Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
19648
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIÈRE DE CHANGEMENT CLIMATIQUE (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE L’ORGANISATION DES PAYS EXPORTATEURS DE PÉTROLE (OPEP)
19 mars 2024
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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CHAPITRE I. INTRODUCTION...........................................................................................................1
CHAPITRE II. COMPÉTENCE DE LA COUR ET DROIT APPLICABLE .....................................................4
A. Champ de la compétence consultative de la Cour ..............................................................4
B. Droit applicable ................................................................................................................4
CHAPITRE III. SYSTÈMES ÉNERGÉTIQUES MONDIAUX ET ÉMISSIONS ANTHROPIQUES DE GES..........8
A. Scénarios énergétiques pour la réalisation des objectifs en matière de changements climatiques, selon le World Oil Outlook ............................................................................8
B. Multiplicité des méthodes de lutte contre les changements climatiques ............................ 11
C. Le développement durable selon la CCNUCC et l’accord de Paris .................................. 17
CHAPITRE IV. OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIÈRE DE CHANGEMENTS CLIMATIQUES................ 24
A. Sources des obligations : la lex specialis ......................................................................... 24
B. Obligations qui incombent à tous les États ...................................................................... 24
C. Des obligations différenciées distinctes ........................................................................... 30
D. Situations nationales ....................................................................................................... 30
E. Sources de droit qui ne s’appliquent pas au régime spécial des émissions anthropiques de GES ........................................................................................................................... 31
F. Obligations des États à l’égard des individus et des peuples ............................................ 33
CHAPITRE V. CONSÉQUENCES JURIDIQUES POUR LES ÉTATS AU REGARD DE LEURS OBLIGATIONS EN CE QUI CONCERNE LE SYSTÈME CLIMATIQUE ET L’ENVIRONNEMENT EN GÉNÉRAL................................................................................................................................. 35
A. Mécanismes non punitifs et axés sur la facilitation prévus par le régime juridique spécial relatif aux changements climatiques .................................................................... 35
B. Inapplicabilité de la responsabilité pour pertes et préjudices dans le régime spécial des changements climatiques .......................................................................................... 36
C. Priorité accordée à la coopération dans la CCNUCC et l’accord de Paris ......................... 39
D. Complexité de l’évaluation des mesures prises par les États à l’égard des changements climatiques ..................................................................................................................... 42
E. Conséquences juridiques au regard des obligations à l’égard des peuples et des individus ........................................................................................................................ 44
CHAPITRE VI. CONCLUSION ......................................................................................................... 45
CHAPITRE I INTRODUCTION
1. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) est une organisation intergouvernementale permanente créée à la conférence de Bagdad tenue du 10 au 14 septembre 1960 par cinq pays fondateurs, et compte actuellement 12 membres : l’Algérie, l’Arabie saoudite, le Congo, les Émirats arabes unis, le Gabon, la Guinée équatoriale, l’Iraq, le Koweït, la Libye, le Nigéria, la République islamique d’Iran et le Venezuela.
2. Au cours des 63 dernières années, afin de mettre dûment en oeuvre ses objectifs statutaires, l’Organisation a étudié de façon détaillée les marchés mondiaux de l’énergie ainsi que leurs répercussions sur l’économie mondiale et le développement des pays. De plus, l’OPEP a participé aux négociations relatives à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (y compris l’accord de Paris) et continue d’assister aux sessions annuelles de la Conférence des Parties (COP).
3. En conséquence, et compte tenu des connaissances qu’elle a acquises dans le cadre de ces activités, l’OPEP souhaite contribuer aux délibérations de la Cour au sujet de l’avis consultatif sollicité, dans le but principal d’illustrer toute la complexité des systèmes énergétiques sur lesquels repose le fonctionnement des sociétés modernes ainsi que la façon dont l’application de prescriptions juridiques qui ne sont pas acceptées par tous les États, aussi bien intentionnées soient-elles, peut grandement perturber le cadre mondial établi pour la lutte contre les changements climatiques. Une telle intervention ne ferait que retarder l’action qui doit être menée d’urgence pour réduire les émissions de gaz à effet de serre (ci-après, les « GES »).
4. Par sa résolution 77/276 du 29 mars 2023, l’Assemblée générale des Nations Unies a demandé à la Cour internationale de Justice, en application de l’article 65 de son Statut, de donner un avis consultatif sur les questions suivantes :
« Eu égard en particulier à la Charte des Nations Unies, au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, à l’Accord de Paris, à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, à l’obligation de diligence requise, aux droits reconnus dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, au principe de prévention des dommages significatifs à l’environnement et à l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin :
a) Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre pour les États et pour les générations présentes et futures ?
b) Quelles sont, au regard de ces obligations, les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, à l’égard :
i) Des États, y compris, en particulier, des petits États insulaires en développement, qui, de par leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des
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changements climatiques ou sont particulièrement vulnérables face à ces effets ?
ii) Des peuples et des individus des générations présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements climatiques ? »
5. Il importe d’établir la portée de ces questions. Celles-ci concernent essentiellement le chevauchement de deux éléments visant : a) les obligations des États en droit international et leurs conséquences juridiques, et b) la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les « émissions anthropiques de gaz à effet de serre ».
6. Nombreux sont les enjeux environnementaux, et chacun d’eux est régi par les règles de droit international pertinentes applicables. Cependant, les questions qui sont posées dans la résolution 77/276 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 29 mars 2023 ne portent que sur les émissions anthropiques de GES et leurs effets sur le système climatique et d’autres composantes de l’environnement. Il est demandé à la Cour d’examiner ces questions en ce qui a trait aux obligations qui incombent aux États et à leurs conséquences juridiques pour ceux-ci au regard des règles du « droit international ». L’OPEP fera donc porter l’essentiel de ses observations sur ces aspects en particulier, se fondant sur sa connaissance approfondie du fonctionnement des systèmes énergétiques et des conséquences qui pourraient découler du fait d’y apporter de brusques modifications.
7. Dans ses écritures, l’OPEP soulignera à quel point les conditions et les réalités des systèmes énergétiques mondiaux justifient le cadre juridique particulier dont les États sont convenus pour réglementer les émissions de GES. Elle expliquera pourquoi une stratégie normative n’est ni applicable sur le plan juridique ni efficace dans la pratique (l’échec du protocole de Kyoto devrait servir d’avertissement sur ce point) et pourquoi une stratégie de collaboration (comme l’accord de Paris) est le seul moyen de s’attaquer à cette question. Le présent exposé soulignera le fait qu’il existe de multiples voies vers la décarbonation (comme l’a reconnu récemment le consensus des Émirats arabes unis de la COP 28)1 et qu’une approche normative de la réduction des émissions anthropiques de GES et de l’adaptation n’est pas une solution. Par conséquent, les règles juridiques actuelles ou futures ne sauraient prescrire une solution rigide applicable à tous les États.
8. L’objectif primordial de cette demande d’avis consultatif est que la Cour précise les règles du droit international existantes qui s’appliquent aux États à l’égard des émissions anthropiques de GES. Il est essentiel que la Cour « n’impose pas d’obligations ou de responsabilités supplémentaires » aux États2. Il est essentiel de souligner qu’en droit international il existe des « obligations » contraignantes que les États ont acceptées, ainsi que des « principes » qui guident les États, qui ne doivent toutefois pas être considérés comme des obligations contraignantes distinctes. Il est indispensable d’établir la distinction entre les deux, comme précisé ci-après.
9. L’OPEP souligne que les obligations juridiques en matière de protection du système climatique contre les émissions anthropiques de GES sont énoncées dans un régime autonome, à savoir la lex specialis que constituent le protocole de Kyoto, l’accord de Paris et la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), lequel régit expressément et exclusivement la protection du système climatique contre les émissions anthropiques de GES. Bien
1 Voir consensus des Émirats arabes unis, COP 28, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/cop28/outcomes.
2 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 64e séance plénière, 29 mars 2023, doc. A/77/PV.64, p. 8 (Union européenne).
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que l’existence de traités n’exclue pas en général l’application d’autres sources de droit international, cela ne vaut pas pour les questions extrêmement controversées et clivantes telles que celles liées aux émissions anthropiques de GES ; le fait que la communauté internationale ne soit parvenue à un accord sur ces dernières questions qu’après de longues et laborieuses négociations montre que les États parties entendaient les régler de manière complète et définitive dans cette lex specialis en excluant l’application d’autres sources3. La CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris sont suffisamment complets pour inclure les principes pertinents applicables, qui ont valeur d’idées guidant l’application des obligations figurant expressément dans la lex specialis.
10. De plus, l’OPEP met l’accent sur deux conclusions majeures intéressant les questions posées à la Cour, et qui sont toutes deux dictées par la lex specialis :
1) Les obligations qui incombent aux États en matière de protection contre les émissions anthropiques de GES sont les suivantes :
a) l’obligation qui incombe à tous les États parties de présenter des contributions déterminées au niveau national (paragraphe 2 de l’article 4 de l’accord de Paris) ;
b) l’obligation de moyens qui incombe à tous les États parties d’adopter des mesures et des initiatives internes face aux changements climatiques en vue de réaliser les objectifs de leurs contributions déterminées au niveau national (paragraphe 2 de l’article 4 et paragraphe 9 de l’article 7 de l’accord de Paris) ;
c) l’obligation qui incombe aux États parties figurant à l’annexe I de la CCNUCC de fournir un appui financier et de faciliter le transfert de technologies aux pays ne figurant pas à ladite annexe (article 9 de l’accord de Paris et paragraphe 3 de l’article 4 de la CCNUCC).
2) Les conséquences juridiques pour les États qui ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement à l’égard des États ou des peuples et des individus des générations présentes et futures doivent être assumées principalement dans le cadre d’une coopération internationale basée sur les mécanismes existants de la lex specialis, laquelle ne prévoit ni responsabilité ni préjudice. C’est ce régime spécial qui régit ces conséquences.
11. Ces obligations et ces conséquences juridiques, énoncées dans les règles conventionnelles spéciales, doivent toutes être traitées dans le contexte du développement durable, de l’élimination de la pauvreté, de l’équité, des responsabilités communes mais différenciées et des différentes situations nationales des États.
12. Ces conclusions sont développées plus avant dans l’analyse ci-après, sans préjudice du droit de l’OPEP d’approfondir davantage ses arguments dans de prochaines écritures et la procédure orale.
3 Alan Boyle and Catherine Redgwell, International Law and the Environment (4th edn., 2021), p. 361-362.
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CHAPITRE II COMPÉTENCE DE LA COUR ET DROIT APPLICABLE
A. CHAMP DE LA COMPÉTENCE CONSULTATIVE DE LA COUR
13. La compétence consultative de la Cour est définie par les questions énoncées dans la résolution 77/276 du 29 mars 2023. La Cour est donc appelée à limiter son avis aux questions qui lui sont posées, lesquelles ont fait l’objet de nombreuses séries de mise au point et traduisent le souhait de la communauté internationale de clarifier les obligations juridiques internationales existantes en rapport avec les émissions anthropiques de GES4. L’avis devrait donc se concentrer sur ces émissions en tant que sources de toute obligation des États et de toute conséquence juridique de dommages significatifs causés au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement.
14. La demande d’avis consultatif se limite aux émissions anthropiques de GES. Ce type d’émissions est bien défini dans le régime juridique international propre aux changements climatiques. L’article premier de la CCNUCC définit, entre autres, les termes « changements climatiques », « système climatique », « émissions » et « gaz à effet de serre ». L’article premier de l’accord de Paris incorpore les définitions données dans la CCNUCC. Les émissions anthropiques, c’est-à-dire les émissions qui sont attribuées directement ou indirectement à une activité humaine, sont au coeur de la CCNUCC5 et de l’accord de Paris6. La communauté internationale, se fondant sur des données scientifiques, a comme objectif de limiter ces émissions d’origine humaine.
B. DROIT APPLICABLE
15. Il est demandé à la Cour de clarifier, « en droit international », les obligations des États en rapport avec les émissions anthropiques de GES. Ce qui est en cause ici, c’est la lex lata internationale et non la lex ferenda. Ainsi que l’a relevé le Secrétaire général de l’ONU : « Ces avis consultatifs peuvent apporter des éclaircissements indispensables sur les obligations juridiques internationales existantes. »7 Les règles de droit international actuelles sur les émissions anthropiques de GES, y compris les obligations qui incombent aux États, sont énoncées dans la lex specialis que constituent la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris.
16. La Cour doit clarifier les obligations existantes et non imposer de nouvelles obligations ou des obligations supplémentaires. C’est ce qu’a expressément fait observer le représentant de l’Union européenne, s’exprimant au nom de cette dernière et de ses 27 États membres ainsi que de 10 autres États, lorsqu’il a fait part de son appui au projet du Vanuatu de demander un avis consultatif à la Cour sur les obligations des États en matière de changements climatiques. Il a affirmé que « [l]’Union européenne et ses États membres se félicit[ai]ent de l’explication donnée par le Vanuatu, selon laquelle le but qu’il s’était fixé en menant cet effort était que la Cour “n’impose pas d’obligations ou de responsabilités supplémentaires” aux États »8.
4 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 64e séance plénière, 29 mars 2023, doc. A/77/PV.64, p. 8 (Union européenne).
5 Voir, par exemple, CCNUCC, art. 1er, par. 2, art. 2 ; art. 3, par. 4 ; et art. 4.
6 Voir, par exemple, accord de Paris, art. 4, par. 1, 13 et 14, et art. 13, par. 7, al. a). Voir aussi décision 1/CP.21, par. 27, 31, 36.
7 Nations Unies, Assemblée générale, soixante-dix-septième session, 64e séance plénière, 29 mars 2023, doc. A/77/PV.64, p. 1 (les italiques sont de nous). Cette idée de clarifier les obligations existantes est soulignée par d’autres intervenants : ibid., p. 17 (Viet Nam), p. 21 (Roumanie), p. 24 (République de Corée), p. 28 (Norvège).
8 Ibid., p. 9.
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17. Dans son examen des obligations existantes des États en matière d’émissions anthropiques de GES, la Cour doit faire la distinction entre :
a) les « obligations » que les États se sont engagés à respecter en vertu de la lex specialis ; et
b) les « principes » applicables en matière de changements climatiques.
Il convient de souligner qu’un principe n’est pas une obligation et ne doit pas être interprété comme tel. Un principe oriente l’exécution des obligations et ne constitue pas une obligation en soi. Une obligation ne peut pas non plus simplement être « établie » ou « créée » par pure déduction logique tirée d’un principe.
18. Il existe de nombreux autres traités internationaux qui portent sur des substances nocives, par exemple, les hydrochlorofluorocarbones (HCFC) ou les hydrofluorocarbones (HFC) et les chlorofluorocarbones (CFC). Ces substances entrent dans le champ d’application d’autres régimes soigneusement élaborés, tels que la convention de Vienne pour la protection de la couche d’ozone de 1985 et le protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone de 1987, ajusté et modifié le 29 juin 1990 et le 25 novembre 1992. La CCNUCC exclut explicitement ces substances de son champ d’application du fait qu’elles nécessitent un traitement particulier tel qu’il est précisé dans les traités les régissant9. Par conséquent, ces autres substances n’entrent pas dans le champ d’application de la présente demande d’avis consultatif. Dans son avis, la Cour devrait se concentrer sur les émissions anthropiques de GES conformément à ce qui est envisagé dans la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris.
19. En ce qui concerne les sources autres que les traités internationaux, toute création d’un droit nouveau par déduction à partir de principes ou par affirmation de nouvelles règles de droit international coutumier concernant des questions relatives aux émissions de GES serait contraire à ce principe cardinal du droit international : la souveraineté des États. Ce sont les États qui sont les législateurs suprêmes dans l’ordre juridique international. C’est donc à eux qu’il revient de convenir de leurs obligations en matière de changements climatiques et de les développer. Le rôle de la Cour consiste à clarifier ces obligations, mais non à les créer. En cas de doute quant à une obligation particulière, la Cour devrait faire preuve de retenue. En particulier, ainsi qu’il ressort de l’avis consultatif qu’elle a rendu sur l’Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, le principe de l’effet utile (ut res magis valeat quam pereat) ne saurait autoriser la Cour à entendre les dispositions de traités tels que la CCNUCC, le protocole de Kyoto ou l’accord de Paris dans un sens qui contredirait leur lettre et leur esprit10. Dans ce contexte, il semble pertinent de rappeler ce que la Cour a affirmé dans les affaires du Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud) :
« On peut faire valoir que la Cour serait fondée à combler des lacunes en application d’un principe téléologique d’interprétation aux termes duquel il faudrait donner aux instruments leur effet maximum en vue d’assurer l’accomplissement de leurs objectifs fondamentaux. Il n’y a pas lieu de discuter dans le présent arrêt d’un principe dont la portée exacte est fortement sujette à controverse, car ce principe ne saurait évidemment s’appliquer en des circonstances où la Cour devrait sortir du domaine que l’on peut normalement considérer comme celui de l’interprétation pour entrer dans celui de la rectification ou de la révision. On ne saurait présumer qu’un droit existe simplement parce que son existence peut paraître souhaitable. … Autrement dit,
9 Voir CCNUCC, art. 4.
10 Voir Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, deuxième phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 229.
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la Cour ne saurait remédier à une lacune si cela doit l’amener à déborder le cadre normal d’une action judiciaire. »
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20. Par conséquent, la Cour voudra peut-être s’abstenir de se prononcer sur certains éléments de la présente demande, à l’exemple de ce qu’elle a fait dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé12. Lorsque des questions lui sont posées sous forme abstraite, la Cour a pour pratique, comme elle l’a souligné dans son avis consultatif sur les Conditions de l’admission d’un État comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), de répondre dans cette même forme par un avis circonscrit à son objet13.
21. La Cour devrait non seulement s’abstenir de créer de nouvelles obligations en « interprétant » des dispositions conventionnelles existantes, mais également résister à l’idée de « conclure » à de nouvelles obligations de droit international coutumier. L’introduction de nouvelles règles internationales s’appliquant à des domaines spécifiques ne saurait reposer sur des hypothèses, comme le souligne le juge Tomka dans l’exposé de son opinion dissidente en l’affaire relative à la Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie)14.
22. Les États n’ont établi aucun consensus sur l’acceptation d’obligations en matière de changements climatiques et d’émissions anthropiques de GES en particulier qui reposeraient sur le droit international coutumier ou sur une version élargie des principes généraux du droit. Lorsque les États ont des positions divergentes, la Cour fait preuve de prudence pour se prononcer sur de nouvelles règles, comme il ressort de son avis consultatif sur la question de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires15. La communauté internationale compte près de 200 États indépendants souverains, qui ont tous des niveaux de développement, des cultures, des régimes politiques et des systèmes juridiques distincts. De nombreux États, aussi bien parmi ceux figurant à l’annexe I de la CCNUCC que parmi ceux n’y figurant pas, se sont systématiquement opposés, dans des enceintes internationales, à la déclaration de règles en matière de changements climatiques qui seraient fondées sur ces deux grandes sources d’obligations. Si la Commission du droit international des Nations Unies (ci-après, la « CDI ») a joué un rôle essentiel dans la codification progressive des règles du droit international, elle a été l’une de ces enceintes qui se sont heurtées à des rejets catégoriques de certains États pour ce qui est d’étendre les obligations en matière de changements climatiques au-delà du consensus dégagé par les États, à savoir les règles largement admises de la lex specialis sur les émissions anthropiques de GES établies dans la CCNUCC, le protocole de Kyoto
11 Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1966, p. 48, par. 91.
