Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
19707
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIÈRE DE CHANGEMENT CLIMATIQUE (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE DE MAURICE
22 mars 2024
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION ............................................................................................................................... 1
II. COMPÉTENCE ET POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE .............................................................................. 4
A. La compétence ......................................................................................................................... 4
B. Le pouvoir discrétionnaire ........................................................................................................ 6
III. INTÉRÊTS DE MAURICE ET EFFETS SUBIS ..................................................................................... 7
A. Les effets subis par Maurice ..................................................................................................... 7
1. L’élévation du niveau de la mer et l’érosion des littoraux ................................................ 10
2. La hausse de la température, le blanchissement des coraux et les phénomènes météorologiques extrêmes ................................................................................................ 11
B. Les mesures d’adaptation et d’atténuation prises par Maurice ............................................... 13
IV. FAITS PERTINENTS : LES MEILLEURES DONNÉES SCIENTIFIQUES DISPONIBLES SUR LE CLIMAT ............................................................................................................................ 14
A. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)........................ 16
B. Les meilleures données scientifiques disponibles sur le climat.............................................. 17
1. Les émissions anthropiques de GES sont la cause du réchauffement de la planète ......... 18
2. Des effets néfastes généralisés et considérables sur l’atmosphère, l’océan, la cryosphère et la biosphère ............................................................................................. 19
3. Les effets et les risques futurs ........................................................................................... 20
4. L’atténuation et l’adaptation ............................................................................................. 22
5. La baisse rapide du budget carbone .................................................................................. 24
6. L’écart en matière d’émissions et l’écart en matière de production ................................. 24
7. La nécessité urgente d’une action immédiate ................................................................... 27
V. QUESTION A) : LES OBLIGATIONS DES ÉTATS .............................................................................. 28
A. Le cadre juridique international en matière de changements climatiques .............................. 28
1. L’approche de la Cour à l’égard des questions environnementales .................................. 28
2. La CCNUCC et l’accord de Paris ..................................................................................... 29
3. Les obligations spécifiques au regard de la CCNUCC et de l’accord de Paris ................ 30
a) L’obligation d’atteindre l’objectif de température convenu ....................................... 30
b) L’obligation d’agir en se fondant sur les meilleures données scientifiques disponibles .................................................................................................................. 32
c) L’obligation de réduire les émissions ......................................................................... 33
d) L’obligation d’évaluer les effets des activités projetées sur le système climatique .................................................................................................. 33
e) L’obligation en matière d’adaptation ......................................................................... 34
f) Les obligations en matière de flux financiers et de technologie ................................. 34
g) L’obligation de protéger et de développer des puits .................................................. 36
- ii -
h) Les responsabilités communes mais différenciées et les capacités respectives .......... 37
i) L’obligation de remédier aux pertes et préjudices ..................................................... 38
4. La COP 28 : le premier bilan mondial .............................................................................. 38
B. La Charte des Nations Unies et la pratique récente du Conseil de sécurité............................ 39
C. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer ......................................................... 43
1. L’intégration systémique et l’interprétation harmonisée .................................................. 43
2. Les obligations spécifiques imposées par la CNUDM ..................................................... 45
D. Les droits de l’homme ............................................................................................................ 49
1. Les droits de l’homme éclairent et renforcent les obligations des États visant à protéger le système climatique ............................................................................ 51
2. Les obligations de fond ..................................................................................................... 52
a) Le droit à l’autodétermination.................................................................................... 52
b) Le droit à la vie ........................................................................................................... 53
c) Le droit à la santé ....................................................................................................... 54
d) Les droits à l’alimentation et à l’eau .......................................................................... 55
e) Le droit à un environnement propre, sain et durable ................................................. 57
f) Les principes supérieurs de l’égalité et de la non-discrimination .............................. 57
E. Le droit international coutumier et les principes généraux ..................................................... 58
1. La prévention .................................................................................................................... 58
2. La diligence requise .......................................................................................................... 59
3. La précaution .................................................................................................................... 60
4. La nécessité de tenir compte des meilleures données scientifiques disponibles ............... 60
5. L’évaluation de l’impact sur l’environnement .................................................................. 61
6. La coopération .................................................................................................................. 62
VI. QUESTION B) : LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES ........................................................................ 63
VII. RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS ...................................................................................................... 66
I. INTRODUCTION
1. La République de Maurice (ci-après, « Maurice ») soumet le présent exposé écrit dans le cadre de la procédure de demande d’avis consultatif soumise à la Cour par la résolution 77/276 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 29 mars 2023, conformément aux ordonnances de la Cour en date des 20 avril, 4 août et 15 décembre 2023.
2. Dans sa demande, l’Assemblée générale pose à la Cour les questions suivantes :
« Eu égard en particulier à la Charte des Nations Unies, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, à l’Accord de Paris, à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, à l’obligation de diligence requise, aux droits reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, au principe de prévention des dommages significatifs à l’environnement et à l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin :
a) Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre pour les États et pour les générations présentes et futures ?
b) Quelles sont, au regard de ces obligations, les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, à l’égard :
i) Des États, y compris, en particulier, des petits États insulaires en développement, qui, de par leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des changements climatiques ou sont particulièrement vulnérables face à ces effets ?
ii) Des peuples et des individus des générations présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements climatiques ? »
3. Maurice a une conscience aiguë — et s’inquiète gravement — des conséquences potentiellement catastrophiques des changements climatiques, en particulier pour les petits États insulaires en développement. Ces effets néfastes, qui comprennent, entre autres, l’élévation du niveau de la mer, les phénomènes météorologiques extrêmes, la raréfaction de l’eau, l’insécurité alimentaire, la disparition de certaines espèces et les migrations forcées, se font déjà sentir à travers la planète et vont s’aggraver, jusqu’à devenir probablement irréversibles pour certains d’entre eux. Les données scientifiques relatives à la menace que les changements climatiques font peser sur le système climatique et d’autres composantes de l’environnement, de même que les mesures nécessaires pour y faire face, sont clairement connues. L’utilisation persistante et croissante des combustibles fossiles — charbon, pétrole et gaz — qui est à l’origine de près des deux tiers des émissions de gaz à effet de
- 2 -
serre (ci-après, les « GES ») de la planète est, de loin, la première cause des changements climatiques1.
4. Maurice prend part à la présente procédure, consciente de la valeur de la contribution que la Cour peut apporter par son avis consultatif en donnant des directives qui font autorité à l’Assemblée générale et en aidant les États à comprendre leurs obligations en matière de protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement, notamment celle de réduire rapidement, fortement et durablement les émissions de GES.
5. Maurice participe également à la procédure de Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international devant le Tribunal international du droit de la mer (TIDM)2. Dans l’attente de cet avis consultatif, elle se réserve le droit de modifier le présent exposé écrit à la lumière des conclusions du TIDM.
6. Afin d’aider la Cour à donner l’avis consultatif qui lui est demandé, Maurice divisera son exposé en six parties (outre la présente Introduction).
a) À la section II seront examinés la compétence et le pouvoir discrétionnaire de la Cour s’agissant des avis consultatifs. Maurice considère que la Cour est incontestablement compétente pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale et qu’il n’y a pas de raison pour elle de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire à cet égard, et encore moins de raison décisive.
b) À la section III il sera expliqué en quoi les intérêts de Maurice sont liés à l’objet de l’avis consultatif demandé, notamment en ce qui concerne les effets — présents et futurs — des changements climatiques sur son territoire. Maurice y décrira aussi, brièvement, les mesures qu’elle a déjà prises ou qu’elle prendra pour réduire ses propres émissions de GES.
c) À la section IV, Maurice décrira le contexte factuel à prendre en considération pour répondre à la demande d’avis consultatif, notamment les meilleures données scientifiques disponibles sur le climat, principalement celles produites par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).
d) À la section V, Maurice examinera la première question posée : les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de GES, pour les générations présentes et futures. Pour ce faire, Maurice fera référence aux éléments suivants :
i) le cadre juridique international des changements climatiques : la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (ci-après, la « CCNUCC ») et les autres instruments visant à renforcer la riposte à la menace des changements climatiques, principalement l’accord de Paris de 2015 ;
1 Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), rapport 2023 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, résumé analytique, p. iv, accessible à l’adresse suivante : https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/43923/EGR2023_ESFR.pdf?sequence=11 (dernière consultation le 19 mars 2024).
2 Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, accessible à l’adresse suivante : https://www.itlos.org/en/main/cases/list-of-cases/request-for-an-advisory-opinion-submitted-by-the-commission-of-small-island-states-on-climate-change-and-international-law-request-for-advisory-opinion-submitted-to-the-tribunal/ (dernière consultation le 17 mars 2024).
- 3 -
ii) les obligations découlant de la Charte des Nations Unies, notamment lorsqu’il existe un lien manifeste entre les changements climatiques et les conflits, et la pratique récente du Conseil de sécurité ;
iii) les obligations de protéger le milieu marin, notamment celles contenues dans la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (ci-après, la « CNUDM ») ;
iv) les traités et les instruments relatifs aux droits de l’homme ; et
v) le droit international coutumier ainsi que les principes généraux de droit international.
e) À la section VI, faisant référence aux règles et principes de la responsabilité de l’État, Maurice examinera la deuxième question, qui porte sur les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement.
f) À la section VII, Maurice clôturera le présent exposé écrit par un résumé de ses conclusions sur les questions posées à la Cour concernant a) les obligations qui, en droit international, incombent aux États s’agissant de la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de GES, pour les générations présentes et futures, et b) les conséquences juridiques au regard de ces obligations. En particulier, en vertu du droit international général et des traités spécifiques auxquels ils sont parties, tous les États ont les obligations suivantes :
i) appliquer l’obligation générale « de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent l’environnement dans d’autres États ou dans des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale »3 ;
ii) prendre en considération les meilleures données scientifiques disponibles, y compris celles fournies par le GIEC, et toujours agir en s’y conformant ;
iii) évaluer les potentiels effets néfastes des activités et des projets (existants et envisagés) susceptibles de causer des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, ainsi que les effets des mesures d’atténuation et d’adaptation ;
iv) réduire fortement, rapidement et durablement les émissions de GES, sur la base de l’équité et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, y compris en réduisant l’usage des combustibles fossiles et en planifiant urgemment leur élimination progressive, en vue d’atteindre l’objectif convenu de 1,5 °C ;
v) améliorer les capacités d’adaptation, renforcer la résilience et réduire la vulnérabilité aux changements climatiques, en étant guidés par les principes du développement durable, des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, de la prévention, de la coopération et de l’équité ;
vi) s’assurer que les flux financiers sont compatibles avec une trajectoire de réduction des émissions et un développement résilient aux changements climatiques, et qu’ils sont suffisants à cette fin, notamment en apportant un appui financier croissant aux pays en développement parties à la CCNUCC et à l’accord de Paris, en particulier aux pays les moins
3 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 241-242, par. 29.
- 4 -
avancés et aux petits États insulaires en développement, dans le cadre de leurs stratégies et leurs plans nationaux relatifs au climat ;
vii) s’assurer que toutes les mesures prises pour faire face aux changements climatiques respectent les droits de l’homme ;
viii) coopérer lorsqu’ils prennent des mesures pour améliorer la sensibilisation, la participation du public et l’accès de la population à l’information et s’acquitter des obligations de transparence et d’élaboration de rapports découlant de l’accord de Paris ;
ix) apporter à l’Organisation des Nations Unies (ONU) et à ses institutions spécialisées tout l’appui nécessaire sur les questions portant sur les changements climatiques et donner effet aux décisions du Conseil de sécurité, ce qui est nécessaire pour faire face et répondre aux risques posés par les changements climatiques ;
x) prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger et préserver le milieu marin de la menace grave et urgente posée par les changements climatiques, y compris en prévenant, en réduisant et en maîtrisant la pollution du milieu marin par les émissions de GES ; et
xi) respecter les règles de la responsabilité de l’État concernant les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques et s’acquitter des obligations de réparer intégralement le préjudice, sous forme de restitution, d’indemnisation ou de satisfaction, lorsqu’il y a eu violation d’obligations pertinentes.
II. COMPÉTENCE ET POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE
7. La Cour tient sa compétence consultative du paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, qui se lit comme suit : « La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies, ou conformément à ses dispositions, à demander cet avis »4.
8. Lorsqu’elle est saisie d’une demande d’avis consultatif, la Cour « doit commencer par déterminer si elle a compétence pour donner l’avis demandé et, dans l’affirmative, examiner s’il existe une quelconque raison pour elle d’exercer son pouvoir discrétionnaire de refuser de répondre à la demande »5.
A. La compétence
9. Pour expliquer son application du paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, la Cour s’est exprimée comme suit :
« [P]our que la Cour ait compétence, il faut que l’avis consultatif soit demandé par un organe dûment habilité à cet effet conformément à la Charte, qu’il porte sur une
4 Statut de la Cour internationale de Justice, art. 65, par. 1.
5 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 95, par. 54. Voir aussi : Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 232, par. 10 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 144, par. 13 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 412, par. 17.
- 5 -
question juridique et que, sauf dans le cas de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité, cette question se pose dans le cadre de l’activité de cet organe »
6.
10. Il s’ensuit que, pour que la Cour puisse exercer sa compétence consultative, deux conditions doivent être remplies :
a) La demande doit être faite par un organe dûment habilité.
b) Les questions posées à la Cour doivent être de nature juridique.
11. Ces deux conditions ont été pleinement satisfaites en l’espèce. S’agissant de la première, le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies dispose que l’Assemblée générale « peut demander à la Cour internationale de Justice un avis consultatif sur toute question juridique »7. Lorsque l’Assemblée générale demande à la Cour de donner un avis consultatif conformément à ses propres règles, on présume qu’elle a exercé son pouvoir valablement8.
12. L’Assemblée générale a adopté la résolution 77/267 par consensus à de sa 64e séance plénière du 29 mars 2023, dans le respect de ses règles établies. Contrairement à d’autres organes de l’ONU et institutions spécialisées dont le pouvoir de demander des avis consultatifs est limité à des questions juridiques « qui se poseraient dans le cadre de leur activité »9, l’Assemblée générale n’est pas soumise à cette restriction. Quoi qu’il en soit, elle a — depuis plus de 35 ans — régulièrement traité l’objet de l’avis consultatif demandé dans l’exercice de ses pouvoirs et fonctions au titre du chapitre IV de la Charte des Nations Unies10.
13. S’agissant de la deuxième condition, la Cour a noté que des questions « libellées en termes juridiques et sou[levant] des problèmes de droit international … sont, par leur nature même, susceptibles de recevoir une réponse fondée en droit » et semblent avoir « un caractère juridique »11.
6 Demande de réformation du jugement no 273 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1982, p. 325, par. 21. Voir aussi : Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 144, par. 14 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 413, par. 19.
7 Charte des Nations Unies, art. 96, par. 1 (les italiques sont de nous).
8 La Cour a affirmé que « [t]oute résolution émanant d’un organe des Nations Unies régulièrement constitué, prise conformément à son règlement et déclarée adoptée par son président, doit être présumée valable » (Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 16, par. 20). Voir aussi : Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 82, par. 29.
9 Charte des Nations Unies, par. 2 de l’art. 96.
10 Voir par exemple, les résolutions de l’Assemblée générale suivantes : 77/165 du 14 décembre 2022, 76/205 du 17 décembre 2021, 75/217 du 21 décembre 2020, 74/219 du 19 décembre 2019, 73/232 du 20 décembre 2018, 72/219 du 20 décembre 2017, 71/228 du 21 décembre 2016, 70/205 du 22 décembre 2015, 69/220 du 19 décembre 2014, 68/212 du 20 décembre 2013, 67/210 du 21 décembre 2012, 66/200 du 22 décembre 2011, 65/159 du 20 décembre 2010, 64/73 du 7 décembre 2009, 63/32 du 26 novembre 2008, 62/86 du 10 décembre 2007, 61/201 du 20 décembre 2006, 60/197 du 22 décembre 2005, 59/234 du 22 décembre 2004, 58/243 du 23 décembre 2003, 57/257 du 20 décembre 2002, 56/199 du 21 décembre 2001, 54/222 du 22 décembre 1999, 52/199 du 18 décembre 1997, 51/184 du 16 décembre 1996, 50/115 du 20 décembre 1995, 49/120 du 19 décembre 1994, 47/195 du 22 décembre 1992, 46/169 du 19 décembre 1991, 45/212 du 21 décembre 1990, 44/207 du 22 décembre 1989 et 43/53 du 6 décembre 1988.
11 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 12, par. 15. Voir aussi : Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 414-415, par. 25 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226, par. 13.
- 6 -
Une question « qui invite expressément la Cour à dire si une certaine action est conforme ou non au droit international est assurément une question juridique »
12.
14. Les deux questions posées à la Cour en l’espèce sont, par leur nature même, des questions juridiques : elles sont libellées en termes juridiques, soulèvent des problèmes de droit international et lui demandent de s’acquitter d’une tâche intrinsèquement juridique. La demande est solidement fondée en droit et les questions ne sont « guère susceptibles d’ailleurs de recevoir une autre réponse »13.
15. Dans l’exercice de sa fonction judiciaire, la Cour devra tenir compte des faits pertinents. On ne saurait considérer que la référence à « toute question juridique » au paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies « oppose les questions de droit aux points de fait », parce que, « [p]our être à même de se prononcer sur des questions juridiques, un tribunal doit normalement avoir connaissance des faits correspondants, les prendre en considération et, le cas échéant, statuer à leur sujet »14. En l’espèce, les faits pertinents comprennent, notamment, les meilleures données scientifiques disponibles sur le climat (voir la section IV ci-après).
16. Le caractère juridique des questions n’est pas non plus compromis par le fait qu’elles puissent concerner des problèmes revêtant des aspects politiques15. La Cour a affirmé que « la nature politique des mobiles qui auraient inspiré la requête et les implications politiques que pourrait avoir l’avis donné sont sans pertinence au regard de l’établissement de sa compétence pour donner un tel avis »16.
17. La Cour a donc pleinement compétence pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale dans sa résolution 77/267.
B. Le pouvoir discrétionnaire
18. Nonobstant le caractère discrétionnaire de sa compétence consultative, « [l]a Cour actuelle n’a jamais, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, refusé de répondre à une demande d’avis
12 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 414-415, par. 25.
13 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 12, par. 15. Voir aussi : Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 153, par. 37.
14 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 27, par. 40.
15 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415, par. 27.
16 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226, par. 13. Voir aussi : Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 155, par. 41 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415, par. 27 ; Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 87, par. 33.
- 7 -
consultatif »
17. Dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, la Cour a déclaré qu’elle « n’en garde pas moins à l’esprit que sa réponse à une demande d’avis consultatif “constitue [sa] participation … à l’action de l’Organisation et, en principe, … ne devrait pas être refusée” »18.
19. Maurice considère qu’il n’y a pas de raisons décisives pour la Cour de refuser de donner un avis consultatif en l’espèce. Au contraire, les directives juridiques que la Cour pourra donner sur une question qui figure comme l’une des plus prioritaires de l’Assemblée générale apporteront sans aucun doute une assistance essentielle à cette dernière dans l’exercice de ses fonctions et renforcerait « l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies »19.
III. INTÉRÊTS DE MAURICE ET EFFETS SUBIS
20. Les émissions de GES nettes de Maurice représentent moins de 0,01 % des émissions totales mondiales20. Cependant, en tant que l’un des 37 petits États insulaires en développement reconnus par l’ONU, Maurice est hautement vulnérable aux effets néfastes des changements climatiques. Ces effets — qui constituent une menace existentielle pour une grande partie de Maurice et d’autres petits États insulaires en développement — se font déjà sentir, ils sont graves et on prévoit qu’ils s’aggraveront encore.
A. Les effets subis par Maurice
21. Maurice se compose d’un groupe d’îles situées dans le sud-ouest et le centre de l’océan Indien, dont la principale se trouve à environ 870 kilomètres à l’est de Madagascar21. Elle est entourée de récifs coralliens qui abritent une faune et une flore marines abondantes. D’une superficie
17 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44. Au sujet de la Licéité de l’utilisation des armes nucléaires par un État dans un conflit armé, la Cour a décidé qu’elle ne pouvait pas donner l’avis consultatif sollicité par l’OMS au motif que l’objet de la demande ne portait pas sur une question relevant du cadre des activités de cette organisation (C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 77, par. 23). Cependant, pareille réserve n’est pas pertinente en la présente espèce puisque le paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies confère à l’Assemblée générale la compétence de demander un avis consultatif sur toute question juridique.
18 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 113, par. 65 (citant Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 78-79, par. 29 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44).
19 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 113, par. 64 (citant Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156-157, par. 44-45 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415-416, par. 29.
20 Submission of the Republic of Mauritius to the United Nations Framework Convention on Climate Change, Update of the Nationally Determined Contribution of the Republic of Mauritius, 1 October 2021 (ci-après, « Mauritius’ Updated NDC »), accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/NDCREG (dernière consultation le 11 février 2024). Voir aussi Mauritius’ National Inventory Report to UNFCCC, December 2021, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/documents/419700 (dernière consultation le 11 février 2024).
21 Le territoire de l’Île Maurice comprend, outre l’île principale : i) les îles Cargados Carajos (l’archipel de Saint-Brandon, un groupe de 16 îles et îlots) à 400 km au nord, ii) l’île Rodrigues à 580 km au nord-est, iii) les îles Agaléga, à 1 050 km au nord, iv) l’île Tromelin, à 555 km au nord-ouest et v) l’archipel des Chagos, y compris Diego Garcia, à 2 080 km au nord-est. Voir : Constitution of Mauritius, Article 111, accessible à l’adresse suivante : https://mauritius assembly.govmu.org/mauritiusassembly/index.php/the-constitution/ (dernière consultation le 9 février 2024).
- 8 -
totale d’environ 2 000 kilomètres carrés, elle compte environ 1 260 000 habitants dont 116 055 résident dans la capitale, Port-Louis
22.
22. Les communautés humaines qui ont des liens étroits avec les milieux côtiers sont particulièrement exposées aux effets des changements climatiques, en particulier l’élévation du niveau de la mer, le recul de la cryosphère, l’augmentation de la température et les phénomènes météorologiques extrêmes. Les évaluations de vulnérabilité concernant l’île principale de Maurice et Rodrigues révèlent amplement que ces régions sont particulièrement sensibles aux changements de régime des précipitations et aux phénomènes météorologiques liés aux changements climatiques. Maurice doit faire face à de nombreux défis, notamment des phénomènes météorologiques extrêmes, l’insécurité hydrique et alimentaire, l’élévation du niveau de la mer, la dégradation des côtes et le blanchissement des coraux. C’est un des pays les plus exposés aux risques naturels, en raison de sa situation géographique dans un bassin cyclonique tropical actif.
23. Maurice n’a pas été en mesure jusqu’à présent de réaliser la même évaluation pour l’archipel des Chagos, qui reste sous occupation illicite du Royaume-Uni23. L’archipel des Chagos est extrêmement sensible aux effets des changements climatiques24. Son relief très peu marqué s’élève en moyenne à seulement 1 à 2 mètres au-dessus du niveau de la mer.
22 Republic of Mauritius, Population and Vital Statistics, January-June 2023, accessible à l’adresse suivante : https://statsmauritius.govmu.org/Pages/Statistics/ESI/Population/Pop_Vital_Jan-Jun23.aspx (dernière consultation le 11 février 2024). L’île Rodrigues compte 44 783 habitants et 274 personnes vivent sur les îles Agaléga et l’archipel de Saint-Brandon (Republic of Mauritius, Digest of Demographic Statistics 2022, accessible à l’adresse suivante : https://statsmauritius.govmu.org/Documents/Statistics/Digests/Demography/Digest_Demo_Yr22_201023.xlsx (dernière consultation le 11 février 2024)). Même si aucun citoyen mauricien ne réside actuellement dans l’archipel des Chagos, Maurice s’est résolument engagée à mener un programme de réinstallation de ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne qui ont été victimes d’une injustice historique après avoir été forcés par le Royaume-Uni à quitter leur lieu de naissance, dans les années 1960 et 1970. Faisant suite à l’avis consultatif du 25 février 2019 donné par la Cour sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, Maurice et le Royaume-Uni ont entamé des négociations sur l’exercice de la souveraineté sur l’archipel des Chagos, en se fondant sur le droit international. On espère que ces discussions aboutiront au processus de décolonisation de Maurice et lui permettront de mener à bien son programme de réinstallation. Voir : Statement of the Hon. Pravind Kumar Jugnauth, Prime Minister of Mauritius, at the 78th Session of the UN General Assembly (22 September 2023), accessible à l’adresse suivante : https://pmo.govmu.org/ Documents/Speeches/GA78%20-%20Mauritius%20Statement.pdf (dernière consultation le 21 février 2024).
23 Selon le droit international, l’archipel des Chagos est considéré comme faisant partie intégrante du territoire souverain de Maurice. Le 25 février 2019, la Cour a donné un avis consultatif dans lequel elle a conclu que l’archipel relève en totalité du territoire mauricien (Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I)). Le 28 janvier 2021, une chambre spéciale du tribunal international du droit de la mer (TIDM) a confirmé que Maurice est « l’État côtier en ce qui concerne l’archipel des Chagos aux fins de la délimitation d’une frontière maritime, même avant le parachèvement du processus de décolonisation de Maurice » (Différend relatif à la délimitation de la frontière maritime entre Maurice et les Maldives dans l’océan Indien, exceptions préliminaires, arrêt, TIDM Recueil 2021, p. 17, par. 250).
24 L’archipel des Chagos compte plus de 60 îles, bancs et récifs situés entre 4° 44' S et 7° 39' S, et entre 70° 50' E et 72° 47' E, dont nombre sont regroupés sous forme d’atolls coralliens, notamment l’île Diego Garcia, le banc Great Chagos (qui comprend l’île Danger, les îles Eagle, l’île Three Brothers et l’île Nelson), les îles Egmont, l’atoll des îles Salomon et l’atoll Peros Banhos. Il y a environ 56 formations découvrantes représentant 52,07 kilomètres carrés, avec un littoral de 293,28 kilomètres.
- 9 -
24. Les effets des changements climatiques sur Maurice sont décrits dans le premier rapport biennal actualisé et dans les contributions déterminées au niveau national (CDN) actualisées qu’elle a soumis au secrétariat de la CCNUCC25. Les principaux effets sont résumés dans la figure ci-après.
Figure 1 Principaux effets des changements climatiques
Légende :
Intense extreme climatic events
=
Phénomènes climatiques extrêmes intenses
Increase in the frequency of extreme weather events and more frequent torrential rains resulting in flash floods
=
Augmentation de la fréquence des phénomènes climatiques extrêmes intenses et des pluies torrentielles causant des inondations
Temperature
=
Température
Mean annual temperature over the island has increased by 1.39°C in the last 70 years between 1951-2020
=
La température annuelle moyenne sur l’archipel a augmenté de 1,39 °C au cours des 70 dernières années entre 1951 et 2000
Sea level rise
=
Élévation du niveau de la mer
Accelerated sea level rise at an average rate of 5.6 mm/yr. in the last decade compared to the global value of 3.4 mm/yr.
