Exceptions préliminaires de la Colombie

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13868
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Incidental Proceedings
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10412

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

DIFFÉREND TERRITORIAL ET MARITIME

(NICARAGUA c. COLOMBIE)

EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DE LA COLOMBIE

VOLUME I

JUILLET 2003

[Traduction du Greffe] T ABLE DES MATIÈRES

page

Introduction........................................................................
........................................ 1
I. Historique de la procédure........................................................................
............................... 1

II. Exceptions préliminaires de la Colombie........................................................................
...... 2

III. Position de la Colombie : synthèse........................................................................
................ 2

A. Description succincte du contexte historique .................................................................. 2
B. Efforts déployés par le Nicaragua pour revenir sur les questions réglées par le

traité de 1928 et son protocole d’échange des ratifications de 1930 ............................... 4
C. Exceptions préliminaires de la Colombie ........................................................................
4

IV. Table des matières de la présente pièce de procédure......................................................... 11

Chapitre I Historique de l’affaire........................................................................
........................ 13

I. Les Parties en présence devant la Cour........................................................................
....... 13

II. La zone géographique........................................................................
.................................. 13
A. L’archipel de San Andrés ........................................................................
...................... 14

B. Lazonemaritime........................................................................
................................... 1 6

III. Ere coloniale et début de l’ère post-coloniale ..................................................................... 16

IV. Naissance d’un différend en 1913 suscité par la revendication de l’archipel de
San Andrés par le Nicaragua........................................................................
....................... 18

A. Naissance du différend concernant l’archipel de San Andrés en 1913.......................... 18
B. Négociations entre les parties ........................................................................
................ 19

V. Règlement du différend par le traité Esguerra-Bárcenas de 1928 et son protocole

d’échange des ratifications de 1930 ........................................................................
............ 20
A. Conclusion du traité........................................................................
............................... 20

B. Approbation et ratification du traité........................................................................
....... 22
C. Enregistrement du traité de 1928 et de son protocole d’échange des ratifications
de 1930........................................................................
................................................... 28

VI. Accords de 1928 et 1972 entre la Colombie et les Etats-Unis concernant les cayes de
Roncador, Quitasueño et Serrana ........................................................................
................ 29

VII.Le Nicaragua prétend exercer des activités dans des zones situées à l’est de la
frontière maritime convenue entre les deux pays le long du 82 méridien de longitude
ouest...................................................................
.................................................................. 31

VIIIRemise en cause unilatérale de la validité du traité de 1928 par le Nicaragua.................... 32

A. Prétendue déclaration unilatérale de nullité du Nicaragua............................................. 32
B. La question de la validité du traité de 1928................................................................... 33
C. Inconstitutionnalitéalléguée........................................................................
.................. 36
D. Le traité de 1928 n’a pas été abrogé pour «violation»................................................... 37 - ii -

ChapitreII En vertu des articles VI et XXXIV du pacte de Bogotá, la Cour est
«incompétente pour juger le différend» et doit donc déclarer celui-ci «terminé»..... 41

I. Le pacte de Bogotá........................................................................
...................................... 41

II. Dispositions pertinentes du pacte de Bogotá....................................................................... 41

III. Objet et but des articles VI et XXXIV ........................................................................
........ 43

IV. Règlement définitif du différend concernant l’archipel de San Andrés, la côte des

Mosquitos et les Islas Mangles (îles du Maïs)..................................................................... 47

V. Détermination de la limite maritime le long du 82 méridien de longitude ouest............... 49

e
VI. La nature du 82 méridien de longitude ouest ..................................................................... 51

VII. Fondement du règlement de 1928–1930 ........................................................................
..... 57

VIII Conclusion........................................................................
................................................... 58

ChapitreIII Les déclarations de la Colombie et du Nicaragua en vertu de la clause
facultative ne reconnaissent pas la compétence de la Cour....................................... 60

I. La compétence en vertu du pacte de Bogotá s’applique et est dès lors exclusive............... 61

II. Etant donné que le différend entre le Nicar agua et la Colombie a été réglé et est
terminé, il n’existe aucun différend porté devant la Cour à l’égard duquel la
juridiction reconnue par les déclarations en vertu de la clause facultative pourrait

s’appliquer........................................................................
................................................... 63

III. En toute hypothèse, la juridiction en vert u de la clause facultative ne s’applique pas,
puisque la déclaration de la Colombie n’était plus en vigueur à la date du dépôt de la

requête du Nicaragua........................................................................
................................... 63

A. Le retrait d’une déclaration en vertu de la clause facultative peut prendre effet
sans préavis........................................................................
............................................64
B. Les mentions d’«un délai raisonnable» par la Cour étaient des obiter dicta ................. 65
C.Dans la pratique, le Nicaragua et la Colombie ont considéré que leurs

déclarations pouvaient être dénoncées sans préavis ...................................................... 66
IV. En toute hypothèse, si la déclaration de 1937 de la Colombie est réputée être en

vigueur, ses dispositions excluent les prét entions du Nicaragua, le différend allégué
ayant pour origine des faits antérieurs au 6 janvier 1932.................................................... 67

V. Conclusion........................................................................
.......................................... ......... 75

ChapitreIV Bref résumé de l’argumentation exposée par la Colombie dans les présentes
exceptions préliminaires........................................................................
.................... 77

I. Généralités........................................................................
............................ 77..........

II. Première exception préliminaire de la Colombie ................................................................ 79

III. Deuxième exception préliminaire de la Colombie .............................................................. 79

Chapitre V Conclusions de la Colombie........................................................................
.............. 813 INTRODUCTION

I. H ISTORIQUE DE LA PROCÉDURE

1. Le 6 décembre 2001, la République du Ni caragua a soumis au Greffe de la Cour
internationale de Justice une re quête introductive d’instance contre la République de Colombie au

sujet d’un «différend port[ant] sur un ensemble de questions juridiques connexes en matière de titre
territorial et de délimitation maritime qui demeur ent en suspens entre la République du Nicaragua
et la République de Colombie» . 1

2. En particulier, le Nicaragua a prié la Cour :

« Premièrement, de dire et juger que la République du Nicaragua a la
souveraineté sur les îles de Providencia, San Andrés et Santa Catalina et sur toutes les
îles et cayes qui en dépendent ainsi que sur les cayes de Roncador, Serrana, Serranilla

et Quitasueño (pour autant qu’elles soient susceptibles d’appropriation) ;

Deuxièmement, à la lumière des conclusions qu’elle aura tirées concernant le
titre revendiqué ci-dessus, de déterminer le tracé d’une frontière maritime unique entre

les portions de plateau continental et les zones économiques exclusives relevant
respectivement du Nicaragua et de la Colombie, conformément aux principes
équitables et aux circonstances pertinentes que le droit international général reconnaît

comme s’appliquant à une délimitation de cet ordre.»

4 3. Dans son ordonnance du 26 février 2002, la Cour a fixé au 28avril2003 la date
d’expiration du délai pour le dépôt du mémoire du Nicaragua. Le Nicaragua a déposé son mémoire
dans le délai ainsi fixé. Dans son mémoire, le Nicaragua réaffirme en substance sa requête
adressée à la Cour, y ajoutant certaines précisions. Il n’en reste pas moins que l’instance introduite

par le Nicaragua concerne pour l’essentiel la souveraineté sur les îles, cayes et îlots de l’archipel de
San Andrés et Providencia («l’archipel de San Andr és»), ainsi que la frontière maritime qui sépare
ces territoires de la masse continentale du Nicara gua et des formations insulaires nicaraguayennes

situées dans la partie occidentale de la mer des Caraïbes.

4. S’agissant de la compétence de la Cour, le Nicaragua fait valoir dans sa requête que,

«[c]onformément au paragraphe 1 de l’article 36 de son Statut, la Cour est compétente en vertu de
l’article XXXI du pacte de Bogotá» 2 et que «[c]onformément aux di spositions du paragraphe 2 de
l’article 36 de son Statut, la Cour est également compétente en vertu des déclarations déposées par
2
l’Etat demandeur le 24septembre1929 et par la Colombie le 30octobre1937» 3 , affirmations
simplement reprises par le Nicaragua dans son mémoire, sans autres précisions .

1Requête du Nicaragua, par. 1.
2
Ibid.
3MN, p. 1-2, par. 3. - 2 -

5. Le Nicaragua y passe en outre sous silen ce le lien entre les deux titres de compétence
allégués, alors que, comme nous le démontrerons au chapitreIII ci-dessous, la Cour a examiné
cette question de façon approfondi e dans l’affaire relative à des Actions armées . De même, le

Nicaragua omet de préciser dans son mémoire que la Colombie a retiré sa déclaration avant le
dépôt de la requête du Nicaragua.

5 II.E XCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DE LA COLOMBIE

6. En vertu du paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la C our, tel qu’amendé le
er
1 février2001, la Colombie a l’honneur de déposer les présentes exceptions préliminaires,
relatives à la compétence de la Cour et à d’au tres questions pour lesquelles une décision est
demandée avant que la procédure sur le fond se poursuive. Ces exceptions préliminaires, qui

portent sur les deux titres de compétence invoqués par le Nicaragua, seront exposées en détail aux
chapitres II et III de la présente pièce de procédure.

III. OSITION DE LA C OLOMBIE :SYNTHÈSE

7. Dans sa requête, le Nicaragua fait valoir que l’affaire qu’il entend soumettre à la Cour

concerne a) la question de la souveraineté sur certaines îles et cayes qui font partie de l’archipel de
San Andrés situé dans la mer des Caraïbes et b) à la lumière des conclusions que la Cour aura tirées
à cet égard, le tracé de la frontière maritime entr e les portions de plateau continental et les zones

économiques exclusives relevant respectivement du Nicaragua et de la Colombie.

8. Ces deux questions furent définitivement ré glées il y a plus de soixante-dix ans par un
traité conclu entre la Colombie et le Nicara gua, lequel mettait fin à un différend ayant opposé les
deux Etats à propos de la côte des Mosquitos et de l’archipel de San Andrés, y compris les Islas
Mangles (îles du Maïs). Par conséquent, en introdui sant l’instance, le Nicaragua tente de relancer

une affaire qui est réglée depuis longtemps.

6 A. Description succincte du contexte historique

9. La Colombie et le Nicaragua ont accédé à l’indépendance après l’effondrement, au début
du XIX siècle, de l’empire colonial espagnol aux Amériques. A cette époque, l’archipel de

San Andrés ⎯qui comprenait alors les Islas Mangles (îles du Maïs) ⎯ et une portion de la côte
des Mosquitos faisaient partie de la vice-royauté espagnole de SantaFé (ou vice-royauté de la
NouvelleGrenade), devancière de la Colombie actuelle. Depuis l’indépendance de la Colombie
5
jusqu’à ce jour, les îles et cayes de l’archipel de San Andrés, comme il est appelé aujourd’hui , ont
toujours été entièrement et exclusivement administrées par la Colombie et placées sous la
souveraineté de cet Etat. La seule exception se rapporte à un différend de courte durée entre la

Colombie et les Etats-Unis d’Amérique ⎯ mais qui ne concernait pas le Nicaragua ⎯ au sujet de
la souveraineté sur trois des cayes de l’archipel (Roncador, Quitasueño et Serrana) ; ce différend fut
réglé par un accord conclu entre la Colombie et les Etats-Unis, par lequel ces derniers renonçaient à

toute revendication de souveraineté sur lesdites cayes. Pendant près de deux siècles, la Colombie a

4
Actions armées frontalières et trans frontalières (Nicaragua c.Honduras), co mpétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988.
5Sauf indication contraire, il faut entendre par archipel de San Andrés l’archipel tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Voir chap. I, par. 1.8. - 3 -

exercé sa souveraineté et accompli d’innombrables actes de gouvernement et d’administration dans
ces îles et cayes de l’archipel de San Andrés, de manière publique, pacifique, ininterrompue et à

titre de souverain. En résumé, depuis la fin de l’Empire espagnol, la souveraineté sur l’archipel de
San Andrés a appartenu à la Colombie et a été exercée par cet Etat et par lui seul.

10. En contraste flagrant avec ce constat, depuis l’indépendance du Nicaragua en1821,
aucun des îlots, îles ou cayes de l’archipel de San Andrés n’a jamais été placé sous la souveraineté
du Nicaragua ni, encore moins, été administré par lui à quelque égard ou niveau que ce soit.

7 L’allégation du Nicaragua selon laquelle les îles et ca yes de l’archipel appartenaient au Nicaragua
en 1821, 1823, 1838 ou à toute autre date est simplement grotesque.

11. Quant à la côte des Mosquitos, au XIX esiècle, elle était directement administrée par la

Grande-Bretagne et ses protégés, les Miskitos. D ès qu’elle acquit son indépendance, la Colombie,
s’appuyant sur les titres hérités de la Couronne espagnole, fit valoir ses droits de souveraineté et de
juridiction sur cette côte d’abord face au Gouvernement britannique et ensuite, à partir du milieu du
e
XIXsiècle, face au Nicaragua. Bien que le Nicaragua ait signé le traité de Managua
(Wyke-Zeledon) avec la Grande-Bretagne en 1860, les Miskitos, qui étaient sous la protection
britannique, continuèrent à administrer leur côte , laquelle reçut le nom officiel de «Reserva
Mosquitia» (réserve des Miskitos). Cette situation prévalut jusqu’en1894, lorsque le Nicaragua,

soutenu par les Etats-Unis, commença à exercer sa pr ésence sur la côte précitée. De son côté, la
Colombie continua à faire valoir ses droits sur la côte des Mosquitos face au Nicaragua, sans
pourtant parvenir à un règlement du problème opposant les deux pays.

12. Le désaccord entre les deux Etats s’aggrava en 1890, lorsque le Nicaragua occupa par la
force les Islas Mangles (îles du Maïs), suscitant à juste titre des protestations de la part de la

Colombie. Seules les Islas Mangles furent ainsi occupées; les autres îles, îlots et cayes de
l’archipel de SanAndrés restèrent sous la souverain eté et la juridiction pleines et entières de la
Colombie.

13. En 1913, le Nicaragua re vendiqua pour la première fois un droit sur certaines îles de
l’archipel de San Andrés. Dès lors, le diffé rend entre les deux pays portait sur la côte des
Mosquitos et l’archipel de San Andrés, dont les Islas Mangles (îles du Maïs) faisaient partie. Après

d’interminables négociations entre les deux Etats, la question fut définitivement réglée par le traité
de règlement territorial entre la Colombie et le Nicaragua, signé en 1928, et par son protocole
8 d’échange des ratifications de 1930. Cet instru ment, également connu sous le nom de traité
Esguerra-Bárcenas, fut débattu et approuvé par les Congrès des deux Etats. Le traité de 1928 et son

protocole d’échange des ratifications de 1930 fure nt déposés auprès de la Société des Nations le
16 août 1930 par la Colombie et le 25 mai 1932 par le Nicaragua.

14. Les parties y déclarant q6’elles étaien t «désireuses de mettre un terme au conflit
territorial pendant entre elles…» (comme il est affirmé dans le préa mbule du traité). A l’article I,
le Nicaragua reconnaît expressément la souveraineté de la Colombie sur l’archipel de San Andrés.

Le Nicaragua admet également dans ce traité que, concernant trois des cayes de l’archipel, à savoir
Roncador, Quitasueño et Serrana, «la souveraineté [fait] l’objet d’un différend entre la Colombie et
les Etats-Unis», reconnaissant ainsi n’avoir auc un droit sur lesdites cayes. De son côté, la

6
Sauf mention de la source officielle d’une traduction, les traductions proposées ont ét é réalisées aux fins de la
présente instance. - 4 -

Colombie reconnaît la souveraineté du Nicaragua su r la côte des Mosquitos et les Islas Mangles
(îles du Maïs), deux îles qui faisaient également partie de l’archipel de San Andrés. En outre, les
e
parties acceptent le 82 méridien de longitude ouest comme frontière maritime entre la Colombie et
le Nicaragua.

15. Par la suite, les deux Etats se sont conformés aux dispositions qu’ils avaient arrêtées dans
ledit traité de 1928 et son protoc ole d’échange des ratifications de 1930. Conformément au traité,
la Colombie a continué à exercer sa souveraineté et à administrer sans interruption l’archipel de

San Andeés, ainsi qu’à exercer son autorité et sa juridiction sur les espaces maritimes situés à l’est
du 82 méridien de longitude ouest. Le Nicaragua n’a jamais exercé pareille souveraineté,
administration, autorité ou juridiction sur l’archipel et les espaces maritimes de la Colombie situés
à l’est du méridien.

9 B. Efforts déployés par le Nicaragua pour revenir sur les questions réglées par le traité
de 1928 et son protocole d’échange des ratifications de 1930

16. Une quarantaine d’années après l’entrée en vigueur du traité de 1928 et de son protocole
de 1930, le Nicaragua prétendit pour la première fois en 1969, et sans remettre en cause la validité
ni le caractère effectif du traité de1928 dans son ensemble, mener des activités dans des zones
e
situées à l’est de la frontière convenue le long du 82 méridien de longitude ouest; il accorda en
effet des permis de levé topographique et des concessions pétrolières dans ces zones, entraînant des
protestations de la part de la Colombie auprès du Gouvernement nicaraguayen.

17. Une dizaine d’années plus tard, en 1980, alors que le traité était en vigueur depuis
cinquante ans, le Nicaragua prétendit dénoncer unilatéralement le traité de 1928 et en prononcer la
nullité. Tout comme elle avait rejeté la tenta tive précédente du Nicaragua de mener des activités
e
dans les zones situées à l’est de la frontière convenue le long du 82 méridien de longitude ouest, la
Colombie désavoua également cette nouvelle tentativ e de priver d’effet un traité territorial et
frontalier, qu’elle continua d’appliquer sans inte rruption. Naturellement, la Colombie continua

d’exercer sa souveraineté et sa juridiction sur l’archipel de San Andrés et les espaces maritimes
connexes, comme elle le faisait depuis près de deux siècles.

18. En introduisant la présente instance, le Nicaragua persiste dans ses tentatives de mettre
fin à un règlement conventionnel auquel les Par ties étaient parvenues après de laborieuses
négociations et qui est aujourd’hui en vigueur depuis plus de soixante-dix ans.

C. Exceptions préliminaires de la Colombie

19. La Colombie présente deux exceptions préliminaires relatives à la compétence de la Cour

10 et à d’autres questions sur lesquelles une décision est demandée avant que la procédure sur le fond
se poursuive.

20. Comme il a été dit plus haut (par. 4), le Nicaragua cite dans sa requête (et réaffirme pour
l’essentiel dans son mémoire) deux titres de compétence. - 5 -

21. Premièrement, le Nicaragua fait valo ir dans sa requête que «[c]onformément au
paragraphe1 de l’article 36 de s on Statut, la Cour est compétente en vertu de l’articleXXXI du
pacte de Bogotá», traité auquel le Nicaragua et la Colombie sont tous deux parties. Le Nicaragua
ne cite aucune autre disposition pertinente du pacte.

22. Deuxièmement, le Nicaragua allègue que, «[c]onformément aux dispositions du
paragraphe2 de l’article 36 de son Statut, la Cour est… compétente en vertu des déclarations
déposées par l’Etat demandeur le 24 septembre 1929 et par la Colombie le 30 octobre 1937».

23. Le Nicaragua fonde donc sa requête en la présente instance sur les deux mêmes titres de
compétence que ceux sur lesquels il avait fondé sa requête contre le Honduras dans l’affaire

relative à des Actions armées. Dans cette dernière affaire, la Cour a résumé lesdits titres de
compétence comme suit : «[Le Nicaragua] soutient que [la Cour] pourrait statuer tant sur la base de
l’articleXXXI du pacte de Bogotá que sur celle d es déclarations d’acceptation de la juridiction
obligatoire faites par le Nicaragua et le Honduras conformément à l’article 36 du Statut.» 7

11 Cependant, la Cour a précisé : «Comme les relations entre les Etats parties au pacte de Bogotá sont
régies par ce seul pacte, la Cour recherchera d’abord si elle a compétence sur la base de
l’article XXXI du pacte.» 8

24. En vertu du paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour (tel que modifié le
5 décembre 2000),

«Toute exception à la compétence de la Cour ou à la recevabilité de la requête
ou toute autre exception sur laquelle le défe ndeur demande une décision avant que la
procédure sur le fond se poursuive doit être présentée par écrit dès que possible, et au
plus tard trois mois après le dépôt du mémoire.»

25. Trois catégories d’exception sont prévues dans ledit Règlement, dont deux sont de nature
spécifique et la troisième de nature générale :

a) exceptions relatives à la compétence de la Cour ;

b) exceptions relatives à la recevabilité de la requête ; et

c) toute autre exception sur laquelle le défendeur demande une décision avant que la procédure sur
le fond se poursuive.

26. Comme la Cour l’a indiqué dans l’affaire de Lockerbie, le «champ d’application ratione
12 materiae» de l’article79 du Règlement «n’est donc pas limité aux seules exceptions
d’incompétence ou d’irrecevabilité», mais s’étend à toute «exception» qui revêt un «caractère
préliminaire», dans la mesure ou elle a effectivement pour objet, comme la Cour l’a constaté en
9
l’espèce, «d’empêcher in limine tout examen de l’affaire au fond» .

7
Actions armées frontalières et trans frontalières (Nicaragua c. Honduras), co mpétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 82, par. 26.
8
Ibid., par. 27; les italiques sont de nous.
9Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien
de Lockerbie (Jamahirya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998 , p. 26-27,
par.47. La Cour a utilisé les mêmes te rmes dans son arrêt rendu le même jour dans l’affaire parallèle introduite contre
les Etats-Unis (C.I.J. Recueil 1998, p. 131-132, par. 46). - 6 -

1. S’agissant du pacte de Bogotá

27. S’agissant de l’allégation du Nicaragua selon laquelle la Cour est compétente en vertu de
l’articleXXXI du pacte de Bogotá, la Colombie présente, en application de l’article79 du
Règlement, une exception préliminaire sur laquelle elle prie la Cour de se prononcer in limine litis
conformément à la procédure exposée dans ledit article.

28. Le traité américain de règlement pacifique , officiellement connu sous le nom de «pacte
de Bogotá», a été adopté dans l’esprit de l’article 26 de la charte de l’Organisation des Etats
américains. Il constitue un élément important du système interaméricain pour le règlement

pacifique des différends. Son article XXXI dispose ce qui suit :

«Conformément au paragraphe2 de l’ article36 du Statut de la Cour
internationale de Justice, les Hautes Parties contractantes en ce qui concerne tout Etat

américain déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et sans convention
spéciale tant que le présent traité restera en vigueur, la juridiction de la Cour sur tous
les différends d’ordre juridique surgissant entre elles et ayant pour objet :

13 a) l’interprétation d’un traité ;

b) toute question de droit international ;

c) l’existence de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un
engagement international ;

d) la nature ou l’étendue de la réparation qui découle de la rupture d’un engagement

international.»

29. Néanmoins, l’article XXXI ne régit pas à lui seul l’ensemble des questions que le

Nicaragua cherche à soumettre à la Cour, à savoir la souveraineté sur l’archipel de San Andrés et la10
frontière maritime entre la Colombie et le Nicaragua. Comme il sera démontré plus loin , il
convient de lire le pacte de Bogotá dans une pers pective globale, et non sélective comme le fait le
Nicaragua. L’articleII du pacte dispose que les parties s’engagent à employer les procédures

établies par celui-ci (bons offices, médiation, enquête, conciliation, procédure judiciaire et
arbitrage) de la façon et dans les conditions qu’il prévoit.

30. Dès lors, il y a lieu de tenir en outre plei nement compte de l’article VI du pacte, lequel

dispose que :

«Ces procédures [au rang desquelles figurent celles visées au chapitre IV relatif
à la procédure judiciaire, lequel compre nd l’article XXXI] ne pourront non plus

s’appliquer ni aux questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties, ou
d’une décision arbitrale ou d’une décision d’un tribunal international, ni à celles régies
par des accords ou des traités en vigueur à la date de signature du présent pacte

[c’est-à-dire le 30 avril 1948, lorsque le pacte a été signé].»

14 «Tampoco podrán aplicarse dichos procedimientos a los asuntos ya resueltos
por arreglo de las partes, o por laudo ar bitral, o por sentencia de un tribunal

internacional, o que se hallen regidos por acuerdos o tratados en vigencia en la fecha
de la celebración del presente Pacto.»

10
Voir par. 2.5 et suiv. - 7 -

31. En application de l’article VI, il y a donc lieu de considérer que l’article XXXI «ne
s’applique pas» a) aux questions déjà réglées par l’arrangeme nt consacré par le traité de1928 et
son protocole d’échange des ratifications de 1930, ni b)aux questions régies par un traité en

vigueur au 30 avril 1948, ce qui est manifestement et incontestablement le cas du traité de 1928 et
de son protocole de1930. C’est pourquoi, en vertu de l’article VI, l’article XXXI sur lequel le
Nicaragua s’appuie pour fonder la compétence de la Cour n’est pas applicable pour ces deux motifs
et la Cour ne peut pas être compétente en vertu de l’article XXXI, inapplicable en l’espèce.

32. L’article VI du pacte de Bogotá n’est pourta nt pas la seule autre disposition pertinente à
prendre en considération. L’article XXXIII dispose (en conformité avec la pratique habituelle) que,

lorsque les parties ne peuvent s’accorder sur la compétence de la Cour, cette dernière décide. Si la
Cour, sur la base de l’article VI, se déclare inco mpétente pour juger le différend qui lui est soumis,
celui-ci est «déclaré terminé» en vertu de l’ articleXXXIV. Le pacte de Bogotá donne
expressément à la Cour la compétence de faire une telle déclaration. La Cour n’a pas compétence

pour juger le différend une nouvelle fois, comme s’il n’avait pas déjà été réglé par un accord entre
les parties ou n’était pas régi par un traité en vigueur au 30 avril 1948.

33. En résumé, le pacte de Bogotá lui-même, invoqué (de manière sélective) par le

Nicaragua, exige au contraire (lorsqu’il est lu dans son ensemble) que la Cour déclare le différend
terminé.

34. L’exception instaurée à l’article VI du p acte de Bogotá vise à ce que des questions déjà
15
réglées ne puissent pas être réexaminées. Comme il sera expliqué au chapitreII, les travaux
préparatoires de la neuvième conférence internationale des Etats américains, concernant
l’articleVI, confirment l’intention des Etats parties de ne pas appliquer les procédures énoncées
dans le pacte à des questions qui auraient déjà été réglées par voie d’accord entre les parties ou qui

seraient régies par des accords ou des traités en vigueur à la date à laquelle le pacte a été signé.

35. Le sens et l’effet des articles VI et XXXIV du pacte sont donc clairs. Dans la présente

instance, le différend ayant été réglé par le tr aité de 1928 et son protocole d’échange des
ratifications de1930, le pacte prévoit que la Cour déclare le différend «terminé» (ended,
terminada). S’il était décidé de poursuivre l’instan ce introduite par la requête du Nicaragua, le
différend concernant l’archipel de San Andrés, su rvenu entre les deux pays en 1913 et réglé après

des négociations prolongées en1928, serait donc rouvert après plus de soixante-dix ans et pour
l’ensemble de la question, y compris les droits de la Colombie sur la côte des Mosquitos et les Islas
Mangles (îles du Maïs) ⎯ ce serait un retour à la case départ.

36. Le champ d’application du traité de 1928 et de son protocole d’échange des ratifications
de 1930 est clair.

37. Premièrement, s’agissant des possessions territoriales, le Nicaragua reconnaît par ce
traité la souveraineté de la Colombie sur «les îles de San Andrés, Provide ncia, Santa Catalina et
toutes les autres îles, îlots et cayes qui font partie dudit archipel de San Andrés», la Colombie
reconnaissant la souveraineté du Nicaragua sur la cô te des Mosquitos et les Islas Mangles (îles du

Maïs). Deuxièmement, sont exclues du champ d’ application de ce traité les cayes de Roncador,
Quitasueño et Serrana, au motif que la souveraineté sur lesdites cayes faisait alors «l’objet d’un
16 litige entre la Colombie et les Et ats-Unis d’Amérique»: étant don né que le traité n’aurait pu
s’appliquer auxdites cayes que pour autant qu’elles fi ssent partie de l’archipel, le Nicaragua les a - 8 -

reconnues comme partie intégrante de celui-ci; puisque, par ailleurs, le différend relatif à la

souveraineté sur ces cayes était présenté comme concernant uniquement la Colombie et les
Etats-Unis, il s’ensuit que le Nicaragua a égalem ent admis qu’il n’avait aucune revendication de
souveraineté sur ces cayes.

38. S’agissant de la délimitation de leurs zones maritimes respectives, les deux pays ont, à
l’initiative du Nicaragua, accepté le tracé du quatr e-vingt-deuxième méridien de longitude ouest et

une disposition à cet effet a été insérée dans le pr otocole d’échange des ratifications de 1930.
Celui-ci dispose ainsi que «l’arc hipel de San Andrés et Providenc ia, mentionné à l’article premier
du traité…, ne s’étend pas à l’ouest du 82 edegré de longitude Greenwich». Par cette disposition,
e
les parties ont donc convenu que les droits de la Colombie s’étendaient à l’est du 82 méridien,
ceux du Nicaragua s’étendant à l’ouest de celui-ci. En d’autres termes, les parties se sont accordées
sur ce méridien comme frontière maritime entre les deux pays.

39. Le Nicaragua fait valoir qu’aux termes du protocole d’échange des ratifications, le
82 méridien de longitude ouest constitue pour la Colombie une frontière occidentale avec le

Nicaragua, mais qu’il ne constitue pas pour le Nicar agua une frontière orientale avec la Colombie :
une telle affirmation est incohérente. Il est inc oncevable qu’une frontière qui divise les sphères de
juridiction de deux Etats voisins, négociée et établie par un accord conclu entre les parties, puisse

être considérée comme une frontière pour seulement l’un des Etats et pas pour l’autre. Il est
évident que la juridiction d’un Etat se termine là où commence celle de l’autre.

40. Le débat au sein du Congrès nicaraguayen confirme le sens de la disposition insérée dans
le protocole d’échange des ra tifications concernant le 82 méridien de longitude ouest: les termes
utilisés sont notamment «frontière», «ligne de partage des eaux contestée», «délimitation»,
11
17 «démarcation de la ligne de partage» ; ee d’autres termes, il s’agit d’une frontière entre les deux
pays. Un autre élément confirme que ce 82 méridien de longitude ouest doit être considéré comme
une frontière entre les deux Etats: pendant très longtemps, les deux pays ont respecté la frontière
telle qu’elle est définie dans cette disposition.

41. Il ne fait donc aucun doute que le traité de 1928 et son protocole d’échange des

ratifications de1930 s’appliquent précisément a ux questions que le Nicaragua cherche à relancer
par sa requête.

42. Le Nicaragua ajoute cependant un argument visant à dénier aujourd’hui au traité de 1928
et à son protocole d’échange des ratifications de 1 930 toute validité juridique. Selon le Nicaragua,
le traité est entaché de nullité ; en outre, d’après lu i, la Colombie elle-même aurait violé le traité et,

du fait de cette violation, le traité serait caduc . Aucun de ces arguments ne résiste à un examen
approfondi.

43. Le Nicaragua allègue premiè rement que le traité a été conc lu à l’époque en violation de
la Constitution nicaraguayenne et, de uxièmement, qu’il l’a signé sous la contrainte des Etats-Unis.
Le bien-fondé de ces deux arguments n’a aucunement été établi (comme il sera démontré aux

paragraphes 1.99 à 1.111 ci-dessous).

11Voir chap. I, par. 1.59, 1.61-1.63. - 9 -

44. Le Nicaragua le sait. Il a laissé passer cinquante ans sans jamais contester la validité du

traité de1928 et de son protocole d’échange des ratifications de1930. Dans son arrêt rendu
en 1960 dans l’affaire de la Sentence arbitrale rendue par le roi d’Espagne le 23 décembre 1906, la
Cour estime que «[l]e fait que le Nicaragua n’ait [pas] émis de doute quant à la validité de la

sentence12pendant] plusieurs années… l’empêche… d’invoquer par la suite des griefs de
nullité» . Mais si, dans cette affa ire, le Nicaragua a attendu six ans pour réagir, c’est avec un
retard d’un demi-siècle qu’il a contesté la validité du traité de 1928, traité qui revêt également un
18
caractère territorial.

45. Outre ces deux arguments, le Nicaragua en avance un autre: il allègue que
e
l’«interprétation» de la Colombie selon laquelle le 82 méridien de longitude ouest constitue une
frontière n’est rien d’autre qu’une violation du tra ité et qu’il a donc été unilatéralement mis fin à
celui-ci. Affirmer que le fait d’avancer un argumen t afférent à l’interprétation correcte d’un traité
revient à violer celui-ci est parfaitement fantaisiste, d’autant plus que l’argument en question

repose sur les termes utilisés par les parlementaires nicaraguayens eux-mêmes lors des débats qui
ont conduit à l’approbation du traité. En outre, le Nicaragua fonde son argument sur la thèse
(incorrecte) selon laquelle la Colombie aurait se ulement adopté cette «interprétation» en1969,

alors qu’elle s’est limitée à faire valoir l’accord tel qu’il avait été conçu par le Nicaragua en 1930 et
convenu à cette date par les deux parties. En tout e hypothèse, même à la lumière du récit incorrect
des événements présenté par le Nicaragua, celui-ci a attendu trente-quatre ans avant de faire valoir
dans son mémoire de 2003 cet argument selon lequel la violation alléguée du traité par la Colombie

aurait mis fin à celui-ci.

46. Comme nous l’expliquerons plus en dé tail ei-dessous (voir par. 1.115), dès 1930 ⎯ soit
un an après l’entrée en vigueur du traité ⎯, le 82 méridien de longitude ouest apparut sur la carte
officielle de la République de Colombie comme c onstituant la frontière entre la Colombie et le

Nicaragua, sans que le Nicaragua n’ émette aucune protestation. Par la suite, la Colombie a publié
plusieurs cartes officielles similaires qui n’ont pas no n plus entraîné de protestations de la part du
Nicaragua. La Colombie a continué sans interruption à exercer sa souveraineté et sa juridiction sur
les zones maritimes appartenant à l’archipel de San Andrés jusqu’au 82 méridien.

