étendre le budget en question. L’équité et les RCD-CR entrent en jeu pour remédier aux inégalités découlant des disparités historiques dans la part du budget utilisée par les États. Ces principes exigent des États développés qu’ils montrent la voie en réduisant les émissions, tout en fournissant un appui aux États en développement, notamment aux plus vulnérables, afin d’assurer une transition équitable et une résilience aux changements climatiques. Certains États ont fait référence à une approche des « parts équitables » selon laquelle les États ayant déjà utilisé leur « part équitable » des émissions devraient également s’acquitter de leur « part équitable » des efforts visant à lutter contre les changements climatiques en adoptant des mesures radicales et rapides pour limiter les émissions97.
92 Voir : déclaration des dirigeants africains de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action (2023), par. 52, accessible à l’adresse suivante : https://www.afdb.org/sites/default/files/2023/09/08/french_declaration_union_ africaine-sommet_africain_sur_le_climat.pdf (dernière consultation le 11 août 2024). Voir aussi les exposés écrits de la Barbade (par. 295 et 322) et du Kenya (par. 6.123).
93 Accord de Paris, article 4 5).
94 Avis consultatif du TIDM, par. 241.
95 Ibid.
96 Voir, par exemple, l’exposé écrit des Émirats arabes unis, par. 149.
97 Voir, par exemple, les exposés écrits de l’Égypte (par. 64), des Îles Salomon (par. 98 et 244) et de Vanuatu (par. 415, 440-441 et 520).
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71. Maurice soutient que l’équité, qui fait partie intégrante du cadre juridique, exige une répartition équitable des efforts dans les délais et les domaines d’action indiqués par les données scientifiques98. Le principe de l’équité impose aux États de réexaminer d’urgence la mesure dans laquelle l’augmentation des émissions renforce ou perpétue les inégalités et les modes de consommation non durables.
72. Les principes de l’équité et des RCD-CR ne constituent pas de simples aspirations. Ils ont, dans le monde réel, des conséquences mesurables sur la mise en oeuvre du régime climatique international, notamment dans le contexte du droit international coutumier et d’autres régimes conventionnels. Ces deux principes éclairent les obligations suivantes :
a) L’obligation des États développés de montrer la voie en matière d’atténuation (article 4 4) de l’accord de Paris) : la CCNUCC et l’accord de Paris relèvent tous deux qu’un appui renforcé en faveur des pays en développement parties leur permettra de prendre des mesures plus ambitieuses (article 4 5) de l’accord de Paris). En outre, le paragraphe 7 de l’article 4 de la CCNUCC dispose comme suit :
« La mesure dans laquelle les pays en développement parties s’acquitteront effectivement de leurs engagements au titre de la Convention dépendra de l’exécution efficace par les pays développés parties de leurs propres engagements en ce qui concerne les ressources financières et le transfert de technologie et tiendra pleinement compte du fait que le développement économique et social et l’éradication de la pauvreté sont les priorités premières et essentielles des pays en développement parties. »99
b) L’obligation des États développés de fournir un appui financier et technique aux États en développement, notamment aux plus vulnérables d’entre eux et aux PEID, afin de leur permettre d’atteindre leurs objectifs de développement tout en contribuant à l’objectif partagé consistant à prévenir les changements climatiques dangereux (articles 9, 10 et 11 de l’accord de Paris).
c) L’obligation des États développés d’aider les États en développement à accroître leur résilience et à réduire leur vulnérabilité dans le contexte de l’adaptation, a fortiori parce que ces derniers comptent parmi les États les plus vulnérables aux effets de changements climatiques alors même qu’ils ont le moins contribué au problème (articles 7 6) et 9 1) de l’accord de Paris).
73. Sont étroitement associées aux conséquences des principes de l’équité et des RCD-CR les obligations relatives aux flux financiers (voir ci-après).
98 Dans le contexte de l’augmentation continue des émissions mondiales de GES de 2010 à 2019, le GIEC, dans son sixième rapport d’évaluation, se réfère aux « contributions inégales, passées et actuelles, résultant d’une utilisation non durable de l’énergie et des terres, du changement d’affectation de ces dernières, des modes de vie, de consommation et de production dans l’ensemble des régions, entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci, et entre les personnes ». Voir : GIEC, rapport de synthèse afférent au sixième rapport d’évaluation, rapport plus long, 2.1, p. 6, accessible en anglais à l’adresse suivante : https://report.ipcc.ch/ar6syr/pdf/IPCC_AR6_SYR_LongerReport.pdf (dernière consultation le 11 août 2024).
99 CCNUCC, article 4 7).
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F. Financement
74. Comme le Mexique et bien d’autres participants, Maurice souligne l’importance que revêt pour les pays en développement un financement de l’action climatique qui soit accessible, équitable et transparent100.
75. Les Parties à l’accord de Paris ont reconnu l’importance qu’il y avait à rediriger les flux financiers en faisant de cette mesure l’un des trois objectifs principaux énoncés au paragraphe 1 de l’article 2. L’alinéa c) de cette disposition reflète la nécessité de détourner ces flux des sources d’énergie produisant des émissions élevées et de les affecter à la place aux énergies renouvelables.
76. Maurice rappelle que les Parties sont convenues qu’elles devraient éliminer progressivement et « dès que possible les subventions inefficaces aux combustibles fossiles qui ne permettent pas de lutter contre la pauvreté énergétique ou d’assurer des transitions justes »101. Elle est d’accord avec les nombreux participants qui ont jugé qu’il s’agissait là d’une obligation essentielle à la lumière des éléments de preuve relatifs à la mesure dans laquelle le financement continuait d’être dirigé vers les combustibles fossiles au détriment de l’objectif de température de 1,5 °C. Maurice relève que, dans son rapport sur l’écart de production, le PNUE indique que 17 des 20 pays examinés continuent de promouvoir, de subventionner, d’appuyer et de planifier l’expansion de la production de pareils combustibles102. Ce comportement n’est pas compatible avec la réalisation de l’objectif énoncé à l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 2 de l’accord de Paris103.
77. En dépit de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’article 9 de l’accord de Paris, ainsi que des engagements en matière d’appui financier pris à maintes reprises, notamment lors de l’adoption de l’accord lui-même, il subsiste depuis longtemps un écart important en ce qui concerne le financement, comme l’ont souligné nombre de participants. Dans la déclaration de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action de 2023, les chefs d’État ou de gouvernement africains ont demandé aux États d’honorer leur engagement de fournir 100 milliards de dollars en financement annuel de l’action climatique, ainsi qu’ils l’avaient promis à la conférence de Copenhague de 2009104.
78. Certaines dispositions, dont le paragraphe 9 de l’article 4 de la CCNUCC et le paragraphe 4 de l’article 9 de l’accord de Paris, sont expressément consacrées à la situation des PEID et des autres États vulnérables105.
79. Outre ces obligations conventionnelles spécifiques, l’obligation générale de coopération est pertinente dans ce contexte, comme l’ont fait valoir la Barbade et d’autres participants :
100 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Antigua-et-Barbuda (par. 505), Chine (par. 54, 66 et 73), Égypte (par. 148, 165, 169-189 et 212-227), Mexique (par. 35), Micronésie (par. 67-68), Nouvelle-Zélande (par. 63), Îles Salomon (par. 65 et 109-113), Sainte-Lucie (par. 59), Timor-Leste (par. 168-175), Tonga (par. 199 et 204-206), Uruguay (par. 125-132) et Union africaine (par. 142-163).
101 Bilan mondial, par. 28 d).
102 Rapport du PNUE sur l’écart en matière de production, accessible en anglais à l’adresse suivante : https:// productiongap.org/wp-content/uploads/2023/11/PGR2023_web_rev.pdf (dernière consultation le 11 août 2024).
103 Ibid., p. 5.
104 Déclaration de Nairobi sur le changement climatique et appel à l’action (2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.afdb.org/sites/default/files/2023/09/08/french_declaration_union_africaine-sommet_africain_sur_le_climat.pdf (dernière consultation le 11 août 2024).
105 Voir exposé écrit de Maurice, par. 112.
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« [L]es … États responsables de l’accélération des changements climatiques ont le devoir de financer les efforts d’adaptation et d’atténuation des petits États insulaires. L’obligation de coopérer, dans son contexte, implique également l’obligation de financer les efforts d’adaptation et d’atténuation des petits États insulaires. »106
G. Adaptation
80. De nombreux participants, dont Maurice, ont inclus une analyse circonstanciée de l’incidence négative que les changements climatiques auront sur leur population, leur environnement et leur vie culturelle et économique. L’accord de Paris exigeait que des mesures d’adaptation soient prises d’urgence, en particulier au profit des États en développement et de ceux qui sont les plus vulnérables aux effets des changements climatiques. Un aspect essentiel de la riposte renforcée était l’adoption d’un nouvel objectif global en matière d’adaptation à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 2 et d’une disposition spécifique à l’article 7. Au nombre des thèmes récurrents abordés dans les exposés écrits figurent les terribles conséquences pour les écosystèmes fragiles, notamment les récifs coralliens, la mise en péril de la sécurité alimentaire, l’érosion des territoires côtiers, la menace que les phénomènes extrêmes font peser sur les communautés et les travailleurs, ainsi que le déplacement de populations. Tous ces effets sont attestés dans les rapports du GIEC, et les États touchés eux-mêmes ont brossé à la Cour un tableau circonstancié et extrêmement perturbant de la situation actuelle et à venir107.
81. Les obligations relatives au financement (traitées aux paragraphes 74 à 79 ci-dessus) sont essentielles en ce qui concerne l’actuel écart en matière d’adaptation, comme l’indique le titre du rapport de 2023 du PNUE : « Adaptation Gap Report: Underfinanced. Underprepared. Inadequate investment and planning on climate adaptation » [« Rapport sur le déficit de l’adaptation au climat : un manque de financement et de préparation – l’insuffisance des investissements et de la planification en matière d’adaptation au changement climatique »] (« rapport du PNUE sur l’écart en matière d’adaptation »)108. Dans la préface de ce document, le PNUE fait référence à un nouveau déficit de financement qui
« résulte d’un accroissement des besoins associé à une baisse de 15 % des flux de financement de l’adaptation au profit des pays en développement, flux qui se sont établis à environ 21 milliards de dollars des États-Unis. Compte tenu du fait que le financement requis pour la mise en oeuvre des plans nationaux d’adaptation dans ces pays est actuellement estimé à 387 milliards de dollars des États-Unis par an jusqu’en 2030 — fonds dont la fourniture exigera essentiellement un appui international —, cette décélération est extrêmement inquiétante »109.