=
Accélération de l’élévation du niveau de la mer à une vitesse moyenne de 5,6 mm/an au cours des dix dernières années, la moyenne mondiale étant de 3,4 mm/an
Rainfall
=
Précipitations
Decreased of mean annual rainfall by 104 mm between 1951-2020 — a decrease of around 8% since the 1950s
=
Baisse des précipitations annuelles moyennes de 104 mm entre 1951 et 2000 — une baisse d’environ 8 % depuis les années 1950
Beach erosion
=
Érosion des plages
Accentuated beach erosion has shrunk the width of the beaches around certain coastal areas by up to 20 m over the last few decades.
=
L’aggravation de l’érosion des plages a provoqué sur certains littoraux le rétrécissement des plages qui ont perdu jusqu’à 20 m en quelques décennies
25 First Biennial Update Report of the Republic of Mauritius to UNFCCC (31 December 2021), accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/documents/419699 (dernière consultation le 11 février 2024) ; Mauritius’ Updated NDC (1 October 2021), accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/sites/default/files/NDC/2022-06/Final% 20Updated%20NDC%20for%20the%20Republic%20of%20Mauritius%2001%20October%202021.docx (dernière consultation le 11 février 2024).
- 10 -
1. L’élévation du niveau de la mer et l’érosion des littoraux
25. Entre 1998 et 2007, Maurice a enregistré une élévation du niveau de la mer de 5,6 millimètres par an, soit près du double de la moyenne mondiale. En ce qui concerne l’île Rodrigues, le niveau moyen de la mer est monté de 6,4 millimètres par an pendant la même période26.
Figure 2 Élévation du niveau de la mer autour de Maurice
Légende :
Mean Sea Level Anomaly (cm)yyy
=
Anomalie du niveau moyen de la mer (cm/an)
Mean Sea Level Anomaly
=
Anomalie du niveau moyen de la mer
Rate of Change: 5.05 mm/yr
=
Vitesse d’évolution : 5,05 mm/an
Year
Année
26. Comme illustré à la figure 2 ci-dessus, les données satellitaires font apparaître que, de 1993 à 2019, le niveau de la mer s’est élevé d’environ 5,05 millimètres par an autour de l’île de Maurice. De même, à Rodrigues et Agaléga le niveau de la mer monte de 4,84 millimètres et 3,40 millimètres par an respectivement, soit beaucoup plus que la hausse moyenne du niveau de la mer dans l’océan Indien qui est de 2,81 millimètres par an.
26 Mauritius’ Updated NDC, p. 21. Voir aussi : Statement of the Hon. Pravind Kumar Jugnauth, Prime Minister of Mauritius, at the 78th Session of the UN General Assembly (22 September 2023), p. 4, accessible à l’adresse suivante : https://pmo.govmu.org/Documents/Speeches/GA78%20-%20Mauritius%20Statement.pdf (dernière consultation le 21 février 2024). Les observations sur site effectuées par les services météorologiques de Maurice à Port-Louis (sur l’île principale) révèlent une élévation du niveau de la mer constante de 4,7 millimètres par an entre 1987 et 2020.
- 11 -
Figure 3 Élévation du niveau de la mer autour de Maurice entre 1992 et 2018
Légende :
Height
=
Hauteur
27. La figure 3 ci-dessus montre les données sur la hauteur de la surface de la mer collectées par le département mauricien d’administration et d’exploration du plateau continental et des zones maritimes entre 1992 et 201827. De 2014 à 2018, la hauteur de la surface de la mer a augmenté en moyenne de 6,8 millimètres par an.
28. Les effets de l’élévation du niveau de la mer se font déjà sentir à Maurice où l’accroissement de l’érosion touche 23 % des plages de l’île principale28. Entre 1967 et 2012, 17 % du littoral de Maurice s’est érodé29. On estime que la moitié de ses plages risque de disparaître au cours des cinquante prochaines années30.
29. Le littoral est un bien précieux du patrimoine mauricien. Or, les zones côtières s’amenuisent de manière spectaculaire du fait de l’élévation du niveau de la mer et de l’accélération de l’érosion des plages. Cette érosion accélérée a rétréci la largeur des plages jusqu’à 20 mètres autour de certaines zones côtières, entraînant une perte d’espace et des dommages aux infrastructures.
2. La hausse de la température, le blanchissement des coraux et les phénomènes météorologiques extrêmes
30. La température moyenne sur l’île de Maurice a déjà augmenté de 1,39 °C au cours des soixante-dix dernières années, entre 1951 et 2020 (par rapport aux données climatologiques de 1961 à 1990). Au vu des tendances mondiales actuelles, le service météorologique de Maurice prévoit une augmentation de la température allant jusqu’à 3,14-3,64 °C d’ici 2100 (en adoptant le scénario SSP5-8.5 : voir le paragraphe 52 ci-après)31.
31. L’analyse réalisée par le département mauricien d’administration et d’exploration du plateau continental et des zones maritimes montre que jusqu’en 2003 la température de la mer en
27 Données utilisées : GLORYS2 (1992-2009) ; PSY3 (2011-2018).
28 Beeharry et al., “Impacts of sea-level rise on coastal zones of Mauritius: insights following calculation of a coastal vulnerability index”, Natural Hazards, vol. 114 (2022), p. 41, accessible à l’adresse suivante : https://link.springer. com/article/10.1007/s11069-022-05378-9 (dernière consultation le 11 février 2024).
29 First Biennial Update Report of the Republic of Mauritius to the UNFCCC (31 December 2021), p. 11, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/documents/419699 (dernière consultation le 11 février 2024).
30 Bank of Mauritius, “How Mauritius is mobilising climate finance”, SPI Journal, Autumn 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.bom.mu/media/speeches/how-mauritius-mobilising-climate-finance#:~:text=Mauritius% 20has%20experienced%20beach%20erosion,make%20up%20the%20blue%20lagoon (dernière consultation le 11 février 2024).
31 Mauritius’ Updated NDC, p. 21.
- 12 -
surface n’avait jamais dépassé 29°C, alors qu’en 2015, elle a atteint un pic de 30 °C, ce qui signifie qu’elle subit à Maurice une hausse supérieure à la moyenne mondiale. Cela a engendré des épisodes majeurs de blanchissement des coraux, notamment en 2018/2019 quand 60 % de la barrière de corail autour de l’île de Maurice a blanchi, entraînant un affaiblissement de sa fonction de protection contre les forces des hautes vagues et de sa capacité de régénération des sables. L’augmentation de la température de la mer en surface provoque également une prolifération des algues et l’infiltration d’eaux riches en nutriments dans les lagons, entraînant une mortalité massive des poissons et des coraux.
32. En raison de sa position dans le sud-ouest de l’océan Indien, Maurice est régulièrement frappée par des cyclones et des risques associés, tels que des pluies torrentielles et des crues soudaines, qui causent des perturbations généralisées, notamment des évacuations et des coupures de courant, des dommages aux infrastructures, des pertes économiques substantielles et des pertes en vies humaines. Les données des services météorologiques mauriciens indiquent qu’à chaque décennie entre 1960 et 2009, le nombre moyen annuel de cyclones a doublé, et qu’ils se sont également intensifiés. Le nombre moyen de cyclones avec des rafales supérieures à 165 km/h est passé de 3,9 par an entre 1981 et 2020 à 4,7 entre 1991 et 202032.
33. Dans le secteur de la pêche, les changements climatiques à Maurice sont déjà à l’origine d’une productivité irrégulière et en baisse, du fait de la hausse de la température de la surface de la mer et de l’élévation du niveau de la mer. Les zones côtières sont très vulnérables aux phénomènes dangereux associés aux cyclones, aux inondations, aux ondes de tempête et aux fortes houles, qui risquent de devenir plus fréquents et plus intenses au fil du temps. On s’attend à ce que Maurice subisse chaque année des pertes directes d’un montant d’environ 91 millions de dollars américains à cause de ces phénomènes33.
34. Dans le même temps, les changements climatiques sont à l’origine de la fréquence accrue des périodes sans précipitation et des sécheresses. Le service météorologique de Maurice a observé une chute des précipitations annuelles moyennes de 104 millimètres par an au cours des soixante-dix dernières années. Ces dix dernières années, les précipitations ont décru de 7,7 %, entraînant une baisse de la productivité agricole et de la biodiversité terrestre34. On prévoit que Maurice pourrait manquer d’eau d’ici 2030 et que les ressources en eau utilisables pourraient diminuer de 13 % d’ici 205035.
32 Ibid., p. 22.
33 South Indian Ocean Risk Assessment and Financing Initiative, Disaster Risk Profile: Mauritius, accessible à l’adresse suivante : https://www.gfdrr.org/sites/default/files/mauritius.pdf (dernière consultation le 11 février 2024).
34 Mauritius’ Updated NDC, p. 24.
35 Boojhawon & Surroop, “Impact of climate change on vulnerability of freshwater resources: a case study of Mauritius”, Environmental Development and Sustainability, vol. 23 (2021), p. 195-223, accessible à l’adresse suivante : https://doi.org/10.1007/s10668-019-00574-3 (dernière consultation le 11 février 2024).
- 13 -
B. Les mesures d’adaptation et d’atténuation prises par Maurice
35. Maurice consacre actuellement environ 2 % de son produit intérieur brut à des politiques liées à l’environnement et aux changements climatiques36. Elle a mis et continue de mettre en oeuvre d’ambitieuses mesures d’adaptation et d’atténuation visant à réduire ses émissions de GES de 40 % d’ici 203037.
36. Le 27 novembre 2020, Maurice a adopté la loi sur les changements climatiques qui constitue la pierre angulaire de son engagement à s’acquitter des obligations qui lui incombent en vertu de la CCNUCC, de l’accord de Paris et d’autres instruments relatifs aux changements climatiques38.
37. Maurice reconnaît qu’il est nécessaire de réduire les émissions dans tous les secteurs de l’économie, notamment dans l’énergie, le transport, les déchets et les procédés industriels et utilisations de produits. À cette fin, elle s’est engagée à abandonner progressivement le charbon et à produire 60 % de l’énergie nécessaire à ses besoins à partir de sources vertes d’ici 203039. Concernant le secteur des transports, Maurice a récemment achevé les deux premières phases (85 %) d’un projet de train léger, le métro express, sur une ligne qui s’étend sur 30 kilomètres entre Port-Louis et Réduit. Actuellement fréquenté par près de 55 000 voyageurs par jour, ce métro permet de réduire sensiblement la circulation des véhicules à moteur40. Maurice s’est également engagée à réduire de 70 % les déchets mis en décharge d’ici 2030, notamment grâce aux usines de compostage, aux unités de tri et aux usines de valorisation énergétique des déchets. Dans le secteur des procédés industriels et utilisations de produits, Maurice interdit la climatisation non réversible. D’autres stratégies et mesures, notamment en ce qui concerne l’agriculture, le bétail, la pêche, la biodiversité, l’eau, les infrastructures et le tourisme, sont décrites dans le document-cadre actualisé de Maurice sur l’adaptation aux changements climatiques, intitulé Updated National Climate Change Adaptation Policy Framework41.
36 Statement of the Hon. Pravind Kumar Jugnauth, Prime Minister of Mauritius, at the 78th Session of the UN General Assembly (22 September 2023), p. 4, accessible à l’adresse suivante : https://pmo.govmu.org/Documents/ Speeches/GA78%20-%20Mauritius%20Statement.pdf (dernière consultation le 11 février 2024).
37 Mauritius’ Updated NDC, p. 3-4; Statement of the Hon. Pravind Kumar Jugnauth, Prime Minister of Mauritius, at the 78th Session of the UN General Assembly (22 September 2023), p. 5, accessible à l’adresse suivante : https://pmo.govmu.org/Documents/Speeches/GA78%20-%20Mauritius%20Statement.pdf (dernière consultation le 11 février 2024).
38 Legal Supplement to the Government Gazette of Mauritius, No. 145 of 28 November 2020, Climate Change Act 2020 (hereinafter “CCA”), accessible à l’adresse suivante : https://faolex.fao.org/docs/pdf/mat204415.pdf (dernière consultation le 11 février 2024). Cette loi établit un conseil interministériel sur les changements climatiques qui fixe les buts, cibles et objectifs nationaux qui permettront à Maurice de devenir un pays résilient aux changements climatiques et faiblement émetteur. Elle prévoit également la création d’un département des changements climatiques dont le rôle sera, entre autres, de favoriser les mesures d’adaptation et d’atténuation, de développer et de coordonner les politiques, les projets, les stratégies, les programmes et les plans d’action visant à faire face aux effets néfastes des changements climatiques. Ce département sera aussi chargé de rédiger et d’actualiser des directives pour la réalisation d’évaluations de vulnérabilité et des risques, d’établir des procédures et de publier des instructions pour réduire les émissions de GES, de définir des mécanismes pour l’établissement de rapports et une base de données sur les changements climatiques. Enfin, il devra compiler, analyser et diffuser les informations concernant les changements climatiques et apporter un soutien technique et une aide aux recherches et aux études.
39 Mauritius’ Updated NDC, p. 3-4.
40 PMO, Prime Minister effects inaugural trip on Metro Express marking the launch of the Rose Hill-Réduit line, 23 January 2023, accessible à l’adresse suivante : https://pmo.govmu.org/News/SitePages/Prime-Minister-effects-inaugural-trip-on-Metro-Express-marking-the-launch-of-the-Rose-Hill-Réduit-line.aspx (dernière consultation le 11 février 2024).
41 Mauritius’ Updated NDC, p. 6.
- 14 -
38. À la Conférence des Nations Unies sur les océans qui s’est tenue le 1er juillet 2022, Maurice a présenté son plan en faveur d’une aire marine protégée multi-usages autour de l’archipel des Chagos, de manière à donner effet aux obligations qui lui incombent en vertu de la CNUDM et au droit au retour des nationaux mauriciens d’origine chagossienne42. L’archipel des Chagos est un trésor en matière de diversité des océans : il abrite entre 25 et 50 % des récifs coralliens de l’océan Indien qui sont encore en excellente santé et 18 espèces d’oiseaux nicheurs. Les poissons de récif corallien y sont six fois plus abondants que dans n’importe quel autre récif étudié dans la même zone maritime et les aires de nidification des tortues vertes et des tortues à écailles sont les plus vastes de la zone sud-ouest de l’océan Indien. L’aire marine protégée que propose Maurice vise à protéger ce milieu marin intact et la riche biodiversité qu’il abrite43.
IV. FAITS PERTINENTS : LES MEILLEURES DONNÉES SCIENTIFIQUES DISPONIBLES SUR LE CLIMAT
39. La principale fonction de la Cour dans l’exercice de sa compétence consultative consiste à donner un avis qui fera autorité sur l’interprétation et l’application du droit pour aider l’organe ou l’agence qui en fait la demande à exercer ses fonctions comme il convient44. Pour ce faire, la Cour doit appliquer le droit aux faits pertinents. En l’espèce, ces faits englobent l’ensemble des éléments de preuve scientifiques bien établis, dont la plupart sont largement connus depuis plusieurs dizaines d’années. La Cour doit prendre en considération la science et les effets sociaux et économiques associés et en confirmer le caractère central.
40. La Cour a été appelée à effectuer un exercice similaire dans des affaires précédentes, telle celle relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, dans laquelle elle a examiné « quantité de documents ... d’ordre factuel et scientifique » ainsi que des preuves par expertise pour déterminer s’il y avait eu manquement à des obligations conventionnelles45. Elle a souligné la nécessité de « soup[eser] et évaluer » les données elles-mêmes, et non les interprétations divergentes qu’en faisaient les parties46. De même, en l’affaire relative à la Chasse à la baleine dans l’Antarctique, la Cour a examiné avec attention un nombre considérable d’éléments de preuve scientifiques, y compris des preuves par expertise47.
42 Le tribunal arbitral constitué en application de l’annexe VII de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer (ci-après, la « CNUDM ») a conclu (à l’unanimité) que l’aire marine protégée que le Royaume-Uni affirmait avoir créée en 2010 avait été établie en violation des obligations qui incombent à cet État en vertu du paragraphe 3 de l’article 2, du paragraphe 2 de l’article 56 et du paragraphe 4 de l’article 194 de la CNUDM. Voir : Sentence arbitrale relative au différend entre Maurice et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant l’aire marine protégée des Chagos,18 mars 2015.
43 United Nations Ocean Conference 2022, Side Event: Protecting the Chagos Archipelago: Towards SDG-14 – Sustainability and Self-Determination Through a New Marine Protected Area, accessible à l’adresse suivante : https:// sdgs.un.org/sites/default/files/2022-07/IBZ_Protecting%20the%20Chagos%20Archipelago-Towards%20SDG-14%2C% 20Sustainability%20and%20Self-Determination%20Through%20a%20New%20Marine%20Protected%20Area.pdf (dernière consultation le 11 février 2024).
44 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136, par. 50.
45 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 14, par. 229.
46 Ibid., par. 236.
47 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon : Nouvelle-Zélande (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 226.
- 15 -
41. Maurice invite la Cour à procéder selon la même approche en la présente procédure : examiner avec attention les éléments de preuve scientifiques présentés par les États et les organisations participants, y compris ceux contenus dans la partie III du dossier préparé par le secrétariat de l’ONU48.
* *
42. Le cadre juridique international des changements climatiques est aujourd’hui principalement contenu dans la CCNUCC et l’accord de Paris. Ces instruments — dont il sera question à la section V.A ci-après — sont ancrés dans les données scientifiques sur le climat et représentent « les principaux mécanismes internationaux intergouvernementaux de négociation de l’action à mener, à l’échelle mondiale, face aux changements climatiques »49. Maurice figure parmi les premiers pays à avoir ratifié la CCUNCC le 4 septembre 199250 et l’accord de Paris le 22 avril 201651.
43. La CCNUCC reconnaît dans son préambule que les mesures permettant de comprendre les changements climatiques et d’y faire face auront une efficacité pour l’environnement et une efficacité sociale et économique maximales si elles se fondent sur les considérations scientifiques, techniques et économiques pertinentes et si elles sont constamment réévaluées à la lumière des nouveaux progrès réalisés dans ces domaines52. La CCNUCC se réfère aux données scientifiques comme base d’action dans toute une gamme de domaines53. L’accord de Paris demande expressément aux parties de prendre conjointement et séparément des mesures d’atténuation et d’adaptation conformément aux « meilleures données scientifiques disponibles »54.
44. Ainsi qu’on le verra à la section IV.B ci-après, les meilleures données scientifiques disponibles sur les menaces pesant sur le système climatique et d’autres composantes de l’environnement du fait des émissions anthropiques de GES, et les mesures nécessaires pour y faire face, sont clairement et indiscutablement connues. Maurice invite la Cour à le dire dans son avis consultatif.
48 Voir : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/187/187-20230630-req-05-01-en.pdf et https:// www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/187/187-20230630-req-05-02-en.pdf (dernière consultation le 16 février 2024).
49 Nations Unies, résolution 77/165 de l’Assemblée générale, 14 décembre 2022, préambule.
50 Nations Unies, collection des traités, état des traités, chapitre XXVII (environnement), no 7, CCNUCC, accessible à l’adresse suivante : https://treaties.un.org/pages/ViewDetailsIII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXVII-7& chapter=27&Temp=mtdsg3&clang=_fr (dernière consultation le 19 mars 2024).
51 Nations Unies, collection des traités, état des traités, chapitre XXVII (environnement), no 7.d, accord de Paris, accessible à l’adresse suivante : https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXVII-7-d&chapter=27&clang=_fr (dernière consultation le 19 mars 2024).
52CCNUCC, préambule, al. 16.
53 Voir par exemple, CCNUCC, art. 3, par. 3, art. 4, par. 1-2, art. 5, al. b), art. 6, al. a), point iv), art. 7, par. 2, al. b), art. 9 et 10, par. 2, al. a).
54 Accord de Paris, art. 4, par. 1, art. 7, par. 5 et art. 14, par. 1.
- 16 -
A. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)
45. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a été créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE)55. Le GIEC compte à ce jour 195 pays membres, dont Maurice. Il a pour mission
« d’évaluer, sans parti pris et de façon méthodique, claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine, cerner plus précisément les conséquences possibles de ce changement et envisager d’éventuelles stratégies d’adaptation et d’atténuation »56.
46. Le GIEC s’acquitte de sa mission en menant tous les 6-7 ans des cycles d’évaluation au cours desquels il examine des milliers d’articles scientifiques afin de fournir un résumé détaillé de l’état des connaissances sur les causes des changements climatiques, leurs répercussions et risques futurs, ainsi que sur les stratégies de parade. Au cours de chaque cycle d’évaluation, le GIEC publie une nouvelle série de rapports qui rendent compte des dernières avancées des sciences du climat. Les rapports et les conclusions du GIEC sont considérés par la communauté internationale, y compris par l’Assemblée générale des Nations Unies, comme faisant autorité en matière de sciences du climat57.
47. Le GIEC est organisé en trois groupes de travail et une équipe spéciale sur les inventaires nationaux de GES58. Il ne fait pas lui-même de la recherche mais analyse la littérature scientifique pertinente, s’appuyant sur des milliers de scientifiques et autres experts en tant qu’évaluateurs de leur domaine de spécialité.
48. Les rapports d’évaluation sont étudiés de manière approfondie par des experts et des gouvernements avant d’être acceptés ou adoptés par le groupe de travail correspondant ou par le GIEC en session plénière. Le processus d’examen obéit aux trois principes suivants :
« Tout d’abord, les rapports du GIEC doivent s’appuyer sur des données scientifiques et techniques de la meilleure qualité qui soit de façon à rendre compte des résultats scientifiques, techniques et socio-économiques les plus récents et à être aussi complets que possible. Ensuite, pour assurer la représentation d’experts indépendants (c’est-à-dire d’experts qui ne sont pas associés à la rédaction du chapitre considéré)
55 Nations Unies, résolution 43/53 de l’Assemblée générale, 6 décembre 1988, par. 5
(« Approuve la décision prise par l’Organisation météorologique mondiale et le Programme des Nations Unies pour l’environnement de créer conjointement un Groupe intergouvernemental de l’évolution du climat, qui fournira des évaluations scientifiques, coordonnées à l’échelle internationale, de l’ampleur, de la chronologie et des effets potentiels de l’évolution du climat sur l’environnement et sur les conditions socio-économiques et formulera des stratégies réalistes pour agir sur ces effets, et se déclare satisfaite des travaux déjà entrepris par le Groupe »).
56 Principes régissant les travaux du GIEC, texte approuvé lors de la quatorzième session, 1er octobre 1998, par. 2, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2018/09/ipcc_principles_fr.pdf (dernière consultation le 19 mars 2024).
57 Voir par exemple les résolutions de l’Assemblée générale 77/165 du 14 décembre 2022, 76/205 du 17 décembre 2021, 75/217 du 21 décembre 2020, 74/219 du 19 décembre 2019, 73/232 du 20 décembre 2018, 68/212 du 20 décembre 2013, 65/159 du 20 décembre 2010, 64/73 du 7 décembre 2009, 63/32 du 26 novembre 2008 et 62/86 du 10 décembre 2007.
58 Le groupe de travail I étudie les éléments scientifiques des changements climatiques, le groupe de travail II étudie les effets, la vulnérabilité et l’adaptation aux changements climatiques, le groupe de travail III étudie les moyens d’atténuer les changements climatiques. L’équipe spéciale a pour mission principale d’élaborer et d’améliorer une méthode de calcul et de rapport des émissions et des absorptions de GES à l’échelle nationale.
- 17 -
originaires de pays développés et en développement et de pays à économie de transition, il convient d’assurer une large diffusion visant à faire participer le plus grand nombre d’experts possible aux travaux du GIEC. Enfin, il importe que le processus d’examen soit objectif, ouvert et transparent »
59.
49. Les rapports sont synthétisés sous la forme d’un « Résumé à l’intention des décideurs » qui est examiné ligne par ligne par les représentants des pays membres lors des sessions plénières du GIEC.
B. Les meilleures données scientifiques disponibles sur le climat
50. Le dernier cycle d’évaluation du GIEC s’est ouvert en 2015 et a été clos en mars 2023 avec la publication du sixième rapport d’évaluation (ci-après, le « rapport AR6 »)60. À sa 43e session qui s’est tenue en avril 2016 à Nairobi, le GIEC a également décidé de publier trois rapports spéciaux pendant le sixième cycle d’évaluation :
a) le rapport spécial sur le réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les trajectoires associées d’émissions mondiales de GES (ci-après, le « rapport SR1.5 »)61 ;
b) le rapport spécial sur le changement climatique et les terres émergées62 ; et
c) le rapport spécial sur les océans et la cryosphère dans le contexte du changement climatique (ci-après, le « rapport SROCC »)63.
51. Les rapports du GIEC incluent des évaluations de « confiance » et de « probabilité » fondées sur la littérature scientifique la plus récente et la plus fiable64.
a) Confiance : évaluation qualitative d’un résultat fondée sur la nature, la quantité, la qualité et la concordance (c’est-à-dire la robustesse) des éléments probants disponibles et sur le degré de cohérence. La confiance s’accroît au fur et à mesure que la robustesse et le consensus scientifique
59 Principes régissant les travaux du GIEC, appendice A, p. 6, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/ site/assets/uploads/2018/09/ipcc-principles-appendix-a-final_fr.pdf (dernière consultation le 19 mars 2024).
60 Voir : https://www.ipcc.ch/assessment-report/ar6/#:~:text=During%20the%20sixth%20assessment%20cycle,to %20its%20latest%20Methodology%20Report (dernière consultation le 16 février 2024).
61 GIEC, réchauffement planétaire de 1,5 °C, rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les trajectoires associées d’émissions mondiales de gaz à effet de serre, dans le contexte du renforcement de la parade mondiale au changement climatique, du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, 2018, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/ 09/SR15_Summary_Volume_french.pdf (dernière consultation le 19 mars 2024) (ci-après, le « rapport SR1.5 »).
62 GIEC, changement climatique et terres émergées, rapport spécial du GIEC sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres, 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/ 4/2020/06/SRCCL_SPM_fr.pdf (dernière consultation le 17 février 2024).
63 GIEC, l’océan et la cryosphère dans le contexte du changement climatique, rapport spécial du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, 2019, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/assets/ uploads/sites/3/2020/07/SROCC_SPM_fr.pdf (dernière consultation le 17 février 2024) (ci-après, le « rapport SROCC »).
64 IPCC, “Guidance Note for Lead Authors of the IPCC Fifth Assessment Report on Consistent Treatment of Uncertainties” (2010), accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/2017/08/AR5_Uncertainty _Guidance_Note.pdf (dernière consultation le 16 février 2024).
- 18 -
se renforcent. Cinq qualificatifs sont utilisés pour exprimer les degrés de confiance : très faible, faible, moyen, élevé et très élevé.
b) Probabilité : évaluation probabiliste de la manifestation d’un événement ou d’un résultat : quasiment certain (probabilité de 99-100 %), très probable (90-100 %), probable (66-100 %), plus probable qu’improbable (> 50-100 %), à peu près aussi probable qu’improbable (33-66 %), improbable (0-33 %), très improbable (0-10 %) et exceptionnellement improbable (0-1 %).