47. Comme il a été dit ci-dessus, l’allégation du Nicaragua selon laquelle la Colombie aurait
violé le traité de 1928 et son protocole d’échange des ratifications de 1930 a été formulée pour la

première fois dans le mémoire du Nicaragua du 28 avril 2003. A aucun moment avant cette date,
19 même lorsque le Nicaragua a prét endu en 1969 mener des activités à l’est de la frontière maritime
convenue le long du 82 méridien de longitude ouest ou lorsqu’il a prétendu, en 1980, déclarer nul

le traité de 1928, le Nicaragua n’a invoqué d’arguments de cette nature.

48. Le Nicaragua ne peut à présent faire valoir qu’en considérant le 82 e méridien de

longitude ouest comme une frontière maritime ⎯conformément à l’accord passé en1930 et
respecté depuis cette date ⎯, la Colombie a violé le traité de 1928, si bien qu’il a été ou qu’il peut
être mis fin à celui-ci. Une allégation aussi extraordinaire a pour seul objectif d’essayer de priver

d’effet les exceptions d’incompétence, fondées, formulées par la Colombie. Si la Cour venait à
reconnaître la validité d’un tel argument, n’importe quel Etat pourrait contourner les limites posées
à la juridiction de la Cour grâce à des allégations spécieuses. Ainsi suffirait-il de faire valoir

devant elle des violations alléguées pour priver d’effet de telles réserves, qui sont l’expression de la
volonté des Etats.

12
C.I.J. Recueil 1960, p. 213-214. - 10 -

49. En résumé, le traité de 1928 et son prot ocole d’échange des ratifications de1930 sont
valables et demeurent en vigueur.

2. S’agissant du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut: déclarations en vertu de la clause
facultative

50. Comme il a été dit plus haut (par. 23), la Cour a estimé que lorsqu’un Etat invoque à la
fois des déclarations faites en vertu de la clause facultative et des dispositions du pacte de Bogotá,
les relations entre les Etats parties au pacte «sont régies» 13par celui-ci de sorte que si la Cour est

compétente en vertu du pacte de Bogotá, il n’est pas nécessaire qu’elle examine si elle l’est
également au titre des déclarations des parties en vertu de la clause facultative. Etant donné que
dans la présente instance, la C our est compétente pour déclarer ⎯et a même le devoir de le

faire ⎯, au titre de l’article XXXIV (conformément à l’article VI), que le différend est «terminé»,
20 il n’est pas nécessaire ⎯et, de fait, il n’y a pas lieu ⎯ pour elle d’examiner si elle pourrait être
compétente en vertu de la clause facultative.

51. En toute hypothèse, comme la Cour l’a déclaré dans l’affaire relative à des Actions
armées , la compétence en vertu du pacte est déterminan te et donc exclusive. Dès lors, le fait

qu’ait ou non existé, à la date du dépôt de la requête, un chef de compétence procédant du système
de la clause facultative est sans incidence sur la compétence de la Cour au titre du pacte de Bogotá.
C’est pourquoi la question de savoir si la déclara tion de la Colombie était toujours valable ou ne
l’était plus à la date du dépôt de la requête est dépourvue de pertinence.

52. Néanmoins, étant donné que le Nicaragua affirme que «la Cour est également
compétente» en vertu des dispositions du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, la Colombie va

démontrer que, dans la présente instance, la compétence de la Cour ne peut aucunement être fondée
sur les déclarations des parties en vertu du système de la clause facultative, et ce pour deux raisons.

53. Premièrement, le Nicaragua omet de dire dans son mémoire que la déclaration de la
Colombie en vertu de la clause facultative du 30 octobre 1937 a été dénoncée par la Colombie avec
effet immédiat le 5décembre2001, soit avant le dépôt de la requête du Nicaragua le

6 décembre 2001.

54. Par conséquent, lorsque la requête du Nicaragua a été présentée à la Cour, la condition de
réciprocité de l’acceptation de la clause facultative par les Etats demandeur et défendeur, condition

requise par le paragraphe 2 de l’article 36 du Stat ut de la Cour, n’était pas remplie. La seule
déclaration du Nicaragua ne saurait fonder la compét ence de la Cour. La pratique tant de la
Colombie (en 1937 et 2001) que du Nicaragua (en 2001) a été de considérer que leurs déclarations

respectives pouvaient être retirées ou modifiées avec effet immédiat.

55. Deuxièmement, même dans l’hypothèse où la déclaration dénoncée par la Colombie
aurait été en vigueur à la date du dépôt de la requête (ce qui n’était pas le cas), la compétence de la
21
Cour à ce titre serait limitée par ses dispositions . La déclaration de la Colombie du

13Actions armées frontalières et trans frontalières (Nicaragua c. Honduras), co mpétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 82, par. 27.
14
Ibid. - 11 -

30octobre1937 mentionnait la réserve suivante: «[ l]a présente déclaration ne s’applique qu’aux
différends nés de faits postérieurs au 6 janvier 1932» . Il est important de relever que cette réserve
se rapporte à la date des faits ayant engendré un différend.

56. De manière générale, les circonstances qui ont conduit à la présente instance montrent
clairement que le grief du Nicaragua recèle en fa it une tentative de rouvrir un différend déjà réglé
par le traité de 1928 et son protocole d’échange des ratifications de 1930. Le Nicaragua conteste le

sens, et en réalité l’exis tence juridique même, de ce traité et de son protocole. En outre, les faits
essentiels de la présente instance, invoqués ou allé gués par le Nicaragua dans sa requête et son
mémoire, concernent des questions remontant au début du XX siècle et même avant.

57. Il s’ensuit qu’il s’agit d’un différend «né» de faits (en particulier, le traité de 1928 et son
protocole de 1930) antérieurs au 6 janvier 1932 ; il ne s’agit donc pas d’un différend relevant de la
seule catégorie de différends à la quelle la déclaration de la Co lombie de1937 est applicable, à
savoir les «différends nés de faits postérieurs au 6 janvier 1932».

58. Il s’ensuit également qu’il ne s’agit pas d’un différend à l’égard duquel la Cour pourrait
être compétente en vertu de la déclaration de la Colombie de 1937, même si (ce qui n’est pas le
cas) cette déclaration avait encore été en vigueur à la date où le Nicaragua a déposé sa requête.

59. Pour ces deux raisons ⎯ à savoir l’absence d’une déclaration de la Colombie à la date du
dépôt de la requête du Nicaragua et les dispositions de la déclaration de 1937 (retirée par la
Colombie) si celle-ci avait toujours été en vigueur ⎯, la Cour n’est pas compétente en vertu du
paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, contrairement à ce que le Nicaragua fait valoir.

22 IV. T ABLE DES MATIÈRES DE LA PRÉSENTE PIÈCE DE PROCÉDURE

60. Conformément à l’article 79 du Règlement de la Cour, la Colombie soulève donc deux
exceptions préliminaires, affirmant que, premièrement, en conformité avec les articlesVI
etXXXIV du pacte de Bogotá, la Cour est «incom pétente pour juger [du] différend» et doit donc
déclarer le différend «terminé» et que, deuxièmemen t, la Cour n’est pas compétente en vertu du
paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut.

61. La présente pièce de procédure, outre la présente introduction, comporte cinq chapitres :

Chapitre I Historique de l’affaire

ChapitreII En application des articles VI et XXXIV du pacte de Bogotá, la Cour est
«incompétente pour juger du différend» et doit donc déclarer le différend «terminé»

ChapitreIII Les déclarations de la Colombie et du Nicaragua en vertu de la clause facultative ne
reconnaissent pas la compétence de la Cour

ChapitreIVBref résumé de l’argumentation exposée par la Colombie dans les présentes
exceptions préliminaires

Chapitre V Conclusions de la Colombie

62. Les exceptions préliminaires comprennent également deux volumes supplémentaires : le
volume II contient des annexes documentaires et le volume III une série de cartes.- 12 - - 13 -

23 C HAPITRE I

H ISTORIQUE DE L AFFAIRE

I. LES P ARTIES EN PRÉSENCE DEVANT LA C OUR

1.1. Les Parties en présence devant la Cour sont tous deux des Etats riverains de la mer des
Caraïbes. La Colombie est divisée en 32 «départements» (provinces), dont l’un est, aux termes des

articles101 et309 de la Constitution, le «départeme nt archipélagique de San Andrés, Providencia
et Santa Catalina». Cette province comprend toutes les îles, îlots et cayes de l’archipel de
San Andrés.

1.2. Le Nicaragua est divisé en quinze provinces et deux régions autonomes. Ces régions
sont l’Atlantique Nord et l’Atlantique Sud, dont les territoires font partie de ce qui était jadis appelé

la côte des Mosquitos. Cette zone côtière est géographiquement et socialement différente du reste
du pays.

1.3. Dès les débuts de la Colombie indépenda nte, l’archipel de San Andrés a fait partie
intégrante de son territoire et, à ce titre, a toujours expressément figuré comme tel dans le droit

interne. En revanche, le Nicaragua n’a jamais précisé dans son droit interne que l’archipel de
San Andrés faisait partie de son territoire.

II. LA ZONE GÉOGRAPHIQUE

1.4. L’archipel de San Andrés est situéoà l’extrême sod-ouest de la mer des Caraïbeo, dans
24 une région comprise entre les latitudes 16 30'N et 11 00'N et les longitudes 82 00' O et
78 00'O, à l’est du Honduras et du Nicaragua, au sud-ouest de la Jamaïque, au nord-est du
o
Costa Rica et au nord du Panama. La carte n 1 illustre cette zone géographique.

1.5. La Colombie a précisé ses frontières maritimes dans la mer des Caraïbes au moyen
15 o
d’une série de traités signés avec ses voisins de la région (voir carten 2), le premier étant le
traité de1928 et son protocole d’échange des ra tifications de 1930 conclu avec le Nicaragua. Y
firent suite un certain nombre de traités de dé limitation maritime, signés avec le Panama en 1976,

avec le Costa Rica en 1977, avec la République 16minicaine en 1978, avec Haïti en 1978, avec le
Honduras en 1986 et avec la Jamaïque en 1993 .

1.6. A la suite du traité de 1928 et de son protocole de 1930 avec le Nicaragua, les lignes de
délimitation maritime définies dans les traités signés par la Colombie avec le Panama, le
CostaRica, le Honduras et la Jamaïque furent tracées entre l’archipel de SanAndrés et les

principales côtes de ces Etats. Le traité avec la Jamaïque définit non seulement une frontière
maritime, mais aussi une zone de régime commun entre les deux pays aux fins du contrôle, de
l’exploration et de l’exploitation des ressources biologiques et non biologiques. Les limites de

15
Il convient de relever que la Colombie a égalsigné des traités de délimitation maritime dans l’océan
Pacifique avec le Costa Rica, le Panama et l’Equateur.
16Annexe 1, a-g : «Traités de délimitation maritime dans la mer des Caraïbes signés par la Colombie». - 14 -

cette zone de régime commun ont de même été déterminées par le tracé de lignes entre l’archipel de
San Andrés et la côte jamaïcaine. Même si le traité avec le Costa Rica n’a pas été ratifié, il a été

appliqué bona fide par les parties dès la date de sa signatur e. Ce traité, signé par l’ambassadeur de
Colombie au Costa Rica et le ministre des affair es étrangères de ce pays, Gonzalo J. Faccio, établit
une ligne de délimitation entre la côte du Costa Rica et les îles et cayes de l’archipel de

SanAndrés. En outre, la Colombie a signé plusie urs traités dans des domaines tels que la lutte
contre les stupéfiants, traités qui tiennent compte des frontières susvisées de la Colombie dans la
mer des Caraïbes.

25 A. L’archipel de San Andrés

1.7. Historiquement, l’archipel de San Andrés était composé de l’actuel archipel de

SanAndrés, qui appartient à la Colombie, et des Islas Mangles (îles du Maïs), dont l’occupation
puis la cession à bail par le Nicaragua suscitèrent l es protestations de la Colombie en 1890 et 1913
respectivement.

1.8. L’archipel de San Andrés comprend aujourd’hui les îles de San Andrés (y compris
Johnny Cay, Hayne’s Cay, Rose Cay, Cotton Cay et Rocky Cay), de Providencia (y compris
LowCay, Basalt Cay, Palm Cay, Cangrejo Cay, Hermanos Cay et Casa Baja Cay) et de

SantaCatalina; les cayes de Roncador (y compris Dry Rocks), Quitasueño, Serrana (y compris
North Cay, Little Cay, Narrow Cay, South Cay, East Cay et Southwest Cay), de Serranilla (y
compris Beacon Cay, East Cay, Middle Cay, West Breaker et Northeast Breaker), de Bajo Nuevo
(y compris Bajo Nuevo Cay, East Reef et W est Reef), d’Albuquerque (y compris North Cay,

SouthCay et Dry Rock) et le groupe de cayes de l’est-sud-est, «Cayos del Este-Sudeste» (y
compris Bolivar Cay ou Middle Cay, West Cay, Sand Cay et East Cay), ainsi que d’autres îlots,
cayes, bancs et atolls voisins (l’archipel est représenté sur la carte n 3, carte marine COL 004).

1.9. Les cayes d’Albuquerque, formation la plus occidentale de l’archipel, sont situées à
10 milles marins à l’est du 82 méridien de longitude ouest et à quelque 100 milles marins au large

de la côte du Nicaragua continental. Bajo Nuevo, la caye la plus orientale, est située à 78milles
marins à l’est de Serranilla Cay, à 122milles mari ns au large de la côte de la Jamaïque et à
269 milles marins au large de la côte du Nicaragua continental. Le point culminant de l’archipel se
trouve à 350 mètres au-dessus du niveau de la mer (environ 1150 pieds).

26 1.10. San Andrés, Providencia et Santa Catalin a comptent plusieurs centres urbains répartis
dans les îles. En 2003, la population de l’archipel s’élève à près de quatre-vingt mille habitants 17.

La capitale du département archipélagique est la ville de San Andrés, située sur l’île du même nom.
Cette ville est dotée de vastes infrastructures mode rnes, notamment d’établissements publics et de
services d’utilité publique ; on y trouve d’excellents hôtels et d’autres installations touristiques, des
magasins et des supermarchés, ainsi que les agen ces de la plupart des établissements financiers

présents dans le pays. Elle dispose d’un réseau routier asphalté et d’établissements d’enseignement
primaire, secondaire et supérieur, d’hôpitaux publics et privés et de centres de santé, ainsi que de
lieux de cultes de différentes confessions. L’archipel compte plusieurs chaînes de radio et quatre

stations émettrices-réceptrices (une sur l’île de San Andrés et trois sur l’île de Providencia, dont
deux couvrent également l’île de Santa Catalina) diffusant les chaî nes de télévision des autres

17
Département national des statistiques de Colomb(Departamento Nacional de Estadística de Colombia) ,
projections démographiques estimées, études sur le recensement, 1997. - 15 -

régions de Colombie. San Andrés et Providencia disposent toutes deux d’excellents aéroports qui
accueillent les nombreux vols ⎯de jour comme de nuit dans le cas de San Andrés ⎯ en

provenance et à destination du reste de la Colombie et de pays d’Amérique centrale et d’Amérique
du Nord.

1.11. L’archipel est un important centre de commerce et de tourisme, ses activités

économiques les plus dynamiques. Les touristes viennent principalement des autres régions de
Colombie, ainsi que des pays d’Amérique centrale et des Caraïbes. En fait, des milliers de touristes
venus de pays tels que le Costa Rica, le Panama , le Honduras, les Etats-Unis, le Canada et le
Nicaragua visitent chaque année l’archipel.

1.12. Depuis près de deux siècles, et de manièr e ininterrompue, la Colombie réglemente tous
les aspects de la vie économique, sociale, admi nistrative et judiciaire de l’archipel avec animus
domini. Les gouverneurs du département de San A ndrés ainsi que les maires des deux communes

27 existantes ⎯ San Andrés (sur l’île de San Andrés) et Pr ovidencia (comprenant l’île de Providencia
et Santa Catalina) ⎯ sont, comme dans tout autre départem ent du pays, élus au suffrage universel
conformément à la Constitution colombienne et au droit colombien. Le département

archipélagique élit deux députés à la Chambre des représentants du Congrès national et ses
habitants participent aux élections nationales (présidentielles, sénatoriales et autres).

1.13. A San Andrés et à Providencia, le pouvoi r judiciaire s’acquitte pleinement de ses

tâches. Il existe également un bureau régional des douanes, qui relève de la direction générale des
douanes et droits indirects. De même, les servic es de la police nationale ont toujours été présents
dans l’archipel.

1.14. Des détachements de la marine nationale colombienne chargés du fonctionnement et de
l’entretien des phares et des aides à la navigation, du contrôle de la pêche et de la lutte contre le
trafic de stupéfiants illicites sont présents sur les îles et c
ayes de l’archipel.

1.15. S’agissant des cayes, ces dernières ont toujours été, traditionnellement et
historiquement, des zones de pêche pour la population de l’archipel de San Andrés, qui exerce ses
activités dans le respect de la réglementation colombienne.

1.16. L’exercice ininterrompu par la Colombie de la souveraineté sur l’archipel de
San Andrés a été dûment reconnu par la communauté in ternationale en général et par le Nicaragua
e
en particulier. C’est ainsi que, au milieu du XX siècle par exemple, le Nicaragua a nommé des
consuls à SanAndrés et, à plusieurs occasions, a demandé aux autorités colombiennes des
autorisations de vol et des permis de pêche ; les ressortissants nicaraguayens introduisent
traditionnellement auprès de la Colombie des demandes de visa et de cartes de tourisme pour visiter

l’archipel.

1.17. Un groupe de deux îles connues sous le nom d’îles du Maïs (Islas Mangles ou Islas
28 delMaiz) et situées à quelque 32milles marins au large de la côte nicaraguayenne et à 69milles

marins des cayes d’Albuquerque ⎯les plus proches desdites îles ⎯ appartient au Nicaragua
depuis le traité de1928. La plus grande (G rande île du Maïs) couvre une superficie d’environ
10 kilomètres carrés, tandis que la plus petite (P etite île du Maïs) couvre une superficie d’environ
2,9 kilomètres carrés. - 16 -

1.18. Au sud-est du point terminal de la frontiè re terrestre entre le Nicaragua et le Honduras,

près du cap Gracias a Dios, se trouve un certain nomb re de récifs et cayes nicaraguayens appelés
«Miskito Cays», situés à environ 30 milles marins au large de la côte nicaraguayenne. Inhabités, ils
sont uniquement utilisés par des pêcheurs qui y séjournent temporairement.

B. La zone maritime

1.19. L’archipel de San Andrés et les Islas Mangles (îles du Maïs) se trouvent dans une zone
maritime de profondeur irréguliè re: le fond, situé à quelques centaines de brasses de la surface,
descend, à certains endroits, de façon abrupte à une profondeur de près de 3000 mètres.

1.20. En raison des caractéristiques particulièr es de la côte caraïbe du Nicaragua (la «côte
des Mosquitos») ainsi que des Islas Mangles (îles du Maïs) et des Miskito Cays, le potentiel de

pêche se situe au large de ces côtes, où se trouvent les plus impoetantes réserves halieutiques de
toute la zone. En revanche, les espaces situés à l’est du 82 méridien de longitude ouest ont, de
façon générale, un potentiel de pêche limité, la pêch e au homard et le ramassage de limaces de mer

se pratiquant dans les zones maritimes qui jouxt ent les cayes de Roncador, Quitasueño, Serrana,
Serranilla et Bajo Nuevo.

29 1.21. Aux termes d’accords internationaux ou avec l’autorisation expresse du Gouvernement
colombien, les ressortissants d’autres pays peuv ent mener des activités de pêche dans les zones
maritimes de l’archipel. Toutes les activités de pêche dans la zone font l’objet de mesures de

conservation rigoureuses, instaurées par le Gouvernement colombien.

III. ERE COLONIALE ET DÉBUT DE L ’ÈRE POST -COLONIALE

1.22. Les parties de l’Empire espagnol des Am ériques pertinentes aux fins de la présente
instance sont la vice-royauté de Santa Fé 18 (qui correspond pour l’essentiel à l’actuelle République

de Colombie) et la capitainerie générale de Gu atemala (qui comprenait une partie de l’actuel
Nicaragua continental).

1.23. La côte des Mosquitos et l’archipel de San Andrés ⎯qui comprenait alors les Islas
Mangles (îles du Maïs) ⎯ faisaient partie de la vice-royaut é de Santa Fé, lorsque celle-ci fut
19
définitivement constituée en 1739 . Pendant une courte période (1792-1803), l’Espagne autorisa
le capitaine général du Guatemala à nommer le gouverneur de l’archipel. Toutefois, en
décembre 1802, le gouverneur de l’archipel et l es insulaires écrivirent au roi pour lui demander de

placer l’archipel sous l’autorité de la vice-royauté de Santa Fé.

18
Les documents espagnols de l’époque mentionnent indifféremment lad ite vice-royauté sous les noms de
Virreinato de la Nueva Granada (vice-royauté de la Nouvelle Grenade) et de Virreinato de Santa Fé (vice-royauté de
Santa Fé), étant donné que Santa Fé était la capitale de la vice-royauté et le siège des vice-rois.
19Cédula Real (cédule royale) de 1739 portant création de la vi ce-royauté de Santa Fé, Borda, F. de P. : «Límites
de Colombia con Costa Rica», Memoria redactada de orden del Gobierno de Colombia , Imprenta de La Luz, Bogotá,
1896, p. 310-213. - 17 -

20
1.24. Par ordonnance royale du 20 novembre 1803 , le roi d’Espagne déclara que l’archipel
30 de SanAndrés, y compris les Islas Mangles (îles du Maïs), et la partie de la côte des Mosquitos
s’étendant au sud du cap Gracias a Dios ne relève raient plus de la capitainerie générale du

Guatemala mais dépendraient désormais de la vice-royauté de Santa Fé, à laquelle ces territoires
appartiendront jusqu’à la fin de l’ère coloniale.

e
1.25. Cependant, s’agissant de la cô te des Mosquitos, dès le milieu du XVII siècle, des
sujets britanniques commencèren t, avec l’aide du gouverneur de la Jamaïque, à occuper et à
coloniser la zone côtière qui correspond aujourd’hui à la côte orientale du Nicaragua située entre le

cap Gracias a Dios et la rivière San Juan. Lors de l’effondrement de l’Empire espagnol, cette
portion de la côte que le souverain espagnol avait cédée en 1803 à la Colombie (comme nous
l’avons expliqué au paragraphe précédent) faisait partie des possessions britanniques.

1.26. Alors que l’Empire espagnol d’Amérique s’effondre, la Colombie devient un Etat

indépendant en 1810. La Colombie reçoit le nom de «Grande Colombie» en 1819 et elle adopte sa
Constitution en 1821. L’archipel de San Andrés ⎯ y compris les Islas Mangles (îles du Maïs) ⎯
adhère à cette Constitution en 1822 en vertu d es proclamations publiques des habitants des îles 21 et

est intégré la même année au sixième canton de la province de Cartagena.

1.27. S’agissant de l’indépendance du Nicaragua , bien que les provinces qui faisaient partie

de la capitainerie générale du Guatemala aient proclamé leur indépendance vis-à-vis de la
Couronne espagnole le 15 septembre 1821, elles sont absorbées quelques mois plus tard par
l’Empire mexicain, auquel elles appartiendront jusqu’en 1823. Cette même année, les «Repúblicas

31 Unidas de Centroamérica» (Fédération d’Amérique centrale) forment un Etat unique, qui perdurera
jusqu’en 1838, date à laquelle le Nicaragua se retir e de la fédération et proclame sa «souveraineté
et [son] indépendance» . 22

1.28. Au XIX e siècle, la côte des Mosquitos était directement administrée par la

Grande-Bretagne et ses protégés, les Mosquitos. Aussitôt après son indépendance, la Colombie fit
valoir les titres hérités de la Couronne espagnole et défendit vis-à-vis du Gouvernement britannique
ses droits de souveraineté et de juridiction sur ladite côte. A partir du milieu du XIX esiècle, la

Colombie commença également à faire valoir ses dr oits sur la côte des Mosquitos vis-à-vis du
Nicaragua. Bien qu’en 1860 le Nicaragua eût signé le traité de Managua (Wyke-Zeledón) avec la
Grande-Bretagne, les Mosquitos ⎯ placés sous la protection britannique ⎯ continuèrent à exercer

un contrôle effectif sur la côte, qui fut d ésormais appelée «Reserva Mosquitia» (réserve des
Miskitos). Cette situation prévalut jusqu’en18 94, date à laquelle le Ni caragua, avec l’appui des
Etats-Unis, commença à exercer une certaine présence sur cette côte. Pendant toute cette période,

la Colombie continua à revendiquer, à l’égard du Nicaragua, ses droits sur la côte des Mosquitos.

1.29. Les dissensions entre les deux Etats s’aggr avèrent en 1890. Cette année-là, alors que

les Britanniques étaient encore présents dans la réserve des Mosquitos, le représentant ou
«intendant» de la côte des Mosquitos, nommé pa r le Gouvernement nicaraguayen, occupa les Islas

20
Annexe 2 : «Ordonnance royale du 20 novembre 1803».
21Lettre du 11 novembre 1822 adressée au général Francisco de Paula Santander, vice-président de la République
de Colombie, par le colonel Perú de Lacroix, colone l des armées républicaines (commandant par intérim, en
e
octobre 1822, du 6 canton de la province de Cartagena ⎯ comprenant pour l’essentiel San Andrés, Old Providence et les
îles du Maïs ⎯, département de Magdalena).
22MN, p. 61, par. 2.5. - 18 -

Mangles (îles du Maïs) par la force. Dans une no te officielle du 5novembre1890, le ministre
colombien des affaires étrangères fit savoir au Ni caragua qu’il protestait contre l’occupation de ces
îles «dont la République [de Colombie détenait] les titres incontestables de souveraineté et de
23
propriété» . Cette occupation illégale ne concernait que les Islas Mangles (îles du Maïs), tandis
que les autres îles et cayes de l’archipel de Sa n Andrés restaient sous la souveraineté et la
32 juridiction pleines et entières de la Colombie au même titre que toute autre partie du territoire

colombien.

1.30. Depuis la consolidation de son indépendance vis-à-vis de la Couronne espagnole et la

création de la république, la Colombie exerce, à titre de souverain, publiquement et de façon
pacifique, sans interruption depuis près de deux siècles, la souveraineté sur l’archipel de
San Andrés, y compris toutes les îles, îlots et cayes4qui en font partie.

1.31. Le contraste est frappant avec le Nicara gua, qui n’a jamais exercé aucune souveraineté

sur l’archipel de San Andrés. Le Nicaragua est incapabee de prouver qu’il aurait administré
l’archipel d’une quelconque façon au XIX ou au XX siècle.

1.32. En outre, comme nous l’expliquerons plus loin, c’est seulement lorsque la Colombie a
définitivement renoncé à tous ses droits sur la côte des Mosquitos et sur les Islas Mangles (îles du

Maïs) aux termes du traité de 1928 que le Nicaragua est devenu le souverain légal de ces territoires.

IV. N AISSANCE D ’UN DIFFÉREND EN 1913 SUSCITÉ PAR LA REVENDICATION

DE L ’ARCHIPEL DE SAN A NDRÉS PAR LE N ICARAGUA

A. Naissance du différend concernant l’archipel de San Andrés en 1913

1.33. Le 8 février 1913, le Nicaragua signa un traité avec les Etats-Unis (connu sous le nom

de traité Chamorro-Weitzel) en vertu duquel le Nicaragua prétendait accorder aux Etats-Unis le
droit de construire un canal interocéanique à travers le territoire nicaraguayen. Par le même traité,
33 le Nicaragua prétendait accorder aux Etats-Unis un bail de quatre-vingt-dix-neuf ans sur les

Islas Mangles (îles du Maïs), qui appartenaient à la Colombie. Le traité ne fut pas approuvé par le
Sénat américain. L’année suivante, les deux pa ys signèrent un nouvel instrument, le traité
Chamorro-Bryan, qui contenaient pour l’essentiel les mêmes dispositions que le traité précédent.
25
Par une note du 9août1913 , la Colombie adressa ses protestations au Nicaragua et protesta
auprès des Etats-Unis le 6févr ier1916, lorsque la commission des relations internationales du
Sénat recommanda l’approbation dudit traité .26

23Annexe 3 : «Note diplomatique du 5 novembre 1890 adressée au ministre ni caraguayen des affaires étrangères

par le ministre colombien des affaires étrangères».
24De 1928 à 1972, les cayes de Roncador, Quitasueño et Serrana ont fait l’objet d’un régime spécial de statu quo
convenu entre la Colombie et les Etats-Unis.

25Annexe 4 : «Note diplomatique du 9 août 1913 adressée au ministre nicaraguayen des affaires étrangères par le
ministre colombien des affaires étrangères».
26
El Salvador et le Costa Rica protestèrent également contre ce traité par lequel le Nicaragua accordait aux
Etats-Unis, pour une période de quatre-vingt-dix-neuf ans, le dr oit d’établir, exploiter et gérer une base navale sur une
partie de son territoire dans le golfe de Fonseca, situé sur la côte pacifique. Chacun de ces Etats saisit alors la Cour de
justice centraméricaine, qui rendit les a rrêts correspondants en1916 et1917. Cependant, le refus du Nicaragua de se
conformer aux décisions rendues précipita la chute de la Cour de justice centraméricaine. - 19 -

1.34. Bien qu’un différend eût surgi entre les deux pays au milieu du XIX esiècle à propos de

la souveraineté sur la côte des Mosquitos puis de l’occupation par le Nicaragua des Islas Mangles
(îles du Maïs) (voir par.1.29 ci-dessus), c’est seu lement le 24décembre1913, dans une note en
réponse à la note de la Colombie du 9 août 1913, que le Nicaragua revendiqua pour la première fois

des droits sur certaines îles de l’archipel de San Andrés. Dans sa réponse, le Nicaragua réaffirmait
ses droits sur les Islas Mangles (îles du Maïs) et la côte des Mosquitos.

B. Négociations entre les parties

1.35. Le différend relatif à l’archipel de San Andrés étant né en1913, les deux pays ont

longtemps échangé des notes diplomatiques au suje t de la côte des Mosquitos, des Islas Mangles
(îles du Maïs) et d’autres îles de l’archipel de San Andrés. Au cours de ces échanges de notes,
34 chacune des parties a exposé de façon détaillée ses pos itions et points de vue concernant les droits
sur ces territoires.

1.36. Au début de1919, M.Manuel Esguerra ⎯qui avait été nommé ambassadeur de
27
Colombie pour les Etats d’Amérique centrale dès 1915 ⎯ arriva à Managua pour mener des
négociations avec le Gouvernement nicaraguayen en vue de régler les désaccords subsistant entre
les parties.

1.37. Le 27 mars 1922, le Gouvernement ni caraguayen annonça sa décision d’établir une
légation à Bogotá sous la direction de M.José M.Pasos Arana, convaincu que la nomination de

M.Pasos contribuerait à régler rapidement les questions territoriales entre le Nicaragua et la
Colombie examinées par les gouvernements de ces deux pays.

1.38. En avril 1922, le Gouvernement nicaragua yen fit savoir à Esguerra qu’il était disposé à
régler le différend par des négociations directes entre les parties. Prenant bonne note des intentions
du Nicaragua, le Gouvernement colombien, par l’ entremise d’Esguerra, proposa au Gouvernement

nicaraguayen une formule possible en l’espèce. Pa r cette formule, la Colombie renonçait à ses
droits sur la côte des Mosquitos et sur les Islas Mangles (îles du Maïs), en échange de quoi le
Nicaragua renonçait à tout droit sur l’archipel de San Andrés, y compris ses îles, îlots et cayes sans

exception. 28 Gouvernement colombien dema nda à la commission consultative des affaires
étrangères de formuler des recommandations à cet égard.

35 1.39. Dans ses recommandations, la commissi on approuva la formule proposée, qui fut par
conséquent adoptée par le Gouvernement colombien. Esguerra et le ministre nicaraguayen des
affaires étrangères, avec l’autorisation du président nicaraguayen, poursuivirent donc les
29
négociations, qui débouchèrent sur un projet de traité présenté en mars1925 au ministre
nicaraguayen par Esguerra et officialisant la pro position soumise par Esguerra, qui était examinée
depuis 1922.

27
L’ambassadeur de Colombie (ministre plénipotentiaire) au Nicaragua était de même accrédité dans tous les
autres pays d’Amérique centrale.
28
La commission consultative des affa ires étrangères était un organe cons ultatif du gouvernement, composé des
plus illustres experts en relations internationales de l’époque.
29Annexe 5: «Note diplomatique n° 232 du 18 mars 1925 et projet de traité y annexé, présentée au ministre
nicaraguayen des affaires étrangères par l’ambassadeur de Colombie à Managua». - 20 -

1.40. Aux termes du projet de traité, qui visait à régler les questions divisant les parties, le

Nicaragua renonçait «définitivement et irrévocablement» aux droits de souveraineté qu’il pensait
détenir sur «les îles de San Andrés, Providencia, Santa Catalina et toutes les autres îles, îlots et
cayes de l’archipel de San Andrés et Providencia». Pour sa part, la Colombie faisait de même

concernant ses droits sur la côte des Mosquito s s’étendant du cap Gracias a Dios à la rivière
SanJuan, ainsi que sur «les îles appelées Grande île du Maïs et Petite île du Maïs, ou îles
Mangle» . Comme nous le démontrerons au paragr aphe 1.45 ci-dessous, les termes de cette
proposition sont sensiblement identiques à ceux qui seront repris dans le traité de 1928 signé par les

parties.