106 Exposé écrit de la Barbade, par. 216.
107 Pour ne prendre qu’un seul exemple : « étant donné que les coraux sont très sensibles aux contraintes thermiques, on prévoit que même de courtes périodes (c’est-à-dire des décennies) de dépassement seront extrêmement dommageables pour les récifs coralliens. Or, la perte de 70 à 90 % de ceux qui existent aujourd’hui supprimera des ressources et accroîtra les niveaux de pauvreté sur l’ensemble des littoraux tropicaux de la planète, mettant en exergue la question essentielle de l’équité pour les millions de personnes tributaires de ces précieux écosystèmes. » Voir : IPCC, RS1.5, chapitre 3, “Impacts of 1,5°C global warming on natural and human systems”, p. 230, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/ assets/uploads/sites/2/2022/06/SR15_Chapter_3_LR.pdf (dernière consultation le 11 août 2024).
108 UNEP, “The Adaptation Gap Report 2023: Underfinanced. Underprepared. Inadequate investment and planning on climate adaptation”, accessible à l’adresse suivante : https://www.unep.org/resources/adaptation-gap-report-2023 (dernière consultation le 11 août 2024). L’écart en matière de financement de l’adaptation est défini comme la différence entre les coûts estimés de la réalisation d’un objectif donné relatif à l’adaptation et le montant du financement disponible aux fins de celle-ci (voir p. xv et 31).
109 Ibid., p. xi.
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82. Dans son rapport sur l’écart en matière d’adaptation, le PNUE considère l’application de l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article 2 de l’accord de Paris comme l’un des moyens de remédier au déficit de financement : « [b]ien que ce soit un objectif mondial, sa mise en oeuvre donne aux pays en développement la possibilité de contribuer à combler l’écart en matière d’adaptation »110.
83. Les Parties à l’accord de Paris ont reconnu l’importance que revêtent l’appui et la coopération internationale aux efforts d’adaptation, ainsi que la prise en considération des besoins des pays en développement parties, notamment de ceux qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques (article 7 6)). Cet instrument prévoit également qu’« un appui international renforcé [soit] fourni en permanence » aux pays en développement parties aux fins de l’application des paragraphes 7, 9, 10 et 11 de l’article 7111. Force est toutefois de constater que les niveaux actuels de soutien ne sont pas adéquats pour appuyer les États les plus vulnérables aux changements climatiques et que les États développés ne satisfont pas à leurs obligations de coopération et de soutien.
H. Droits de l’homme
84. La plupart des participants (dont Maurice) ont reconnu que les obligations en matière de droits de l’homme éclairent et renforcent l’obligation incombant aux États de protéger le système climatique, notamment le droit à l’autodétermination112, le droit à la vie113, le droit à la santé114, le
110 Ibid., p. 57.
111 Accord de Paris, article 7 13).
112 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 96), Antigua-et-Barbuda (par. 195), Bahamas (par. 154-156), Bangladesh (par. 120-122), Burkina Faso (par. 201 et 208-210), Îles Cook (par. 342-354), Costa Rica (par. 72), République dominicaine (par. 4.43 et 5.1), Kenya (par. 5.66-5.68), Liechtenstein (par. 27-31), Madagascar (par. 59-60), Micronésie (par. 82), Nauru (par. 40), Philippines (par. 106), Sierra Leone (par. 3.88-3.92), Singapour (par. 3.81), Îles Salomon (par. 172), Saint-Vincent-et-les Grenadines (par. 109), Timor-Leste (par. 333-345), Tuvalu (par. 75-96), Vanuatu (par. 302), Union européenne (par. 237-238), Commission des petits États insulaires sur les changements climatiques et le droit international (par. 74-78), OEACP (par. 64-67), Groupe Fer de lance mélanésien (par. 233-237) et Union africaine (par. 198).
113 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 96), Antigua-et-Barbuda (par. 190), Australie (par. 3.61), Bahamas (par. 145-146), Bangladesh (par. 108), Burkina Faso (par. 195-219), République démocratique du Congo (par. 145-157), Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède (par. 78-79), Égypte (par. 211), Kenya (par. 5.54), Équateur (par. 3.109), Indonésie (par. 36), Liechtenstein (par. 36), Îles Marshall (par. 47-48), Namibie (par. 111-112), Pays-Bas (par. 3.75 et 4.24), Philippines (par. 106), Portugal (par. 74), Sierra Leone (par. 3.62), Singapour (par. 3.77), Seychelles (par. 145), Îles Salomon (par. 165), Sri Lanka (par. 89), Suisse (par. 59), Uruguay (par. 113), Vanuatu (par. 346), Union européenne (par. 233), Groupe Fer de lance mélanésien (par. 265), UICN (par. 499) et Union africaine (par. 188).
114 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Antigua-et-Barbuda (par. 193), Australie (par. 3.61), Bangladesh (par. 109), Burkina Faso (par. 195-219), République de Corée (par. 29), Madagascar (par. 61), Namibie (par. 107), Philippines (par. 196), Portugal (par. 75), Sierra Leone (par. 3.69), Seychelles (par. 145), Îles Salomon (par. 198), Suisse (par. 59), Vanuatu (par. 375), Union européenne (par. 234) et Union africaine (par. 210-211).
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droit à la nourriture et à l’eau
115, le droit à un environnement propre, sain et durable116, et les principes supérieurs de l’égalité et de la non-discrimination117.
85. Certains participants (dont Maurice) ont également reconnu que, dans la mesure où la climatologie était à la base de l’objectif de température de 1,5 ℃, cet objectif avait aussi une incidence sur le contenu de toutes les obligations relatives au climat, y compris les obligations internationales en matière de droits de l’homme. Les éléments de preuve scientifiques démontrent que le non-respect de l’objectif convenu aura de graves effets sur les droits de l’homme118.
86. Conformément à l’approche adoptée par la majorité des participants, Maurice invite la Cour à confirmer que les obligations internationales en matière de droits de l’homme doivent être intégrées dans les obligations relatives aux changements climatiques119. Le lien avec les obligations en matière de droits de l’homme a été reconnu par les Parties à l’accord de Paris, la CCNUCC120, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies121 et le Conseil des droits de l’homme de l’Organisation122. À la lumière de ses conséquences potentiellement dévastatrices, le non-respect de l’objectif de température et des obligations connexes contenues dans la CCNUCC et l’accord de Paris peut également emporter manquement aux obligations internationales des États en matière de droits de l’homme.
87. Dans son avis consultatif, le TIDM a placé sans équivoque le principe de l’intégration systémique au coeur de son analyse, déterminant que « la CCNUCC et l’Accord de Paris, en tant que principaux instruments juridiques de lutte contre le problème mondial du changement climatique, [étaie]nt pertinents pour l’interprétation et l’application de la Convention »123. Et le Tribunal
115 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 96), Antigua-et-Barbuda (par. 191-194), Bahamas (par. 150-153), Barbade (par. 201), Bangladesh (par. 108), Égypte (par. 227), Kenya (par. 5.58 et 5.62), Liechtenstein (par. 42), Namibie (par. 89), Philippines (par. 106), Portugal (par. 75), Seychelles (par. 145), Sierra Leone (par. 3.80), Singapour (par. 3.78-3.79), Suisse (par. 59), Tonga (par. 262), Vanuatu (par. 367-369) et Union africaine (par. 188).
116 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 96), Antigua-et-Barbuda (par. 182-185), Argentine (par. 38), Bangladesh (par. 110), Barbade (par. 160-162), Bolivie (par. 17), Colombie (par. 2.60-2.66), République démocratique du Congo (par. 145-157), République dominicaine (par. 4.43 et 5.1), Costa Rica (par. 82-83), Équateur (par. 3.106-3.108), El Salvador (par. 42), Inde (par. 79), Iran (par. 139), Kenya (par. 5.73), Liechtenstein (par. 45), Madagascar (par. 61), Îles Marshall (par. 85-86), Mexique (par. 95-103), Micronésie (par. 78), Namibie (par. 121), Pays-Bas (par. 3.33-3.34), Seychelles (par. 143-144), Slovénie (par. 17), Îles Salomon (par. 174-179), Espagne (par. 15), Suisse (par. 60), Tuvalu (par. 100), Vanuatu (par. 389), Union européenne (par. 258), Groupe Fer de lance mélanésien (par. 283) et Union africaine (par. 192).
117 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 106), Chili (par. 68), Colombie (par. 2.58-2.59), Égypte (par. 229-243), Allemagne (par. 114-116), Micronésie (par. 81-87), Népal (par. 33), Thaïlande (par. 27-28) et OEACP (par. 84).
118 Exposé écrit de Maurice, par. 54-85. Voir aussi : rapport de M. James E. Hansen (annexe 1).
119 Exposé écrit de Maurice, par. 155-165.
120 Accord de Paris, préambule, 7e alinéa ; CCNUCC, rapport de la Conférence des Parties sur sa seizième session, tenue à Cancún du 29 novembre au 10 décembre 2010, décision 1/CP.16, p. 4, accessible à l’adresse suivante : https:// undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=FCCC%2FCP%2F2010%2F7%2FAdd.1&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False (dernière consultation le 11 août 2024).
121 UN Secretary-General, “The highest aspiration: a call to action for human rights”, observations formulées au Conseil des droits de l’homme le 24 février 2020, accessibles à l’adresse suivante : https://www.un.org/peace building/sites/www.un.org.peacebuilding/files/documents/2020_sg_call_to_action_for_hr_the_highest_aspiration.pdf (dernière consultation le 11 août 2024).
122 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution 53/6 (19 juillet 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/en/hr-bodies/hrc/regular-sessions/session53/res-dec-stat (dernière consultation le 11 août 2024).