52. Le GIEC évalue les futurs effets néfastes selon cinq scénarios illustratifs basés sur les trajectoires communes d’évolution socio-économique (ci-après, les « scénarios SSP », d’après shared socio-economic pathways en anglais). Les scénarios SSP1-1.9 et SSP1-2.6 prévoient, respectivement, des émissions de GES et de CO2 très faibles et faibles, réduites jusqu’au zéro net vers ou après 2050, suivies par des niveaux variables d’émissions de CO2 nettes négatives65. Le scénario SSP2-4.5 prévoit des émissions de CO2 maintenues à peu près à leurs niveaux actuels jusqu’au milieu du siècle. Les scénarios SSP3-7.0 et SSP5-8.5 prévoient, respectivement, des émissions de GES et de CO2 élevées et très élevées, équivalant plus ou moins à un doublement des niveaux actuels d’ici 2100 et 2050.
53. Le rapport de synthèse AR6 (ci-après, « le rapport AR6 SYR ») propose un résumé de l’état actuel des connaissances sur les changements climatiques et fait la synthèse des conclusions du rapport d’évaluation AR6 et de celles des rapports spéciaux. Ces éléments scientifiques probants sont pertinents pour :
a) l’évaluation des effets des changements climatiques sur le système climatique et d’autres composantes de l’environnement du fait des émissions anthropiques de GES ; et
b) la conception des mesures nécessaires face à la menace des changements climatiques, notamment par la réduction des émissions de GES.
1. Les émissions anthropiques de GES sont la cause du réchauffement de la planète
54. Les GES sont responsables du réchauffement de la planète parce qu’ils absorbent les rayonnements et piègent la chaleur dans l’atmosphère66. Lorsque la concentration des GES dans l’atmosphère augmente, la quantité d’énergie thermique piégée dans l’atmosphère et renvoyée vers la Terre s’accroît aussi, ce qui modifie le climat67. Les GES les plus courants sont le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et l’oxyde nitreux (N2O). D’autres sont moins répandus mais plus
65 Les scénarios illustratifs sont désignés sous la forme SSPx-y, où « x » renvoie à la trajectoire commune d’évolution socio-économique sur laquelle se base le scénario et « y » est le niveau de forçage radiatif approximatif exprimé en watts par mètre carré (W/m2).
66 GIEC, 2021 : annexe VII glossaire. In Changements climatiques 2021 : les éléments scientifiques. Contribution du groupe de travail I au sixième rapport d’évaluation, p. 2232 (« Effet de serre : Effet radiatif de tous les constituants de l’atmosphère qui absorbent le rayonnement infrarouge. Les gaz à effet de serre (GES), les nuages et certains aérosols absorbent le rayonnement terrestre émis par la surface de la Terre et ailleurs dans l’atmosphère »). Accessible à l’adresse suivante : Annex VII: Glossary (ipcc.ch), https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/downloads/report/IPCC_AR6_ WGI_Glossary_French.pdf (dernière consultation le 17 février 2024) (ci-après, le « glossaire WGI »).
67 Ibid.,
(« [l]’augmentation de la concentration de GES accroît cet effet ; cette différence est parfois appelée effet de serre renforcé. Le changement de concentration des GES découlant d’émissions anthropiques entraîne un forçage radiatif instantané. La surface terrestre et la troposphère se réchauffent en réponse à ce forçage, rétablissant graduellement l’équilibre radiatif au sommet de l’atmosphère »).
- 19 -
puissants, par exemple les hydrofluorocarbones, les hydrocarbures perfluorés, les chlorofluorocarbones et l’hexafluorure de soufre
68.
55. Il existe des éléments de preuve scientifiques accablants et un consensus montrant que l’influence des êtres humains est la cause du réchauffement de l’atmosphère, des océans et des terres émergées. Au cours de la période comprise entre 2011 et 2020, la température à la surface du globe était supérieure de 1,09 °C à celle de la période allant de 1850 à 1900. Une grande partie de cette hausse (0,99 °C) a été observée au cours des deux premières décennies du XXIe siècle (degré de confiance élevé). L’augmentation de la température à la surface du globe entre 1850-1900 et 2010-2019 (1,07 °C) est due en grande majorité à l’activité humaine (probable)69.
56. Il ne fait aucun doute que les augmentations que l’on a observées dans les concentrations de GES bien mélangés générées depuis environ 1750 résultent des émissions de GES provenant des activités humaines (degré de confiance élevé)70. En 2019, les émissions nettes mondiales de GES d’origine anthropique étaient de 54 % supérieures à celles de 2010, et constituées principalement d’émissions de CO2 issues de la combustion des combustibles fossiles et des processus industriels, dont l’augmentation est également la plus rapide, suivies par celles de méthane (degré de confiance élevé). Cependant, « les contributions au fil du temps au volume mondial d’émissions de CO2 varient considérablement d’une région à l’autre »71. Tandis que les 10 % des ménages qui produisent les émissions par habitant les plus élevées contribuent à hauteur de 34 à 45 % aux émissions mondiales de GES liées à la consommation, les 50 % les moins émetteurs n’y contribuent qu’à hauteur de 13 à 15 % (degré de confiance élevé)72. Collectivement, les pays du G20 sont responsables de 76 % des émissions mondiales, alors que les pays les moins avancés n’en produisent qu’à peine 3,8 % et les petits États insulaires en développement moins de 1 %73.
2. Des effets néfastes généralisés et considérables sur l’atmosphère, l’océan, la cryosphère et la biosphère
57. Les changements climatiques dus aux émissions anthropiques de GES ont eu des effets néfastes généralisés et importants sur l’atmosphère, l’océan, la cryosphère et la biosphère, notamment « des dommages considérables et des pertes de plus en plus irréversibles dans les écosystèmes terrestres, d’eau douce, cryosphériques, côtiers et de haute mer (degré de confiance élevé) »74.
68 IPCC, “Synthesis Report of the Sixth Assessment Report” (2023), Annex I (Glossary), accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_FullVolume.pdf (dernière consultation le 17 février 2024).
69Ibid., Summary for Policymakers, A.1.1, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/sixth-assessment-report-cycle/ (dernière consultation le 19 mars 2024) (ci-après, le « AR6 SYR »).
70 Ibid., par. A.1.3. L’expression « GES bien mélangé » est définie comme un GES dont
« la durée de vie dans l’atmosphère est suffisamment longue (plusieurs années au moins) pour être mélangé de manière homogène dans la troposphère et dont le rapport de mélange moyen à l’échelle du globe peut être déterminé à partir d’un réseau d’observations de surface. Pour de nombreux gaz à effet de serre bien mélangés, les mesures effectuées dans les régions éloignées diffèrent de la moyenne mondiale de moins de 15% ». Voir : glossaire WGI, p. 259.
71 AR6 SYR, A.1.5.
72 Ibid.
73 PNUE, rapport 2023 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, record battu, p. 6, accessible à l’adresse suivante : https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/43923/EGR2023_ ESFR.pdf?sequence=11 (dernière consultation le 19 mars 2024).
74 AR6 SYR, A.2.3.
- 20 -
58. Entre 1901 et 2018, le niveau moyen de la mer est monté de 0,2 mètre. La vitesse moyenne d’élévation du niveau de la mer était de 1,3 mm par an entre 1901 et 1971. Cette hausse est passée à 1,9 mm par an dans la période comprise entre 1971 et 2006 puis à 3,7 mm par an entre 2006 et 2018 (degré de confiance élevé)75. « Il est très probable que l’influence humaine ait été le facteur principal de ces hausses depuis 1971 au moins »76. Le GIEC note que « [l]es preuves des changements observés dans les phénomènes extrêmes tels que les vagues de chaleur, les fortes précipitations, les sécheresses et les cyclones tropicaux, et en particulier leur attribution à l’influence humaine » ont été « encore consolidées » depuis son cinquième cycle d’évaluation (degré de confiance élevé)77.
59. Les effets néfastes des changements climatiques ont touché et continueront de toucher de manière considérable, et disproportionnée, les États les moins avancés et les petits États insulaires en développement :
« Environ 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des environnements très vulnérables aux changements climatiques. La vulnérabilité des êtres humains et celle des écosystèmes sont interdépendantes. Les régions et les personnes soumises à des contraintes de développement importantes sont extrêmement vulnérables aux aléas climatiques. La multiplication des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes a exposé des millions de personnes à une insécurité alimentaire aiguë et à une sécurité de l’eau réduite, les effets néfastes les plus importants étant observés dans nombre de régions et communautés en Afrique, en Asie, en Amérique centrale et du Sud, [dans les pays les moins avancés], dans les petits États insulaires et en Arctique, et touchant partout dans le monde les peuples autochtones, les petits producteurs de denrées alimentaires et les ménages à faible revenu. Entre 2010 et 2020, la mortalité humaine due aux inondations, aux sécheresses et aux tempêtes a été 15 fois plus élevée dans les régions très vulnérables que dans les régions très peu vulnérables (degré de confiance élevé) »78.
60. Le GIEC a affirmé avec un degré de confiance élevé que « les changements climatiques ont réduit la sécurité alimentaire et compromis la sécurité hydrique »79. En particulier, le réchauffement et l’acidification des océans ont eu des effets néfastes sur la production alimentaire dans les secteurs de la pêche et de l’élevage de crustacés (degré de confiance élevé)80.
61. Les phénomènes climatiques et météorologiques extrêmes provoquent de plus en plus de déplacements de populations, et les petits États insulaires les subissent de manière disproportionnée par rapport à leur population peu nombreuse (degré de confiance élevé)81.
3. Les effets et les risques futurs
62. Concernant les effets et les risques futurs, le GIEC a affirmé ce qui suit :
75 Ibid., A.2.1.
76 Ibid.
77 Ibid.
78 Ibid., A.2.2 (la note de bas de page est omise).
79 Ibid., A.2.4.
80 Ibid.
81 Ibid., A.2.5.
- 21 -
« Le réchauffement planétaire continuera de progresser à court terme (entre 2021 et 2040) principalement du fait de l’augmentation des émissions cumulées de CO2 dans presque tous les scénarios envisagés et toutes les trajectoires modélisées. À court terme, il est plus probable qu’improbable que le réchauffement de la planète atteigne 1,5 °C même dans le scénario d’émissions de GES les plus faibles (SSP1-1.9) et il est probable ou très probable qu’il dépasse 1,5 °C dans des scénarios d’émissions plus élevées »82.
63. Selon la meilleure estimation, le réchauffement de la planète entre 2081 et 2100 sera compris entre 1,4 °C dans un scénario d’émissions de GES très faibles (SSP1-1,9) et 4,4 °C dans un scénario d’émissions de GES très élevées (SSP5-8.5)83.
64. Dans son rapport SR1.5, le GIEC constate qu’il y a un risque élevé de conséquences beaucoup plus dommageables si la hausse de la température dépasse 1,5 °C et que même une hausse de la température mondiale de 1,5 °C causera des dommages extrêmes84.
65. La poursuite des émissions de GES entraînera l’augmentation du réchauffement planétaire, ce qui provoquera une amplification des risques multiples et simultanés, notamment l’intensification du cycle de l’eau mondial, sa variabilité (temps très humide et temps très sec) et celle des phénomènes climatiques et saisonniers (degré de confiance élevé)85. Les mesures relevées dans les stations marégraphiques montrent que, du fait de l’élévation du niveau de la mer, « d’ici à 2100, dans plus de la moitié des cas, et dans tous les scénarios envisagés, des événements extrêmes du niveau de la mer qui se produisent actuellement une fois par siècle surviendront au moins une fois par an » (degré de confiance élevé)86. D’autres prévisions de changements au niveau régional prévoient l’intensification des cyclones tropicaux (que Maurice subit déjà, comme il a été indiqué au paragraphe 32 ci-dessus)87.
66. Concernant les aléas climatiques, le GIEC, dans son rapport de synthèse AR6 SYR, fait la conclusion suivante :
« À court terme, chaque région dans le monde devra probablement faire face à une nouvelle augmentation des aléas climatiques (degré de confiance moyen à élevé, selon la région et le risque), ce qui accroîtra les risques multiples pour les écosystèmes et les humains (degré de confiance très élevé). Au nombre des aléas et risques associés auxquels il faut s’attendre dans un futur proche figurent une augmentation de la mortalité et de la morbidité liées à la chaleur (degré de confiance élevé), ainsi qu’une augmentation des maladies d’origine alimentaire, hydrique et à transmission vectorielle (degré de confiance élevé) et des problèmes de santé mentale (degré de confiance très élevé), des inondations dans les zones côtières et dans les villes et régions de faible élévation (degré de confiance élevé), une perte de biodiversité dans les écosystèmes terrestres, d’eau douce et océaniques (degré de confiance moyen à très élevé, selon l’écosystème) et une baisse de la production alimentaire dans certaines régions (degré de confiance élevé). Les changements liés à la cryosphère qui ont une incidence sur les
82 Ibid., B.1.1 (la note de bas de page est omise).
83 Ibid., B.1.3.
84 GIEC, rapport SR1.5, résumé à l’intention des décideurs, B.1-6.3, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf (dernière consultation le 19 mars 2024).
85 AR6 SYR, B.1 et B.1.3.
86 Ibid., B.1.4.
87 Ibid.
- 22 -
inondations, les glissements de terrain et la disponibilité de l’eau peuvent avoir de graves conséquences pour les personnes, les infrastructures et l’économie dans la plupart des régions montagneuses (degré de confiance élevé). L’augmentation prévue de la fréquence et de l’intensité des fortes précipitations (degré de confiance élevé) entraînera un accroissement des inondations locales provoquées par la pluie (degré de confiance moyen) »
88.
67. On peut affirmer avec un degré de confiance élevé que l’élévation du niveau de la mer est déjà « inévitable pour les siècles, voire les millénaires à venir, en raison de la poursuite du réchauffement des eaux profondes des océans et de la fonte des calottes glaciaires, et que le niveau de la mer restera élevé pendant des milliers d’années »89. Il est prévu avec un degré de confiance moyen que, selon le scénario d’émissions SSP1-1.9, l’élévation probable du niveau moyen de la mer sera de 0,15 à 0,23 mètre d’ici à 2050 et de 0,28 à 0,55 mètre d’ici à 2100 (par rapport à 1995-2014). Selon le scénario d’émissions SSP5-8.5, le niveau moyen de la mer montera de 0,2 à 0,29 mètre d’ici à 2050 et de 0,63 à 1,01 mètre d’ici à 210090. Une élévation du niveau de la mer de cette ampleur constitue une menace existentielle pour de vastes étendues de Maurice et pour beaucoup d’autres petits États insulaires en développement.
4. L’atténuation et l’adaptation
68. Selon la définition donnée par le GIEC, l’atténuation des changements climatiques est l’« [i]ntervention humaine visant à réduire les émissions ou à renforcer les puits de gaz à effet de serre »91.
69. Le GIEC estime que « [d]es réductions importantes, rapides et soutenues des émissions de [GES] conduiraient à un ralentissement sensible du réchauffement planétaire en une vingtaine d’années, ainsi qu’à des changements visibles de la composition de l’atmosphère en quelques années » (degré de confiance élevé)92.
70. Le GIEC a étudié avec attention la possibilité de piéger du CO2 atmosphérique (c’est-à-dire éliminer du CO2), indiquant que cette option restait « entravée par de nombreux obstacles [sur le plan de la] faisabilité et de [la] durabilité » (degré de confiance élevé) mais que « [l]a plupart des mesures actuelles et potentielles d’élimination du CO2 pourraient avoir des impacts considérables sur les terres émergées, l’eau ou les nutriments si elles étaient mises en oeuvre à grande échelle » (degré de confiance élevé)93.
71. Le GIEC définit l’adaptation comme suit :
« Pour les systèmes humains, démarche d’ajustement au climat actuel ou attendu ainsi qu’à ses conséquences, visant à en atténuer les effets préjudiciables et à en
88 Ibid., B.2.1 (la note de bas de page est omise).
89 Ibid. B.3.1.
90 Ibid.
91 Glossaire WGI, p. 244.
92 AR6 SYR, B.1.
93 GIEC, rapport SR1.5, résumé à l’intention des décideurs, par. C.3 et C.3.4, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf (dernière consultation le 19 mars 2024).
- 23 -
exploiter les effets bénéfiques. Pour les systèmes naturels, démarche d’ajustement au climat actuel ainsi qu’à ses conséquences ; l’intervention humaine peut faciliter l’adaptation des systèmes naturels au climat attendu et à ses conséquences »
94.
72. Des progrès ont été faits en matière de planification et de mise en oeuvre de l’adaptation, mais les mesures à cet égard restent « fragmentées, graduelles, limitées à un secteur précis et inégales d’une région à l’autre » (degré de confiance élevé)95. On constate aussi de plus en plus une maladaptation dans diverses zones et régions, ce qui a des effets particulièrement néfastes sur les groupes marginalisés et vulnérables96. Les disparités entre les coûts estimés de l’adaptation et les moyens financiers qui y sont réellement consacrés ne cessent de s’accroître (degré de confiance élevé)97. Si les sommes allouées au financement de l’action climatique ont augmenté, les flux financiers mondiaux actuellement dédiés à l’adaptation sont néanmoins « insuffisants et bloquent la mise en oeuvre des stratégies d’adaptation, notamment dans les pays en développement » (degré de confiance élevé)98. Le GIEC a relevé qu’un cycle vicieux risquait de s’installer s’agissant de l’écart qui existe actuellement en matière d’adaptation :
« Les effets néfastes des changements climatiques peuvent réduire la disponibilité des ressources financières en entraînant des pertes et des préjudices et en entravant la croissance économique nationale, ce qui multiplie encore les contraintes financières liées à l’adaptation, en particulier dans les pays en développement et les pays les moins avancés (degré de confiance moyen) »99.
73. Le GIEC estime avec un degré de confiance très élevé que « mettre en place des mesures d’atténuation fortes, rapides et durables et en accélérer la mise en oeuvre au cours de cette décennie limiterait les pertes et préjudices futurs liés aux changements climatiques pour l’homme et les écosystèmes »100. Il constate aussi que les « [i]ndividus jouissant d’un statut socio-économique élevé contribuent de manière disproportionnée aux émissions et sont les plus à même de réduire les émissions » (degré de confiance élevé)101. Toutefois, les stratégies d’adaptation qui pourraient être mises en place aujourd’hui avec efficacité seront de plus en plus limitées et de moins en moins efficaces à mesure que les émissions de GES continueront d’augmenter. On estime avec un degré de confiance élevé que, dans le cas d’un réchauffement planétaire supérieur à 1,5 °C,
« des écosystèmes tels que certains récifs coralliens d’eaux chaudes, les zones côtières humides, les forêts pluviales ainsi que les écosystèmes polaires et montagneux auront atteint ou dépassé les limites strictes de l’adaptation et, par voie de conséquence, certaines mesures d’adaptation écosystémiques perdront aussi de leur efficacité »102.
94 Glossaire WGI, p. 242.
95 AR6 SYR, A.3.1 et A.3.3.
96 Ibid., A.3.4.
97 Ibid., A.3.6.
98 Ibid.
99 Ibid.
100 Ibid., C.2.1. Dans son rapport SR1.5, le GIEC confirme que limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels suppose de réduire considérablement les émissions et d’effectuer des transitions rapides, radicales et sans précédent dans tous les secteurs (rapport SR1.5, résumé à l’intention des décideurs, C.2).
101 AR6 SYR, C.5.4.
102 AR6 SYR, B.4.2.
- 24 -
5. La baisse rapide du budget carbone
74. Le niveau de réduction des émissions de GES nécessaire pour atteindre l’objectif de température convenu au niveau international (voir les paragraphes 97 à103 plus loin) est calculé au moyen d’un budget carbone mondial. Pour chaque tranche de 1000 gigatonnes de CO2 (GtCO2) émis par les activités humaines, la température à la surface du globe augmente de 0,45 °C (la fourchette probable est comprise entre 0,27 °C et 0,63 °C). Selon les meilleures estimations du GIEC, le budget carbone mondial restant à partir du début de 2020 est de 500 GtCO2 pour une limitation du réchauffement à 1,5 °C avec une probabilité de réussite de 50 %103. Pour une limitation du réchauffement à 2 °C avec une probabilité de réussite de 67 %, le budget carbone mondial restant serait de 1150 GtCO2104.
75. Au sujet de la baisse envisagée du budget carbone mondial, le GIEC a calculé ce qui suit :
« Si les émissions annuelles de CO2 entre 2020 et 2030 restaient, en moyenne, au même niveau qu’en 2019, les émissions cumulées qui en résulteraient épuiseraient presque le budget carbone restant pour une limitation à 1,5 °C (probabilité de réussite de 50 %) et réduiraient de plus d’un tiers le budget carbone restant pour une limitation à 2 °C (probabilité de réussite de 67 %). Le volume estimé des émissions futures de CO2 produites par des infrastructures existantes de combustibles fossiles, sans réduction supplémentaire, dépasse déjà le budget carbone restant pour une limitation du réchauffement à 1,5 °C (probabilité de réussite de 50 %) (degré de confiance élevé). Le volume des émissions futures de CO2 cumulées prévues pour la durée de vie des infrastructures de combustibles fossiles existantes et planifiées, si les modes d’exploitation en vigueur sont maintenus, et sans réduction supplémentaire, correspond approximativement au budget carbone restant pour une limitation du réchauffement à 2 °C avec une probabilité de réussite de 83 % (degré de confiance élevé) »105.
76. Il s’ensuit que toutes les trajectoires modélisées au niveau mondial permettant de limiter le réchauffement à 1,5 °C, ou même à 2 °C, exigent « des réductions rapides, fortes et, dans la plupart des cas, immédiates des émissions [de GES] dans tous les secteurs au cours de cette décennie »106.
6. L’écart en matière d’émissions et l’écart en matière de production
77. Le GIEC a constaté ce qui suit :
« Il existe un “écart en matière d’émissions” important entre les émissions de GES mondiales à l’échéance 2030 associées à la mise en oeuvre des [contributions déterminées au niveau national] annoncées avant la COP 26 et celles correspondant aux trajectoires d’atténuation modélisées qui limitent le réchauffement à 1,5 °C (probabilité de réussite supérieure à 50 %) sans dépassement ou avec un dépassement limité, ou qui limitent le réchauffement à 2 °C (probabilité de réussite supérieure à 67 %) dans l’hypothèse d’une action immédiate (degré de confiance élevé). Cela rendrait probable un réchauffement de la planète supérieur à 1,5 °C au cours du XXIe siècle (degré de
103 Pour ne pas dépasser 1,5 °C avec une probabilité de réussite de 66 %, le budget carbone restant n’est que de 420 GtCO2. Voir : rapport SR1.5, résumé à l’intention des décideurs, C.1.3.
104 AR6 SYR, B.5.2.
105 Ibid., B.5.3 (les notes de bas de page sont omises).
106 Ibid., B.6.
- 25 -
confiance élevé). Les trajectoires d’atténuation modélisées au niveau mondial qui limitent le réchauffement à 1,5 °C (probabilité de réussite supérieure à 50 %) sans dépassement ou avec un dépassement limité, ou qui limitent le réchauffement à 2 °C (probabilité de réussite supérieure à 67%) dans l’hypothèse d’une action immédiate (degré de confiance élevé), impliquent de réduire fortement les émissions de GES au niveau mondial au cours de cette décennie (degré de confiance élevé) …
On prévoit que les politiques qui ont été mises en oeuvre jusqu’à la fin de l’année 2020 entraîneront des émissions mondiales de GES plus élevées en 2030 que celles envisagées par les [contributions déterminées au niveau national], ce qui indique un “écart de mise en oeuvre” (degré de confiance élevé). Sans un renforcement des politiques, on doit s’attendre à un réchauffement planétaire de 3,2 °C [2,2 à 3,5 °C] d’ici à 2100 (degré de confiance moyen) »107.
78. En novembre 2023, le PNUE a publié son quatorzième rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions108. Ces rapports annuels du PNUE font le bilan de la différence entre les émissions de GES prévues et ce qu’elles devraient être pour permettre d’éviter les pires effets des changements climatiques. Celui de 2023, intitulé « Record battu », commençait comme suit :
« La communauté mondiale est aujourd’hui témoin de l’accélération et de l’aggravation du réchauffement climatique, avec la multiplication des valeurs records. À l’heure de l’écriture de ce rapport, les températures journalières de la Terre ont déjà dépassé à 86 reprises les moyennes préindustrielles de plus de 1,5 °C [en 2023]. Le mois de septembre, en particulier, a été le plus chaud jamais enregistré, la température journalière moyenne dépassant celle du précédent record de 0,5 °C et s’établissant 1,8 °C au-dessus des moyennes préindustrielles. Ces records ont été accompagnés d’événements climatiques extrêmes et dévastateurs, qui, selon les avertissements du [GIEC], ne constitueraient pourtant qu’un pâle aperçu des phénomènes à venir. Les valeurs observées ne signifient pas que l’augmentation moyenne de la température mondiale a dépassé le seuil de 1,5 °C fixé par l’Accord de Paris puisque ce seuil correspond au réchauffement mondial moyen sur plusieurs décennies, mais l’enchaînement des records semble toutefois signaler que nous nous en approchons »109.
79. Maurice note que, depuis la publication de ce rapport en 2023, il a été établi que la température moyenne mondiale enregistrée sur la période de 12 mois comprise entre février 2023 et janvier 2024 a connu une hausse de 1,52 °C par rapport à la période pré-industrielle de 1850-1900110.
80. Dans son rapport de 2023, le PNUE relève que les émissions de GES mondiales ont augmenté de 1,2 % entre 2021 et 2022, atteignant un nouveau record avec 57,4 gigatonnes d’équivalent (Gt éq-CO2) rejetées. Les émissions de CO2 issues de la combustion d’énergies fossiles et des processus industriels, qui représentent près de deux tiers des émissions de GES actuelles, sont les principales causes de l’augmentation globale. Les émissions de méthane, d’oxyde nitreux et de
107 Ibid., A.4.3-4.4.
108 PNUE, rapport 2023 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, résumé analytique, accessible à l’adresse suivante : https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/43923/ EGR2023_ESFR.pdf?sequence=11 (dernière consultation le 17 février 2024).
109 Ibid., p. iv.
110 Voir par exemple, “Climate Graph of the Week: Critical 1.5°C threshold breached over 12-month period for the first time”, Financial Times (8 February 2024), accessible à l’adresse suivante : https://www.ft.com/content/8927424e-2828-4414-86b7-f3a991214288 (dernière consultation le 17 février 2024).
- 26 -
gaz fluorés, qui ont des pouvoirs de réchauffement plus élevés et qui sont responsables d’un quart des émissions actuelles de GES, sont en hausse rapide
111. Ce rapport de 2023 constate que, même dans le scénario le plus optimiste correspondant à la réalisation de toutes les contributions déterminées au niveau national conditionnelles et de tous les objectifs zéro émission nette, on estime à 66 % la probabilité de réussir à limiter le réchauffement de la planète à 2 °C d’ici la fin du siècle112.
81. En novembre 2023, le PNUE a publié son quatrième rapport sur la production de combustibles fossiles113. L’écart en matière de production est la différence entre la production de combustibles fossiles prévue par les États et les niveaux mondiaux de production qui permettraient de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C ou 2 °C. Ce rapport de 2023 révèle que « les gouvernements, dans leur ensemble, prévoient encore de produire en 2030 plus du double de combustibles fossiles que ce qui serait compatible avec une limitation du réchauffement à 1,5 °C »114. Il est également constaté dans le rapport que
« [l]’ensemble des plans et projections des gouvernements entraînerait une augmentation de la production mondiale de charbon jusqu’en 2030 et de la production mondiale de pétrole et de gaz au moins jusqu’en 2050, ce qui est en contradiction avec les engagements dans le cadre de l’accord de Paris »115.