31
1.41. Dans sa réponse à la note d’Esguerra , le ministre nicaraguayen indiquait :

«[S]ur les instructions du président, j’ai débattu de ces questions avec
[Esguerra, ambassadeur de Colombie] ju squ’à l’élaboration du projet que vous

soumettez à mon gouvernement pour examen … et si les événements politiques qui se
36 sont précipités ces quelques derniers jours l’avaient permis, cette question importante
aurait très probablement été réglée dans des conditions équitables et cordiales.»

1.42. En effet, la guerre civile générali sée qui éclata à ce moment-là au Nicaragua mit
provisoirement fin aux négociations pour le rest ant de l’année1925 et l’année1926, provoquant

également le départ d’Esguerra de ce pays.

1.43. Au milieu de 1927, le Gouvernement ni caraguayen fit savoir à la Colombie qu’il était
désireux de reprendre les négociations en vue de régler le différend.

V. RÈGLEMENT DU DIFFÉREND PAR LE TRAITÉ E SGUERRA -B ÁRCENAS DE 1928 ET SON
PROTOCOLE D ’ÉCHANGE DES RATIFICATIONS DE 1930

A. Conclusion du traité

1.44. Le différend fut finalement réglé pa32le traité Esguerra-Bárcenas, signé le 24 mars 1928
à Managua par la Colombie et le Nicaragua et son protocole d’échange des ratifications du
5mai1930. Le traité réglait le différend sur la base suivante: chaque partie reconnaissait la

souveraineté de l’autre sur les territeires cont estés respectifs (et renonçait de ce fait à ses
revendications sur ceux-ci) et le 82 méridien de longitude ouest était désigné comme étant la
frontière entre les deux pays. Or, tel est préci sément le différend que le Nicaragua tente

aujourd’hui de rouvrir devant la Cour.

1.45. Depuis, ledit traité régit la question. Les dispositions de fond du texte espagnol
37
original authentique sont les suivantes :

30
Voir annexe 5, projet de traité.
31
Annexe 6 : «Note diplomatique n° 157 du 28 mars 1925 adressée à l’ambassadeur de Colombie à Managua par
le ministre nicaraguayen des affaires étrangères».
32Annexe 1 a: «Traité de règlement territorial entre la Colombie et le Nicaragua, signé le 24 mars 1928, et son
protocole d’échange des ratifications du 5 mai 1930». Document original en espagnol et traduction en anglais. Voir note
de bas de page 6. - 21 -

«Artículo I

La República de Colombia reconoce la soberanía y pleno dominio de la
República de Nicaragua sobre la Costa de Mosquitos comprendida entre el cabo de
38 Gracias a Dios y el río San Juan, y sobre las islas Mangle Grande y Mangle Chico en
el Océano Atlántico (Great Corn Island y Little Corn Island); y la República de

Nicaragua reconoce la soberanía y pleno dominio de la República de Colombia sobre
las Islas de San Andrés, Providencia, Santa Ca talina y todas las demás islas, islotes y
cayos que hacen parte de dicho archipiélago de San Andrés.

No se consideran incluidos en este Tratado los cayos Roncador, Quitasueño y
Serrana, el dominio de los cuales está en litigio entre Colombia y los Estados Unidos
de América.

Artículo II

El presente Tratado será sometido para su validez a los Congresos de ambos

Estados, y una vez aprobado por estos, el canj e de las ratificaciones se verificará en
Managua o Bogotá, dentro del menor término posible.»

La version française de ce texte se lit comme suit :

«Article I

La République de Colombie reconnaît la souveraineté pleine et entière de la

République du Nicaragua sur la côte des Mo squitos, comprise entre le cap de Gracias
a Dios et la rivière San Juan, et sur les îles Mangle Grande et Mangle Chico dans
l’océan Atlantique (Great Corn Island et Little Corn Island). La République du
Nicaragua reconnaît la souveraineté pleine et entière de la République de Colombie

sur les îles San Andrés, Providencia, Santa Catalina, et sur les autres îles, îlots et récifs
qui font partie de l’archipel de San Andrés.

Le présent traité ne s’applique pas aux récifs de Roncador, Quitasueño et

Serrana, dont la possession fait actuellement l’objet d’un litige entre la Colombie et les
Etats-Unis d’Amérique.

Article II

Le présent traité, pour être valable, devra être présenté aux Congrès des deux
Etats et, lorsqu’il aura été approuvé par ces derniers, l’échange des ratifications aura

lieu à Managua ou à Bogotá, dans le plus bref délai possible.» [Note du Greffe:
traduction du Secrétariat de la Société des Nations.]

33
1.46. Au Nicaragua, le président approuva le traité par la résolution du 27 mars 1928 et
ordonna qu’il soit soumis au Congrès pour examen.

33
Voir annexe 10, p. 1145, et annexe 7, p. 746. - 22 -

1.47. En Colombie, conformément à la Constitutio n, le président fit s oumettre le traité au

Congrès pour approbation. Il fut donc présenté le 18 septembre 1928 par le ministre des affaires
39 étrangères. Dans sa communication au Congrès, le gouvernement relève que «le règlement de la
question permet de supprimer tout motif de désaccord entre les deux pays» . 34

Le ministre des affaires étrangères souligna que le traité confirmait la souveraineté de la
Colombie sur l’archipel et prévenait donc toute revendication future de la part du Nicaragua et

toute controverse :

«Cette entente permet de consolider définitivement la situation de la République

dans l’archipel de San Andrés et Providencia, car elle écarte toute prétention contraire
et reconnaît à notre pays, à titre perpétuel, la souveraineté et la pleine propriété de
35
cette partie importante de la République.»

B. Approbation et ratification du traité

1.48. A l’issue des trois débats obligatoires, le Sénat colombien donna son approbation le

28 octobre 1928.

1.49. Le traité fut ensuite présenté pour exam en à la Chambre des représentants, au sein de
laquelle il fut également soumis aux débats statutaires et approuvé le 14 novembre 1928.

40 1.50. Le traité fut finalement approuvé par la Colombie (loi n o93 du 17novembre1928) 36
neuf mois environ après sa signature.

1.51. Au Congrès nicaraguayen, une commission d’étude («Comisión Dictaminadora»),

composée des sénateurs membres de la commission des affaires étrangères du Sénat, fut créée pour
examiner le traité et recommander une décision à cet égard.

1.52. La commission d’étude du Sénat nicaraguayen convint avec le ministre des affaires
e
étrangères et ses conseillers de proposer le 82 méridien de longitude ouest «comme limite dans le
différend avec la Colombie» et entreprit de discuter de la question avec l’ambassadeur de Colombie
à Managua . 37

1.53. Dès lors, étant donné que le Congrès colombien avait déjà approuvé le traité, un

processus de négociation entre les deux pays fut amorcé afin de régler la question. Ces
négociations et consultations furent menées, d’un e part par le ministre des affaires étrangères du

34
«[E]l arreglo en cuestión viene a alejar todo motivo de divergencio entre los dos países...» Anales del Senado,
Sesiones Ordinarias de 1928 [Annales du Sénat , sessions ordinaires de 1928], n4, 20 septembre 1928, p.713; les
italiques sont de nous.
35
«Este arreglo viene a consolidar definitivamente la situación de la Républica en el Archipiélago de San Andrés
y Providencia, borrando toda pretensión contraria y reconocie ndo a perpetuidad para nuestro país la soberanía y el
derecho de pleno dominio de aquella importante sección de la República.» Anales de l Senado, Sesiones Ordinarias
de 1928 [Annales du Sénat, sessions ordinaires de 1928], n 114, 20 septembre 1928, p. 713 ; les italiques sont de nous.

36Anales de la Cámara de Representantes [Annales de la Chambre des représentants] , 30 novembre 1928,
Diario Oficial, Bogotá, n 20952 du 23 novembre 1928, p. 547.
37
Annexe 8: «Compte rendu de la séance XLIX de la Chambre du Sénat du Congrès nicaraguayen,
5 mars 1930». La Gaceta, Diario Oficial, Año XXXIV, Managua, D.N., n 98, 7 mai 1930, p. 778. - 23 -

Nicaragua, ses conseillers et les membres de la commission des affaires étrangères du Sénat
nicaraguayen, et, d’autre part, par le Gouvernem ent colombien au travers de son ambassadeur à
Managua, d’autre part.

1.54. L’ambassadeur de Colombie à Managua transmit la proposition du Nicaragua à son
38
gouvernement . Après une étude minutieuse réalieée par le Gouvernement colombien, il fut
41 estimé que la disposition désignant le 82 méridien de longitude ouest comme frontière entre les
deux Etats pouvait être incluse dans le protocole d’échange des ratifications.

1.55. Par ailleurs, le ministre colombien d es affaires étrangères chargea son représentant à

Managua de proposer que la dis positeon renvoie explicitement à une 39rte précise, illustrant la
frontière convenue le long du 82 méridien de longitude ouest .

1.56. A cet égard, les parties convinrent finalement d’utiliser, aux fins susvisées, la carte
marine publiée en 1885 par le bureau hydrographique de Washington sous l’autorité du secrétaire à

la marine des Etate-Unis. Cette carte, bien connue dans les deux pays, permettait d’identifier
clairement le 82 méridien de longitude ouest, désigné comme frontière maritime entre la Colombie
et le Nicaragua.

1.57. L’inclusion de la disposition dans le protocole d’échange des ratifications et le renvoi à

la carte marine de1885 furent tous deux accept és par le Gouvernement nicaraguayen et par la
commission d’étude du Sénat avant le débat au Sénat nicaraguayen. Le renvoi à la carte marine des
Etats-Unis de1885 fut inclus dans les instrument s de ratification tant du Nicaragua que de la
40
Colombie .

1.58. L’ensemble du processus de négociation concernant l’inclusion de la disposition

relative à cette délimitation maritime débuta à la fin du mois de janvier1930 et se poursuivit
jusqu’à l’approbation du traité par le Sénat nicaraguayen le 6 mars 1930.

42 1.59. Le compte rendu de la séance plén ière du Sénat nicaraguayen du 4mars1930
mentionne à propos de l’approbation du traité :

«7. Lecture du rapport, signé par les sénateurs Paniagua Prado, Pérez et
Amador, de la commission qui a examiné l’ initiative des services exécutifs et qui a

présenté à cette haute instance le traité de frontières entre le Nicaragua et la Colombie
[el tratado de límites entre Nicaragua y Colombia].» 41

38Câble du 8 février 1930 adressé au ministère colombien de s affaires étrangères par l’ambassadeur de Colombie
à Managua, Manuel Esguerra.

39Mémorandum du 11 février 1930 adressé à l’ambassadeur de Colombie à Managua, Manuel Esguerra, par le
ministre colombien des affaires étrangères.

40Bien que le renvoi à la carte marine de 1885 ait été inclus dans les instruments de ratification tant du Nicaragua
que de la Colombie, les deux gouvernements décidèrent par la suite d’omettre le re nvoi exprès à ladite carte marine dans
le protocole d’échange des ratifications.

41Annexe 7: «Compte rendu de la séance XLVIII de la Chambre du Sénat du Congrès nicaraguayen,
4 mars 1930». La Gaceta, Diario Oficial, Año XXXIV, Managua, D.N., n° 94, 1ai 1930, p. 746-747 ; les italiques sont
de nous. - 24 -

La commission d’étude du Congrès nicaraguayen recommande dans son rapport la

ratification du traité, y compris la disposition c onvenue avec le Gouvernement colombien, dans les
termes suivants :

«[E]tant entendu que l’archipel ee San Andrés, mentionné à l’article premier du
traité, ne s’étend pas à l’ouest du 82 degré de longitude Greenwich, tracé sur la carte
marine publiée en octobre 1885 par le bureau hydrographique de Washington sous
41
l’autorité du secrétaire de la marine des Etats-Unis d’Amérique.»

(«en la inteligencia de que el Archipié lago de San Andrès que se menciona en la

cláusula primera del Tratado no se extiende al Occidente del meridiano 82 de
Greenwich de la carta publicada en octub re de 1.885 por la Oficina Hidrográfica de
Washington bajo la autoridad del Secretario de la Marina de los Estados Unidos de
América.»)

43 Pour sa part, le sénateur Paniagua Prado, membre de la commission d’étude créée pour analyser le
traité, prend la parole pour expliquer «qu’ étant donné que les prétentions [du Nicaragua] sur les

territoires contestés ne sont aucunement fondées, la meilleure solution à ce différend d’un point de
vue patriotique est d’approuve r le traité en question...» 42. Par la suite, il prend encore la parole
«pour renforcer ses arguments et s’efforce de démontrer l’opportunité et la nécessité d’approuver le
43
traité examiné» .

1.60. Le débat en séance plénière devant le Sénat nicaraguayen du 4 mars 1930 est reporté au
lendemain, afin d’entendre l’avis du ministre des affaires étrangères sur l’inclusion de la
disposition convenue relative au 82 méridien de longitude ouest.

1.61. Au cours de la séance plénière du Sé nat nicaraguayen du 5mars1930, le sénateur
Paniagua Prado, membre de la commission d’étude, qui avait proposé de convoquer le ministre des

affaires étrangères à ladite séance, déclare :

«Qu’étant donné que le sénateur Demetrio Cuadra a exprimé, lors de la séance

44 d’hier, ses craintes que le Gouvernement colombien n’accepte pas la modification du
traité avec le Nicaragua ... proposée par la commission d’étude ; étant donné que ledit
ajout ou ladite modification du traité ne lu i paraissait dès lors pas adéquat et que
S.Exc.le ministre colombien [à Managua], M.Esguerra, m’a informé, en ma qualité

de sénateur de la république, que son gouvernement était disposé à accepter la
délimitation convenue, il a fait convoquer notre ministre des affaires [étrangères] pour
savoir [s’il] était officiellement informé de la décision du Gouvernement colombien

concernant la clarification ou la délimitation de la frontière maritime contestée ; car il
pense que ladite délimitation est indispensable pour clôturer définitivement cette
question.» 44

(«Que con motivo de haber manifestado en la sesión de ayer el Honorable
Senador don Demetrio Cuadra sus temores de que el Gobierno Colombiano no acepte

la reforma al Tratado con Nicaragua...que propone la Comisión Dictaminadora.
Pareciéndole por lo mismo no conveniente esa adición o reforma al tratado y
habiéndome manifestado el Excelentísimo Señor Ministro de Colombia, señor

42
Ibid. ; les italiques sont de nous.
43
Annexe 8: «Compte rendu de la séance XLIX de la Chombre du Sénat du Congrès nicaraguayen,
5 mars 1930», La Gaceta, Diario Oficial, Año XXXIV, Managua, D.N., n 98, 7 mai 1930, p. 777-779 ; les italiques sont
de nous.
44Ibid. - 25 -

Esguerra, en mi carácter de senador de la República, que su gobierno estaba

dispuesto a aceptar la delimitación acordada, había pedido se llamara al señor
Ministro de Relaciones, para conferenciar con él a fin de saber si nuestra Cancillería
45 tiene conocimiento oficial de esa resolu ción del Gobierno Colombiano en relación

con la aclaración o demarcación de la línea divisoria de aguas en disputa; pues él
tiene entendido que esa demarcación es indispensable para que la cuestión quede de
una vez terminada para siempre.»)

1.62. Le ministre nicaraguayen des affaires ét rangères explique d’abord la façon dont le
Gouvernement nicaraguayen a approuvé la décision portant sur l’ajout du 82 méridien de longitude

ouest en tant que frontière dans le différend avec la Colombie :

«[L]ors d’un entretien au ministère des affaires étrangères avec la commission
des affaires étrangères du Sénat, il a été convenu entre la commission et les conseillers

du gouvernement d’accepter comme frontière dans ce différend avec la Colombie le
82 méridien à l’ouest de Greenwich et de la commission hydrographique du ministère
de la marine des Etats-Unis de 1885…» 45

(«que en una entrevista en el Ministerio de Relaciones con la Honorable Comisión de
Relaciones del Senado, se convino entre la Comisión y los Consejeros del Gobierno

en aceptar como límite en esta disputa c on Colombia el 82° Oeste del meridiano de
Greenwich y de la Comisión Hidrográfica del Ministerio de la Marina de los Estados
Unidos de 1885...»).

1.63. Il explique ensuite qu’e n raison de l’inquiétude susc itée par la possibilité que le
46 Congrès colombien doive procéder à un réexamen du traité du fait de l’inclusion de la frontière

proposée par le Gouvernement nicaraguayen, il a discuté de la question avec le représentant de la
Colombie et que ce dernier a conféré avec son gouvernement :

«[S’]étant entretenu avec le ministre colombien [à Managua] et celui-ci à son

tour avec son gouvernement, qui [a] précis[é ] qu’il demandait que le traité ne soit pas
modifié, car celui-ci devrait alors être soumis une nouvelle fois au Congrès pour
examen; ayant invité le ministre Esguerra à débattre de la question avec son

gouvernement et après avoir obtenu une réponse, il lui [a] fait savoir que son
gouvernement l’avait autorisé à déclarer que ledit traité ne serait pas soumis à
l’approbation du Congrès colombien à cause de la... ligne de délimitation maritime

[«con motivo de la... línea divisoria], qu’il pouvait donc ... donner à la Chambre
l’assurance... que le traité serait approuvé sans la nécessité de le soumettre une
nouvelle fois à l’approbation du Congrès [colombien]» . 46

e Le ministre nicaraguayen des affaires étrangères explique également que l’inclusion du
82 méridien de longitude ouest a eu «seulement pour but de déterminer une frontière entre les
archipels qui faisaient l’objet du différend» [«sólo tenía por objeto señalar un límite entre los

archipiélagos que habían sido motivo de la disputa»] ;

«le Gouvernement colombien [a] déjà accepté cette clarification d’après ce qu’[a]
déclaré son ministre plénipotentiaire, [qui a] seulement affirmé que cette clarification
47
[devait] être faite dans le protocole de [sic] ratification du traité ; que cette ratification

45
Annexe 8: «Compte rendu de la séance XLIX de la Chombre du Sénat du Congrès nicaraguayen,
5 mars 1930», La Gaceta, Diario Oficial, Año XXXIV, Managua, D.N., n 98, 7 mai 1930, p. 777-779 ; les italiques sont
de nous.
46Ibid. - 26 -

était nécessaire pour l’av enir des deux nations, car elle permettait de déterminer la
frontière géographique entre les archipels en litige , sans laquelle la question ne serait
pas entièrement tranchée [pues venía a señalar el límite geográfico entre les

archipiélagos en disputa sin lo cual no quedaría completamente definida la
cuestión]» .7

1.64. Cependant, lorsqu’il pr end la parole, le sénateur Demetrio Cuadra réaffirme que le

Congrès nicaraguayen est conscient des implications de l’arrangement susvisé au titre de frontière
convenue ; il déclare :

«Je considère qu’il s’agit d’une modifi cation complète du traité et que celui-ci
doit donc être renvoyé pour examen au C ongrès colombien, où tout est fait dans les
formes légales. Il est urgent pour nous de préciser nos droits sur le territoire des

Mosquitos et sur les îles dont la propriété a été48ccordée au Nicaragua par le traité
Bryan-Chamorro pour la construction du canal.»

1.65. Le traité est approuvé à l’unanimité par le Sénat nicaraguayen le 6 mars 1930.

1.66. A la Chambre des députés nicaraguayenne, le traité fut examiné par la commission des
affaires étrangères, composée des députés suivants: Argüello, Irías, Gracía et Borgen. Faute de

48 réunir l’unanimité requise pour l’approbation de l’ instrument, le député Borgen rédige un rapport
de minorité recommandant le rejet du traité. De leur côté, les députés Argüello, Irías et García
rédigent un rapport de majorité dont la conclusion se lit comme suit: «[E]n vous recommandant

l’approbation du traité susmentionné conclu entre le Nicaragua et la Colombie, avec l’ajout proposé
à la Chambre du Sénat.» 49

Après un long débat, le rapport de majorité r ecommandant l’approbation du traité est adopté
par 25 voix contre 13, ce qui donne lieu à l’adoption du traité à la Chambre des députés le

3 avril 1930.

1.67. L’article unique du décret relatif à l’a pprobation du traité par le Congrès nicaraguayen
se lit comme suit :

«Le traité conclu entre le Nicaragua et la République de Colombie le
24 mars 1928, qui a été approuvé par le pouvoir ex écutif le 27 du même mois et de la
même année, est ainsi ratifié ; le traité met un terme à la question pendante entre les

deux républiques a50sujet de l’archipel de San Andrés et de la Mosquitia
nicaraguayenne , étant entendu que l’archipel de San Andrés mentionné à l’article
premier du traité ne s’étend pas à l’ouest du 82 eméridien de longitude Greenwich,

indiqué sur la carte publiée en octobre 1885 par le bureau hydrographique de
Washington sous l’autorité du secrétaire de la marine des Etats-Unis.

47Annexe 8: «Compte rendu de la séance XLIX de la Chambre du Sénat du Congrès nicaraguayen,
5 mars 1930», La Gaceta, Diario Oficial, Año XXXIV, Managua, D.N., n 98, 7 mai 1930, p. 777-779 ; les italiques sont

de nous..
48Annexe 9: «Compte rendu de la séance LVIII de la Chambre des députés du Congrès nicaraguayen,
1eravril 1930», La Gaceta, Diario Oficial, Año XXXIV, Managua, D.N., n 182, 20 août 1930, p. 1460 et suiv.

49Ibid.

50«Tratado que pone término a la cuestión pendiente entre ambas Repúblicas sobre el Archipiélago de
San Andrés y Providencia y la Mosquitia nicaragüense.» - 27 -

51
49 Le présent décret sera inclus dans l’Instrument de ratification…»

1.68. Le président du Nicaragua donna force de loi au décret d’approbation du Congrès par
51
la résolution présidentielle du 5 avril 1930 . Les instruments d’approbation du Congrès et du
pouvoir exécutif furent publiés au Journal officiel de la République du Nicaragua le 2 juillet 1930.

1.69. Dans le protocole d’échange des ratifications signé à Managua le 5mai1930, la
disposition mutuellement convenue concernant le 82 méridien de longitude ouest mentionnée plus

haut figure comme suit :

«S. Exc. M. don Manuel Esguerra, envoyé extraordinaire et ministre

plénipotentiaire de Colombie au Nicaragua, et S. Exc. M. don Julian Irias, ministre des
affaires étrangères, s’étant réunis au ministère des affaires étrangères du
Gouvernement du Nicaragua en vue de procéder à l’échange des ratifications, par leurs

gouvernements respectifs, du traité conclu entre la Colombie et le Nicaragua le
vingt-quatre mars mil neuf cent vingt-huit en vue de mettre un terme à la question
pendante entre les deux Républiques au suje t de l’archipel de San Andrés et
52
Providencia et de la Mosquitia nicaraguayenne ; après avoir produit leurs pleins
pouvoirs reconnus en bonne et due forme, et avoir constaté la conformité desdites
ratifications, ont procédé à leur échange.

50 Les soussignés, en vertu des pleins pouvoirs qui leur ont été conférés et
conformément aux instructions de leur s gouvernements respec tifs, déclarent que

l’archipel de San Andrés et Providencia ,ementionné à l’article premier du traité
susmentionné, ne s’étend pas à l’ouest du 82 degré de longitude Greenwich.»

1.70. Le protocole d’échange des ratifications fut de même officiellement publié par le
Nicaragua, en même temps que le texte du traité et les décrets d’approbation requis (de la
présidence et du Congrès).

1.71. Le traité de 1928 et son protocole d’éch ange des ratifications de 1930 règlent le

différend entre la Colombie et le Nicaragua sur la base suivante :

a) le Nicaragua reconnaît la souveraineté de la Colombie sur les îles de San Andrés, Providencia et

Santa Catalina, ainsi que sur les autres îles, îlots et cayes faisant partie de l’archipel de
San Andrés ;

b) la Colombie reconnaît la souveraineté du Nicaragua sur la côte des Mosquitos et sur les
Islas Mangles (îles du Maïs), deux îles faisant auparavant également partie de l’archipel ;

c) le Nicaragua reconnaît et accepte que la souvera ineté sur les cayes de Roncador, Quitasueño et

Serrana, qui font partie de l’archipel, intéresse uniquement la Colombie et les Etats-Unis, à
l’exclusion du Nicaragua 53; et

51
Annexe 10: «Publication officielle au Nicaragua du traité de règlement territorial entre la Colombie et le
Nicaragua signé en 1928 et do son protoc ole d’échange des ratifications de 1930», La Gaceta , Diario Oficial,
Año XXXIV, Managua, D.N., n 144, 2 juillet 1930, p. 1145-1146 ; les italiques sont de nous.
52«[P]ara poner término a la cuestión pendiente entre am bas Répúblicas, sobre el Archpiélago de San Andrés y

Providencia y la Mosquitia nicaragüense.» (Les italiques sont de nous.)
53Voir par. 1.82-1.83, plus bas. - 28 -

e
51 d) les deux Etats conviennent que leur frontière commune suit le 82 méridien de longitude ouest,
écartant ainsi tout sujet de différend entre les deux nations.

1.72. La Colombie continua d’exercer, comme elle l’avait fait jusque là, sa souveraineté et sa
juridiction sur chacune des formations de l’archipel, à savoir les îles de San Andrés, Providencia et
Santa Catalina, les cayes de Roncador, Quitasueño et Serrana, les cayes de Serranilla, Bajo Nuevo,

Albuquerque, et le groupe de cayes de l’Est-Sud-Est ou cayes Courtown (Cayos del Este-Sudeste),
ainsi que sur les autres îlots, cayes et bancs adjacents (voir par. 1.8 ci-dessus). S’agissant des cayes
de Roncador, Quitasueño et Serrana, le statu quo convenu en1928 entre la Colombie et les

Etats-Unis fut maintenu (voir par.1.82-1.83 ci-dessous). Le Nicaragua n’a jamais exercé sa
souveraineté, son autorité ni sa juridiction sur aucune de ces formations.

o
1.73. Le traité fut promulgué en Colombie en vertu du décret n 993 du 23 juin 1930, publié
au Diario Oficial (Journal officiel) n 21426 du 30 juin 1930, pages 705 et 706. Ce décret contient

la transcription complète tant de l’instrument de ratification du traité signé le 30avril1930 par le
président nicaraguayen José María Moncada que du protocole d’échange des ratifications du
5 mai 1930. Quant à l’instrument de ratification susmentionné du Nicaragua, il comprend le texte

complet du traité, le décret du Congrès nicaraguayen, l’approbation dudit décret par le président en
date du 5 avril et le protocole d’échange des ratifications. Au Nicaragua, comme il a été mentionné
ci-dessus, l’instrument de ratification comprenant tous ces documents fut publié dans La Gaceta
o
(Journal officiel) n 144 du 2 juillet 1930, pages 1145 et 1146. Ces textes sont également transcrits
dans le décret colombien susvisé.

52 C. Enregistrement du traité de 1928 et de son protocole d’échange
des ratifications de 1930

1.74. Le traité et son protocole d’échange des ratifications furent enregistrés auprès du
Secrétaire général de la Société des Nations le 16 août 1930 sous le n o2426. La demande
d’enregistrement fut initialement présentée par l’ambassadeur de Colombie à Berne,
54
Francisco José Urrutia . Dans l’index du volumeCV du Recueil des traités , s’agissant de
l’enregistrement demandé par la Colombie, il est mentionné «Traité de règlement territorial entre

les deux Etats, signé à Managua le 24 mars 1928 et protocole d’échange des ratifications signé à
Managua le 5mai1930» . A la page338, où figure le texte du traité et du protocole, une note de
bas de page mentionne que «[l]’échange des ratifications a eu lieu à Managua le 5 mai 1930. Le
55
traité est entré en vigueur à cette date.»

1.75. Par la suite, le 25 mai 1932, le minist re nicaraguayen des affaires étrangères demanda
56
lui aussi l’enregistrement du traité . Etant donné que le traité avait déjà été enregistré à la
demande de la Colombie, la référence de la co mmunication du Nicaragua porte le même numéro, à
savoir 2426, que celui attribué en 1930. Dans l’index alphabétique du volume de 1933 du Recueil

des traités de la Société des Nations, on peut lire : «Traité et protocole d’échange des ratifications.
Questions territoriales. Communiqués par le Nicaragua» . 57

54
Annexe 11 : «Index du Recueil des traités de 1930 de la Société des Nations», Société des Nations, Recueil des
traités, 1930, vol. CV, p. 7.
55
Société des Nations, Recueil des traités, 1930, vol. CV, p. 338.
56Annexe 12: «Index du Recueil des traités de 1931-1932 de la Société des Nations », Société des Nations,
Recueil des traités, 1931-1932, vol. CXXII, p. 362.

57Annexe 13: «Index alphabétique de l’index général de 1930-1933 du Recueil des traités de la Société des
Nations», Société des Nations, Recueil des traités, 1933, p. 348, 422. - 29 -

53 VI. A CCORDS DE 1928 ET 1972 ENTRE LA C OLOMBIE ET LES E TATS -U NIS CONCERNANT
LES CAYES DE R ONCADOR , QUITASUEÑO ET SERRANA

e
1.76. Au cours du XIX siècle, le Gouvernement des Etats-Unis commença à rencontrer de
sérieuses difficultés avec ses agriculteurs en raison d’une pénurie d’engrais. Le guano 58, présent
sur plusieurs îles et cayes océaniques, notamment cel les situées dans la mer des Caraïbes, était la
e
solution idéale. Pour satisfaire les besoins, le 34 Congrès américain adopta, le 18 août 1856, la loi
dite «loi sur le guano», aux te rmes de laquelle lorsqu’un citoye n des Etats-Unis découvrait et
prenait possession d’un dépôt de guano sur une île, ro cher ou caye ne relevant pas de la juridiction

d’un autre gouvernement, le dépôt en question était réputé appartenir aux Etats-Unis.

1.77. En 1890, la Colombie apprit que le G ouvernement des Etats-Unis, faisant valoir cette
disposition de droit interne, avait délivré à l’ude ses ressortissants une autorisation d’extraction
du guano sur les cayes de Roncador, Quitasueño et Se rrana, qui faisaient partie de l’archipel de

SanAndrés. Le Gouvernement colombien prot esta auprès des Etats-Unis, revendiquant sa
souveraineté sur lesdites cayes. Un différend surgit alors entre les deux Etats, qui donna lieu à des
échanges officiels entre eux. Cette controverse allait resurgir en1919, lorsque le gouverneur de

San Andrés et Providencia informa le gouvernement central de Bogotá que les Etats-Unis
érigeaient des phares sur les cayes en question.

1.78. Le ministre colombien des affaires étrangères convoqua immédiatement l’ambassadeur
des Etats-Unis à Bogotá, afin de l’informer d es conséquences qu’une telle action aurait sur les
54 relations entre les deux pays et lui remettre une note de protestationadressée au secrétaire d’Etat.

L’ambassadeur américain déclara qu’il devait y avoir un malentendu au sujet de la possession des
cayes en question et exprima ensuite son mécontentement et son inquiétude à ce sujet au
département d’Etat.

1.79. L’inquiétude de l’ambassadeur des Etats-Unis se révéla fondée, car de vives
protestations populaires éclatèrent presque aussitôt en Colombie 6. Le département d’Etat

demanda alors à son ambassadeur à Bogotá d’informer le Gouvernement colombien que les
Etats-Unis étaient disposés à examiner le point de vue de la Colombie sur la question.

1.80. Entre 1890 et 1928, le Gouvernement nicaraguayen n’a jamais émis la moindre réserve
ni revendication auprès de la Colombie ou des Etats-Unis concernant l’une des cayes précitées.

1.81. Au contraire, par la signature du traité Esguerra-Bárcenas, le Nicaragua a expressément
reconnu qu’il ne possédait aucun droit sur lesdites cay es. Il a en effet convenu dans cet instrument

que la question de la souveraineté sur ces cayes intéressait uniquement la Colombie et les
Etats-Unis à l’exclusion du Nicaragua: «[le] tra ité ne s’applique pas aux récifs de Roncador,
Quitasueño et Serrana, dont la possession fait actuelle ment l’objet d’un litige entre la Colombie et

58
Le guano est composé d’excréments d’oiseaux marins et se rencontre habituellement sur les côtes rocheuses ou
sur les îlots et cayes épars en mer, notamment ceux situés dans la mer des Caraïbes. Il est particulièrement riche en
phosphates et a longtemps été utilisé comme engrais bon marché de première qualité.
59Annexe 14 : «Note diplomatique du 13 septembre 1919 adressée au ministre américain à Bogotá par le ministre

colombien des affaires étrangères».
60Annexe 15 : «Télégramme du 4 octobre 1919 adressé au secrétaire d’Etat américain par le ministre américain à
Bogotá», Papers Relating to the Foreign Relations of the Unite, 1919, vol.1, Government Printing Office,
Washington, 1934, p. 800-801. - 30 -

les Etats-Unis d’Amérique». Aucune de ces cayes ne fut explicitement mentionnée lors des débats
du Congrès nicaraguayen consacrés au projet de traité. En revanche, lors des débats sur
l’approbation du traité à la Chambre des représ entants colombienne, la disposition précitée fut
55 61
critiquée, car les droits de la Colombie sur ces cayes étaient incontestables .

1.82. Après la signature du traité Esguerra-B árcenas le 24 mars 1928, la Colombie et les
Etats-Unis conclurent le 10avril1928 un accord sur les cayes susmentionnées 62. Les parties

convenaient de maintenir la s ituation existante dans les cayes, à savoir que les ressortissants
colombiens continueraient de pêcher ⎯ sans interruption ⎯ dans les eaux des cayes sans que les
Etats-Unis ne soulèvent la moindre objection, tandis que de leur côté, les Etats-Unis continueraient

à assurer l’entretien des aides à la navigation qu’ils avaient déjà installées ou installeraient par la
suite sur les cayes en question, sans que la Colombie n’émette aucune objection.