123 Avis consultatif du TIDM, par. 222. Voir aussi exposé écrit de Maurice, par. 42.
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d’ajouter que, « sans préjudice de l’article 293 de la C[NUDM], les dispositions de la Convention et les règles extérieures devraient, dans la mesure du possible, être interprétées de façon cohérente »
124. En conséquence, le TIDM a ensuite interprété les obligations imposées aux États par la CNUDM en se référant à plusieurs autres traités.
88. L’application par le Tribunal du principe de l’intégration systémique a des fondements solides en droit international125. Ce principe constitue depuis longtemps un volet important des règles concernant l’interprétation des traités, incorporé à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités. Comme Maurice l’a relevé dans son exposé écrit, la Commission du droit international (ci-après, la « CDI ») a, elle aussi, entériné le principe de l’intégration systémique126.
89. Le TIDM a également souligné que « la coordination et l’harmonisation » de différentes obligations internationales ayant trait à la même question étaient vitales aux fins de l’établissement d’une approche unifiée et cohérente relative aux obligations des États en matière de changements climatiques127. Toute autre approche risque de créer une situation portant atteinte aux buts politiques ultimes des traités multilatéraux (tels que la CCNUCC et l’accord de Paris) en raison de l’incertitude quant à l’instrument ou à l’obligation qui primerait.
90. En conséquence, Maurice estime que les obligations contenues dans la CCNUCC et l’accord de Paris, telles qu’éclairées par les meilleures données scientifiques disponibles, guident la détermination et l’application des obligations internationales en matière de droits de l’homme. De même, le droit international des droits de l’homme éclaire le contenu juridique du régime relatif aux changements climatiques, ainsi que les conséquences juridiques découlant d’un manquement à des obligations concernant lesdits changements.
I. Droit international coutumier
91. Maurice convient avec la Suisse, le Belize et d’autres participants que le droit international coutumier est complété — mais pas supplanté — par les traités internationaux conclus dans le domaine de la protection du climat et, dans une certaine mesure, par les droits de l’homme128. Comme la Suisse, elle estime que la participation à la CCNUCC et à l’accord de Paris ne suffit pas nécessairement à garantir le respect des obligations de droit coutumier et qu’il convient d’évaluer au cas par cas les mesures prises face aux risques pour s’assurer qu’il a été satisfait auxdites obligations129.
92. Certains participants cherchent à persuader la Cour que les obligations conventionnelles découlant du régime climatique international rendent caduques les obligations imposées aux États en
124 Avis consultatif du TIDM, par. 136.
125 Exposé écrit de Maurice, par. 144-147.
126 Fragmentation du droit international, rapport du groupe d’étude de la CDI, 2006, p. 8 ; directive 9 des Directives de la CDI sur la protection de l’atmosphère de 2021. Voir aussi : exposé écrit de Maurice, par. 147 et 163.
127 Avis consultatif du TIDM, par. 130.
128 Exposé écrit de la Suisse, par. 13 ; exposé écrit du Belize, par. 36.
129 Exposé écrit de la Suisse, par. 70.
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ce qui concerne les changements climatiques, supplantant de fait l’obligation internationale et coutumière de prévention
130. Maurice ne partage pas ce point de vue pour les raisons suivantes :
a) Rien dans le libellé dans la CCNUCC ou de l’accord de Paris n’indique que ces instruments sont censés supplanter d’autres obligations internationales pertinentes, qu’elles découlent de conventions telles que la CNUDM ou du droit international coutumier.
b) Dans la mesure où une menace urgente et existentielle pèse sur la vie de plusieurs millions de personnes, sur l’existence même d’un certain nombre d’États, d’écosystèmes entiers et d’espèces, il est difficile de voir un fondement qui permettrait à un quelconque traité de supplanter une obligation générale, imposée à chaque État par le droit international, de prévenir de tels dommages catastrophiques.
93. Si la mise en oeuvre de la CCNUCC et de l’accord de Paris sert à prévenir la menace présentée par les changements climatiques, il pourrait être inutile d’invoquer l’obligation coutumière de prévention. Dans le cas contraire, la nécessité de se fonder sur le droit international coutumier devient toutefois évidente. Dans les cas où le régime conventionnel en vigueur n’est pas encore parvenu à mettre le monde sur la bonne voie pour protéger le système climatique contre les émissions de GES, et que la fenêtre permettant de le faire se referme rapidement, l’obligation coutumière de prévention demeure pertinente et applicable.
94. Maurice estime que cette question ne peut être réglée par le recours à la règle concernant la lex specialis. Dans ce contexte, le TIDM a confirmé que la CNUDM et l’accord de Paris étaient des instruments distincts prévoyant des ensembles d’obligations séparés et que le second n’avait pas valeur de lex specialis par rapport à la première131.
95. Aucun État ne deviendrait partie à un traité climatique dont la pleine exécution ne l’empêcherait pas pour autant de disparaître tout en renonçant à la protection que lui confère le droit international coutumier. L’approche correcte repose au contraire sur une intégration systémique par laquelle les diverses obligations et règles coutumières sont interprétées de manière harmonieuse et complémentaire (voir le paragraphe 88 ci-dessus).
96. Tel est particulièrement le cas lorsque le principal instrument en question, l’accord de Paris, est qualifié de riposte renforcée à la menace des changements climatiques. Cet accord doit donc être interprété et appliqué d’une manière qui soit strictement compatible avec le respect des obligations internationales découlant d’autres branches du droit international. Il ne saurait être lu comme réduisant ou excluant ces obligations. La véritable question qui divise les États est, selon Maurice, la mesure dans laquelle l’accord de Paris impose des obligations susceptibles de prévenir les dommages que les changements climatiques risquent de causer (par opposition à la question de savoir si cet accord impose ou non de telles obligations).
1. Prévention
97. Une faible minorité de participants allèguent que l’obligation coutumière de prévention ne s’applique pas aux changements climatiques. Maurice se rallie à la majorité des participants, qui
130 Voir, par exemple, les exposés écrits de la Nouvelle-Zélande (par. 105), de la Fédération de Russie (p. 8-9, où il est allégué que le principe de prévention est subsidiaire au régime climatique conventionnel), des États-Unis d’Amérique (de manière générale) et des Émirats arabes unis (relativement à la prévention).
131 Avis consultatif du TIDM, par. 224.
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estiment que cette obligation bien établie, laquelle impose aux États de prendre des mesures visant à éviter qu’il soit porté atteinte à l’environnement d’autres États et à celui qui ne relève d’aucune juridiction nationale, s’applique aux dommages causés au système climatique mondial
132.
98. Maurice est également d’accord avec ceux qui affirment que le principe de prévention exige, à tout le moins, que les États adoptent et mettent en oeuvre de manière effective toutes les mesures nécessaires à leur disposition pour réduire les émissions de GES. Cette obligation s’applique à tous les secteurs de l’économie, mais au premier chef à ceux qui contribuent le plus auxdites émissions. Ce qui est « nécessaire » découle des meilleures données scientifiques disponibles, notamment en ce qui concerne l’ampleur des réductions requises des émissions et le délai dans lequel ces dernières doivent intervenir pour permettre le respect de l’objectif de température.
99. Cette approche cadre avec celle que le TIDM a adoptée dans son avis consultatif. Le Tribunal a déterminé que les « mesures nécessaires » prises conformément au paragraphe 1 de l’article 194 de la CNUDM devaient être recherchées de manière objective, notant que nombre de participants à la procédure menée devant lui avaient souligné l’importance d’une telle recherche, et indiqué que « la science [étai]t particulièrement pertinente à cet égard », de même que les règles, normes et facteurs internationaux applicables, tels que les moyens dont disposait l’État concerné et les capacités qui étaient les siennes133.
100. En outre, Maurice convient qu’une approche objective concernant la détermination de ce qui est nécessaire ou efficace est également pertinente aux fins de l’interprétation des obligations découlant de l’accord de Paris. Ce qui est requis pour satisfaire auxdites obligations doit être fondé sur les meilleures données scientifiques disponibles, compte tenu de la nature précise, de l’ampleur et de l’urgence de la menace présentée par les changements climatiques. Telle est aussi l’approche adoptée par le TIDM :
« [L]a science joue indubitablement un rôle crucial dans la détermination des mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine résultant des émissions anthropiques de GES, car elle est essentielle pour comprendre les causes, les effets et la dynamique de cette pollution et, partant, fournir une réponse efficace. Toutefois, cela ne signifie pas que la science doive seule déterminer le contenu des mesures nécessaires. De l’avis du Tribunal, comme indiqué précédemment, d’autres facteurs pertinents devraient être pris en considération et soupesés avec les meilleures connaissances scientifiques disponibles. »134
101. Dans le contexte des obligations juridiques relatives aux changements climatiques de manière plus large, les données scientifiques indiquent sans équivoque que les émissions de GES ont causé, et continueront de causer, des dommages significatifs à l’environnement et que cela aura des effets sociaux et économiques connexes dévastateurs. Dans son avis consultatif, le TIDM a confirmé
132 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 65), Antigua-et-Barbuda (par. 300-304), Bahamas (par. 92), Bangladesh (par. 88), Belize (par. 31), Brésil (par. 70), Burkina Faso (par. 175), Costa Rica (par. 44), République dominicaine (par. 4.31 et 5.1), Équateur (par. 3.25), Égypte (par. 88), Ghana (par. 23), Grenade (par. 38), Indonésie (par. 60), Kenya (par. 5.8), République de Corée (par. 33-37), Lettonie (par. 58-60), Madagascar (par. 34), Îles Marshall (par. 22-27), Mexique (par. 40-47), Micronésie (par. 62), Nauru (par. 26), Népal (par. 26), Pays-Bas (par. 3.65), Palaos (par. 14), Pakistan (par. 29), Philippines (par. 55), Roumanie (par. 98), Samoa (par. 100-130), Seychelles (par. 100), Sierra Leone (par. 3.10), Singapour (par. 3.1), Îles Salomon (par. 146-152), Afrique du Sud (par. 74), Sainte-Lucie (par. 66-68), Sri Lanka (par. 95), Suisse (par. 36), Thaïlande (par. 9), Uruguay (par. 88), Vanuatu (par. 265), OEACP (par. 101), UICN (par. 307) et Union européenne (par. 317).