12 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44.
13 Conditions de l’admission d’un État comme Membre des Nations Unies (article 4 de la Charte), avis consultatif, 1948, C.I.J. Recueil 1947-1948, p. 61.
14 Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), arrêt du 13 juillet 2023, opinion dissidente du juge Tomka.
15 La communauté internationale a en fait convenu de limiter la réglementation des émissions anthropiques des GES au cadre formé par la CCNUCC et l’accord de Paris. L’existence d’une nouvelle règle de droit international coutumier ou de son contenu ne peut donc pas être déclarée. Voir Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 254, par. 67. Voir aussi Nations Unies, projets de conclusion sur la détermination du droit international coutumier et commentaires y relatifs, 2018, dans rapport de la Commission du droit international (2018), 70e session, doc. A/73/10, p. 148, commentaire de la conclusion 9, par. 5.
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et l’accord de Paris
16. La CCNUCC compte 198 États parties, le protocole de Kyoto 152 et l’accord de Paris 19517. Ces instruments représentent l’état actuel des choses s’agissant de ce que la lutte contre les émissions anthropiques de GES implique pour la communauté internationale.
23. La Cour est appelée à préserver les dispositions dont les États sont clairement convenus, à savoir un régime spécial, avec ses obligations et ses conséquences juridiques. Dans les cas où il n’existe aucun consensus international clair sur une question de droit international, les juridictions internationales devraient s’abstenir de déclarer des obligations ou des conséquences juridiques dictant leurs comportements aux États ou de faire passer des interprétations subjectives du droit pour des sources valides pour tous les États18.
16 La Commission du droit international, dans sa démarche de codification progressive des règles relatives à la protection de l’atmosphère, s’est heurtée à de multiples objections de la part d’États. Cette démarche a été considérée comme une tentative de s’écarter de tous les consensus établis lorsque les États ont adopté les accords internationaux existants comme l’accord de Paris, la CCNUCC et le protocole de Kyoto. Voir Nations Unies, Assemblée générale, soixante-neuvième session, Sixième Commission, 21e séance, doc. A/C.6/69/SR.21, 18 novembre 2014, p. 23, par. 135, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/api/symbol/access?j=N1459440&t=pdf. Les États-Unis, entre autres pays, ont fait part de leurs préoccupations à cet égard dans une déclaration portant sur le sujet de la protection de l’atmosphère, dans laquelle ils ont affirmé que ce sujet n’était pas approprié. Ils ont déclaré ce qui suit :
« Nos préoccupations initiales, que partageaient un certain nombre d’autres pays, se divisaient en deux volets principaux. Premièrement, nous n’estimions pas qu’il fût utile que la Commission étudie ce sujet, car divers instruments existant de longue date fournissaient déjà non seulement des directives générales aux États sur l’élaboration, l’amélioration et la mise en oeuvre des régimes conventionnels, mais aussi, dans de nombreux cas, des directives très précises portant expressément sur des problèmes concrets liés à la protection de l’atmosphère. Par conséquent, nous étions préoccupés par le fait que toute démarche visant à dégager des règles juridiques générales à partir d’accords sur l’environnement conclus dans des domaines spécifiques serait impossible et injustifiée, voire tout à fait préjudiciable, si elle devait remettre en cause des différentiations soigneusement négociées entre les régimes. Deuxièmement, nous estimions qu’une telle démarche, et le sujet de manière plus générale, risquaient de compliquer les négociations futures au lieu de les faciliter et, donc, de freiner les progrès des États dans le domaine de l’environnement. »
Voir Statement by the United States of America United States Delegation 69th General Assembly Sixth Committee Agenda Item 78 — October 29 — November 3, 2014 Report of the International Law Commission on the Work of its 66th Session Extradite or Prosecute, Subsequent Agreements and Subsequent Practice in Relation to the Interpretation of Treaties, Protection of the Atmosphere, and Immunity of State Officials from Foreign Criminal Jurisdiction, United States Mission to the United Nations, accessible à l’adresse suivante : https://www.un.org/en/ga/sixth/69/pdfs/Statements/ilc/ us_2.pdf.
Voir aussi Nations Unies, Shinya Murase, rapporteur spécial, 8 février 2018, New York, 30 avril-1er juin 2018, Genève, 2 juillet-10 août 2018, doc. A/CN.4/711, par. 4 ; Nations Unies, CDI, compte rendu analytique provisoire de la 3247e séance, doc. A/CN.4/SR.3247, par. 24 (Kittichaisaree), par. 42, 43 (Hmoud) ; Nations Unies, CDI, compte rendu analytique provisoire de la 3213e séance, doc. A/CN.4/SR.3213, par. 21, 22 (Hernández) ; Nations Unies, CDI, compte rendu analytique provisoire de la 3246e séance, doc. A/CN.4/SR.3246, par. 2 (Murphy), par. 14 (Nolte) ; Nations Unies, CDI, compte rendu analytique provisoire de la 3247e séance, doc. A/CN.4/SR.3247, par. 2-5 (Wood), par. 17 (Hassouna), par. 35-36 (Šturma), par. 50-51 (Petrič) ; Nations Unies, CDI, compte rendu analytique de la 3212e séance, doc. A/CN.4/SR.3212, par. 5-6 (Hmoud) ; Nations Unies, compte rendu analytique de la 22e séance, doc. A/C.6/69/SR.22, par. 28-30 (Alabrune, France).
17 Voir convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, Recueil des traités des Nations Unies (RTNU), état des signatures et ratifications, https://treaties.un.org/Pages/ViewDetailsIII.aspx?src=TREATY&mtdsg_ no=XXVII-7&chapter=27&Temp=mtdsg3&clang=_fr ; accord de Paris, RTNU, état des signatures et ratifications, https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXVII-7-d&chapter=27&clang=_fr.
18 Voir Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 254, par. 67 ; Nations Unies, projets de conclusion sur la détermination du droit international coutumier et commentaires y relatifs, 2018, dans rapport de la Commission du droit international (2018), 70e session, doc. A/73/10, p. 148, commentaire de la conclusion 9, par. 5.
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CHAPITRE III SYSTÈMES ÉNERGÉTIQUES MONDIAUX ET ÉMISSIONS ANTHROPIQUES DE GES
24. Pour que le régime juridique spécial des changements climatiques fonctionne bien, il doit reposer sur une approche volontairement souple qui traduise une bonne compréhension de la complexité intrinsèque des systèmes énergétiques internationaux, conciliée avec le droit souverain de tous les États de satisfaire leurs besoins de développement et de choisir un bouquet énergétique qui réponde à ces besoins. Il est essentiel de bien comprendre le fonctionnement des systèmes énergétiques pour faire face aux changements climatiques. La manière dont les systèmes énergétiques fonctionnent et évoluent en vue de répondre aux différents besoins en matière de développement, tels que la consommation d’énergie pour des activités quotidiennes, y compris le transport, ou encore la consommation résidentielle et commerciale, détermine le niveau des émissions mondiales de GES. Sans négliger la part des systèmes énergétiques, il existe également d’autres sources importantes d’émissions de GES, comme l’agriculture et le secteur industriel. Dans ce contexte, pour faire face au phénomène mondial des changements climatiques, le protocole de Kyoto, la CCNUCC et l’accord de Paris ont procédé à un arbitrage entre ces différents éléments en tenant compte des différentes situations nationales, des différents besoins en matière de développement, des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives des États.
A. SCÉNARIOS ÉNERGÉTIQUES POUR LA RÉALISATION DES OBJECTIFS EN MATIÈRE DE CHANGEMENTS CLIMATIQUES, SELON LE WORLD OIL OUTLOOK
25. Compte tenu des débats de plus en plus clivants sur la scène mondiale concernant les questions énergétiques, il est nécessaire de se recentrer sur des scénarios exhaustifs, réalistes et de résilience qui soutiennent et favorisent le développement durable. Il importe de garder à l’esprit que l’accord de Paris est un traité international sur le développement visant à fournir une riposte mondiale aux changements climatiques « dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté »19.
26. Depuis 2007, l’OPEP publie chaque année un rapport sur les perspectives pétrolières mondiales, le World Oil Outlook20, qui présente, sur la base des données disponibles, ses vues sur l’évolution future du secteur énergétique. Ce rapport rassemble les connaissances spécialisées du secrétariat de l’OPEP, de professionnels des pays membres de l’OPEP et du Conseil de la Commission économique de l’Organisation, ainsi que des informations provenant de diverses autres sources. L’OPEP y souligne les grandes questions et les principaux problèmes qui se posent au monde quand il envisage un avenir énergétique commun. Cette publication préconise un dialogue transparent, sans parti pris et factuel, qui contribue à façonner un avenir durable pour tous sur les plans économique et énergétique. Pour ce faire, il faut s’intéresser à toutes les sources d’énergie, à toutes les technologies utiles et aux vues de toutes les parties prenantes.
27. Dans le World Oil Outlook, l’OPEP examine deux scénarios d’évolution plausibles par rapport à une situation de référence. La situation de référence envisage une demande de pétrole de 116 millions de barils par jour en 2045, avec la possibilité qu’elle soit plus élevée encore. Les deux scénarios tiennent compte de l’inégale répartition entre les pays et les régions des incidences néfastes sur leurs systèmes énergétiques qui découlent de la mise en oeuvre des mesures de riposte,
19 Accord de Paris, art. 2, par. 1.
20 2023 World Oil Outlook 2045 (OPEC Secretariat Publication, October 2023).
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principalement les incidences des mesures d’atténuation des changements climatiques, comme on le montrera dans les paragraphes suivants :
a) Scénario des technologies avancées : ce scénario envisage le recours à des technologies de pointe pour contenir l’élévation de la température de la planète nettement en dessous de 2 °C, tout en évitant des incidences économiques négatives sur les pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC et en garantissant une sécurité énergétique maximale. Il montre une voie possible dans laquelle coexistent, d’un côté, une plus grande part d’énergies renouvelables et, de l’autre, des solutions technologiques permettant de continuer à utiliser le pétrole et le gaz, avec notamment un recours beaucoup plus important aux technologies de captage, utilisation et stockage du dioxyde de carbone (ci-après, « CUSC »), de captage et stockage du dioxyde de carbone et de captage direct dans l’air dans les secteurs industriels, davantage d’investissements dans les réseaux d’approvisionnement en hydrogène, ainsi que la généralisation de l’économie circulaire du carbone dans l’ensemble de l’économie mondiale. La demande d’énergie primaire dans ce scénario sera inférieure de presque 55 millions de barils équivalent pétrole par jour (Mbep/j) en 2045 à celle de la situation de référence. La demande de pétrole, après une stabilisation à plus de 100 millions de barils par jour aux environs de 2035, diminuera légèrement pour atteindre approximativement 98 millions de barils par jour en 2045, ce qui correspond à 18 millions de barils par jour de moins par rapport à la situation de référence.
b) Scénario du laissez-faire : ce scénario suppose un retour plus rapide à une croissance économique plus forte à moyen terme et prévoit le maintien de cette croissance plus forte sur le long terme, en particulier pour les pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC. Ainsi, l’Afrique, l’Inde et les pays d’Asie et d’Amérique latine ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC voient leurs économies croître plus rapidement par comparaison à la situation de référence. Il s’ensuivra des niveaux d’industrialisation et d’urbanisation plus élevés, qui se traduiront par une classe moyenne plus importante et de meilleures conditions de vie pour des millions de personnes. Ce changement se manifestera notamment par une amélioration de l’accès à l’énergie dans les régions les moins avancées, des progrès dans l’élimination de la pauvreté énergétique et une transition accélérée vers les sources d’énergie modernes, dont les énergies renouvelables, le pétrole, le gaz et l’énergie nucléaire, en particulier au cours de la deuxième partie de la période considérée. Les politiques deviendront plus strictes au fil du temps, ce qui aidera à accroître les rendements énergétiques et à poursuivre le développement des énergies renouvelables. De plus, le protectionnisme et l’unilatéralisme conduiront à accorder la priorité aux besoins de développement locaux par rapport aux enjeux mondiaux.
28. Ces scénarios présentent la manière dont la demande d’énergie future et le bouquet énergétique sont susceptibles d’évoluer (figure 1) et estiment les effets distributifs négatifs des mesures de riposte et le niveau correspondant des réductions d’émissions à l’échelle planétaire. Les deux scénarios reposent sur les mêmes hypothèses socioéconomiques de base (situation de référence) pour la population mondiale et le développement économique jusqu’en 2045.
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Figure 1 Demande mondiale d’énergie primaire : la situation de référence et les deux scénarios (2020-2045)
Légende :
mboe/d
=
Mbep/j
Advanced technology
=
Technologies avancées
Laissez-Faire
=
Laissez-faire
Coal
=
Charbon
Oil
=
Pétrole
Gas
=
Gaz
Renewables* and nuclear
=
Énergies renouvelables* et nucléaire
Reference Case
=
Situation de référence
* Note : Les énergies renouvelables comprennent l’énergie hydraulique, les biomasses, l’énergie éolienne, l’énergie solaire et l’énergie géothermique.
Source : OPEP.
29. La figure 2 illustre la relation entre la demande d’énergie primaire et la part des énergies non fossiles dans le bouquet énergétique selon les différents scénarios. Elle fait apparaître que les scénarios des technologies avancées et du laissez-faire et la situation de référence évoluent de manières différentes et présentent des systèmes énergétiques fondamentalement différents à la fin de la période considérée.
30. Le scénario des technologies avancées présenté dans le Wordlwide Oil Report voit la part des combustibles non fossiles dans le bouquet énergétique augmenter graduellement pour s’établir à environ 45 % en 2045. Cette part, combinée à l’utilisation des technologies de CUSC, apporterait une contribution suffisante à la réduction des émissions requise pour atteindre les objectifs de l’accord de Paris. En outre, une plus grande part de gaz naturel conjuguée à une plus faible réduction de la demande de charbon par rapport à d’autres scénarios axés sur une part plus grande de sources d’énergies renouvelables permettra d’obtenir une alimentation électrique de base plus importante. Par conséquent, la question de l’intermittence, le stockage d’électricité et les investissements nécessaires au développement de l’électrification (par exemple dans les secteurs résidentiel, industriel et du transport routier) devraient être moins problématiques dans le scénario des technologies avancées.
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Figure 2 Système énergétique mondial : la situation de référence et les deux scénarios (2020-2045)
Légende :
mboe/d
=
Mbep/j
Primary energy demand
=
Demande d’énergie primaire
Share of non-fossil fuels in total primary energy demand
=
Part des combustibles non fossiles dans la demande totale d’énergie primaire
Laissez-Faire
=
Laissez-faire
Reference Case
=
Situation de référence
Advanced technology
=
Technologies avancées
Source : OPEP.
B. MULTIPLICITÉ DES MÉTHODES DE LUTTE CONTRE LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
31. En application du principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales, qui est consacré dans la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris21, les États ont conçu une multiplicité de moyens qu’ils jugent adaptés à leur situation interne pour faire face aux émissions anthropiques de GES. Ces mesures internes ont pour objectif commun global de faire face aux niveaux d’émissions à l’échelle du globe22.
32. Selon la lex specialis23, les États tiennent compte de leur situation nationale spécifique lorsqu’ils décident de la manière dont ils aideront à atteindre cet objectif mondial. Certains pays, grâce à leurs capacités technologiques avancées, à leurs matières premières essentielles facilement accessibles, à leur température moyenne ou à d’autres facteurs favorables, sont en mesure de mettre en oeuvre des projets d’énergies renouvelables coûteux exploitant l’énergie solaire et éolienne. D’autres pays, qui peuvent s’appuyer sur des ressources naturelles abondantes pour assurer un niveau de vie décent à leur population et lutter contre la pauvreté à l’intérieur de leurs frontières, ont mis en
21 CCNUCC, art. 3, par. 1 ; accord de Paris, art. 2, par. 2.
22 CCNUCC, art. 2 ; accord de Paris, art. 2 et 4.
23 Le paragraphe 2 de l’article 2 de l’accord de Paris se lit comme suit : « Le présent Accord sera appliqué conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales. » Voir aussi CCNUCC, art. 3, par. 4.
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place des technologies comme l’élimination du dioxyde de carbone et le captage direct dans l’air
24, qui permettent de décarboner la prospection et l’extraction de ressources telles que le pétrole ou le gaz, ou adopté des solutions naturelles comme le boisement et le reboisement25. Parmi les autres approches retenues pour faire face aux émissions de GES, notons le processus de CUSC, qui procède par captage des émissions directement à la source (usine sidérurgique ou centrale électrique, par exemple) avant qu’elles n’entrent dans l’atmosphère26, ainsi que d’autres éléments entrant dans l’économie circulaire du carbone27. Des approches comme celles-ci aident non seulement à limiter les nouvelles émissions, mais aussi à réduire les grandes quantités présentes dans l’atmosphère depuis l’ère industrielle28.
33. Les pays membres de l’OPEP, comme de nombreux autres États, ont intégré avec succès ces deux approches qui consistent, l’une, à accroître les sources d’énergies renouvelables, et l’autre, à réduire et éliminer les émissions du cycle de vie tant des énergies renouvelables que des sources traditionnelles. L’objectif ultime visé par la lutte contre les émissions ne peut être atteint qu’en conjuguant ces deux approches, car le développement dépend de l’énergie et l’énergie est aujourd’hui tributaire des sources d’énergie traditionnelles. Le principe des responsabilités communes mais différenciées consacré dans la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris offre précisément la souplesse nécessaire pour mettre à profit les différentes forces de tous les membres de la communauté internationale.
34. Les accords internationaux précités ne prescrivent pas un mécanisme unique pour limiter les émissions de GES. C’est là le consensus auquel sont parvenus les États. En effet, quels que soient les moyens qu’ils utilisent à cette fin, les États doivent s’efforcer collectivement de contenir l’élévation de la température de la planète nettement en dessous de 2 ℃ par rapport aux niveaux
24 Ce processus consiste à éliminer directement de l’atmosphère le dioxyde de carbone (CO2), qui est un gaz à effet de serre important. 2023 World Oil Outlook 2045, p. 232 ; Pete Smith et al., Chapter 7: Bridging the Gap — Carbon Dioxide Removal in the Emissions Gap Report 2017: A UN Environment Synthesis Report, p. 58-66, accessible à l’adresse suivante : https://digitallibrary.un.org/record/3894804?ln=en&v=pdf.
25 Le boisement et le reboisement permettent de stocker des émissions de CO2 dans des arbres nouvellement plantés ou replantés. U.S. Department of Energy: Office of Fossil Energy and Carbon Management, Carbon Dioxide Removal: Factsheet, March 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.energy.gov/sites/default/files/2023-03/2023march9- CDRfactsheet.pdf.