1.83. L’arrangement exposé ci-dessus ne subit aucune modification jusqu’à ce que l’accord
de1928 soit remplacé par le «traité relatif aux statuts de Quita Sueño 63, de Roncador et de
64
Serrana», dit traité Vázquez-Saccio, signé par la Colombie et les Etats-Unis le 8 septembre 1972 .
Le Nicaragua ne porta jamais à la connaissan ce de la Colombie la moindre revendication

concernant la souveraineté sur les cayes, que ce soit avant ou après 1928, et jusqu’en 1971, date à
laquelle les négociations entre la Colombie et les Etats-Unis débutèrent.

1.84. Le traité du 8 septembre 1972 comporte ne uf articles, dont le premier stipule que «le
56 Gouvernement des Etats-Unis d’Am érique renonce à faire valoir toute prétention de souveraineté

sur Quita Sueño, Roncador et Serrana».

1.85. Par ce traité, le Gouvernement colomb ien garantit, dans certaines conditions, la
poursuite des activités de pêche déployées par les navi res et les ressortissants des Etats-Unis dans
les eaux adjacentes aux cayes; les Etats-Unis cèdent à la Colombie les aides à la navigation

existantes établie65sur les cayes et la Colombie est chargée de leur entretien et de leur
fonctionnement . Le régime institué par l’accord de 1928 est abrogé.

1.86. Après accomplissement des procédures d’approbation respectives au sein des Congrès
des deux Etats, l’échange des instruments de ratification eut lieu à Bogotá le 17 septembre 1981.

61
Anales de la Cámara de Represen tantes, Sesiones Extraordinarias de 1928 [Annales de la Chambre des
représentants, sessions extraordinaires de 1928], Bogotá, mercredi 14 novembre 1928, n, p. 1, 131.
62
Annexe 16: «Accord entre la Colombie et les Etats-Unis concernant le statut de Quitasueño, Roncador et
Serrana, signé le 10 avril 1928».
63
Dans la version anglaise officielle du traité, le nom de la caye de Quitasueño est orthographié de la façon
suivante: «Quita Sueno». Cependant, la dénomination la plus courante et celle utilisée offi ciellement par le
Gouvernement de la République de Colombie est «Quitasueño».
64
Annexe 17 : «Traité entre le Gouvernement de la Répub lique de Colombie et le Gouvernement des Etats-Unis
d’Amérique relatif aux statuts de Quita Sueño, de Roncador et de Serrana, signé le 8 septembre 1972».
65
Les autorités américaines du canal de Panama ayant interrompu l’exploitation et l’entretien des phares, le phare
de Quitasueño (d’une importance cruciale dans une région particul ièrement dangereuse pour la navigation) cessa de
fonctionner à la fin des années soixante; en 1971, lamarine nationale colombienne le remplaça par un phare plus
moderne dont les caractéristiques étaientdifférentes de celles du phare exploitpar les Etats-Unis. De même, le
Gouvernement colombien remplaça les phares installés à Serrana et Roncador par des phare s plus modernes et plus
fonctionnels. - 31 -

1.87. Le traité fut enregistré auprès du Secrét aire général des Nations Unies le 31 mars 1983
sous le numéro 21801 à la demande des Etats-Unis.

1.88. Ainsi, le différend entre les Etats-Unis et la Colombie à propos de la souveraineté sur
les cayes de Roncador, Quitasueño et Serrana, né à la fin du XIX esiècle, fut réglé par le traité

de 1972.

57 VII. LE N ICARAGUA PRÉTEND EXERCER DES ACTIVITÉS DANS DES ZONES SITUÉES
À L’EST DE LA FRONTIÈRE MARITIME CONVENUE ENTRE LES DEUX PAYS
LE LONG DU 82EMÉRIDIEN DE LONGITUDE OUEST

1.89. Après la signature du traité de 1928 et de son protocole d’échange des ratifications
de1930, réglant le différend entre la Colombie et le Nicaragua, la Colombie continua, sans

interruption et comme elle l’avait fait pendant près de deux siècles, à exercer sa souveraineté et son
autorité administrative sur l’archipel et les espaces maritimes qui en dépendent.

1.90. En 1969, le Nicaragua prétendit, pour la première fois et sans avoir contesté la validité
ni le caractère effectif du tra ité de 1928 dans son ensemble, exer cer des activités dans des zones
e
situées à l’est de la frontière maritime convenue le long du 82 méridien de longitude ouest, en
accordant des permis de levé topographique et des concessions pétrolières dans les zones en

question. La66olombie protesta auprès du Gouvernement nicaraguayen par une note en date du
4 juin 1969 .

67
1.91. Dans son mémoire , le Nicaragua allègue à tort que c’est dans cette note diplomatique
du 4 juin 1969 que la Colombie a pour la première fois soutenu que le 82 méridien de longitude
ouest constituait une frontière maritime. C’est fa ux. Les protestations émises par la Colombie

en1969 étaient dues aux activités menées par le Nicaragua à l’est dudit méridien. Depuis la
conclusion de l’accord consacré par le traité de 1928 et son protocole d’échange des ratifications

de1930, la Colombie s’est toujours conformée, en ce qui concerne la frontière, à ce qui avait été
convenu à l’époque.

e
1.92. Dès 1931 ⎯ un an seulement après l’entrée en vigueur du traité ⎯, le 82 méridien de
longitude ouest figurait sur la carte officielle de la République de Colombie en tant que frontière
os
58 entre la Colombie et le Nicaragua, sans que ce dernier n’émette de protestation (voir cartesn 4
et 4 bis). Par la suite, la Colombie publia plusieurs cartes officielles similaires, qui ne soulevèrent
pas non plus de protestations de la part du Nicaragua (voir, par exemple, les cartes n os5-11). Dans

les publications officielles de la Colombie ayant pour titre «Limites de la Répub68que de Celombie»
(«Límites de la República de Colombia») et publiées en1934 et1944 , le 82 méridien de

66Annexe 18: «Note diplomatique du 4 juin 1969 adress ée au ministre nicaraguayen des affaires étrangères par
l’ambassadeur de Colombie à Managua».

67MN, notamment p. 178, par. 2.255.
68
Límites de la República de Colombia , République de Colombie, ministère des affaires étrangères, bureau des
longitudes et des frontières, Editorial Centro, Bogotá, 1934, pLímites de la República de Colombia, 2 éd.,
République de Colombie, ministère des affaires étrangèes, bureau des longitudes et des frontières, Colombia
Lithography, Bogotá, 1944, p. 101. - 32 -

longitude ouest est également mentionné en tant que frontière entre la Colombie et le Nicaragua.

Ces publications ne suscitèrent pas davantage de protestations de la part du Nicaragua. La
Colombie n’a jamais ces sé d’exercer sa souveraineté et sa ju ridiction sur les zones maritimes
dépendant de l’archipel jusqu’au méridien susvisé.

VIII. R EMISE EN CAUSE UNILATÉRALE DE LA VALIDITÉ DU TRAITÉ DE 1928
PAR LE N ICARAGUA

A. Prétendue déclaration unilatérale de nullité du Nicaragua

1.93. Le 19 juillet 1979, le mouvement sandini ste arrive au pouvoir au Nicaragua. Après
cette date, commence au Nicaragua un processu s de renforcement du potentiel militaire sans

précédent dans l’histoire de l’Amérique central e, en même temps que de nombreux conseillers
civils et militaires arrivent dans le pays, créant une situation délicate dans la région. Quelque sept
mois plus tard, le Nicaragua prétend remettre en cause le règlement territorial et maritime consacré

un demi-siècle plus tôt par le traité Esguerra-B árcenas de1928 et son protocole d’échange des
ratifications de 1930.

59 1.94. Le 4 février 1980, le ministre nicara guayen des affaires étrangères, MiguelD’Escoto,
convoque inopinément le corps diplomatique accréd ité dans ce pays à une réunion au ministère.
Lors de cette réunion, le ministre remet une déclaration officielle et un livre blanc («Libro
69
Blanco») , par lesquels le Nicaragua tente de déclarer nul et non avenu le traité signé avec la
Colombie en 1928. Dans ces documents, le Nicarag ua invoque plusieurs arguments pour étayer sa
tentative ; ainsi :

«Les événements historiques qu’a vécus notre peuple depuis1909 ont fait
obstacle à la défense effective de notre plat eau continental, des eaux et des territoires
insulaires relevant de notre juridiction qui émergent dudit plateau continental.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Beaucoup de temps s’est écoulé depuis le traité Bárcenas Meneses-Esguerra,

mais il se fait que le Nicaragua n’a recouvré sa souveraineté n
ationale que le
19juillet1979; avant la victoire remportée par notre peuple, il était impossible de
veiller à la défense du territoire insulaire, maritime et sous-marin du Nicaragua.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ces circonstances nous imposent l’obliga tion patriotique et révolutionnaire de
déclarer nul et dénué de validité le traité Bárcenas Meneses-Esguerra … [conclu] dans

un contexte historique qui a mis les présidents imposés par les forces américaines
d’intervention au Nicaragua dans l’incapacité de remplir leur rôle de gouvernants et
qui a violé, comme il a été dit, les pr incipes de la Constitution nationale en
60 70
vigueur…»

La position du Nicaragua constituait une violation manifeste des normes et principes du droit
international, en particulier du principe de pacta sunt servanda. Il convient également de relever

qu’à cette époque, la République du Nicaragua n’a jamais fait état, en liaison avec sa prétendue

69
Livre blanc du Nicaragua sur la question. Libro Blanco sobre el caso de San Andrés y Providencia, Ministerio
de Relaciones Exteriores de la República de Nicaragua, Managua, 4 février 1980.
70Libro Blanco sobre el caso de San Andr és y Providencia, Ministerio de Relaciones Exteriores de la República

de Nicaragua, Managua, 4 février 1980, p. 3-4. Voir note de bas de page 6. - 33 -

déclaration unilatérale de nullité, de la violation alléguée du traité de1928 par la Colombie. En
fait, le Nicaragua n’a invoqué pour la première fois l’argument tiré de la violation alléguée du traité

par la Colombie que dans son mémoire du 28 avril 2003.

1.95. Le grief extravagant du Nicaragua est immédiatement rejeté par le Gouvernement
71
colombien dans une note du 5 février 1980 . Entre autres arguments, la Colombie déclare :

«L’attitude du Nicaragua, qui invoque la nullité ou le défaut de validité du traité
Esguerra-Bárcenas cinquante ans après s on entrée en vigueur, est dénuée de

fondement, se heurte à la réalité historique et constitue une violation des principes les
plus élémentaires du droit international public, d’autant plus qu’un vaste débat
parlementaire dans les deux pays a précédé la ratification du traité, qu’il n’a pas été

approuvé soudainement mais qu’après avoir été signé par les plénipotentiaires des
Hautes Parties, il a été examiné au Nicaragua au cours de deux législatures avant son
approbation définitive.

61 Il n’est pas moins surprenant que la déclaration du Nicaragua donne à entendre
qu’il y a eu absence de souveraineté entre 1909 et 1979, car si cette situation s’était
produite, nous devrions faire face à l’aba ndon de tous les engagements contractés par
le Nicaragua au cours des sept dernières décennies.»

1.96. Le Gouvernement colombien a lui-même produit un document ⎯ le Libro Blanco de
72
Colombia (livre blanc de la Colombie) ⎯ qui démontre l’absence de fondement juridique de la
position du Nicaragua. Naturellement, après cette prétendue déclaration unilatérale de nullité par le
Nicaragua, la République de Colombie continua à appliquer sans réserve le traité de1928 et son
protocole de 1930.

1.97. Ce n’était pas la première fois que le Gouvernement nicaraguayen essayait de
méconnaître un traité, la décision d’une juridiction internationale ou une sentence arbitrale. Le

Nicaragua eut maintes fois recours à cette pratique et adopta en fait la même attitude à l’égard de
ses autres voisins. En1871, le Nicaragua déclara unilatéralement qu’il considérait comme nul et
non avenu le traité Cañas–Jerez de1858, qui établi ssait sa frontière terrestre avec le CostaRica.
S’agissant du Honduras, le Nicaragua déclara unila téralement nulle, plusieurs années après qu’elle

eut été prononcée, la sentence arbitrale rendue en 1906 par S.M.le roi d’Espagne, laquelle
définissait la frontière terrestre entre les deux pays. De même, le Nicaragua refusa de se conformer
aux arrêts de la Cour de justice centraméricaine de 1916 et 1917.

1.98. Dans son mémoire, le Nicaragua réaffi rme que le traité Esguerra-Bárcenas de 1928 est
nul et non avenu. La Colombie rejette catégori quement cette affirmation parce qu’elle n’a aucun

fondement en droit international.

B. La question de la validité du traité de 1928
62

1.99. Dans son mémoire, le Nicaragua adopte et développe l’analyse «patriotique et
révolutionnaire» exposée dans son livre blanc de 1980.

71
Annexe 19: «Note diplomatique du 5 février 1980 adressée au ministre nicaraguayen des affaires étrangères
par le ministre colombien des affaires étrangères».
72
Libro Blanco de la Répública de Colombia 1980, Mi nisterio de Relaciones Exteriores de Colombia, Bogotá,
1980. - 34 -

1.100. Le Nicaragua s’efforce de démontrer que la Colombie, qui «savait très bien» que le
titre du Nicaragua sur l’archipel de San Andrés ét ait «bien établi en vertu du principe de l’uti
possidetis iuris … a profité de l’occupation du Nicaragua par les Etats-Unis pour lui extorquer la
73
signature du traité de 1928» . Il prétend que «les véritables négociateurs du traité étaient la
Colombie et les Etats-Unis et que le Nicaragua n’était qu’un spectateur attendant les
instructions» . Selon le Nicaragua, les Etats-Unis refusèrent leurs bons offices en faveur de sa

proposition d’arbitrage avec la Colombie concernant la souveraineté sur l’archipel de San Andrés,
soutenant au contraire, à la «grande déception» 75 du ministre nicaraguayen, la proposition de la
Colombie, celle-ci constituant d’après eux «une solution équitable»; le contenu de cette
76
proposition allait d’ailleurs donner sa substance au traité de1928 . Il allègue que, lorsque la
légation des Etats-Unis à Managua fut «autorisée à offrir ses bons office
s à cet endroit [in the
77
premises]», le lieu visé était le siège du Congrès nicaraguayen .

1.101. La lecture des dépêches diplomatiques sur lesquelles le Nicaragua s’appuie pour

étayer ces affirmations et d’autres de même nature permet de prendre la mesure des libertés que
prend le Nicaragua dans son mémoire avec les archives diplomatiques. Aucun élément de ces
dépêches n’indique ni ne laisse entendre que la Colombie aurait «extorqué» quoi que ce fût ou que

les véritables négociateurs du traité de1928 aura ient été les Etats-Unis et la Colombie. Au
contraire, elles révèlent que ce fut la Colombie, et elle seule, qui prit l’initiative de proposer les
78
63 termes d’un règlement du différend uniquement suscité par le Nicaragua .

1.102. Les dépêches diplomatiques indiquent que les négociations entre la Colombie et le

Nicaragua durèrent des années et que, bien que le Nicaragua eût demandé conseil aux Etats-Unis et
eût essayé de les amener à user de leur influence pour favoriser sa position, ceux-ci n’imposèrent
78
aucun règlement . Ces derniers voyaient bien l’inté rêt d’un règle78nt qui «[aurait donné] un
caractère permanent à une situa tion qui existait dans les faits» , à savoir que le Nicaragua
administrerait la côte des Mosquitos et les îl es du Maïs, tandis que la Colombie administrerait

l’archipel de San Andrés, position parfaitement pl ausible à première vue et qui «79urait] résolu»
toutes les questions liées au droit du Nicaragua de louer aux Etats-U
nis la Grande île du Maïs et
la Petite île du Maïs, comme il l’avait fait en 1914, a ux fins de garantir la sécurité de l’éventuel

passage interocéanique à travers le territoire du Nicaragua. En effet, ce dernier avait
particulièrement intérêt à ce qu’un passage interocéani que soit construit sur son territoire. Il mena
donc plusieurs négociations à cet effet avec les Etats-Unis. Les archives du Congrès nicaraguayen

concernant la procédure d’approbation du traité de 1928 montrent clairement que le Nicaragua était
particulièrement désireux de faciliter les conditions nécessaires à la réalisation de ce projet.

1.103. Les Etats-Unis informèrent les deux pa rties que, si elles le demandaient l’une et
l’autre, ils étaient disposés à jouer un rôle de mé diateur dans leur différend, étant entendu que si ce

différend était finalement soumis à l’arbitrage, les parties s’engageaient à se conformer à la

73MN, p. 98, par. 2.82.

74Ibid., p. 99, par. 2.84.
75
Ibid., p. 100, par. 2.86.
76
Ibid., p. 100, par. 2.85.
77Ibid., p. 106, par. 2.99.

78Voir notamment la note du 21 mars 1925 adressée au mi nistre nicaraguayen des affaires étrangères par le
secrétaire d’Etat, Papers Relating to the Foreign Relations of the United States, 1925, vol. I, Government Printing Office,
Washington, 1940, p. 432.

79Ibid. Voir également le mémorandum du 2 août 1927 ad ressé par le secrétaire d’Etat adjoint, Papers Relating
to the Foreign Relations of the United States, 1927, vol. I, Government Printing Office, Washington, 1942, p. 325-327. - 35 -

80
sentence . Le ministre américain rencontra le pr ésident nicaraguayen à la demande, et en
présence, du ministre colombien à Managua et lui confirma ce qu’il avait «déjà dit au président, à
64 savoir que le secrétariat d’Etat était favorable à un règlement sur la base des lignes proposées par la

Colombie», propos qui n’avaient rien de blâmable dans un contexte où le Nicaragua avait demandé
aux Etats-Unis d’intervenir pour régler le différend en offrant ses bons offices . 81

1.104. Prétendre que l’autorisation donnée à la légation des Etats-Unis à Managua d’offrir
«ses bons offices à cet endroit [in the premises]» vise le siège physique du Congrès nicaraguayen

plutôt que ce qui 82été exposé précédemment revient à interpréter de façon erronée et inepte la
langue anglaise . L’allégation selon laquelle le Nicaragua aurait ratifié le traité de 1928 en raison
«des efforts» déployés par la légation des Etats-Un is «à cet endroit» n’ est pas corroborée par les
83
archives diplomatiques citées par le Nicaragua . Le traité de 1928 a été amplement examiné au
Nicaragua. Si les Etats-Unis firent bien comprendre aux autorités nicaraguayennes, notamment au
nouveau président Moncada, qu’ils jugeaient le trai té équitable et qu’il leur semblait peu probable

que le Nicaragua puisse obtenir de meilleures conditions, cela ne revient toutefois pas à dire qu’ils
imposèrent ce traité au Nicaragua.

1.105. La prétendue nullité du traité de 1928 aurait ainsi été découverte par la junte
révolutionnaire en 1980 ⎯ plus de cinquante ans après la négociation de cet instrument. Comment

se fait-il qu’un traité longuement et dûment négocié, dûment ratifié après un long processus
d’approbation, et ensuite mis en Œuvre par les pa rties pendant cinq décennies, puisse s’être révélé

nul en 1980? Comment se peut-il qu’un traité, enre gistré séparément par la Colombie et par le
65 Nicaragua auprès du Secrétariat de la Société des Nations au titre de l’article18 du Pacte de la
Société des Nations en tant qu’accord international «ayant force obligatoire» soit déclaré nul par le

Nicaragua quelque cinquante ans plus tard ? Comment se fait-il qu’en 1969, alors que la Colombie
protestait contre les activités menées par le Nicaragua à l’est de la frontière maritime convenue
avec la Colombie le long du 82 méridien de longitude ouest, le Nicaragua ne se soit pas aperçu que

l’instrument définissant cette frontière, un traité dûment ratifié, qui était prétendument nul?

1.106. La position adoptée aujourd’hui par le Gouvernement nicaraguayen et mise en
lumière par les citations données plus haut au para graphe 1.94 signifie que jusqu’à l’arrivée au
pouvoir de la junte sandiniste, aucun gouvernement nicaraguayen de1909 à1979 ne pouvait

engager le Nicaragua au niveau internationa l à cause de ce84ue le Gouvernement nicaraguayen
actuel appelle «[c]ette absence de souveraineté...» . D’après le livre blanc, cette absence de
souveraineté a commencé avec l’inte rvention des Etats-Unis en 1909 et a duré «soixante-dix ans,
85
jusqu’à la victoire de l’insurrecti on populaire sandiniste le 19juillet1979» ; il soutient que le

80
Note du 25 septembre 1925 adressée au ministre en Colombie par le secrétaire d’Etat, loc. cit., p. 434, 435.
81Note du 4 février 1928 adressée au secrétaire d’Et at par le ministre au Nicaragua (Eberhardt), Papers Relating
to the Foreign Relations of the United States, 1928, vol. I, Government Printing Office, Washington, 1943, p. 701.

82Note du 10 septembre 1929 adressée au secrétaire d’Etat par le ministre en Colombie (Caffery), Papers
Relating to the Foreign Relations of the United States 192, vol.I, Government Printing Office, Washington, 1943,
p. 935. L’examen attentif de cette dépêche amène à conclure que le terme courant «premises» renvoie au sujet mentionné
au paragraphe précédent de la dépêche. Voir aussi Walker, David M., The Oxford Companion to Law , Clarendon

Press-Oxford, 1980, p.982, où le terme «premises» est défini comme suit: «élément s exposés préalablement, et
consécutivement, dans des actes, éléments mentionnés précéde mment. Dans les actes de cession, le mot renvoie souvent
aux sujets décrits en détail plus haut dans l’acte...».
83
Papers Relating to the Foreign Relations of the United State, 1929, vol.I, Government Printing Office,
Washington, 1943, p. 934-938.
84Libro Blanco sobre el caso de San Andr és y Providencia, Ministerio de Relaciones Exteriores de la República
de Nicaragua, Managua, 4 février 1980, p. 2.

85Ibid., p. 11. - 36 -

traité de1928 a été imposé au Nicaragua «entiè rement sous occupation militaire et politique des
86
Etats-Unis» , et que, en outre, ce traité violait la C onstitution nationale en vigueur à l’époque,
laquelle «interdisait formellement l’exécution de traités portant préjudice à la souveraineté
nationale ou impliquant la division du territoire national» 86. Le livre blanc reconnaît que

«[b]eaucoup de temps s’est écoulé depuis le traité Bárcenas Meneses-Esguerra, mais il se87ait que
le Nicaragua n’a pas recouvré sa souveraineté nationale avant le 19 juillet 1979...» .

1.107. Cependant, si le Nicaragua, pour avoi r été soumis à l’influence des Etats-Unis
entre1909 et1979, n’était pas habilité à conclure d es traités, en particulier le traité de 1928, il
n’aurait pas pu devenir membre fondateur des Na tions Unies ni signataire de la Charte des

66 NationsUnies, ni d’ailleurs être partie au pact e de Bogotá, l’instrument même sur lequel le
Nicaragua fonde la compétence de la Cour dans la présente instance. En effet, étant donné que le
Nicaragua est partie au Statut de la Cour intern ationale de Justice en sa qualité de membre des

Nations Unies, s’il n’était pas habilité à signer la Charte, il n’a pas quali
té pour saisir la Cour. De
plus, la déclaration du Nicaragua en vertu de la clause facultative, que cet Etat invoque également
devant la Cour dans la présente instance, a été faite en 1929, soit un an après la signature du traité
avec la Colombie et un an précisément avant sa ratification.

C. Inconstitutionnalité alléguée

1.108. Le Nicaragua affirme que le traité de 1928 a été adopté, en violation de la
Constitution nicaraguayenne de l’époque (1911), du fait d’une intervention des Etats-Unis, dont les
dates sont invoquées dans le mémoire du Nicaragua. La disposition de droit interne qui aurait été

violée prévoit que «ne peuvent pas être conclus de traités qui sont contraires à l’indépendance et à
l’intégrité de la nation ou qui portent atteinte d’une quelconque manière à sa souveraineté...».

Il est clair que le traité de 1928, loin de porte r atteinte à l’intégrité ou à la souveraineté du
Nicaragua, les a manifestement favorisées, puisque, par cet instrument, la Colombie renonçait à ses
droits sur la côte des Mosquitos et sur les Isla s Mangles (îles du Maïs) au profit du Nicaragua. En
outre, étant donné que la Constitution qui, selon ce qu’affirme maintenant le Nicaragua, aurait été

violée ne présentait même pas l’archipel de San Andrés comme faisant partie du territoire
nicaraguayen ⎯ce que le Nicaragua r econnaît dans son mémoire 88⎯, il est impossible de
prétendre qu’un traité dont l’un des principaux ob jets était précisément l’archipel en question

violait la Constitution, d’autant pl us que, de toute son histoire, le Nicaragua n’a jamais exercé une
quelconque forme de souveraineté sur cet archipel.

67 1.109. En outre, il suffit de rappeler la disposition applicable de la convention de Vienne sur
le droit des traités (sur laquelle le Nicaragua s’ appuie dans son mémoire, bien qu’il ne soit pas
partie à ladite convention), à savoir l’article 27, qui dispose ce qui suit :

«Droit interne et respect des traités

Une partie ne peut invoquer les di spositions de son droit interne comme
justifiant la non-exécution d’un traité. Cette règle est sans préjudice de l’article 46.»

86Libro Blanco sobre el caso de San Andr és y Providencia, Ministerio de Relaciones Exteriores de la República
de Nicaragua, Managua, 4 février 1980, p. 2.
87
Ibid., p. 3.
88MN, p. 109, par. 2.105. - 37 -

L’exception visée à l’article 46 est la suivante :

«Dispositions du droit interne concernant la compétence pour conclure des
traités

1. Le fait que le consentement d’un Etat à être lié par un traité a été exprimé en
violation d’une disposition de son droit interne concernant la compétence pour

conclure des traités ne peut être invoqué par cet Etat comme viciant son consentement,
à moins que cette violation n’ait été manifest e et ne concerne une règle de son droit
interne d’importance fondamentale.

2. Une violation est manifeste si elle est objectivement évidente pour tout Etat
se comportant en la matière conformément à la pratique habituelle et de bonne foi.»

1.110. En l’espèce, la violation alléguée de la Constitution nicaraguayenne n’était pas

manifeste, ni pour la Colombie ou tout Etat tiers, ni même pour le Nicaragua, qui considéra pendant
cinquanteans le traité de 1928 c onforme à la constitution et en vigueur. Il est révélateur qu’au
cours de la procédure minutieuse de ratification du traité de1928 menée à bien par le Congrès

nicaraguayen, ces questions constitutionnelles n’ai ent même pas été mentionnées. Par ailleurs,
comme il a été dit plus haut, la constitution en vigueur à l’époque ne précisait pas non plus que
68 l’archipel de San Andrés faisait partie du territo ire du Nicaragua; à vrai dire, aucune constitution

nicaraguayenne n’a jamais comporté une telle disposition.

1.111. A la lumière de ce qui précède, il est outrageux de la part du Gouvernement

nicaraguayen de prétendre qu’un traité tel que le traité de 1928 et son protocole d’échange des
ratifications de1930 est entaché de nullité. Ces pr opos témoignent du mépris total de la règle la
plus fondamentale du droit international, à savoir pacta sunt servanda, pierre angulaire de la paix et

de la sécurité internationales. La conduite du Nicaragua est également contraire au principe du
respect des obligations découlant des traités et autres sources du droit international, consacré par la
Charte des Nations Unies et la Charte de l’Organisation des Etats américains . 89

D. Le traité de 1928 n’a pas été abrogé pour «violation»

1.112. A la section IV de son mémoire, le Nicaragua affirme pour la toute première fois que
même si le traité de1928 «est entré en vi gueur à un quelconque moment , il est devenu caduc du
90
fait de sa violation par la Colombie» . Le Nicaragua décrit le protocole d’échange des
ratifications de1930 comme «une interprétation au thentique du traité sur laquelle les deux parties
se sont mises d’accord et qui était une conditio n à la ratification par le Congrès nicaraguayen» 91.

Mais le Nicaragua affirme ensuite dans son mémo ire que cette interprétation commune du sens du
traité «n’a pas été contestée par la Colombie jus qu’en 1969, lorsque, pour la première fois, elle a
soutenu que le 82 méridien... constituait la frontière maritime entre elle-même et le
92
Nicaragua...» . Le Nicaragua fait valoir que «[c]e changement radical de l’interprétation93
69 commune du traité a manifestement constitué une violation substantielle dudit instrument» . Il
qualifie ensuite cette

89Texte officiel publié par le secrétariat général de l’Organisation des Etats américains, Washington, D.C., 1997.

90MN, p. 178.
91
Ibid., par. 2.254.
92
Ibid., par. 2.255.
93Ibid., par. 2.256. - 38 -

«interprétation saugrenue et intéressée d’une disposition fondamentale, qui change radicalement
l’intention des parties contractantes» 94, de «violation substantielle», qui donne au Nicaragua le

droit d95dénoncer le traité en vertu de l’article 60 de la convention de Vienne sur le droit des
traités .

1.113. Ces affirmations extraordinaires de la part du Nicaragua ⎯qu’il a seulement

formulées pour la première fois dans son mémoire ⎯ sont manifestement invraisemblables. Elles
sont dénuées de fondement tant en droit que sur le plan des faits.

1.114. Sur le plan des faits, il n’est pas exact qu’en 1969 la Colombie ait émis pour la
première fois le point de vue que le 82 eméridien de longitude ouest constituait une ligne de

séparation maritime entre les juridictions de la Co lombie et du Nicaragua. Ce point de vue était la
véritable position commune des deux parties au moment de la signature du protocole de 1930. Le
Nicaragua lui-même, lors des débats au Congrès nicaraguayen, a pris l’initiative d’expliquer
e
clairement que sa proposition d’inclure dans le traité de 1928 la disposition relative au 82 méridien
de longitude ouest avait précisément pour but d’ établir une telle ligne de délimitation maritime
96
entre la Colombie et le Nicaragua . La Colombie a approuvé la proposition du Nicaragua, comme
il a déjà été démontré.

1.115. Comme nous l’avons déjà exposé, dès 1931, soit un an après l’échange des
ratifications, le 82 méridien de longitude ouest était représen té en tant que frontière sur la carte
o
officielle de la République de Colombie (voir cartes n 4 et 4 bis), sans que le Nicaragua n’émette
la moindre protestation. La Colombie a ensuite pub lié plusieurs cartes officielles similaires (voir,
os
par exemple, les cartes n 5-11), qui n’ont pas non plus suscité de protestations de la part du
Nicaragua. De plus, dans les publications officielles de la Colombie ayant pour titre «Limites de la
République de Colombie» (Límites de la República de Colombia) , parues en1934 et1944 97, le
70 e
82 méridien de longitude ouest était de même prése nté comme la frontière entre la Colombie et le
Nicaragua. Ces publications n’ont pas fait l’objet de protestations de la part du Nicaragua.

1.116. En droit, même s’il était vrai ⎯ ce qui n’est pas le cas ⎯ que, en 1969, la Colombie
e
«a unilatéralement transformé» le 82 méridien de longitude ouest en une frontière maritime, le fait
qu’une partie avance un argument relatif à l’interprétation d’un traité ne peut pas constituer en soi
une «violation substantielle» de cel ui-ci. Le passage tiré de l’ou vrage de lordMcNair sur lequel
98
s’appuie le Nicaragua concerne un argument invoqué de mauvaise foi. Or, les actes accomplis
par la Colombie en 1969 ne peuvent être ainsi qua lifiés. La Colombie, en répondant à la tentative
du Nicaragua de mener des activités dans des espac es situés à l’est de la frontière convenue, n’a

rien fait de plus que revendiquer l’accord tel qu’ il avait été conçu par le Nicaragua en1930 et
convenu par les deux parties à cette époque.

94MN, p. 179, par. 2.258.

95Ibid., p. 180, par. 2.261.

96Voir les citations tirées de l’examen de la question par le Congrès, qui figurentdans le présent chapitre,
par. 1.59-1.63, et au chap. II, par. 2.41 et suiv.
97
Límites de la República de Colombia , République de Colombie, ministère des affaires étrangères, bureau des
longitudes et des frontières, Editor ial Centro, Bogotá, 1934, p.46, Límites de la República de Colombia, 2 e éd.,
République de Colombie, ministère des affaires étrangèr es, bureau des longitudes et des frontières, Colombia
Lithography, Bogotá, 1944, p. 101.

98MN, p. 178, par. 2.257. - 39 -

1.117. De surcroît, même si le fait, pour une partie, d’invoquer un tel argument pouvait en
tant que tel constituer une violation du traité, cela ne saurait en soi mettre fin à ce dernier. En vertu
de l’article 60 de la convention de Vienne sur le droit des traités, une violation substantielle d’un

traité bilatéral par l’une des parties autorise l’autre à invoquer la violation comme motif pour mettre
fin au traité. Le Nicaragua n’a pris aucune mesure pour exercer ce droit, vraisemblablement parce
qu’il sait qu’il n’est pas fondé à le faire. L’article 45 de la conve ntion de Vienne est à cet égard
instructif, puisqu’il dispose :

«Perte du droit d’invoquer une cause de nullité d’un traité ou un motif d’y
mettre fin, de s’en retirer ou d’en suspendre l’application

71 Un Etat ne peut plus invoquer une cause de nullité d’un traité ou un motif d’y
mettre fin, de s’en retirer ou d’en suspendre l’application en vertu [de
l’article] … 60 … si, après avoir eu connaissance des faits, cet Etat :

a) a explicitement accepté de considérer que, selon le cas, le traité est valid
e, reste en

vigueur ou continue d’être applicable ; ou

b) doit, à raison de sa conduite, être cons idéré comme ayant acquiescé, selon le cas, à
la validité du traité ou à son maintien en vigueur ou en application.»

1.118. Il ressort clairement des circonstances de l’espèce que, en ratifiant le traité de 1928 et
en l’enregistrant auprès de la Société des Nati ons en tant qu’accord ayant force obligatoire, le
Nicaragua considérait le traité de 1928 comme valide et en vigueur et que, en l’appliquant pendant

plusieurs dizaines d’années, il a plus qu’acquiescé tant à sa validité qu’à son maintien en vigueur et
en application. L’argument avancé par le Nicaragua selon lequel il aurait été mis fin au traité
de 1928 et à son protocole de 1930 est dépourvu de tout fondement.

1.119. Par ailleurs, il est clair que le Nicaragua ne peut aujourd’ hui faire valoir qu’en
considérant le 82 méridien de longitude ouest comme une frontière maritime ⎯ainsi qu’il avait

été convenu en1930 et observé depuis cette date ⎯, la Colombie aurait violé le traité de1928, si
bien qu’il y aurait été ou pourrait y être mis fin. Une allégation aussi extraordinaire a pour but de
priver d’effet les exceptions d’incompétence fondées de la Colombie: il s’agit de réduire à néant
l’affirmation de la Colombie selon laquelle, d’une part, aux termes du pacte de Bogotá, le différend
a été réglé au moyen d’une entente entre les parti es et se trouve régi par un traité qui était en

vigueur à la date de la signature du pacte et qui l’ est toujours et, d’autre part, le différend est né de
72 faits antérieurs à1932. Si la Cour venait à r econnaître la validité d’un tel argument, tout Etat
pourrait, par une allégation spécieuse, contourner les limites posées à la compétence de la Cour. En
effet, il suffirait d’alléguer devant la Cour des violations pour priver d’effet de telles réserves, qui

constituent l’expression de la volonté des Etats. La Colombie a l’espoir que la Cour examinera cet
audacieux argument du Nicaragua avec la réserve qu’il mérite.

1.120. Après avoir présenté le contexte géné ral de l’affaire conformément à l’article79 du
Règlement de la Cour, la Colombie exposera maintenant le détail de ses exceptions préliminaires.- 40 - - 41 -

73 C HAPITRE II

EN VERTU DES ARTICLES VI ET XXXIV DU PACTE DE BOGOTÁ ,LA C OUR EST « INCOMPÉTENTE

POUR JUGER LE DIFFÉREND » ET DOIT DONC DÉCLARER CELUI -CI«TERMINÉ »

I. E PACTE DE BOGOTÁ

2.1. S’inspirant d’un projet élaboré par lComité juridique interaméricain et dans lequel
figuraient des amendements proposés par le Brésil, le Mexique et le Pérou, le «traité américain de

règlement pa99fique», connu sous le nom de «pacte de Bogotá» («le pacte»), fut signé le
30 avril 1948 lors de la neuvième conférence internationale des Etats américains.

2.2. Le pacte de Bogotá est un élément essentiel du système interaméricain de règlement
pacifique des différends et occupe une place particul ière dans la Charte de l’Organisation des Etats
américains. Le pacte instaure un système de règl ement des différends en vertu duquel les parties

s’engagent à appliquer les procédures convenues sous la forme et dans les conditions prévues dans
le pacte (article II du pacte de Bogotá). Ces procédures sont les suivantes :

⎯ bons offices et médiation (chapitre deux) ;

⎯ enquête et conciliation (chapitre trois) ;

⎯ procédure judiciaire (chapitre quatre) ;

⎯ arbitrage (chapitre cinq).

2.3. Cela étant, l’article VI du pacte exclut du champ d’applicatiotoutes les procédures
74
précitées les questions déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties ou régies par des
traités en vigueur à la date de la signature du pacte.

2.4. Lorsque le pacte de Bogotá fut signé en1948, il existait un nombre considérable de
différends en suspens entre plusieurs Etats américains, mais aucun entre le Nicaragua et la
Colombie.

II. DISPOSITIONS PERTINENTES DU PACTE DE B OGOTÁ

2.5. Les Parties sont d’accord sur l’applicabilité du pacte de Bogotá, traité en vigueur entre
elles. Cependant, tant dans sarequête que dans son mémoire, le Nicaragua invoque une seule

disposition du pacte, à savoir l’article XXXI, sans s’appuyer, ni même se référer, aux autres
dispositions du pacte, qui, selon les propres termes de la Cour, «restreignent par ailleurs la portée
de l’engagement pris» 10par les parties en vertu de l’articleXXXI, à savoir les articlesVI
etXXXIV. Ce n’est pas l’article XXXI, interprété isolément des autres dispositions pertinentes,

99
Annexe 20: «Traité américain de rè glement pacifique, «pacte de Bogotá», 30 avril 1948». Texte officiel en
anglais et espagnol.
10Actions armées frontalières et trans frontalières (Nicaragua c. Honduras), co mpétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 84, par. 35. - 42 -

qui confère à la Cour sa compétence en l’espèce, mais l’ensemble du chapitre quatre («Procédure
judiciaire»), interprété conjointement avec le s dispositions générales du chapitre premier

(«Obligation générale de régler les différends pa r des moyens pacifiques»), et en particulier
l’articleVI, auquel les termes de l’article X XXIV renvoient explicitement. L’articleXXXI n’est
pas un article isolé, mais doit être interprété à la lumière d’autres dispositions pertinentes du
pacte ⎯ que le Nicaragua ne mentionne pas.

75 2.6. Dès lors, contrairement à l’affirmation du Nicaragua, ce n’est pas l’articleXXXI du
pacte interprété isolément qui fonde la compétence de la Cour, c’est le pacte de Bogotá considéré

dans son ensemble. Cette compétence n’est par a illeurs établie que dans la mesure et dans les
limites définies par le pacte, ce que confirme clairement l’articleII du pacte: «[A]u cas où
surgirait, entre deux ou plusieurs Etats signataires, un différend…, les parties s’engagent à
employer les procédures établies dans ce traité sous la forme et dans les conditions prévues aux
101
articles suivants…»

2.7. En vertu de l’article VI du pact e, les procédures visées par cet instrument ⎯ y compris

la procédure judiciaire qui fait l’objet du chapitre quatre ⎯ «ne pourront non plus s’appliquer ni
aux questions déjà réglées au moyen d’une entent e entre les parties,... ni à celles régies par des
accords ou traités en vigueur à la date de signature du présent
pacte».

2.8. L’article XXXIII dispose ce qui suit: «A u cas où les parties ne se mettraient pas
d’accord sur la compétence de la Cour au sujet du litige, la Cour elle-même décidera au préalable
de cette question.»

C’est précisément ce qu’il est demandé à la Cour de décider «avant que la procédure sur le
fond se poursuive», comme l’article 79 de son Règlement le prévoit.

76 2.9. En vertu de l’article XXXIV du pacte, «[s]i, pour les motifs indiqués... [à
l’article]VI...de ce traité, la Cour se déclarait incompétente pour juger le différend, celui-ci sera
déclaré terminé».

Les questions que le Nicaragua soumet à la Cour dans sa requête ⎯ souveraineté sur
l’archipel de San Andrés et frontière mar itime entre la Colombie et le Nicaragua ⎯ sont des

questions qui ⎯de même que celle de la souveraineté sur la côte des Mosquitos et les Islas
Mangles (îles du Maïs) ⎯ ont été réglées et sont régies par le traité Esguerra-Bárcenas de 1928 et
son protocole d’échange des ratifications de 1930, lesquels constituent une «entente» et un «accord
ou traité» au sens de l’article VI du pacte de Bogot á. La Cour est donc co mpétente en l’espèce et,

en vertu des articles VI et XXXIV du pacte, est tenue de refuser de réexaminer ces questions. Elle
est tenue de déclarer le différend «terminé», ended, terminada.

101
Les italiques sont de nous. - 43 -

III. OBJET ET BUT DES ARTICLES VI ET XXXIV

2.10. Ainsi qu’il ressort non seulement des te102s mêmes des articles VI et XXXIV du pacte
de Bogotá, mais aussi des travaux préparatoires , lesdits articles ont pour objet et pour but de
garantir que les procédures prévues par le p acte soient utilisées uniquement pour régler des
différends non encore réglés, et non pour réexaminer des différends précédemment réglés.

2.11. L’article VI correspond à l’un des trois articles que le Pérou avait proposé d’intégrer
77
dans le projet élaboré par le Comité juridique interaméricain, examiné lors de la neuvième
conférence internationale des Etats américains. Le texte de la proposition du Pérou se rapportant
au futur article VI du pacte se lit comme suit : «Article... Ces procédures ne pourront pas

s’appliquer ni aux questions déjà réglées au m oyen d’une entente entre les parties, ou d’une
sentence arbitrale ou d’une décision judiciaire, ni à celles régies par des accords internationaux en
vigueur à la date de la signature du présent traité.» 103

Le projet d’article fut examiné par le pr emier groupe de travail créé par la troisième
commission lors de la conférence. Le projet, légèrement modifié ⎯à savoir que le mot

«internationaux» après «accords» fut supprimé ⎯, fut soumis au débat par le président lors de la
troisième réunion de la troisième commission le 27 avril 1948. Lors de cette réunion, le Pérou et le
Nicaragua étaient représentés par des juristes et diplomates réputés, Victor Andrés Belaúnde et

Guillermo Sevilla Sacasa, respectivement.

2.12. Le représentant de l’Equateur estima que la proposition du Pér ou était «péremptoire»,

trop absolue et générale; c’est pourquoi il suggéra de la reformuler. Belaúnde s’opposa à cette
suggestion ; en effet, selon ses termes,

«il serait très dangereux d’atténuer la formule, [parce que] ... cela reviendrait à donner
la possibilité de susciter un différend, ce qui est exactement ce que nous voulons
éviter. Je pense qu’un système pacifique américain doit non seulement régler les

78 différends mais aussi les prévenir, car l’é104tement de différends est précisément l’un
des moyens de porter atteinte à la paix.»

102
Voir le compte rendu intégral :

Concernant l’article VI, annexe 21: «Neuvième conférence internationale des Etats américainsActes et
documents, actes des réunions de la troisième commission, troisième réunion , 27 avril 1948, ministère colombien des
affaires étrangères, Bogotá, 1953, vol. IV, p. 134-136».
Concernant l’article XXXIV, annexe 22: «Neuvième conférence intrnationale des Etats américains, Actes et

documents, actes des réunions de la troisième commission, quatrième réunion , 28 avril 1948, ministère colombien des
affaires étrangères, Bogotá, 1953, vol. IV, p. 172».
103Neuvième conférence internationale des Etats américai ns. Documents de la troisième commission, p.69-70.
Voir à l’annexe 21 le texte complet de cette partie des débats.

104«[S]ería muy peligroso atenuar la fórmula...[porque ] sería abrir la puerta a provocar un litigio, que es
precisamente lo que queremos evitar. Creo que un sistema aericano de paz debe no sólo resolver los litigios, sino
también impedir que se provoquen, porque el provocar litigios es precisamente una de las formas de atentar contra la
paz.» Voir annexe 21, p. 135. - 44 -

Le délégué du Chili prit la parole pour souten ir le délégué du Pérou : «La délégation de mon
pays appuie largement les propos du délégué du Pé rou et est disposée à voter l’article tel qu’il l’a
105
proposé.»

Le représentant de Cuba ayant exprimé des doutes sur l’utilité d’une telle disposition ⎯ si
les difficultés sont réglées, déclara-t-il, quel est le problème? ⎯, Belaúnde en vint même à parler
de chose jugée : «Le danger, c’est qu’elles soient relancées, qu’on veuille les relancer. Il s’agit de
106
l’exception de la chose jugée.»

2.13. A la lumière de ces explications, la proposition péruvienne fut approuvée à l’unanimité.
Ainsi, c’est désormais l’articleVI du pacte qui , comme les travaux préparatoires l’indiquent

clairement, sert de rempart contre tout usage possible des procédures prévues par le pacte en vue de
relancer des différents précédemment réglés.

79 2.14. Les débats qui conduisirent à l’adoption du pacte au sein des parlements de plusieurs
Etats signataires confirment encore l’interprétation commune de l’intention, de l’objet, de la portée

et du sens de l’article VI du pacte de Bogotá.

107
2.15. Il convient de rappeler que, lors de la signature du pacte de Bogotá, la Bolivie et
l’Equateur 108formulèrent des réserves concernant l’article VI en vue de ménager la possibilité de
109
reviser les traités territoriaux qu ’ils avaient conclus avec le Ch ili et le Pérou, respectivement .
Compte tenu de leurs positions vis-à-vis de ces traités, ils cherchaient à faire admettre la possibilité

que des questions territoriales déjà réglées par un traité internat110al puissent être soumises
ultérieurement aux procédures du pacte. Cependant, ni l’Equateur ni la Bolivie ne ratifièrent le

105«La Delegación de mi país apoya ampliamente las palabr as del señor delegado del Perú, y está dispuesta a

votar el artículo en la forma como él lo ha propuesto». Voir annexe 21, p. 136.
106«El peligro está en que se reabra, en que se qui era reabrir. Es la excepción de cosa juzgada.» Voir
annexe 21, p. 136.

107La réserve de la Bolivie se lit comme suit : «La déléga tion de Bolivie formule une réserve en ce qui concerne
l’articleVI, car elle estime que les procédures pacifiques peuvent également s’appliquer aux différends relatifs à des

questions résolues par arrangement entre les parties, lorsque pareil arrangement touche aux intérêts vitaux d’un Etat.»
108La réserve de l’Equateur se lit comme suit :

«La délégation de l’Equateur, en souscrivan t à ce pacte, formule une réserve expresse
relativement à l’articleVI et à toute disposition quiviole les principes proc lamés ou les stipulations
contenues dans la Charte des Nations Unies, dans la Charte de l’Or ganisation des Etats Américains ou

dans la Constitution de la République de l’Equateur, ou qui n’est pas en harmonie avec ceux-ci.»
109La Bolivie avait proclamé à plusieurs reprises la nu llité du traité signé avec le Chili le 20octobre1903. De

son côté, l’Equateur estimait que le protocole appelé «Protocolo de Rio de Janeiro»[protocole de Rio de Janeiro], signé le
29janvier1942 avec le Pérou, était inapplicable et l’avait par la suite déclaré nul. Tant lChili que le Pérou rejetèrent
fermement ces prétentions et refusèrent de réexaminer des questions qui avaient déjà été réglées par ces traités en
vigueur.
110
Le pacte de Bogotá fut in itialement soumis au Sénat équatorien. Le rapport de la commission des affaires
étrangères, qui fut lu lors de la séance plénière au cours de laquelle la question fut examinée, déclarait que «[l]e pacte a
été signé à Bogotá par les représentants de l’Equateur avec la réserve suivante... (voir note de bas de page104, plus
haut) ... [la] réserve susvisée donne la possibilité de réexaminer les traités...». Néanmoins, le pacte ne fut pas ratifié par le
Gouvernement équatorien, étant donné qu’il fut considéré que même avec la réserve formulée par l’Equateur à propos de

l’articleVI, le réexamen du protocole de Rio de Janeiro qu’il avait signé en 1942 avec le Pérou n’était pas facilité.
(Débats du Sénat : Acta de la Sesión Vespertina de la Honorable Cámara del Senado [Compte rendu de la séance du soir
de la Chambre du Sénat du Congrès é quatorien], 31 octobre 1949, point XXV : premier examen du projet de loi
numéro 157, pacte de Bogotá, p. 1923 et suiv.). - 45 -

111
pacte. Une étude menée par le Secrétariat général de l’OEA en 1985 confirme également le but
80 des réserves formulées par la Bolivie et l’Equa teur. Après avoir transcrit ces réserves, l’étude
déclare :

«Etant donné que l’article VI du pacte c onsidère les ententes, traités, sentences
ou décisions antérieurs à la conclusion de celui-ci comme définitifs et, par conséquent,

exclut de son application les questions ayant fait l’objet de l’un des actes susvisés, la
réserve revient essentiellement à priver ces derniers de leur effet juridique, dès lors
qu’existe la possibilité que les différends déjà réglés puissent être réexaminés.»

2.16. En ce qui les concerne, tant le Chili que le Pérou, à l’égard desquels la Bolivie et

l’Equateur, respectivement, faisaient valoir à l’époque la possibilité de reviser les traités, ra112ièrent
le pacte. Les procédures d’approbation du pacte de Bogotá aux Congrès du Chili et du Pérou
donnent une autre indication de l’interprétation de l’article VI par leurs gouvernements et

parlements.

2.17. Lors des débats au Congrès chilien con cernant l’approbation du pacte de Bogotá, le
caractère définitif de l’article VI en tant que garant des traités internationaux fut reconnu. La partie
pertinente du texte de la réserve du Chili à l’article LV du pacte, visant à contester et à neutraliser

l’objection de la Bolivie à l’article VI, fut in113 itialement rédigée pour rejeter toute réserve qui
81 pourrait modifier la portée de l’article VI . Après discussion, il fut pourtant décidé d’adopter un
texte différent pour la réserve, le résultat étant le même.

2.18. Le Pérou formula une réserve à l’article XXXIII et à «la partie que de droit de

l’articleXXXIV», en vue de garantir que la Cour ne puisse même pas se prononcer sur sa propre
compétence ⎯en vertu de l’article XXXIII ⎯ concernant les exceptions visées à l’articleVI et
donc déclarer les différends terminés en vertu de l’article XXXIV 114.

2.19. Le Nicaragua ne formula qu’une réserve, concernant «les décisions arbitrales dont la

validité a été contestée» ⎯il visait ainsi la sentence rendue par le roi d’Espagne en1906 dans le
différend qui l’opposait au Honduras. Il est assez cl air que, lorsqu’il ratifia le pacte, le Nicaragua
n’envisageait pas que son différend avec la Colombie put ne pas être réglé et donc ne pas relever de

111
Organisation des Etats américains , Conseil permanent, OEA/Sec. G CP/doc.1560/ 85 (deuxième partie),
9 avril 1985. Original : espagnol, p. 17-18.
112
Dans sa communication au Congrès, le président chilien mentionna l’impor tance de l’articleVI compte tenu
de la réserve de la Bolivie :
«Par ailleurs, il est également urgent d’adopter cette mesure [ratification], car la prochaine

conférence interaméricaine de Rio de Janeiro examin era deux propositions visant à remplacer le pacte de
Bogotá, dont aucune ne comprend, comme c’est le cas de l’article VI du pacte, de disposition destinée à
empêcher la revision de traités en vigueur ... pour pr otéger au mieux l’intérêt national, le gouvernement a
envisagé de formuler une réserve lors de la ratification ... [qui] prévoirait le rejet par nous de toute réserve
qui tenterait de modifier la portée de l’article VI.» (Message adressé au Congrès national par le président
de la République du Chili, demandant l’approbati on du pacte de Bogotá en vue de procéder à sa
ratification avec une réserve, Chambre des députés du Chili, 42ance du 12 mai 1965, p. 3266-3267.)

113Concernant le texte de la réserve de son pays, le prés ident chilien expliqua ainsi que celui-ci devait clairement
indiquer que le Chili «n’accept[ait] et n’acceptera[it] aucune réserve destinée à modifier d’une quelconque façon la portée
littérale de l’article VI» (ibid.).
114
La réserve du Pérou se lit comme suit: «2. Réserv e à l’article XXXIII et la partie que de droit de
l’articleXXXIV car elle estime que les ex ceptions de la chose jug ée résolue au moyen d’un accord entre les parties ou
régie par les accords ou traités en vigueur, empêchent, en raison de leur nature objective et péremptoire, l’application à
ces cas de toute procédure.» - 46 -

l’article VI. Il ne contesta pas non plus le fait que le traité de 1928 était en vigueur à la date de la

signature du pacte de Bogotá, chose parfaiteme nt compréhensible, puisqu’il avait lui-même
demandé l’enregistrement du traité de 1928 et de son protocole d’échange des ratifications de 1930
auprès de la Société des Nations et que, en 1948, il appliquait le tra ité et son protocole depuis près
de vingt ans.

2.20. Le pacte emporte donc des conséquen ces parfaitement claires: lorsque la Cour

conclut ⎯ en vertu de l’article VI ⎯ que la question a été précédemment réglée par une ent
ente ou
82 un traité entre les parties, ou que la question est régie par un traité qui était en vigueur à la date de
la signature du pacte, elle a le devoir, en ve rtu de l’article XXXIV, de déclarer le différend
«terminé», ce qui relève exactement de l’objet du pacte de Bogotá: fournir des mécanismes de

règlement des différends en suspens, d’une part, et, d’autre part, confirmer les règlements
antérieurs et s’opposer à toute tentative de réexamen de ceux-ci. Dans la présente instance, le pacte
impose de déclarer le différend réglé par le traité de 1928 et son protocole de 1930 et de déclarer la

question «terminée», ended, terminada. Or, si une telle déclaration relève de la compétence de la
Cour, en revanche, aux termes de l’article XXXIV du pacte, celle-ci est «incompétente» pour
«juger le différend» une nouvelle fois, comme s’il n’avait pas déjà été réglé par un traité en
vigueur.

2.21. Que tel soit bien le sens des articlesVI etXXXIV du pacte, c’est ce que confirme le
commentaire officiel contemporain de la conclusi on du pacte de Bogotá, publié par le secrétaire

général de l’Organisation des Etats américains :

«Il pourrait arriver qu’un des Etats parties à un différend
fasse valoir que

l’affaire ne peut pas faire l’objet d’un règlement judiciaire, parce qu’elle relève
précisément d’une des exceptions prévues par le [pacte] lui-même, c’est-à-dire qu’elle
concerne des [questions]... déjà réglées au moyen d’une entente entre les parties, ou
d’une décision arbitrale ou d’une décision d’un tribunal international; ou qu’elle est

régie par des accords ou des traités en vi gueur à la date de signature du traité
américain de règlement pacifique. Dans ce cas, la question préjudicielle sera soumise
à la Cour, si une des parties soulève une exception. Si la Cour, dans le cadre de la

procédure judiciaire, se déclarait in115pét ente pour les motifs exposés ci-dessus, le
83 différend serait déclaré terminé...»

2.22. Le pacte de Bogotá doit être lu dans son ensemble. Le Nicaragua ne peut pas se fonder
sur son seul article XXXI. En vertu du traité de 1928 et de son protocole d’échange des
ratifications de 1930, lesquels sont valides et en vigueur, les questions que le Nicaragua tente de

soumettre à la Cour a) ont déjà été réglées et sont régies par ledit traité et son protocole qui
b) étaient manifestement et incontestablement en vigueur en 1948, à la date de la signature du
pacte. De l’article VI du pacte, il découle donc directement que, pour chacun de ces motifs,
l’article XXXI «ne peut pas être appliqué».

2.23. En outre, en vertu des articles VI et XXXIV du pacte de Bogotá, la compétence de la
Cour se limite à déclarer le différend terminé.

115A. Lleras, «Informe sobre la Novena Conferencia Internacional de Estados Americanos»,Anales de la
Organización de Estados Americanos , vol.I, no1, Departamento de Información Pública, Unión Panamericana,
Washington, D.C., 1949, p.49-50; les itali ques sont de nous). Voir également F. V. García-Amador (comp. annotée) :
«Arreglo Pacífico de Controversias, Tratado Americano de Soluciones Pac íficas, Pacto de Bogotá», Sistema
Interamericano a través de tratados, c onvenciones y otros documentos, Subsecre taría de Asuntos Jurídico-Políticos,
Secretaría General de la Organización de Estados Americanos, vol. I : Asuntos Jurídicos – Políticos, Washington, D.C.,

1981, p. 747. - 47 -

IV. RÈGLEMENT DÉFINITIF DU DIFFÉREND CONCERNANT L ARCHIPEL DE SAN ANDRÉS ,

LA CÔTE DES M OSQUITOS ET LES ISLAS M ANGLES (ÎLES DU M AÏS)

2.24. Il a été démontré en détail au chapitre I ci-dessus que le différend entre le Nicaragua et

la Colombie portant sur la côte des Mosquitos, les Islas Mangles (îles du Maïs) et, depuis1913,
l’archipel de San Andrés a été réglé ⎯après des négociations prolongées ⎯ par le traité
Esguerra-Bárcenas de1928. Comme il a été expliqué, ce traité comportait une formule proposée
84
six ans plus tôt par le représentant colombie n, Manuel Esguerra, aux termes de laquelle la
Colombie reconnaissait la souveraineté du Nicaragua sur la côte des Mosquitos et sur les Islas
Mangles (îles du Maïs), tandis que le Nicaragua re connaissait la souveraineté de la Colombie sur

les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina et sur «toutes les autres îles, îlots et cayes qui
font partie dudit archipel de San Andrés.». Ce tra ité venait en réalité consolider la situation de fait
qui prévalait à l’époque ⎯et qui est aujourd’hui la même que celle qui prévalait lorsque le traité

fut négocié, signé et ratifié: la côte des Mos quitos et les Islas Mangles (îles du Maïs) étaient
nicaraguayennes et l’archipel de San Andrés, y compris toutes ses «îles, îlots et cayes», était
colombien.

2.25. Le Nicaragua cherche à réduire la superficie de l’archipel de San Andrés et à en exclure
les cayes septentrionales de Roncador, Quitasueño et Serrana, ainsi que les cayes de Serranilla et

Bajo Nuevo. Il tente de la sorte de contester le titre de la Colombie sur ces cayes, qui, en vertu du
traité de 1928, font partie de l’archipel, et d’en revendiquer lui-même le titre. D’un point de vue
géographique, historique et juridique, la position du Nicaragua est indéfendable.

2.26. D’un point de vue géographique et historique, l’archipel de San Andrés était réputé
comprendre le chapelet d’îles, cayes, îlots et bancs s’étendant entre Albuquerque au sud et

Serranilla et Bajo Nuevo au nord ⎯y compris les Islas Mangles (îles du Maïs) ⎯ ainsi que les
espaces maritimes en dépendant. Il ressort clairement de la carte n o3 que ces formations
constituent une chaîne insulaire unique correspondant à l’archipel.

2.27. En outre, les cartes publiées indiquent que les îles composant l’actuel archipel
colombien de San Andrés 116s’étendent des cayes d’Albuquerque au sud jusqu’à Serranilla et
85 o
Bajo Nuevo au nord. Ainsi, sur la carte n 4, publiée l’année qui suivit l’entrée en vigueur du traité
de1928 et de son protocole de 1930 et à l’ég ard de laquelle le Nicaragua n’émit aucune
protestation, figure, dans le coin supérieur droit,une carte à plus grande échelle de l’archipel

(reproduite en tant que carte 4 bis) : on peut y lire «Carte détaillée de l’archipel de San Andrés et
Providencia appartenant à la République de Colombie» 117. Elle représente les îles, cayes et autres
caractéristiques maritimes de l’archipel s’étendant du nord au sud dans la z one décrite plus haut.
os
D’autres cartes ont la même finalité : voir, par exemple, les cartes n 5 à 11.

2.28. Sur le plan juridique, le Nicaragua a déjà reconnu dans le traité de 1928 que Roncador,

Quitasueño et Serrana faisaient partie de l’arch ipel. L’article premier de ce traité dispose
notamment que la Colombie reconnaît la souvera ineté du Nicaragua sur les Islas Mangles (îles du
Maïs), celles-ci n’étant donc pas concernées par la disposition suivante indiquant que l’archipel de

San Andrés appartient à la Colombie. A cet égard, le traité affirme que le Nicaragua reconnaît «la
souveraineté pleine et entière de la République de Colombie sur les îles SanAndrés, Providencia,
Santa Catalina et toutes les autres îles, îlots et cayes qui font partie dudit archipel de San Andrés ».

Cette disposition est suivie d’une déclaration selon laquelle «le présent traité ne s’applique pas aux

116
Voir par. 1.8, plus haut.
11«Cartela del Archipiélago de San Andrés y Providencia perteneciente a la República de Colombia.» - 48 -

cayes de Roncador, Quitasueño et Serrana, dont la possession fait actuellement l’objet d’un litige
entre la Colombie et les Etats-Unis d’Amérique». Le motif ayant justifié l’application du traité à
ces trois cayes était leur appartenance à l’archipel: la déclaration ne peut s’expliquer d’une autre

façon. Dès lors, en acceptant le traité de 1928 qui contenait cette déclaration, le Nicaragua a admis
que les trois cayes faisaient partie de l’archipel et qu’en l’absence de cette déclaration, elles
auraient été concernées par la principale dispositi on de l’article premier concernant la souveraineté
de la Colombie sur l’archipel.

86 2.29. La déclaration qui figure dans le traité, selon laquelle les cayes de Roncador,
Quitasueño et Serrana ne sont pas réputées comprises dans le traité, a une autre conséquence

importante. Les parties se sont mises d’accord sur cette disposition parce que «la possession [de
ces cayes] fai[sai]t l’objet d’un litige entre la Colombie et les Etats-Unis d’Amérique». La question
de savoir si ces cayes appartiendraient finalement à la Colombie ou aux Etats-Unis était donc
laissée en suspens. Mais, puisque la Colombie et le Nicaragua avaient convenu que les cayes

n’appartenaient pas au Nicaragua, le Nicaragua acceptait que les seuls Etats pouvant en
revendiquer la souveraineté étaient la Colombie et les Etats-Unis; il n’était pas envisagé qu’elles
puissent appartenir au Nicaragua et ce dernier ne formula aucune revendication en ce sens. Etant
donné que, en 1972, les Etats-Unis renoncèrent à leurs prétentions sur ces trois cayes, le seul Etat

souverain à leur égard est la Colombie, ainsi qu’e lle-même et le Nicaragua l’ont constaté en 1928.
Par conséquent, en parfaite conformité avec le traité de 1928, elles appartiennent à la Colombie et il
n’existe aucun motif quel qu’il soit justifiant la revendication de souveraineté du Nicaragua sur
l’une des trois cayes.

2.30. Il ressort donc de ce qui précède que le différend entre la Colombie et les Etats-Unis
concernant les trois cayes étant réglé, le Nicaragua a accepté dans le traité de 1928 «la souveraineté
pleine et entière» de la Colombie sur l’ensemble de l’archipel de San Andrés (hormis les Islas

Mangles (îles du Maïs) qui, comme la Colombie l’a ad mis dans le traité de 1928, appartiennent au
Nicaragua), depuis la caye d’Albuquerque au sud ju squ’aux cayes de Serran illa et Bajo Nuevo au
nord, y compris toutes ses îles, îlots et cayes. Tel est l’élément essentiel du règlement inscrit dans
le traité de 1928 : les Islas Mangles (îles du Maïs) et la côte des Mosquitos sont reconnues comme

nicaraguayennes et l’archipel comme colomb ien. Le conflit n’aurait pas été réglé ⎯ selon les
termes du préambule, les parties n’auraient pas réussi à «mettre un terme au conflit territorial
pendant entre elles» ⎯ en vertu d’un autre principe et certainement pas en vertu du principe selon

lequel le partage, entre la Colombie et le Nicar agua, de la souveraineté sur certaines parties de
l’archipel devait rester incertain.

2.31. Il est donc clair que l’objet et le but du traité Esguerra-Bárcenas et de son protocole
87
de1930 étaient le règlement définitif et complet de ce différend ⎯ce qui découle non seulement
de l’histoire et du texte même du traité et de son protocole, mais aussi des débats qui précédèrent
l’approbation du traité au sein des Congrès des deux pays.

2.32. Comme il a été exposé au chapitre I, dans les deux pays, la ratification du traité
de 1928 fut précédée d’un débat au sein des parlements nationaux, tant au Sénat qu’à la Chambre
des députés. La vivacité de ces débats, en particulier au Congrès nicaraguayen, contredit

l’argument invoqué par le Nicaragua lorsque, en 1980, il prétendit déclarer unilatéralement le traité
nul et non avenu au motif que le traité Esguerra -Bárcenas avait été signé sous la pression des
Etats-Unis et n’avait pas été librement conclu pa r le Nicaragua. Les débats ne laissent pas le
moindre doute sur l’intention des deux parties, et en particulier du Nicaragua, de considérer le traité

comme un règlement définitif et complet de tous les différends territoriaux entre elles. Cette
affirmation est confirmée par le traité lui-même , qui dispose dans son pr éambule que les parties - 49 -

sont «désireuses de mettre un terme au conflit territorial pendant entre elles» 118 ⎯ déclaration

répétée dans le protocole d’échange des ratifications de 1930, qui préci se que le traité a été conclu
«pour mettre un terme à la question pendante entre les deux républiques au sujet de l’archipel de
San Andrés et Providencia et de la côte des Mosquitos nicaraguayenne» 119.

2.33. Le traité de 1928, accompagné de son pr otocole d’échange des ratifications en vigueur
depuis le 5mai1930, fut enregistré auprès de la Société des Nations aussi bien par le Nicaragua

que par la Colombie. Après l’entrée en vigueur du traité, le Nicaragua reconnut le caractère effectif
88 du traité de 1928 et de son protocole de 1930 à de multiples occasions, dans des déclarations et des
communications officielles. Il était donc manifestem ent conscient que le traité était en vigueur le

30 avril 1948, date de la signature du pacte de Bogotá.

2.34. A la date de cette signature, le Nicara gua n’émit aucune réserve concernant le traité

de1928 qui était alors en vigueur depuis dix-huit ans. L’unique réserve qu’il formula concernait
les sentences arbitrales, étant donné que le Nicar agua contestait la validité de la sentence rendue
par le roi d’Espagne en 1906. Par ailleurs, il ser ait incompréhensible que le Nicaragua ait prétendu

déclarer unilatéralement nul le traité de 1928, co mme il l’a fait en 1980, s’il n’avait pas considéré
ce traité comme étant en vigueur.

2.35. A la lumière de ce qui précède, il est clai r que l’intention des parties était de mettre un
terme au conflit qui existait entre elles et que ce conflit a été définitivement réglé par le traité
de1928 et son protocole d’échange des ratifica tions de 1930, qui étaient en vigueur le

30avril1948, date de la signature du pacte de Bogotá. La question relève ainsi des exceptions
prévues à l’article VI du pacte : a) elle a été réglée au moyen d’une entente entre les parties et est
régie par un traité et b) ledit traité était en vigueur à la date de la signature du pacte.