133 Avis consultatif du TIDM, par. 206-207.
134 Ibid., par. 212.
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que les émissions anthropiques de GES dans l’atmosphère constituaient une pollution du milieu marin au sens du sous-paragraphe 4 du paragraphe 1 de l’article premier de la CNDUM
135. Cela atteste de manière faisant autorité que les émissions de GES sont des polluants et qu’elles relèvent dès lors des règles générales concernant la pollution transfrontière. La Cour est invitée à confirmer cette conclusion.
102. Le fait que les changements climatiques résultent d’émissions cumulées et collectives ne signifie pas que l’obligation de prévention ne s’applique pas au système climatique136. Chaque État est tenu d’éviter qu’il soit porté atteinte audit système. Plus le risque que des dommages transfrontières soient causés à l’environnement naturel d’un autre État ou à des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale est élevé, plus les États sont tenus de prévoir, de prévenir ou d’atténuer ces dommages. Cela est pertinent aux fins des obligations individuelles de prévention ainsi que de la coopération (voir le paragraphe 104 ci-après).
103. Tant les causes des changements climatiques que les mesures requises pour y faire face sont bien comprises et aujourd’hui précisées plus en détail par le régime climatique international. L’effet néfaste des émissions de GES sur le système climatique était cependant déjà compris et reconnu au niveau gouvernemental au moins depuis les années 1960, époque où l’obligation de prévention était, elle aussi, clairement établie au regard du droit international137. Les conséquences temporelles relatives à la responsabilité des États seront traitées aux paragraphes 135 à 138 ci-après.
2. Coopération
104. Nombre de participants ont reconnu que l’obligation de coopération était une obligation juridique découlant du droit international coutumier, mais aussi qu’un éventuel manquement des États de convenir de mesures de coopération ne limitait pas l’application d’autres obligations pertinentes138. Comme le relève la Micronésie, un État ne peut être dispensé, au titre du droit international, de prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir des dommages du seul fait qu’il est incapable de s’entendre sur une approche de coopération en la matière avec un ou plusieurs autres États concernés139. L’obligation de coopération ne saurait être invoquée pour justifier l’adoption de mesures inappropriées qui constituent le plus petit dénominateur commun. Dans son avis consultatif, le TIDM a affirmé qu’il convenait de s’acquitter « de façon effective et de bonne foi » de cette obligation découlant de la CNUDM140. Maurice estime que cela vaut également pour l’obligation de coopération prévue par le régime climatique international et le droit international coutumier.
135 Ibid., par. 179.
136 Voir l’exposé écrit de la Nouvelle-Zélande, par. 102.
137 Exposé écrit de Maurice, par. 189.
138 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 83), Argentine (par. 45), Bahamas (par. 109), Bangladesh (par. 127), Barbade (par. 208-226), Brésil (par. 36), Burkina Faso (par. 236-240), Colombie (par. 3.63-3.65), République démocratique du Congo (par. 136-144), Équateur (par. 3.53), Grenade (par. 43), Indonésie (par. 64), Kenya (par. 5.21), République de Corée (par. 38), Lettonie (par. 22), Îles Marshall (par. 31), Micronésie (par. 65), Mexique (par. 74), Pays-Bas (par. 3.13), Philippines (par. 71), Portugal (par. 128), Roumanie (par. 38), Sierra Leone (par. 3.26), Singapour (par. 3.2), Îles Salomon (par. 116-120), Afrique du Sud (par. 95), Sri Lanka (par. 91), Sainte-Lucie (par. 75-78), Timor-Leste (par. 179), Tuvalu (par. 103), Uruguay (par. 122), Vanuatu (par. 313), Viet Nam (par. 33-35), UICN, par. 439 et 446), Commission des petits États insulaires sur les changements climatiques et le droit international (par. 117-121), OEACP, par. 91-95) et Union africaine (par. 125-129).
139 Exposé écrit de la Micronésie, par. 66.
140 Avis consultatif du TIDM, par. 321.
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3. Précaution
105. Nombre d’États reconnaissent la pertinence de la précaution aux fins des changements climatiques, au regard tant de la CCNUCC que de l’accord de Paris, et du droit international coutumier141. Maurice est d’accord avec l’Inde pour dire que la précaution impose aux États de surveiller constamment et continuellement leurs propres activités, ainsi que celles menées par des acteurs non étatiques sur leur territoire142. Comme le Mexique et d’autres participants, elle estime que :
a) l’application du principe de précaution est contraignante au regard du droit international et exige qu’il soit fait fond sur des éléments de preuve scientifiques lorsque ceux-ci indiquent plausiblement l’existence d’un risque ;
b) ce principe a pour effet de renverser la charge de la preuve, de sorte qu’elle incombe à ceux qui invoquent l’absence d’effet ou un effet limité sur l’environnement en cas d’incertitude scientifique143.
106. La précaution est pertinente notamment aux fins des risques présentés par le franchissement de points de non-retour et l’incidence des boucles de rétroaction, dans la mesure où il subsisterait une incertitude quant à l’ampleur de ces risques.
107. La précaution est également pertinente aux fins de l’exercice de la diligence requise en ce qui concerne l’utilisation de technologies visant à capter des émissions de carbone ou à faire face à leur effet d’une autre manière. Il en va de même des technologies de géo-ingénierie susceptibles de présenter des risques pour l’environnement et de porter atteinte aux efforts en matière de réduction des émissions144. Maurice relève que le TIDM, dans son avis consultatif, a déterminé que la géo-ingénierie marine serait contraire à l’article 195 de la CNUDM si elle avait pour conséquence de remplacer un type de pollution par un autre, et a fait référence à l’examen de la question dans d’autres enceintes145.
III. QUESTION B) : CONSÉQUENCES JURIDIQUES
A. Responsabilité et dommages
108. À l’instar de nombreux autres participants, Maurice estime que le Projet d’articles de la CDI sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite (ci-après, le « Projet d’articles de la CDI ») énonce le cadre régissant la responsabilité des États à raison des conséquences de manquements à des obligations relatives au climat.
109. L’article premier du Projet d’articles de la CDI dispose que « [t]out fait internationalement illicite de l’État engage sa responsabilité internationale ». Cela reflète une règle
141 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Bangladesh (par. 94), Équateur (par. 3.43-3.49), Égypte (par. 109-110), Grenade (par. 42), Inde (par. 12 et 21), Micronésie (par. 64), Mexique (par. 54-73), Namibie (par. 62-73), Philippines (par. 88 et 90), Sierra Leone (par. 3.10-3.25), Îles Salomon (par. 139-145), Saint-Vincent-et-les Grenadines (par. 104-107), Uruguay (par. 103-109) et Union africaine (par. 97 c) et 121).
142 Exposé écrit de l’Inde, par. 12.
143 Exposé écrit du Mexique, par. 54-73.
144 S’agissant de la pertinence de la précaution dans le contexte de la protection du milieu marin, voir : avis consultatif du TIDM, par. 213.
145 Avis consultatif du TIDM, par. 231 et 242.
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de droit international coutumier, que Maurice considère comme pleinement applicable à toute action ou omission internationalement illicite ayant trait aux changements climatiques. En dépit des spécificités de ces changements en tant que phénomène mondial résultat des actions et omissions de plusieurs États, la grande majorité des participants convient que les règles générales concernant la responsabilité de l’État s’y appliquent également
146. Bien que tous les États aient contribué aux changements climatiques à des degrés divers, il n’en demeure pas moins que certains y ont contribué davantage que d’autres.
110. Quelques rares participants ont fait référence à l’article 55 du Projet d’articles de la CDI qui dispose que ses règles ne sont pas applicables « dans les cas et dans la mesure où les conditions de l’existence d’un fait internationalement illicite ou le contenu ou la mise en oeuvre de la responsabilité internationale d’un État sont régis par des règles spéciales de droit international »147. Maurice est cependant d’accord avec les nombreux autres participants qui indiquent que, dans ce contexte, il n’existe pas de telles règles148. Les dispositions de l’accord de Paris (articles 8 et 15) citées par ceux qui allèguent que l’article 55 annule l’application des règles générales prévues par le projet d’articles ne constituent pas des règles spéciales relatives à la responsabilité de l’État pour les raisons suivantes :
a) L’article 8 de l’accord de Paris crée un mécanisme permettant de remédier aux pertes et préjudices, mais il ne traite pas de la responsabilité de l’État à raison d’un préjudice important. Maurice partage la conviction des participants qui estiment que le paragraphe 52 de la décision 1/CP/21 (concernant l’adoption de l’accord de Paris) laisse intacts les droits et responsabilités prévus par le droit international149. Nombre de participants ont souligné que ce paragraphe n’excluait pas l’application de la responsabilité découlant d’autres dispositions de l’accord de Paris, pas plus qu’il n’emportait renonciation aux droits conférés par les règles de la responsabilité de l’État à raison de pertes et de préjudices associés aux effets néfastes des changements climatiques150.
b) Pour ce qui est de l’article 15, cette disposition établit une procédure destinée à « faciliter la mise en oeuvre et promouvoir le respect d[e] » l’accord de Paris, mais n’énonce pas de règles concernant la responsabilité à raison de faits internationalement illicites. En outre, les dispositions en matière de règlement des différends au titre tant de l’article 14 de la CCNUCC que de l’article 24 de l’accord de Paris sont analogues à celles prévues par bien des traités multilatéraux
146 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 129), Antigua-et-Barbuda (par. 532-533), Bangladesh (par. 145), Brésil (par. 80), Burkina Faso (par. 346-401), Chili (par. 104), Colombie (par. 4.4), République démocratique du Congo (par. 255-271), Danemark, Finlande, Islande, Norvège et Suède (par. 102), République dominicaine (par. 4.57), Équateur (par. 4.6), Égypte (par. 288), El Salvador (par. 50), Grenade (par. 74), Kenya (par. 2.13 et 6.88-6.89), République de Corée (par. 45), Inde (par. 82), Lettonie (par. 74), Îles Marshall (par. 56-58), Micronésie (par. 121-128), Namibie (par. 131), Pays-Bas (par. 5.4), Philippines (par. 115), Portugal (par. 115), Sierra Leone (par. 3.134), Singapour (par. 4.1), Îles Salomon (par. 234), Sri Lanka (par. 104), Sainte-Lucie (par. 86), Saint-Vincent-et-les Grenadines (par. 128), Timor-Leste (par. 355), Tonga (par. 288-296), Tuvalu (par. 121-124), Uruguay (par. 155-165), Vanuatu (par. 559), Viet Nam (par. 44), OEACP (par. 143), Groupe Fer de lance mélanésien (par. 292), UICN (par. 534) et Union africaine (par. 253).