26 UNFCCC-KCI. 2023. Impacts of Emerging Industries and Businesses: Hydrogen, Carbon Capture, Utilization and Storage, and Artificial Intelligence. Bonn: UNFCCC, p. 25-32, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/ documents/624596.
27 Le concept de l’économie circulaire du carbone est une approche globale de gestion des émissions qui encourage la réduction, la réutilisation, le recyclage et l’élimination du carbone (principe des « 4R » selon son sigle anglais). C’est une approche équilibrée et pragmatique visant à réduire les émissions, qui comprend les dimensions suivantes : réduction des niveaux des émissions qui entrent dans le système par l’utilisation de combustibles ayant une plus faible empreinte écologique et un meilleur rendement énergétique ; réutilisation et transformation des émissions en matières premières industrielles utiles sans modification chimique du carbone (par captage et utilisation du dioxyde de carbone, par exemple) ; recyclage des émissions afin de créer de nouveaux produits à valeur ajoutée en modifiant chimiquement le carbone par décomposition, combustion et autres processus naturels (biocombustibles et hydrogène bleu, par exemple) ; et élimination des émissions du système à l’aide de puits naturels, du captage et stockage du dioxyde de carbone et du captage direct dans l’air. Il s’agit donc d’un « prolongement de l’idée d’une économie circulaire, mais qui est principalement axé sur les flux d’énergie et de carbone tout en conservant implicitement les flux de matières, d’énergie, d’eau et d’économie caractéristiques de l’économie circulaire ». CCE Guide Overview: A Guide to the Circular Carbon Economy (CCE) (King Abdullah Petroleum Studies and Research Center, August 2020), accessible à l’adresse suivante : https://www. cceguide.org/guide/ ; 2023 World Oil Outlook 2045, p. 244.
28 2023 World Oil Outlook 2045, p. 229.
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préindustriels
29. Cela signifie donc que les États, individuellement, doivent s’efforcer au fil du temps de réduire leurs émissions de GES, chacun selon ses capacités et avec des contributions différentes.
35. Il est évident qu’une approche souple des politiques énergétiques des parties à l’accord de Paris et de leurs contributions déterminées au niveau national s’impose. Cette souplesse procède directement du premier principe en matière de changements climatiques codifié au paragraphe 1 de l’article 3 de la CCNUCC :
« Il incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures, sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives. Il appartient, en conséquence, aux pays développés Parties d’être à l’avant-garde de la lutte contre les changements climatiques et leurs effets néfastes. »30
De nombreux pays, aussi bien ceux figurant à l’annexe I de la CCNUCC que ceux n’y figurant pas, s’attachent à atteindre les objectifs de l’accord de Paris à l’aide d’un large éventail d’approches et de combinaisons, précisément en fonction de leurs capacités et de leur situation. Plusieurs exemples sont présentés ci-dessous.
36. Aux États-Unis, un processus d’amélioration graduelle des politiques énergétiques et de la réglementation relative aux changements climatiques est en cours, comme le montrent des mesures comme la loi sur les investissements dans les infrastructures et sur l’emploi (Infrastructure Investment and Jobs Act) et la loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act). Cette dernière prévoit de consacrer 370 milliards de dollars à la sécurité énergétique et aux changements climatiques, proposant des incitations financières, principalement sous la forme de crédits d’impôt, afin de promouvoir l’innovation et l’adoption de technologies d’énergie propre. Elle vise à accroître les rendements énergétiques, à faciliter la transition vers des sources d’énergies renouvelables et à réduire les obstacles financiers. De plus, elle prévoit des incitations fiscales pour les technologies de réduction des émissions telles que le CUSC et l’hydrogène vert. Le plan fédéral pour la durabilité (Federal Sustainability Plan) est aligné sur des objectifs plus généraux en matière de climat, dont une réduction de 65 % des émissions de GES d’ici à 2030 et un objectif de zéro émission nette en 2050, et met l’accent sur la production d’électricité sans émission et la réduction des émissions de CO2 des bâtiments. Dans le secteur pétrolier et gazier, l’administration américaine a suspendu les nouvelles concessions en 2021, invoquant des préoccupations environnementales, mais a levé cette suspension en 2022. La loi fédérale sur la réduction des émissions de méthane (US Methane Emission Reduction Act) vise une réduction de 65 % des émissions de méthane d’ici à 2025, en particulier dans le secteur pétrolier et gazier, grâce à une révision des normes de rendement et à une nouvelle réglementation de la fermeture des puits afin de maîtriser les émissions31.
37. Le pacte vert pour l’Europe de l’Union européenne recourt à plusieurs mécanismes stratégiques, dont des cibles quantitatives pour la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique, qui passera de 40 % à 45 % d’ici à 2030 grâce au lancement du plan REPowerEU en 2022. Le paquet « Ajustement à l’objectif 55 », mis en place en 2021, vise une réduction des émissions de GES de 55 % d’ici à 2030 et a entraîné d’importants changements dans les politiques énergétiques de l’Union européenne, en particulier dans le secteur des transports. Des accords
29 Il est fait état de cette collaboration entre les États dans le préambule de la CCNUCC : « Conscientes que le caractère planétaire des changements climatiques requiert de tous les pays qu’ils coopèrent le plus possible et participent à une action internationale, efficace et appropriée, selon leurs responsabilités communes mais différenciées, leurs capacités respectives et leur situation sociale et économique ».
30 Voir CCNUCC, art. 3, par. 1 (les italiques sont de nous).
31 2023 World Oil Outlook 2045, p. 238-239
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récents, tels que la proposition ReFuelEU Aviation, rendent obligatoire l’utilisation de carburants durables d’aviation et de carburants de synthèse pour l’aviation (procédé « Power-to-Liquid »), ce qui augmentera progressivement leur part dans le mix de combustibles d’ici à 2050. Des normes de rendement plus strictes pour les véhicules neufs viennent appuyer la transition vers les véhicules électriques et devraient aboutir à une réduction de 55 % des émissions de CO2 pour les nouvelles voitures et de 50 % pour les nouvelles camionnettes entre 2030 et 2034. L’Italie a demandé que des modifications soient apportées aux directives de l’Union européenne concernant le rendement énergétique des bâtiments et l’élimination progressive des automobiles à moteur à combustion
32. Dans son règlement pour une industrie « zéro net », la Commission européenne a proposé de faire en sorte qu’au moins 50 millions de tonnes de CO2 par an puissent faire l’objet d’un stockage géologique d’ici à 2030. Les résultats de la modélisation effectuée pour la communication sur les objectifs climatiques de l’UE à l’horizon 2040 indiquent qu’il faudrait capter environ 280 millions de tonnes d’ici à 2040 et environ 450 millions de tonnes d’ici à 205033.
38. Dans le chapitre de son quatorzième plan quinquennal consacré aux systèmes énergétiques modernes, la Chine souligne les priorités que sont pour elle la croissance économique et l’énergie. Son gouvernement vise une croissance du produit intérieur brut de 5 % et une reprise de la consommation d’énergie, tout en limitant le passage du charbon au gaz. Le cadre stratégique sur le carbone et le plafonnement des émissions de carbone, dit « 1+N », prévoit une mise en oeuvre descendante (top-down) des politiques et présente en détail les plans d’action régionaux qui permettront d’atteindre les objectifs en matière de changements climatiques. Les principales politiques prévues dans ce cadre organisent un contrôle rigoureux des rendements énergétiques, la mise aux normes des centrales électriques alimentées au charbon et un soutien au développement industriel écologique. La Chine prévoit une augmentation considérable de l’utilisation de combustibles non fossiles comme source d’énergie, avec pour objectif une part de marché de 25,6 % en 2030. L’intensité énergétique et l’intensité carbone devraient diminuer ; une réduction de 65 % de l’intensité carbone est prévue en 2030 par rapport aux niveaux de 2005. Le plan met l’accent sur le développement du stockage d’énergies de nouveaux types, dont la mise en oeuvre à grande échelle est prévue d’ici à 2025 et la mise en service complète d’ici à 2030. Selon les prévisions, la capacité de stockage par pompage devrait doubler en 2025, pour atteindre 412 GW d’ici à 2035. Le gouvernement prépare le développement d’un nouveau système de production d’électricité, tandis que le pipeline pilote de transport d’hydrogène Ulanqab-Beijing, lancé en janvier 2023, facilitera la livraison à grande échelle d’hydrogène vert sur une distance de 400 kilomètres, transportant au départ 100 000 tonnes par an pour atteindre ultérieurement 500 000 tonnes par an34.
39. À la COP 27 de Charm el-Cheikh, l’Inde a réaffirmé son engagement d’atteindre zéro émission nette d’ici à 2070 et annoncé des objectifs spécifiques, notamment celui de porter à 50 % la part des sources d’énergies propres dans sa puissance électrique installée. L’Inde a comme objectif de réduire d’ici à 2030 le volume de ses émissions rapporté à son PIB de 45 % en dessous des niveaux de 2005. À la CCNUCC, le pays a présenté une stratégie complète de développement à long terme à faibles émissions (LT-LEDS, selon son sigle anglais), mettant l’accent sur des solutions telles que les systèmes de production d’électricité à faibles émissions, l’urbanisation durable et les systèmes industriels efficaces à faibles émissions. Cette stratégie est appuyée par des propositions de politiques dans des domaines comme l’aménagement urbain, le rendement énergétique, les véhicules électriques et le recyclage. Le gouvernement a souligné l’importance de la coopération internationale pour le transfert de technologies afin d’aider les pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC.
32 Ibid., p. 239-240.
33 Commission européenne, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : Vers une gestion industrielle du carbone ambitieuse pour l’UE (doc. COM(2024) 62 final, 6 février 2024), accessible à l’adresse suivante : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ TXT/PDF/?uri=CELEX:52024DC0062.
34 2023 World Oil Outlook 2045, p. 240-241.
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En février 2023, l’Inde a prévu plus de 8 milliards de dollars des États-Unis dans son budget pour des projets d’énergie propre, notamment l’hydrogène vert et des énergies renouvelables, ainsi que 4,3 milliards de dollars des États-Unis supplémentaires pour atteindre son objectif de zéro émission nette en 2070. Le plan national d’électricité de 2023 prévoit une forte augmentation de la capacité de production à partir de sources non fossiles, qui devrait atteindre 57,4 % de la capacité totale d’ici fin 2027 et 68,4 % d’ici fin 2032
35.
40. La Fédération de Russie a adopté en octobre 2021 sa stratégie de développement socioéconomique à faible émission de GES à l’horizon 2050, qui constitue un document crucial pour l’exécution des engagements qu’elle a pris au titre de l’accord de Paris. Avec pour principal objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2060 au plus tard, cette stratégie comporte des mesures technologiques, financières et budgétaires visant à favoriser une mise à niveau technologique de l’économie tout en réduisant les émissions de GES. Ces mesures comprennent des mécanismes de tarification du carbone, des systèmes de quota de GES, une réglementation imposant le recours à des technologies à faibles émissions et des modifications de la fiscalité des industries extractives. Toutefois, la capacité de la Russie à réaliser ces objectifs climatiques dépend largement de sa capacité à faire face et à s’adapter aux répercussions des sanctions36.
41. Le Gouvernement du Royaume-Uni a mis en oeuvre différentes politiques et stratégies visant à garantir la sécurité énergétique, à diversifier les sources d’énergie et à atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Sa stratégie relative à la sécurité énergétique, lancée en avril 2022, vise à réduire la dépendance aux combustibles fossiles importés et à réaliser l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2050. Privilégiant l’exploitation des ressources de la mer du Nord, le gouvernement a accordé 100 nouvelles licences pétrolières et gazières en juillet 2023 ; et il fait la promotion de l’hydrogène en tant que solution de rechange au gaz naturel. Des politiques de tarification du carbone, telles que le soutien des prix du carbone (Carbon Price Support (CPS)) et le système d’échange de droits d’émission du Royaume-Uni (UK Emissions Trading Scheme (UK ETS)), ont été appliquées en 2022 pour promouvoir les sources d’énergie à faibles émissions. Le Royaume-Uni a également proposé une taxe carbone à la frontière, semblable au mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’Union européenne, afin de pouvoir imposer des droits de douane sur les marchandises en fonction de leur teneur en carbone, qui devrait être appliquée au milieu des années 2020. En réponse aux prix élevés du gaz, le gouvernement a promulgué en mai 2022 une loi (Energy Profits Levy Act) soumettant les bénéfices des entreprises énergétiques à une surtaxe qui réduit sensiblement les profits dans le secteur pétrolier et gazier. Cette loi a également procédé à un ajustement des crédits d’impôt pour investissement qui vise à encourager les mesures de réduction des émissions37. Le Gouvernement britannique s’est fixé un objectif de captage et stockage de CO2 de 20 à 30 millions de tonnes par an (y compris l’élimination) d’ici à 203038.
42. Le Brésil s’est engagé à réduire les émissions de GES de 50 % d’ici à 2030 par rapport aux niveaux de 2005 et à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050, tel qu’il est indiqué dans sa contribution déterminée au niveau national. Le ministère de l’environnement a lancé le programme national zéro méthane afin de stimuler le marché du carbone et de promouvoir des accords sectoriels, en privilégiant les technologies associées au biogaz et au biométhane afin d’atténuer les émissions de méthane. Le ministère brésilien de l’énergie a actualisé sa politique relative aux prix des
35 Ibid., p. 241-242.
36 Ibid., p. 242.
37 Ibid., p. 242-243.
38 CCUS Net Zero Investment Roadmap: Capturing Carbon and a Global Opportunity (Department of Energy Security and Net Zero, UK Government, April 2023), accessible à l’adresse suivante : https://assets.publishing.service.gov. uk/media/64a29b7d06179b00131ae94e/ccus-investment-roadmap.pdf.
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carburants, en mettant l’accent sur les coûts de production par rapport à la parité avec les prix internationaux et en investissant 10,8 milliards de dollars dans le raffinage, le gaz, l’électricité et la logistique, dans le but de réduire le prix des carburants pour les consommateurs. La Banque nationale de développement économique et social du Brésil investit 24 millions de reals pour soutenir le développement des énergies renouvelables, dont des projets sur le biogaz, l’énergie solaire et l’énergie éolienne. Parmi les politiques publiques, on notera des subventions pour les chauffeurs de camion et de taxi au niveau fédéral et des avantages fiscaux pour les producteurs d’éthanol au niveau des États, dans le but de promouvoir l’éthanol en tant que carburant concurrentiel. De plus, des normes relatives aux émissions des véhicules ont été établies, visant d’abord les véhicules neufs à partir de 2022, et l’ensemble des véhicules d’ici à 2025
39.
43. Plusieurs pays membres de l’OPEP ont adopté différentes politiques pour faire face aux émissions de GES. Bon nombre d’entre eux, dont l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, se positionnent de manière stratégique sur le nouveau marché mondial de l’hydrogène. L’Arabie saoudite a comme objectif d’être le premier producteur d’hydrogène sans carbone, visant 2,9 millions de tonnes par an d’ici à 2030 et 4 millions de tonnes par an avant 2035. Les Émirats arabes unis ont formé l’alliance de Dubaï pour l’hydrogène afin de favoriser une économie à faibles émissions. Le partenariat africain pour l’hydrogène (African Hydrogen Partnership), créé en mai 2022, signale un intérêt croissant pour l’hydrogène dans les pays d’Afrique. L’Algérie, en particulier, a présenté une feuille de route pour le développement de l’hydrogène, en vue de faire figure de pionnier régional en produisant entre 30 et 40 milliards de kilowatts d’hydrogène d’ici à 2040. De plus, le processus de CUSC gagne en importance en tant qu’approche globale de gestion des émissions ; des pays comme l’Arabie saoudite en ont fait l’élément central de leur stratégie de zéro émission nette, et les dirigeants du G20 ont donné leur aval à une économie circulaire du carbone à l’occasion du sommet de 2020 à Riyad40.
D’autres solutions technologiques et projets d’énergies renouvelables sont également mis en oeuvre dans ces pays. Le Gouvernement iraquien s’est attaché à formuler les politiques du secteur énergétique dans son plan national de développement 2018-2022 et dans sa Vision Iraq 2030 (contribution déterminée au niveau national) ainsi que dans son document-cadre pour la mise en oeuvre de ces deux plans41. Il déploie également des efforts considérables pour utiliser des énergies renouvelables comme source fiable d’énergie pour la production d’électricité. Le Gouvernement du Koweït prévoit de réduire les émissions autour de trois axes, à savoir la mise à niveau technique de la production de pétrole et d’énergie, la réduction de la consommation par une réforme des subventions et par la promotion d’une culture axée sur la durabilité, et des investissements dans les énergies renouvelables. En conséquence, il a lancé en 2019 son troisième plan national de développement (KNDP selon son sigle anglais), dans lequel sont formulées des directives générales encadrant huit grands programmes, dont un programme de transition énergétique, pour les cinq prochaines années. Portant expressément sur la transition vers un système énergétique durable, le septième programme du KNDP, intitulé « Bâtir un environnement harmonieux où il fait bon vivre », tient compte de la stratégie énoncée dans un livre blanc sur l’énergie. La Libye a publié, par l’intermédiaire de son office des énergies renouvelables (Renewable Energy Authority), un plan visant à porter la part des énergies renouvelables dans sa production d’électricité à 7 % en 2020 et à 10 % en 2025, et ce, en utilisant les ressources d’énergies renouvelables disponibles dans le pays.
D’autres pays membres de l’OPEP, comme la République du Congo, concentrent la réduction de leurs émissions sur les secteurs des déchets, de l’agriculture, de la foresterie et de l’énergie, y compris les transports. Le Gabon s’est engagé à continuer d’agir en tant que « puits net de carbone » en
39 2023 World Oil Outlook 2045, p. 243.
40 Ibid., p. 248.
41 Robin Mills and Maryam Salman, Powering Iraq: Challenges facing the Electricity Sector in Iraq (October 2020), accessible à l’adresse suivante : https://library.fes.de/pdf-files/bueros/amman/16923.pdf.
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maintenant son absorption de carbone à au moins 100 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an au-delà de 2050, avec le soutien de la communauté internationale. La Guinée équatoriale travaille en étroite collaboration avec le Programme des Nations Unies pour le développement à l’élaboration de politiques internes sur les énergies renouvelables et au renforcement des capacités de ses institutions nationales, afin que sa contribution déterminée au niveau national concorde avec les objectifs de développement durable de l’ONU. La République islamique d’Iran a un fort potentiel d’économies d’énergie et de réduction de ses émissions de CO2 par l’amélioration des rendements énergétiques et le développement des énergies renouvelables. La part des énergies renouvelables dans le mix énergétique de ce pays se décompose comme suit : 35 % pour l’énergie éolienne, 43 % pour l’énergie solaire, 10,5 % pour des petites centrales électriques, 10,3 % pour la biomasse et 1 % pour l’énergie de récupération thermique, selon le rapport officiel de l’organisation chargée de la production d’électricité et des énergies renouvelables. Le Nigéria a dévoilé un plan de transition énergétique qui présente la stratégie du gouvernement pour atteindre l’objectif de zéro émission nette d’ici à 2060. D’après ce plan, le Nigéria vise des réductions d’émissions considérables dans cinq secteurs clés, soit l’électricité, les transports, l’industrie, l’alimentation et le secteur pétrolier et gazier. Le Venezuela investit quant à lui dans l’énergie propre, le recyclage, une meilleure utilisation de l’énergie et de l’eau ainsi que l’intégration des questions environnementales dans son programme national.