V. D ÉTERMINATION DE LA LIMITE MARITIME LE LONG DU 82 EMÉRIDIEN
DE LONGITUDE OUEST

2.36. Le 19 décembre 1928, le traité fut soumis au Congrès nicaraguayen. Comme il a été

exposé au chapitreI, la commission d’étude du Sénat nicaraguayen convine avec le ministre
nicaraguayen des affaires étrangères et ses conseillers de proposer le 82 méridien de longitude
89 ouest «comme limite dans le différend avec la Colo mbie» et entreprit de discuter de la question
avec le Gouvernement colombien par l’intermédia ire de son ambassadeur à Managua. Le Congrès

colombien ayant déjà approuvé le traité, un pro cessus de négociation entre les deux pays s’amorça
dans le but de régler la questi on. Ces négociations et consultati ons eurent lieu entre le ministre
nicaraguayen des affaires étrangères, ses conseille rs et les membres de la commission des affaires

étrangères du Sénat nicaraguayen, d’une part, et le Gouvernement colombien par l’intermédiaire de
son ambassadeur à Managua, d’autre part. La Co lombie examina soigneusement la question et,
après les négociations décrites en détail au chapitre I, accepta d’inclure une disposition aux termes
e
de laquelle le 82 méridien de longitude ouest constituerait la limite entre les deux pays.

118
«[D]eseosas de poner término al litigio territorial entre ellas pendiente.»
11«[P]ara poner término a la cuestión pendiente entre am bas Repúblicas, sobre el Archipiélago de San Andrés
y Providencia y la Mosquitia nicaragüense.» - 50 -

120
2.37. Comme il a été dit plus haut , lors des débats au Sénat nicaraguayen, l’un des
membres de la commission d’étude du Sénat nicaraguayen ⎯qui avait donc participé aux

négociations avec la Colombie ⎯ expliqua que, pour éviter tout e désaccord à l’avenir entre le
Nicaragua et la Colombie, il convenait d’ajouter que le 82 méridien de longitude ouest devait
constituer la «ligne de délimitation maritime» (la línea divisoria de las aguas) . D’après le
sénateur, cette démarcation était nécessaire pour régler définitivement la question (esa

demarcación es indispensable para que la cuestión quede de una vez, terminada para siempre). Le
ministre nicaraguayen des affaires étrangères expliq ua qu’il était nécessaire d’introduire dans le
protocole d’échange des ratifications «l’éclairc issement permettant de préciser la ligne de

délimitation» (la aclaración que demarcaba la línea divisoria) , en tant qu’elle était «nécessaire
pour l’avenir des deux nations, car elle permet[trait ] de préciser la frontière géographique entre les
archipels litigieux sans laquelle la question ne [serait] pas entièrement réglée» (era una necesidad

para el futuro de ambas naciones pues venía a señal ar el límite geográfico entre los archipiélagos
90 en disputa sin lo cual no quedaría completamente definida la cuestión) . Par ailleurs, le ministre
nicaraguayen, prenant la parole au nom de son gouvernement, déclara à la Chambre que la

disposition relative à la «ligne de délimitation» n’imposait pas un nouvel examen du traité par le
Congrès colombien, l’ambassadeur de Colombie l’ ayant informé que le Gouvernement colombien
l’avait autorisé à faire cette déclaration (su Gobierno lo había autorizado para manifestar que non

sería sometido a la aprobación del Congreso Colombiano ese Tratado, con motivo de la
aclaración que demarcaba la línea divisoria, que por lo tanto, y aunque no existía nada escrito,
podía asegurar a la Honorable Cámara, en nom bre del Gobierno, que sería aprobado el Tratado

sin necesidad de someterlo nuevamente a la aprobación del Congreso). C’est pourquoi il demanda
au Sénat d’approuver le tra ité avec la disposition proposée 121, ce qui fut fait à l’unanimité le
6 mars 1930, comme nous l’avons rappelé plus haut.

2.38. Après avoir été approuvé par le Sénat nicar aguayen, le traité fut présenté à la Chambre

des députés du Nicaragua. La commission des relations extérieures proposa à la Chambre
d’approuver le traité, comme le Sénat l’avait déjà fait, compte tenu de la «nécessité de mettre fin au
différend dans les conditions définies par le traité» (la necesidad de poner fin a la disputa en la
forma que el Tratado especifica) , c’est-à-dire «avec la disposition supplémentaire proposée au
122
Sénat» (con la adición propuesta en la Cámara del Senado) . Le traité et la disposition convenue
entre la Colombie et le Nicaragua concernant le 82 méridien de longitude ouest furent approuvés le
3avril1930. La disposition fut incluse dans le protocole d’échange des ratifications du traité

91 de 1930. Le traité et son protocole furent publiés au Journal officiel nicaraguayen le 2 juillet 1930.

2.39. Il est intéressant de constater que l es termes du traité avaient été adoptés sous un
gouvernement nicaraguayen conservateur avec la pa rticipation de Carlos Cuadra Pasos, alors
ministre des affaires étrangères, tandis que la ratification et l’échange des instruments de

ratification furent menés à bien par Julián Irí as, ministre des affaires étrangères du nouveau
gouvernement libéral, le parti libéral étant un ferme opposant et un rival du parti conservateur sous
la conduite duquel le traité avait été négocié.

2.40. A aucun moment, que ce soit entre la signature du traité Esguerra-Bárcenas en 1928 et
l’échange de ses instruments de ratification en 1930, ou entre 1930 et 1948, lorsque le pacte de

Bogotá fut signé, ou entre 1948 et 1950, lorsque le Nicaragua déposa son instrument de ratification

120
Voir par. 1.61 et suiv.
121
Annexe 8: «Compte rendu de la séance XLIX de la ohambre du Sénat du Congrès nicaraguayen,
5 mars 1930», La Gaceta, Diario Oficial, Año XXXIV, Managua, D.N., n 98, 7 mai 1930, p. 777-779.
122Annexe 9: «Compte rendu de la séance LVIII de la Chambre des députés du Congrès nicaraguayen,
1 avril 1930», La Gaceta, Diario Oficial, Año XXXIV, Managua, D.N., n 182, 20 août 1930, p. 1460 et suiv. - 51 -

du pacte de Bogotá, le Nicaragua n’a déclaré que la question de la souveraineté sur l’archipel de

San Andrés n’était pas réglée ou qu’il y avait un doute concernant la validité du traité de 1928 et de
son protocole d’échange des ratific ations de 1930, ou encore qu’il existait une divergence de vues
entre le Nicaragua et la Colombie à propos de cette question. A cette époque, le Nicaragua n’avait

jamais tenté de mettre en doute la souveraineté de la Colombie sur l’archipel ni la désignation du
82 méridien de longitude ouest comme ligne de délimitation maritime ( línea divisoria de las
aguas). Lorsque le pacte de Bogotá fut signé le 30 av ril 1948, le traité Esguerra-Bárcenas de 1928

et son protocole d’échange des ratifications de 1930 étaient en vigueur depuis près de
vingt ans ⎯et jamais, pendant toute cette période, le Nicaragua n’a ne fût-ce que suggéré que le
différend entre les deux pays n’avait pas été réglé par un traité valide, en vigueur depuis 1930.

VI. L A NATURE DU 82 E MÉRIDIEN DE LONGITUDE OUEST
92

2.41. Le débat au Congrès nicaraguayen ne laisse aucun doute quant à la signification du
82 méridien de longitude ouest visé dans le texte du protocole d’échange des ratifications

de1930: une frontière, une ligne de partage des zones maritimes en litige, une délimitation, une
démarcation de la ligne de partage (límite, línea divisoria de las aguas en disputa, delimitación,
demarcación de la linea divisoria) ⎯ en d’autres termes : une frontière maritime. Il est vrai que le

règlement de 1928-1930 concernait principalement la souveraineté sur certains territoires ⎯ la côte
des Mosquitos et les Islas Mangles (îles du Maïs), d’ une part, et l’archipel de San Andrés, d’autre

part ⎯, ces questions ayant divisé les deux pays pendant de nombreuses années. Cependant, si ce
règlement avait été limité à la souveraineté terr itoriale et avait laissé en suspens la question du
partage des zones maritimes, le but de la négocia tion n’aurait pas été atteint, lequel était, comme il

a été rappelé à plusieurs reprises au Congrès nicaraguayen, le règlement définitif et complet du
différend entre les deux pays. En déterminant le 82 méridien de longitude ouest comme frontière
maritime entre la Colombie et le Nicaragua, l es parties voulaient mettre un terme à l’ensemble du
e
différend : le Nicaragua proposa, et la Colo mbie accepta, de désigner comme telle le 82 méridien
de longitude ouest, et non une autre ligne.

2.4123Il est absurde d’affirmer,ecomme le Ni caragua le fait à plusieurs reprises dans son
mémoire , que la mention du 82 méridien de longitude ouest da ns le protocole d’échange des
ratifications détermine la limite occidentale de la Colombie vis-à-vis du Nicaragua mais ne

détermine pas la limite orientale du Nicaragua vis- à-vis de la Colombie. LaeColombie n’aurait
jamais accepté le traité, si le Nicaragua avait proposé en1930 que le 82 méridien de longitude
ouest constitue la limite occidentale de la Colombie mais pas la limite orientale du Nicaragua. Il

93 était à la fois approprié et suffisant de définir la limite occidentale de la Colombie sans qu’il soit
nécessaire de préciser que cette ligne constituait également la limite orientale du Nicaragua.

2.43. Dans son mémoire, le Nicaragua se donne beaucoup de mal pour limiter le règlement
de 1928-1930 à sa composante territoriale et ignorer son aspect maritime 124. Il accuse la Colombie
d’avoir «converti, … dans un but intéressé, quarante ans après sa signature» le règlement territorial
125
du traité Esguerra-Bárcenas en un traité de délimitation maritime dont la prétention aurait été,
selon le Nicaragua, de délimiter des zones mar itimes qui, à l’époque, n’étaient pas connues ni
reconnues par le droit international. Une «interpr étation excentrique», comme l’écrit le Nicaragua,

123MN, p. 158, par. 2.213 ; p. 176, par. 2.252 ; p. 178, par. 2.255.
124
Ibid., p. 146-177, par. 2.189-2.253.
125Ibid., p. 146, par. 2.189 ; p. 153, par. 2.203. - 52 -

d’un traité dont le rôle aurait été «clairement limité à la détermination du point le plus occidental de

l’archipel, sans aucune intention de délimiter l126 s zones maritimes respectives sur lesquelles les
parties pouvaient revendiquer la juridiction» .

2.44. Pour avoir une idée claire de la situati on, il suffit de se reporter une fois encore aux
débats tenus devant le Congrès nicaraguayen et relatés ci-dessus, qui révèlent l’origine et
l’intention de la di sposition relative au 82 méridien de longitude ouest, insérée dans le protocole

d’échange des ratifications de1930. C’est en effet au sein de la commission d’étude du Sénat
nicaraguayen que surgit l’idée que, pour mettre dé finitivement fin au différend opposant les deux
pays, il était nécessaire de définir la limite ⎯ tant en mer que sur terre ⎯ entre les deux pays.

2.45. L’importance fondamentale du 82 méridien de longitude ouest et la nature de frontière
que le Nicaragua lui a attribuée sont précisément confirmées par les négoc iations concernant la

mention du méridien dans le protocole. La proposition de la commission d’étude du Sénat
nicaraguayen fut amplement discutée entre ses membres, le ministre des affaires étrangères et ses
conseillers, ainsi que l’ambassadeur de Colombie. Après un examen approfondi, le Gouvernement
94
colombien décida de l’accepter et proposa que le méridien soit mentionné dans le protocole
d’échange des ratifications.

2.46. Les débats qui eurent lieu au sein du Congrès nicaraguayen font clairement apparaître
l’importance capitale que le Gouvernement nicaraguayen accordait à la question, à tel point que les
débats furent ajournés pour qu’il pût être pris connaissance de l’avis du ministre des affaires

étrangères. En dépit des explications données par celui-ci et l’un des membres de la commission
d’étude, certains sénateurs estimèrent que, compte te nu de la nature frontaliè re du méridien, le fait
de le mentionner revêtait un caractère si fondame ntal qu’il exigeait une revision complète du texte

du traité, lequel aurait alors dû être réexaminé par le Congrès colombien. Cependant, telle ne fut
pas la voie choisie par le Gouvernement colo mbien, qui estima qu’au regard du caractère
juridiquement contraignant du protocole d’échange des ratifications sur le plan international, il était

possible d’intégrer la disposition dans celui-ci. Comme d’autres Etats, la Colombie a d’ailleurs
suivi cette pratique à plusieurs occasions.

e
2.47. Il découle de ce qui précède que la désignation du 82 méridien de longitude ouest
comme limite maritime constituait un élément fondame ntal de l’accord conclu entre les deux pays
et ne peut absolument pas être considérée comme une simple mention accessoire qui n’aurait que

peu d’importance pour l’accord. La preuve en est qu’au cours de l’année qui suivit l’échange des
instruments de ratification du traité, le méridien avait déjà été intégré dans la cartographie officielle
de la Colombie ⎯ comme ce fut le cas par la suite à plusieurs reprises (voir cartes n os4-11) ⎯ en

tant que frontière entre les deux pays sans que le Nicaragua n’émette la moindre protestation.

2.48. Il ne peut y avoir aucun doute quant à la signification et à l’objet de cette disposition,
95
étant donné que, lors des débats au Congrès, l’ un des membres de la commission d’étude du Sénat
nicaraguayen ⎯ qui avait donc participé aux négociations visées avec la Colombie ⎯ expliqua que
«l’éclaircissement ou la démarcation de la ligne de délimitation entre les zones maritimes en

litige … [était] indispensable pour régler définitivement la question» (la aclaración o demarcación
de la línea divisoria de las aguas en disputa… indispensable para que la cuestión quede de una
vez, terminada para siempre) 127. Comme il a été rappelé précédemment, le ministre nicaraguayen

126
MN, p. 181, par. 2.263.
127Voir annexe 8: «Compte rendu de la séance XLIX de la Chambre du Sénat du Congrès nicaraguayen,
5 mars 1930», La Gaceta, Diario Oficial, Año XXXIV, Managua, D.N., n 98, 7 mai 1930, p. 778. - 53 -

des affaires étrangères fit remarquer que, sans l’inclusion de la disposition relative au 82 eméridien

de longitude ouest, «la question ne serait pas entièrement réglée» (no quedaría completamente
definida la cuestión). S’il avait fallu comprendre, comme le Nicaragua le prétend, que le traité ne
devait pas avoir d’autre effet que de définir la souv eraineté sur des territoires terrestres, il n’aurait

pas été décrit par le ministre nicaraguayen et par le Congrès nicaraguayen comme un «traité de
frontières», un tratado de límites.

2.49. Le Nicaragua affirme que les «traités qui attribuent des territoires ou des îles ne
délimitent habituellement pas la juridiction maritime respective des parties ⎯sauf, bien entendu,
128
stipulation contraire expresse» . Ore il ressort des travaux préparatoires que, lorsque le Nicaragua
proposa la disposition relative au 82 méridien de longitude ouest, son intention était de définir une
limite maritime séparant les juridictions des deux pays. En outre, le protocole contient une

stipulation expresse à cet effet. Dès lors, cont rairement à l’affirmation du Nicaragua dans son
mémoire, le traité de 1928, du fait de l’inclusion de ladite disposition dans le protocole d’échange
des ratifications, définit une limite maritime entre les parties.

96 2.50. Ce qui précède démontre que le règlement de 1928-1930 a définitivement mis un terme
au différend entre la Colombie et le Nicaragua, en mer comme sur terre. La détermination d’une

limite maritime était considérée dans les deux capita les, et en particulier à Managua, comme un
élément complémentaire de la reconnaissance des souverainetés territoriales. La solution maritime
ferme et définitive convenue faisait partie intégr ante du règlement global co nclu en 1928-1930, au

même titre que la reconnaissance ferme et définitive de l’archipel en tant que territoire colombien
et de la côte des Mosquitos et des Islas Mangles ( îles du Maïs) en tant que territoire nicaraguayen.
Séparer la partie maritime du règlement de 1928-19 30 de sa partie territoriale reviendrait à aller à

l’encontre de l’intention des pa rties, des travaux préparatoires et du texte même du protocole
d’échange des ratifications, lequel fait partie intégrante du traité.

2.51. Face à un élément de preuve aussi i rréfutable, le Nicaragua adopte une position
contradictoire. D’une part, il accepte expressément l’importance fondamentale du 82 e méridien de
longitude ouest, dès lors qu’il affirme dans son mémoire que la «façon commune qu’ont le

Nicaragua et la Colombie d’appréhender le but et la signification de la déclaration ajoutée au traité
de1928 par le Congrès nicaraguayen» et insérée da ns le protocole d’échange des ratifications
de1930 doit être considérée comme ce qu’il appelle une «déclaration interprétative

conditionnelle», qui «constitue … une «interprétation authentique» du traité» et est «devenue partie
intégrante du traité et lie les deux parties» 129 ; d’autre part, cependant, le Nicaragua ne ménage pas
ses efforts pour inciter la Cour à ignorer cette «interprétation authentique» du traité, parce que,

affirme-t-il, «l’unique but du traité était de déterminer la souveraineté sur les territoires», sans qu’il
97 y eût «aucune intention de délimiter les zon es maritimes respectives sur lesquelles les parties
pouvaient revendiquer la juridiction» 13.

2.52. Dans une autre approche encore, le Nicaragua fait valoir que le traité
Esguerra-Bárcenas de 1928 «doit être interprété à la lumière du droit en vigueur au moment de sa

signature», et qu’une autre in terprétation du traité, toujours selon l’argumentation du Nicaragua,
donnerait à entendre «qu’en 1930, le Nicaragua et la Colombie revendiquaient des zones maritimes
non autorisées et même inconnues en droit international» 131. Il n’est pas possible d’admettre,

128MN, p. 166, par. 2.232.

129Ibid., p. 151-153, par. 2.197-2.202, notamment p. 152, par. 2.199, et p. 153, par. 2.201 ; p. 178, par. 2.254.
130
Ibid., p. 175, par. 2.249, et p. 181, par. 2.263.
131Ibid., p. 170, par. 2.241. - 54 -

insiste le Nicaragua, que les parties aient dé limité en 1928-1930 des zones maritimes qui ne
seraient autorisées que cinquante ans plus tard, «d evançant [ainsi] d’un demi-siècle la convention
des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982» 132.

2.53. Il ne fait aucun doute qu’en 1930, le 82 eméridien de longitude ouest ne pouvait pas
être considéré comme une frontière maritime au se ns moderne du terme. Néanmoins, les travaux
e
préparatoires du protocole d’échange des ratifications relatés ci-dessus révèlent que le 82 méridien
de longitude ouest était considéré par les parti es, en conformité avec le droit en vigueur à
133
l’époque ⎯comme la sentence rendue dans l’affaire Guinée-Bissau/Sénégal le requiert ⎯,
comme une limite, une ligne de partage, une ligne séparant les juridictions ou titres, quels qu’ils
fussent, qui existaient à cette époque ou pouvaient exister à une é poque ultérieure. Le Nicaragua

voulait avoir la garantie que la Colombie n’émettrait plus jamais de prétention sur un territoire situé
à l’ouest du méridien; de même, la Colombie avai t la garantie que le Ni caragua ne ferait plus
valoir aucun droit sur un territoire situé à l’est du méridien.

98 2.54. Etant donné que le 82 méridien de longitude ouest a été conçu comme une frontière, il
possède le caractère définitif et stable de toute fr ontière, qu’elle soit terrestre ou maritime. Dans

l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), la Cour a énoncé un principe
fondamental, selon lequel «lorsque deux pays dé finissent entre eux une frontière, un de leurs
principaux objectifs est d’arrêter une solution stable et définitive. Cela est impossible si le tracé

ainsi établi peut être remis en question à tout moment, sur la base d’une procédure constamment
ouverte...» 134

Dès lors, la Cour a estimé que l’obligation d’un caractère stable et définitif devait prévaloir
même sur les inexactitudes relevées dans le tr aité. Cette obligation s’impose d’autant plus
qu’aucune inexactitude n’est alléguée. Par un célèbre dictum à la portée considérable, énoncé dans

l’affaire du Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie) , la Cour considère l’obligation
du caractère stable et définitif comme un principe général applicable aux frontières tant maritimes
que terrestres :

«Qu’il s’agisse d’une frontiè re terrestre ou d’une limite de plateau continental,
l’opération est essentiellement la même; elle comporte le même élément inhérent de

stabilité et de permanence et est soumise à la règle qui veut qu’un traité 135limites ne
soit pas affecté par un changement fondamental de circonstances.»

2.55. Il convient, en outre , de rappeler un principe essentie l et des plus fondamentaux du
droit de la délimitation maritime, selon lequel la délimitation doit procéder d’une entente entre les

parties ⎯comme cela a été le cas de la Colombie et du Nicaragua, qui ont tracé la frontière
maritime les séparant le long du 82 eméridien de longitude ouest ⎯, et c’est seulement à défaut
d’une telle entente que les règles coutumièr es du droit international, développées par la
99
jurisprudence de la Cour internationale de Jus tice et d’autres tribunaux internationaux, sont
appliquées. L’évolution de ces règles ⎯en conséquence notamment de l’évolution de la

jurisprudence ⎯ n’affecte pas la validité des accords préalablement conclus. Si les nombreux

132
MN, p. 179, par. 2.258.
133«Le tribunal estime que l’accord de 1960 doit être interpré té à la lumière du droit en vigueur à la date de sa

conclusion...» Tribunal arbitral pour la détermination la frontière maritime Guinée-Bissau—Sénégal. Sentence du
31 juillet 1989, Genève, 1989, p. 67, par. 85. Le texte de ladite sentence, ainsi qu e sa traduction en langue anglaise, était
annexé à la requête introductive d’instance du Gouvernement de la Républi que de Guinée-Bissau dans l’affaire
concernant la sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau/Sénégal), La Haye, 23 août 1989.
134
Fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 34.
135Arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 36, par. 85. - 55 -

accords de délimitation signés au cours des cinquant e dernières années devaient être considérés
comme entachés de nullité au motif que le droit de la mer a évolué à tant d’égards, les bases mêmes
des relations internationales seraient menacées. Sera it-il concevable que les accords antérieurs à la

convention sur le droit de la mer de1982, voire aux conventions de Ge nève de1958, soient
déclarés nuls et non avenus, ou du moins inapplicabl es, et doivent être revisés, pour la seule raison
qu’ils ont été signés à une époque où le concept du plateau continental était très différent de ce

qu’il est aujourd’hui et où l’institution de la z one économique exclusive n’existait même pas ? La
limite maritime convenue par la Colombie et le Nicaragua en1930 est dès lors applicable, quels
que soient les changements qu’a connus le droit de la mer depuis cette date.

2.56. Dans une autre tentative visant à mésestimer le fait que le traité d’Esguerra-Bárcenas a
établi une limite maritime entre la Colo mbie et le Nicaragua le long du 82 eméridien de longitude

ouest, le Nicaragua cite des sentences arbitrales qui, soit n’ont aucune valeur en tant que
précédents, soit vont même à l’encontre de la pos ition du Nicaragua. La sentence rendue en 1985
dans l’affaire de la Délimitation maritime Guinée/Guinée-Bissau , citée par le Nicaragua dans son
136
mémoire , par exemple, déclare que «l’absence totale des termes eaux, mer, maritime ou mer
territoriale constitue un indice sérieux de ce qu’il était essentiellement question de possessions
terrestres» 13.

100 Le Nicaragua précise que cette même sentence constate que,

«[à] la connaissance du Tribunal, il n’a jamais été considéré à l’époque qu’aucun de
ces instruments ait alors attribué à l’un d es signataires une souveraineté en mer sur
autre chose que les eaux territoriales communément admises…

[T]out indique que ces deux Etats [la France et le Portugal] n’ont pas entendu
établir une frontière maritime générale entre leurs possessions… Elles ont seulement
138
indiqué … quelles îles appartiendraient au Portugal…»

Dans la présente affaire, cependant, tout indique que les parties avaient l’intention de définir

une ligne de partage maritime entre leurs territoires. Les travaux préparatoires mentionnent la ligne
de partage maritime (línea divisoria de las aguas) et la démarcation de cette ligne de partage
(demarcación de la línea divisoria) . Loin de conforter le point de vue du Nicaragua, ce précédent
e
corrobore la nature de frontière maritime du 82 méridien de longitude ouest. En outre, comme il a
été démontré, la pratique ultérieure des parties le confirme: la Colombie a continué d’exercer sa
souveraineté et sa juridiction à l’est du 82 méridien de longitude ouest, l’a fait figurer en tant que
os
frontière entre les deux pays sur ses cartes officielles (voir, par exemple, les cartes n °4-11) dès la
première année ayant suivi l’échange des instrument s de ratification du traité de 1928 et l’a encore
fait dans plusieurs publications officielles ultérieures (à savoir les éditions de1934 et 1944 de

«Límites de la República de Colombia») sans rencontrer aucune opposition de la part du Nicaragua.

136
MN, p. 170-171, par. 2.242-243.
137UNRIAA, vol.XXIX, p.172, par. 56. Sent ence rendue en français et en portu gais. Pour la version anglaise,
voir International Legal Materials, vol. 25, 1986, p. 279.

138UNRIAA, vol. XXIX, p. 180, par. 81-82. Pour la version anglaise, voir International Legal Materials, vol. 25,
1986, p. 287-288. - 56 -

101 2.57. Il convient de relever que si la soueeraineté de la Colombie sur l’archipel de
SanAndrés et la limite que constitue le 82 méridien de longitude ouest étaient dépourvues de
validité, pour cause de nullité du traité Esguerra-Bárcenas de1928, la conséquence inexorable

serait que la disposition dudit traité reconnaissant la souveraineté du Nicaragua sur la côte des
Mosquitos et les deux Islas Mangles (îles du Maïs) ne serait plus valide. Le différend entre les
deux pays, que ceux-ci étaient désireux de régler et qu’ils réglèrent effectivement en1928-1930
après de longues négociations, serait donc relancé, après plus de soixante-dix ans, ce qui

constituerait un retour à la case départ.

2.58. La tactique juridique du Nicaragua se prés ente sous le jour d’une retraite progressive :
le Nicaragua prétend tout d’abord que le tra ité Esguerra-Bárcenas est dépourvu de validité; il
poursuit en disant que, quand bien même ce traité serait valide, sa violation par la Colombie
autoriserait le Nicaragua à le dénoncer unilatéralement; il affirme enfin que s’il est toujours en
e
vigueur, il ne délimite pas les zones maritimes le long du 82 méridien de longitude ouest.

2.59. Cette retraite ne se termine pourtant pas là: elle comporte une dernière étape ⎯ une
étape extraordinaire. Ainsi, le Nicaragua fait valo ir dans son mémoire que si la Cour estime que la
limite en mer est tracée le long du 82 méridien de longitude ouest,

«cette définition concerne uniquement l’arch ipel lui-même et n’a aucune incidence
quelle qu’elle soit sur le nord ou le sud de l’archipel de San Andrès et Providencia,
lequel se situe tout au plus entre les parallèles passant par 12 o 10' et 13 25' ; il s’agit

de la zone située entre les cayes d’Albuquerque et les îles de Santa Catalina. Le traité
de 1928 tel qu’il est interprété par le prot ocole d’échange des ratifications de 1930 ne
donne aucune précision sur les espaces situés au sud et au nord desdites limites et n’est

102 d’aucune utilité pour la délimitation des juri dictions maritimes respectives des parties.
Par conséquent, même si la validité du traité était constatée et que celui-ci était réputé
établir une frontière maritime, ce que le Nicaragua conteste, les limites au sud du
o o
parallèle 12 10' de latitude nord et au nord du parallèle 13 25' de latitude nord
devraient en toute hypothèse être déterminées par la Cour en conformité avec les
règles générales du droit de la mer.» 139

e
En d’autres termes, le Nicaragua soutient que si la Cour devait déclarer que le 82 méridien de
longitude ouest constitue la limite maritime déterminée par les parties en 1928-1930, elle devrait au
moins limiter cette frontière c onvenue à une zone restreinte ⎯environ 75milles (140km). Le

Nicaragua affirme qu’au-delà de cette zone restreinte , aussi bien vers le nord que vers le sud, il
n’existerait aucune limite maritime définie en ve rtu d’un accord et que les «règles générales du
droit de la mer» seraient applicables.

2.60. Cet argument est difficile à comprendre et encore plus difficile à accepter. La tentative
du Nicaragua de limiter l’étendue géographique de l’archipel de San Andrés à la section centrale de

celui-ci et de prétendre restreindre la longueur de la frontière mar itime convenue le long du
82 méridien de longitude ouest à la même se ction est géographiquement, historiquement et
juridiquement incorrecte (voir par.2.25-2.28 ci-des sus). En outre, bien qu’il soit exact que la
e
disposition relative au 82 méridien de longitude ouest du prot ocole d’échange des ratifications ne
détermine pas les limites septentrionale et méridi onale de la frontière maritime formée par le
méridien, il est évident que celle-ci, en dépit du fa it qu’elle ne peut certain ement pas jouer le rôle

de limite maritime entre la Colombie et le Nicara gua jusqu’au pôle nord, d’une part, et jusqu’au
103 pôle sud, d’autre part, joue ce rôle à partir du tripoint septentrional où e lle coupe la frontière

13MN, p. 176-177, par. 2.253. - 57 -

maritime entre le Nicaragua et un Etat tiers (l e Honduras) jusqu’au tripoint méridional où elle

coupe la frontière maritime entre le Nicaragua et un autre Etat tiers (le Costa Rica). Dèselors,
l’ensemble de la frontière maritime convenue par la Colombie et le Nicaragua suit le 82 méridien
de longitude ouest entre des points précis situés au nord et au sud.

2.61. Fait plus important, la théorie du Nicaragua est réfutée par d’autres accords de
délimitation dans la région. Le traité de 1986 entre la Colombie et le Honduras, qui est en vigueur,
mentionne le 82 méridien de longitude ouest bien au nord du point situé par 13 o25' de latitude

nord (voir par. 2.59 plus haut). En fait, le point 1 de la frontière maritime entre la Colombie et le
Honduras déterminée par ce traité correspond au point situé sur ledit méridien par 14 o59' 08" de
latitude nord ⎯position manifestement plus au nord que ce que le Nicaragua présente comme la
e
limite la plus septentrionale de la frontière constituée par le 82 méridien de longitude ouest. La
ligne M-L du traité de 1976 entre la Colombie et le Panama, instrument également en vigueur, fixe
la frontière maritime entre les deux pays sur le 11 eparallèle de latitude nord. Il existe donc un

ensemble d’accords de délimitation dans la région qui admettent le principe de la valieité et du
caractère effectif de la limite entre la Colombie et le Nicaragua, représentée par le 82 méridien de
longitude ouest, telle qu’elle a été établie par le traité Esguerra-Bárcenas de 1928 et son protocole
d’échange des ratifications de1930. Ainsi, le Nicaragua demande à la Cour de bouleverser cet

ensemble d’accords et de délimitations maritimes.

2.62. A la lumière de ce qui précède, il apparaît que la limite maritime entre les deux pays a

été définie par les parties d’un commun accord dans le traité de 1928 et son protocole d’échange
des ratifications de1930. Le traité de 1928 et son protocole de 1930 étaient en vigueur le
30avril1948, date de la signature du pacte de Bogotá. La question de la délimitation maritime

104 relève donc également des dispositions de l’article VI du pacte, à savoir : a) la question a été réglée
au moyen d’une entente entre les parties et est régie par un traité et b) ledit traité était en vigueur à
la date de la signature du pacte.

VII. F ONDEMENT DU RÈGLEMENT DE 1928–1930

2.63. Les explications qui précèdent permettent de constater ce qui suit.

a) Le règlement convenu en 1928 fai sait suite à la proposition équilibrée formulée six ans plus tôt

par la Colombie et officiellement adoptée par elle en mars 1925, à savoir la reconnaissance par
chacune des parties de la souve raineté de l’autre sur les te rritoires que chacune occupait
effectivement ⎯la côte des Mosquitos et les Islas Mangles (îles du Maïs) relevant de la
souveraineté du Nicaragua et l’archipel de San Andrés de celle de la Colombie.

b) Le Nicaragua a reconnu et accepté que la souveraineté sur les cayes de Roncador, Quitasueño et
Serrana, qui font partie de l’archipel, était une question intéressant uniquement la Colombie et

les Etats-Unis, le Nicaragua étant exclu.

c) A l’initiative du Nicaragua et sur la proposition de ce pays, la disposition relative au
82 méridien de longitude ouest, adoptée après de s négociations menées par les parties en vue

d’établir la frontière entre les deux pays et de mettre «définitivement», para siempre, un terme
au différend, a été inscrite dans le traité.

d) Dans les deux capitales, la ratification du traité a été précédée d’un débat approfondi au sein des
Congrès nationaux. - 58 -

105 e) Ces débats ne laissent pas le moindre doute sur l’intention des deux parties de considérer le
traité comme portant un règlement définitif et co mplet de tous les différends territoriaux entre
elles. Dans les deux pays, le traité ava it pour but de mettre définitivement un terme au

différend140 quinze ans plus tôt (para que la cuestión quede de una vez, terminada para
siempre) , et c’est ainsi qu’il fut interprété.

f) Ce règlement concernait aussi bien les espaces maritimes que terrestres, comme le prouve la

mention, lors du débat parlementaire au Nicaragua, d’une línea divisoria de las aguas .
Affirmer, comme le Nicaragua le fait dans son mémoire, que «le but tant du traité que du
protocole d’échange des ratifications n’était pas de délimiter les zones maritimes respectives
141
appartenant aux parties» ; que «ni le traité de 1928, ni le protocole d’échange des 142ifications
de1930 ne mentionnent les termes «limite», «frontière» ou «délimitation»» ; que, par
conséquent, «[a]ucun de ces instruments ne définit d’aucune façon une frontière entre les
parties»143 ; ou encore prétendre limiter la longueur de la frontière maritime convenue le long
e
du 82 mér144en de longitude ouest à un segment correspondant à la section centrale de
l’archipel ⎯tout cela va à l’encontre des explications détaillées données par le
Gouvernement nicaraguayen et acceptées par le Congrès lors du débat qui précéda la
ratification à Managua.

g) Les parties, en acceptant d’inscrire dans le protocole d’échange des ratifications de1930 la
disposition ⎯reproduite ensuite par chacune d’elles da ns le texte promulgué dans son pays
106 respectif ⎯ en vertu de laquelle «l’archipel de San Andrés et Providencia, mentionné à l’article
e
premier du traité susmentionné, ne s’étend pas à l’ouest du 82 degré de longitude Greenwich»
[«el Archipiélago de San Andrés y Providenci a que se menciona en la cláusula primera del
Tratado referido no se extiende al occidente del meridiano 82 de Greenwich»] , ont ipso facto
e
décidé que les droits du Nicaragua s’étendaient jusqu’au 82 méridien de longitude ouest ⎯ en
d’autres termes, que ce méridien constituait la frontière entre les deux pays.

h) Cinquante ans se sont écoulés sans que le Ni caragua ne conteste la validité du traité

Esguerra-Bárcenas. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en 1960 dans l’affaire de la Sentence arbitrale
rendue par le roi d’Es pagne le 23 décembre 1906, la Cour a estimé que «le fait que le
Nicaragua n’ait [pas] émis de doute quant à la validité de la sentence pendant plusieurs
années … l’empêche … d’invoquer par la suite des griefs de nullité» 145. Dans cette affaire, le

Nicaragua avait attendu six ans avant de soulever la question de la validité de la sentence. Dans
la présente affaire, il prétend mettre en doute la validité du traité de 1928 après un demi-siècle.»

VIII. C ONCLUSION

2.64. Compte tenu des considérations expo sées dans le présent chapitre et étant donné en
particulier

a) que la Cour a déjà constaté que si un demandeur invoque à la fois le pacte de Bogotá et les

déclarations en vertu de la clause facultative, c’est le pacte de Bogotá qui s’applique ;

b) que le pacte de Bogotá doit être interprété co mme un tout et non de façon sélective, comme le
107 fait le Nicaragua ;

140
Annexe 8: «Compte rendu de la séance XLIX de la ohambre du Sénat du Congrès nicaraguayen,
5 mars 1930», La Gaceta, Diario Oficial, Año XXXIV, Managua, D.N., n, 7 mai 1930, p. 777-779.
141MN, p. 175, par. 2.249.

142Ibid., p. 171, par. 2.244.
143
Ibid., p. 169, par. 2.237.
144
Ibid., p. 176-177, par. 2.253.
145C.I.J. Recueil 1960, p. 213-214. - 59 -

c) que la souveraineté sur l’archipel de San Andrés et le tracé de la frontière entre la Colombie et
le Nicaragua sont des questions réglées par le traité Esguerra-Bárcenas de 1928 et son protocole
d’échange des ratifications de 1930, et sont d onc des questions réglées au moyen d’une entente

entre les parties et régies par un traité en vigueur à la date de la signature du pacte de Bogotá ;
et

d)que l’article VI du pacte dispose que, pa r conséquent, pour chacun desdits motifs,
l’article XXXI «ne pourra non plus s’appliquer»,

la Cour, en vertu des articles VI et XXXIV dudit pacte, est «incompétente pour juger le différend»
soulevé par le Nicaragua et doit déclarer le différend «terminé». - 60 -

108 - 61 -

109 C HAPITRE III

L ES DÉCLARATIONS DE LA C OLOMBIE ET DU N ICARAGUA EN VERTU DE LA CLAUSE

FACULTATIVE NE RECONNAISSENT PAS LA COMPÉTENCE DE LA COUR

3.1. La requête de la République du Nicaragua contre la République de Colombie, déposée le

6décembre 2001, soutient, aux fins d’établir un titre subsidiaire de compétence, que:
«Conformément aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut, la Cour est
également compétente en vertu des déclarations déposées par l’Etat demandeur le
146
24 septembre 1929 et par la Colombie le 30 octobre 1937.»

Nous allons à présent examiner le bien-fondé de cette affirmation.

I. LA COMPÉTENCE EN VERTU DU PACTE DE B OGOTÁ S APPLIQUE

ET EST DÈS LORS EXCLUSIVE

3.2. Comme il a été dit plus haut (introducti on, par.4), le Nicaragua fonde sa requête non

seulement sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut et sur l’article XXXI du pacte de Bogotá,
mais aussi sur le paragraphe 2 de l’article 36, faisant ainsi interven ir sa déclaration de1929 et la
déclaration de la Colombie de 1937 147. Il omet toutefois de préciser que la Colombie a retiré sa

déclaration avant le dépôt de la requête du Nicara gua. Le Nicaragua n’évoque pas non plus le lien
110 entre ces deux titres de compétence allégués, sur les quels la Cour elle-même a expressément statué
dans l’affaire relative à des Actions armées frontalières et transfrontalières (compétence et
148
recevabilité) entre le Nicaragua et le Honduras .

3.3. Dans cette affaire, le Nicaragua s’ appuyait exactement sur les deux mêmes titres de

compétence que dans la présente instance. Selon les termes de la Cour dans cette affaire :

«En définitive, le Nicaragua prétend que la Cour a compétence à un double titre.

Il soutient qu’elle pourrait statuer tant sur la base de l’articleXXXI du pacte de
Bogotá que sur celle des déclarations d’accepta tion de la juridiction obligatoire faites
par le Nicaragua et le Honduras conformément à l’article 36 du Statut.»149

Face à l’argumentation du Nicaragua, la Cour a déclaré: «Comme les relations entre les Etats
parties au pacte de Bogotá sont régies par ce seul pacte, la Cour recher chera d’abord si elle a
150
compétence sur la base de l’article XXXI du pacte.»

3.4. La Cour a estimé que

«l’engagement figurant à l’article XXXI [du pacte de Bogotá]… constitu[ait] un
engagement autonome indépendant de tout autre engagement que les parties peuvent

146Requête du Nicaragua, par. 1.

147Ibid., par. 1 ; MN, p. 1-2, par. 3.
148
Activités armées frontalières et tr ansfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988.
149
Ibid., p. 82, par. 26.
150Ibid., p. 82, par. 27. - 62 -

par ailleurs avoir pris ou prendre en remetta nt au Secrétaire général de l’Organisation

des NationsUnies une déclaration d’acceptation de la juridiction obli151oire
conformément aux paragraphes 2 et 4 de l’article 36 du Statut» .

La Cour a constaté que l’engagement était «indépendant des déclarations d’acceptation de la 152
111 juridiction obligatoire effectuées par application du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut» . Par
conséquent, que les parties dans une affaire portée devant la Cour ai ent ou non remis de telles
déclarations, si elles sont parties au pacte de Bogotá, c’est celui-ci qui s’impose: «L’engagement

figurant à l’article XXXI vaut ratione materiae pour les différends énumérés par ce texte. Il
concerne ratione personae les Etats américains parties au pacte. Il demeure valide ratione temporis
tant que cet instrument reste lui-même en vigueur entre ces Etats.» 153

3.5. Il en est ainsi tant pour les dispositions du pacte consacrant la compétence de la Cour
que pour les dispositions limitant et précisant la dite compétence. C’est pourquoi la Cour,

immédiatement après avoir énoncé le principe du caractère autonome et co mplet des dispositions
du pacte de Bogotá en matière de compétence, ajoute que «certaines dispositions du traité
restreignent par ailleurs la portée de l’engagement pris» et cite en particulier la disposition de

l’article VI concernant les «questions déjà réglée s au moyen d’une entente entre les parties … [et]154
celles régies par des accords ou traités en vigueur à la date de la signature du présent pacte» .

3.6. Dès lors, même si la Colombie était toujours liée par sa déclaration du 30 octobre 1937
lorsque le Nicaragua a déposé sa requête ⎯ quod non ⎯, le pacte de Bogotá ⎯ la lex

specialis ⎯serait tout de même applicable; la Cour devrait malgré tout «se déclarer
incompétente» et le différend devrait être «déclaré terminé».

112 3.7. La Cour a déclaré que du pacte et de la clause facultative, c’était la compétence en vertu
du pacte qui «s’appliquait», c’est-à-dire qu’elle s’ imposait, était décisive et déterminante. Il
s’ensuit qu’examiner dans la présente instance s’ il existe un autre titre possible et distinct de

compétence en vertu de la clause facultative est inco mpatible avec le caractère applicable du pacte
de Bogotá. Il n’est pas possible de conclure, d’ une part, que les dispositions pertinentes du pacte
de Bogotá sont «applicables» et, d’autre part, que la compétence doit être déterminée, dans une
affaire précise, conformément non à ces dis positions applicables, mais aux dispositions

particulières de déclarations qui pourraient être en vigueur en vertu de la clause facultative.

3.8. Par conséquent, que, de l’avis de la Cour, la Colombie ait ou non valablement et
effectivement dénoncé son acceptation de la clause facultative, le résultat est le même : le pacte de
Bogotá s’applique et, en vertu du pacte, la C our est uniquement compétente dans les limites
définies aux articles VI et XXXIV.

151Activités armées frontalières et tr ansfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt,
C.I.J. Recueil 1988, p. 85, par. 36.

152Ibid., p. 88, par. 41.
153
Ibid., p. 84, par. 34.
154Ibid., p. 84-85, par. 35. - 63 -

3.9. Dès lors, la Colombie pouvait limiter son examen des questions de compétence à

l’exception fondée sur les articles VI et XXXIV du pacte de Bogotá. Mais, étant donné que le
Nicaragua fait valoir un titre de compétence s’appu yant sur les déclarations des Parties en vertu de
la clause facultative, la Colombie démontrera que la compétence de la Cour dans la présente

instance ne peut pas être fondée sur les déclarations des Parties en vertu de l’article 36 du Statut.

II.ETANT DONNÉ QUE LE DIFFÉREND ENTRE LE N ICARAGUA ET LA C OLOMBIE A ÉTÉ RÉGLÉ ET
113
EST TERMINÉ ,IL N’EXISTE AUCUN DIFFÉREND PORTÉ DEVANT LA C OUR À L ÉGARD
DUQUEL LA JURIDICTION RECONNUE PAR LES DÉCLARATIONS EN VERTU
DE LA CLAUSE FACULTATIVE POURRAIT S ’APPLIQUER

3.10. Il a été démontré que, conformément aux dispositions des articles VI etXXXIV du
pacte de Bogotá, si la Cour se déclare incompét ente pour connaître d’un différend, «celui-ci sera

déclaré terminé». La Colombie soutient que la Cour est tenue de faire cette déclaration à la lumière
de l’analyse du chapitre précédent des présentes ex ceptions préliminaires. Il n’existe par
conséquent devant la Cour aucun différend a uquel la clause facultative pourrait être réputée
applicable.

3.11. Un différend qui était incontestablement «déjà réglé au moyen d’une entente entre les
parties», une question qui était incontestablement «régie» par un traité en vigueur à la date de la

signature du pacte de Bogotá ne peut pas, selon les propres termes du pacte de Bogotá que le
Nicaragua invoque comme titre de compétence, deme urer un différend au sens du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut. Un différend ne peut pas êt re réglé et terminé et en même temps constituer

un différend pouvant être jugé par la Cour en vertu de la juridictio n qui lui est reconnue aux termes
de la clause facultative.

III. N TOUTE HYPOTHÈSE , LA JURIDICTION EN VERTU DE LA CLAUSE FACULTATIVE
NE S’APPLIQUE PAS ,PUISQUE LA DÉCLARATION DE LA COLOMBIE N ÉTAIT PLUS
EN VIGUEUR À LA DATE DU DÉPÔT DE LA REQUÊTE DU N ICARAGUA

3.12. En toute hypothèse, la compétence de la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article 36
du Statut et des déclarations du Nicaragua et de la Colombie faites en vertu dudit article n’existe

114 pas, étant donné que la déclaration de la Colombie du 30 octobre 1937 avait été retirée par la
Colombie avant le dépôt de la requête du Nicaragua.

3.13. A la date du dépôt de la requête du Nicar agua, la déclaration de la Colombie en vertu
de la clause facultative devait être en vigueur pque la compétence de la Cour s’applique. Le
5décembre2001, la Colombie a notifié au Secrétai re général des Nations Unies le retrait de sa

déclaration du 30 octobre 1937 avec «effet à la date de la présente notification», c’est-à-dire avec
effet immédiat. Le retrait de la déclaration de la Colombie a été porté à la connaissance de tous les
Etats Membres des Nations Unies le jour suivant, comme il ressort des informations publiées dans
le Journal des Nations Unies n 2001/237 du 6 décembre 2001. Aucun Etat ne s’est opposé au

retrait de la déclaration par la Colombie aveceffet immédiat. La requête du Nicaragua a été
déposée auprès de la Cour le 6 décembre 2001. - 64 -

A. Le retrait d’une déclaration en vertu de la clause facultative
peut prendre effet sans préavis

3.14. On peut se demander si le retrait de la d éclaration de la Colombie en vertu de la clause
facultative était opposable à la requête du Nicaragua . La Colombie, comme tout autre Etat ayant
fait une déclaration unilatérale sa ns limite de durée, avait le droit de la retirer à tout moment,

comme elle l’a fait le 5 décembre 2001. Il en va de même pour tous les Etats parties au Statut de la
Cour, y compris le Nicaragua.

3.15. Concernant les déclarations faites en a pplication du Statut de la Cour permanente de
Justice internationale et restées en vigueur à l’égard de la Cour internationale de Justice en vertu du

paragraphe5 de l’article 36 de son Statut, parmi lesquelles figurent la déclaration de la Colombie
de 1937 et celle du Nicaragua de 1929, Shabtai Rosenne relève dans son traité qu’

115 «il serait singulièrement irréaliste de leur appliquer une règle rigide prétendument
dérivée du droit général des traités, qui le ur dénierait la faculté d’une dénonciation
unilatérale. La dissolution de la Société de s Nations et de la Cour permanente, la

création des NationsUnies et les mutations considérables de la communauté
internationale et de son or ganisation que traduit ladite dissolution sont des raisons
suffisantes pour permettre à ces Etats de retirer des déclarations remontant aux jours

lointains où la juridiction obligatoire en était à ses débuts, et qui sont aujourd’hui
applicables uniquement par l’effet du paragraphe 5 de l’article 36 du Statut.» 155

Rosenne conclut qu’«un titre de compétence dénon cé avant l’introduction de l’instance n’est plus
en vigueur et ne peut être invoqué» 156.

3.16. Dans son arrêt en l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et
contre celui-ci 157, la Cour a rejeté l’argument des Etats-Unis selon lequel, puisque la déclaration du

Nicaragua en vertu de la clause facultative du Statut de la Cour permanente de Justice
internationale avait une durée indéterminée, elle pouvait être dénoncée à tout moment par le
Nicaragua avec effet immédiat, les Etats-Unis pouvant, au titre de la réciprocité, dénoncer leur

déclaration à tout moment avec effet immédiat. La Cour a déclaré :

«Or le droit de mettre fin immédiatement à des déclarations de durée indéfinie

est loin d’être établi. L’exigence de bonne foi paraît imposer de leur appliquer par
analogie le traitement prévu par le droit des traités, qui prescrit un délai raisonnable
116 pour le retrait ou la dénonciation de traités ne renfermant aucune clause de durée.» 158

3.17. Cette conclusion de la Cour, comme d’ ailleurs sa conclusion selon laquelle elle avait

compétence pour connaître de la requête déposée pa r le Nicaragua sur la base des paragraphes2
et5 de l’article36 du Statut de la Cour, n’a pas recueilli l’unan imité. Le juge Oda 159, le
juge Jennings 160et le juge Schwebel 161 se sont écartés de la conclusion de la Cour selon laquelle un

155
S. Rosenne, The Law and Practice of the International Court, 1920-1996, vol. II, Jurisdiction, p. 820.
15Ibid., p. 975.

15Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 392, 420-421.

15Ibid., p. 420, par. 63.
159
Ibid., p. 510, 511.
16Ibid., p. 546, 547-553.

16Ibid., p. 620-628. - 65 -

«délai raisonnable» était requis pour retirer ou déno ncer une déclaration faite en vertu de la clause
facultative et ont soutenu que ni la pratique des Etats vis-à-vis de la clause facultative, ni l’examen

de questions connexes au regard du droit des tra ités par la Commission du droit international ne
venaient soutenir le point de vue de la Cour. Le rapporteur spécial de la Commission du droit
international sur le droit des traités, qui devie ndra par la suite juge et président de la Cour,

sirHumphreyWaldock, est arrivé à la conclusion qu e la pratique des Etats en vertu de la clause
facultative ainsi qu’en vertu des traités d’arbitrag e, de conciliation et de règlement judiciaire
confirmait l’abrogation sans préavis 162. Des commentateurs des procédures et de la jurisprudence
163
de la Cour ont remis en cause l’indication contraire de la Cour .

117 B. Les mentions d’«un délai raisonnable» par la Cour étaient des obiter dicta

3.18. Le passage de l’arrêt de la Cour commandant un «délai raisonnable» pour le retrait ou
la dénonciation d’une déclaration faite en vertu d’une clause facultative et de durée indéterminée
était rédigé dans des termes hypothétiques et approximatifs, qui font penser à un obiter dictum.

3.19. En toute hypothèse, dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au

Nicaragua et contre celui-ci, cette observation n’était pas nécess aire pour fonder la décision de la
Cour en l’espèce. La Cour a plutôt attaché une importance décisive à ce qu’elle a défini comme la
«question la plus importante», c’est-à-dire celle de savoir s’il était loisible aux Etats-Unis de ne

tenir aucun compte de la clause de préavis de six mois qu’ils avaient insérée dans leur
déclaration 164. Elle a également estimé que la récipr ocité invoquée par les Etats-Unis portait sur

l’étendue et la substance des e ngagements aux termes de la décl aration, et non sur les conditions
formelles relatives à leur création, leur durée ou leur dénonciation. De même, lorsque, dans son
arrêt ultérieur dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le
165
Nigéria , la Cour cite le passage de l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci concernant le «délai raisonnable», elle n’examine pas cette question,

mais plutôt celle, distincte, de sav166 si cette pr ise en compte d’un délai commande la prise d’effet 167
de la remise d’une déclaration ; par conséquent, ici encore, la mention était un obiter dictum
et, à ce titre, n’a pas force de précédent.

162Annuaire de la Commission du droit international, 1963, vol. II, p. 68.

163Voir S.Rosenne, The Law and Practice of the International Court , 1920-1996, vol.II, Jurisdiction, p.819,
ainsi que S. Oda: «Reservation in the Declarations of Acceptance of the Optional Clause and the Period of Validity of
Those Declarations: The Eff ect of the Shultz Letter», British Year Book of International Law , vol.59, 1988, p.1, 18;
L.Gross, «Compulsory Jurisdiction under the Optional Clause: History and Practice» ; L. F. Damrosch, The

International Court of Justice at a Crossroads , 1987, p.19 et suiv., 30; P.H. Kooijmans (ouvrage écrit avant son
élection à la Cour), «Who Tolled the Death-Bell for Compul sory Jurisdiction? Some Comments on the Judgment on the
International Court of Justice in the Case concerning Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua
(Jurisdiction of the Court and Admissibility of the Application)», Realism in Law-Making, Essays on international law in
Honour of Willem Riphagen, 1986, p.71 et suiv., 77; D.Greig, «Nicara gua and the United States: Confrontation over
the Jurisdiction of the International Court», British Year Book of International Law , vol. 62, 1991 ; et F. Orrego Vicuña,
«The Legal Nature of the Optional Clause and the Right of a State to Withdraw a Declaration Accepting the Compulsory
Jurisdiction of the International Court of Justice», Liber Amicorum Judge Shigeru Oda, vol. 1, 2002, p. 463, 467-478.

164Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 419, par. 61.

165 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 295, par. 33.

166Ibid., p. 295 et suiv., par. 34 et suiv.
167
Voir, par exemple, Orrego Vicuña, loc. cit., p. 475, et J. G. Merrills, «The Optional Clause Revisited», British
Year Book of International Law, vol. 64, 1993, p. 197, 208. - 66 -

3.20. Il importe de rappeler que la Colombie ne se trouve pas dans une position comparable à
118 celle dans laquelle se trouvaient les Etats-Unis en 1984 ou le Nigéria en 1998. La déclaration de la

Colombie ne comportait pas de clause de préavis de six mois et la Colombie ne cherche pas à
invoquer une réciprocité de durée vis-à-vis du Nicar agua. Dans la présente instance, la question
des conditions de délai liées à la remise d’une déclaration en vertu de la clause facultative, soulevée
par le Nigéria, ne se pose pas.

3.21. Les Etats qui acceptent la clause faculta tive du Statut annexent généralement à leur
déclaration des réserves nombreuses et importantes, notamment la possibilité de la dénoncer ou de

la modifier sans préavis. En fait, le dictum énoncé par la Cour ne s’appliquerait qu’à la situation
singulière d’une demi-douzaine d’Etats ayant fait des déclarations de durée indéterminée en vertu
du Statut de la Cour permanente dans l’entre-de ux-guerres, alors qu’existaient de grands espoirs
d’instituer progressivement un système universel de juridiction obligatoire grâce à la clause

facultative. Le dictum de la Cour place ces quelques Etats dans une situation très désavantageuse
vis-à-vis des autres Etats qui soit n’ont pas du tout adhéré à la clause facultative, soit y ont adhéré
en vertu de déclarations qui peuvent être dénoncées ou modifiées sans préavis.

C. Dans la pratique, le Nicaragua et la Colombie ont considéré que leurs déclarations
pouvaient être dénoncées sans préavis

3.22. La pratique révèle que tant la Colo mbie que le Nicaragua ont interprété leurs

déclarations respectives faites en vertu de la clau se facultative de telle façon qu’ils pouvaient les
retirer ou les modifier à tout moment avec effet immédiat.

3.23. La Colombie a initialement accepté la juri diction obligatoire de la Cour permanente de
Justice internationale en vertu d’une déclarati on du 6 janvier 1932. Bien que la durée de cette
déclaration fût indéterminée, le 30 octobre 1937, la Colombie la remplaça par une nouvelle ⎯ avec

119 effet immédiat ⎯, qui comprenait une réserve limitant l’application de la déclaration aux
différends nés de faits postérieurs au 6 janvier 1932.

3.24. La nouvelle déclaration déposée par la Colombie le 30 octobre 1937 stipule que «[l]a
présente déclaration ne s’applique qu’aux différends nés de faits postérieurs au 6janvier1932».
L’abrogation de la déclaration de 1932 prit effet immédiatement ; la question de l’écoulement d’un
«délai raisonnable» avant la prise d’effet de l’ab rogation de ladite déclaration en raison de son

remplacement par la déclaration de 1937 ne fut p as soulevée. Aucun Etat, y compris le Nicaragua,
ne protesta contre l’abrogation avec effet immédiat de la déclaration de 1932 par la Colombie et
son remplacement par la déclara tion du 30 octobre 1937 ni ne form ula de réserve à cet égard.
Aucun Etat, y compris le Nicaragua, n’a protesté co ntre l’abrogation par la Colombie, avec effet

immédiat au 5 décembre 2001, de sa déclaration de 1937 ni formulé de réserve à cet égard.

3.25. La pratique consistant à modifier avec effet immédiat des déclarations faites en vertu

de la clause facultative du Statut de la Cour a été récemment confirmée par le Nicaragua en
octobre2001. En effet, le 24 octobre 2001, le Nicaragua a modifié av ec effet immédiat sa
déclaration faite en vertu de la clause facultativ e en 1929. Selon l’opinion formulée par la Cour
dans l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci 168, cette

modification équivaut à une abrogation.

168
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p.419-421, par. 65. - 67 -

3.26. Le Gouvernement nicaraguayen a notifié au Secrétaire général des NationsUnies et,

par son intermédiaire, aux Etats parties au Statut de la Cour internationale de Justice l’insertion
d’une «réserve faite à l’acceptation volontaire par le Nicaragua de la juridiction de la Cour
internationale de Justice» à l’effet que «le Nicaragua ne reconnaîtr a[it] ni la juridiction ni la
120
compétence de la Cour internationale de Justice à l’égard d’aucune affaire ni d’aucune requête qui
auraient pour origine l’interprétation de trait és, signés ou ratifiés, ou de sentences arbitrales
rendues, avant le 31 décembre 1991» 16.

3.27. Ainsi, le Nicaragua a exclu ⎯ avec effet immédiat ⎯ de la juridiction de la Cour toute

affaire ou requête ayant pour origine l’interprétati on de traités, signés ou ratifiés, ou de sentences
arbitrales rendues, avant le 31 décembre 1991.

3.28. Par la suite, le Secrétaire général des Nations Unies a diffusé une notification
dépositaire à la date du 5 décembre 2001 précisan t que la réserve du Nicaragua concernait des
affaires ou requêtes qui auraient pour origine l’in terprétation de traités, signés ou ratifiés, ou de

sentences arbitrales rendues, avant le 31 décembre 1901. Il est entendu que cette correction avait
également un effet immédiat 170.

3.29. Comme il a été relevé plus haut, la Colombie a interprété de la même façon sa situation
juridique à l’égard de sa déclaration de 1937 en ve rtu de la clause facultative, qu’elle a dénoncée

avec effet immédiat le 5 décembre 2001. Dans les conclusions de la Colombie, cette «pratique
ultérieure» concordante de la Colombie et du Nicaragua constitue, entre eux, un comportement
concordant en ce qui concerne l’interprétation de le urs obligations en vertu de la clause facultative
et la Cour se doit de tenir compte de l’effet juridique dudit comportement concordant.

IV. E N TOUTE HYPOTHÈSE ,SI LA DÉCLARATION DE 1937 DE LA C OLOMBIE EST RÉPUTÉE
121
ÊTRE EN VIGUEUR ,SES DISPOSITIONS EXCLUENT LES PRÉTENTIONS DU N ICARAGUA ,
LE DIFFÉREND ALLÉGUÉ AYANT POUR ORIGINE DES FAITS
ANTÉRIEURS AU 6JANVIER 1932

3.30. Même si, contrairement à ce que soutient la Colombie, la Cour devait constater que les
déclarations de la Colombie et du Nicaragua étaien t en vigueur à la date du dépôt de la requête du
171
Nicaragua, ladite requête serait exclue du champ d’application de la déclaration de la Colombie
et la Cour n’aurait pas compétence pour statuer sur le fond de l’affaire en raison de l’effet de la
réserve qui exclut les différends nés de faits antérieurs au 6 janvier 1932. La déclaration de 1937

de la Colombie a été déposée dans le seul but de consacrer cette réserve et il revient à la Cour de lui
donner effet.

169Voir annexe 23: «Notification dépositaire aux NatiUnies de la réserve du Nicaragua à sa déclaration
reconnaissant comme obligatoire la juridiction de la Cour internationale de Justice, du 7 novembre 2001».
170
Voir annexe 24: «Notification dépositaire aux NatiUnies de la réserve du Nicaragua à sa déclaration
reconnaissant comme obligatoire la ju ridiction de la Cour internade Justice, du 5 décembre 2001 (nouveau
tirage)».
171
Le texte de la déclaration de 1937 de la Colombie se lit comme suit :
«La République de Colombie reconnaît comme ob ligatoire de plein droit et sans convention

spéciale sous condition de réciprocit é, vis-à-vis de tout autacceptant la même obligation, la
juridiction de la Cour permanente de Justice internationale, conformément à l’article 36 du Statut.
La présente déclaration ne s’applique qu’ aux différends nés de faits postérieurs au
6 janvier 1932.» - 68 -

3.31. Les faits qui ont donné naissance au différend allégué porté deva nt la Cour par le

Nicaragua contre la Colombie sont des faits survenus avant le 6 janvier 1932. La requête déposée
le 6 décembre 2001 par le Nicaragua fait valoir qu’en 1821, date à laquelle il a obtenu son
indépendance de l’Espagne, les groupes d’îles et de cayes qui forment l’archipel de SanAndrés

appartenaient à la nouvelle Fédéra tion d’Amérique centrale et qu’après la dissolution de cette
dernière en 1838, lesdites îles et cayes ont été intégrées au territoire relevant de la souveraineté du
Nicaragua 172. Le Nicaragua soutient que le traité de 1928 était dépour vu de toute valeur juridique
et que, partant, la Colombie ne saurait s’en prévaloir pour affirmer un titre quelconque sur
172
l’archipel de San Andrés . Le Nicaragua soutient en outre que le problème du titre sur les îles et
cayes qui constituent l’archipel se pose avec d’autant plus d’acuité que, selon ce qu’il décrit comme
122 étant l’interprétation du traité de 1928 par la Colombie, «le titre qu’elle revendique lui confère une
173
souveraineté sur une immense portion de la mer des Caraïbes relevant du Nicaragua» .

3.32. La Colombie conteste l’allégation du Nicaragua selon laquelle l’archipel de San Andrés
appartenait au Nicaragua en 1821, 1823, 1838 ou à toute autre date. En fait, l’archipel est
entièrement et exclusivement administré par la Co lombie et placé sous la souveraineté pleine et
exclusive de cet Etat depuis que ce dernier a obte nu son indépendance de l’Espagne. La Colombie

exerce sa souveraineté et intervient en qualité d’ autorité gouvernementale et administrative dans
l’archipel depuis près de deux siècles, ce qui n’a jamais été le cas du Nicaragua au cours de cette
longue période. Les prétentions de souveraineté du Nicaragua sur l’archipel entre 1913 et 1928 ont

été rejetées par la Colombie et ⎯ définitivement ⎯ réglées par le traité de règlement territorial
entre la Colombie et le Nicaragua, signé à Mana gua le 24 mars 1928. «[ D]ésireuse de mettre un
terme au conflit territorial pendant entre elles…» (selon les termes du préambule du traité), en vertu

de l’articlepremier du traité, la République du Nicaragua a reco nnu «la souveraineté pleine et
entière de la République de Colombie sur les îl es San Andrés, Providencia, Santa Catalina et sur
toutes les autres îles, îlots et récifs qui font partie de l’archipel de San Andrés», et la Colombie a

fait une déclaration similaire de reconnaissance à l’ égard de la côte des Mosquitos et des Islas
Mangles (îles du Maïs), qui étaient également concer nées par le différend. Le protocole d’échange
des ratifications du traité, qui a été signé le 5 mai 1930, consacre le 82 méridien de longitude ouest

en tant que frontière entre la Colombie et le Nicaragua et met en Œuvre le traité de 1928.

3.33. Tels sont les faits essentiels qui ont donné naissance au différend allégué porté devant

la Cour par le Nicaragua, et au cun d’entre eux n’est postérieur au 6 janvier 1932. Au contraire,
123 tous précèdent cette date. Dans son mémoire, le Nicaragua soutient l’existence d’un différend né
de ces faits, car il conteste l’histoire de la souvera ineté de la Colombie sur l’ensemble de l’archipel

de San Andrés, affirme queele traité signé en 1928 «était dépourvu» de toute valeur juridique et met
en doute l’effet du 82 méridien de longitude ouest convenu dans le protocole d’échange des
ratifications de 1930. En vertu de sa réserve expresse, la déclaration de la Colombie du
30octobre1930 «ne s’applique qu ’aux différends nés de faits postérieurs au 6 janvier 1932» ; il

s’ensuit que ladite déclaration ne peut pas procurer un titre de compétence permettant à la Cour de
retenir les arguments invoqués par le Nicaragua. Il est incontestable que les faits qui constituent
l’élément central, et même l’ensemble, de l’argumentation du Nicaragua sont antérieurs à 1932.

3.34. La position de la Colombie est soutenue par la jurisprudence de la Cour. Le précédent
directement pertinent est l’arrêt de 1938 (exceptions préliminaires) de la Cour permanente de
174
Justice internationale en l’affaire des Phosphates du Maroc . L’Italie avait introduit une instance
contre la France en se fondant sur les déclarations des deux Etats en vertu de la clause facultative.

172Requête du Nicaragua, par. 2.
173
Ibid., par. 4.
174Phosphates du Maroc (Italie c. France), exceptions préliminaires, arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B n 74. - 69 -

Par sa déclaration de1931, la France avait accepté la juridiction de la Cour vis-à-vis des autres

Etats acceptant la même obligation «sur tous les di fférends qui s’élèveraient après la ratification175
la présente déclaration au sujet des situations et des faits postérieurs à cette ratification…» La
France faisait valoir que le différend porté devant la Cour par l’Italie concernait des situations et

des faits qui ne relevaient pas de cette disposition. La Cour déclara :

«Les termes de la déclaration française limitent ratione temporis la portée de
l’acceptation par la France de la juridiction obligatoire de la Cour. Cette limitation est

double. Elle concerne, en premier lieu, la date à laquelle s’élève le différend
124 lui-même. Ce point n’est pas l’objet de l’exception présentée par le Gouvernement
français; en fait, celui-ci ne conteste pas que le différend s’est élevé après la

ratification de la déclaration…

La deuxième limitation cont enue dans la déclaration a trait à la date des

situations ou des faits au sujet desquels le différend s’élève. C’est de cette limitation
que se prévaut le Gouvernement français pour soutenir que, les situations et les faits
dont procède le différend actuel étant antéri eurs à la date de son acceptation de la

juridiction obligatoire ⎯date ci-après désignée sous l176erme «date critique» ⎯, la
requête du Gouvernement italien est irrecevable.»

3.35. L’Italie, contestant cet argument, proposait une lecture différente de la réserve :

«Cette manière de voir est contestée pa r le Gouvernement italien, qui soutient
que le différend procède d’éléments posté rieurs à l’acceptation de la juridiction

obligatoire par la France, soit que certain s faits… [aient été] matériellement
accomplis après la date critique, soit que, mis en rapport avec des faits antérieurs avec
lesquels ils sont intimement liés, ils constituent dans leur ensemble un seul fait illicite,

continué et progressif, qui n’est arrivé à sa perfection qu’après la date critique, soit
enfin que certains faits, bien que réalisés à une date antérieure à la date critique, aient
donné naissance à une situation permanente contraire au droit international et qui s’est
125 177
prolongée au delà de cette date...»