147 Voir, par exemple, les exposés écrits du Sri Lanka (par. 105) et de l’Union européenne (par. 350-351).
148 Voir, par exemple, les exposés écrits du Chili (par. 105), de l’Égypte (par. 288), de Singapour (par. 4.1) et de l’UICN (par. 598).
149 Voir, par exemple, l’exposé écrit du Chili (par. 109). Voir aussi : exposé écrit de Maurice, par. 123 ; adoption de l’accord de Paris à la COP21, par. 52
(« Décide que, dans la mise en oeuvre de l’Accord, les ressources financières fournies aux pays en développement parties devraient renforcer l’application de leurs politiques, stratégies, règlements, plans d’action et mesures de lutte contre les changements climatiques tant en matière d’atténuation que d’adaptation de façon à contribuer à la réalisation de l’objet de l’Accord tel que défini à l’article 2 de celui-ci »).
150 Voir, par exemple, les exposés écrits de la Barbade (par. 265), du Kenya (par. 6.98) et des Pays-Bas (par. 5.22).
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relatifs à l’environnement, dont aucune n’a été dépeinte comme annulant l’application des règles qui découlent du Projet d’articles de la CDI.
111. De surcroît, les règles générales concernant la responsabilité de l’État ne sont pas annulées, comme semblent le laisser entendre certains États, par des dispositions du régime climatique international relatives à l’adaptation, aux pertes et préjudices, et à l’appui financier. Pour commencer, les mécanismes d’appui n’ont guère été respectés151. De plus, ces dispositions et mécanismes, aussi essentiels soient-ils, ne se rapportent pas à la responsabilité particulière des États dont les actions et omissions sont susceptibles d’avoir porté atteinte aux objectifs internationaux et exacerbé le problème des changements climatiques. Ils n’ont tout simplement pas trait à la question des actions qui pourraient avoir alourdi les charges pesant sur d’autres États, en ce qui concerne tant les réductions supplémentaires des émissions à réaliser que les conséquences catastrophiques d’un dépassement de l’objectif de température, surtout pour les États les plus vulnérables.
112. De nombreux États, dont Maurice, ont relevé que le Projet d’articles de la CDI était rédigé de manière large et applicable relativement à la responsabilité potentielle des États à raison d’actions ou d’omissions pertinentes aux fins des changements climatiques. Maurice estime que les meilleures données scientifiques disponibles, de même que l’analyse ayant trait à la contribution aux émissions historiques de GES, fournissent un fondement qui permet d’appliquer les règles concernant la responsabilité de l’État en matière de changements climatiques. Comme l’expose M. Hansen,
« Maurice souligne que la responsabilité des États de montrer la voie dans la lutte contre les changements climatiques dangereux est proportionnelle au degré dans lequel ils ont contribué au problème au fil du temps. Cette proposition est étayée par les données scientifiques pertinentes. En particulier, le CO2, le CH4, le N20, l’O3 et différents CFC ne sont pas éliminés par condensation et précipitation, mais demeurent, une fois émis, dans l’atmosphère pendant des décennies voire des siècles. Les émissions anciennes ayant des effets persistants, la contribution de tout État sous forme de forçage radiatif est approximativement proportionnelle aux émissions cumulées de GES qu’il a permises »152.
113. La Cour n’est pas appelée, en l’instance, à se prononcer sur la responsabilité d’un État en particulier. Elle peut et devrait, en revanche, donner un avis clair concernant l’application du Projet d’articles de la CDI, de sorte que les États puissent obtenir des conseils au sujet de leurs responsabilités éventuelles, notamment en cas de défaut de prise en considération des données scientifiques.
114. Certains participants ont, tout en reconnaissant la pertinence éventuelle du Projet d’articles de la CDI, exhorté à la prudence, alléguant que la question de la responsabilité des États qui en découlait à raison des changements climatiques devait être traitée de manière différente et constructive. Selon certains d’entre eux, lesdits changements soulèvent des questions nouvelles liées à l’attribution et au lien de causalité153. À la lumière de l’appui généralisé en faveur de l’application des principes énoncés dans le projet d’articles, et compte tenu de l’absence de tout obstacle juridique à celle-ci, Maurice invite toutefois la Cour à confirmer que la ratification de l’accord de Paris est
151 Exposé écrit de Maurice, par. 115-116.
152 Rapport d’expert de M. James E. Hansen, p. 3 et figure 1b, annexe 1 (notes de bas de page omises).
153 Voir, par exemple, les exposés écrits de l’Australie (par. 4.10), de l’Indonésie (par. 74), du Royaume-Uni (par. 126) et de l’OPEP (par. 93).
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sans préjudice des droits d’un État au regard du droit relatif à la responsabilité de l’État et qu’elle ne constitue pas un renoncement à ceux-ci.
1. Attribution
115. Certains États allèguent qu’il n’existe actuellement aucune méthode scientifique unique ou convenue permettant d’attribuer des changements climatiques aux émissions de tel ou tel État ou d’imputer des phénomènes extrêmes causés par de tels changements aux émissions de GES d’un État donné.
116. Maurice soutient que ce n’est pas correct, comme le démontrent les preuves par expertise présentées à la Cour et étayées par les arguments de maints autres États participants154. Ainsi que Mme Corinne Le Quéré l’a indiqué dans son rapport d’expert, soumis par Vanuatu, une telle attribution est possible :
« Le réchauffement qui s’est produit jusqu’à présent peut être imputé aux pays en fonction de leurs émissions historiques de GES. Au moyen des émissions individuelles de différents GES qui sont disponibles annuellement depuis 1850, l’on peut estimer la contribution de chacun d’eux au réchauffement mondial observé en tenant compte de la durée de vie différente de GES spécifiques (CO2, méthane et N2O) et de leur influence respective sur les températures mondiales »155.
117. Le rapport recense les dix principaux contributeurs au réchauffement planétaire d’après les émissions historiques de GES pendant la période comprise entre 1851 et 2022, ainsi que les autres États ayant joué un rôle important dans les changements climatiques156. Ces contributions ont des effets persistants, comme le précise M. Hanson157. Le rapport énonce les principes et limites liés à l’attribution aux États, ainsi que les méthodes et données utilisées158. De cette manière, la science fournit un fondement qui permet d’imputer aux États la responsabilité de dommages significatifs causés au système climatique.
2. Violation
118. Les affaires à venir pourraient fort bien préciser l’application spécifique des règles relatives à la responsabilité de l’État à des actions ou omissions d’États individuels, mais il est évident que la question de l’attribution ne fait, en principe, pas obstacle à l’établissement de la responsabilité de l’État en matière de climat au regard du Projet d’articles de la CDI. En outre, comme le Chili l’a relevé, s’il n’est pas possible d’imputer des phénomènes spécifiques provoqués par les changements climatiques à des émissions précises, l’on peut néanmoins tirer des déductions raisonnables en quantifiant les contributions individuelles des États auxdits changements159.
154 Voir, par exemple, les exposés écrits du Bangladesh (par. 23-26) et du Chili (par. 96-98). Voir aussi le rapport d’expert de M. James E. Hansen, p. 3 et figure 1b, annexe 1.
155 Exposé écrit de Vanuatu, rapport d’expert de Mme Corinne Le Quéré, par. 24 (p. 14).
156 Ibid., par. 25 (p. 15).
157 Rapport d’expert de M. James E. Hansen, p. 3, annexe 1.
158 Ibid., par. 27-28 (p. 16-17).
159 Exposé écrit du Chili, par. 97-98.
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119. Aucun participant n’a cherché à invoquer l’absence de règle internationale concernant les changements climatiques en réponse à la question a). Maurice estime que, s’il existe des obligations juridiques, la responsabilité des États peut être engagée à raison de faits internationalement illicites, à moins qu’un fondement clair permette d’annuler l’application des règles générales qui trouvent leur expression dans le Projet d’articles de la CDI.
120. À titre d’exemple, les participants à l’instance ont largement milité en faveur des obligations suivantes :
a) l’obligation de diligence requise découlant à la fois du régime climatique, du droit international coutumier et d’autres domaines, dont le droit de la mer et le droit relatif aux droits de l’homme ;
b) l’obligation de coopération ;
c) les obligations relatives à la transparence découlant de l’accord de Paris et du droit international coutumier ;
d) les obligations relatives aux flux financiers ;
e) les obligations relatives aux principes de prévention et de précaution, ainsi que la nécessité de protéger les générations actuelles et futures ;
f) les obligations incombant aux États développés de montrer la voie en matière de réduction des émissions et de fournir aux pays en développement un appui dans la lutte contre les changements climatiques.