44. La souplesse du cadre juridique applicable à l’atténuation des changements climatiques et à l’adaptation à ces changements est donc la clé de la réussite de la transition énergétique : sans cette souplesse, la transition énergétique n’est pas concrètement possible. Sans elle, les principales parties prenantes, qui ont déjà du mal à tenir leurs engagements de financement de l’action climatique, ne pourraient même pas commencer à décarboner leur propre économie, et encore moins aider les pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC à faire de même. Ces derniers devraient se voir offrir la possibilité de participer à une économie mondiale décarbonée, une possibilité qui découle du principe d’équité et des responsabilités communes mais différenciées, codifié au paragraphe 1 de l’article 3 de la CCNUCC en tant que premier principe de l’action climatique42.
C. LE DÉVELOPPEMENT DURABLE SELON LA CCNUCC ET L’ACCORD DE PARIS
45. Comme on l’a dit plus haut, il convient de souligner le fait que la CCNUCC et l’accord de Paris font face aux changements climatiques d’une manière qui est compatible avec le développement durable et qui le favorise. Le principal objectif de l’accord de Paris consiste à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques « dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté ». Cet accord, de même que le protocole de Kyoto et la CCNUCC, ne doivent pas être considérés comme des instruments visant uniquement à lutter contre les changements climatiques. Leur objet et leur but permettent aux pays de se développer en tenant compte des effets de leurs politiques sur le système climatique et des effets des changements climatiques sur leurs besoins de développement. Les politiques relatives aux changements climatiques constituent donc un instrument de développement, qu’il ne faut ni entraver ni condamner à l’échec.
46. Trouver le juste équilibre entre les besoins de développement des pays et la limitation des émissions anthropiques de GES est ce que demandent les textes de la CCNUCC, du protocole de Kyoto et de l’accord de Paris43. Il s’agit d’une autre manière concrète d’appliquer le principe des
42 CCNUCC, art. 3, par. 1.
43 Voir préambules de la CCNUCC et de l’accord de Paris. En outre, le rapport de la COP sur la plate-forme de Durban pour une action renforcée souligne ce qui suit :
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responsabilités communes mais différenciées et des différentes situations nationales. Tous les États ont besoin de temps et de ressources pour s’adapter d’une manière durable qui permette de faire face aux émissions anthropiques de GES tout en prévenant l’aggravation d’autres problèmes comme la pauvreté.
47. Les besoins de développement sont d’une importance si capitale pour les États qu’ils ont été intégrés à l’objet et au but des règles particulières applicables aux émissions anthropiques de GES. Dans le préambule de la CCNUCC, il est affirmé que
« les mesures prises pour parer aux changements climatiques doivent être étroitement coordonnées avec le développement social et économique afin d’éviter toute incidence néfaste sur ce dernier, compte pleinement tenu des besoins prioritaires légitimes des pays en développement, à savoir une croissance économique durable et l’éradication de la pauvreté ».
48. Ces compromis sont les problèmes mêmes que de nombreux pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC, dont plusieurs pays membres de l’OPEP, rencontrent dans leur adaptation aux changements climatiques, en raison de la place importante qu’occupent les ressources naturelles dans leur économie44. L’exécution des obligations des États en matière de changements climatiques ne peut donc relever d’une catégorie unique et commune à tous. Elle varie d’un État à l’autre, qu’il figure ou non à l’annexe I de la CCNUCC, et selon ce que chaque État estime approprié. L’exécution de ces obligations est « impulsée par les pays », comme l’ont montré les exemples cités plus haut45.
49. Alors que les États s’efforcent de faire face aux effets des changements climatiques découlant des émissions anthropiques de GES, dans le monde entier des pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC en sont encore à lutter pour répondre à des besoins quotidiens essentiels tels que l’huile de cuisson et l’électricité46. L’ONU estime qu’en 2021 675 millions de personnes n’avaient pas accès à l’électricité, principalement dans les pays les moins avancés47. Ce chiffre devrait se maintenir jusqu’en 2030, compromettant ainsi, pour ces populations, l’atteinte de niveaux d’instruction élevés, l’accès à des soins de santé adéquats, le développement agricole ainsi que des perspectives commerciales et des possibilités d’emplois qui ne peuvent être assurés qu’avec l’électricité48.
« Réaffirmant que le développement social et économique et l’élimination de la pauvreté sont les priorités premières et essentielles des pays en développement parties et que la part des émissions mondiales provenant de ces pays augmentera pour répondre à leurs besoins dans le domaine social et en matière de développement ».
Rapport de la dix-septième session de la Conférence des Parties, tenue à Durban du 28 novembre au 11 décembre 2011, Décisions adoptées par la Conférence des Parties, décision 1/CP.17 : Création d’un groupe de travail spécial de la plate-forme de Durban pour une action renforcée, 11 décembre 2011.
44 Ces difficultés sont reconnues expressément par la CCNUCC, notamment dans son préambule : « Conscientes des difficultés particulières que connaîtront les pays, notamment les pays en développement, dont l’économie est particulièrement tributaire de la production, de l’utilisation et de l’exportation de combustibles fossiles, du fait des mesures prises pour limiter les émissions de gaz à effet de serre ». Voir aussi art. 4, par. 8, al. h), et par. 10.
45 Accord de Paris, art. 7, par. 5.
46 Nations Unies, Rapport sur les objectifs de développement durable 2023 : Édition spéciale — Vers un plan de sauvetage pour l’humanité et la planète, p. 26, accessible à l’adresse suivante : https://unstats.un.org/sdgs/report/2023/The- Sustainable-Development-Goals-Report-2023_French.pdf.
47 Ibid.
48 Ibid.
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50. Ces pays comptent aussi sur une hausse de leur consommation d’énergie pour répondre à leurs besoins actuels et futurs de développement, hausse dont les pays figurant à l’annexe I ont profité pendant des siècles avant eux49. Ce besoin immédiat ne peut être satisfait par un bouquet énergétique restreint, qui constitue une part relativement modeste du bouquet énergétique mondial50, mais il peut l’être à condition d’exploiter toutes les sources financièrement abordables possibles pour réaliser une transition inclusive qui ne laisse pas encore plus de victimes sur le bord du chemin. Pour atteindre l’objectif de développement durable 7 de l’ONU, il faut « garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable »51. Ces besoins croissants de développement requièrent l’application de toute la souplesse prévue par les dispositions de la CCNUCC et de l’accord de Paris afin de permettre l’utilisation de toutes les sources d’énergie, dans le respect des objectifs de lutte contre les changements climatiques. Ces instruments n’excluent pas les sources d’énergie qui permettent d’atteindre leurs objectifs. Les relations entre ces différents facteurs peuvent être illustrées en dernière analyse par le « trilemme » énergétique que forment la sécurité énergétique, l’équité (accessibilité et coût abordable) et la durabilité.
51. La population mondiale devrait croître de 1,5 milliard de personnes environ, passant de près de 8 milliards en 2022 à environ 9,5 milliards en 2045. La croissance la plus forte devrait être enregistrée au Moyen-Orient, en Afrique et dans d’autres pays d’Asie. La population en âge de travailler (de 15 à 64 ans) devrait augmenter de 826 millions de personnes à l’échelle mondiale au cours de la période considérée, et le taux d’urbanisation à l’échelle mondiale devrait passer de 57 % en 2022 à 66 % d’ici à 2045 (voir figure 3). Cette croissance s’accompagnera d’une augmentation de la demande d’énergie, en particulier dans les pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC (voir figure 4).
49 2023 World Oil Outlook 2045, p. 49-51, 84.
50 Ibid., p. 49-51 ; Shaping a living Roadmap for Energy Transition: A Report by the International Energy Forum and S&P Global Commodity Insights, p. 9-10, 14, 24, 29-45 (GESI, August 2023).
51 Le Programme d’action d’Addis-Abeba prévoyait la souplesse nécessaire pour étendre à tous l’approvisionnement durable en énergie de différentes sources, à la lumière des objectifs de développement durable, énonçant ce qui suit :
« Nous encouragerons l’investissement public et privé dans l’équipement et les écotechnologies énergétiques, notamment le piégeage et le stockage du carbone. Nous augmenterons substantiellement la part des énergies renouvelables et doublerons le taux mondial d’amélioration de l’efficacité et de la conservation énergétiques, dans le but d’assurer un accès universel à des services énergétiques peu coûteux, fiables, modernes et durables d’ici à 2030. Nous intensifierons la coopération internationale pour fournir une aide suffisante et faciliter l’accès à la recherche et aux technologies relatives à l’énergie propre, développer les infrastructures et améliorer le niveau technologique afin de fournir des services énergétiques modernes et durables dans tous les pays en développement, en particulier les pays les moins avancés et les petits États insulaires en développement. »
Programme d’action d’Addis-Abeba issu de la troisième Conférence internationale sur le financement du développement, adopté à la troisième Conférence internationale sur le financement du développement (Addis-Abeba, Éthiopie, 13-16 juillet 2015) et approuvé par l’Assemblée générale dans sa résolution 69/313, 27 juillet 2015, par. 49, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un. org/doc/undoc/gen/n15/232/23/pdf/n1523223.pdf?token=2kjM86rdPZTAZyHDgo&fe=true (ci-après, le « Programme d’action d’Addis-Abeba »). Une approche similaire avait été adoptée antérieurement par le consensus de Monterrey, qui visait à mettre en oeuvre les objectifs de développement de la déclaration du millénaire, qui ont précédé les objectifs de développement durable de l’ONU, mais dans un contexte plus large. Voir consensus de Monterrey issu de la Conférence internationale sur le financement du développement, texte définitif des accords et engagements adoptés à la Conférence internationale sur le financement du développement tenue à Monterrey (Mexique) du 18 au 22 mars 2002, p. 5-6, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/api/symbol/access?j=N0239268&t=pdf.
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Figure 3 Tendances démographiques mondiales (1990-2045)
Légende :
Millions
=
Millions
OPEC
=
OPEP
Middle East & Africa
=
Moyen-Orient et Afrique
OECD
=
OCDE
Latin America
=
Amérique latine
Other Asia
=
Autres pays d’Asie
China
=
Chine
Rest of the World
=
Reste du monde
India
=
Inde
Source : ONU.
Figure 4 Demande totale d’énergie primaire par région (2022-2045)
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Légende :
Levels
=
Quantités
Growth
=
Croissance
Share
=
Proportion
mboe/d
=
Mbep/j (million de barils équivalent pétrole par jour)
% p.a.
=
% par an
OECD Americas
=
OCDE Amérique
OECD Europe
=
OCDE Europe
OECD Asia-Pacific
=
OCDE Asie-Pacifique
OECD
=
OCDE
China
=
Chine
India
=
Inde
Other DCs
=
Autres pays en développement
Russia
=
Russie
Other Eurasia
=
Autres pays d’Eurasie
Non-OECD
=
Pays hors OCDE
World
=
Monde
Source : OPEP.
52. La demande d’énergie augmente précisément parce que bon nombre des principaux moyens de lutter contre les changements climatiques dépendent de l’électricité. Pour n’en fournir qu’un seul exemple, les sécheresses coïncident souvent avec des vagues de chaleur. La chaleur peut créer des conditions de travail oppressantes. Fait tout aussi important, il est démontré que la chaleur nuit à la capacité d’apprentissage des enfants d’âge scolaire. Enfin, elle cause un stress psychologique, en particulier chez les personnes âgées et les personnes atteintes de maladies cardiovasculaires et d’autres affections. Le moyen le plus simple de s’y adapter est d’installer des systèmes de climatisation dans les établissements scolaires, les hôpitaux et les lieux de travail. La climatisation est très énergivore et fonctionne à l’électricité. Son utilisation accrue est une conséquence directe des mesures d’adaptation aux changements climatiques. La hausse de la consommation d’énergie est donc une question de maintien d’une vie digne dans des conditions climatiques de plus en plus difficiles, ce qui est le but des efforts d’adaptation tel qu’il est énoncé dans la lex specialis.
53. Ainsi, il est impératif de répondre à cette croissance démographique et, par voie de conséquence, à cette augmentation de la demande d’énergie par un approvisionnement fiable et suffisant provenant de toutes les sources d’énergie. En l’absence d’un tel approvisionnement, il sera impossible de répondre aux besoins croissants des pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC. Pour assurer un tel approvisionnement, des investissements dans les énergies de toute nature et dans les technologies à faibles émissions telles que le CUSC et l’extraction directe dans l’air devront être effectués.
54. Les États comptent sur des sources d’énergie disponibles localement pour satisfaire leurs besoins quotidiens. Or le recours à des sources à plus faible émission de GES, telles que l’énergie nucléaire ou l’hydroélectricité, est compromis dans certains cas par des événements soudains comme des sécheresses, qui réduisent considérablement la quantité d’électricité produite par ces sources. Les sécheresses peuvent en effet priver les centrales nucléaires de l’eau dont elles ont besoin pour refroidir leurs réacteurs, de telle sorte que ces centrales ne peuvent pas produire la quantité d’électricité habituelle. De même, les sécheresses peuvent réduire l’alimentation des retenues d’eau des centrales hydroélectriques, diminuant nettement la production d’électricité d’origine hydraulique. Une certaine souplesse est nécessaire pour remédier à ces défaillances, en recourant à d’autres sources d’énergie de sorte à pouvoir continuer de mener une vie normale. Les pays adopteront des approches différentes pour se ménager des sources d’énergie de substitution. Toute
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approche rigide ou normative de la transition énergétique compromettrait la capacité des États à répondre efficacement aux pénuries d’énergie en période de tension importante sur une ressource.
55. Nombreux sont les exemples, aussi bien dans les pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC que dans ceux n’y figurant pas, qui illustrent les difficultés que les États souverains doivent surmonter pour satisfaire des besoins en énergie parfaitement légitimes. Dans bon nombre de ces cas, on observe une tension inévitable entre le désir d’atteindre les objectifs de réduction des émissions de GES et la nécessité de garantir des sources de chaleur, des moyens de transport et la fourniture d’électricité aux citoyens, selon des normes et à des prix acceptables. Ce défi, déjà compliqué pour les pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC, pose des problèmes encore plus graves aux pays pauvres en énergie ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC. Pour résoudre cette tension de manière satisfaisante, il était essentiel d’introduire un élément de souplesse dans le régime spécial conventionnel.
56. La pleine reconnaissance des besoins de tous les peuples est inscrite dans la CCNUCC, et ce, dans le but de satisfaire à ces besoins puisque « tous les pays, et plus particulièrement les pays en développement, doivent pouvoir accéder aux ressources nécessaires à un développement social et économique durable et que, pour progresser vers cet objectif, les pays en développement devront accroître leur consommation d’énergie »52.
57. Si l’on veut pouvoir maintenir réalistement les moyens de subsistance actuels et éviter des perturbations, toutes les formes d’énergie sont indispensables53. Selon le 2023 World Oil Outlook 2045 de l’OPEP, la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique mondial devrait passer d’environ 2,7 % en 2022 à 11,7 % en 2045. La demande de gaz naturel devrait augmenter de 20 millions de barils équivalent pétrole par jour (mbep/j) pendant la période considérée, atteignant 87 mbep/j en 2045, sa part dans le bouquet énergétique s’élevant alors à 24,2 %. La demande de pétrole devrait augmenter de 15,4 mbep/j pendant la période considérée, passant de 90,7 mbep/j à 106,1 mbep/j en 2045. La part du pétrole dans le bouquet énergétique devrait passer de 31,2 % en 2022 à 29,5 % en 2045. La demande d’énergie nucléaire devrait passer de 15 mbep/j en 2022 à 23,8 mbep/j en 2045, soit une augmentation de près de 9 mbep/j. On s’attend à une augmentation de la demande totale de biomasse, qui devrait atteindre 35,2 mbep/j. La demande d’hydroélectricité devrait croître d’environ 2,8 mbep/j et atteindre 10,5 mbep/j en 204554.
58. Les technologies existantes et futures contribueront grandement à façonner le paysage énergétique et les niveaux d’émission de GES de l’avenir :
Bien que les centrales au charbon soient devenues plus efficaces, elles contribuent toujours à des niveaux élevés d’émission de CO2. La part du gaz dans la production d’électricité, en particulier du fait de son utilisation dans les centrales à cycle combiné, a connu une forte augmentation au cours des dernières années, avec l’utilisation de la chaleur résiduelle de ces centrales pour le chauffage urbain. Le pétrole joue un rôle limité dans la production d’électricité, servant principalement de solution de secours dans certaines situations.
L’énergie nucléaire devrait gagner en importance grâce aux progrès réalisés dans les réacteurs modulaires, l’utilisation du thorium et les technologies de surgénération. Cependant, l’effet à
52 CCNUCC, préambule.
53 Il n’existe aucune donnée scientifique ou technique qui valide le scénario où s’opérerait une transformation complète sans heurt vers les énergies renouvelables, qui constitueraient le seul système énergétique.
54 2023 World Oil Outlook 2045, p. 49-51, 84.
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court terme est limité par le très long échéancier nécessaire à la planification et à la mise en service des centrales nucléaires.
Les énergies renouvelables, en particulier les énergies solaire et éolienne, sont devenues plus concurrentielles grâce aux subventions et aux financements dont elles bénéficient, allant jusqu’à atteindre la parité des coûts avec la production d’énergie à partir de sources fossiles dans des lieux favorables. Les énergies solaire et éolienne représentent déjà une part substantielle de la production d’électricité dans des régions comme l’Europe, les États-Unis et la Chine. Selon le 2023 World Oil Outlook 2045, les énergies renouvelables continueront de se développer, remplaçant graduellement le charbon, bien que celui-ci puisse persister dans certaines régions compte tenu de leurs plans de développement actuels et futurs. Le coût réel de l’intégration des systèmes d’énergies renouvelables dans le bouquet énergétique demeure un obstacle.
L’hydrogène est considéré comme une solution possible dans le contexte de la transition énergétique, jouant le rôle de vecteur d’énergie55.
