Déclaration de M. le juge Gómez Robledo

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194-20240523-ORD-01-03-EN
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194-20240523-ORD-01-00-EN
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DÉCLARATION DE M. LE JUGE GÓMEZ ROBLEDO
1. J’ai voté en faveur de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires parce que je reconnais l’importance des assurances fournies par l’Équateur au Mexique. Ces assurances, exprimées sous la forme d’actes unilatéraux, engagent l’Équateur et sont juridiquement contraignantes, comme cela a été rappelé au paragraphe 33 de l’ordonnance. La Cour a d’ailleurs relevé, dans le même paragraphe, que lesdites assurances ont été « énoncées de manière inconditionnelle » et qu’il y a lieu de présumer que l’Équateur « s’y conformera de bonne foi ».
2. À partir de ce constat, il me semble essentiel de dire que l’Équateur doit tout mettre en oeuvre afin de permettre au Mexique de mener à bien les démarches qui s’imposent afin de procéder à la fermeture de son ambassade à Quito, dans le plein respect de l’immunité et de l’inviolabilité des locaux, des biens et des archives de la mission diplomatique, ainsi que des agents diplomatiques mexicains. En d’autres termes, il s’agit de donner aux assurances énoncées par l’Équateur leur plein effet.
3. La mise en oeuvre de ces assurances nécessite la coopération de l’Équateur en tant qu’État accréditaire car celle-ci fait l’objet de démarches multiples pour lesquelles le respect des privilèges et des immunités prévus dans la convention de Vienne sur les relations diplomatiques (ci-après la « convention de Vienne ») est absolument fondamental. Se pose alors la question de la durée pendant laquelle l’État accréditaire, en l’espèce l’Équateur, est tenu par les obligations découlant de la convention de Vienne.
4. La pratique étatique démontre que les immunités prévues à l’article 22 de la convention de Vienne prennent fin à la suite de l’écoulement d’un certain délai après la rupture des relations diplomatiques (voir E. Denza, « Breach of Relations and Protection of Interest », in Commentary on the Vienna Convention on Diplomatic Relations, Oxford Public International Law, 2016, 4e édition). L’extinction des immunités constitue la conséquence logique de la cessation des relations diplomatiques. Si les locaux ne sont plus utilisés pour y abriter la mission diplomatique, ils perdront la qualité de « locaux de la mission » et, dès lors, leur inviolabilité.
5. Or, ce délai varie selon les États. La protection des locaux de la mission, de ses biens et de ses archives, prévue à l’alinéa a) de l’article 45 de la même convention, cessera à un moment ou à un autre et, en l’absence d’un accord entre l’État accréditaire et l’État accréditant, l’État accréditaire décidera.
6. En effet, l’appréciation du délai à la fin duquel les locaux perdront le statut de locaux diplomatiques et les agents diplomatiques ne jouiront plus des privilèges et immunités revient in fine à l’Équateur.
7. Il est permis, à cet égard, de faire un raisonnement par analogie avec le paragraphe 2 de l’article 39 de la convention de Vienne pour conclure que la protection ne pourrait être assurée indéfiniment et que, en tout état de cause, elle se limiterait à « un délai raisonnable ».
8. En outre, et s’agissant du chef de la mission qui est déclaré persona non grata ou de tout autre membre du personnel diplomatique de la mission qui n’est pas acceptable, dans son commentaire du projet final du paragraphe 2 de l’article 8, devenu par la suite paragraphe 2 de l’article 9 de la convention de Vienne, la Commission du droit international a indiqué que
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« [l]a suite normale du fait qu’une personne a été déclarée persona non grata après qu’elle est entrée en fonction est … le rappel par l’État accréditant ou une déclaration de ce dernier disant que les fonctions de la personne en cause ont pris fin … Mais si l’État accréditant ne fait pas le nécessaire dans un délai raisonnable, l’État accréditaire est autorisé à agir de son propre chef. Il peut déclarer que les fonctions ont pris fin, qu’il refusera de reconnaître à la personne en cause la qualité de membre de la mission et que celle-ci ne jouira plus des privilèges diplomatiques. » (Projet d’articles relatifs aux relations et immunités diplomatiques et commentaires y relatifs, 1958, p. 94.)
9. En conséquence, il fallait bien que le Mexique soit assuré de la pleine coopération de l’Équateur pendant la période qui suit la rupture des relations diplomatiques entre les deux États. La Cour a reconnu cet aspect et elle y fait allusion, de manière implicite, lorsqu’elle dit que « [c]es assurances sont particulièrement importantes durant toute la période nécessaire pour que le Mexique vide les locaux de son ambassade à Quito ainsi que les demeures privées de ses agents diplomatiques » (ordonnance, par. 33). Le Mexique est donc en droit d’exiger de l’Équateur que ce dernier donne effet à ses assurances « durant toute la période nécessaire » à la réalisation des démarches correspondantes.
10. Si l’urgence au sens de l’existence d’un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués par le Mexique n’a pas été démontrée à ce stade, la Cour a voulu, toutefois, donner toute sa place à l’importance fondamentale du respect des principes de l’inviolabilité des ambassades et des diplomates ainsi que des privilèges et immunités qui s’y rattachent (ordonnance, par. 37).
11. Il faut aussi rappeler que la décision de la Cour de ne pas exercer, pour l’heure, son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires, conformément à l’article 41 de son Statut, laisse intact le droit du Mexique de présenter à l’avenir une nouvelle demande en indication de mesures conservatoires fondée sur des faits nouveaux, en vertu du paragraphe 3 de l’article 75 du Règlement de la Cour.
(Signé) Juan Manuel GÓMEZ ROBLEDO.
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