121. Pour ce qui est de ces obligations — et d’autres encore — qui font largement consensus, et dans le contexte de l’urgence croissante liée à l’amenuisement rapide du budget carbone, un certain nombre d’éléments sont cruciaux pour établir s’il y a eu ou non, dans un cas particulier, manquement à une obligation pertinente. Il s’agit notamment de :
a) La question de savoir si un État a satisfait à l’obligation lui incombant de fonder ses actions sur les meilleures données scientifiques disponibles en prenant des décisions pertinentes, y compris en ce qui concerne : i) l’octroi de permis relatifs à des activités de production de combustibles fossiles ; ii) la fourniture d’un appui financier en faveur de la prospection de combustibles fossiles ; iii) la production et la réglementation du comportement d’entités privées se livrant à ces activités (voir les paragraphes 9 à 25 ci-dessus)160.
b) La question de savoir si un État a cherché de bonne foi ou objectivement à atteindre l’objectif de température de 1,5 °C, qui est devenu une norme internationale à l’aune de laquelle il convient d’évaluer les actions et omissions des États. Maurice relève que le TIDM a confirmé que l’objectif de température à long terme fixé par l’accord de Paris était « en accord avec celui de l’obligation posée par l’article 194, paragraphe 1, de la C[NUDM] » s’agissant de la prévention, de la réduction et de la maîtrise de la pollution marine161. Cela est pertinent notamment aux fins de l’élaboration et de la présentation des CDN au titre de l’accord de Paris (voir les paragraphes 46 à 49 ci-dessus).
c) La question de savoir si, dans le contexte de la nécessité de combler d’urgence l’écart en matière d’émissions, un État a satisfait à son obligation de réduire les émissions de GES, compte tenu de
160 Exposé écrit de Maurice, par. 104-105.
161 Avis consultatif du TIDM, par. 200.
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l’obligation incombant aux États développés de montrer la voie
162 ainsi que de la nécessité reconnue d’opérer d’urgence une transition vers des sources d’énergie autres que les combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques et d’éliminer progressivement le subventionnement inefficace desdits combustibles (voir les paragraphes 53 à 58 ci-dessus).
d) La question de savoir si, pour ce qui est de l’adaptation, un État a respecté le principe des RCD-CR dans le cadre de la fourniture d’un appui aux États les plus vulnérables, compte tenu des obligations pertinentes en matière de droits de l’homme (voir les paragraphes 59 à 73 ci-dessus)163.
e) La question de savoir si un État a déployé des efforts de bonne foi en vue de coopérer, compte tenu du fait que les États qui ne satisfont pas à leur obligation de réduire les émissions de GES imposent à tous les autres États une charge accrue en les contraignant à réduire davantage encore lesdites émissions pour prévenir les changements climatiques dangereux. À cet égard, Maurice convient qu’un manquement à l’obligation de prévention peut également être qualifié de manquement à l’obligation de coopération (voir le paragraphe 104 ci-dessus)164.
f) La question de savoir si un État a cherché à porter atteinte aux efforts mondiaux visant à prévenir les changements climatiques en faisant délibérément une mauvaise interprétation des données scientifiques ou, dans des cas spécifiques, en promouvant une désinformation quant aux risques présentés par des activités particulières. Les États qui ne réglementent pas le comportement d’entités privées à cet égard peuvent également être responsables de manquements à leurs obligations, notamment celles relatives à la transparence et à l’établissement de rapports.
g) La question de savoir si un État a satisfait aux obligations relatives au climat que lui impose la CNUDM, compte tenu notamment des dommages causés aux écosystèmes marins, aux pêcheries et aux littoraux fragiles par les émissions de GES.
h) S’agissant de l’ensemble des considérations qui précèdent, la question de savoir si un État a respecté les obligations que lui impose le droit international relatif aux droits de l’homme, notamment la protection du droit à la vie, du droit à la santé et du droit à un environnement propre et sain, ainsi que le droit à l’autodétermination (voir les paragraphes 84 à 90 ci-dessus).
122. La prise de décisions relatives à un appui financier à des activités susceptibles d’entraîner des émissions de GES de niveaux élevés peut être attribuée à l’État. Comme l’ont relevé certains participants par référence à l’article 6 du Projet d’articles de la CDI, lorsque l’entité qui accorde la subvention en question est un organe de l’État, l’octroi de cette subvention est attribuable à ce dernier, que le comportement intervienne dans l’exercice de l’autorité publique ou qu’il revête un caractère commercial.
123. La question de savoir si des actions ou des omissions des États, individuellement et collectivement, emportent violation de la norme de la diligence requise qui se rattache aux obligations énoncées dans l’accord de Paris doit être examinée à la lumière du contexte pertinent aux
162 Voir article 3 1) de la CCNUCC et article 4 4) de l’accord de Paris. Voir aussi : exposé écrit de Maurice, par. 106-107.
163 Cela inclut le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui dispose que
« [c]hacun des États parties au présent pacte s’engage à agir tant par son effort propre que par l’assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d’assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l’adoption de mesures législatives ».
164 Voir exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.72.
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fins de l’évaluation du risque provenant de chaque violation. Ce contexte comprend notamment les éléments suivants :
a) le taux actuel des émissions mondiales de GES est nettement supérieur à celui qui permettrait de limiter le réchauffement planétaire moyen à 1,5 °C ;
b) les engagements des États de réduire les émissions de GES à court terme, notamment tels qu’ils sont exprimés dans les CDN soumis au titre de l’accord de Paris, sont insuffisants pour limiter le réchauffement à 1,5 °C165.
124. Dans ce contexte, et compte tenu de l’écart en matière de production mis en évidence dans les rapports du PNUE, Maurice estime qu’il y a, prima facie, pareille violation, étant donné l’état des connaissances que l’on possède au moins depuis les années 1960 sur les risques présentés par les changements climatiques (voir les paragraphes 135 à 138 ci-dessus).
125. S’agissant d’une éventuelle collusion de plusieurs États visant à présenter sous un faux jour les données scientifiques, ou l’ampleur du risque présenté par les changements climatiques, elle emporterait notamment manquement à l’obligation de bonne foi, en ce qu’elle irait à l’encontre de la réalisation de l’objet et du but de la CCNUCC et de l’accord de Paris en retardant la réduction des émissions, sur fond d’amenuisement du budget carbone mondial. Pareille action irait aussi à rebours du principe de la transparence consacré par l’accord de Paris et d’autres traités166.
126. Maurice estime que la question de savoir si un fait internationalement illicite s’est produit doit être évaluée à la lumière des faits spécifiques et par rapport au cadre régissant les obligations climatiques examiné au titre de la question a). S’il existe des obligations relatives aux émissions de GES, comme l’admettent la grande majorité — sinon la totalité — des participants, il s’ensuit que les États pourraient manquer, ou manqueront, à ces obligations. A fortiori dans le contexte des écarts actuels en matière d’émissions et de production, et de la vive préoccupation inspirée par le risque de dépassement de l’objectif de température. Ainsi que le Kenya et d’autres participants l’ont fait observer, « [b]ien qu’ils aient marqué des progrès importants dans la lutte contre les changements climatiques, la CCNUCC et l’accord de Paris n’ont pas permis de protéger le système climatique contre les effets préjudiciables des émissions de GES »167.
127. Les conséquences de l’écart en matière de production sont traitées dans le rapport y afférent du PNUE, comme l’a relevé l’Union africaine :
« Ce décalage entre les projets de production de combustibles fossiles des gouvernements et leurs promesses en matière de climat montre que, dans le processus en cours de réponse mondiale à l’urgence climatique, l’action unilatérale d’un État peut faire échouer de manière inadmissible la coopération visant à réduire les émissions de GES, en contribuant au contraire à augmenter le niveau de perturbation du système climatique. »168
165 Voir, par exemple, l’exposé écrit du Bangladesh (par. 26-43) et le rapport d’expert de M. James E. Hansen, annexe 1.
166 Accord de Paris, articles 4 8) et 13), 6 2), 7 5), 9 7), 11 1), 13 et 15 2).
167 Exposé écrit du Kenya, par. 5.40 (note de bas de page omise).
168 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 129.
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128. Maurice note que, selon de nombreux participants, les obligations relatives au climat constituent des obligations erga omnes, y compris, mais pas exclusivement, les effets des changements climatiques sur le droit à l’autodétermination169.
3. Dommages significatifs
129. Comme Maurice l’a précisé plus haut, ainsi que dans son exposé écrit, il n’est pas douteux que les changements climatiques ont d’ores et déjà causé des dommages significatifs et qu’ils risquent d’en provoquer de plus catastrophiques encore en cas de dépassement de l’objectif de température170. L’ampleur des dommages est traitée dans les rapports du GIEC et comprend le risque d’un réchauffement de 3 ou de 4 °C, ce qui pourrait rendre la vie impossible dans de vastes parties de la planète.
130. Ainsi que le relève la Sierra Leone, près de 70 % des décès causés par des catastrophes liées au climat pendant ces cinquante dernières années ont été recensés dans les pays les moins avancés171. Nombre de participants ont fait référence aux effets sur la sécurité alimentaire et la santé, de même que sur les moyens de subsistance et les écosystèmes, alliés à des risques accrus d’importants déplacements de populations. Maurice est, elle aussi, d’avis que, puisqu’il sera impossible à bien des PEID de s’adapter aux conséquences du franchissement de points de non-retour, y compris à court terme, il est impératif que l’objectif de 1,5 °C soit atteint.
131. D’aucuns ont allégué qu’un comportement incompatible avec l’objectif de température de 1,5 °C était décisif aux fins d’un manquement172, tandis que d’autres ont relevé que des dommages significatifs pouvaient se produire en deçà de 1,5 °C, comme l’avait indiqué le GIEC173. Il s’agit là d’une question factuelle devant être tranchée par les éléments de preuve scientifiques, notamment ceux liés aux effets cumulés des émissions.
132. L’Union africaine et d’autres participants se sont référés à l’arrêt rendu en l’affaire relative à Certaines activités (Costa Rica c. Nicaragua), dans lequel la Cour avait conclu ce qui suit :
« Il est … conforme aux principes du droit international régissant les conséquences de faits internationalement illicites … de conclure que les dommages environnementaux ouvrent en eux-mêmes droit à indemnisation, en sus de dépenses engagées par l’État lésé en conséquence de tels dommages. »174
169 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Albanie (par. 96), Bangladesh (par. 121), Barbade (par. 201), Kenya (par. 5.66), Liechtenstein (par. 28), Madagascar (par. 59), Sierra Leone (par. 3.99), Îles Salomon (par. 171), Timor-Leste (par. 335), Vanuatu (par. 289), OEACP (par. 66), Groupe Fer de lance mélanésien (par. 234) et Union européenne (par. 235).
170 Exposé écrit de Maurice, par. 54-85.
171 Exposé écrit de la Sierra Leone, par. 3.38.
172 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’UICN, par. 530-562.
173 Voir : Plan de mise en oeuvre de Charm el-Cheikh, par. 4, accessible en anglais à l’adresse suivante : https:// unfccc.int/documents/624444 (dernière consultation le 12 août 2024) ; GIEC, RS1.5, chapitre 3, “Impacts of 1.5°C global warming on natural and human systems”, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/ 2022/06/SR15_Chapter_3_LR.pdf (dernière consultation le 12 août 2024) ; exposé écrit de Maurice, par. 101.