59. Les sources d’énergies traditionnelles et renouvelables entretiennent une complexe relation d’interdépendance dans la lutte contre les émissions de GES. Les technologies qui alimentent les sources d’énergies renouvelables nécessitent souvent des produits dérivés du pétrole pour fonctionner56. Une turbine éolienne est généralement faite d’acier (de 66 % à 79 % environ de la masse totale de la turbine) ; de fibre de verre, de résine ou de plastique (de 11 % à 15 %) ; de fer ou de fonte (de 5 % à 17 %) ; de cuivre (1 %) ; et d’aluminium (de 0 % à 2 %). La fibre de verre, la résine et le plastique sont tous des produits dérivés du pétrole57. Ils sont essentiels à la fabrication d’une turbine éolienne et, à ce jour, ne peuvent être remplacés à grande échelle à cette fin. Ces turbines ne peuvent donc être fabriquées sans ces produits essentiels à base de pétrole. De même, dans le cas des panneaux solaires, si l’on prend en exemple un panneau solaire en silicium cristallin type, celui-ci est fait d’environ 76 % de verre, 10 % de polymère plastique, 8 % d’aluminium, 5 % de silicone, 1 % de cuivre et moins de 0,1 % d’argent et autres métaux58. Des produits pétrochimiques comme l’éthylène sont utilisés dans les couches de copolymère pour panneaux photovoltaïques. Plusieurs autres exemples peuvent illustrer cette interdépendance qui exige une combinaison d’énergies différentes pour assurer les moyens de subsistance.
60. Privilégier exclusivement l’atténuation des changements climatiques en se fondant sur des interprétations strictes alors qu’on négligerait en même temps ces besoins va à l’encontre du régime juridique spécial établi par la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris et applicable aux émissions anthropiques de GES. Il ressort clairement du libellé du paragraphe 1 de l’article 2 de l’accord de Paris que la lutte contre les changements climatiques par la mise en oeuvre dudit accord et l’atteinte de ses objectifs doit se faire « dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté ».
55 Ibid., p. 42-44, 75.
56 Ed Conway, Material World: A Substantial Story of Our Past and Future, p. 433 (WH Allen, 2023).
57 Christopher Mone, Maureen Hand, Mark Bolinger, Joseph Rand, Donna Heimiller and Jonathan Ho, 2015 Cost of Wind Energy Review, p. 65, tableau 30 (National Renewable Energy Laboratory Report, Revised May 2017) ; What materials are used to make wind turbines?, US Geological Survey, accessible à l’adresse suivante : https://www.usgs.gov/ faqs/what-materials-are-used-make-wind-turbines.
58 Dominish, E., Florin, N. and Teske, S., 2019, Responsible Minerals Sourcing for Renewable Energy. Report prepared for Earthworks by the Institute for Sustainable Futures, University of Technology Sydney, p. 11. How Are Solar Panels Made?, 19, October 2022, Union of Concerned Scientists, accessible à l’adresse suivante : https://blog.ucsusa.org/ charlie-hoffs/how-are-solar-panels-made/.
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CHAPITRE IV OBLIGATIONS DES ÉTATS EN MATIÈRE DE CHANGEMENTS CLIMATIQUES
61. Compte tenu du contexte exposé ci-dessus, le présent chapitre porte expressément sur la première question posée à la Cour :
« a) Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre pour les États et pour les générations présentes et futures ? »
A. SOURCES DES OBLIGATIONS : LA LEX SPECIALIS
62. Les obligations qui incombent aux États en droit international en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de GES sont expressément énoncées dans le régime conventionnel relatif aux changements climatiques constitué par la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris (lex specialis). Les dispositions de ces instruments « se suffisent à elles-mêmes » en ce qu’elles régissent de manière globale les émissions anthropiques de GES59.
63. Les émissions anthropiques de GES font l’objet d’un système de gouvernance international complexe constitué par une lex specialis qui vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté. Ce système a introduit la souplesse dont les différents États ont besoin pour atteindre leurs objectifs en matière de changements climatiques, et restreindre cette souplesse provoquerait l’effondrement d’un système qui correspond aux différentes réalités des situations et des capacités des parties à réduire les émissions de GES et à contribuer financièrement à cet effort. Ce système tient pleinement compte des difficultés qui surgiraient si l’on ignorait l’histoire des contributions aux émissions de GES et les différences entre les pays quant aux moyens dont ils disposent pour s’attaquer à ce problème mondial par la voie de la coopération, des ressources financières et du renforcement des capacités.
B. OBLIGATIONS QUI INCOMBENT À TOUS LES ÉTATS
64. Les obligations qui incombent à tous les États en vertu de la lex specialis sont les suivantes :
a) Chaque partie établit, communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives qu’elle prévoit de réaliser60. Les obligations dont un État doit s’acquitter font l’objet d’un examen public rigoureux par les autres États membres de la Conférence des parties, qui est l’organe décisionnel suprême pour le protocole de Kyoto, la CCNUCC et l’accord de Paris.
b) Une obligation de moyens incombe aux États, dans les limites définies par leurs contributions déterminées au niveau national respectives en tant que sources de leur contribution, cette obligation consistant à prendre des initiatives et des mesures internes pour faire face aux
59 La Cour internationale de Justice et la Cour permanente de Justice internationale ont toutes deux souligné leur déférence à l’égard de traités se suffisant à eux-mêmes dans les affaires suivantes : Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923, C.P.J.I. série A no 1, p. 23-24 ; Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 40, par. 86.
60 Les articles 4, 7 et 13 de l’accord de Paris disposent expressément que les États parties fournissent ces contributions déterminées au niveau national.
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changements climatiques en vue de réaliser les objectifs de leurs contributions déterminées au niveau national
61.
65. Ces dispositions soigneusement élaborées de l’accord de Paris, qui accordent une importance particulière aux efforts menés à l’échelle nationale et à une approche ascendante (bottom-up), alimentent les contributions collectives plus générales de tous les États visant à limiter conjointement l’élévation des températures de la planète et à prendre des mesures d’adaptation en conséquence.
66. En ce qui concerne leur contenu, les contributions déterminées au niveau national ont expressément été désignées par le terme de « contributions » et non d’« engagements » ou d’« obligations ». Les États ont fait le choix clair et délibéré de s’écarter de la formulation utilisée dans le protocole de Kyoto, qui s’applique de manière sélective, afin d’établir un accord mondial plus général. Par conséquent, alors que le protocole de Kyoto imposait à certains pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC des « engagements » en matière de niveaux d’émission de GES, qui n’ont pas été respectés pour la plupart, l’accord de Paris n’a pas adopté ce terme62. Cet accord traduit plutôt l’intention de la communauté internationale des États d’adopter une norme plus flexible, gouvernée par les États, afin de mieux tenir compte des situations nationales dans l’action menée contre les émissions de GES. Le sens ordinaire du mot « contribution » renvoie à la détermination par un État de sa capacité de « donner ou fournir » afin « d’aider à réaliser un dessein particulier » ou « d’aider au succès de ce dessein », sens qu’il faut garder à l’esprit lorsqu’on examine les principes énoncés à l’article 2 de l’accord de Paris63. Ces contributions consistent donc en des efforts individuels déployés par les États en vue d’atteindre un objectif commun. Selon une règle générale du droit international, elles ne doivent pas s’interpréter comme des obligations autonomes.
67. L’importance de continuer de donner aux États la souplesse nécessaire à l’exécution de leurs obligations et à leurs progrès dans la transition énergétique est fermement ancrée dans le régime conventionnel relatif aux changements climatiques. Tout d’abord, l’accord de Paris repose sur le choix souverain des moyens à prendre pour atteindre ses objectifs. Le paragraphe 1 de l’article 4 de cet accord se lit comme suit :
« En vue d’atteindre l’objectif de température à long terme énoncé à l’article 2, les Parties cherchent à … opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté. »64
Cette disposition donne toute latitude aux États parties pour choisir comment « cherche[r] » à « atteindre l’objectif de température à long terme énoncé à l’article 2 »65. Elle leur permet de choisir comment parvenir à un « équilibre » entre « les émissions anthropiques par les sources et les
61 Accord de Paris, art. 4, par. 2, et art. 7, par. 9.
62 Voir protocole de Kyoto, art. 3 et annexe B. Nations Unies, protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, RTNU, vol. 2303, p. 162 ; ILM, vol. 37, p. 22 (1998) ; ATS, vol. 2 [2008], 3rd Session of the Conference of the Parties to the 1992 United Nations Framework Convention on Climate Change, 11 December 1997.
63 Voir le mot « contribute » (contribuer, en français) dans les dictionnaires anglais Cambridge, Collins et Merriam-Webster.
64 Accord de Paris, art. 4, par. 1.
65 Ibid.
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absorptions anthropiques par les puits »
66. Elle leur donne aussi toute latitude pour choisir comment « opérer des réductions rapidement … sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté »67.
68. Étant donné que, selon le paragraphe 1 de l’article 4 de l’accord de Paris, ces fonctions consistant à chercher, équilibrer et opérer sur la base de l’équité sont laissées à l’appréciation des États parties audit accord, chacun d’eux, en tant qu’État souverain, doit avoir le choix des moyens. Ce choix est guidé par les principes relatifs aux changements climatiques codifiés dans l’accord de Paris. Néanmoins, il doit aussi prendre en compte les principes relatifs au développement. Le choix souverain des moyens doit donc offrir la souplesse nécessaire pour que puisse être prise en compte la situation des États parties concernés. Le paragraphe 1 de l’article 4 n’est pas compatible avec l’imposition d’une approche rigide de la transition énergétique et de l’atténuation des changements climatiques68.
69. Le paragraphe 2 de l’article 4 de l’accord de Paris instrumentalise ensuite ce choix souverain des moyens en établissant le mécanisme des contributions déterminées au niveau national, qui exige que « [c]haque Partie établi[sse], communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives qu’elle prévoit de réaliser »69. L’élément d’intention fait clairement apparaître que chaque État souverain a le choix des moyens, selon ce qu’il juge bon, pour ce qui est d’adopter une politique énergétique qui réponde à ses objectifs individuels de développement durable et respecte le principe commun relatif aux changements climatiques consacré à l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 2 de l’accord de Paris70.
70. Le paragraphe 2 de l’article 4 le confirme dans sa deuxième phrase71, qui se lit comme suit : « Les Parties prennent des mesures internes pour l’atténuation en vue de réaliser les objectifs desdites contributions. »72 Le but est de réaliser « les objectifs desdites contributions »73. Les objectifs visés par la contribution sont définis de bonne foi par chaque partie et passent par l’adoption de politiques, notamment en matière énergétique, qui répondent aux impératifs de développement durable et respectent les principes relatifs aux changements climatiques, comme on l’a expliqué dans le paragraphe précédent de cet exposé74. L’obligation de moyens prévue au paragraphe 2 de l’article 4 de l’accord de Paris reconnaît et protège donc le choix souverain des moyens retenus dans les politiques en matière de changements climatiques ainsi que l’égalité souveraine des États en ce qui concerne leurs systèmes et leurs décisions en matière énergétique. Aucun cadre juridique externe rigide ne saurait l’emporter sur cette égalité souveraine. L’imposition d’un tel cadre rigide ne permettrait pas d’atteindre les résultats de la transition énergétique.
66 Ibid.
67 Ibid.
68 Ibid.
69 Ibid., art. 4, par. 2, phrase 1.
70 Comparer art. 4, par. 2, phrase 1 et art. 2, par. 1, al. a) de l’accord de Paris.
71 Accord de Paris, art. 4, par. 2, phrase 2.
72 Ibid.
73 Ibid.
74 Ibid., art. 4, par. 2, phrase 1.
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71. Le paragraphe 3 de l’article 4 de l’accord de Paris est conforme à ce choix souverain des moyens75. Il dispose que
« [l]a contribution déterminée au niveau national suivante de chaque Partie représentera une progression par rapport à la contribution déterminée au niveau national antérieure et correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible, compte tenu de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales »76.
72. La première clause du paragraphe 3 de l’article 4, qui se termine par la conjonction « et », exige une progression77. Ce paragraphe n’établit pas en soi de référence pour la « progression » ni ne définit un objectif final précis78. Cette progression doit donc être interprétée en se référant au texte introductif de l’article 4, à savoir le paragraphe 1 de cet article79, qui prévoit que « les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais » et « à opérer des réductions rapidement par la suite … sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté »80. Le paragraphe 1 de l’article 4 exige des États qu’ils affichent une progression selon les considérations suivantes : 1) réduction des émissions, 2) équité et 3) développement durable81.
73. Le dénominateur commun de ces considérations, défini au paragraphe 1 de l’article 4 de l’accord de Paris et applicable par renvoi au paragraphe 3 de l’article 4, est le « développement durable »82. Toute « progression » doit donc tendre vers le développement plutôt que correspondre à une progression mathématique de la réduction des émissions83. Autrement dit, cette progression est toujours considérée à la lumière de son contexte spécifique et doit être souple et non rigide.
74. La deuxième clause du paragraphe 3 de l’article 4 de l’accord de Paris confirme ce point84. Elle exige que les contributions déterminées au niveau national successives d’une partie audit accord « correspond[ent] à son niveau d’ambition le plus élevé possible »85. Là encore, cette clause ne prévoit aucun moyen de mesurer ladite ambition86. Comme dans le contexte de la première clause, la mesure commune du « niveau d’ambition le plus élevé possible » est le contexte « du développement durable et de la lutte contre la pauvreté » codifié au paragraphe 1 de l’article 4 de l’accord de Paris87.
75 Ibid., art. 4, par. 3.
76 Ibid.
77 Ibid.
78 Voir ibid.
79 Ibid., art. 4, par. 1.
80 Ibid.
81 Ibid.
82 Ibid.
83 Ibid., art. 4, par. 3.
84 Ibid.
85 Ibid.
86 Voir ibid.
87 Ibid., art. 4, par. 1.
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75. La définition donnée dans le rapport Brundtland aide à comprendre l’intention du paragraphe 3 de l’article 4 de l’accord de Paris : « Le genre humain a parfaitement les moyens d’assumer un développement durable, de répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs. »88 Plus précisément, la « notion de développement durable implique certes des limites. Il ne s’agit pourtant pas de limites absolues mais de celles qu’imposent l’état actuel de nos techniques et de l’organisation sociale et la capacité de la biosphère de supporter les effets de l’activité de l’homme »89. Le développement durable exige donc une norme souple qui tient compte de « l’état actuel de nos techniques et de l’organisation sociale » par opposition à l’utilisation d’une mesure unique. Le rapport Brundtland indique ensuite que « nous sommes capables d’améliorer nos techniques et notre organisation sociale de manière à ouvrir la voie à une nouvelle ère de croissance économique »90. En fait,
« [l]a Commission estime que la pauvreté généralisée n’est pas une fatalité. Or, la misère est un mal en soi, et le développement durable signifie la satisfaction des besoins élémentaires de tous et, pour chacun, la possibilité d’aspirer à une vie meilleure. Un monde qui permet la pauvreté endémique sera toujours sujet aux catastrophes écologiques et autres »91.
76. Interpréter le développement durable comme étant la mesure du « niveau d’ambition le plus élevé possible » propose une ambition qui garantit la croissance économique, la réduction de la pauvreté et les capacités humaines aujourd’hui sans mettre pas en péril l’épanouissement de l’humanité demain92. Cette ambition est par conséquent fonction du contexte et empreinte de souplesse. Elle ne sacrifie pas la promesse d’un épanouissement de l’humanité aujourd’hui à la promesse d’un épanouissement de l’humanité demain ou vice versa. Pour y parvenir, elle doit apporter une réponse pragmatique aux difficiles problèmes actuels, ce qui est précisément ce que les politiques énergétiques actuelles essaient de faire dans le monde entier.
77. Cette interprétation est enfin confirmée par la dernière clause du paragraphe 3 de l’article 4 de l’accord de Paris93, qui prévoit que la progression et l’ambition qu’une partie à cet accord fait figurer dans sa contribution déterminée au niveau national doivent tenir « compte … de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses capacités respectives eu égard aux différentes situations nationales »94. Les responsabilités communes mais différenciées et les différentes situations nationales sont nécessairement des critères souples. La progression et l’ambition ne sont donc pas mesurées par un seul critère, mais doivent plutôt être appréciées de manière globale à l’aune du développement.
78. L’accord de Paris comporte des éléments pertinents à prendre en compte en ce qui concerne l’obligation de comportement. L’article 2 stipule notamment que
« [l]e présent Accord, en contribuant à la mise en oeuvre de la Convention, notamment de son objectif, vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements
88 Gro Harlem Brundtland et al., Notre avenir à tous (1987), Enquête, par. 27, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/api/symbol/access?j=N8718468&t=pdf.
89 Ibid.
90 Ibid.
91 Ibid.
92 Comparer ibid. avec accord de Paris, art. 4, par. 3.
93 Accord de Paris, art. 4, par. 3.
94 Ibid.
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climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, notamment en a) [c]ontenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques »
95.
L’accord de Paris énonce des objectifs à atteindre collectivement par tous les États parties. Il le fait en tenant compte du « contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté »96. Ces objectifs sont poursuivis conformément à l’article 4 examiné plus haut, c’est-à-dire avec le choix souverain des moyens dans le cadre d’une approche souple97.
79. Une obligation de résultat ne saurait s’appliquer aux changements climatiques ou à la transition énergétique. Les États n’ont pas, et ne peuvent avoir, l’obligation de prévenir les changements climatiques en tant que tels ou leurs effets dans l’abstrait. Une telle conclusion serait contraire au libellé de l’accord de Paris.
80. L’accord de Paris énonce en outre le critère d’application de l’obligation de moyens lorsqu’il prescrit aux parties d’établir elles-mêmes leurs contributions déterminées au niveau national, ce qui revient à les laisser choisir leurs propres moyens pour faire face aux effets des changements climatiques98. Ces moyens qu’adopte un État doivent représenter une progression « correspond[ant] à son niveau d’ambition le plus élevé possible, compte tenu de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales »99. Cette mention des responsabilités différenciées et des capacités respectives est expressément liée à la formule « sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté »100.
81. La coopération et le principe des responsabilités différenciées exigent que les pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC qui dépendent des combustibles fossiles pour répondre à leurs besoins en matière de transports et de production d’électricité aient accès à ces combustibles afin d’empêcher les conséquences désastreuses qu’ils subiraient s’ils devaient sensiblement réduire l’accès de leur population aux transports et à l’électricité en raison d’un réseau électrique insuffisant pour assurer l’électrification. Exiger le contraire aggraverait la pauvreté énergétique découlant d’une électrification insuffisante, surtout en Afrique et en Asie. Les pays concernés risqueraient de devoir limiter leur capacité de produire de l’électricité ou de transporter des personnes, des biens et des services sur leurs territoires respectifs et entre eux si la demande de combustibles fossiles devait être restreinte d’une manière ou d’une autre. Un tel résultat serait incompatible avec le principe des responsabilités différenciées prévu par la CCNUCC ou l’accord de Paris. Par conséquent, aussi bien la demande de pétrole que l’offre visant à répondre à cette demande ne peuvent se heurter aux obligations prévues dans l’accord de Paris.