Pour limiter le réchauffement à 1,5 °C, il faut que la production et la demande mondiales de charbon, de pétrole et de gaz « baissent rapidement et fortement entre maintenant et le milieu du siècle »116. Il est noté dans le rapport que
« [l]a poursuite de la production et de l’utilisation du charbon, du pétrole et du gaz n’est pas compatible avec un avenir sûr et vivable. Pour atteindre l’objectif zéro émission nette de CO2 d’ici à 2050, les gouvernements doivent s’engager à planifier et à mettre en oeuvre des réductions mondiales de la production de tous les combustibles fossiles ainsi que des mesures d’atténuation, et commencer dès maintenant »117.
82. En mai 2021, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié Net Zero by 2050 A Roadmap for the Global Energy Sector [Zéro émissions nettes d’ici 2050 : feuille de route à l’intention du secteur mondial de l’énergie], qui définit une trajectoire mondiale vers une réduction à zéro des émissions nettes d’ici à 2050, ce qui, compte tenu de l’écart en matière d’émissions, exige de « tous les gouvernements qu’ils renforcent substantiellement leurs politiques en matière énergétique et climatique et qu’ils les mettent en oeuvre avec succès »118. L’AIE indique qu’« en dehors des projets ayant déjà fait l’objet d’un engagement en 2021, [la] trajectoire [proposée] ne
111 PNUE, rapport 2023 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions, résumé analytique, accessible à l’adresse suivante : https://wedocs.unep.org/bitstream/handle/20.500.11822/43923/ EGR2023_ESFR.pdf?sequence=11 (dernière consultation le 17 février 2024), p. iv. Les émissions de gaz fluorés ont augmenté de 5,5 % entre 2021 et 2022.
112 Ibid., p. iv. Cependant, le PNUE note que « la réalisation des objectifs zéro émission nette est très incertaine ».
113 UNEP, Production Gap Report (2023), Executive Summary, accessible à l’adresse suivante : https://productiongap.org/wp-content/uploads/2023/11/PGR2023_ExecSum_web.pdf (dernière consultation le 17 février 2024).
114 UNEP, Production Gap Report (2023), p. 2.
115 Ibid.
116 Ibid., p. 4.
117 UNEP, Production Gap Report (2023), Main Report, p. 8.
118 IEA, “Net Zero by 2050: A Road map for the Global Energy Sector” (2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.iea.org/reports/net-zero-by-2050 (dernière consultation le 17 février 2024), p. 13.
- 27 -
prévoit aucun développement de nouveau champ pétrolier ou gazier, ni aucune mine nouvelle ou extension de mine de charbon »
119.
7. La nécessité urgente d’une action immédiate
83. Le GIEC ne cesse de rappeler dans son rapport de synthèse AR6 qu’il devient de plus en plus urgent de s’occuper des changements climatiques. Les preuves que l’on a des effets et des pertes et préjudices observés ainsi que des risques, de la vulnérabilité et des limites de l’adaptation à venir « démontrent qu’une action mondiale en faveur d’un développement résilient aux changements climatiques est plus urgente aujourd’hui qu’au moment de l’évaluation faite dans le rapport AR5 » (degré de confiance très élevé)120. Les « chances d’assurer à tous un avenir vivable et durable s’amenuisent rapidement » (degré de confiance très élevé)121. Le GIEC conclut comme suit :
« Si des mesures d’atténuation et d’adaptation efficaces et équitables ne sont pas prises d’urgence, les changements climatiques menaceront de plus en plus les écosystèmes, la biodiversité ainsi que les moyens de subsistance, la santé et le bien-être des générations actuelles et futures (degré de confiance élevé) …
Si des mesures d’atténuation et d’adaptation accélérée exhaustives et durables ne sont pas prises rapidement, les pertes et les préjudices continueront d’augmenter, y compris les effets néfastes prévus en Afrique, [dans les pays les moins avancés], dans les petits États insulaires en développement, en Amérique centrale et en Amérique du Sud, en Asie et en Arctique, et toucheront de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables (degré de confiance élevé) »122.
84. Ainsi que l’ont clairement dit le GIEC, le PNUE et d’autres organismes, plusieurs facteurs signalent la nécessité d’agir de toute urgence face aux changements climatiques. Ces facteurs sont les suivants :
a) L’ampleur des effets sur la vie humaine et non humaine, compte tenu des différences marquées que signifie à cet égard un réchauffement de 1,5 °C ou de 2 °C, comme l’indique clairement le rapport SR1.5123.
b) Le risque croissant que représentent les phénomènes extrêmes composés, où plusieurs dangers en interaction produisent de nouvelles sources de vulnérabilité aux aléas climatiques et aggravent le risque général (degré de confiance élevé). Ces phénomènes extrêmes sont notamment une fréquence accrue des vagues de chaleur et des sécheresses concomitantes (degré de confiance élevé), des conditions météorologiques propices aux incendies dans certaines régions (degré de confiance moyen) et des inondations combinées dans certains endroits (degré de confiance moyen)124.
c) La probabilité que de multiples risques climatiques interagissent avec des risques non climatiques, créant des risques composés et en cascade dans certains secteurs et régions.
119 Ibid., p. 21, 23 et 51.
120 AR6 SYR, C.1.1.
121 Ibid., C.1.
122 Ibid., C.1.3 et C.2.2 (la note de bas de page est omise).
123 GIEC, rapport SR1.5, résumé à l’intention des décideurs, B.1-6.3, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2019/09/IPCC-Special-Report-1.5-SPM_fr.pdf (dernière consultation le 19 mars 2024).
124 AR6 SYR, A.2.1, B.1.4, B.2 et B.2.3.
- 28 -
L’élévation du niveau de la mer et d’autres changements irréversibles continueront de se produire pendant des milliers d’années, à une vitesse qui dépendra des émissions futures (degré de confiance élevé)
125.
d) Le fait que même de faibles augmentations de température peuvent provoquer des changements extrêmes puisque certains effets et aléas n’évoluent pas de manière linéaire par rapport aux émissions, notamment les températures extrêmes (degré de confiance élevé), les précipitations extrêmes (degré de confiance élevé), les cyclones tropicaux (degré de confiance moyen) et l’aggravation des sécheresses dans certaines régions (degré de confiance moyen)126.
e) Le risque d’un dommage soudain et irréversible si des points de bascule climatiques sont franchis127. Le GIEC définit un point de bascule comme étant un « seuil critique au-delà duquel un système se réorganise, souvent de manière soudaine et/ou irréversible »128.
85. Compte tenu de tous les facteurs énumérés ci-dessus, de l’ampleur des dommages possibles, de la persistance des écarts en matière d’émissions et de production et du risque manifeste que représente le dépassement du plafond de température fixé comme objectif129, il est évident : a) que le monde n’est pas en passe d’atteindre les objectifs climatiques internationaux et b) qu’il se dirige vers des pertes, des préjudices et des perturbations massifs causés par les changements climatiques.
V. QUESTION A) : LES OBLIGATIONS DES ÉTATS
86. Les obligations des États de protéger l’environnement des émissions anthropiques de GES sont énoncées dans le droit international coutumier et ses principes généraux, et dans plusieurs traités, notamment la CCNUCC, l’accord de Paris, la Charte des Nations Unies, la CNUDM ainsi que dans les traités et instruments relatifs aux droits de l’homme.
A. Le cadre juridique international en matière de changements climatiques
1. L’approche de la Cour à l’égard des questions environnementales
87. La Cour est bien placée pour examiner les questions environnementales — et a depuis longtemps été sollicitée à cet effet. Dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur la question de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, elle a affirmé ce qui suit :
« [L]’environnement n’est pas une abstraction, mais bien l’espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de leur vie et leur santé, y compris pour les générations à venir. L’obligation générale qu’ont les États de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent l’environnement dans d’autres États ou dans des zones ne relevant d’aucune juridiction
125 Ibid., B.3.1.
126 IPCC, AR6, WGI, Chapter 11 (Weather and Climate Extreme Events in a Changing Climate), accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg1/chapter/chapter-11/ (dernière consultation le 19 mars 2024).
127 AR6 SYR, B.3.2.
128 Glossaire WGI, p. 273.
129 Dans le rapport AR6 SYR, il est noté (au paragraphe B.7) que « [l]e dépassement provoque des effets néfastes, pour certains irréversibles, et des risques supplémentaires pour les systèmes humains et naturels, qui, tous, s’aggravent en fonction de l’ampleur et de la durée du dépassement » (degré de confiance élevé). Voir aussi : AR6 SYR, figure SPM.5 (p. 22).
- 29 -
nationale fait maintenant partie du corps de règles du droit international de l’environnement »
130.
88. Dans l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros, la Cour a estimé que « les nouvelles connaissances acquises en matière d’environnement et les progrès du droit de l’environnement » ne pouvaient être considérées comme ayant « présenté un caractère complètement imprévu » et que le libellé de certaines dispositions du traité concerné, « conçu dans une perspective d’évolution », avait donc « mis les parties en mesure de tenir compte de ces développements et de les appliquer lorsqu’elles [auraient] exécut[é] ces dispositions conventionnelles »131.
89. Dans sa jurisprudence environnementale de plus en plus nombreuse, dont il sera question plus loin, la Cour confirme « toute l’importance que le respect de l’environnement revêt à son avis, non seulement pour les États mais aussi pour l’ensemble du genre humain »132.
2. La CCNUCC et l’accord de Paris
90. La CCNUCC a été adoptée à New York le 9 mai 1992 et est entrée en vigueur le 21 mars 1994. Elle bénéficie d’une adhésion quasi universelle, ayant été ratifiée par 198 États, notamment par tous les États Membres de l’ONU et de l’Union européenne. La CCNUCC note que la majeure partie des gaz à effet de serre émis dans le monde par le passé et à l’heure actuelle ont leur origine dans les pays développés133.
91. En son article 7, la CCNUCC crée une Conférence des Parties (dite la « COP »)134 qui agit aussi comme réunion des Parties à l’accord de Paris135. Depuis l’adoption de la CCNUCC, il y a eu 28 COP, dont la plus récente (la COP 28) s’est tenue à Dubaï du 30 novembre au 12 décembre 2023.
92. L’accord de Paris a été adopté le 12 décembre 2015 à la COP 21 qui se tenait dans la ville qui lui a donné son nom et est entré en vigueur le 4 novembre 2016. Il bénéficie aussi d’une adhésion quasi universelle, ayant été ratifié par 194 États parties et par l’Union européenne.
93. Lorsqu’elles ont adopté l’accord de Paris pour renforcer la riposte mondiale à la menace pressante des changements climatiques, les parties ont insisté avec une « vive préoccupation » sur le fait qu’il était urgent de combler l’écart significatif entre l’effet global des engagements d’atténuation qu’elles avaient pris s’agissant des émissions annuelles mondiales de GES jusqu’à 2020 et les profils d’évolution des émissions globales compatibles avec la poursuite de l’objectif de température fixé dans l’accord de Paris (voir plus loin les paragraphes 98 à 104). Elles ont également reconnu qu’il
130 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 241-242, par. 29.
131 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 64-65, par. 104.
132 Ibid., par. 53.
133 CCNUCC, préambule, al. 3.
134 Ibid., art. 7, par. 2.
135 Accord de Paris, art. 16, par. 1.
- 30 -
faudrait « fortement réduire » les émissions mondiales pour atteindre l’objectif ultime de la CCNUCC et de l’accord de Paris
136, qui est défini comme suit :
« L’objectif ultime de la présente Convention et de tous instruments juridiques connexes que la Conférence des Parties pourrait adopter est de stabiliser, conformément aux dispositions pertinentes de la Convention, les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Il conviendra d’atteindre ce niveau dans un délai suffisant pour que les écosystèmes puissent s’adapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d’une manière durable »137.
94. Pris ensemble, la CCNUCC et l’accord de Paris définissent des mesures minimales que les parties doivent prendre pour atteindre cet objectif. La CCNUCC impose aux parties l’obligation de « préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives »138.
95. L’expression « système climatique » est définie au sens large, comme un ensemble englobant « l’atmosphère, l’hydrosphère, la biosphère et la géosphère, ainsi que leurs interactions »139.
3. Les obligations spécifiques au regard de la CCNUCC et de l’accord de Paris
96. Les obligations fondamentales découlant de la CCNUCC et de l’accord de Paris sont les suivantes :
a) L’obligation d’atteindre l’objectif de température convenu
97. L’accord de Paris est expressément formulé pour renforcer la riposte à la menace pressante des changements climatiques140. Lorsqu’ils ont adopté cet accord, les États ont reconnu que
« les changements climatiques représentent une menace immédiate et potentiellement irréversible pour les sociétés humaines et la planète et qu’ils nécessitent donc la coopération la plus large possible de tous les pays ainsi que leur participation dans le cadre d’une riposte internationale efficace et appropriée, en vue d’accélérer la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre,
136 CCNUCC, Conférence des Parties, 21e session, adoption de l’accord de Paris, 12 décembre 2015, préambule, al. 6 et 9, FCCC/CP/2015/L.9/Rev.1, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/doc/ undoc/ltd/g15/283/20/pdf/g1528320.pdf?token=xBpuA9JoLgMlaYrHGm&fe=true (dernière consultation le 16 février 2024).
137 CCNUCC, art. 2.
138 Ibid., art. 3, par. 1.
139 Ibid., art. 1, par. 3.
140 Accord de Paris, art. 2.
- 31 -
[et qu’]il faudra fortement réduire les émissions mondiales pour atteindre l’objectif ultime de la [CCNUCC] et … qu’il est urgent de faire face aux changements climatiques »141.
98. Les parties à l’accord de Paris reconnaissent expressément la nécessité d’une « riposte … efficace et progressive à la menace pressante des changements climatiques [qui soit fondée] sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles »142.
99. Les parties ont également affirmé qu’elles ont adopté l’accord de Paris, parce qu’elles étaient « [s]oucieuses d’atteindre l’objectif de la [CCNUCC], et guidées par ses principes, y compris le principe de l’équité et des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales »143.
100. Au paragraphe 1 de son article 2, l’accord de Paris fixe un objectif de température consistant à contenir la hausse moyenne de la température de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels tout en « poursuivant l’action menée » pour limiter l’augmentation à 1,5 °C, sachant que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques144. Cet objectif de température est une déclinaison spécifique de l’objectif de la CCNUCC consistant à prévenir des changements climatiques dangereux145. Par conséquent, les actions prises par les parties doivent s’inspirer des trajectoires et scénarios spécifiques présentés par le GIEC comme indispensables pour atteindre l’objectif de température, compte tenu du budget carbone mondial. Le dépassement de ce budget risque de causer des dommages irréversibles au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement146. Ne pas tenir compte de cet objectif et ne pas lui donner effet est incompatible avec l’accord de Paris et exposerait un État partie au risque de responsabilité, avec les obligations qui en découlent.
101. Selon les meilleures données scientifiques disponibles, il est indispensable de limiter la hausse de la température planétaire à 1,5 °C pour prévenir des changements climatiques dangereux147. Dans son rapport SR1.5, le GIEC a confirmé que
« [l]es risques liés au climat auxquels sont exposés les systèmes naturels et humains sont plus élevés [avec] un réchauffement planétaire de 1,5 °C [qu’ils ne le sont] à
141 COP 21, décision 1/CP.21 « Adoption de l’accord de Paris », préambule, cinquième et sixième alinéas.
142 Accord de Paris, préambule, al. 4.
143 Ibid., préambule, al.3.
144 Ibid., art. 2, par. 1, point a).
145 CCNUCC, art. 2.
146 Voir : AR6 SYR, B.3.2 : « [l]a probabilité et les effets de changements soudains et/ou irréversibles du système climatique, y compris les changements déclenchés par le franchissement de points de bascule, augmentent avec la poursuite du réchauffement de la planète (degré de confiance élevé) ».
147 Dans son rapport SROCC (par. B.6), le GIEC a mis en avant les risques liés aux scénarios d’émissions fortes :
« Les risques d’impacts graves sur la biodiversité, la structure et la fonction des écosystèmes côtiers seront plus grands avec les températures plus élevées liées aux scénarios d’émissions fortes, que dans les scénarios de baisses d’émissions, au XXIe siècle et au-delà … Les coraux d’eau chaude sont déjà exposés à un risque élevé et le passage à un risque très élevé surviendrait même si le réchauffement planétaire était contenu à 1,5 °C (degré de confiance très élevé) ».
- 32 -
présent, mais moins élevés qu[’avec] un réchauffement de 2 °C (degré de confiance élevé) »
148.
« Il serait possible d’éviter un plus grand nombre d’impacts du changement climatique sur le développement durable, l’éradication de la pauvreté et la réduction des inégalités si le réchauffement planétaire était limité à 1,5 °C plutôt qu’à 2 °C, en tirant profit au maximum des synergies en matière d’atténuation et d’adaptation et en réduisant autant que possible les risques d’effets indésirables (degré de confiance élevé) »149.
102. Pour atteindre l’objectif de température, l’accord de Paris a instauré les contributions déterminées au niveau national. Chaque partie « établit, communique et actualise » les CDN successives qu’elle prévoit de réaliser et prend des mesures internes d’atténuation pour la période allant jusqu’à la fin de 2030, en vue d’atteindre les objectifs desdites contributions150.
103. Maurice a présenté ses CDN au secrétariat de la CCNUCC le 6 juin 2023. Ce document contenait les politiques et les mesures décrites aux paragraphes 35 à 37 plus haut (entre autres).
b) L’obligation d’agir en se fondant sur les meilleures données scientifiques disponibles
104. La CCNUCC constate que « l’activité humaine a augmenté sensiblement les concentrations de [GES] dans l’atmosphère », que cette augmentation renforce l’effet de serre naturel, qu’il en résulte un réchauffement et des effets néfastes sur les écosystèmes naturels et l’humanité151. Ainsi qu’on l’a vu à la section IV plus haut, les meilleures données scientifiques disponibles en 2024 confirment cette conclusion. Selon la science, il ne fait aucun doute que l’activité humaine a contribué aux changements climatiques, que ces changements sont en cours et qu’ils causeront des dommages significatifs à l’humanité et à l’environnement.
105. Ainsi qu’il a été expliqué aux paragraphes 43 et 44 plus haut, la CCNUCC et l’accord de Paris ont expressément reconnu que la science est essentielle pour éclairer les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de GES. Les parties à la CCNUCC et à l’accord de Paris se sont engagées à s’attaquer aux causes et aux effets des changements climatiques en se fondant sur les « meilleures connaissances scientifiques disponibles »152. L’accord de Paris
148 GIEC, rapport SR1.5, A.3.
149 Ibid., D.2.
150 Accord de Paris, art. 4, par. 2. Les CDN doivent correspondre au « niveau d’ambition le plus élevé possible » des parties, lesquelles doivent notamment : « cherche[r] à parvenir au plafonnement mondial des émissions de [GES] dans les meilleurs délais » en vue d’atteindre l’objectif de température énoncé au point a) du paragraphe 1 de l’article 2 étant entendu que « le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties » , et « opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles » (art. 4, par. 1) ; « pren[dre] des mesures internes pour l’atténuation » en vue de réaliser les objectifs desdites contributions (art. 4, par. 2), adopter des mesures d’adaptation (art. 7), fournir des ressources financières aux pays en développement parties (art. 9) et contribuer à améliorer les aptitudes et les capacités des pays en développement parties et des petits États insulaires en développement, notamment par le déploiement de technologies et l’accès à des moyens de financement de l’action climatique (art. 11).
151 CCNUCC, préambule, al. 2.
152 Accord de Paris, préambule, al. 4 (« Reconnaissant la nécessité d’une riposte efficace et progressive à la menace pressante des changements climatiques en se fondant sur les meilleures connaissances scientifiques disponibles »). Voir aussi : accord de Paris, art. 4, par. 1, et art. 7, par. 5) ; CCNUCC, préambule, seizième alinéa
- 33 -
exige aussi des parties qu’elles coopèrent en vue « d’améliorer les connaissances scientifiques sur le climat, y compris la recherche, l’observation systématique du système climatique et les systèmes d’alerte précoce, d’une manière qui soutienne les services climatiques et appuie la prise de décisions »
153.
c) L’obligation de réduire les émissions
106. C’est pour répondre à la nécessité urgente de combler l’écart en matière d’émissions (décrit aux paragraphes 77 à 80 plus haut) et d’atteindre l’objectif de température énoncé au point a) du paragraphe 1 de l’article 2 de l’accord de Paris qu’est établi le calendrier de l’atténuation au paragraphe 1 de l’article 4 dudit instrument. Il s’agit de parvenir
« au plafonnement mondial des émissions de [GES] dans les meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties, et [d’]opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de [GES] au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté »154.
107. Les mesures prévues dans le cadre des CDN doivent appuyer et rendre possibles les fortes réductions nécessaires pour parvenir au plafonnement des émissions de GES et à des émissions nettes nulles. À cette fin, l’accord de Paris insiste particulièrement sur le caractère d’urgence et la nécessité d’accroître le niveau d’ambition, compte tenu des écarts actuels en matière d’émissions et de production et des conséquences désastreuses sur la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement si l’objectif de température n’était pas respecté, sans parler des effets catastrophiques que cela aurait sur la société humaine. Les parties ont expressément convenu que chacune de leurs CDN représentera une progression par rapport à la précédente et correspondra au niveau d’ambition le plus élevé possible de chaque pays, en fonction de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales155.
d) L’obligation d’évaluer les effets des activités projetées sur le système climatique
108. La CCNUCC et l’accord de Paris imposent aux parties l’obligation d’évaluer les effets néfastes sur le système climatique des activités qu’elles se proposent de mener, ainsi que les effets potentiels des mesures d’atténuation et d’adaptation. Ils exigent notamment que les parties « [t]iennent compte, dans la mesure du possible, des considérations liées aux changements
(« Conscientes que les mesures permettant de comprendre les changements climatiques et d’y faire face auront une efficacité pour l’environnement et une efficacité sociale et économique maximales si elles se fondent sur les considérations scientifiques, techniques et économiques appropriées et si elles sont constamment réévaluées à la lumière des nouveaux progrès réalisés dans ces domaines »).
Voir aussi : CCNUCC, art. 4, par. 2, al. c) (« Il conviendra que le calcul, aux fins de l’alinéa b, des quantités de gaz à effet de serre émises par les sources et absorbées par les puits s’effectue sur la base des meilleures connaissances scientifiques disponibles »). La CCNUCC souligne le fait que l’absence de « certitude scientifique absolue » ne doit pas servir de prétexte pour différer l’adoption de mesures de précaution pour faire face à des « perturbations graves ou irréversibles » (CCNUCC, art. 3, par. 3).
153 Accord de Paris, art. 7, par. 7, al. c).
154 Ibid., art. 4, par. 1.
155 Accord de Paris, art. 4, par. 3.
- 34 -
climatiques », en recourant, par exemple, à « des études d’impact, formulées et définies sur le plan national, pour réduire au minimum les effets ... préjudiciables … des projets ou mesures qu’elles entreprennent en vue d’atténuer les changements climatiques ou de s’y adapter »
156.
109. Chaque partie doit aussi entreprendre « des processus de planification de l’adaptation » selon qu’il convient, et notamment procéder à « l’évaluation des effets des changements climatiques et de la vulnérabilité à ces changements en vue de formuler des mesures prioritaires déterminées au niveau national, compte tenu des populations, des lieux et des écosystèmes vulnérables »157.
e) L’obligation en matière d’adaptation
110. L’accord de Paris fixe l’objectif mondial en matière d’adaptation qui consiste à accroître la résilience aux changements climatiques et à réduire la vulnérabilité à ces changements, en vue de contribuer au développement durable158. Il y est spécifiquement fait mention « des besoins urgents et immédiats des pays en développement Parties qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques »159. La CCNUCC et l’accord de Paris disposent expressément qu’un appui doit être fourni aux États en développement et aux États vulnérables160. Ainsi qu’il a été expliqué à la section III.A plus haut, Maurice fait partie de ces pays particulièrement vulnérables aux changements climatiques, spécialement en raison de l’élévation du niveau de la mer, de l’érosion des côtes, des phénomènes climatiques extrêmes et de la raréfaction de l’eau.
111. L’adaptation inclut le renforcement de la résilience aux catastrophes liées au climat. À cet égard, le cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030) — approuvé par l’Assemblée générale161 — constate que de nombreuses catastrophes sont « exacerbées par les changements climatiques » et « ne cessent de croître en fréquence et en intensité »162. L’un des principes directeurs qui y sont énoncés est que « [c]haque État est responsable au premier chef de la prévention et de la réduction des risques de catastrophe »163. Le cadre d’action de Sendai appelle à « redoubler d’efforts pour atténuer le degré d’exposition et la vulnérabilité » et à prendre des mesures plus résolues qui « ciblent particulièrement les facteurs de risque sous-jacents », notamment les changements climatiques164.
f) Les obligations en matière de flux financiers et de technologie
112. La reconnaissance de l’importance des flux financiers dans la lutte contre les changements climatiques constitue un élément central de l’accord de Paris165. Les parties sont tenues de s’assurer que les flux financiers sont compatibles avec une trajectoire de réduction des émissions
156 CCNUCC, art. 4, par. 1, al. f).
157 Accord de Paris, art. 7, par. 9, al. c).
158 Ibid., par. 1.
159 Ibid., par. 2.
160 Accord de Paris, art. 7, par. 2, 3, 6, 7, 13 et art. 9.
161 Nations Unies, résolution 69/283 de l’Assemblée générale, 23 juin 2015.
162 Cadre d’action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe (2015-2030), par. 4 (ci-après, le « cadre d’action de Sendai »), accessible à l’adresse suivante : https://www.unisdr.org/files/43291_frenchsendaiframework fordisasterris.pdf (dernière consultation le 26 février 2024).
163 Cadre d’action de Sendai, par. 19, al. a).
164 Ibid., par. 6.
165 Accord de Paris, art. 2, par. 1, al. c).
- 35 -
et un développement résilient aux changements climatiques
166. Les pays développés parties doivent fournir « des ressources financières pour venir en aide aux pays en développement Parties aux fins tant de l’atténuation que de l’adaptation dans la continuité de leurs obligations au titre de la Convention »167. Cet apport financier accru devrait « viser à parvenir à un équilibre entre l’adaptation et l’atténuation » qui tienne compte, entre autres, des besoins des pays en développement parties qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques, notamment les petits États insulaires en développement168. À cette fin, les pays développés parties sont tenus de communiquer tous les deux ans « des informations quantitatives et qualitatives à caractère indicatif » sur les ressources financières à accorder aux pays en développement parties169. Le GIEC a clairement dit que « pour atteindre les objectifs climatiques, il faudrait multiplier plusieurs fois le financement de l’adaptation comme de l’atténuation »170.
113. Il est probable que des flux financiers incompatibles avec une trajectoire de réduction des émissions et un développement résilient aux changements climatiques accroissent le risque de dommages catastrophiques au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement s’ils servent à prolonger la production de combustibles fossiles et à pérenniser les émissions futures de GES.