3.36. La Cour interpréta les termes de la déclaration de la France de la façon suivante :

«La déclaration … [faite] par le Gouvernement français … est un acte unilatéral
par lequel ce Gouvernement a accepté la juridiction obligatoire de la Cour. La

juridiction n’existe que dans les termes où elle a été acceptée. Dans l’espèce, les
termes qui forment la base de l’exception ratione temporis présentée par le
Gouvernement français sont parfaitement clai rs: seuls relèvent de la juridiction
obligatoire les situations ou les faits postéri eurs à la date de ratification au sujet

desquels s’est élevé le différend, c’est-à-d ire ceux qui doivent être considérés comme
générateurs du différend. Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire de recourir à une
interprétation restrictive qui, dans le d oute, pourrait se recommander à l’égard d’une

clause dont l’interprétation ne saurait en aucun cas dépasser l’expression de la volonté
des Etats qui l’ont souscrite.

175Phosphates du Maroc (Italie c. France), exceptions préliminaires, arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B n 74, p. 22.
176
Ibid., p. 22-23.
177Ibid., p. 23. - 70 -

Si les termes qui expriment la limitation ratione temporis sont clairs, l’intention
qui les a dictés n’en apparaît pas moins bien établie: en la formulant, on a entendu

enlever à l’acceptation de la juridiction obligatoire tout effet rétroactif, soit pour éviter
126 de façon générale de réveiller des griefs anciens, soit pour exclure la possibilité de voir
déférer par requête à la Cour des situations ou des faits qui remontent à une époque où

l’Etat mis en cause ne serait 178s à même de prévoir le recours dont pourraient être
l’objet ces faits et situations.»

3.37. S’agissant des faits, la Cour constata :

«Les situations et les faits qui sont l’objet de la limitation ratione temporis
doivent être envisagés au double point de vue de leur date par rapport à la ratification

et de leur relation avec la naissance du différend. Des situations ou des faits
postérieurs à la ratification ne déterminent la juridiction obligatoire que si c’est à leur
sujet que s’est élevé le différend.

L’antériorité ou la postériorité d’une situation ou d’un fait par rapport à une
certaine date est une question d’espèce... Pour résoudre ces questions, il faut toutefois
garder toujours présente à l’esprit la vol onté de l’Etat qui, n’ayant accepté la
juridiction obligatoire que dans certaines limites, n’a entendu y soumettre que les seuls

différends qui sont réellement nés de s ituations ou de faits postérieurs à son
acceptation. On ne saurait reconnaître une telle relation entre un différend et des
éléments postérieurs qui supposent l’existence ou qui ne comportent que la

127 confirmation ou le simple développement de situations ou de faits antérieurs, alors que
ceux-ci constituent les véritables éléments générateurs du différend.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce que [le] Gouvernement [italien] désigne sous l’expression «accaparement
des phosphates marocains» a constamment ét é présenté par lui comme un régime
institué par les dahirs de 1920 qui… ont établi un monopole… Ce régime, étant

toujours en vigueur, constituerait, selon lui, une situation postérieure à la date
critique ; elle serait soumise à ce titre à la juridiction obligatoire de la Cour.

La Cour ne saurait admettre cette manièr e de voir. La situation dénoncée par le

Gouvernement italien comme illicite est un état de droit qui est né de la législation
de1920... C’est dans ces dahirs qu’il fa ut voir les faits essentiels constitutifs du
prétendu accaparement et, par conséquent, l es véritables faits générateurs du différend
relatif à cet accaparement. Or, ces dahirs sont des «faits» qui, par leur date, échappent
179
à la juridiction de la Cour.»

3.38. La pertinence, pour la présente instance, de ces conclusions marquantes de la Cour est

incontestable. Les faits essentiellement en cause étaient, dans l’affaire des Phosphates du Maroc,
les dahirs de1920; les faits essentiellement en cause sont, dans la présente instance, le traité
de1928 et son protocole d’échange des ratificati ons de 1930. Tout comme il n’a servi à rien à

l’Italie d’alléguer que, en raison de la persistance de leurs effets, les faits en cause relevaient de la
128 compétence obligatoire, il n’est d’aucun secours au Nicaragua, dans la présente instance, d’affirmer
que la persistance des effets du traité de 1928 et de son protocole d’échange des

178Phosphates du Maroc (Italie c. France), exceptions préliminaires,rrêt, 1938, C.P.J.I. sérieA/B 74,
p. 23-24.
179
Ibid., p. 24-26. - 71 -

ratifications de1930 emporte la compétence de la Cour. Tout argument éventuel du Nicaragua

selon lequel la Cour serait compétente à raison d’ «un fait illicite, continué et progressif» qui ne
serait pas arrivé à sa perfection avant1932 ne peut qu’être écarté; c’est précisément ce même
argument invoqué par l’Italie que la Cour avait rejeté.

3.39. De même, doit être écarté tout argument avancé par le Nicaragua selon lequel certains
développements plus récents permettent de soumettre le différend qu’il allègue à la juridiction de la
Cour au motif que ceux-ci auraient pour origine des faits antérieurs au 6janvier1932, à savoir la

signature du traité de 1928 et de s on protocole d’échange des ratifications de 1930, qui ont réglé le
différend concernant la souveraineté sur certains te rritoires et ont déterminé la frontière maritime
entre les deux pays. Tout comme la réserve de la France, celle de la Colombie est «parfaitement

claire» et, dès lors, tout comme il convenait de donn er effet à la limitation de la juridiction de la
Cour formulée par la France, il convient de donner effet à celle de la Colombie. Dans les deux cas,
la limitation de la juridiction de la Cour av ait pour but d’éviter de réveiller d’anciens griefs
(objectif qui rejoint celui de l’article VI du pacte de Bogotá). Tout comme la Cour devait respecter

la volonté manifestée par la France dans sa déclaration reconnaissant comme obligatoire la
juridiction de la Cour, cette dernière doit respecter la volonté manifestée par la Colombie dans sa
déclaration reconnaissant comme obligatoire la juridiction de la Cour. La confirmation, après la

date critique, de faits antérieurs aux déclarations ne suffit pas à donner à la Cour la compétence de
connaître des différends nés de tels faits.

3.40. D’autres affaires portées devant la Cour et sa devancière concer naient la question de
l’effet de l’exclusion de la juridi ction de la Cour de différends n és de faits antérieurs à une date
précise. Dans son arrêt sur les exceptions préliminaires en l’affaire de la Compagnie d’électricité
180
129 de Sofia et de Bulgarie rendu le 4 avril 1939, la Cour a examiné une déclaration du 10 mars 1926
faite par la Belgique, laquelle r econnaissait la juridiction de la Cour sur les différends «qui
s’élèveraient après la ratification de la présente déclaration au sujet de situations ou de faits
postérieurs à cette ratification» 181. Le Gouvernement bulgare avait invoqué, à son tour, cette

limitation ratione temporis pour contester la juridiction de la Cour. Les Parties étaient d’accord sur
le fait que le différend avait surgi en 1937. Mais la Bulgarie fit va loir qu’alors que tous les faits
reprochés par la Belgique s’étaient déroulés après le 10 mars 1926, la situation qui avait donné lieu

au différend remontait à une période antérieure à cette date, à savoir au moment où les sentences du
tribunal arbitral mixte belgo-bulgare avaient été re ndues et où la formule pour le calcul des prix de
l’électricité avait été décidée. La Cour ne s’est pas ralliée au point de vue défendu par la Bulgarie.
Elle a estimé que «ce n’[était] pas au sujet de ce tte situation ni des sentences qui l’ont établie

qu’[était] né le différend entre le Gouvernement belge et le Gouvernement bulgare». Dans l’affaire
de la Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie , la Cour a également rappelé ce qu’elle avait
dit dans son arrêt du 14 juin 1938 (Phosphates du Maroc) :

«Les situations ou les faits qui doivent être pris en considération au point de vue
de la juridiction obligatoire… sont uni quement ceux qui doivent être considérés
comme générateurs du différend. Une telle situation n’existe pas entre le différend

actuel et les sentences du tribunal arbitral mixte; celles-ci constituent la source des
droits revendiqués par la société belge, mais ce ne sont pas elles qui ont donné
naissance au différend: en effet, les Parties sont d’accord pour reconnaître leur

caractère obligatoire, et leur application n’a donné lieu à aucune difficulté jusqu’à
130 l’époque des actes incriminés… Il faut que la situation ou le fait au sujet duquel on
prétend que s’est élevé le différend en soit réellement la cause… [D]ans

180
Compagnoe d’électricité de Sofia et dBulgarie (Belgique c. Bulgarie),arrêt, exceptions préliminaires,
C.P.J.I. série A/B n, p. 64-85.
181
Ibid., p. 81. - 72 -

l’espèce,…ce sont les faits ultérieurs reprochés par le Gouvernement belge aux

autorités bulgares… Il s’agit là de faits postérieurs à la date critique. En conséquence,
la Cour estime que l’argume nt déduit de la limitation ratione temporis contenue dans
la déclaration belge n’est pas fondé» 182.

3.41. Il est clair que ledit arrêt est parfaitement compatible avec celui de la Cour en l’affaire

des Phosphates du Maroc, sur lequel la Cour s’appuie ; les faits ont changé, mais pas le droit. En
réaffirmant la logique de Phosphates du Maroc, la Cour a constaté que, compte tenu des faits, la
nature de l’affaire de la Compagnie d’électricité était différente, car la cause réelle du différend, la

source de celui-ci et l’élément essentiel de l’argumentation étaient postérieurs plutôt qu’antérieurs à
la déclaration en cause. Or, dans la présente instance qui oppose le Nicaragua et la Colombie, la
cause réelle du différend allégué, la source du différend allégué et l’ élément essentiel de
l’argumentation correspondent exactement aux faits qui faisaient l’objet du différend

définitivement réglé par le traité de 1928 et son protocole d’échange des ratifications de1930,
c’est-à-dire qu’ils sont antérieurs au 6 janvier 1932, date que cite la réserve inscrite dans la
déclaration en cause de la Colombie. C’est par la signature du traité et sa ratification que les

questions qui divisaient à l’époque ⎯et divisent aujourd’hui ⎯ les Parties ont été réglées. En
revanche, comme la Cour l’a relevé, aucune des Parties à l’affaire de la Compagnie d’électricité n’a

jamais contesté les sentences rendues par le tribunal arbitral mixte, si bien que la cause et la source
réelles de ce différend n’étaient pas l’existence mê me des sentences ou leur valeur juridique. Or,
dans la présente instance, le Nicaragua prétend contester le traité de 1928 et son protocole de 1930.

183
131 3.42. Dans l’affaire du Droit de passage sur territoire indien , la Cour internationale de
Justice a statué sur une exception préliminaire opposée par l’Inde concernant une réserve ratione

temporis à la déclaration de l’Inde du 28 février 1940, en vertu de laquelle elle acceptait la
juridiction «pour tous les différends nés après le 5 février 1930, concernant des situations ou des
faits postérieurs à ladite date» 184. Le Portugal fit valoir que le di fférend était né en 1954 et que les
185
situations ou les faits n’étaient «que les géné rateurs du différend» et remontaient aussi à1954 .
L’Inde a soutenu que le Portugal avait formul é sa prétention à un droit de passage avant le
5février1930. S’agissant de déterminer si le différend concernait des faits ou des situations

antérieurs à la date mentionnée dans la déclaration de l’Inde, la Cour a fait observer que les faits ou
situations dont il fallait tenir compte étaient seulement ceux qui devaient être considérés «comme
générateurs du différend», ceux qui en étaient «réellement la cause» 186. La Cour n’avait pas été

priée de formuler quelque conclusion que ce fût sur le passé antérieur à cette date (le
5 février 1930) et, par conséquent, l’exception invoquée par l’Inde fut rejetée.

3.43. Il est clair que l’arrêt rendu dans l’affaire du Droit de passage est conforme au droit
exposé dans l’affaire des Phosphates du Maroc. Là encore, le droit est constant, mais les faits sont
différents. Dans l’affaire du Droit de passage, indépendamment de la da te à laquelle le différend

est effectivement né, les faits qui l’ont généré sont survenus après la date mentionnée dans la
réserve énoncée dans la déclaration de l’Inde. Or , dans l’affaire portée devant la Cour par le
Nicaragua, les faits qui ont donné naissance au différend relatif à la souveraineté sur l’archipel de

San Andrés et aux questions connexes sont survenus avant le 6 janvier 1932, date mentionnée dans
132 la réserve énoncée dans la déclaration de la Colomb ie. Les sujets de désaccord qui existaient entre

182 Compagnie d’électricité de Sofia et deBulgarie (Belgique c. Bulgarie), arrêt, exceptions préliminaires,
o
C.P.J.I. série A/B n 77, p. 82.
183Droit de passage sur territoire indien (Portugal c. Inde), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1960, p. 33-35.

184Ibid., p. 34.
185
Ibid., p. 21.
186Ibid., p. 35. - 73 -

les parties ont été réglés par le traité de 1928 et son protocole de 1930. En outre, le Nicaragua

demande précisément à la Cour de dire que le tra ité de 1928 et son protocole de 1930 sont nuls et
dénués de validité, essentiellement à cause de la pression que les Etats-Unis auraient exercée sur le
Gouvernement nicaraguayen au cours des années 1927- 1930, c’est-à-dire de faits antérieurs à la

date visée ci-dessus. La Cour n’est manifest ement pas compétente pour formuler une telle
constatation.

3.44. Conformément aux conclusi ons de la Cour en l’affaire du Droit de passage , les faits
critiques sont uniquement ceux qui se rapportent à la source du différend, à sa «cause réelle». Dans
la présente instance, la source du différend allégué, sa cause réelle, est constituée par les sujets de

désaccord entre les deux pays concernant la souve raineté sur la côte d es Mosquitos, les Islas
Mangles (îles du Maïs) et la revendication de l’ar chipel de San Andrés formulée par le Nicaragua
en1913, lesquels sujets de désaccord ont tous ét é résolus en 1928, ainsi que par l’existence d’un

traité en vigueur, ratifié en 1930, qui a définitivement réglé le différend, tranchant ainsi la question
de la souveraineté sur la côte des Mosquitos, l es Islas Mangles (îles du Maïs) et l’archipel de
San Andrés et déterminant une frontière maritime entre la Colombie et le Nicaragua. Ces faits sont
de toute évidence antérieurs au 6 janvier 1932.

3.45. Une quatrième affaire pertinente, qui est la plus récente, est celle relative à la Licéité de
187
l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c.Belgique) . Dans ses conclusions, la République
fédérale de Yougoslavie a fondé la compétence de la Cour sur les déclarations faites en vertu de la
clause facultative. La déclaration de la Yougoslavie a été dé posée le 26 avril 1999 ; elle reconnaît
la juridiction de la Cour «sur tous les différends qui pourraient su rgir après la signature de la
188
133 présente déclaration concernant des situations ou des faits ultérieurs à ladite signature…» . La
déclaration de la Belgique de 1958 reconnaît la juridiction «sur tous les différends d’ordre juridique
nés après le 13 juillet 1948 au sujet de situations ou de faits postérieurs à cette date» 18. La Cour a

relevé que, bien que la Belgique n’ait tiré aucun moyen de la limitation ratione temporis contenue
dans la déclaration de la Yougos lavie, la Cour devait pourtant ex aminer les effets que ladite
limitation pouvait avoir prima facie sur sa compétence en l’espèce 189. Par conséquent, afin

d’apprécier si la Cour était compétente, il suffisait de déterminer si le diffé rend porté devant elle
était survenu avant ou après le 25 avril 1999.

3.46. La Cour a fait remarquer que la requête de la Yougoslavie était dirigée, dans son
essence, contre les bombardements de son territoire, auxquels elle demandait à la Cour de mettre un
terme. La Cour a constaté qu’il était avéré que les bombardements en cause avaient commencé le

24mars1999 et s’étaient poursuivis de façon con tinue au-delà de cette date et qu’un différend
d’ordre juridique avait surgi entre la Yougoslavie et la Belgique (et d’autres Etats membres de
l’OTAN) bien avant le 25 avril 1999 au sujet de la li céité des bombardements. Elle a relevé que le

fait que les bombardements se soient poursuivis apr ès cette date et que le différend les concernant
ait persisté n’était pas de nature à modifier la da te à laquelle le différend av ait surgi. La Cour a
ensuite rappelé qu’il appartenait à chaque Etat, lorsqu’il formule sa déclaration, de décider des
limites qu’il assigne à son acceptation de la juridiction de la Cour : «la juridiction n’existe que dans
190
les termes où elle a été acceptée» (citation tirée de l’affaire des Phosphates du Maroc) . La Cour
a en outre rappelé que, dans l’affaire des Phosphates du Maroc , la Cour permanente avait estimé
que par l’effet de la condition de réciprocité inscrite au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la

187Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du
2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 124-141.

188Ibid., p. 133, par. 23.
189
Ibid., par. 24.
190Ibid., p. 135, par. 30. - 74 -

Cour, toute limitation ratione temporis apportée par l’une des parties à sa déclaration faisait droit
190 191
134 entre les parties . M. James Crawford relève que la Cour interna tionale de Justice a ainsi fait
référence à l’arrêt rendu dans l’affaire des Phosphates du Maroc en donnant son «approbation
manifeste».

3.47. De même, dans quatre autres affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c. Canada; Serbie-et-Monténégro c. Espagne ; Serbie-et-Monténégro c.

Pays-Bas ; Serbie-et-Monténégro c. Royaume-Uni ), la Cour a confirmé, dans ses ordonnances du 2
juin 1999 par lesquelles elle s’est prononcée sur la demande en indication de mesures
conservatoires présentée par la Yougoslavie, le maintien en vigueur du principe juridique consacré

dans l’arrêt rendu en l’affaire des Phosphates du Maroc :

«[L]a Cour a rappelé dans son arrêt du 4décembre1998 en l’affaire de la
Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada) , «Il appartient à chaque

Etat, lorsqu’il formule sa déclaration, de décider des limites qu’il assigne à son
acceptation de la juridiction de la Cour : «la juridiction n’existe que dans les termes où
elle a été acceptée» ( Phosphates du Maroc, arrêt, 1938, C.P.J.I. sérieA/B n o74,

p. 23)» (C.I.J. Recueil 1998, par. 44) ;

comme la Cour permanente l’a relevé dans son arrêt du 14 juin 1938 dans l’affaire des

Phosphates du Maroc (exceptions préliminaires), «il est reconnu que, par l’effet de la
condition de réciprocité inscrite au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour»,
toute limitation ratione temporis apportée par l’une des parties à sa déclaration
d’acceptation de la juridiction de la Cour «fait droit entre les parties» ( Phosphates du
135 o
Maroc, arrêt, 1938, C.P.J.I. série A/B n 74, p. 10) ;

qu’en outre, comme la présente Cour l’a noté dans son arrêt du 11juin1998 en

l’affaire de la Frontière terrestre et maritime en tre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria), «[d]ès 1952, elle a jugé dans l’affaire de l’ Anglo-Iranian Oil
Co. que, lorsque des déclarations sont fa ites sous condition de réciprocité,

«compétence est conférée à la Cour seulement dans la mesure où elles coïncident pour
la lui conférer» (C.I.J. Recueil 1952 , 1.03)» ( C.I.J. Recueil 1998, p2.98,
par. 43).» 192

3.48. Dans les affaires relatives à la Licéité de l’emploi de la force , il y avait lieu de
déterminer si le différend avait surgi apr ès la date de la déclaration et non pas ⎯comme dans la

présente affaire qui oppose le Nicaragua et la Colombie ⎯ si les faits qui avaient donné naissance
au différend allégué étaient antérieurs ou postérieurs à la date mentionnée dans la déclaration. Cela
étant, ce qui est important en l’espèce, c’est que la Cour ait récemment jugé bon de réaffirmer, par

son «approbation manifeste», la logique et la pé rennité d’un élément central du raisonnement
qu’elle avait suivi dans l’affaire des Phosphates du Maroc.

191J.Crawford, The International Law Commission’s Articles onState Responsibility, Introduction, Text and
Commentaries, Cambridge University Press, 2002, p. 23.

192Les passages cités sont tirés des ordonnances suivantes : Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro
c. Espagne), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (II) , p. 770-771, par. 25 ; Licéité de
l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. Royaue-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (II), p.835-836, par. 25; Licéité de l’emploi de la force (S erbie-et-Monténégro c. Canada), mesures
conservatoires, ordonnance du 2juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p.269-270, par. 29; Licéité de l’emploi de la force
(Serbie-et-Monténégro c. Pays-Bas), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J.Recueil1999(I) ,
p. 552-553, par. 30 - 75 -

3.49. Tout comme la jurisprudence de la Cour est claire en l’espèce, les termes de la
déclaration de la Colombie, si elle est réputée être en vigueur à la date du dépôt de la requête du
Nicaragua, et sa limitation ratione temporis sont également clairs, de même que l’intention qui l’a
136
motivée. La déclaration de la Colombie n’accepte la juridiction de la Cour que pour les différends
nés de faits postérieurs au 6 janvier 1932. Telle éta it la volonté de la Colombie, telle était la limite
de sa reconnaissance de la juridiction de la C our. En énonçant sa réserve, la Colombie voulait
précisément éviter que ne soient ranimés des différends déjà réglés, comme celui qui l’avait été

avec le Nicaragua par le traité de 1928 et son prot ocole d’échange des ratifications de 1930 et sur
lequel le Nicaragua prétend aujourd’hui revenir.

V. C ONCLUSION

3.50. Il ressort de ce qui précède que :

a) à l’égard des Etats parties au pacte de B ogotá qui ont également fait des déclarations
reconnaissant la juridiction de la Cour en vert u de la clause facultative, c’est le pacte qui
s’applique ;

b) comme il a été démontré plus haut (chap. II), en vertu des articles VI et XXXIV du pacte de
Bogotá, la Cour n’est pas compétente pour connaître du différend allégué porté devant elle par
le Nicaragua, et le différend doit par conséquent être déclaré terminé ;

c) il n’existe donc plus devant la Cour de différend à l’égard duquel des déclarations des parties en

vertu de la clause facultative pourraient fonder la compétence de la Cour ;

d) en toute hypothèse, étant donné que le Nicaragua fait valoir qu’il existe un titre de compétence
découlant des déclarations faites par les deux Etats en vertu de la clause facultative, la

137 Colombie s’est opposée à cet argument et a démont ré que la juridiction de la Cour dans la
présente instance ne pouvait pas être fondée sur le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut ;

e) premièrement, la déclaration de la Colombie de 1937 n’était pas en vigueur à la date de la

requête du Nicaragua, ayant été retirée avant cette date avec effet immédiat. Par conséquent, il
n’est pas satisfait à la condition qui exige que les deux Etats doivent accepter la juridiction de la
Cour en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 pour que celle-ci soit compétente ;

f) deuxièmement, même si la déclaration de la Colombie de 1937 était réputée être en vigueur à la

date de la requête du Nicaragua ⎯ quod non, comme il a été démontré ⎯ les termes explicites
de la réserve qu’elle comprend excluent de la ju ridiction de la Cour toutes les questions portées
devant celle-ci par le Nicaragua. En toute objectivité, le différend allégué invoqué par le

Nicaragua est un différend «né de faits» antérieurs au 6 janvier 1932 ;

g) en fait, la requête du Nicara gua consiste essentiellement en une tentative de ranimer un
différend déjà réglé par le traité de 1928 et son protocole d’échange des ratifications de 1930.

3.51. Les considérations ci-dessus, exposées dans le présent chapitre, démontrent que la Cour
n’a pas compétence au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut pour connaître de la requête du
Nicaragua. - 76 -

138 - 77 -

CHAPITRE IV
139

B REF RÉSUMÉ DE L ’ARGUMENTATION EXPOSÉE PAR LA COLOMBIE DANS
LES PRÉSENTES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES

4.1. Conformément à l’instruction de pro cédure II de la Cour, la Colombie présente
ci-dessous un bref résumé de son argumentation développée à l’appui des présentes exceptions
préliminaires.

I. GÉNÉRALITÉS

4.2. La Colombie possédait, sur la côte des Mosquitos comprise entre le cap Gracias a Dios
et la rivière San Juan ainsi que sur l’archipel de San Andrés, dont les Is las Mangles (îles du Maïs)
faisaient partie, des droits dérivés des titres de l’Empire espagnol.

e
4.3. Depuis l’effondrement de l’Empire espagnol au début du XIX siècle, la souveraineté sur
l’archipel de San Andrés appartient à la Colombie et est exercée par elle et elle seule de façon
publique, pacifique et ininterrompue. L’unique exception fut un modus vivendi temporaire

consacré par l’accord de 1928 entre la Colombie et les Etats-Unis à une époque où ces deux Etats
s’opposaient sur la question de la souveraineté su r trois cayes faisant partie de l’archipel (cette
divergence de vues fut réglée par l’abandon par les Etats-Unis de toutes leurs revendications sur les

cayes en cause en vertu du traité signé en 1972).

4.4. Pendant toute la période comprise entr e 1821, date de l’indépendance du Nicaragua, et
193
140 aujourd’hui, aucun des îlots, îles ou cayes de l’archipel de San Andrés n’a été placé sous la
souveraineté du Nicaragua ou, moins encore, administré par lui.

4.5. Alors que cet examen historique démont re l’existence du titre de la Colombie sur
l’archipel, le Nicaragua fait une présentation te ndancieuse, peu convaincante et foncièrement
dénuée de pertinence de la genèse des questions que le Nicaragua prétend aujourd’hui rouvrir
devant la Cour.

4.6. En effet, si, outre les divergences de vues entre les deux Etats au sujet de la souveraineté
sur la côte des Mosquitos et les Islas Mangles (îl es du Maïs), le Nicaragua émit pour la première

fois en 1913 des prétentions sur certaines îles del’archipel de San Andrés, toutes ces questions
furent, après quinze ans de négociation, réglées entr e les deux Etats par la signature du traité de
règlement territorial entre la Colombie et le Ni caragua de 1928 et de son protocole d’échange des
ratifications de1930. Le traité de 1928 et son protocole de 1930 furent déposés auprès de la

Société des Nations le 16 août 1930 par la Colombie et le 25 mai 1932 par le Nicaragua.

En vertu dudit traité et de son protocole d’échange des ratifications de 1930,

a) le Nicaragua a reconnu la souveraineté de la Co lombie sur les îles de San Andrés, Providencia
et Santa Catalina, et sur toutes les autres îles, îts et cayes qui font partie de l’archipel de
San Andrés ;

193
Voir note de bas de page 5. - 78 -

b) la Colombie a reconnu la souveraineté du Nicaragua sur la côte des Mosquitos et les Islas
Mangles (îles du Maïs) ;

c) le Nicaragua a reconnu et conve nu que la souveraineté sur les ca yes de Roncador, Quitasueños
141 et Serrana, qui font partie de l’archipel, intér essait uniquement la Colombie et les Etats-Unis, à
l’exclusion du Nicaragua ; et

d) les deux Etats ont convenu que la frontière entr e la Colombie et le Nicaragua suivait le
82 méridien de longitude ouest.

4.7. Les deux Etats se sont conformés au traité de 1928 et à son protocole de1930.
Cependant, en 1969, le Nicaragua ⎯sans contester la validité ni le caractère effectif du traité
de 1928 ⎯ prétendit mener des activités dans des espaces situés à l’est de la frontière maritime
e
convenue le long du 82 méridien de longitude ouest. Une dizaine d’années plus tard, en1980,
alors que le traité était en vigueur depuis cinquante ans, le Nicaragua prétendit dénoncer celui-ci en
le déclarant nul et non avenu. La Colombie reje ta ces velléités et persista à appliquer le traité
de 1928 et son protocole de 1930 de façon ininterrom pue. Elle continua naturellement d’exercer sa

souveraineté et sa juridiction sur l’archipel de San Andrés et ses espaces maritimes connexes,
comme elle le faisait depuis près de deux siècles.

4.8. Voici à présent que, quelque vingt ans plus tard, dans son mémoire de 2003, le
Nicaragua prétend pour la première fois faire valo ir que «l’interprétation faite par la Colombie
en 1969 du 82 méridien de longitude ouest qu’elle a présenté comme une frontière maritime»
constituait une violation du traité de 1928 et autorisait donc le Nicar agua à le dénoncer

unilatéralement. C’est cette même année que, co mme il a été mentionné au paragraphe précédent,
le Nicaragua mena pour la premiè re fois des activités à l’est de la frontière maritime convenue le
long du 82 méridien de longitude ouest, suscitant les protestations de la Colombie, qui fit
simplement valoir l’accord tel qu’il avait été c onçu par le Nicaragua en 1930 et approuvé par les

deux parties à cette époque et tel que le reflétaient les cartes officielles publiées par la Colombie
dès 1931, à l’égard desquelles le Nicaragua n’avait jamais protesté. La Colombie a depuis continué
à exercer de manière ininterrompue sa souverainet é et sa juridiction sur les espaces maritimes qui
dépendaient de l’archipel, jusqu’au méridien susvisé.

142 4.9. Le Nicaragua n’a jamais avant cette date invoqué aucun argum ent de cette nature,
attendant trente-quatre ans pour formuler l’argum ent fantaisiste de la dénonciation unilatérale du

traité en raison de la violation alléguée de celui-ci par la Colombie. Une allégation aussi
extraordinaire du Nicaragua a pour but de priver d’effet les exceptions d’incompétence, fondées,
soulevées, par la Colombie. Si la Cour venait à reconnaître la validité d’un tel argument, n’importe
quel Etat pourrait éluder les limitations apportées à la juridiction de la Cour en invoquant des

arguments spécieux.

4.10. Le Nicaragua tente à présent de rouvrir des questions déjà réglées par une entente entre

la Colombie et le Nicaragua et régies par le traité de 1928 et son protocole d’échange des
ratifications de 1930, à savoir la souveraineté su r l’archipel et la frontière maritime entre la
Colombie et le Nicaragua.

4.11. Le Nicaragua cherche à fonder la juridic tion de la Cour à cette fin sur l’articleXXXI
du pacte de Bogotá «conformément aux dispositions du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut» et
sur le paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour (clause facultative). - 79 -

II. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DE LA COLOMBIE

4.12. Il s’agit, selon les termes du paragraphe 1 de l’article 79 du Règlement de la Cour,
d’«une exception sur laquelle le défendeur demande une décision avant que la procédure sur le
fond se poursuive».

4.13. Le Nicaragua ne peut pas se fonder uniquement sur l’article XXXI du pacte de Bogotá ;
en effet, a) en vertu du traité de 1928 et du protocole d’échange des ratifications de 1930, lequel est
valable et en vigueur, les questions que le Nicara gua tente de soumettre à la Cour ont déjà été
réglées et sont régies par ledit traité et son protocole, et b) ceux-ci étaient manifestement et

143 incontestablement en vigueur en 1948, date de la signature du pacte. Il découle donc de l’article VI
du pacte que, pour chacun de ces motifs, l’article XXXI «ne peut pas être appliqué».

4.14. En outre, en vertu des articles VI et XXXIV du pacte de Bogotá, la Cour doit déclarer
le différend «terminé».

III. EUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DE LA C OLOMBIE

4.15. La Cour a déjà indiqué que, lorsqu’un de mandeur invoque à la fois le pacte de Bogotá
et les déclarations en vertu de la clause faculta tive, c’est le pacte de B ogotá qui s’applique. En
outre, en vertu des articlesVI et XXXIV du pacte, la Cour est tenue de déclarer le différend

«terminé». Dès lors, étant donné que le différend entre le Nicaragua et la Colombie a été réglé et
est terminé, il n’existe plus de différend porté dvant la Cour à l’égard duquel la juridiction en
vertu de la clause facultative pourrait s’appliquer.

4.16. En toute hypothèse, la Cour n’est p as compétente en vertu du paragraphe2 de
l’article 36 du Statut de la Cour (la «clause facultative»). La raison est double.

4.17. Premièrement, lorsque le Nicaragua a déposé sa requête, il n’y avait aucune déclaration
de la Colombie en vertu de la clause facultative : la déclaration de la Colombie de 1937 avait déjà
été retirée avec effet immédiat.

4.18. Par conséquent, la condition qui exige que les deux Etats doivent accepter la juridiction
de la Cour en vertu du paragraphe 2 de l’artic le 36 pour que celle-ci soit compétente n’est pas
satisfaite.

4.19. Deuxièmement, même si la déclaration de la Colombie de 1937 était en vigueur (ce que
la Colombie conteste), la juridiction de la Cour serait en toute hypothèse limitée par les termes de
ladite déclaration.

144 4.20. La déclaration comprend une réserve qui limite l’application de ladite déclaration aux
«différends nés de faits postérieurs au 6 janvier 1932». - 80 -

4.21. La requête du Nicaragua consiste en s ubstance à tenter de ranimer un différend déjà

réglé par le traité de 1928 et son protocole d’éch ange des ratifications de1930. Le Nicaragua
conteste le sens, l’existence juridique même, de ce traité et du protocole, qui sont les éléments
centraux du différend allégué que le Nicaragua cherche à porter devant la Cour.

4.22. Le différend allégué a donc pour origine des faits antérieurs au 6 janvier 1932. Par
conséquent, même si la déclaration de la Colombie de 1937 devait être déclarée en vigueur à la date
de la requête du Nicaragua, ledit différend serait exclu de son champ d’application. - 81 -

CHAPITRE V
145

CONCLUSIONS DE LA COLOMBIE

Au vu des motifs exposés dans les chapitres précédents, la Colombie prie respectueusement

la Cour, en application de l’article 79 de son Règlement, de dire et juger que :

1) en vertu du pacte de Bogotá, et en parulier de ses articles VI et XXXIV, elle n’a pas
compétence pour examiner le différend qui lui est soumis par le Nicaragua en vertu de

l’article XXXI et de déclarer ce différend terminé ;

2) en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 de son Statut, elle n’a pas compétence pour connaître de
la requête du Nicaragua ; et que

3) la requête du Nicaragua est rejetée.

La Haye, le 28 juillet 2003

Julio LONDOÑO PAREDES ,

Agent de la République de Colombie.

___________

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Exceptions préliminaires de la Colombie

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