82. S’agissant des transports et de l’électricité, la voie à suivre est celle du transfert de technologies, du soutien technologique et du financement des chaînes de valeur énergétiques afin de
95 Ibid., art. 2.
96 Ibid., préambule.
97 Ibid., art. 4.
98 Ibid., art. 4, par. 2.
99 Ibid., art. 4, par. 3.
100 Ibid., art. 4, par. 1.
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répondre aux besoins de développement des États en fonction de leurs responsabilités et de leurs capacités. Cela signifie que les États doivent être libres de choisir leurs propres moyens de donner effet à l’accord de Paris. Cela signifie, par conséquent, que le principe de prévention ne peut que traduire en termes opérationnels la solution consensuelle adoptée par la famille des nations dans l’accord de Paris, et non la contredire ou l’« améliorer ».
83. Tout argument qui incite la Cour à conclure autrement prive les pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC de leur droit à une répartition équitable des avantages d’une économie mondialisée. Cette répartition équitable ne peut être assurée que si ces pays peuvent recourir aux combustibles fossiles tandis qu’ils tentent de diversifier leurs économies. En outre, un tel argument entraînerait une redistribution des richesses de l’activité économique du Sud global (activité qui, dans le passé, n’a que très peu contribué à la concentration des gaz à effet de serre) vers le Nord global, en raison de l’avantage que détient celui-ci en matière de technologie et de capitaux (et alors même que les pays du Nord global sont historiquement les plus grands émetteurs de gaz à effet de serre).
C. DES OBLIGATIONS DIFFÉRENCIÉES DISTINCTES
84. La CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris ont expressément souligné les obligations qui incombent aux pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC en ce qui concerne les émissions anthropiques de GES. Ces pays doivent mobiliser les ressources financières nécessaires et permettre le transfert de technologies pour venir en aide aux pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC, aux fins tant de l’atténuation de ces émissions que de l’adaptation aux changements climatiques101.
85. Ces obligations distinctes et uniques qui incombent aux pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC correspondent à leur responsabilité historique pour avoir produit des niveaux d’émissions anthropiques de GES cumulés nettement plus élevés102.
D. SITUATIONS NATIONALES
86. L’accord de Paris prévoit que les États contribuent à la réalisation des objectifs énoncés à son article 2 « eu égard [à leurs] différentes situations nationales ». Le sens ordinaire des dispositions de cet accord à la lumière de son objet et de son but montre bien que la « riposte mondiale » consiste à réaliser ses principaux objectifs, qui sont de « [c]onten[ir] l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » ; « [r]enfor[cer] les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et … promouv[oir] la résilience à ces changements et un développement à faible émission de gaz à effet de serre, d’une manière qui ne menace pas la production alimentaire » ; et « [r]end[re] les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques »103. La nature de cette action collective est encore soulignée dans l’article 3 de l’accord de Paris, qui évoque en y insistant des « contributions déterminées au niveau national à la riposte mondiale aux changements climatiques ». Cela signifie que la lutte concrète contre les émissions anthropiques de GES est déterminée par chaque État partie. Chaque État doit montrer qu’il déploie les efforts nécessaires pour atteindre les objectifs mondiaux énoncés à l’article 2 au moyen de sa contribution déterminée au niveau national, dont le périmètre
101 CCNUCC, art. 4, par. 3-10 ; accord de Paris, art. 9-11.
102 2023 World Oil Outlook 2045 (OPEC Secretariat Publication, October 2023), p. 80-81.
103 Accord de Paris, art. 2.
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dépend de son niveau de développement
104. Cette constatation est corroborée par le paragraphe 4 de l’article 4 de l’accord de Paris, qui se lit comme suit :
« Les pays développés Parties devraient continuer de montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en chiffres absolus à l’échelle de l’économie. Les pays en développement Parties devraient continuer d’accroître leurs efforts d’atténuation, et sont encouragés à passer progressivement à des objectifs de réduction ou de limitation des émissions à l’échelle de l’économie eu égard aux différentes situations nationales. »105
87. En outre, guidée par le principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives eu égard aux situations nationales, l’exécution de ces obligations diffère selon les États. Il ressort clairement de l’historique des négociations de la CCNUCC que ce principe doit constamment être rappelé dans les débats sur l’exécution des obligations106. Mesurer l’exécution des obligations de tous les États en appliquant le même critère juridique serait incompatible avec le consensus auquel ils sont parvenus, qui est de lutter contre les émissions anthropiques de GES par divers moyens et à des rythmes différents. La référence aux situations nationales renvoie aux nombreuses considérations dont doivent tenir compte certains États au moment de procéder à un arbitrage entre l’objectif de réduction des émissions de GES et d’autres objectifs mondiaux tels que le développement en vue « d’éliminer la pauvreté et de vaincre la faim », qui revêtent une importance capitale dans l’accord de Paris et la CCNUCC107. Dans le texte de l’accord de Paris, l’expression « selon qu’il convient » est expressément employée lorsqu’il est fait mention des efforts des États dans la lutte contre les changements climatiques, notamment : « Chaque Partie entreprend, selon qu’il convient, des processus de planification de l’adaptation et met en oeuvre des mesures qui consistent notamment à mettre en place ou à renforcer des plans, politiques et/ou contributions utiles »108.
E. SOURCES DE DROIT QUI NE S’APPLIQUENT PAS AU RÉGIME SPÉCIAL DES ÉMISSIONS ANTHROPIQUES DE GES
En dehors des obligations établies dans la lex specialis pertinente aux fins de l’avis consultatif sollicité, des principes tels que le principe de précaution, la prévention des préjudices ou dommages significatifs ou l’obligation de diligence requise, quelle qu’ait pu être leur évolution en droit
104 Ibid., art. 4, par. 4.
105 Une formulation similaire, bien que plus générale, est utilisée au paragraphe 1 de l’article 5 de l’accord de Paris, à savoir : « Les Parties devraient prendre des mesures pour conserver et, le cas échéant, renforcer les puits et réservoirs de gaz à effet de serre comme le prévoit l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention, notamment les forêts. »
106 Voir historique des négociations de la CCNUCC dans la résolution 45/212 de l’Assemblée générale des Nations Unies sur la Protection du climat mondial pour les générations présentes et futures, quarante-cinquième session, 21 décembre 1990, résolutions adoptées sur les rapports de la Deuxième Commission, p. 159-160.
107 Accord de Paris, préambule et art. 4. Ainsi qu’il est déclaré dans la résolution A/HRC/RES/50/9 du Conseil des droits de l’homme de l’ONU :
« [C]omme il est indiqué dans la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, les mesures visant à faire face aux changements climatiques devraient être coordonnées avec le développement économique et social de manière intégrée, afin d’éviter toute incidence négative sur celui-ci, compte dûment tenu des besoins prioritaires légitimes des pays en développement s’agissant d’assurer une croissance économique soutenue, d’éliminer la pauvreté et de vaincre la faim ».
Nations Unies, Conseil des droits de l’homme, résolution A/HRC/RES/50/9, cinquantième session, 14 juillet 2022, « Droits de l’homme et changements climatiques ».
108 Voir accord de Paris, art. 5, par. 1-2, et art. 7, par. 5, 9-11.
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international, ne sauraient passer pour des sources d’obligations supplémentaires distinctes applicables au comportement des États face aux émissions anthropiques de GES.
88. Les textes de la CCNUCC et de l’accord de Paris confirment ce point. Certains de ces principes, comme les principes de précaution ou de prévention, ont été incorporés dans le texte de la CCNUCC, au terme de longues années de débats. Ce texte fait clairement la distinction entre :
a) les « engagements » que prennent les États, qui comprennent des obligations telles que celle de présenter des contributions déterminées au niveau national ; et
b) les « principes » qui guident les États et qui ne sauraient s’interpréter comme constituant eux-mêmes des obligations distinctes109.
De plus, le terme « shall » en anglais (« doit », ou verbe à l’indicatif présent en français) ne peut être utilisé de manière interchangeable avec les termes « should » (« devrait ») ou « will » (indicatif futur en français)110. Le sens ordinaire du mot « guider » employé dans l’article 3 de la CCNUCC ne suppose aucun acte obligatoire de la part de la partie guidée111.
89. De surcroît, même ces principes qui guident les États sont tempérés par des éléments propres à la situation des pays chaque fois qu’ils sont mentionnés dans la CCNUCC. Les efforts que déploient les États pour préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures le sont « sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives ». Les formules suivantes de la CCNUCC décrivent les considérations qui s’imposent aux États parties lorsqu’ils prennent des mesures de précaution : « un bon rapport coût-efficacité », « compte [tenu] de la diversité des contextes socio-économiques », ces mesures doivent être « adaptées à la situation propre de chaque Partie », « intégrées dans les programmes nationaux de développement », « le développement économique étant indispensable pour adopter des mesures destinées à faire face aux changements climatiques ». Tous ces tempéraments viennent confirmer la souplesse dont les États ont besoin pour lutter contre les changements climatiques à l’échelle planétaire112.
90. Des tempéraments du même genre que ceux qu’on trouve dans la CCNUCC ont été repris dans l’accord de Paris, qui subordonne au contexte des différents besoins de développement des États
109 CCNUCC, art. 3 et 4.
110 Voir, par exemple, l’affaire portée devant l’Organisation mondiale du commerce États-Unis — Mesures affectant l’importation d’animaux, de viandes et d’autres produits d’origine animale en provenance d’Argentine, par. 7.403. Le groupe spécial a déclaré ce qui suit :
« La version en langue anglaise de l’Accord SPS [Accord sur l’application des mesures sanitaires et phytosanitaires] utilise à cinq reprises le mot “should”, alors que le mot “shall” est utilisé 37 fois, ce qui nous montre que l’utilisation de “should” au lieu de “shall” dans n’importe quelle disposition en particulier de cet Accord était un choix délibéré. En outre, le mot “shall” apparaît à l’article 5:51008 et à l’article 5:61009 — les dispositions qui suivent immédiatement l’article 5:4 et qui portent aussi sur le niveau approprié de protection. Il faut donner un sens à la décision des négociateurs d’utiliser le mot “should” à l’article 5:4 puis “shall” à l’article 5:5 et 5:6. Nous considérons que donner au mot “should” (devraient) dans ce contexte un sens autre qu’incitatif serait contraire à l’intention des négociateurs de l’Accord SPS et pourrait amener le groupe spécial à accroître les droits et obligations prévus dans les accords visés, ce qui serait contraire aux prescriptions de l’article 3:2 du Mémorandum d’accord. »
DS447 : États-Unis — Mesures affectant l’importation d’animaux, de viandes et d’autres produits d’origine animale en provenance d’Argentine, rapport du groupe spécial de l’OMC, WT/DS447/R, 24 juillet 2015, par. 7.403.
111 Dans le dictionnaire anglais Merriam-Webster, le mot « guide » (guider) est associé à « orienter dans une voie ou une direction » ou à « influencer ».
112 Voir CCNUCC, préambule.
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toutes les actions et tous les efforts déployés pour réaliser les objectifs d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques.
F. OBLIGATIONS DES ÉTATS À L’ÉGARD DES INDIVIDUS ET DES PEUPLES
91. Les États fournissent des services essentiels à leurs citoyens afin que ceux-ci puissent jouir d’un niveau de vie suffisant, et ils s’efforcent d’améliorer encore leurs conditions de vie. De nombreux États, dont les pays membres de l’OPEP, ont pris des mesures internes à cet effet dans le cadre de leurs politiques de développement durable113.
92. Des règles dont les prescriptions iraient au-delà de ce que la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris envisagent pour la coopération internationale des États face aux émissions anthropiques mondiales de GES et l’effet que ces règles finiraient par produire sur les droits individuels existants porteraient atteinte à la souveraineté des États et seraient contraires au consensus établi par ceux-ci. Imposer de nouvelles obligations aux États irait également à l’encontre du droit souverain des États d’accepter ou de refuser des obligations et serait contraire au but visé par la demande d’avis consultatif de l’Assemblée générale et qui est de donner des éclaircissements sur les obligations existantes.
93. De plus, il serait impossible de rendre compte aussi bien de la source d’émissions anthropiques de GES, où qu’elle puisse se trouver, en raison des nombreux facteurs actuels et historiques qui contribuent à ces émissions, que du préjudice direct causé aux droits d’individus ou de groupes particuliers114, et, partant, d’imputer la responsabilité des émissions en cause à un État particulier. C’est pourquoi faire face aux émissions nécessite un régime spécial qui tienne compte de leur complexité. Il n’est ni utile ni constructif d’invoquer une jurisprudence régionale et nationale concernant d’autres domaines de l’environnement et de tenter de l’étendre aux changements climatiques.
113 On trouvera des exemples de ces mesures dans les documents suivants : Saudi Arabia’s Voluntary National Review 2023, accessible à l’adresse suivante : VNR 2023 Saudi Arabia Report.pdf (un.org), par exemple, p. 11 ; The United Arab Emirate’s Voluntary National Review 2022, accessible à l’adresse suivante : VNR 2022 UAE Report.pdf (un.org), par exemple, p. 41 ; Kuwait’s Second Voluntary National Review Report, accessible à l’adresse suivante : VNR 2023 Kuwait Report.pdf (un.org), par exemple, p. 23 ; Algérie — Rapport national volontaire 2019, accessible à l’adresse suivante : 23441MAE_rapport_2019_complet.pdf (un.org), par exemple, p. 39 ; Equatorial Guinea’s National Voluntary Review 2022, accessible à l’adresse suivante : VNR 2022 Equatorial Guinea Report.pdf (un.org), par exemple, p. 32 ; Gabon — Examen volontaire national 2022, accessible à l’adresse suivante : https://hlpf.un.org/sites/default/files/vnrs/2022/VNR%202022%20Gabon%20Report.pdf, par exemple, p. 12 ; The Islamic Republic of Iran’s National Voluntary Review 2017, accessible à l’adresse suivante : 14994Iran.pdf (un.org), par exemple, p. 1 ; Iraq’s National Voluntary Review 2021, accessible à l’adresse suivante : Microsoft Word — VNR_Iraq_2021_English_Final Version_June302021, par exemple, p. 46 ; Libya’s National Voluntary Review 2021, accessible à l’adresse suivante : Microsoft Word — Libya_Main Message of VNR (690_Arabic) (un.org), par exemple, p. 2 ; Nigeria’s National Voluntary Review 2020, accessible à l’adresse suivante : 26309VNR_2020_Nigeria_Report.pdf (un.org), par exemple, p. 2 ; République du Congo, Contribution nationale volontaire à la mise en oeuvre des ODD, rapport 2019, accessible à l’adresse suivante : CONGO_Contribution Nationale Volontaire 2019.docx (un.org), par exemple, p. 15 ; Venezuela’s National Voluntary Review 2021, accessible à l’adresse suivante : 10168venezuelanationalreview.pdf (un.org), par exemple, p. 3.
114 Voir, par exemple, Nations Unies, Vaihere Bordes c. France, doc. CCPR/C/57/D/645/1995, 22 juillet 1996 ; Affaire Hatton et autres c. Royaume-Uni, Cour européenne des droits de l’homme, Recueil des arrêts et décisions 2003-VIII, p. 189, par. 96-101. Dans certains cas, il peut être possible de déterminer l’origine de la pollution atmosphérique en raison de la présence sur le territoire d’une grande usine ou industrie, mais les changements climatiques impliquent une diffusion des sources d’émissions à l’échelle planétaire. Voir Benoit Mayer, « Climate Change Mitigation as an Obligation Under Human Rights Treaties? », 115 Am. J. Int’l Law 409, 421 (2021) (citant Affaire Cordella et autres c. Italie, requête no 54414/13 (2019) ; Affaire Fadeïeva c. Russie, Cour européenne des droits de l’homme, Recueil des arrêts et décisions 2005-IV, p. 255 ; Affaire Taşkin et autres c. Turquie, Cour européenne des droits de l’homme, Recueil des arrêts et décisions 2004-X, p. 179).
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94. Les textes de la CCNUCC, du protocole de Kyoto et de l’accord de Paris, dans leur sens ordinaire, confirmé par le consentement général des États, ainsi que les données scientifiques et techniques actuelles et antérieures, sont autant d’éléments qui justifient que la Cour souscrive, dans l’avis consultatif sollicité, à cette souplesse dont ont besoin les États pour faire face au défi mondial des changements climatiques. Les obligations des États ne devraient pas être étendues au-delà de celles déjà inscrites dans les règles internationales spéciales régissant les changements climatiques qui figurent dans les trois traités. Imposer des restrictions aux États par d’autres moyens pourrait avoir un effet contraire à l’effet recherché en perturbant le fragile équilibre à maintenir entre le régime spécial, d’une part, et l’importance du consensus entre des États souverains, d’autre part.
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CHAPITRE V CONSÉQUENCES JURIDIQUES POUR LES ÉTATS AU REGARD DE LEURS OBLIGATIONS EN CE QUI CONCERNE LE SYSTÈME CLIMATIQUE ET L’ENVIRONNEMENT EN GÉNÉRAL
95. La deuxième question posée à la Cour se lit comme suit :
b) Quelles sont, au regard de ces obligations, les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, à l’égard :
i) Des États, y compris, en particulier, des petits États insulaires en développement, qui, de par leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des changements climatiques ou sont particulièrement vulnérables face à ces effets ?
ii) Des peuples et des individus des générations présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements climatiques ?
A. MÉCANISMES NON PUNITIFS ET AXÉS SUR LA FACILITATION PRÉVUS PAR LE RÉGIME JURIDIQUE SPÉCIAL RELATIF AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES
96. Les conséquences juridiques sont envisagées dans les règles spéciales de la CCNUCC, du protocole de Kyoto et de l’accord de Paris. Reconnaissant l’ampleur et la complexité du problème mondial posé par les changements climatiques et la nécessité de s’y attaquer, les États ont inclus des mécanismes de conformité appropriés et non punitifs dans la CCNUCC et l’accord de Paris afin d’attacher des conséquences juridiques aux manquements éventuels des États à leurs obligations. Les différents États disposent de capacités différentes face aux émissions anthropiques de GES qui se sont développées au fil des siècles. Afin de tenir compte de la diversité des situations des États et de leurs responsabilités respectives, des mécanismes de mise en oeuvre et de conformité axés sur la facilitation ont été institués par l’accord de Paris, notamment :
1) Un mécanisme pour faciliter la mise en oeuvre et promouvoir le respect des dispositions de l’accord, qui « est constitué d’un comité d’experts et axé sur la facilitation, et fonctionne d’une manière qui est transparente, non accusatoire et non punitive. Le comité accorde une attention particulière à la situation et aux capacités nationales respectives des Parties »115.
2) Un « bilan mondial » qui fait périodiquement le bilan de la mise en oeuvre de l’accord de Paris afin d’évaluer les progrès collectifs accomplis dans la réalisation de l’objet de cet accord et de ses buts à long terme « d’une manière globale, axée sur la facilitation, en prenant en considération l’atténuation, l’adaptation, les moyens de mise en oeuvre et l’appui et en tenant compte de l’équité et des meilleures données scientifiques disponibles »116.
3) Un cadre de transparence afin de renforcer la confiance mutuelle et de promouvoir une mise en oeuvre efficace « assorti d’une certaine flexibilité, qui tient compte des capacités différentes des Parties et qui s’appuie sur l’expérience collective »117.