114. L’accord de Paris énonce des obligations de financement tant positives que négatives, comme l’a rappelé en 2018 le Comité permanent du financement :
« Il importe de veiller à la compatibilité des flux financiers dans leur ensemble (et les stocks de capitaux), comme le dispose l’article 2, paragraphe 1, point c) de l’accord de Paris. Cela ne signifie pas que tous les flux financiers doivent permettre d’atteindre des résultats explicitement bénéfiques pour le climat, mais qu’ils doivent réduire la probabilité de résultats négatifs »171.
115. Les parties à l’accord de Paris ont pris note des « besoins des pays en développement parties », soulignant qu’ils « sont actuellement estimés à 5 800-5 900 milliards de dollars [des États-Unis] pour la période s’achevant en 2030 »172. Elles ont mis en avant que
« les besoins de financement des pays en développement en matière d’adaptation sont estimés à 215-387 milliards de dollars E.-U. par an jusqu’en 2030, et qu’environ 4 300 milliards de dollars E.-U. par an doivent être investis dans les énergies propres jusqu’en 2030, puis 5 000 milliards de dollars E.-U. par an jusqu’en 2050, afin de parvenir à des émissions nettes nulles d’ici à 2050 »173.
166 Ibid. et art. 9.
167 Ibid.
168 Accord de Paris, art. 9, par. 4.
169 Ibid., par. 5.
170 AR6 SYR, C.7.
171 CCNUCC, Summary and recommendations by the Standing Committee on Finance on the 2018 Biennial Assessment and Overview of Climate Finance Flows, par. 49, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/sites/ default/files/resource/51904%20-%20UNFCCC%20BA%202018%20-%20Summary%20Final.pdf (dernière consultation le 17 mars 2024).
172 CCNUCC, Premier bilan mondial, FCCC/PA/CMA/2023/L.17, 13 décembre 2023, par. 67, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/sites/default/files/resource/cma2023_L17F.pdf (dernière consultation le 19 février 2024) (ci-après, le « premier bilan mondial »)
173 Premier bilan mondial, par. 68.
- 36 -
Or, en 2021, le financement de l’action climatique provenant des pays développés parties n’avait atteint que 89,6 milliards de dollars des États-Unis174. Les pays développés parties ont été exhortés à « agir de toute urgence pour atteindre pleinement l’objectif des 100 milliards de dollars par an, et ce, jusqu’en [2025], dans l’optique de mesures concrètes d’atténuation et d’une mise en oeuvre transparente »175. Les parties ont aussi reconnu la nécessité urgente de soutenir et d’accélérer la mise en oeuvre des CDN des États, en fixant un nouvel objectif chiffré collectif pour le financement de l’action climatique176.
116. Cet important déficit du financement de l’action climatique entrave la mise en oeuvre de mesures d’atténuation et d’adaptation concrètes et efficaces par les petits États insulaires en développement et d’autres États vulnérables. Par exemple, 6,5 milliards de dollars des États-Unis sont nécessaires à Maurice pour mettre pleinement en oeuvre ses CDN, ce qui représente plus de 40 % de son produit intérieur brut177. Maurice a pu mobiliser 2,5 milliards de dollars américains mais il lui en faudra encore 4 de plus178. Tous les autres petits États insulaires en développement et les pays en développement vulnérables affrontent des défis similaires. Les 100 milliards de dollars des États-Unis promis à la COP 15 tenue à Copenhague en 2009 se font toujours attendre. Comme ce montant n’est plus suffisant pour lutter contre la menace des changements climatiques, il est urgent d’ajuster en conséquence le financement nécessaire, en fixant le nouvel objectif chiffré collectif pour le financement de l’action climatique.
g) L’obligation de protéger et de développer des puits
117. L’accord de Paris dispose que les parties doivent prendre des mesures pour conserver et, le cas échéant, renforcer les puits et réservoirs de GES, notamment ceux mentionnés à l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 4 de la CCNUCC, à savoir la biomasse, les forêts et les océans ainsi que les autres écosystèmes terrestres, côtiers et marins179. Nous reviendrons plus en détail sur cette obligation lorsque nous examinerons les obligations correspondantes prévues par la CNUDM, au paragraphe 145 et au point e) du paragraphe 152 ci-après.
174 Ibid., par. 76.
175 Ibid., par. 85.
176 Ibid., par. 94.
177 En février 2024, le Fonds monétaire international a calculé que le produit intérieur brut de Maurice s’élevait à 16,11 milliards de dollars. Voir : https ://www.imf.org/external/datamapper/profile/MUS/WEO (dernière consultation le 21 février 2024). Il convient de noter que Maurice ne considère pas que le produit intérieur brut par habitant constitue l’unique mesure du niveau de développement d’un pays et elle a appelé les institutions financières internationales et les partenaires de développement à utiliser l’indice de vulnérabilité multidimensionnelle élaboré par l’ONU comme outil permettant d’intégrer davantage la vulnérabilité des petits États insulaires en développement dans leurs prises de décision. Voir : Statement of the Hon. Pravind Kumar Jugnauth, Prime Minister of Mauritius, at the 78e Session of the UN General Assembly (22 September 2023), p. 5, accessible à l’adresse suivante : https ://pmo.govmu.org/Documents/Speeches/ GA78 %20-%20Mauritius%20Statement.pdf (dernière consultation le 21 février 2024).
178 Statement of the Hon. Pravind Kumar Jugnauth, Prime Minister of Mauritius, at the 78th Session of the UN General Assembly (22 September 2023), p. 5, accessible à l’adresse suivante : https://pmo.govmu.org/Documents/ Speeches/GA78%20-%20Mauritius%20Statement.pdf (dernière consultation le 21 février 2024).
179 Selon l’article premier de la CCNUCC, on entend par « puits » « tout processus, toute activité ou tout mécanisme, naturel ou artificiel, qui élimine de l’atmosphère un gaz à effet de serre, un aérosol ou un précurseur de gaz à effet de serre ».
- 37 -
h) Les responsabilités communes mais différenciées et les capacités respectives
118. Aux termes du paragraphe 2 de son article 2, l’accord de Paris doit être appliqué « conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales »180.
119. La CCNUCC et l’accord de Paris reconnaissent expressément que les petits États insulaires en développement et les pays en développement sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques et font face à des difficultés spécifiques au moment de prendre des mesures pour limiter les GES181. La CCNUCC précise qu’il convient de « tenir pleinement compte » des « besoins spécifiques et de la situation spéciale » des pays en développement, notamment ceux qui sont particulièrement vulnérables et auxquels la convention « imposerait une charge disproportionnée ou anormale »182.
120. Selon l’accord de Paris, toutes les parties sont tenues de prendre les mesures énoncées au paragraphe 1 de l’article 4, mais il existe des différences entre les obligations imposées aux pays développés et celles imposées aux pays en développement, notamment en ce qui concerne le plafonnement des émissions (paragraphe 1 de l’article 4), l’adoption des objectifs de réduction des émissions (paragraphe 4 de l’article 4) et les ressources financières (paragraphe 1 de l’article 9). Selon la CCNUCC, les pays développés doivent prendre des mesures supplémentaires et fournir des ressources financières afin de permettre aux pays en développement de procéder à une réduction des émissions de GES et de les aider à s’adapter aux effets néfastes des changements climatiques183.
121. Conformément au cadre et aux principes établis au paragraphe 1 de l’article 3 de la CCNUCC184, il appartient aux pays développés parties à l’accord de Paris de « continuer de montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus à l’échelle de l’économie »185. Les pays en développement parties doivent quant à eux « continuer d’accroître leurs efforts d’atténuation » et sont « encouragés à passer progressivement à des objectifs de réduction ou de limitation des émissions à l’échelle de l’économie eu égard aux différentes situations nationales »186.
180 Accord de Paris, art. 2, par. 2.
181 Accord de Paris, préambule, al. 5. Voir aussi : art. 4, par. 6 (« Les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement peuvent établir et communiquer des stratégies, plans et mesures de développement à faible émission de gaz à effet de serre correspondant à leur situation particulière ».) Voir aussi : CCNUCC, préambule, al. 19.
182 CCNUCC, art. 3, par. 2.
183 Les États parties figurant à l’annexe I de la CCNUCC sont des pays industrialisés qui étaient membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 1992, plus des États à économie en transition, dont la Fédération de Russie, les États baltes et plusieurs États d’Europe centrale et orientale. Les États parties figurant à l’annexe II de la CCNUCC sont les membres de l’OCDE figurant à l’annexe I, à l’exclusion des parties à économie en transition. Voir en outre : https ://unfccc.int/parties-observers# (dernière consultation le 19 février 2024).
184 CCNUCC, art. 3, par. 1 :
« Il incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient, en conséquence, aux pays développés parties d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes ».
185 Accord de Paris, art. 4, par. 4.
186 Ibid.
- 38 -
i) L’obligation de remédier aux pertes et préjudices
122. Les rapports du GIEC font clairement apparaître que les changements climatiques sont déjà la cause de pertes et de préjudices considérables. Les parties à l’accord de Paris reconnaissent à l’article 8 la nécessité d’éviter les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques, de les réduire au minimum et d’y remédier, ainsi que le rôle joué par le développement durable dans la réduction du risque de pertes et préjudices187.
123. Dans leur décision relative à l’adoption de l’accord de Paris, les parties ont convenu que l’article 8 « ne [pouvait] donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation »188. Il faut cependant de noter qu’un certain nombre d’entre elles ont fait des déclarations à l’effet de dire que la ratification de l’accord de Paris n’emportait pas renonciation aux droits reconnus par le droit international. En particulier, certains États, dont les petits États insulaires en développement, ont déclaré que cette ratification n’impliquait pas de renoncer aux droits auxquels ils peuvent prétendre en vertu des règles de la responsabilité de l’État concernant les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques189.
124. Maurice est d’avis que les règles de la responsabilité de l’État sont pleinement applicables aux pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques, ainsi qu’il sera expliqué à la section VI plus loin. En particulier, Maurice prie la Cour de confirmer que la ratification de l’accord de Paris est sans préjudice de ses droits au regard du droit relatif à la responsabilité de l’État et ne constitue pas une renonciation à ces droits.
4. La COP 28 : le premier bilan mondial
125. En son article 14, l’accord de Paris demande à la COP de procéder à un « bilan mondial », d’abord en 2023, puis tous les cinq ans. Dans le premier bilan mondial, réalisé à la COP2 8, il est constaté à plusieurs reprises qu’il est « urgen[t] d’agir face à la crise climatique » et qu’« en dépit des progrès globaux accomplis concernant l’atténuation, l’adaptation et les moyens de mise en oeuvre et d’appui, les Parties prises collectivement ne sont pas en passe de réaliser l’objet de l’Accord de Paris et d’atteindre ses buts à long terme »190. La Conférence des Parties s’y déclare « vivement préoccupée par le fait que 2023 [allait] être l’année la plus chaude jamais enregistrée et que les effets des changements climatiques s’accélèrent rapidement, et souligne la nécessité d’agir d’urgence et de fournir un appui pour que l’objectif de 1,5 °C reste atteignable »191.
126. Les parties se disent également « alarmée[s] et profondément préoccupée[s] » par les conclusions du GIEC selon lesquelles « [l]es activités humaines ont incontestablement provoqué, principalement par les [GES] qu’elles émettent, un réchauffement de la planète d’environ 1,1 °C »192. Elles s’engagent à « accélérer les efforts en cette décennie cruciale, sur la base des meilleures
187 Accord de Paris, article 8, paragraphe 1. Des mesures sont prises, dans le cadre du Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques, pour répondre aux problèmes, notamment la préparation aux situations d’urgence et la résilience des collectivités. Il y a en outre le plan de mise en oeuvre de Charm el-Cheikh adopté à la COP 27 en 2022.
188 COP 21, décision 1/CP.21 « Adoption de l’accord de Paris », par. 5[1].
189 Voir, par exemple, les déclarations des Îles Cook, de la Micronésie, de Nauru, de Nioué, des Philippines, des Îles Salomon et des Tuvalu, accessibles à l’adresse suivante : https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx ?src= TREATY&mtdsg_no=XXVII-7-d&chapter=27&clang=_en#1 (dernière consultation le 17 mars 2024).
190 Premier bilan mondial, par. 1-2.
191 Ibid., par. 5.
192 Ibid., par. 14-15.
- 39 -
données scientifiques disponibles »
193. Elles notent avec préoccupation que la mise en oeuvre des CDN actuelles réduirait les émissions de seulement 2 % en moyenne par rapport au niveau de 2019 et que « des réductions d’émissions nettement plus importantes sont nécessaires » pour s’aligner sur l’objectif de température fixé dans l’accord de Paris194. Dans le bilan mondial, il est demandé aussi que « des mesures d’adaptation urgentes, progressives, transformationnelles et impulsées par les pays soient prises eu égard aux différentes situations nationales »195.
127. Au vu de la nécessité de réduire les GES « nettement, rapidement et durablement », les parties ont été appelées — selon des modalités déterminées au niveau national, et compte tenu des différentes situations nationales — à, entre autres :
a) opérer une transition « juste, ordonnée et équitable vers une sortie des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques, en accélérant l’action pendant cette décennie critique, afin d’atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050, conformément aux données scientifiques » ;
b) accélérer les efforts pour cesser progressivement de produire de l’électricité à partir de charbon sans dispositif d’atténuation ;
c) éliminer progressivement et dès que possible les subventions inefficaces aux combustibles fossiles qui ne permettent pas de lutter contre la pauvreté énergétique ou d’assurer des transitions justes ; et
d) tripler les capacités de production d’énergies renouvelables au niveau mondial196.
B. La Charte des Nations Unies et la pratique récente du Conseil de sécurité
128. Les obligations spécifiques imposées aux États par la CCNUCC, l’accord de Paris et les instruments connexes doivent être interprétées et appliquées dans le contexte des obligations que leur fait la Charte des Nations Unies. Dans le préambule de la CCNUCC, il est rappelé que les parties,
« conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, ... ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l’environnement dans d’autres États ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale »197.
129. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 2 de la Charte, les États Membres de l’ONU « donnent à [l’Organisation] pleine assistance dans toute action entreprise par elle » conformément aux dispositions de la Charte198. L’article 55 leur demande de favoriser, entre autres, « la solution des problèmes internationaux dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes »199. En application de l’article 56, tous « s’engagent ... à agir, tant conjointement que séparément » en coopération avec l’Organisation en vue d’atteindre ce but.
193 Ibid., par. 6.
194 Ibid., par. [21].
195 Ibid., par. 51.
196 Ibid., par. 28, al. d).
197 CCNUCC, préambule.
198 Charte des Nations Unies, art. 2, par. [5].
199 Charte des Nations Unies, art. 55, par. b.
- 40 -
130. Ainsi qu’il a été dit au paragraphe 12 plus haut, l’Assemblée générale a été saisie de questions portant sur les changements climatiques depuis au moins 1988 et a, depuis cette date, elle adopté presque chaque année des résolutions sur la « sauvegarde du climat mondial pour les générations présentes et futures ».
131. Maurice est d’avis que les effets néfastes des changements climatiques — tant actuels que futurs — démontrés par les meilleures données scientifiques disponibles englobent des « problèmes … dans les domaines économique, social, de la santé publique et autres problèmes connexes » au sens de l’article 55 de la Charte. Les obligations qui incombent aux États Membres de protéger le système climatique et d’autres composantes de l’environnement incluent donc celle d’agir tant conjointement que séparément, conformément à l’article 56 de la Charte, et celle de donner à l’Organisation pleine assistance comme le prévoit le paragraphe [5] de son article 2.
132. Dans son rapport AR6, le GIEC constate en ces termes l’existence de plus en plus manifeste d’un lien entre les changements climatiques et les conflits :
« Les aléas climatiques sont de plus en plus une cause de migrations et de déplacements involontaires (degré de confiance élevé) et contribuent aux conflits violents (degré de confiance élevé) »200.
« Le lien entre l’augmentation des températures et des sécheresses et le risque de conflit en Afrique apparaît de manière de plus en plus évidente (degré de confiance élevé) »201.
« Sans être la seule cause … les changements climatiques compromettent les moyens de subsistance et la sécurité des êtres humains, parce qu’ils exacerbent la vulnérabilité des populations, les griefs et les tensions politiques par tout un ensemble de voies indirectes — parfois non linéaires — et amplifient ainsi l’insécurité humaine et le risque de conflit violent »202.
133. En même temps, le GIEC constate aussi avec un degré de confiance élevé que les conflits — et leurs effets, notamment la pauvreté, les déplacements, la mauvaise gouvernance et la pénurie de ressources limitée — amplifient la vulnérabilité face aux changements climatiques203. Il a conclu avec un degré de confiance moyen que « les risques posés à la paix augmenteront avec le réchauffement et devraient toucher plus particulièrement les communautés sensibles aux variations
200 AR6, Chapter 7, p. 1044 accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/downloads/report/ IPCC_AR6_WGII_Chapter07.pdf (dernière consultation le 19 février 2024).
201 AR6, Chapter 9, p. 1292, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/downloads/ report/IPCC_AR6_WGII_Chapter09.pdf (dernière consultation le 19 février 2024).
202 AR6, Chapter 18, p. 2673, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/downloads/ report/IPCC_AR6_WGII_Chapter18.pdf (dernière consultation le 19 février 2024).
203 AR6 SYR (Full Volume), p. 51, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/ report/IPCC_AR6_SYR_FullVolume.pdf (dernière consultation le 19 février 2024). Voir aussi : AR6, chapitre 8, p. 1183, accessible à l’adresse suivante : https ://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/downloads/report/IPCC_AR6_WGII_Chapter08.pdf (dernière consultation le 20 février 2024)
(« Les populations dont le sort suscite des inquiétudes, qui sont extrêmement vulnérables aux effets des changements climatiques et qui ont une capacité d’adaptation limitée, sont celles qui ont été déplacées et réinstallées lors d’un conflit ou d’une catastrophe, que ce soit à l’intérieur d’un pays ou en dehors des frontières (Burrows et Kinney, 2016) »).
- 41 -
météorologiques, peu résilientes aux phénomènes climatiques extrêmes et où prédominent des facteurs de risque sous-jacents »
204.
134. Le 7 décembre 2022, par sa résolution 77/104, l’Assemblée générale a pris acte avec satisfaction des principes sur la protection de l’environnement en rapport avec les conflits armés, dans lesquels la Commission du droit international (CDI) confirme que les conflits armés peuvent avoir des conséquences environnementales graves, y compris des changements climatiques205.
135. Le Conseil de sécurité a lui aussi constaté dans des résolutions l’existence d’un lien évident entre la paix et la sécurité internationales et les changements climatiques. En 2017, dans la résolution 2349, il déclarait ainsi
« [avoir] conscience des effets néfastes des changements climatiques et écologiques, entre autres facteurs, sur la stabilité de la région [du bassin du lac Tchad], notamment de la rareté de l’eau, la sécheresse, la désertification, la dégradation des sols et l’insécurité alimentaire, et soulign[ait] que face à ces facteurs, il import[ait] que les gouvernements et les organismes des Nations Unies adoptent des stratégies appropriées d’évaluation et de gestion des risques »206.
136. Le 11 septembre 2009, le Secrétaire général a présenté à l’Assemblée générale un rapport dans lequel il constatait l’interaction entre la vulnérabilité humaine et la sécurité207.
137. Dans son rapport, le Secrétaire général identifie cinq facteurs susceptibles de favoriser l’incidence des changements climatiques sur la sécurité :
« a) La vulnérabilité : les changements climatiques menacent la sécurité alimentaire et la santé humaine et accroissent l’exposition des hommes aux phénomènes extrêmes.
b) Le développement : si les changements climatiques entraînent un ralentissement, voire le recul du développement, cela exacerbera la vulnérabilité des populations et pourrait entamer la capacité des États de maintenir la stabilité.
c) L’impact de l’adaptation sur la sécurité : la migration, la concurrence pour les ressources naturelles et les autres mécanismes d’adaptation des ménages et des
204 AR6, Chapter 16, p. 2465, accessible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/downloads/ report/IPCC_AR6_WGII_Chapter16.pdf (dernière consultation le 20 février 2024). Voir aussi : AR6 SYR, B.1.7
(« Si les facteurs non climatiques sont les principales causes favorisant les conflits internes violents qui existent actuellement, dans certaines régions étudiées, les phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes ont eu eux aussi une certaine incidence sur la durée, la gravité ou la fréquence de ces conflits, quoique le lien statistique soit faible (niveau de confiance moyen) »).
205 Nations Unies, résolution 77/104 de l’Assemblée générale, 7 décembre 2022.
206 Nations Unies, résolution 2349 du Conseil de sécurité, 31 mars 2017. Voir aussi la résolution du Conseil de sécurité 2625 du 15 mars 2022 :
« Constatant les effets néfastes des changements climatiques, des changements écologiques et des catastrophes naturelles, entre autres, sur la situation humanitaire et la stabilité au Soudan du Sud, soulignant qu’il importe que le Gouvernement sud-soudanais et l’Organisation des Nations Unies élaborent des stratégies globales d’évaluation et de gestion des risques afin de mieux définir les programmes relatifs à ces phénomènes, et prenant note de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques et de l’Accord de Paris ».
207 Présenté conformément à la résolution 63/281 de l’Assemblée générale en date du 11 juin 2009, p. 2.
- 42 -
collectivités qui font face à des menaces liées au climat sont susceptibles d’accroître les risques de conflit intérieur et d’avoir des répercussions internationales.
d) L’apatridie : lorsque le territoire d’un État disparaît, celui-ci perd son statut d’État, ce qui peut avoir des implications pour les droits, la sécurité et la souveraineté.
e) Un conflit international : l’incidence des changements climatiques sur les ressources internationales partagées ou sur celles qui ne font l’objet d’aucune délimitation peut avoir des implications sur le plan de la coopération internationale »208.
138. Le Secrétaire général note en particulier que l’élévation du niveau de la mer pourrait « rendre des zones entières inhabitables » et que « plus d’un tiers de la population mondiale vit en zones côtières à moins de 100 kilomètres du littoral »209. Il relève que
« [l]’élévation du niveau de la mer présente peut-être la menace ultime en matière de sécurité pour certains petits États insulaires en développement, parce qu’elle met en péril l’existence même de petits pays de faible élévation comme les Maldives, dont 80 % de la superficie se situe à moins d’un mètre au-dessus du niveau de la mer et pourrait donc disparaître au cours des 30 prochaines années »210.
139. Ainsi qu’il a été dit au paragraphe 23 plus haut, on retrouve dans de vastes régions de Maurice, notamment sur l’ensemble de l’archipel des Chagos, des conditions géographiques très similaires à celles qui prévalent aux Maldives. Cela est également vrai dans bien d’autres petits États insulaires en développement. L’existence de ce risque très réel de submersion a été concrétisée, par exemple, dans un amendement que les Tuvalu ont apporté à leur Constitution en septembre 2023, pour préserver leur statut d’État au cas où ils perdraient tout leur territoire : « L’État de Tuvalu, dans son cadre historique, culturel et juridique, continuera toujours d’exister à l’avenir, nonobstant les effets des changements climatiques ou d’autres causes qui entraîneraient la disparition du territoire physique de Tuvalu »211.
208 Nations Unies, Assemblée générale, les changements climatiques et leurs répercussions éventuelles sur la sécurité, rapport du Secrétaire général, A/64/350, 11 septembre 2009, accessible à l’adresse suivante : https://documents. un.org/doc/undoc/gen/n09/509/47/pdf/n0950947.pdf?token=xJYaD66c4LEv1hDU4F&fe=true (dernière consultation le 13 février 2024).
209 Ibid., p. 12.
210 Ibid., par. 71 (la note de bas de page est omise).
211 Constitution de Tuvalu de 2023, article 2 1), accessible à l’adresse suivante : https://tuvalu-legislation.tv/ cms/images/LEGISLATION/PRINCIPAL/1986/1986-0001/ConstitutionofTuvalu_2.pdf (dernière consultation le 19 février 2024).
- 43 -
140. À la fin de l’année 2023, le Conseil de sécurité avait déjà adopté au moins 45 résolutions portant sur différents aspects des répercussions des changements climatiques sur la paix et la sécurité212.
141. Maurice considère que le lien entre les changements climatiques et les conflits est clairement établi. Les effets néfastes des changements climatiques accroissent la probabilité des conflits, et les conflits augmentent la vulnérabilité aux effets des changements climatiques. En application de l’article 24 de la Charte des Nations Unies, le Conseil de sécurité doit examiner les risques posés par les changements climatiques et y répondre dans le contexte de sa responsabilité principale de maintien de la paix et de la sécurité internationales. En vertu de l’article 25 de la Charte, tous les États Membres doivent accepter et appliquer les décisions du Conseil de sécurité.
C. La convention des Nations Unies sur le droit de la mer
142. Maurice garde à l’esprit que le TIDM est actuellement saisi d’une demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international concernant les obligations des parties à la CNUDM face aux effets néfastes des émissions anthropiques de GES, et en ce qui concerne la protection et la préservation du milieu marin contre effets des changements climatiques213.
143. Toutefois, Maurice a aussi conscience que la demande d’avis consultatif portée devant la Cour par l’Assemblée générale fait spécifiquement référence à la CNUDM (ainsi qu’à d’autres instruments et principes juridiques)214. La protection du milieu marin contre les changements climatiques et leurs conséquences est un sujet de préoccupation commun que l’on retrouve dans la CCNUCC, dans l’accord de Paris et dans la CNUDM.
1. L’intégration systémique et l’interprétation harmonisée
144. Maurice fait observer que les principes qui seront énoncés ci-après sont également pertinents dans le contexte de la relation entre toutes les branches du droit international telles qu’identifiées dans la demande d’avis consultatif. Ainsi qu’il sera expliqué plus loin, la CNUDM énonce des obligations spécifiques visant à assurer la protection du milieu marin, y compris contre
212 Résolutions du Conseil de sécurité 2717 du 19 décembre 2023, 2709 du 15 novembre 2023, 2705 du 31 octobre 2023, 2702 du 30 octobre 2023, 2692 du 14 juillet 2023, 2687 du 27 juin 2023, 2682 du 30 mai 2023, 2674 du 30 janvier 2023, 2666 du 20 décembre 2022, 2659 du 14 novembre 2022, 2657 du 31 octobre 2022, 2646 du 28 juillet 2022, 2640 du 29 juin 2022, 2631 du 26 mai 2022, 2628 du 31 mars 2022, 2625 du 15 mars 2022, 2618 du 27 janvier 2022, 2612 du 20 décembre 2021, 2592 du 30 août 2021, 2587 du 29 juillet 2021, 2584 du 29 juin 2021, 2579 du 3 juin 2021, 2576 du 27 mai 2021, 2568 du 12 mars 2021, 2567 du 12 mars 2021, 2561 du 29 janvier 2021, 2556 du 18 décembre 2020, 2552 du 12 novembre 2020, 2540 du 28 août 2020, 2531 du 29 juin 2020, 2524 du 3 juin 2020, 2520 du 29 mai 2020, 2502 du 19 décembre 2019, 2499 du 15 novembre 2019, 2480 du 28 juin 2019, 2472 du 31 mai 2019, 2461 du 27 mars 2019, 2457 du 27 février 2019, 2448 du 13 décembre 2018, 2431 du 30 juillet 2018, 2429 du 13 juillet 2018, 2423 du 28 juin 2018, 2408 du 27 mars 2018, 2349 du 31 mars 2017, 2242 du 13 octobre 2015.