174 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 15, par. 41. Voir, par exemple, les exposés écrits de la Barbade (par. 259), du Chili (par. 114), du Kenya (par. 2.10), de la Sierra Leone (par. 3.142), de la Suisse (par. 75) et de l’Union africaine (par. 290).
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133. Pour ce qui est de la responsabilité à l’égard des États, et plus particulièrement des PEID, « qui, en raison de leur situation géographique et de leur niveau de développement, subissent un préjudice ou sont spécialement affectés par les effets néfastes des changements climatiques ou y sont particulièrement vulnérables », les données scientifiques relatives aux dommages que ces États subissent déjà sont sans équivoque175. Les éléments de preuve soumis par les participants indiquent également les effets auxquels font face nombre d’États et de personnes. Selon toute appréciation raisonnable, ces effets satisfont clairement au critère des dommages significatifs.
134. La litt. ii) de la question b) traite des conséquences juridiques pour « les peuples et les individus des générations présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements climatiques »176. Les obligations en matière de droits de l’homme dues à ceux qui sont touchés, ou qui risquent de l’être, par les changements climatiques ont été traitées aux paragraphes 155 à 187 de l’exposé écrit de Maurice, ainsi qu’aux paragraphes 84 à 90 ci-dessus. Comme bien des participants l’ont souligné, la protection des générations futures est un principe établi au regard du droit international, qui éclaire les obligations relatives au climat177. Maurice soutient que l’intérêt des groupes expressément visés dans la question b) est également pertinent aux fins des réclamations concernant la responsabilité des États, notamment lorsque les effets climatiques privent des populations des conditions fondamentales nécessaires à la vie ou que des territoires entiers sont susceptibles de disparaître du fait de l’élévation du niveau de la mer, portant ainsi préjudice aux générations futures en les privant de leurs droits territoriaux primaires.
4. Aspects temporels
135. Maurice relève que les participants ont exprimé des vues divergentes quant au moment à partir duquel les États avaient eu l’obligation juridique, au regard du droit international coutumier, de prévenir les dommages significatifs causés par les changements climatiques, obligation dont la violation pouvait engager leur responsabilité. Certains États ont allégué que, compte tenu du développement de la science et de la reconnaissance des risques par les gouvernements, ces obligations avaient pris naissance dans les années 1980178, tandis que d’autres ont laissé entendre que ce n’avait été le cas que dans les années 1990179. D’autres encore, dont Vanuatu, font valoir que la responsabilité en question remonte aux années 1950 ou 1960, du fait qu’un certain nombre de gouvernements avaient conscience des risques que les GES faisaient peser sur le système climatique180. Comme Mme Oreskes l’indique dans le rapport d’expert soumis par Vanuatu,
« au moins depuis les années 1960, les États-Unis d’Amérique et d’autres États à émissions cumulées élevées de gaz à effet de serre (GES), parmi lesquels la France et le Royaume-Uni, avaient conscience de ce que i) l’émission de [GES] dans l’atmosphère terrestre était susceptible de modifier le système climatique et ii) que cette
175 Résolution 77/276 de l’Assemblée générale des Nations Unies en date du 29 mars 2023, question b) i).
176 Ibid., question b) ii).
177 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Bahamas (par. 177-180), Bangladesh (par. 124), Burkina Faso (par. 82-83), Cameroun (par. 19-27), Costa Rica (par. 56), Équateur (par. 3.56-3.57), Kenya (par. 5.26), République de Corée (par. 41-46), Pérou (par. 83), Népal (par. 36), Philippines (par. 83-84), Sierra Leone (par. 3.44), Saint-Vincent-et-les Grenadines (par. 123-126), Timor-Leste (par. 199-210), Vanuatu (par. 480-482), Viet Nam (par. 22), UICN (par. 388-389), Union européenne (par. 177 et 184) et Union africaine (par. 166). Maurice relève encore que le onzième alinéa du préambule de l’accord de Paris décrit l’équité intergénérationnelle comme une question dont les Parties devraient tenir compte lorsqu’elles prennent des mesures pour lutter contre les changements climatiques.
178 Voir, par exemple, les exposés écrits des Pays-Bas (par. 5.6), de la Suisse (par. 35) et des États-Unis d’Amérique (par. 2.3-2.4, 2.11, 2.19 et 6.2).
179 Voir, par exemple, les exposés écrits de l’Allemagne (par. 40) et de la Fédération de Russie (p. 16).
180 Voir, par exemple, les exposés écrits de l’Égypte (par. 304-306), de Kiribati (par. 184-186), de Vanuatu (par. 73 et 177-192), de l’OEACP (par. 22-23) et du Groupe Fer de lance mélanésien (par. 298).
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perturbation, si elle n’était pas atténuée, risquait d’avoir des effets catastrophiques sur les humains et l’environnement »
181.
136. Un certain nombre de participants affirment que les émissions historiques sont antérieures à toute obligation juridique. Cela est toutefois inconciliable avec les faits établis, notamment, comme l’a confirmé M. Hansen, celui que des émissions anciennes continuent d’avoir des effets à ce jour182. Bien que la science ait évolué après la création du GIEC et l’adoption de la CCNUCC en 1992, les éléments attestant que les risques étaient compris des décennies plus tôt sont clairs. Qui plus est, l’obligation juridique de prévention existait manifestement déjà dans les années 1960183. En tout état de cause, il s’agit là de questions de preuve devant être examinées à l’aune des faits, compte tenu de l’état des connaissances quant au risque et de la disponibilité de sources d’énergie alternatives et renouvelables.
137. L’article 13 du Projet d’articles de la CDI dispose que « [l]e fait de l’État ne constitue pas une violation d’une obligation internationale à moins que l’État ne soit lié par ladite obligation au moment où le fait se produit ». Maurice soutient que l’obligation de prévenir les dommages causés par les émissions de GES existe :
a) depuis que les États ont pris conscience de ce que les émissions faisaient peser sur le système climatique un risque auquel ils devaient faire face ; ou
b) par rapport aux effets persistants des émissions de GES après ce moment, même si, lorsqu’elles ont initialement eu lieu, les émissions en question étaient licites184.
138. Maurice relève que le paragraphe 2 de l’article 14 du Projet d’articles de la CDI dispose que la violation d’une obligation internationale par le fait d’un État ayant un caractère de continuité s’étend sur la période entière durant laquelle ce fait continue et reste non conforme à l’obligation internationale. Le paragraphe 1 de l’article 15 du projet d’articles dispose qu’une violation prenant la forme d’une série d’actions ou d’omissions, définie dans son ensemble comme illicite, a lieu quand se produit l’action ou l’omission qui, conjuguée aux autres actions ou omissions, suffit à constituer le fait illicite. Le paragraphe 2 de ce même article dispose que, dans un tel cas, la violation s’étend sur toute la période débutant avec la première des actions ou omissions de la série185.
5. Lien de causalité
139. Maurice convient avec ceux qui ont affirmé que le fait qu’aucun État n’était seul responsable de l’ampleur totale des changements climatiques mondiaux ne remettait pas en question le lien de causalité fondamental entre les émissions de GES et lesdits changements, comme l’établissent les données scientifiques186. Le paragraphe 1 de l’article 47 du Projet d’articles de la CDI confirme que, lorsque plusieurs États sont responsables du même fait internationalement illicite, la responsabilité de chaque État peut être invoquée par rapport à ce fait. Les risques sont prévisibles
181 Exposé écrit de Vanuatu, rapport d’expert de Mme Oreskes, par. 39.
182 Rapport d’expert de M. James E. Hansen, p. 3, annexe 1.
183 Exposé écrit de Maurice, par. 189.
184 Le principe de l’effet continu est bien établi en droit international, voir, par exemple, CEDH, Chypre c. Turquie, requête no 25781/94, arrêt du 10 mai 2001 ; CIDH, Velásquez Rodríguez v Honduras, arrêt du 29 juillet 1988. Voir aussi les exposés écrits de l’Égypte (par. 323, dans le contexte de la prévention) et de l’Inde (par. 88).
185 Exposé écrit de Maurice, par. 210 b).
186 Voir, par exemple, les exposés écrits du Chili (par. 99) et de la Suisse (par. 77-78).
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lorsqu’il « est fort probable qu’ils causeront un dommage transfrontière significatif »
187. En l’espèce, les éléments de preuve soumis à la Cour montrent que la science a établi les risques présentés par les GES au début des années 1960, leur compréhension ayant évolué pendant les années 1980 et après la création du GIEC en 1988.
140. Pour ce qui est de la responsabilité d’États individuels, Maurice convient avec ceux qui renvoient à la contribution historique et disproportionnée des États développés et des principaux émetteurs188. La question connexe de la violation dépend du point de savoir s’il y a eu, de fait, manquement à une obligation spécifique.
141. Maurice est également d’accord avec ceux qui estiment que le lien de causalité est établi si un État était conscient du risque de dommage présenté par les émissions de GES et s’il n’a pas pris de mesures préventives en faisant preuve de la diligence requise. Cette situation ne se prête pas à l’application du critère du « facteur déterminant », les contributions individuelles au dommage mondial étant mesurables. Conformément au principe des RCD-CR, les États ayant une responsabilité élevée en ce qui concerne le climat (ou des capacités importantes en matière d’atténuation) doivent davantage faire preuve de diligence que les États ayant une responsabilité ou des capacités moindres, en particulier les PEID. Comme l’a précisé l’Équateur, « chaque État est indépendamment responsable, même si le fait illicite résulte des actions ou omissions combinées de plusieurs États »189.
6. Indemnisation
142. Maurice convient avec le Kenya et les autres participants qui ont relevé que l’indemnisation pour des pertes et préjudices résultant des émissions de GES était un élément essentiel des réparations à raison de faits internationalement illicites relatifs aux changements climatiques190. Il en est ainsi parce que les effets desdits changements rendent bien souvent impossible le retour au statu quo ante.
143. La Barbade et d’autres participants estiment que les États doivent verser une indemnisation pour les pertes et préjudices sur le strict fondement de la responsabilité « à la fois lorsque les actions qui ont causé les dommages ne sont pas par ailleurs illicites en vertu du droit international … et … lorsque ces actions sont par ailleurs illicites en vertu du droit international »191.