97. Ces mécanismes ne reposent pas sur une pénalisation des États, mais plutôt sur l’aide à leur apporter et sur la détection des lacunes dans la réduction des émissions de GES et l’adaptation
115 Accord de Paris, art. 15.
116 Ibid., art. 14.
117 Ibid., art. 13.
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aux changements climatiques en fonction de la nature des obligations de moyens prévues dans l’accord de Paris et la CCNUCC. Ils comptent donc sur l’indispensable coopération de la communauté internationale pour fournir un soutien technique ou financier aux États qui en ont besoin.
98. Ces mécanismes axés sur la facilitation, non accusatoires et non punitifs, ne sont pas étrangers au droit international118. Ils constituent l’essence même de certaines obligations particulièrement complexes du fait qu’elles nécessitent d’apporter des changements structurels aux systèmes économiques, sociaux et politiques d’un État dans des cas où pénaliser cet État n’est pas le mécanisme approprié à cette fin.
Des procédures judiciaires interminables n’aboutissent pas à des solutions durables, ainsi qu’il ressort souvent de la jurisprudence interne119. Les juridictions ne disposent pas des moyens nécessaires pour concevoir et imposer des politiques énergétiques à l’échelle nationale ou internationale. C’est aux États qu’il appartient d’adopter des politiques générales dans lesquelles ils peuvent inclure des méthodes conçues sur mesure pour faire face aux changements climatiques. Les autorités d’un État, qu’elles appartiennent à sa branche exécutive ou à sa branche législative, sont les mieux à même de mettre au point des politiques accordant la plus haute importance à la réalisation de sa contribution à la lutte mondiale contre les émissions anthropiques de GES en collaboration avec les autres États, sans pour autant négliger les besoins actuels de l’État considéré en systèmes d’énergie, transports, systèmes de chauffage et de refroidissement et autres produits essentiels.
B. INAPPLICABILITÉ DE LA RESPONSABILITÉ POUR PERTES ET PRÉJUDICES DANS LE RÉGIME SPÉCIAL DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
99. Il n’existe pas de consensus mondial sur la responsabilité dans le contexte des émissions anthropiques de GES ou sur la responsabilité à raison des dommages causés. Au contraire, les États, dans le cadre de la Conférence des Parties, qui est l’organe décisionnel suprême pour les questions touchant l’accord de Paris (CMA) et la CCNUCC (COP), ont expressément décidé de dissiper tout
118 Voir, par exemple, annexe II : Procédure applicable en cas de non-respect du protocole de Montréal conformément à l’article 8 du protocole, approuvée à la dixième réunion des parties (1998), accessible à l’adresse suivante : https://ozone.unep.org/node/2078?q=fr/node/2078. Les recommandations du comité d’application sont accessibles à l’adresse suivante : https://ozone.unep.org/list-of-implementation-committee-recommendations ; Nations Unies, procédures CITES pour le respect de la convention adoptées par la Conférence des Parties dans sa résolution Conf. 14.3 (Rev. COP19) appliquant les articles XII et XIII de la convention à la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), RTNU, vol. 993 (p. 243), 3 mars 1973, accessible à l’adresse suivante : https://cites.org/sites/default/files/documents/COP/19/resolution/F-Res-14-03-R19.pdf ; voir aussi Chapter 5 – Compliance: Implementation, Enforcement, Dispute Settlement in Principles of International Environmental Law, p. 135-184 (3rd ed., Eds. Philippe Sands, Jacqueline Peel, Adriana Fabra and Ruth MacKenzie, 2012).
119 Dans les affaires Urgenda Foundation v the State of the Netherlands et Milieudefensie v the Royal Dutch Shell, les juridictions des Pays-Bas ont ordonné au Gouvernement néerlandais et à la Royal Dutch Shell Company de réduire leurs émissions de GES. Toutefois, comme dans ces affaires, les moyens permettant de réduire les émissions de GES peuvent facilement être considérés comme limités. Le gouvernement ou la société pouvaient mettre en place des solutions temporaires simples comme la vente d’actifs dans le secteur énergétique traditionnel à d’autres acteurs appliquant des politiques moins strictes et qui, au bout du compte, produiraient plus et non moins d’émissions de GES. Des mesures restrictives pourraient également entraîner des pertes d’emplois, contrairement à l’adoption d’autres mesures plus complexes qui peuvent comprendre un soutien de la part du gouvernement. Une stratégie plus responsable, par exemple, consisterait à encourager les multinationales ou les acteurs étatiques à acquérir davantage d’actifs de ce type et à procéder par la suite à leur décarbonisation grâce aux ressources dont ils disposent. Toutefois, cela suppose des politiques de grande ampleur élaborées avec le plus grand soin et prévoyant les retombées qu’elles auront. Voir Urgenda Foundation v the State of the Netherlands, ECLI:NL:RBDHA:2015:7145 (District Court of the Hague, 24 June 2015), ILDC 2456 (2015) (Urgenda I) par. 5.1 ; Urgenda Foundation v the State of the Netherlands, ECLI:NL:GHDHA:2018:2591 (Court of Appeal of the Hague, 9 October 2018), traduction en anglais dans (2020) 67 NILR 342 (Urgenda II) ; Urgenda Foundation v the State of the Netherlands, ECLI:NL:HR:2019:2007 (Supreme Court, 20 December 2019), traduction en anglais dans (2020) 59 ILM 811 (Urgenda III) ; Milieudefensie v Royal Dutch Shell, ECLI:NL:RBDHA:2021:5337 (District Court of The Hague, 26 May 2021), par. 5.3.
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doute concernant la responsabilité et l’indemnisation des pertes et préjudices. Ainsi, au paragraphe 51 de la décision 1/CP.21 portant adoption de l’accord de Paris qu’elle a adoptée à sa vingt et unième session, la Conférence des Parties est « [c]onv[enue] que l’article 8 de l’Accord [de Paris] ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation »
120.
100. À cet égard, il existe des instruments dans lesquels les États sont convenus d’inclure des dispositions expresses sur la responsabilité. La convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux figure au nombre de ces instruments121. Les États parties à cette convention ont établi de telles dispositions en raison de l’objet de la convention et de l’opportunité d’y inclure ces dispositions, compte tenu des activités concernées, lesquelles sont incontestablement dangereuses. Parmi les instruments de ce type qui portent sur la responsabilité figurent la convention sur la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire du 29 juillet 1960 et la convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires122. Ces deux instruments visent eux aussi des activités incontestablement dangereuses. Cela étant, dans le cas d’autres d’activités, aucun traité sur la responsabilité n’a recueilli suffisamment d’adhésions pour entrer en vigueur, ce qui montre bien l’absence de consensus sur l’opportunité de cette approche en ce qui concerne certains sujets123.
101. On ne saurait substituer d’autres interprétations de la responsabilité aux modalités arrêtées par des États souverains qui ont passé des années à négocier le texte de traités sur les changements climatiques qui sont l’expression de leurs intérêts collectifs. C’est ce que confirme l’échec d’autres tentatives d’associer de manière générale les dommages transfrontières à l’idée de responsabilité et de préjudice, parmi lesquelles le projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses de 2001 de la Commission du droit international124.
120 Rapport de la Conférence des Parties sur sa vingt et unième session, tenue à Paris du 30 novembre au 13 décembre 2015 – Additif – Deuxième partie : Mesures prises par la Conférence des Parties à sa vingt et unième session, Décisions adoptées par la Conférence des Parties, Adoption of the l’Accord de Paris, par. 51, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/10a01f.pdf.
121 Nations Unies, convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux, 29 mars 1972, entrée en vigueur le 1er septembre 1972, RTNU, vol. 961, no 13810.
122 Nations Unies, convention de Vienne relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires, 21 mai 1963, RTNU, vol. 1063, no I-16197 ; Nations Unies, convention sur la responsabilité civile dans le domaine de l’énergie nucléaire, 29 juillet 1960, RTNU, vol. 1519, no A-13706.
123 Voir protocole de Bâle sur la responsabilité et l’indemnisation en cas de dommage résultant de mouvements transfrontières et de l’élimination de déchets dangereux, Protocole additionnel de Nagoya-Kuala Lumpur sur la responsabilité et la réparation relatif au protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques, protocole sur la responsabilité civile et l’indemnisation en cas de dommages causés par les effets transfrontières d’accidents industriels, convention sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement et convention de 1988 sur la réglementation des activités relatives aux ressources minérales de l’Antarctique.
124 Projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses et commentaires y relatifs (2001). Texte adopté par la Commission à sa cinquante-troisième session, en 2001, et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session (A/56/10). Ce rapport, qui contient également les commentaires relatifs aux projets d’articles, figure dans l’Annuaire de la Commission du droit international, 2021, vol. II, deuxième partie. Voir aussi Documents officiels de l’Assemblée générale, soixante-treizième session, supplément no 10 (A/73/10), annexe B. L’élévation du niveau de la mer au regard du droit international, p. 354-355, par. 14, où ces débats ont été omis.
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En outre, le sujet de la responsabilité pour les « activités non interdites par le droit international » qui devait être abordé dans ces articles a finalement été abandonné, faute de consensus des États
125.
102. On trouve une tentative similaire ayant abouti au rejet de l’idée de la responsabilité pour pertes et préjudices dans le texte des projets de directive sur la protection de l’atmosphère de 2021 de la Commission du droit international126. Plusieurs pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC et d’autres n’y figurant pas ont exprimé leur opposition au sujet dans son ensemble et à l’idée d’étendre les conséquences juridiques jusqu’à englober la responsabilité pour dommages ou préjudices127. Dans son cinquième rapport sur la protection de l’atmosphère128, le rapporteur spécial, Shinya Murase, a insisté sur le fait qu’il était « difficile, pour ne pas dire impossible, dans le contexte de la dégradation atmosphérique mondiale et notamment des changements climatiques, de déterminer quels États [étaie]nt responsables de ce qui caus[ait] les dommages allégués ». Il a en outre souligné ce qui suit :
« Nous rappellerons à ce stade que les travaux de la Commission sur ce sujet visent à établir un cadre de coopération pour la protection de l’atmosphère plutôt qu’à instaurer un régime d’imputation et de condamnation. La coopération internationale est au coeur du projet actuel129. De ce point de vue, il est peut-être préférable de remédier aux manquements aux obligations autrement qu’en sanctionnant l’État en cause. De fait, faciliter le respect des normes en aidant les États défaillants servirait sans doute mieux l’objectif du présent projet de directives sur la protection de l’atmosphère. »130
103. La responsabilité et les dommages ne sont pas des conséquences juridiques applicables aux changements climatiques dans le régime conventionnel spécial qui leur est consacré. La Cour peut tirer cette conclusion en se fondant sur la position adoptée par les États dans la codification progressive des règles de droit international et sur l’état actuel de la lex specialis (jusqu’à la COP 28
125 Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-troisième session (2001), chap. V : « Responsabilité internationale pour les conséquences préjudiciables découlant d’activités qui ne sont pas interdites par le droit international (prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses) », p. 156, accessible à l’adresse suivante : https://legal.un.org/ilc/reports/2001/french/chp5.pdf ; Projet d’articles sur la prévention des dommages transfrontières résultant d’activités dangereuses et commentaires y relatifs, 2001, p. 157, Texte adopté par la Commission à sa cinquante-troisième session, en 2001, et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session (A/56/10). Ce rapport, qui contient également les commentaires relatifs aux projets d’articles, figure dans l’Annuaire de la Commission du droit international, 2021, vol. II, deuxième partie.
126 Texte des projets de directive sur la protection de l’atmosphère 2021, adopté par la Commission du droit international à sa soixante-douzième session, en 2021, et soumis à l’Assemblée générale dans le cadre de son rapport sur les travaux de ladite session (A/76/10, par. 39). Annuaire de la Commission du droit international, 2021, vol. II, deuxième partie.
127 Nations Unies, Shinya Murase, rapporteur spécial, doc. A/CN.4/711, 8 février 2018, New York, 30 avril-1er juin 2018, Genève, 2 juillet-10 août 2018, par. 4 ; Nations Unies, CDI, compte rendu analytique de la 3247e séance, doc. A/CN.4/SR.3247, par. 24 (Kittichaisaree), par. 42-43 (Hmoud) ; Nations Unies, CDI, compte rendu analytique de la 3213e séance, doc. A/CN.4/SR.3213, par. 21, par. 22 (Hernández) ; Nations Unies, CDI, compte rendu analytique de la 3246e séance, doc. A/CN.4/SR.3246, par. 2 (Murphy), par. 14 (Nolte) ; Nations Unies, CDI, compte rendu analytique de la 3247e séance, doc. A/CN.4/SR.3247, par. 2-5 (Wood), par. 17 (Hassouna), par. 35-36 (Šturma), par. 50-51 (Petrič) ; Nations Unies, CDI, compte rendu analytique de la 3212e séance, doc. A/CN.4/SR.3212, par. 5-6 (Hmoud) ; Nations Unies, compte rendu analytique de la 22e séance, doc. A/C.6/69/SR.22, par. 28-30 (Alabrune, France).
128 Nations Unies, rapport de la Commission du droit international, soixante-dixième session, doc. A/73/10, par. 195 [78] (projet de directive 10 [7], commentaire [7]). Voir aussi Nations Unies, Shinya Murase, rapporteur spécial, doc. A/CN.4/711, 8 février 2018, New York, 30 avril-1er juin 2018, Genève, 2 juillet-10 août 2018, par. 17.
129 Voir deuxième rapport sur la protection de l’atmosphère, établi par Shinya Murase, rapporteur spécial (A/CN.4/681), sect. VI, accessible à l’adresse suivante : https://undocs.org/A/CN.4/681.
130 Nations Unies, Shinya Murase, rapporteur spécial, doc. A/CN.4/711, par. 18.
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de décembre 2023)
131. La pratique des États, telle qu’elle ressort de leur adhésion à des traités comme la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris et des positions qu’ils ont défendues dans le cadre des travaux de codification, a donc conclu au rejet de l’idée que la responsabilité pour pertes et préjudices s’appliquerait à la lex specialis qui énonce leurs obligations en matière de changements climatiques.
C. PRIORITÉ ACCORDÉE À LA COOPÉRATION DANS LA CCNUCC ET L’ACCORD DE PARIS
104. Il est établi dans la lex specialis, à savoir la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris, que la coopération constitue le mécanisme de mise en oeuvre de ses dispositions, lequel mécanisme comprend la coordination par la COP et la fourniture d’un appui technique et financier aux pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC, en vue de réaliser in fine les objectifs généraux des traités relatifs aux changements climatiques132. Cette idée est renforcée par les dispositions de la Charte des Nations Unies, qui mettent en avant la coopération comme l’un des principaux moyens de régler les désaccords133. Si les mécanismes visant à renforcer la coopération sont effectivement incorporés dans ces traités, la mise en oeuvre de certains de leurs éléments, tels que le financement par les pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC, doit cependant être accélérée. Les flux financiers publics internationaux servant à favoriser le développement des énergies propres dans les pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC ont diminué depuis la pandémie de COVID-19, pour s’établir, en 2021, à moins de 35 % des montants de la période 2010-2019134. Les pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC lancent, dans le cadre des réunions de la COP et d’autres tribunes, des appels à la collaboration face au tarissement des sources de financement publiques et privées135.
105. Cette conséquence juridique axée sur la facilitation et cette nécessaire collaboration restent inchangées, même lorsqu’un État ou un individu peut prouver qu’il a subi un préjudice. De même, c’est dans le cadre de la coopération entre tous les États qu’il convient de répondre à ce préjudice, par exemple au moyen de l’établissement par la COP d’un fonds pour les pertes et les préjudices destiné aux pays touchés par les changements climatiques, tel qu’il est prévu à l’article 8 de l’accord de Paris136. Les pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC se sont engagés à mobiliser conjointement 100 milliards de dollars des États-Unis par an entre 2020 et 2025 pour aider les pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC dans leurs initiatives visant à faire face aux changements climatiques. Un fonds vert pour le climat a été établi afin de faciliter l’appui à apporter par les pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC à ceux qui n’y figurent pas et d’assurer le fonctionnement du mécanisme financier de la convention au titre de l’article 11 de la CCNUCC137.
131 Voir consensus des Émirats arabes unis, COP 28, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/cop28/ outcomes.
132 Voir accord de Paris, art. 6-12.
133 Charte des Nations Unies, art. 1, par. 3.
134 2023 World Oil Outlook 2045, p. 236.
135 Voir Decision -/CP.27 Sharm el-Sheikh Implementation Plan, UNFCCC, Conference of the Parties Twenty-Seventh Session/ Conference of the Parties serving as the meeting of the Parties to the Paris Agreement Fourth Session, Sharm el-Sheikh, 6-18 November 2022, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/sites/default/files/ resource/cop27_auv_2_cover%20decision.pdf.
136 What you need to know about the COP27 Loss and Damage Fund, UNEP.org, accessible à l’adresse suivante : https://www.unep.org/news-and-stories/story/what-you-need-know-about-cop27-loss-and-damage-fund.
137 Accords de Cancún, projet de décision -/CP.16, résultats des travaux du groupe de travail spécial de l’action concertée à long terme au titre de la convention, aux pages 18-20, Conférence des Parties à la CCNUCC, 11 décembre 2010, Cancún, Mexique, doc. FCCC/AWGLCA/2010/L.7, accessible à l’adresse suivante : https://documents.un.org/api/ symbol/access?j=G1070915&t=pdf.
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106. Les parties à l’accord de Paris ont souligné, dans l’article 8, l’importance du Mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques, qui doit permettre
« d’éviter les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques, notamment les phénomènes météorologiques extrêmes et les phénomènes qui se manifestent lentement, de les réduire au minimum et d’y remédier, ainsi que le rôle joué par le développement durable dans la réduction du risque de pertes et préjudices ».
Néanmoins, selon le paragraphe 3 de l’article 8 de l’accord de Paris, c’est « dans le cadre de la coopération et de la facilitation » que les parties devraient renforcer l’action menée par le biais de ce mécanisme
107. Les décisions COP 2/CP.27 et CMA 2/CMA.4 de 2022 ont établi de nouvelles modalités de financement et un fonds spécifique « pour aider les pays en développement qui sont particulièrement vulnérables aux effets néfastes des changements climatiques à faire face aux pertes et préjudices, notamment à remédier à ces pertes et préjudices », avec l’aide d’un comité de transition chargé de formuler des recommandations sur la mise en place des modalités de ce financement et du fonds138. Il a été rappelé à la COP 28 et à la CMA.5 que le fonds et les modalités de financement ont été établis sur le fondement de la coopération et de la facilitation et non de la responsabilité et de l’indemnisation. Dans ces décisions, le fonds a été désigné comme entité chargée d’assurer le fonctionnement du mécanisme financier de la CCNUCC, qui est défini à l’article 11 de cet instrument.