213 Demande d’avis consultatif soumise par la Commission des petits États insulaires sur le changement climatique et le droit international, accessible à l’adresse suivante : https://www.itlos.org/fr/main/affaires/role-des-affaires/demande-davis-consultatif-soumise-par-la-commission-des-petits-etats-insulaires-sur-le-changement-climatique-et-le-droit-internat ional-demande-davis-consultatif-soumise-au-tribunal/ (dernière consultation le 20 février 2024).
214 Maurice rappelle qu’il lui sera peut-être nécessaire de modifier son exposé écrit dans la présente procédure à la lumière de l’avis consultatif que rendra le TIDM (ibid.).
- 44 -
les émissions de GES qui relèvent pleinement de la pollution telle que définie à l’alinéa 4 du paragraphe 1 de l’article premier de la convention
215.
145. La CCNUCC et l’accord de Paris, en traitant de la menace générale dont risquent de souffrir « les écosystèmes naturels et l’humanité », se soucient aussi directement de la protection du milieu marin216. L’accord de Paris note dans son préambule qu’il importe de veiller à l’intégrité de tous les écosystèmes, y compris les océans. Au paragraphe 1 de son article 5, il demande aux parties de prendre des mesures pour conserver et, le cas échéant, renforcer les puits et réservoirs de GES (comme le demande aussi l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 4 de la CCNUCC), ce qui inclut les océans ainsi que les écosystèmes côtiers et marins217.
146. Dans sa partie XII, la CNUDM traite spécifiquement de la protection et de la préservation du milieu marin. L’article 237 stipule précise que cette partie est sans préjudice des accords qui « peuvent être conclus en application des principes généraux énoncés dans la Convention »218. En outre, « [l]es États s’acquittent des obligations particulières qui leur incombent en ce qui concerne la protection et la préservation du milieu marin en vertu de conventions spéciales d’une manière compatible avec les principes et objectifs généraux de la Convention »219. Ces dispositions indiquent que, dans le contexte d’un régime postérieur qui a des objectifs communs et qui est directement pertinent pour la protection du milieu marin ce qui est le cas de la CCNUCC et de l’accord de Paris , il faut partir d’une approche intégrée qui maximise l’efficacité et la cohérence des deux régimes.
147. Aux fins de l’avis consultatif demandé en l’espèce, étant donné que les objectifs et les règles des deux régimes (CCNUCC/accord de Paris et CNUDM) coïncident partiellement, il est
215 Compte tenu des meilleures données scientifiques disponibles concernant les effets dommageables des GES sur le climat, y compris sur le milieu marin, il est évident que les émissions de GES relèvent de la définition de la pollution énoncée à l’alinéa 4) du paragraphe 1 de l’article premier de la CNUDM. La mention de l’introduction, directe ou indirecte, par l’homme, « de substances ou d’énergie dans le milieu marin, ... lorsqu’elle a ou peut avoir des effets nuisibles tels que dommages aux ressources biologiques et à la faune et la flore marines » couvre les effets des changements climatiques, notamment l’acidification des océans, le blanchissement des coraux et la désoxygénation. La mention dans ce même alinéa de « risques pour la santé de l’homme, entrave aux activités maritimes, y compris la pêche et les autres utilisations légitimes de la mer, altération de la qualité de l’eau de mer du point de vue de son utilisation et dégradation des valeurs d’agrément » couvre également les effets des changements climatiques sur les stocks de poisson, les inondations côtières, l’élévation du niveau de la mer et la multiplication des phénomènes extrêmes tels que les cyclones. Le paragraphe 1 de l’article 194 de la CNUDM impose aux parties de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin, « quelle qu’en soit la source ». Il convient aussi de noter que la partie XII couvre la pollution d’origine tellurique (article 207), la pollution par les navires (art. 211) ou la pollution d’origine atmosphérique ou transatmosphérique (article 212). Ces dispositions et d’autres contenues dans cette même partie concernent directement les émissions de GES (voir, par exemple, art. 213 et 222).
216 CCNUCC, préambule.
217 Cela a été récemment réaffirmé dans le bilan mondial de la COP 28 qui « [i]nvite les Parties à préserver et à restaurer les océans et les écosystèmes côtiers et à intensifier, selon qu’il convient, les mesures d’atténuation axées sur les océans » (bilan mondial, par. 35).
218 CNUDM, art. 237, par. 1.
219 CNUDM, art. 237, par. 2. Il convient aussi de noter que le paragraphe 2 de l’article 311 précise que la convention ne modifie en rien les droits et obligations des États parties qui découlent d’autres traités compatibles avec elle et qui ne portent atteinte ni à la jouissance par les autres États parties des droits qu’ils tiennent de la convention, ni à l’exécution de leurs obligations découlant de celle-ci.
- 45 -
nécessaire de suivre une approche d’intégration systémique
220. Bien que les deux régimes n’aient pas le même objet, on y retrouve le même souci de protection du milieu marin contre les changements climatiques221. Cette communauté d’intérêts plaide en faveur d’une relation basée sur l’intégration systémique et l’interprétation harmonisée, garantissant que la protection du système climatique soit envisagée par la Cour de manière cohérente et efficace.
2. Les obligations spécifiques imposées par la CNUDM
148. L’obligation de protéger et de préserver le milieu marin est un principe fondamental de la CNUDM, consacré aux articles 192 et 193 et mentionné au quatrième paragraphe du préambule222 :
a) L’article 192 impose l’obligation « de protéger et de préserver le milieu marin ».
b) L’article 193 dispose que « [l]es États ont le droit souverain d’exploiter leurs ressources naturelles selon leur politique en matière d’environnement et conformément à leur obligation de protéger et de préserver le milieu marin ».
c) L’article 194 exige des États qu’ils prennent, séparément ou conjointement, toutes les mesures qui sont nécessaires pour « prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin, quelle qu’en soit la source » et « pour que les activités relevant de leur juridiction ou de leur contrôle le soient de manière à ne pas causer de préjudice par pollution à d’autres États et à leur environnement »223.
149. Les États parties à la CNUDM doivent prendre les mesures positives appropriées pour protéger et préserver le milieu marin, compte tenu de l’objectif mondial d’adaptation fixé par l’accord de Paris, notamment en réduisant les facteurs de perturbation non climatiques tels que la surpêche et le ruissellement côtier, et en assurant la gestion et la défense des zones côtières. Cela implique de prendre en considération les effets des changements climatiques dans la désignation d’aires marines protégées (question particulièrement pertinente pour Maurice qui se propose d’établir une aire marine protégée autour de l’archipel des Chagos : voir le paragraphe 38 plus haut).
150. Comme la CCNUCC et l’accord de Paris, la CNUDM fait obligation aux États parties de prendre en considération et de mettre en application les meilleures données scientifiques disponibles,
220 CDI, fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, par. 17 et 18, 28 juillet 2006, accessible à l’adresse suivante : https://legal.un.org/ilc/documentation/french/ a_cn4_l702.pdf (dernière consultation le 24 février 2024). Le principe de la lex posteriori énoncé à l’article 30 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités soulève la question de savoir si les traités en question sont « successifs » au sens de ce principe, puisque la CNUDM est considérée comme étant de caractère constitutionnel et que la CCNUCC est une convention-cadre, développée et renforcée par l’accord de Paris.
221 La CNUDM et la CCNUCC/accord de Paris ont toutes les deux un rôle à jouer dans la protection du milieu marin contre les changements climatiques. Dans la mesure où le principe de lex specialis s’applique, la CNUDM devrait être considérée comme la lex specialis pour la protection du milieu marin, alors que la CCNUCC/l’accord de Paris est la lex specialis pour la prévention des changements climatiques dangereux. Le principe de la lex posteriori énoncé à l’article 30 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités soulève la question de savoir si les traités en question sont « successifs » au sens de ce principe, puisque la CNUDM est considérée comme étant de caractère constitutionnel et que la CCNUCC est une convention-cadre, développée et renforcée par l’accord de Paris. En outre, bien que les deux régimes n’aient pas le même objet, on y retrouve le même souci de protection du milieu marin contre les changements climatiques.
222 Le TIDM a confirmé que les ressources biologiques et la faune et la flore marines font partie du milieu marin. Voir : Demande d’avis consultatif soumise par la Commission sous-régionale des pêches, avis consultatif, [2] avril 2015, TIDM Recueil 2015, par. 216.
223 CNUDM, art. 194, par. 1-2.
- 46 -
en particulier celles du GIEC, ainsi que les preuves scientifiques évidentes des effets potentiellement catastrophiques des changements climatiques sur le milieu marin. La CNUDM précise que les preuves scientifiques doivent guider l’interprétation de ses objectifs et obligations
224.
151. Il s’ensuit que l’évaluation de ce qui est « nécessaire » au sens des paragraphes 1, 2 et 5 de l’article 194 de la CNUDM doit être réalisée sur la base des meilleures données scientifiques disponibles concernant la nature précise, l’ampleur et l’urgence de la menace posée par les changements climatiques. Cette exigence s’applique aussi aux obligations générales énoncées aux articles 192 et 193 de la CNUDM, ainsi qu’à celles prévues aux articles 196 et 207 à 212. Il est également pertinent, pour l’interprétation des mesures qui sont « nécessaires » en application de la partie XII de la CNUDM, de faire intervenir les exigences d’ambition et de progression contenues aux articles 3 et 4 de l’accord de Paris, en particulier au vu des écarts en matière d’émission et de production (et de l’écart global de mise en oeuvre) qui ont été décrits aux paragraphes 77 à 82 plus haut.
152. La CNUDM — et sa partie XII en particulier — doit par conséquent être interprétée et appliquée à la lumière des obligations établies dans la CCNUCC et dans l’accord de Paris, notamment celles qui concernent :
a) l’objectif de température225 ;
b) le calendrier d’atténuation226 ;
c) l’adaptation227 ;
224 Voir par exemple, CNUDM, art. 61, 119, 200-201, 204 et 234.
225 Voir le point a) de la sous-section 2 de la section A de la partie V plus haut. Vu les articles 192 et 194 de la CNUDM en particulier, toutes les mesures prises au titre de la partie XII de la convention doivent être fondées sur les trajectoires et scénarios spécifiques présentés par le GIEC comme indispensables pour atteindre cet objectif, à la lumière du budget carbone mondial.
226 Voir le point c) de la sous-section 2 de la section A de la partie V plus haut. Le calendrier d’atténuation est pertinent pour la mise en oeuvre de la partie XII de la CNUDM. S’agissant des CDN, les mesures prévues doivent être fondées en partie sur une évaluation de la contribution à la protection du milieu marin, à la lumière de leur nécessité urgente face aux risques auxquels sont exposés les écosystèmes marins fragiles.
227 Voir le point e) de la sous-section 2 de la section A de la partie V plus haut. Le cadre établi pour l’adaptation par l’accord de Paris est pertinent pour les obligations découlant de la partie XII de la CNUDM qui concernent la protection et la préservation du milieu marin, y compris des écosystèmes rares et fragiles. Le tribunal arbitral qui a statué en 2015 sur l’« aire marine protégée » illicite déclarée par le Royaume-Uni autour de l’archipel des Chagos a considéré que le libellé du paragraphe 5 de l’article 194 de la CNUDM confirme que la partie XII n’est pas limitée aux mesures visant strictement à lutter contre la pollution marine, mais s’étend aussi aux mesures orientées principalement sur la conservation et la préservation des écosystèmes (Sentence arbitrale relative au différend entre Maurice et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant l’aire marine protégée des Chagos, 18 mars 2015, par. 320 et 538). Cela confirme qu’il convient d’interpréter la partie XII comme incluant la protection des écosystèmes marins fragiles dans le contexte de l’adaptation aux changements climatiques. La nécessité d’accroître la résilience et de réduire la vulnérabilité aux effets des changements climatiques doit être intégrée aux mesures prises, séparément ou conjointement, par les parties au titre de la partie XII de la CNUDM.
- 47 -
d) les flux financiers228 ;
e) les puits229 ; et
f) les pertes et préjudices230.
153. Ces obligations guident les parties à la CNUDM dans leur mise en oeuvre des dispositions de la partie XII puisque cette dernière concerne directement la protection du milieu marin.
154. En outre, selon une approche intégrée des obligations en matière de climat découlant des dispositions de la partie XII, Maurice considère que les parties à la CNUDM sont soumises aux obligations spécifiques suivantes concernant la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement, en particulier le milieu marin :
a) Prévenir, réduire et maîtriser la pollution : les obligations énoncées dans la partie XII s’appliquent à tous les États, quel que soit le lieu où se déroulent les activités potentiellement dommageables231, et à toutes les zones marines et au-delà232. Les parties à la CNUDM sont tenues de prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin de toute émission de GES (paragraphe 1 de l’article 194), y compris la pollution d’origine
228 Voir le point f) de la sous-section 2 de la section A de la partie V plus haut. Les parties à la CNUDM sont tenues de s’abstenir de diriger des flux financiers vers toute politique ou mesure incompatible avec une trajectoire de réduction des émissions ou avec un développement résilient aux changements climatiques (paragraphe 2 de l’article 194, articles 207 et 212). Les flux financiers ont des conséquences directes sur les obligations énoncées à la partie XII de la CNUDM. Le GIEC a fait observer qu’il « existe des obstacles financiers, technologiques, institutionnels et autres à la mise en oeuvre de stratégies de réponses face aux impacts négatifs actuels et projetés induits par les changements dans l’océan et la cryosphère liés au climat, qui entravent le renforcement de la résilience et les mesures de réduction des risques » (rapport SROCC, par. C.1.4 (degré de confiance élevé)). Cette constatation est pertinente au regard tant de l’obligation positive, découlant de la partie XII de la CNUDM, de prendre des mesures pour préserver et protéger le milieu marin, que de l’obligation négative de s’abstenir de prendre des mesures préjudiciables. Cette obligation de faire face au risque posé par de tels flux financiers est implicite dans la partie XII de la CNUDM, du fait que le paragraphe 2 de l’article 194 mentionne « toutes les mesures nécessaires » et toutes autres mesures nécessaires dont celles énoncées aux articles 207 et 212. Les parties à la CNUDM doivent s’acquitter des obligations liées au climat qui leur fait la partie XII en tenant compte des dispositions financières contenues dans l’accord de Paris. Cela fait pendant aux obligations positives et négatives découlant de l’article 192 qui ont été confirmées par le tribunal arbitral dans l’Arbitrage relatif à la mer de Chine méridionale (République des Philippines c. République populaire de Chine), sentence du 12 juillet 2016, par. 941). Dans l’une et l’autre affaire, c’est la responsabilité imposée aux pays développés d’aider les pays en développement, et en particulier les pays vulnérables au climat, qui est primordiale.
229 Voir le point g) de la sous-section 2 de la section A de la partie V plus haut. À l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 4 de la CCNUCC, la reconnaissance expresse de l’importance des océans et du milieu marin en tant que puits de carbone rend plus nécessaire encore l’adoption de mesures prévues par l’article 194 et plus généralement la partie XII de la CNUDM.
230 Voir le point i) de la sous-section 2 de la section A de la partie V plus haut. Le paragraphe 1 de l’article 235 de la CNUDM dispose ce qui suit : « Il incombe aux États de veiller à l’accomplissement de leurs obligations internationales en ce qui concerne la protection et la préservation du milieu marin. Ils sont responsables conformément au droit international ». Cette disposition ne se limite pas aux obligations énoncées dans la convention (« leurs obligations internationales ») : Maurice considère qu’elles comprennent celles contenues dans l’accord de Paris et la CCNUCC, dans la mesure où elles ne sont pas incompatibles avec la CNUDM (article 293).
231 Arbitrage relatif à la mer de Chine méridionale ((République des Philippines c. République populaire de Chine)), sentence du 12 juillet 2016, par. 927.
232 Demande d’avis consultatif soumise par la Commission sous-régionale des pêches, avis consultatif, [2] avril 2015, TIDM Recueil 2015, par. 120.
- 48 -
tellurique (article 207) et la pollution par les navires (article 211)
233. Cette obligation s’étend à l’adoption de mesures visant à réduire les émissions de GES (c’est-à-dire la « pollution » au sens de l’alinéa 4) du paragraphe 1 de l’article premier), conformément aux objectifs, calendriers et trajectoires d’émissions établis dans l’accord de Paris et aux données scientifiques présentées par le GIEC, et compte tenu des écarts actuels en matière d’émissions et de production234.
b) Tenir dûment compte : les parties à la CNUDM doivent tenir dûment compte des droits et devoirs des autres parties, notamment s’agissant de toute action ou omission susceptible de compromettre directement la protection du milieu marin contre les effets des changements climatiques235.
c) Coopérer : conformément à l’article 197 de la CNUDM, les parties sont tenues de coopérer à la formulation et à l’élaboration de règles et de normes ainsi que de pratiques et procédures recommandées de caractère international, en vue de combler les écarts en matière d’émissions et de production qui, en compromettant la réalisation des objectifs de la CCNUCC et de l’accord de Paris, font peser une menace directe sur le milieu marin236.
d) Faire preuve de la diligence requise : les parties à la CNUDM sont tenues « de mettre en place les moyens appropriés, de s’efforcer dans la mesure du possible et de faire le maximum » pour obtenir le résultat escompté des obligations qui leur incombent237. Cette exigence inclut « [l]obligation d’adopter des mesures réglementaires ou administratives … et de les mettre en oeuvre »238. Dans le contexte des changements climatiques, cela implique d’évaluer des décisions
233 Les parties à la CNUDM devraient prendre en considération les menaces spécifiques que les émissions de GES font peser sur les écosystèmes marins fragiles et menacés. Il s’agit notamment du risque que des points de bascule soient franchis si des mesures urgentes de fortes réductions ne sont pas prises, et du risque que soit dépassé le plafond de température fixé comme objectif à l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 de l’accord de Paris. Ces deux éventualités constituent des risques spécifiques et catastrophiques pour le milieu marin (voir le rapport SR1.5, résumé à l’intention des décideurs []).
234 S’agissant de la pollution d’origine tellurique, il est dit au paragraphe 5 de l’article 207 de la CNUDM que les lois, règlements, mesures ainsi que les règles et les normes et les pratiques et procédures recommandées comprennent des mesures tendant à limiter autant que possible l’évacuation dans le milieu marin de substances toxiques, nuisibles ou nocives, en particulier de substances non dégradables. Ce seuil est encore plus strict pour ce qui est des émissions de GES d’origine tellurique, ces émissions étant non dégradables et devant être fortement réduites si l’on veut éviter des dommages catastrophiques au milieu marin. En outre, conformément à l’article 212 de la CNUDM, afin de prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin d’origine atmosphérique ou transatmosphérique, les parties sont tenues d’adopter des lois et règlements applicables à l’espace aérien où s’exerce leur souveraineté et aux navires battant leur pavillon ou aux navires ou aéronefs immatriculés par elles, en tenant compte des règles, normes et pratiques recommandées convenues au niveau international. La nécessité de prendre des mesures particulières doit être évaluée à la lumière de l’écart en matière d’émissions et de tout autre écart dans le système de réglementation actuellement en place.
235 Dans l’avis consultatif rendu à la demande de la CSRP, le TIDM a conclu que, lorsqu’elles exercent leurs droits et s’acquittent de leurs obligations dans leurs zones économiques exclusives respectives, les parties à la CNUDM doivent tenir dûment compte des droits et obligations des autres parties (Demande d’avis consultatif soumise par la Commission sous-régionale des pêches, avis consultatif, TIDM Recueil 2015, [2] avril 2015, par. 216). Cette conclusion découle du paragraphe 2 de l’article 56 et du paragraphe 3 de l’article 58 de la CNUDM, lus conjointement avec les articles 192 et 193. S’agissant des changements climatiques, cette obligation s’applique à toute action ou omission qui compromet directement la protection du milieu marin contre les effets des changements climatiques, puisque cela aura nécessairement une incidence sur les droits et obligations d’autres États dans toutes les zones marines. Cette obligation est particulièrement pertinente au regard des fortes réductions d’émissions de GES à réaliser, du fait qu’un effort collectif mondial est indispensable pour atteindre les objectifs climatiques mondiaux, et que si ces réductions nécessaires ne sont pas obtenues, d’autres États auront à supporter une charge plus importante pour contenir les émissions de GES dans les limites du budget carbone mondial restant.
236 Le GIEC a noté que « [p]armi les conditions déterminantes pour la mise en oeuvre de réponses efficaces aux changements de l’océan et la cryosphère liés au climat, figurent l’intensification de la coopération et de la coordination entre les instances dirigeantes à toutes les échelles spatiales et à tous les horizons de planification », voir rapport SROCC, par. C.4.
237 Responsabilités et obligations des États dans le cadre d’activités menées dans la Zone, avis consultatif, 1er février 2011, TIDM Recueil 2011, par. 110.
238 Ibid., par. 111.
- 49 -
et des politiques par rapport à l’objectif de température et au calendrier d’atténuation fixés dans l’accord de Paris. À cet égard, s’efforcer « dans la mesure du possible » signifie que les États doivent agir avec l’urgence et l’ambition voulues pour parvenir à la forte réduction des émissions de GES qui est nécessaire pour combler les écarts actuels en matière d’émissions et de production.
e) Évaluer les effets : les parties à la CNUDM sont tenues de réaliser des évaluations des effets de toutes les politiques, pratiques ou décisions donnant lieu à une forte pollution du milieu marin du fait des émissions de GES (articles 205 et 206)239. Dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur les Responsabilités et obligations des États qui patronnent des personnes et des entités dans le cadre d’activités menées dans la Zone, la Chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins s’est directement inspirée de l’obligation coutumière de procéder à des évaluations d’impact pour interpréter cette obligation prévue par la CNUDM240.
f) Engager la responsabilité : le paragraphe 2 de l’article 235 de la CNUDM demande aux parties de veiller à ce qu’« une indemnisation rapide et adéquate ou autre réparation » soit offerte en cas de « dommages résultant de la pollution du milieu marin » dans les limites de leur juridiction241. Un manquement à ces obligations découlant de la CNUDM — à la lumière de la CCNUCC et de l’accord de Paris, y compris l’obligation de tenir compte des données scientifiques sur les changements climatiques et de la nécessité urgente de combler l’écart en matière d’émissions — engagera la responsabilité d’un État et déclenchera l’obligation de réparer sa contribution aux effets des changements climatiques, notamment sur le milieu marin et à l’égard des États les plus vulnérables à ces effets242.
D. Les droits de l’homme
155. Le lien indissociable entre l’environnement et les droits de l’homme est établi de longue date. Il y a plus de cinquante ans, le 16 juin 1972, les États Membres de l’ONU ont adopté la déclaration de Stockholm, par laquelle, dans le principe 1, ils reconnaissent à l’homme « un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être » et « le devoir solennel de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations présentes et futures »243. Ce principe est l’expression « d’une reconnaissance générale de l’interdépendance et du caractère indissociable des droits de l’homme et de l’environnement »244.
239 À l’article 206, l’utilisation du mot « ou » signifie que l’obligation est engagée dès lors qu’un État a de sérieuses raisons de penser que les activités en cause risquent d’entraîner aussi bien « une pollution importante [du milieu marin] » que « des modifications considérables et nuisibles du milieu marin ».
240 Responsabilités et obligations des États dans le cadre d’activités menées dans la Zone, avis consultatif, 1er février 2011, TIDM Recueil 2011, par. 149.
241 CNUDM, art. 235, par. 2.
242 CNUDM, art. 35, par. 1 : « Il incombe aux États de veiller à l’accomplissement de leurs obligations internationales en ce qui concerne la protection et la préservation du milieu marin. Ils sont responsables conformément au droit international ».
243 Rapport de la conférence des Nations Unies sur l’environnement, déclaration de la conférence des Nations Unies sur l’environnement, Stockholm, 5-16 juin 1972 (ci-après, la « déclaration de Stockholm »), accessible à l’adresse suivante : n7303905.pdf (un.org) (dernière consultation le 26 février 2024).
244 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, dixième session, rapport du haut-commissaire, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme sur les liens entre les changements climatiques et les droits de l’homme, 15 janvier 2009, par. 17 (ci-après, le « rapport du HCDH sur les liens entre les changements climatiques et les droits de l’homme », accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/g09/103/45/ pdf/g0910345.pdf (dernière consultation le 26 février 2024).
- 50 -
156. Le 14 novembre 2007, les petits États insulaires en développement (dont Maurice) ont adopté la déclaration de Malé qui était la première déclaration intergouvernementale reconnaissant expressément que « les changements climatiques ont des répercussions évidentes et immédiates sur la pleine jouissance des droits de l’homme » notamment le droit à la vie, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit à la nourriture et le droit au meilleur état de santé physique et mentale possible.
157. Le 28 mars 2008, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté sa première résolution sur les changements climatiques et les droits de l’homme, se disant préoccupé par le fait que ces changements avaient « des répercussions sur la jouissance effective des droits de l’homme »245. Cette initiative a été suivie par la publication d’un rapport détaillé sur les liens entre les changements climatiques et les droits de l’homme par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme246.
158. Les parties à la CCNUCC ont officiellement reconnu l’existence du lien entre les changements climatiques et les droits de l’homme lors de la COP16, en soulignant qu’elles devaient « pleinement respecter les droits de l’homme dans toutes les mesures ayant trait [à ces] changements »247.
159. Les parties à l’accord de Paris conviennent « que, lorsqu’elles prennent des mesures face [aux] changements [climatiques], [elles] devraient respecter, promouvoir et prendre en considération leurs obligations respectives concernant les droits de l’Homme »248. Ces droits comprennent
« le droit à un environnement propre, sain et durable, le droit à la santé, les droits des peuples autochtones, des populations locales, des migrants, des enfants, des personnes handicapées et des personnes vulnérables et le droit au développement, ainsi que l’égalité des sexes, l’autonomisation des femmes et l’équité entre les générations »249.
160. En 2020, le Secrétaire général de l’ONU a lancé l’appel suivant :
« La crise climatique est la plus grande menace pour la survie de notre espèce et met d’ores et déjà en danger les droits humains aux quatre coins de la planète.
Cette crise mondiale montre combien il est nécessaire de prendre pleinement en compte les droits des générations futures dans les décisions prises aujourd’hui.
245 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution 7/23 du 28 mars 2008, doc. A/HRC/RES/7/23, accessible à l’adresse suivante : Microsoft Word - 7-23 F (ohchr.org) (dernière consultation le 26 février 2024).
246 Rapport du HCDH sur les liens entre les changements climatiques et les droits de l’homme.
247 CCNUCC, rapport de la Conférence des Parties sur sa seizième session, tenue à Cancún du 29 novembre au 10 décembre 2010, additif, deuxième partie : mesures prévues par la Conférence des Parties à sa seizième session, les accords de Cancún, décision 1/CP.16, p. 4, accessible à l’adresse suivante : FCCC/CP/2010/7/Add.1 (un.org) (dernière consultation le 26 février 2024).
248 Accord de Paris, préambule, al. [11].
249 Premier bilan mondial, par. 8.
- 51 -
Elle menace l’existence même de certains États Membres, en particulier les petits États insulaires en développement »250.
1. Les droits de l’homme éclairent et renforcent les obligations des États visant à protéger le système climatique
161. Le Conseil des droits de l’homme a demandé aux États « d’examiner, entre autres aspects, les droits de l’homme dans le contexte de la [CCNUCC] », insistant sur le fait que
« les obligations, normes et principes en matière de droits de l’homme peuvent éclairer et renforcer l’élaboration des politiques internationales, régionales et nationales dans le domaine des changements climatiques, et accroître ainsi la cohérence des mesures, leur légitimité et la pérennité des résultats »251.
162. Selon les règles coutumières d’interprétation des traités — telles que reflétées à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités —, un traité « doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer [à ses] termes… dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ». Ainsi que la Cour l’a dit en l’affaire relative à des Usines à papier sur le fleuve Uruguay, « [l]’interprétation prendra aussi en compte, outre le contexte, “toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties” » (alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne)252.
163. Si certaines règles pertinentes sont clairement définies par la CCNUCC et l’accord de Paris, d’autres règles issues du droit international coutumier s’appliquent aussi. Dans son rapport de 2006 sur la fragmentation du droit international, le groupe d’étude de la CDI a conclu que l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne reflète le fait que le droit international est un système juridique dynamique et que « [l]es règles du droit international postérieures au traité faisant l’objet d’une interprétation peuvent être prises en considération surtout lorsque les notions utilisées dans le traité sont ouvertes ou évolutives »253. Il a estimé que c’était particulièrement le cas lorsque
« a) la notion est de celles qui obligent à tenir compte des évolutions techniques, économiques ou juridiques ultérieures, b) la notion énonce une obligation de poursuite du développement progressif incombant aux parties ou c) la notion est de caractère très général ou exprimée en des termes tellement généraux qu’elle doit tenir compte de situations évolutives ».
164. Ces éléments sont présents dans la CCNUCC et dans l’accord de Paris ainsi que dans la Charte des Nations Unies, dans la CNUDM et dans les traités et instruments relatifs aux droits de l’homme qui seront examinés plus loin. La nécessité de continuellement évaluer les risques posés à
250 Nations Unies, Secrétaire général, « La plus haute aspiration : un appel à l’action en faveur des droits humains », observations adressées au Conseil des droits de l’homme le 24 février 2020, accessible à l’adresse suivante : le Conseil ouvre les travaux de sa quarante-troisième session en entendant le Secrétaire général de l’ONU lancer un appel a l’action | OHCHR (dernière consultation le 24 février 2024).
251 Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution 53/6, A/HRC/RES/53/6, 19 juillet 2023, accessible à l’adresse suivante : A/HRC/RES/53/6 (un.org) (dernière consultation le 26 février 2024).
252 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 46, par. 65. Voir aussi convention de Vienne, art. 31, par. 3, al. c).
253 Commission du droit international (CDI), fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, 28 juillet 2006, accessible à l’adresse suivante : https://legal.un.org/ ilc/documentation/french/a_cn4_l702.pdf (dernière consultation le 25 février 2024).
- 52 -
l’environnement en interprétant les dispositions du traité a également été confirmée par la Cour dans l’affaire relative au Projet Gabčíkovo-Nagymaros
254.
165. En ce sens, les obligations, les normes et les principes concernant les droits de l’homme éclairent et renforcent les obligations qui incombent aux États s’agissant de la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de GES. À ce titre, les normes en matière de droits de l’homme doivent être prises en considération dans l’interprétation et l’application des dispositions pertinentes de la CCNUCC, de l’accord de Paris et de la CNUDM255.
2. Les obligations de fond
166. Aux fins de la présente demande d’avis consultatif, Maurice considère que les obligations, les normes et les principes en matière de droits de l’homme énumérés ci-après sont particulièrement pertinents pour déterminer les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de GES.
a) Le droit à l’autodétermination
167. La Cour a affirmé que le droit à l’autodétermination est une obligation erga omnes256. Ce droit est consacré à l’article 1 de la Charte des Nations Unies, à l’article premier commun au Pacte international relatif aux droits civils et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et à l’article 3 de la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones257. Selon ce droit, les peuples « déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel »258. Ils ne peuvent en outre « être privé[s] de [leurs] propres moyens de subsistance »259.
168. Les meilleures données scientifiques disponibles mettent en évidence la menace urgente et existentielle que représentent les changements climatiques pour la survie de populations entières :
« La montée du niveau de la mer et les phénomènes météorologiques extrêmes liés aux changements climatiques menacent l’habitabilité et, à plus long terme, l’existence territoriale de plusieurs États insulaires composés d’îles basses. De même, les changements climatiques risquent de priver des peuples autochtones de leurs
254 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 68, par. 112.
255 Dans l’affaire du navire Saiga, le tribunal a conclu que « [l]es considérations d’humanité doivent s’appliquer dans le droit de la mer, comme dans les autres domaines du droit international » (Navire « SAIGA » (No. 2) (Saint-Vincent-et-les Grenadines c. Guinée), arrêt, TIDM Recueil 1999, p. 62, par. 155). Voir aussi The Arctic Sunrise Arbitration (Netherlands v. Russia), PCA Case No. 2014-02, Award, Merits, 14 August 2015, p. 46, par. 197, où le tribunal arbitral a estimé qu’il « pouvait tenir compte du droit international général en matière de droits de l’homme … pour interpréter les dispositions applicables de la convention en fonction du contexte pertinent ».
256 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 139, par. 180 ; Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29 ; Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32, par. 33.
257 Nations Unies, résolution 61/295 de l’Assemblée générale, 13 septembre 2007.
258 Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après, le « PIDCP »), art. premier, par. 1 ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ci-après, le « PIDESC »), art. premier, par. 1.
259 PIDCP, art. premier, par. 2 ; PIDESC, art. premier, par. 2.
- 53 -
territoires naturels et de leurs sources de revenus. L’un ou l’autre de ces effets auraient des répercussions sur le droit à l’autodétermination »
260.
169. Plus la hausse de la température — du fait des émissions anthropiques de GES — est importante, plus rapides et radicales seront les difficultés que devront affronter les habitants des petits États insulaires en développement pour continuer de vivre sur leur territoire traditionnel, ce qui les empêchera de jouir de leur droit à l’autodétermination et de l’exercer261.
b) Le droit à la vie
170. Au début de la déclaration de Stockholm, il est proclamé que « [l]es deux éléments de [l’]environnement [de l’homme], l’élément naturel et celui qu’il a lui-même créé, sont indispensables à son bien-être et à la pleine jouissance de ses droits fondamentaux, y compris le droit à la vie même »262.
171. Au paragraphe 1 de son article 6, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que « [l]e droit à la vie est inhérent à la personne humaine » et qu’il n’est pas possible d’y déroger263. Dans son observation générale no 36, le Comité des droits de l’homme dit ce qui suit :
« La dégradation de l’environnement, les changements climatiques et le développement non durable font partie des menaces les plus urgentes et les plus graves pour la capacité des générations présentes et futures de jouir du droit à la vie. Les obligations des États parties au regard du droit international de l’environnement devraient donc éclairer la teneur de l’article 6 du Pacte, et l’obligation qu’ont les États parties de respecter et garantir le droit à la vie devrait également éclairer leurs obligations pertinentes au regard du droit international de l’environnement. La mise en oeuvre de l’obligation de respecter et garantir le droit à la vie, et en particulier à la vie dans la dignité, dépend, entre autres, des mesures prises par les États parties pour préserver l’environnement et le protéger contre les dommages, la pollution et les changements climatiques résultant de l’activité des acteurs publics et privés ».264
260 Rapport du HCDH sur les liens entre les changements climatiques et les droits de l’homme, par. 40.
261 OHCHR, “The Effects of Climate Change on the Full Enjoyment of Human Rights”, 30 April 2015, par. 40, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/files/science/workstreams/the_2013-2015_review/application/pdf/cvf_ submission_annex_1_humanrights.pdf (dernière consultation le 26 février 2024).
262 Déclaration de Stockholm, [proclamation], point 1.
263 PIDCP, article 4, paragraphe 2 et article 6, paragraphe 1. Voir aussi Nations Unies, Déclaration universelle des droits de l’homme, article 3, résolution 217A de l’Assemblée générale en date du 10 décembre 1948.
264 Comité des droits de l’homme, observation générale no 36, article 6 : droit à la vie, 3 septembre 2019, par. 62 (les notes de bas de page sont omises), accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/g19/261/ 16/pdf/g1926116.pdf?token=4mxKGjsqKGMqlKM3CA&fe=true (dernière consultation le 26 février 2024).
- 54 -
172. Il s’ensuit que les États sont tenus non seulement d’adopter des mesures efficaces contre les pertes en vies humaines prévisibles et évitables, mais aussi de prendre des mesures positives pour lutter contre les changements climatiques et permettre à leur population de vivre dans la dignité265.
c) Le droit à la santé
173. L’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels engage les parties à prendre les mesures qui peuvent être nécessaires pour « l’amélioration de tous les aspects de l’hygiène du milieu et de l’hygiène industrielle » en vue d’assurer le plein exercice du droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale266. Dans son observation générale no 14, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels précise que cette obligation implique de prévenir et de réduire les « facteurs environnementaux nocifs ayant une incidence directe [ou indirecte] sur la santé des individus »267. Le même droit est également énoncé au paragraphe 1 de l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, à l’article 24 de la convention relative aux droits de l’enfant de 1989 et dans le premier bilan mondial, entre autres268.
174. Comme on l’a vu plus haut au paragraphe 83, le GIEC a indiqué avec un degré de confiance élevé que si aucune mesure d’atténuation et d’adaptation efficace et équitable n’est prise rapidement les changements climatiques menaceront de plus en plus la santé et le bien-être des générations actuelles et futures, entre autres conséquences269. Les changements climatiques ont déjà causé des pertes et préjudices généralisés ainsi que des effets néfastes sur la santé humaine (degré de confiance élevé)270.
175. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a estimé sans trop s’avancer que les changements climatiques causeront près de 250 000 décès supplémentaires par an d’ici à 2030. Les risques principaux que posent les changements climatiques pour la santé sont
« des vagues de chaleur et des incendies plus intenses, une prévalence accrue des maladies d’origine alimentaire, hydriques et à transmission vectorielle, un risque accru
265 Submission of the OHCHR to the 21e Conference of the Parties to UNFCCC, « Understanding Human Rights and Climate Change » (2015), p. 13, accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/sites/default/files/ Documents/Issues/ClimateChange/COP21.pdf (dernière consultation le 26 février 2024) ; Conseil des droits de l’homme, trente-deuxième session, rapport annuel du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, étude analytique des liens entre les changements climatiques et le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, 6 mai 2016, par. 34 et 48, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/ g16/092/03/pdf/g1609203.pdf?token=GaXiLe4lzFhG2QzAwa&fe=true (dernière consultation le 26 février 2024).
266 PIDESC, art. 12, par. 2, al. b).
267 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 14 : Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, 11 août 2000, par. 15, accessible à l’adresse suivante : g0043935.pdf (un.org) (dernière consultation le 26 février 2024).
268 Premier bilan mondial, préambule, septième alinéa ; Nations Unies, Déclaration universelle des droits de l’homme, résolution 217A de l’Assemblée générale, 10 décembre 1948, art. 25, par. 1 :
« Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ».
269 AR6 SYR, par. C.1.3.
270 Ibid., par. A.2.6.
- 55 -
de dénutrition à cause d’une moindre production alimentaire dans les régions pauvres, et la perte de la capacité de travail parmi les populations vulnérables »
271.
176. L’OMS a souligné que
« [l]es enfants et les populations les plus pauvres sont exposés de manière disproportionnée aux risques, avec des effets différents selon le genre. Dans l’ensemble, on prévoit que les changements climatiques creuseront les inégalités existantes en matière de santé, aussi bien entre différentes populations que dans une population donnée »272.
d) Les droits à l’alimentation et à l’eau
177. L’article 2 de la CCNUCC indique que l’objectif ultime de la convention est d’« empêche[r] toute perturbation anthropique dangereuse » selon ce qui est nécessaire « pour que les écosystèmes puissent s’adapter naturellement aux changements climatiques, que la production alimentaire ne soit pas menacée et que le développement économique puisse se poursuivre d’une manière durable »273. À l’alinéa b) du paragraphe 1 de son article 2, l’accord de Paris dispose que les mesures d’adaptation doivent être prises « d’une manière qui ne menace pas la production alimentaire »274. Les parties à cet accord reconnaissent la nécessité « d’accélérer le rythme de l’action rapide à une échelle adéquate et à tous les niveaux » en vue de « [r]éduire considérablement les pénuries d’eau d’origine climatique » et de rendre l’approvisionnement en eau et la production alimentaire résilients aux changements climatiques275.
178. L’article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels consacre le droit à une nourriture suffisante et demande aux parties de prendre des mesures individuelles et collectives appropriées « [p]our assurer une répartition équitable des ressources alimentaires mondiales par rapport aux besoins »276. Le droit à une alimentation suffisante est également reconnu au paragraphe 1 de l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme277.
179. Dans son observation générale no 12, le comité des droits économiques, sociaux et culturels a expliqué que l’« adéquation » dans ce contexte est déterminée « dans une grande mesure … par les conditions sociales, économiques, culturelles, climatiques, écologiques et autres »278. Le droit à l’alimentation est le droit de « toute personne, seule ou en communauté avec d’autres, d’avoir physiquement et économiquement accès à tout moment à une nourriture suffisante,
271 WHO submission to the OHCHR on climate change and right to health, p. 3, accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Issues/ClimateChange/Impact/WHO.pdf (dernière consultation le 26 février 2024).
272 Ibid.
273 CCNUCC, art. 2.
274 Accord de Paris, art. 2, par. 1, al. b).
275 Premier bilan mondial, par. 63.
276 PIDESC, art. 11, par. 2.
277 Nations Unies, Déclaration universelle des droits de l’homme, article 25, paragraphe 1, résolution 217A de l’Assemblée générale, 10 décembre 1948.
278 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 12 : le droit à une nourriture suffisante, 11 mai 1999), par. 7, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/g99/420/13/ pdf/g9942013.pdf?token=UN8rj1c6xPU93M6Pcd&fe=true (dernière consultation le 26 février 2024).
- 56 -
adéquate et culturellement acceptable, qui soit produite et consommée de façon durable, afin de préserver l’accès des générations futures à la nourriture »
279.
180. Dans son observation générale no 15, le même comité explique que « [l]e droit à l’eau consiste en un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun »280. Cela suppose d’avoir accès à « [u]ne quantité adéquate d’eau salubre…pour la consommation, la cuisine et l’hygiène personnelle et domestique »281. L’Assemblée générale des Nations Unies a elle aussi reconnu « le droit à l’eau potable et à l’assainissement [comme] un droit de l’homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme »282. Même si le mot « eau » n’est pas expressément mentionné dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, il est expliqué dans l’observation générale no 15 que « [l]e droit à l’eau fait clairement partie des garanties fondamentales pour assurer un niveau de vie suffisant, d’autant que l’eau est l’un des éléments les plus essentiels à la survie »283.
181. C’est pourquoi les « États parties devraient adopter des stratégies et programmes complets et intégrés en vue d’assurer aux générations actuelles et futures un approvisionnement suffisant en eau salubre », et notamment « évaluer l’impact des actions qui sont susceptibles d’affecter la disponibilité de l’eau et les bassins hydrographiques des écosystèmes naturels, tels que les changements climatiques »284.
182. Ainsi qu’on l’a vu plus haut aux paragraphes 59, 60 et 66, le GIEC a conclu avec un degré de confiance élevé que la multiplication des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes — induits par les émissions de GES — avait « exposé des millions de personnes à une insécurité alimentaire aiguë et à une moindre sécurité de l’eau », en touchant de manière disproportionnée les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement285. L’Assemblée générale a constaté avec préoccupation que
« les effets néfastes des changements climatiques et des catastrophes naturelles nuisent à la productivité agricole, à la production alimentaire et aux modes de culture, contribuant ainsi aux pénuries alimentaires, et que ces effets devraient s’accentuer avec les changements climatiques futurs »286.
183. La rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation a fait observer que les changements climatiques « présentent des menaces uniques et distinctes pour tous les aspects de la sécurité
279 OHCHR, les droits de l’homme et les changements climatiques : questions fréquemment posées, fiche d’information no 38, 2021, p. 10, accessible à l’adresse suivante : https://www.ohchr.org/sites/default/files/2021-11/FSheet 38_FAQ_HR_CC_FR_0.pdf (dernière consultation le 26 février 2024).
280 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 15 : le droit à l’eau, 20 janvier 2003, par. 2, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/g03/402/30/pdf/ g0340230.pdf?token=Dl0NtwH0lT2vjwMzx7&fe=true (dernière consultation le 26 février 2024).
281 Ibid.
282 Nations Unies, résolution 64/292 de l’Assemblée générale, 3 août 2010.
283 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, observation générale no 15 : le droit à l’eau, 20 janvier 2003, par. 3, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/g03/402/30/pdf/g0340230.pdf? token=Dl0NtwH0lT2vjwMzx7&fe=true (dernière consultation le 26 février 2024).
284 Ibid., par. 28.
285 AR6 SYR, par. A.2.2 et A.2.4.
286 Nations Unies, résolution 77/217 de l’Assemblée générale, 5 janvier 2023.
- 57 -
alimentaire » et 600 millions de personnes supplémentaires pourraient être vulnérables à la malnutrition d’ici à 2080
287. La Banque mondiale a estimé qu’avec une augmentation de 2 °C de la température, entre 1 et 2 milliards d’individus pourraient ne plus avoir accès à l’eau en quantité suffisante288.
e) Le droit à un environnement propre, sain et durable
184. Le 28 juillet 2022, par 116 voix pour, 8 abstentions et aucune voix contre, l’Assemblée générale a adopté la résolution 76/300 dans laquelle elle déclare que « le droit à un environnement propre, sain et durable fait partie des droits humains » et qu’il est « lié à d’autres droits et au droit international existant »289. Ce droit est reconnu dans le système juridique national de plus de 80 % des États Membres de l’ONU (156 sur 193)290. Il est également consacré à l’alinéa c) du paragraphe 2 de l’article 24 de la convention relative aux droits de l’enfant de 1989 qui exige des parties qu’elles prennent les mesures appropriées pour lutter contre la maladie et la malnutrition « compte tenu des dangers et des risques de pollution du milieu naturel »291.
185. L’Assemblée générale a rappelé que la promotion du droit à un environnement propre, sain et durable « passe par l’application pleine et entière des accords multilatéraux relatifs à l’environnement, conformément aux principes du droit international de l’environnement »292.
f) Les principes supérieurs de l’égalité et de la non-discrimination
186. Tous les droits, obligations, normes et principes décrits plus haut doivent s’exercer et s’appliquer à la lumière des principes supérieurs de l’égalité et de la non-discrimination. Au paragraphe 5 de son article 3, la CCNUCC rappelle que les mesures prises pour lutter contre les changements climatiques ne devraient pas « constitue[r] un moyen d’imposer des discriminations arbitraires ou injustifiables ».293 Ainsi qu’on l’a vu au paragraphe 159 plus haut, les parties à l’accord de Paris ont reconnu expressément la nécessité de respecter, promouvoir et prendre en considération l’égalité des sexes et l’équité entre les générations.
187. Maurice note également que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels exige que les droits soient « exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale
287 Nations Unies, Assemblée générale, rapport intérimaire de la rapporteuse spéciale sur le droit à l’alimentation, soumis conformément à la résolution 69/177 de l’Assemblée générale, 5 août 2015, par. 82, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n15/245/76/pdf/n1524576.pdf?token=EWwXL6eIb3RB72wGgK&fe=true (dernière consultation le 26 février 2024).
288 Banque mondiale, développement et changement climatique, 2010, p. 5, accessible à l’adresse suivante : https://documents1.worldbank.org/curated/en/427551468330999890/pdf/530770WDR00FRE00Box0361490B0PUBLIC0.pdf (dernière consultation le 26 février 2024).
289 Nations Unies, résolution 76/300 de l’Assemblée générale, 28 juillet 2022.
290 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, note du Secrétaire général, obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable, 10 août 2022, par. 26, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n22/649/19/pdf/n2264919. pdf?token=eLb13tvzSYIRPvdDrS&fe=true (dernière consultation le 25 février 2024).
291 Convention relative aux droits de l’enfant, 1989, art. 24, par. 2, al. c).
292 Nations Unies, résolution 76/300 de l’Assemblée générale, 1er août 2022, par. 3.
293 CCNUCC, art. 3, par. 5.
- 58 -
ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation »
294. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques interdit toute « discrimination » et garantit « à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation »295.
E. Le droit international coutumier et les principes généraux
188. Outre les obligations découlant des traités et instruments que nous venons de décrire, les États sont assujettis aux règles pertinentes du droit international coutumier et aux principes généraux énumérés ci-après.
1. La prévention
189. Le principe de prévention, en tant que règle coutumière, trouve son origine dans la diligence requise qu’un État doit exercer sur son territoire. Il s’agit de « l’obligation, pour tout État, de ne pas laisser utiliser son territoire aux fins d’actes contraires aux droits d’autres États »296. C’est un principe bien établi. En 1941, dans l’arbitrage relatif à la Fonderie de Trail, le tribunal a conclu comme suit :
« [A]ucun État n’a le droit d’utiliser son territoire ou d’en permettre l’utilisation d’une manière telle qu’un préjudice soit causé par l’émission de fumées au territoire d’un autre État, ou dans ce territoire, ou aux biens ou aux personnes qui s’y trouvent, si cela a de graves conséquences et que le préjudice est établi par des éléments de preuve clairs et convaincants »297.
190. Ainsi qu’il a été noté au paragraphe 87 plus haut, dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur la question de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, la Cour a confirmé l’existence de « [l]’obligation générale qu’ont les États de veiller à ce que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent l’environnement dans d’autres États ou dans des zones ne relevant d’aucune juridiction nationale »298.
191. Cette obligation est reflétée dans la CCNUCC, où les parties reconnaissent qu’elles ont « le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l’environnement dans d’autres États ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale »299. Elle est aussi exprimée dans le principe 21 de la déclaration de Stockholm300.
294 PIDESC, art. 2, par. 2.
295 PIDCP, art. 26.
296 Détroit de Corfou (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande c. République populaire d’Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 4, p. 22.
297 Trail Smelter Case (United States v. Canada), sentences des 16 avril 1938 et 11 mars 1941, Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. III, p. 1965.
298 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 241-242, par. 29.
299 CCNUCC, préambule, al. 8.
300 Déclaration de Stockholm, principe 21 :
- 59 -
192. En ce qui concerne la portée de l’obligation, en l’affaire relative à des Usines à papier sur le fleuve Uruguay, la Cour a jugé qu’un État est « tenu de mettre en oeuvre tous les moyens à sa disposition pour éviter que les activités qui se déroulent sur son territoire, ou sur tout espace relevant de sa juridiction, ne causent un préjudice sensible à l’environnement d’un autre État »301. Maurice considère que l’expression « tous les moyens à sa disposition » recouvre nécessairement des moyens fondés sur les meilleures données scientifiques disponibles, compte tenu de l’obligation de prendre des mesures efficaces basées sur des preuves scientifiques qui est énoncée dans la CCNUCC et dans l’accord de Paris.
2. La diligence requise
193. Les États ont l’obligation d’agir avec la diligence requise pour empêcher que des dommages significatifs soient causés au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement par les émissions de GES, notamment en procédant à une évaluation de leurs décisions et de leurs politiques par rapport à l’objectif de température et au calendrier d’atténuation fixés dans l’accord de Paris. Ce principe sous-jacent s’applique de manière générale aux activités envisagées qui peuvent avoir un impact préjudiciable important dans un contexte transfrontière. Dans les affaires jointes relatives à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière et à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan, la Cour a conclu comme suit :
« [A]u titre de l’obligation qui lui incombe de faire preuve de la diligence requise en vue de prévenir les dommages transfrontières importants, un État doit vérifier s’il existe un risque de dommage transfrontière important avant d’entreprendre une activité pouvant avoir un impact préjudiciable sur l’environnement d’un autre État. Si tel est le cas, il lui faut effectuer une évaluation de l’impact sur l’environnement »302.
194. Dans son projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses, daté de 2001, la CDI a indiqué que le degré de diligence devrait être « approprié et proportionné au degré de risque de dommages transfrontières »303.
195. Compte tenu des éléments de preuve scientifiques démontrant les risques catastrophiques que les changements climatiques font peser sur le système climatique et d’autres composantes de l’environnement, la norme de diligence requise énoncée par la CCNUCC et par l’accord de Paris est exigeante. L’obligation de faire preuve de la diligence requise pour empêcher que les émissions de GES ne causent des dommages significatifs à l’environnement implique donc de procéder à des évaluations efficaces de l’impact sur l’environnement qui mesurent les émissions cumulées de GES produites par tous les projets, programmes et investissements et qui comprennent des évaluations quantifiées de toutes les émissions, y compris les émissions du champ d’application 3, et en
« Conformément à la Charte des Nations Unies et aux principes du droit international, les États ont le droit souverain d’exploiter leurs propres ressources selon leur politique d’environnement et ils ont le devoir de faire en sorte que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle ne causent pas de dommage à l’environnement dans d’autres États ou dans des régions ne relevant d’aucune juridiction nationale ».
301 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 55-56, par. 101.
302 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 665, par. 153.
303 CDI, projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses et commentaires y relatifs (2001), commentaire de l’article 3, par. [11)], accessible à l’adresse suivante : https://legal.un.org/ ilc/texts/instruments/french/commentaries/9_7_2001.pdf (dernière consultation le 27 février 2024).
- 60 -
particulier celles liées à la production et à l’utilisation des combustibles fossiles
304. Ces évaluations sont nécessaires pour calculer l’impact total des projets concernés sur le climat.
3. La précaution
196. Dans la mesure où des incertitudes scientifiques subsistent quant aux effets des changements climatiques — notamment en ce qui concerne la confiance et la probabilité — le principe de précaution exige des États qu’ils prennent des mesures afin de prévenir les dommages significatifs au système climatique et d’autres composantes de l’environnement305. Si le dommage potentiel est dévastateur en ampleur et en gravité, des mesures peuvent être requises même si le niveau de confiance ou la probabilité de la manifestation du dommage est relativement faible.
197. Le principe est énoncé au paragraphe 3 de l’article 3 de la CCNUCC comme suit :
« Il incombe aux Parties de prendre des mesures de précaution pour prévoir, prévenir ou atténuer les causes des changements climatiques et en limiter les effets néfastes. Quand il y a risque de perturbations graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour différer l’adoption de telles mesures, étant entendu que les politiques et mesures qu’appellent les changements climatiques requièrent un bon rapport coût-efficacité, de manière à garantir des avantages globaux au coût le plus bas possible »306.
198. Le principe de précaution signifie que les États doivent « agir avec prudence et précaution »307. Le TIDM a défini le principe de précaution comme faisant « partie intégrante des obligations de diligence requise » qui s’appliquent aux situations où « les preuves scientifiques quant à la portée et aux effets négatifs éventuels des activités concernées sont insuffisantes, mais où il existe des indices plausibles de risques potentiels »308. Ne pas tenir compte de ces risques équivaudrait à « ne pas respecter l’approche de précaution »309.
199. La Cour a elle aussi affirmé que le principe de précaution pouvait s’avérer pertinent dans l’interprétation et l’application des obligations conventionnelles310.
4. La nécessité de tenir compte des meilleures données scientifiques disponibles
200. Les obligations de prévention, de précaution et de diligence requise englobent nécessairement l’obligation corollaire de tenir en compte des meilleures données scientifiques
304 Les émissions du champ d’application 3 incluent celles qui ne sont pas produites par l’État, l’acteur ou le projet lui-même, mais qui sont indirectement induites par l’un ou l’autre dans la chaîne de valeur entendue au sens large (comprenant les fournisseurs et les clients).
305 Responsabilités et obligations des États dans le cadre d’activités menées dans la Zone, avis consultatif, 1er février 2011, TIDM Recueil 2011, p. 46, par. 131-132.
306 CCNUCC, art. 3, par. 3.
307 Affaires du thon à nageoire bleue (Nouvelle-Zélande c. Japon ; Australie c. Japon), mesures conservatoires, ordonnance du 27 août 1999, TIDM Recueil 1999, p. 296, par. 77.
308 Responsabilités et obligations des États dans le cadre d’activités menées dans la Zone, avis consultatif, 1er février 2011, TIDM Recueil 2011, p. 46, par. 131.
309 Ibid.
310 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 71, par. 164.
- 61 -
disponibles. Dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur les Responsabilités et obligations des États qui patronnent des personnes et des entités dans le cadre d’activités menées dans la Zone, la chambre pour le règlement des différends relatifs aux fonds marins du TIDM a dit ce qui suit :
« Il est difficile de décrire en des termes précis le contenu des obligations de “diligence requise”. Parmi les facteurs qui rendent une telle description ardue figure le fait que la notion de “diligence requise” a un caractère variable. Elle peut changer dans le temps lorsque les mesures réputées suffisamment diligentes à un moment donné peuvent ne plus l’être en fonction, par exemple, des nouvelles connaissances scientifiques ou technologiques. Cette notion peut également changer en fonction des risques encourus par l’activité »311.
201. Il s’ensuit que pour s’acquitter de leurs obligations conventionnelles décrites plus haut et pour se conformer aux principes de prévention, de précaution et de diligence requise consacrés dans le droit international coutumier, les États doivent prendre en considération les meilleures données scientifiques disponibles — et s’en inspirer —, comme on l’a vu à la section IV plus haut.
5. L’évaluation de l’impact sur l’environnement
202. Dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay, la Cour a jugé que la réalisation d’une évaluation de l’impact sur l’environnement pouvait être considérée comme une obligation de droit international général lorsque l’activité industrielle projetée risquait d’avoir des effets néfastes importants dans un contexte transfrontière, en particulier sur une ressource partagée312.
203. Dans les affaires jointes relatives à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière et à la Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan, la Cour a estimé que, même si la conclusion qu’elle avait formulée dans l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay visait des activités industrielles, « le principe sous-jacent va[lai]t, de manière générale, pour toute activité projetée susceptible d’avoir un impact préjudiciable important dans un cadre transfrontière »313, et que c’est « à la lumière des circonstances propres à chaque cas que doit être déterminée la teneur de l’évaluation de l’impact sur l’environnement »314.
204. Si l’évaluation de l’impact sur l’environnement confirme l’existence d’« un risque de dommage transfrontière important », l’État qui prévoit d’entreprendre l’activité ou le projet en question « est tenu, conformément à son obligation de diligence requise, d’informer et de consulter de bonne foi l’État susceptible d’être affecté, lorsque cela est nécessaire aux fins de définir les mesures propres à prévenir ou réduire ce risque »315.
311 Responsabilités et obligations des États dans le cadre d’activités menées dans la Zone, avis consultatif, 1er février 2011, TIDM Recueil 2011, p. 46, par. 117. Voir aussi : Demande d’avis consultatif soumise par la Commission sous-régionale des pêches, avis consultatif, 2 avril 2015, TIDM Recueil 2015, p. 41, par. 132.
312 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 83, par. 204.
313 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) et Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 706-707, par. 104.
314 Ibid., p. 707, par. 1[0]3.
315 Ibid., p. 707, par. 104 ; voir aussi : p. 724, par. 168.
- 62 -
205. En ce qui concerne les émissions de GES en particulier, l’obligation de procéder à une évaluation de l’impact sur l’environnement est consacrée dans la CCNUCC et l’accord de Paris316. Dans son article 13, ce dernier souligne la nécessité pour les parties d’être transparentes dans leur évaluation des émissions de GES causées par des activités existantes ou projetées. Les parties doivent s’assurer que les évaluations de l’impact sur l’environnement sont efficaces lorsqu’il s’agit d’estimer les effets des émissions de GES sur le climat. Pour cela, elles doivent développer davantage les pratiques existantes qui s’avèrent insuffisantes, par exemple en élaborant des indicateurs de comparaison des émissions de GES qui tiennent compte de l’influence de ces émissions sur les changements climatiques, et en procédant à une évaluation chiffrée des émissions du champ d’application 3, en particulier lorsque ces dernières représentent la part la plus importante des émissions dans un projet ou une activité.
6. La coopération
206. L’obligation de coopérer qui incombe aux États est essentielle pour assurer la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les changements climatiques causés par les émissions anthropiques de GES. À cette fin, la CCNUCC et l’accord de Paris exigent des parties qu’elles coopèrent directement ou au travers d’organisations internationales compétentes pour lutter contre les causes et les effets des changements climatiques, et en particulier pour répondre à la nécessité urgente de réduire fortement les émissions de GES317.
207. Ce principe fondamental du droit international général se traduit dans le contexte des changements climatiques de deux manières318 :
a) Premièrement, la CCNUCC et l’accord de Paris établissent des règles, des normes et des pratiques recommandées qui sont pertinentes au niveau international, par exemple concernant l’objectif de température et le cadre d’atténuation, ainsi que dans des domaines tels que la transparence sur les émissions de GES.
b) Deuxièmement, il y a une autre obligation de coopération qui est de veiller à ce que les actions mises en oeuvre par les États sous d’autres régimes et dans d’autres secteurs soient conformes aux règles et normes pertinentes énoncées dans la CCNUCC et dans l’accord de Paris. Cette coopération doit viser à combler les écarts en matière d’émissions et de production qui, en compromettant la réalisation des objectifs fixés dans la CCNUCC et l’accord de Paris, menacent directement le système climatique et d’autres composantes de l’environnement.
316 Voir par exemple CCNUCC, art. 4, par. 1, al. f) ; accord de Paris, art. 7, par. 9, al. c).
317 Voir par exemple, CCNUCC, art. 3, par. 3 et 5, art. 4, par. 1, art. 5, al. c), et art. 6, al. b) ; accord de Paris, art. 6, par. 1 et 2, art. 7, par. 6 et 7, art. 8, par. 3 et 4, art. 10, par. 2 et 6, art. 11, par. 3, art. 12 et art. 14, par. 3.
318 Usine MOX (Irlande c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 3 décembre 2001, TIDM Recueil 2001, par. 82. Voir aussi : Demande d’avis consultatif soumise par la Commission sous-régionale des pêches, avis consultatif, 2 avril 2015, TIDM Recueil 2015, par. 140 ; déclaration de Stockholm, principe 24 :
« Les questions internationales se rapportant à la protection et à l’amélioration de l’environnement devraient être abordées dans un esprit de coopération par tous les pays, grands ou petits sur un pied d’égalité. Une coopération par voie d’accords multilatéraux ou bilatéraux ou par d’autres moyens appropriés est indispensable pour limiter efficacement, prévenir, réduire et éliminer les atteintes à l’environnement résultant d’activités exercées dans tous les domaines, et ce dans le respect de la souveraineté et des intérêts de tous les États ».
- 63 -
VI. QUESTION B) : LES CONSÉQUENCES JURIDIQUES
208. La question b) posée à la Cour porte sur les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions et omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, à l’égard :
a) des États, en particulier des petits États insulaires en développement, qui sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des changements climatiques ou qui sont particulièrement vulnérables face à ces effets ; et
b) des peuples et des individus des générations présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements climatiques.
209. Tout manquement aux obligations énumérées plus haut peut engager la responsabilité de l’État en droit international général.
210. Maurice invite la Cour à examiner les conséquences juridiques en question en s’appuyant sur les articles de la CDI sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, ainsi qu’elle l’a fait dans d’autres occasions319. Ces articles énoncent ce qui suit :
a) Tout fait internationalement illicite engage la responsabilité internationale (article premier). Dans le contexte des changements climatiques, cela inclut les actes commis par omission (article 2), qui reviennent à ne pas assurer la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les dommages significatifs causés par les émissions anthropiques de GES.
b) Une violation peut se produire « à raison d’une série d’actions ou d’omissions, définie dans son ensemble comme illicite [et qui,] conjuguée aux autres actions ou omissions, suffit à constituer le fait illicite » (paragraphe 1 de l’article 15). De telles actions ou omissions composites constituent une violation qui « s’étend sur toute la période débutant avec la première des actions ou omissions de la série et dure aussi longtemps que ces actions ou omissions se répètent et restent non conformes à ladite obligation internationale » (paragraphe 2 de l’article 15).
c) Les conséquences juridiques qui découlent de la responsabilité internationale incluent : l’obligation de cessation immédiate, avec des assurances et des garanties de non-répétition appropriées (article 30)320, l’obligation de réparer intégralement le préjudice causé (article 31) sous la forme de restitution, d’indemnisation et de satisfaction, séparément ou conjointement (articles 34, 35, 36 et 37)321. L’indemnité — dans la mesure où le dommage n’est pas réparé par
319 CDI, projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Annuaire de la Commission du droit international, 2001, vol. II, deuxième partie, 2001. Voir aussi : Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 139, par. 177 ; Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 38, par. 47 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 195, par. 140.
320 Lorsqu’un État viole une obligation juridique internationale de manière continue, la cessation doit être immédiate : Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 58, par. 133 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 197, par. 151 ; Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 44, par. 95 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 149, par. 292 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 461, par. 121.
321 La restitution suppose le « le rétablissement de la situation qui existait avant que le fait illicite ne soit commis, dès lors et pour autant qu’une telle restitution : a) N’est pas matériellement impossible ; b) N’impose pas une charge hors de toute proportion avec l’avantage qui dériverait de la restitution plutôt que de l’indemnisation » (art. 35).
- 64 -
la restitution — « couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière, y compris le manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi » (article 36).
d) Un État lésé est en droit d’invoquer la responsabilité d’un autre État si l’obligation est due à cet État individuellement (alinéa a) de l’article 42), ou à un groupe d’États dont il fait partie, ou à la communauté internationale dans son ensemble, et si la violation de l’obligation atteint spécialement cet État ou est de nature à modifier radicalement la situation de tous les autres États auxquels l’obligation est due (alinéa b) de l’article 42). Maurice relève que dans le contexte des changements climatiques — et comme il est reconnu dans la demande d’avis consultatif — les petits États insulaires en développement sont plus susceptibles d’être spécialement atteints par des violations entraînant des dommages significatifs au système climatique.
e) Lorsque plusieurs États sont lésés par le même fait internationalement illicite, chaque État lésé peut invoquer séparément la responsabilité de l’État qui n’a pas respecté l’obligation (article 46).
f) Lorsque plusieurs États sont responsables du même fait internationalement illicite, la responsabilité de chaque État peut être invoquée par rapport à ce fait (article 47).
211. Compte tenu de ces principes, les États sont tenus de répondre des pertes et préjudices en considérant notamment :
a) la menace existentielle qui pèse sur les petits États insulaires en développement et d’autres États vulnérables ayant des zones côtières de faible élévation (dont Maurice), en tenant compte du fait que ces États subissent certains des effets les plus graves des émissions mondiales alors qu’ils y ont le moins contribué ;
b) la nécessité d’établir des systèmes d’alerte précoce et d’agir dans les autres domaines visés à l’article 8 de l’accord de Paris, en tenant compte du droit à la vie et en gardant à l’esprit qu’il faut suivre une approche mutuellement éclairée entre les obligations en matière de droits de l’homme et celles découlant du régime de l’action climatique internationale (voir paragraphe 165 plus haut) ; et
c) les conséquences sociales et économiques liées aux effets des changements climatiques qui ne peuvent pas être évités par l’atténuation ou l’adaptation, en tenant compte des vulnérabilités spécifiques des États en développement dans la lutte contre les menaces directes que les changements climatiques posent à la vie, à la santé et aux moyens de subsistance.
212. Si État ne prend pas en considération les meilleures données scientifiques sur les changements climatiques et, en particulier s’il ignore la nécessité urgente de combler les écarts en matière d’émissions et de production, cela engagera sa responsabilité du fait qu’il aura ainsi contribué aux effets néfastes des changements climatiques, en particulier sur les États les plus exposés.
213. Maurice rappelle que les parties à la CCNUCC et à l’accord de Paris ont conscience que « les changements climatiques ont déjà causé des pertes et préjudices et en causeront de plus en plus, et que, à mesure que les températures augmentent, les conséquences des phénomènes climatiques et météorologiques extrêmes, ainsi que des phénomènes qui se manifestent lentement, constitueront une menace sociale, économique et environnementale toujours plus grande »322. Elles sont également conscientes de « la nette insuffisance, notamment sur le plan financier », des moyens déployés pour faire face « à l’augmentation de l’ampleur et de la fréquence des pertes et préjudices, et des pertes
322 Premier bilan mondial, par. 126.
- 65 -
économiques et non économiques qui en découlent »
323. Même si les États développés ont promis près de 700 millions de dollars des États-Unis324, cette somme équivaut à moins de 0,18 % du coût des pertes économiques et non économiques actuellement générées chaque année par les changements climatiques, estimé à 400 milliards de dollars des États-Unis et qui ne fera qu’augmenter325.
214. Maurice observe en outre que les parties à la CCNUCC et à l’accord de Paris ont fait référence à la notion de « justice climatique ». En 2022, elles ont d’abord relevé que « que pour certains, la notion de “justice climatique” est importante dans l’action menée face aux changements climatiques »326. Un an plus tard, elles ont rappelé que la « “justice climatique” est une considération importante dans l’action menée face aux changements climatiques »327.
215. La justice climatique est pertinente pour l’application des principes de la responsabilité de l’État, compte tenu de l’exigence de prendre en considération les meilleures données scientifiques disponibles et les principes d’équité. À cet égard, Maurice avance qu’en matière de responsabilité il est nécessaire de tenir compte des éléments suivants :
a) les contributions passées aux émissions de GES mondiales, y compris les avantages qu’en ont tirés les contributeurs, et les coûts supportés par les États les plus vulnérables, notamment les petits États insulaires en développement ;
b) l’état des connaissances dans les pays portant une responsabilité historique dans les effets potentiels des émissions de GES, compte tenu de l’obligation de prévenir un dommage transfrontière ; et
c) la capacité des États responsables des émissions passées d’apporter aux pays les plus vulnérables, notamment les petits États insulaires en développement, leur appui pour faire face aux effets catastrophiques des changements climatiques.
216. Le rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques a appelé les pays à prévoir dans leur législation nationale sur les changements climatiques
« des dispositions portant indemnisation, responsabilité et réparations en cas de préjudice afin d’obliger les principaux émetteurs de gaz à effet de serre les pays comme les sociétés à payer pour les préjudices qu’ils causent. Ces dispositions devraient inclure la responsabilité nationale et transnationale »328.
323 Ibid., par. 128.
324 Voir : https://unfccc.int/process-and-meetings/bodies/funds-and-financial-entities/loss-and-damage-fund-joint-interim-secretariat/pledges-to-the-loss-and-damage-fund (dernière consultation le 27 février 2024).
325 Richards, Schalatek, Achampong & White, “The Loss and Damage Finance Landscape” (2023), accessible à l’adresse suivante : https://assets-global.website-files.com/605869242b205050a0579e87/6462710b127e29f1b1e74ee7_ The_Loss_and_Damage_Finance_Landscape_HBF_L%26DC_15052023.pdf (dernière consultation le 27 février 2024).
326 Décision 1/CMA.3, pacte de Glasgow pour le climat, préambule, 8 mars 2022.
327 Premier bilan mondial, préambule.
328 Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques, recensement des mécanismes permettant d’améliorer la législation sur les changements climatiques, soutien en cas de contentieux relatifs aux changements climatiques et promotion du principe de justice intergénérationnelle, A/78/255, 28 juillet 2023, p. 23.
- 66 -
217. C’est pourquoi Maurice invite la Cour à confirmer que les principes de la responsabilité de l’État sont applicables aux émissions de GES actuelles et passées, eu égard aux meilleures données scientifiques disponibles, aux émissions de GES produites au fil du temps et aux principes d’équité et de prévention reflétés dans le droit international général ainsi que dans la CCNUCC et l’accord de Paris.
VII. RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS
218. En conclusion, et pour les raisons énoncées à la section II, Maurice est d’avis que la Cour est compétente pour rendre l’avis consultatif qui lui est demandé et qu’il n’existe aucune raison décisive pour qu’elle refuse de le faire.
219. Maurice invite la Cour, dans l’exercice de ses fonctions judiciaires, à donner un avis consultatif qui facilite pleinement l’interprétation et l’application de la CCNUCC et de l’accord de Paris, de manière à garantir la réalisation effective des objectifs climatiques internationaux. L’interprétation et l’application de la CCNUCC et de l’accord de Paris doivent être éclairées par les autres obligations examinées plus haut, qui sont indissociablement liées aux effets néfastes des changements climatiques. Le régime climatique international reflète le droit international coutumier, notamment les principes de prévention, de précaution, de diligence requise et de coopération, qui, à leur tour, sont pertinents pour la mise en oeuvre de la CCNUCC et de l’accord de Paris.
220. Il s’ensuit que la CCNUCC et l’accord de Paris doivent être interprétés et appliqués de manière à :
a) assurer la cohérence et la synergie entre le régime climatique international et les autres régimes conventionnels mentionnés dans la demande d’avis consultatif et le droit international coutumier ;
b) favoriser une relation fondée sur l’intégration systémique et sur une approche harmonisée afin de garantir que la protection de l’environnement, y compris le système climatique, soit envisagée de manière cohérente et efficace, à la lumière de l’objectif international qui est d’empêcher toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique329 ;
c) adopter une optique d’accommodation mutuelle et de respect des droits330 ; et
d) interpréter et appliquer des obligations relevant du même domaine, dans la mesure du possible, de manière à faire apparaître un ensemble unique d’obligations compatibles331.
221. Au vu de ce qui précède, Maurice considère que les principales obligations qui, en droit international, incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de GES sont les suivantes :
a) L’obligation supérieure d’agir en se basant sur les meilleures données scientifiques disponibles : les États ont l’obligation de prendre en considération et d’appliquer les meilleures données scientifiques disponibles, en particulier celles fournies par le GIEC, en ce qui concerne
329 CCNUCC, art. 2 ; accord de Paris, art. 2.
330 CDI, fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international, 28 juillet 2006, accessible à l’adresse suivante : https://legal.un.org/ilc/documentation/french/a_cn4_ l702.pdf (dernière consultation le 27 février 2024).
331 Ibid., par. 8.
- 67 -
les effets potentiellement catastrophiques des changements climatiques sur le système climatique et d’autres composantes de l’environnement ainsi qu’en ce qui concerne les mesures urgentes préconisées pour faire face à la menace que représentent les changements climatiques. L’interprétation et l’application de la CCNUCC et de l’accord de Paris — et des autres obligations pertinentes énumérées plus haut — doivent être fondées sur les preuves scientifiques, et ajustées à la compréhension évolutive que nous avons de la menace grave et urgente posée par les changements climatiques au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement.
b) À la lumière des preuves scientifiques et en vue d’atteindre l’objectif de température convenu au niveau international, l’obligation de réduire fortement, rapidement et durablement les émissions de GES, y compris en limitant et en éliminant de manière urgente l’utilisation des combustibles fossiles : les États sont tenus de réduire aussi vite que possible leurs émissions de GES selon l’objectif de température (1,5 °C) convenu au niveau international, conformément au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, et aux principes de prévention, de coopération et d’équité. L’escalade de l’urgence climatique, notamment la rapide diminution du budget carbone, la dégradation des puits de carbone et la gravité des effets du franchissement des points de bascule à l’échelle planétaire, souligne l’urgence de la menace posée (spécialement pour Maurice et d’autres petits États insulaires en développement)332. L’objectif de température fixé dans l’accord de Paris ne peut être tenu que si les écarts en matière d’émissions sont comblés sans délai, sachant que « les chances d’assurer à tous un avenir vivable et durable s’amenuisent rapidement »333. Cela ne sera possible que si les États mettent en oeuvre, dans le cadre de leurs CDN, des mesures ambitieuses permettant de réduire fortement les combustibles fossiles (qui représentent plus des deux tiers des émissions de GES actuelles) et de parvenir ainsi à des émissions nettes nulles le plus vite possible.
c) L’obligation d’adaptation : les États doivent accroître leur résilience et réduire leur vulnérabilité aux changements climatiques pour atteindre l’objectif mondial en matière d’adaptation fixé à l’article 7 de l’accord de Paris, éclairé par les principes du développement durable, de la coopération et de l’équité. Les exigences en matière d’adaptation sont particulièrement urgentes et critiques pour les États exposés aux effets néfastes des changements climatiques, notamment les petits États insulaires en développement. Cela inclut le renforcement de la résilience aux catastrophes liées au climat, conformément au cadre d’action de Sendai.
d) L’obligation relative aux flux financiers : les États doivent veiller à ce que les flux financiers soient compatibles avec une trajectoire de réduction des émissions et un développement résilient aux changements climatiques — et suffisants pour les permettre — dans la mesure où cela concerne le système climatique et d’autres composantes de l’environnement. Dans le cadre du nouvel objectif chiffré collectif pour le financement de l’action climatique, les pays développés parties à l’accord de Paris doivent d’urgence fournir des ressources financières supplémentaires pour venir en aide aux pays en développement parties aux fins de l’atténuation et de l’adaptation334. La baisse actuelle du financement de l’action climatique constitue, pour les petits États insulaires en développement et d’autres États vulnérables, une entrave considérable dans la mise en oeuvre de mesures d’atténuation et d’adaptation efficaces.
e) Les obligations en matière de droits de l’homme : les obligations, normes et principes en matière de droits de l’homme éclairent et renforcent les obligations qui incombent aux États en
332 Voir le premier bilan mondial où il est noté qu’il est nécessaire, pour assurer une gestion globale des risques de pertes et préjudices liés aux effets des changements climatiques, et pour remédier à ces pertes et préjudices de manière holistique, de mieux comprendre comment éviter et gérer les risques d’événements ou de conséquences à faible probabilité d’occurrence ou à fort impact, tels que les changements soudains et les points de bascule potentiels, ainsi que d’approfondir les connaissances, de renforcer l’appui, d’améliorer les politiques et d’intensifier l’action (par. 127).
333 AR6 SYR, C.1.
334 Accord de Paris, art. 2, par. 1, al. c), et art. 9.
- 68 -
ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de GES. Les mesures d’atténuation et d’adaptation (ainsi que le financement de l’action climatique mis à disposition des États en développement et des petits États insulaires en développement ) doivent être compatibles avec la pleine jouissance des fondamentaux droits de l’homme — et suffisantes pour en assurer l’exercice —, dont le droit à l’autodétermination, à la vie, à la santé, à la nourriture et à l’eau, ainsi qu’avec les principes supérieurs de l’égalité et de la non-discrimination, et avec le droit à un environnement propre, sain et durable.
f) L’obligation d’évaluer l’impact sur l’environnement : les États sont tenus d’évaluer les effets néfastes des politiques, pratiques et décisions (existantes et projetées) susceptibles de causer des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement. Les États devraient aussi évaluer les effets des mesures d’atténuation et d’adaptation. Cette obligation découle du régime conventionnel international régissant le climat et du droit international coutumier335.
g) L’obligation de transparence et d’élaboration de rapports : conformément au cadre de transparence renforcé établi à l’article 13 de l’accord de Paris, les parties doivent régulièrement fournir les informations suivantes : un inventaire national des émissions anthropiques de GES, les informations nécessaires au suivi approprié des progrès accomplis dans la mise en oeuvre des CDN et des informations sur les effets des changements climatiques (paragraphes 7 et 8 de l’article 13). Les pays en développement parties devraient en outre communiquer des informations sur l’appui dont ils ont besoin et qu’ils ont reçu, sous la forme de ressources financières, d’un transfert de technologies et d’un renforcement des capacités (paragraphe 10 de l’article 13).
h) L’obligation d’agir dans le cadre des Nations Unies : tous les États Membres de l’ONU doivent, conformément au paragraphe [5] de l’article 2 et à l’article 56 de la Charte, donner pleine assistance à l’Organisation, en agissant tant conjointement que séparément. Cela suppose d’agir aussi conformément à l’article 55, y compris en ce qui concerne les effets néfastes des changements climatiques — tant présents que futurs — démontrés par les meilleures données scientifiques disponibles. Le Conseil de sécurité se doit, conformément à l’article 24 de la Charte, de faire face et de répondre aux risques posés par les changements climatiques, dans le cadre de sa responsabilité principale de maintien de la paix et de la sécurité internationales.
i) L’obligation de protéger le milieu marin : les parties à la CNUDM doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger et préserver le milieu marin (articles 192 et 193), y compris pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution causée par les émissions de GES (paragraphe 1 de l’article 194), la pollution d’origine tellurique (article 207) et la pollution par les navires (article 211). Cette obligation s’étend à l’adoption de mesures visant à réduire les émissions de GES (c’est-à-dire la « pollution » au sens de l’alinéa 4) du paragraphe 1 de l’article premier de la CNUDM), conformément aux objectifs, calendriers et trajectoires d’émissions établis dans l’accord de Paris et aux données scientifiques présentées par le GIEC, et compte tenu des écarts actuels en matière d’émissions et de production.
222. Enfin, pour ce qui est des conséquences juridiques du non-respect de ces obligations, qui entraîne des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, les États engagent leur responsabilité internationale comme le prévoient les règles bien établies en la matière. Les faits composites — qui, pris dans leur ensemble, globalement, causent des dommages significatifs — peuvent constituer une violation des obligations liées à la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement. Les États qui ne respectent pas ces obligations sont tenus de cesser immédiatement ce comportement et de réparer intégralement,
335 CCNUCC, art. 4, par. 1, al. f) ; accord de Paris, art. 7, par. 9, al. c) ; art. 8, par. 1, 3 et 4, al. e).
- 69 -
sous la forme de restitution, d’indemnisation et/ou de satisfaction, séparément ou conjointement. Les États lésés par des dommages significatifs causés au système climatique et d’autres composantes de l’environnement du fait des émissions anthropiques de GES, en particulier les petits États insulaires en développement et d’autres États vulnérables, peuvent invoquer la responsabilité d’autres États, individuellement ou collectivement.
Le 22 mars 2024.
L’ambassadeur et représentant permanent
de la République de Maurice auprès
de l’Organisation des Nations Unies,
(Signé) S. Exc. M. Jagdish DHARAMCHAND KOONJUL, G.C.S.K., G.O.S.K.
___________
Exposé écrit de Maurice