144. Maurice soutient que, dans le cas des dommages catastrophiques, les actions des États qui augmentent le risque de pareils dommages devraient être soumises à une responsabilité stricte, compte tenu des meilleures données scientifiques disponibles.
145. En examinant les arguments à l’appui de l’application des règles relatives à la responsabilité de l’État à raison des changements climatiques, il importe de tenir compte également
187 Projet d’articles de la CDI sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses (2001), article 2 a), consultable à l’adresse : https://legal.un.org/ilc/texts/instruments/french/draft_articles/9_7_2001.pdf (dernière consultation le 11 août 2024).
188 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Brésil (par. 81), Équateur (par. 1.9), Nouvelle-Zélande (par. 28 a)), Îles Salomon (par. 66) et Vanuatu (par. 169-170).
189 Exposé écrit de l’Équateur, par. 4.20 (note de bas de page omise).
190 Exposé écrit du Kenya, par. 6.99-6.101.
191 Exposé écrit de la Barbade, par. 228.
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de l’autre possibilité. Lorsque des États manquent, ou ont manqué, de réduire les émissions de GES et d’opérer une transition vers des sources d’énergie autres que les combustibles fossiles dans un délai probablement compatible avec la réalisation de l’objectif de température de 1,5 °C, il est impensable qu’aucun d’eux ne puisse être tenu pour responsable même du plus abject manquement aux obligations qui lui incombent, dont celle de réglementer les entités privées.
146. De fait, rien dans les règles concernant la responsabilité des États n’empêche ceux qui sont lésés par les changements climatiques, en particulier les PEID et autres États vulnérables, de demander des réparations aux États responsables de graves préjudices portés au système climatique, notamment une indemnisation à raison des dommages causés à l’environnement lui-même. Pareilles prétentions doivent être tranchées en fonction des éléments de preuve relatifs au comportement individuel des États dans chaque cas.
B. Frontières et droits maritimes
147. De nombreux participants ont souligné l’importance qu’il y avait à préserver les droits maritimes des États et à s’assurer qu’ils ne pâtissent pas de l’élévation du niveau de la mer provoquée par les changements climatiques192. Cette question revêt une importance particulière pour Maurice, ainsi que pour bien d’autres PEID et États de faible élévation.
148. Dans son exposé écrit, Maurice a fourni des éléments attestant l’élévation du niveau de la mer qu’il a déjà subie, ainsi que la vulnérabilité extrême de vastes parties de son territoire à celle qui devrait se produire à l’avenir193. Le GIEC a conclu que, à l’échelle mondiale, le niveau moyen de la mer s’était accru de 20 centimètres entre 1901 et 2018, et que cette hausse s’accélérait rapidement. Il estime que l’élévation mondiale du niveau de la mer pourrait atteindre 29 centimètres d’ici à 2050 et 1,01 mètre d’ici à 2100194. Une hausse de cette ampleur menace l’existence même de vastes étendues de Maurice, ainsi que d’autres PEID et États de faible élévation.
149. L’élévation du niveau de la mer aura inévitablement une incidence sur les formations maritimes, l’emplacement des points de base, le tracé des lignes de base, la délimitation des frontières maritimes et les droits en deçà ou au-delà de 200 milles marins. Il pourrait en aller ainsi dans trois cas au moins.
a) Le premier est celui dans lequel une frontière maritime a déjà été délimitée. Le tribunal arbitral constitué dans l’Arbitrage concernant la frontière maritime dans le golfe du Bengale s’est opposé à la proposition selon laquelle les changements climatiques pourraient avoir une incidence sur la ligne d’équidistance195. Maurice estime que le même raisonnement s’applique, avec une force égale, aux frontières maritimes établies par voie d’accord. L’écrasante majorité des États touchés
192 Voir, par exemple, les exposés écrits des participants suivants : Bahamas (par. 217-226), Burkina Faso (par. 345), Costa Rica (par. 125 et 127), République dominicaine (par. 4.40), El Salvador (par. 55-58), Kenya (par. 5.68), Kiribati (par. 188-191, 198 et 206 3) f)), Liechtenstein (par. 76-78), Îles Marshall (par. 101-105), Micronésie (par. 114-117), Nauru (par. 12 et 44), Pays-Bas (par. 5.38, dans le contexte du déplacement de populations), Nouvelle-Zélande (par. 13), Corée (par. 8), Sierra Leone (par. 3.91), Îles Salomon (par. 208-213), Tonga (par. 90, 92 et 149), Tuvalu (par. 1.13), Vanuatu (par. 8, 487, 558, 643 et 644), Groupe Fer de lance mélanésien (par. 326), Bureau des parties à l’accord de Nauru (par. 22), Forum des îles du Pacifique (par. 14-16), Agence des pêches du Forum des îles du Pacifique (par. 38-40), AOSIS (par. 7), Union africaine (par. 162), OEACP (par. 194) et Commission des petits États insulaires sur les changements climatiques et le droit international (par. 71-72 et 196).
193 Exposé écrit de Maurice, par. 25-29.
194 GIEC, rapport de synthèse afférent au sixième rapport d’évaluation, B.3.1.
195 Arbitrage concernant la frontière maritime dans le golfe du Bengale (Bangladesh c. Inde), sentence du 7 juillet 2014, par. 217 et 213-220.
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ont milité en faveur de la position voulant que leurs lignes de base et droits maritimes ne soient pas affectés par l’élévation du niveau de la mer
196. La CDI et l’Association de droit international ont rejeté la notion des lignes de bases mouvantes dans le contexte de l’élévation du niveau de la mer197.
b) Le deuxième est celui dans lequel un État a déposé auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies des documents décrivant la limite extérieure de son plateau continental en deçà de 200 milles marins. Maurice considère que pareilles descriptions s’appliquent « de façon permanente », conformément au paragraphe 9 de l’article 76 de la CNUDM, et qu’elles ne seront pas affectées par l’élévation du niveau de la mer.
c) Le troisième est celui dans lequel un État a soumis à la Commission des limites du plateau continental (ci-après, la « Commission des limites ») des documents à l’appui de son droit à un plateau continental au-delà de 200 milles marins, conformément au paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM. Maurice estime que, si elle prévoit clairement que les limites du plateau établies en application de cette procédure seront définitives et contraignantes, cette disposition ne traite toutefois pas expressément des effets que l’élévation du niveau de la mer pourrait avoir pendant la période, susceptible d’être longue, entre le dépôt des documents et la formulation d’une recommandation par la Commission des limites.
150. Le principe de la stabilité et de la certitude est au coeur de l’ordre juridique international, et fait office de fil rouge dans la pratique et les décisions des juridictions internationales. En l’affaire du Temple de Préah Vihéar, la Cour a confirmé qu’il serait porté atteinte aux exigences relatives à la stabilité et au caractère définitif si les frontières établies pouvaient faire l’objet de changements continus198.
151. Maurice invite la Cour à affirmer de manière faisant autorité que les frontières et droits maritimes — dans les trois cas brièvement décrits au paragraphe 149 ci-dessus — ne sont pas touchés par les effets de l’élévation du niveau de la mer provoquée par les changements climatiques.
IV. CONCLUSIONS
152. En 1996 déjà, la Cour avait précisé, dans un autre avis consultatif, qu’elle
« a[vait] conscience que l’environnement n’[étai]t pas une abstraction, mais bien l’espace où viv[ai]ent les êtres humains et dont dépend[ai]ent la qualité de leur vie et
196 Voir, par exemple, Taputapuātea Declaration on Climate Change signed by the leaders of French Polynesia, Niue, Cook Islands, Samoa, Tokelau, Tonga and Tuvalu, accessible à l’adresse suivante : https://www.samoagovt.ws/wp- content/uploads/2015/07/The-Polynesian-P.A.C.T.pdf (dernière consultation le 10 août 2024) ; The Delap Commitment on Securing Our Common Wealth of Oceans, accessible à l’adresse suivante : https://www.pnatuna.com/sites/default/files/ Delap%20Commitment_2nd%20PNA%20Leaders%20Summit.pdf (dernière consultation le 10 août 2024) ; Declaration on Preserving Maritime Zones in the Face of Climate Change-related Sea-Level Rise, accessible à l’adresse suivante : https://www.forumsec.org/2021/08/11/declaration-on-preserving-maritime-zones-in-the-face-of-climate-change-related-sea-level-rise/ (dernière consultation le 10 août 2024) ; Launch Of The Alliance Of Small Island States Leaders’ Declaration, accessible à l’adresse suivante : https://www.aosis.org/launch-of-the-alliance-of-small-island-states-leaders-declaration/ (dernière consultation le 10 août 2024).
197 Commission du droit international, « L’élévation du niveau de la mer au regard du droit international : première note thématique », Nations Unies, doc. A/CN.4/740 (28 février 2020), par. 78 et 82-104 ; Report of the International Law Association, “Committee on International Law and Sea Level Rise, Sydney Conference” (2018), p. 16-19, accessible à l’adresse suivante : https://www.ila-hq.org/en_GB/documents/conference-report-sydney-2018cteeversion (dernière consultation le 10 août 2024) ; ILA Resolution 5/2018, accessible à l’adresse suivante : https://www.ila-hq.org/en_GB/ documents/conference-resolution-sydney-2018-english-2 (dernière consultation le 10 août 2024).
198 Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 6, par. 34.
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leur santé, y compris pour les générations à venir. L’obligation générale qu’ont les États de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent l’environnement dans d’autres États ou dans des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale fait maintenant partie du corps de règles du droit international de l’environnement. »
199
153. Maurice ne demande rien de plus à la Cour que de reprendre cette importante déclaration et de l’appliquer à la question des changements climatiques, problème environnemental qui n’est pas une abstraction.
154. Maurice réaffirme les conclusions qu’elle a énoncées aux paragraphes 218-222 de son exposé écrit du 22 mars 2024, à la lumière des présentes observations écrites additionnelles.
Le 15 août 2024.
L’ambassadeur et représentant permanent de la République de Maurice auprès de l’Organisation des Nations Unies,
(Signé) S. Exc. M. Jagdish Dharamchand KOONJUL, G.C.S.K., G.O.S.K.
___________
199 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 22, par. 29.

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Óbservations écrites de Maurice

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