108. Dans le cadre de leurs initiatives les plus récentes, les États parties à l’accord de Paris et à la CCNUCC se sont réunis et entendus sur la mise en place de modalités de financement permettant de faire face aux pertes et préjudices139. Les États se sont immédiatement engagés à fournir les fonds nécessaires pour ces modalités. La mobilisation de ressources additionnelles a inclus un abondement sans précédent de 12,3 milliards de dollars des États-Unis pour reconstituer le fonds vert pour le climat140. Cette action de coopération et de solidarité témoigne des résultats que les États peuvent obtenir lorsqu’ils oeuvrent ensemble, en même temps qu’elle met en évidence le dynamisme dont les pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC ont fait preuve pour remplir leur obligation de fournir un appui.
109. Cette décision historique de mettre en place les modalités de financement permettant de faire face aux pertes et préjudices n’en a pas moins tenu, une fois de plus, à dissiper tout doute sur la
138 Questions relatives aux modalités de financement permettant de faire face aux pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques, qui ont trait notamment aux moyens de remédier aux pertes et préjudices, CCNUCC, décision -/CP.27 -/CMA.4, nos FCCC/CP/2022/L.18-FCCC/PA/CMA/2022/L.20, Conférence des Parties, vingt-septième session / Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties à l’Accord de Paris, quatrième session, Charm el-Cheikh, 6-18 novembre 2022, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/sites/default/files/resource/ cp2022_L18_cma2022_L20F_0.pdf.
139 Questions relatives au financement : Mise en place des nouvelles modalités de financement, y compris d’un fonds, permettant de faire face aux pertes et préjudices visés aux paragraphes 2 et 3 des décisions 2/CP.27 et 2/CMA.4, CCNUCC, -/CP.28 -/CMA.5, 29 novembre 2023, nos FCCC/CP/2023/L.1−FCCC/PA/CMA/2023/L.1, Conférence des Parties, vingt-huitième session, Émirats arabes unis, 30 novembre-12 décembre 2023, point 8 g) de l’ordre du jour provisoire, Conférence des Parties agissant comme réunion des Parties à l’Accord de Paris, cinquième session, Émirats arabes unis, 30 novembre-12 décembre 2023, point 10 g) de l’ordre du jour provisoire, accessible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/sites/default/files/resource/cp2023_L01_cma2023_L01F.pdf.
140 Project Portfolio, Green Climate Fund, accessible à l’adresse suivante : https://www.greenclimate.fund/projects/ dashboard.
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nature du régime spécial en mentionnant expressément son caractère coopératif et l’exclusion de la responsabilité. Le préambule de cette décision se lit notamment ainsi :
« Rappelant qu’il est entendu que la mise en place de modalités de financement, y compris d’un fonds, permettant de faire face aux pertes et préjudices est fondée sur la coopération et la facilitation et ne porte pas sur la responsabilité ou l’indemnisation [voir FCCC/CP/2022/10, par. 7 b), et FCCC/PA/CMA/2022/10, par. 71] ».
110. Le texte de l’accord de Paris appelle régulièrement les États parties à coopérer entre eux dans différents domaines pour faire face aux émissions anthropiques de GES141. La coopération est mentionnée dans tous les éléments suivants qui visent à réaliser l’objectif de l’article 2 :
1) effets des mesures de riposte : article 4 ;
2) efforts d’atténuation des changements climatiques : article 6 de l’accord de Paris ;
3) adaptation aux changements climatiques : article 7 de l’accord de Paris ;
4) pertes et préjudices découlant des changements climatiques et mesures pour y faire face : article 8 de l’accord de Paris142 ;
5) financement de l’atténuation et de l’adaptation aux changements climatiques : article 10 de l’accord de Paris ;
6) assistance technique pour le renforcement des capacités : article 11 de l’accord de Paris ;
7) transfert de technologies : article 10 de l’accord de Paris ;
8) amélioration de l’éducation, de la formation, de la sensibilisation, de la participation du public et de l’accès de la population à l’information dans le domaine des changements climatiques : article 12 de l’accord de Paris.
111. Toute autre interprétation des conséquences juridiques au regard des obligations en matière de changements climatiques liés aux émissions anthropiques de GES serait incompatible avec l’objet et le but des règles spéciales de la CCNUCC, du protocole de Kyoto et de l’accord de Paris. Ainsi qu’il est dit dans le préambule de la CCNUCC :
« Conscientes que le caractère planétaire des changements climatiques requiert de tous les pays qu’ils coopèrent le plus possible et participent à une action
141 La CCNUCC contient des dispositions similaires : art. 4-7.
142 Cet article propose de multiples domaines de coopération internationale, notamment les suivants :
a) les systèmes d’alerte précoce ;
b) la préparation aux situations d’urgence ;
c) les phénomènes qui se manifestent lentement ;
d) les phénomènes susceptibles de causer des pertes et préjudices irréversibles et permanents ;
e) l’évaluation et la gestion complètes des risques ;
f) les dispositifs d’assurance dommages, la mutualisation des risques climatiques et les autres solutions en matière d’assurance ;
g) les pertes autres qu’économiques ;
h) la résilience des communautés, des moyens de subsistance et des écosystèmes.
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internationale, efficace et appropriée, selon leurs responsabilités communes mais différenciées, leurs capacités respectives et leur situation sociale et économique,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Réaffirmant que le principe de la souveraineté des États doit présider à la coopération internationale destinée à faire face aux changements climatiques »143.
D. COMPLEXITÉ DE L’ÉVALUATION DES MESURES PRISES PAR LES ÉTATS À L’ÉGARD DES CHANGEMENTS CLIMATIQUES
112. Pour illustrer la complexité des mesures relatives aux changements climatiques qui requièrent une coopération, et non une confrontation par des procédures en responsabilité, on rappellera la diversité et l’ampleur des contributions des États à l’objectif général de limitation des émissions de GES et d’adaptation. Ces engagements complexes vont jusqu’à la réorganisation de secteurs entiers sur lesquels l’économie d’un pays se base, au déplacement de la population de régions présentant un risque de dégradation environnementale, à la modification des comportements sociétaux pour ce qui est de la consommation d’énergie et à l’adoption de mesures législatives, exécutives et judiciaires fastidieuses. Aux juridictions revient la tâche essentielle de garantir l’exécution d’obligations passées en force de loi.
113. Ces considérations mettent en évidence l’importance qu’il y a à intégrer l’idée de développement dans un processus et un cadre propres à guider les États dans leur adoption des mesures de riposte nécessaires pour faire face aux changements climatiques. Ce processus demande forcément la participation de toutes les parties prenantes d’un État afin que les dimensions sociale, économique et politique puissent toutes être prises en compte dans les politiques de l’État considéré, en fonction de sa situation nationale.
114. Les pays membres de l’OPEP, comme d’autres pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC, ont accepté cette évolution qui bouleversait leur situation et décidé de s’adapter en conséquence, en collaborant avec les autres États et en faisant face avec eux aux changements climatiques, malgré les difficultés inhérentes à ce choix. C’est avec ces difficultés à l’esprit qu’ils ont accepté les engagements de la CCNUCC et de l’accord de Paris. Multiplier aujourd’hui ces difficultés en décidant qu’il existerait d’autres règles de droit international gouvernant l’imputation de la responsabilité pour pertes et préjudices sans le consentement de ces États souverains s’écarterait de manière injustifiée du droit des gens tel que nous le connaissons et menacerait de ruiner l’ensemble de l’ordre juridique international.
115. Ce rappel objectif de la complexité inhérente à la mise en oeuvre des obligations en matière de changements climatiques met en évidence le fait que les difficultés auxquelles se heurtent les États s’expliquent souvent par l’insuffisance de leurs capacités ou par leur situation, et non par un mépris délibéré de leurs engagements, et ce, en raison d’autres besoins plus pressants de leur population, comme le chauffage par exemple144.
116. Les États, lorsqu’ils contribuent à l’objectif global de limiter l’élévation des températures de la planète, encouragent les autres États à en faire autant, préservant ainsi collectivement un bien
143 CCNUCC, préambule.
144 Daniel Bodansky, The Art and Craft of International Environmental Law, p. 237 (Cambridge, Massachusetts, 2010).
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public mondial, le système climatique
145. Les effets des changements climatiques se font sentir dans toutes les parties de l’atmosphère terrestre. Et c’est le bien-être de tous les États qui se dégrade fatalement si ce problème n’est pas pris en charge à l’échelle nationale. C’est pourquoi, dans l’un de leurs mécanismes de coopération pour la mise en oeuvre, les parties à l’accord de Paris ont établi que sera fait périodiquement un « bilan mondial » afin d’évaluer « les progrès collectifs accomplis dans la réalisation de l’objet du présent Accord et de ses buts à long terme … d’une manière globale, axée sur la facilitation »146.
117. Qui plus est, les facteurs qui ont eu des effets sur le système climatique sont légion. Bon nombre de ces effets ont des causes historiques, comme l’augmentation exponentielle des émissions par suite de la révolution industrielle, dont certains des effets se révèlent aujourd’hui seulement, et d’autres ont des causes naturelles147. Par conséquent, décider que les États doivent être tenus comptables, individuellement ou collectivement, des dommages causés à l’environnement est fallacieux et ignore la rigueur que doivent avoir les jugements en de telles matières avant de pouvoir être prononcés148.
118. De même, établir les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages au système climatique et à l’environnement en général, impose de tenir compte du complexe réseau de liens de causalité entre la dégradation du système climatique et les actions ou omissions incriminées sur une durée considérable au long de l’histoire149. Ramener les températures mondiales à des niveaux acceptables nécessite des mesures complexes permettant de remédier à plusieurs siècles d’effets subis par le système climatique.
119. La réponse à la deuxième question posée à la Cour concernant les conséquences juridiques est donc la suivante : il faut s’en rapporter aux dispositions spéciales autonomes convenues par les États qui sont énoncées dans ces sources primaires de droit international que sont la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris. Dans ces règles de droit international, les conséquences sont prévues sous la forme de mécanismes de mise en oeuvre et de conformité, notamment l’obligation particulière imposée aux pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC de coopérer à l’aide de contributions financières.
120. S’ils avaient souhaité imposer d’autres conséquences pour tout préjudice découlant d’actions — y compris les activités émettrices de GES — qui ne sont pas désignées comme
145 Daniel Bodansky, Jutta Brunnée and Lavanya Rajamani, International Climate Change Law, p. 3 (Oxford University Press, Oxford, 2017).
146 Accord de Paris, art. 14, par. 1.
147 2023 World Oil Outlook 2045, p. 80-81.
148 En outre, l’exactitude des calculs effectués de nos jours pour déterminer les contributions aux émissions de GES actuelles par rapport aux contributions historiques est toujours contestée. Voir How Colonial Rule radically shifts Historical Responsibility for Climate Change, 26 November 2023, Carbon Brief Report, accessible à l’adresse suivante : https:// www.carbonbrief.org/revealed-how-colonial-rule-radically-shifts-historical-responsibility-for-climate-change/.
149 Même dans le cas d’autres actions qui entrent dans la catégorie des faits internationalement illicites, la Cour internationale de Justice a souligné qu’il faut rechercher « s’il exist[ait] un lien de causalité suffisamment direct et certain entre le fait illicite … et le préjudice subi par le demandeur » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 233-234, par. 462). Ainsi, « [u]ne fois que l’existence du préjudice et le lien de causalité avec les faits illicites auront été établis, la Cour procédera à l’évaluation de ce préjudice » (Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), indemnisation, arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 332, par. 14).
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internationalement illicites
150, les États en seraient expressément convenus dans le régime conventionnel relatif aux changements climatiques.
E. CONSÉQUENCES JURIDIQUES AU REGARD DES OBLIGATIONS À L’ÉGARD DES PEUPLES ET DES INDIVIDUS
121. L’analyse présentée en réponse à la première question sur les obligations des États à l’égard des générations présentes et futures s’applique par extension à la question portant sur les conséquences juridiques, au regard de ces obligations, à l’égard des peuples et des individus. Les obligations qui incombent aux États au titre de la lex specialis sur les changements climatiques ne créent pas d’obligations supplémentaires ni de conséquences juridiques pour les États à l’égard des peuples. Dans les présentes écritures, l’OPEP a souligné l’importance de reconnaître à quel point il était complexe d’attribuer la responsabilité, à la fois historique et actuelle, du problème mondial des changements climatiques, en particulier du point de vue des émissions anthropiques de GES. La coopération des États face aux émissions mondiales de GES, telle que l’organise l’accord de Paris, profitera néanmoins à leurs peuples en évitant de nouveaux effets des changements climatiques, dans l’intérêt individuel et collectif des États.
150 Il ne ressort nullement du sens ordinaire des dispositions de la lex specialis que constituent la CCNUCC et l’accord de Paris que les activités qui produisent des émissions anthropiques de GES seraient réputées interdites ou illicites.
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CHAPITRE VI CONCLUSION
122. Les États devraient saisir les occasions comme celle que présente cet avis consultatif pour rappeler leurs obligations existantes de faire face aux changements climatiques conformément à la lex specialis que constituent la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris. Ce sujet étant appelé à évoluer, les États parties à ces instruments internationaux voudront peut-être, dans leur rôle législatif, revoir ces règles afin de les adapter à cette évolution. Entre-temps, le régime spécial actuel traduit l’évolution du consensus des États face aux changements climatiques.
123. Les règles de la lex specialis régissant les émissions anthropiques de GES dans le contexte du droit international relatif aux changements climatiques sont élaborées dans le cadre de négociations qui s’échelonnent sur de longues années afin de tenir compte de la complexité de ce problème mondial. Ces règles ont délibérément intégré la souplesse nécessaire pour que tous les États puissent faire face à ces émissions selon leurs différentes capacités et dans le contexte du développement.
124. Dans la situation actuelle, l’analyse présentée dans cet exposé vise à aider la Cour à se prononcer sur les obligations existantes des États en droit international en ce qui concerne les émissions anthropiques de GES qui ont un effet sur le système climatique et l’environnement en général, ainsi que sur les conséquences juridiques des actions et omissions s’y rapportant.
Les points suivants ressortent de cette analyse :
125. Portée : La portée de l’avis consultatif demandé se limite aux obligations des États concernant les émissions anthropiques de GES et leur effet sur le système climatique et l’environnement en général.
126. Droit applicable : Les obligations des États et les conséquences juridiques visées dans les deux questions posées à la Cour doivent être examinées dans le contexte des règles existantes (lex lata) du droit international et non dans celui de ce que ces règles devraient être (lex ferenda). Ce sont les États qui sont la source des règles, et c’est donc à eux qu’il appartient de les réviser s’ils le jugent approprié. Les règles en cause ne doivent pas être élargies au-delà du régime conventionnel spécial en vigueur par incorporation d’autres règles applicables à des questions environnementales plus larges qui ne cadrent pas avec la nature complexe de ce régime. Cette lex specialis, à savoir la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris, est un régime autonome qui régit les émissions anthropiques de GES.
En outre, la Cour, guidée par la résolution 77/276 de l’Assemblée générale des Nations Unies portant demande d’avis consultatif, ne devrait pas créer d’obligations ou de responsabilités supplémentaires pour les États. À cet égard, il est crucial d’établir une distinction entre ce que les États ont accepté en tant qu’« obligations » et ce qu’ils ont accepté en tant qu’autres « principes » les guidant dans la mise en oeuvre de leurs obligations, et ce, afin de ne pas transformer ces principes en de nouvelles obligations distinctes.
La Cour est invitée à faire preuve d’économie judiciaire en inscrivant son approche de l’avis consultatif sollicité dans le champ d’application du droit applicable, à savoir la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris.
127. Première question (obligations des États) :
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a) Quelles sont, en droit international, les obligations qui incombent aux États en ce qui concerne la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre pour les États et pour les générations présentes et futures ?
1. Obligations des États à l’égard des autres États
a) Obligations qui incombent à tous les États :
1. Présenter des contributions déterminées au niveau national conformément à l’article 4 de l’accord de Paris.
2. À titre d’obligation de comportement, prendre des initiatives et des mesures internes face aux changements climatiques en vue de réaliser les objectifs des contributions déterminées au niveau national, eu égard aux situations nationales et selon qu’il convient, tel qu’il est prévu au paragraphe 2 de l’article 4 et au paragraphe 9 de l’article 7 de l’accord de Paris.
b) Obligations particulières qui incombent aux pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC :
Les pays figurant à l’annexe I de la CCNUCC doivent fournir les ressources financières nécessaires et permettre le transfert de technologies pour venir en aide aux pays ne figurant pas à l’annexe I de la CCNUCC aux fins de l’atténuation de ces émissions et de l’adaptation aux changements climatiques, conformément à l’article 9 de l’accord de Paris et au paragraphe 3 de l’article 4 de la CCNUCC.
2. Obligations des États à l’égard des générations présentes et futures (peuples et individus)
Les États se sont engagés à appliquer les dispositions de la lex specialis sur les changements climatiques qui régissent ce sujet. Aucune obligation supplémentaire qui ne serait pas déjà prévue dans les engagements pris par les États ne devrait être ajoutée par voie d’interprétation aux obligations existantes.
128. Deuxième question (conséquences juridiques pour les États découlant de leurs actions et omissions)
b) Quelles sont, au regard de ces obligations, les conséquences juridiques pour les États qui, par leurs actions ou omissions, ont causé des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, à l’égard :
i) Des États, y compris, en particulier, des petits États insulaires en développement, qui, de par leur situation géographique et leur niveau de développement, sont lésés ou spécialement atteints par les effets néfastes des changements climatiques ou sont particulièrement vulnérables face à ces effets ?
ii) Des peuples et des individus des générations présentes et futures atteints par les effets néfastes des changements climatiques ?
1. Conséquences juridiques à l’égard des autres États
Il convient de se référer aux règles de la lex specialis énoncées dans la CCNUCC, le protocole de Kyoto et l’accord de Paris à la lumière de la nature des obligations qui y figurent. Ces deux instruments régissent expressément ces conséquences et écartent la possibilité que d’autres règles générales s’appliquent à la responsabilité des États pour les pertes et préjudices. Il est souligné dans
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ces règles que la coopération est le moyen approprié pour répondre aux actions ou omissions des États au regard des obligations en matière d’émissions anthropiques de GES.
Il existe des mécanismes pour mettre en oeuvre cette coopération, qui sont axés sur la facilitation et fonctionnent de manière non accusatoire et non punitive151, et notamment d’autres moyens d’appui financier et technique.
Les États parties n’ont aucunement l’intention d’incorporer la responsabilité pour pertes et préjudices en tant que conséquences juridiques au regard de ces obligations.
2. Conséquences juridiques à l’égard des peuples et individus
Les États sont attachés aux traités qu’ils ont ratifiés. Ces traités ont prévu les conséquences voulues au regard des obligations des États. Aucune nouvelle conséquence juridique découlant des changements climatiques et des émissions anthropiques de GES ne saurait être déduite et imposée aux États qui n’ait pas été acceptée par les États eux-mêmes dans la lex specialis actuelle.
Vienne, le 19 mars 2024.
Au nom de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, en qualité de représentant légal,
le secrétaire général,
Haitham AL GHAIS.
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151 Accord de Paris, art. 13-15.
Exposé écrit de l'organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP)