Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie)
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Le 6 décembre 2001, la République du Nicaragua a déposé une requête introductive d’instance contre la République de Colombie au sujet d’un différend concernant « un ensemble de questions juridiques interdépendantes en matière de titres territoriaux et de délimitation maritime, qui demeur[aient] en suspens » entre les deux Etats. Le 28 avril 2003, le Nicaragua a déposé son mémoire, dans le délai prescrit par la Cour. Le 21 juillet 2003, la Colombie a déposé des exceptions préliminaires d’incompétence, entraînant la suspension de la procédure sur le fond.
Par un arrêt sur lesdites exceptions, rendu le 13 décembre 2007, la Cour a déclaré avoir compétence pour connaître du différend relatif à la souveraineté sur les formations maritimes revendiquées par les Parties autres que les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina. La Cour a dit que le traité signé en 1928 entre la Colombie et le Nicaragua (dans lequel la Colombie reconnaissait la souveraineté du Nicaragua sur la côte des Mosquitos, ainsi que sur les îles du Maïs, tandis que le Nicaragua reconnaissait la souveraineté de la Colombie sur les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, ainsi que sur les autres formations maritimes faisant partie de l’archipel de San Andrés) avait réglé la question de la souveraineté sur les îles de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, qu’il ne subsistait pas de différend juridique entre les Parties sur cette question et qu’elle ne pouvait donc avoir compétence sur ce point en vertu du traité américain de règlement pacifique (également appelé pacte de Bogotá et invoqué par le Nicaragua comme base de compétence en l’espèce). En revanche, en ce qui concerne la question de l’étendue et de la composition du reste de l’archipel de San Andrés, la Cour a estimé que le traité de 1928 ne répondait pas à la question de savoir quelles étaient les autres formations maritimes faisant partie de l’archipel, et qu’elle avait donc compétence pour statuer sur le différend relatif à la souveraineté sur ces autres formations maritimes. S’agissant de sa compétence concernant la question de la délimitation maritime, la Cour a conclu que le traité de 1928 n’avaient pas opéré de délimitation générale des espaces maritimes entre la Colombie et le Nicaragua et que, le différend n’ayant pas été réglé au sens du pacte de Bogotá, elle avait donc compétence pour statuer sur celui‑ci.
Le 25 février 2010, le Costa Rica a déposé une requête à fin d’intervention en l’affaire. Dans sa requête, le Costa Rica affirmait notamment que « [l]e Nicaragua comme la Colombie, par leurs revendications frontalières respectives, cherch[aient] à se voir attribuer des zones maritimes auxquelles le Costa Rica a[vait] droit » et indiquait qu’il souhaitait intervenir à l’instance en tant qu’Etat non partie. Le 10 juin 2010, la République du Honduras a elle aussi déposé une requête à fin d’intervention dans la même affaire, affirmant que, dans le différend qui opposait le Nicaragua à la Colombie, le Nicaragua avançait des prétentions maritimes se situant dans une zone de la mer des Caraïbes dans laquelle le Honduras avait des droits et des intérêts d’ordre juridique. Dans sa requête, le Honduras indiquait qu’il souhaitait principalement intervenir à l’instance en qualité de partie. La Cour a rendu deux arrêts, le 4 mai 2011, par lesquels elle a jugé que les requêtes à fin d’intervention du Costa Rica et du Honduras ne pouvaient être admises. La Cour a noté que l’intérêt d’ordre juridique invoqué par le Costa Rica ne serait susceptible d’être affecté que dans l’hypothèse où la frontière maritime que la Cour était appelée à tracer entre le Nicaragua et la Colombie serait prolongée vers le sud, au‑delà d’une certaine latitude. Or, la Cour, suivant en cela sa jurisprudence, lorsqu’elle trace une ligne délimitant les espaces maritimes entre les deux Parties à la procédure principale, arrête, selon que de besoin, la ligne en question avant qu’elle n’atteigne la zone où les intérêts d’ordre juridique d’Etats tiers peuvent être en cause. La Cour en a conclu que l’intérêt d’ordre juridique invoqué par le Costa Rica n’était pas susceptible d’être affecté par la décision dans la procédure entre le Nicaragua et la Colombie. S’agissant de la requête à fin d’intervention du Honduras, la Cour a conclu que le Honduras n’était pas parvenu à démontrer qu’il possédait un intérêt d’ordre juridique susceptible d’être affecté par sa décision dans la procédure principale. La Cour a considéré d’une part que, la frontière maritime séparant le Honduras et le Nicaragua dans la mer des Caraïbes ayant été fixée intégralement dans l’arrêt qu’elle avait rendu entre ces deux Etats en 2007, il ne subsistait pas de droits ou d’intérêts d’ordre juridique que le Honduras pourrait rechercher à protéger à l’occasion du règlement du différend entre le Nicaragua et la Colombie. D’autre part, la Cour n’a pas estimé que le Honduras pouvait invoquer un intérêt d’ordre juridique, dans la procédure principale, sur la base du traité bilatéral de 1986 conclu entre lui et la Colombie, en précisant que, pour déterminer la frontière maritime entre la Colombie et le Nicaragua, elle ne se fonderait pas sur ledit traité.
Dans l’arrêt qu’elle a rendu sur le fond de l’affaire, le 19 novembre 2012, la Cour a dit que le différend territorial opposant les Parties concernait la souveraineté sur des formations situées dans la mer des Caraïbes — les cayes d’Alburquerque, les cayes de l’Est-Sud-Est, Roncador, Serrana, Quitasueño, Serranilla et Bajo Nuevo —, qui sont toutes découvertes à marée haute et sont donc des îles, susceptibles d’appropriation. La Cour a toutefois estimé que Quitasueño ne comporte qu’une seule île, minuscule, désignée QS 32, et un certain nombre de hauts-fonds découvrants (formations découvertes à marée basse et recouvertes à marée haute). La Cour a ensuite noté que, aux termes du traité de règlement territorial entre la Colombie et le Nicaragua de 1928, la Colombie a la souveraineté non seulement sur les îles de San Andrés, de Providencia et de Santa Catalina, mais également sur les autres îles, îlots et récifs qui « font partie » de l’archipel de San Andrés. Aussi, pour se prononcer sur la question de la souveraineté, la Cour devait‑elle d’abord établir quelles sont les formations constituant l’archipel de San Andrés. Elle a conclu toutefois que ni le traité de 1928 ni les documents historiques n’établissaient de manière concluante la composition de cet archipel. La Cour a dès lors examiné les arguments et éléments de preuve autres que ceux fondés sur la composition de l’archipel aux termes du traité de 1928. Elle a conclu que ni le Nicaragua ni la Colombie n’avaient établi qu’ils détenaient un titre sur les formations maritimes en litige en vertu de l’uti possidetis juris (principe selon lequel, lors de leur indépendance, les nouveaux Etats héritent des territoires et des frontières des anciennes provinces coloniales), aucun élément ne venant clairement attester que les formations en question avaient été attribuées aux provinces coloniales du Nicaragua ou à celles de la Colombie. La Cour s’est intéressée ensuite à la question de savoir si la souveraineté peut être établie sur la base d’actes constituant une manifestation d’autorité d’un Etat sur un territoire donné (effectivités). Elle a estimé établi que, pendant de nombreuses décennies, la Colombie a agi de manière constante et cohérente à titre de souverain à l’égard des formations maritimes en cause. La Colombie avait exercé publiquement son autorité souveraine, et aucun élément ne venait démontrer qu’elle aurait rencontré la moindre opposition de la part du Nicaragua avant 1969, date à laquelle le différend s’était cristallisé. En outre, les éléments de preuve que la Colombie avait produits pour établir les actes d’administration qu’elle avait accomplis à l’égard des îles étaient à mettre en regard de l’absence d’éléments de preuve de la part du Nicaragua attestant qu’il aurait agi à titre de souverain. La Cour a noté également que, même s’ils ne constituaient pas des preuves de souveraineté, le comportement du Nicaragua à l’égard des formations maritimes en litige, la pratique des Etats tiers et les cartes tendaient à conforter l’argumentation de la Colombie. La Cour a conclu que c’est la Colombie, et non le Nicaragua, qui a la souveraineté sur les îles faisant partie d’Alburquerque, de Bajo Nuevo, des cayes de l’Est‑Sud‑Est, de Quitasueño, de Roncador, de Serrana et de Serranilla.
Concernant la demande du Nicaragua tendant à la délimitation d’un plateau continental au-delà de 200 milles marins, la Cour a fait observer que « toute prétention [d’un Etat partie à la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (CNUDM)] relative à des droits sur le plateau continental au‑delà de 200 milles d[evait] être conforme à l’article 76 de la CNUDM et examinée par la Commission des limites du plateau continental ». Eu égard à l’objet et au but de la CNUDM, tels qu’exposés dans son préambule, le fait que la Colombie n’y soit pas partie n’exonérait pas le Nicaragua de ses obligations au titre de l’article 76 de cet instrument. La Cour a relevé que le Nicaragua n’avait communiqué à la Commission que des « informations préliminaires » qui, comme l’admettait ce dernier, étaient loin de satisfaire aux exigences requises pour que la Commission puisse formuler ses recommandations. Aucune autre information ne lui ayant été communiquée, la Cour a estimé que, en la présente instance, le Nicaragua n’avait pas apporté la preuve que sa marge continentale s’étendait suffisamment loin pour chevaucher le plateau continental dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale. La Cour n’était donc pas en mesure de délimiter la frontière entre le plateau continental étendu revendiqué par le Nicaragua et le plateau continental de la Colombie. Nonobstant cette dernière conclusion, la Cour a noté qu’il lui était cependant toujours demandé de procéder à la délimitation de la zone située en deçà de la limite des 200 milles marins à partir de la côte nicaraguayenne, où les droits de la Colombie et du Nicaragua se chevauchent.
Aux fins de procéder à la délimitation de la frontière maritime, la Cour a commencé par identifier les côtes pertinentes des Parties, à savoir celles dont les projections se chevauchent. La Cour a dit que la côte pertinente du Nicaragua était l’intégralité de sa côte, à l’exception du court segment situé à proximité de Punta de Perlas, et que la côte pertinente de la Colombie était l’intégralité des côtes de ses îles, à l’exception de Quitasueño, Serranilla et Bajo Nuevo. La Cour a ensuite noté que la zone maritime pertinente, à savoir celle dans laquelle les droits potentiels des Parties se chevauchent, s’étendait à 200 milles marins à l’est de la côte nicaraguayenne. Au nord et au sud, les limites de la zone pertinente ont été déterminées par la Cour de manière à ne pas empiéter sur l’une quelconque des frontières existantes ou à ne pas pénétrer dans un secteur où les intérêts d’Etats tiers pourraient être affectés.
Afin d’effectuer la délimitation, la Cour a suivi la méthode en trois étapes qu’elle a déjà exposée et utilisée dans sa jurisprudence.
Premièrement, la Cour a choisi des points de base et construit une ligne médiane provisoire entre la côte nicaraguayenne et les côtes occidentales des îles colombiennes pertinentes, qui font face à la côte nicaraguayenne.
Deuxièmement, la Cour a examiné les circonstances pertinentes qui pourraient appeler un ajustement ou un déplacement de la ligne médiane provisoire afin de parvenir à un résultat équitable. Elle a noté que la disparité importante entre la côte pertinente de la Colombie et celle du Nicaragua (le rapport étant de 1 à 8,2) ainsi que la nécessité d’éviter que la ligne de délimitation n’ait pour effet d’amputer l’une ou l’autre des Parties des espaces maritimes correspondant à ses projections côtières étaient des circonstances pertinentes. La Cour a relevé que, si les considérations légitimes en matière de sécurité devraient être gardées à l’esprit lorsqu’il s’agirait de déterminer si la ligne médiane provisoire devait être ajustée ou déplacée, le comportement des Parties, les questions relatives à l’accès aux ressources naturelles et les délimitations déjà opérées dans la région n’étaient pas des circonstances pertinentes en la présente espèce. Dans la zone pertinente comprise entre la masse continentale nicaraguayenne et les côtes occidentales des cayes d’Alburquerque, de San Andrés, de Providencia et de Santa Catalina, là où elles se font face, les circonstances pertinentes appelaient donc un déplacement de la ligne médiane provisoire vers l’est. A cette fin, la Cour a estimé que les points de base situés sur les îles nicaraguayennes et colombiennes, respectivement, devaient se voir conférer une valeur différente, à savoir une valeur unitaire pour chacun des points de base colombiens et une valeur triple pour chacun des points de base nicaraguayens. La Cour a estimé cependant que la ligne pondérée ainsi construite n’aboutirait pas à un résultat équitable si elle était prolongée au nord et au sud, en ce qu’elle attribuerait à la Colombie une part bien plus importante de la zone pertinente que celle attribuée au Nicaragua alors que la longueur de la côte nicaraguayenne est plus de huit fois supérieure à celle de la côte colombienne. Cette ligne priverait en outre le Nicaragua des espaces situés à l’est des principales îles colombiennes dans lesquels se projette sa côte continentale. De l’avis de la Cour, un résultat équitable devait être obtenu en prolongeant la ligne frontière le long des parallèles jusqu’à la limite des 200 milles marins mesurés à partir de la côte du Nicaragua. Au nord, cette ligne longe le parallèle passant par le point le plus septentrional de la limite extérieure de la mer territoriale tracée à 12 milles marins de Roncador. Au sud, la frontière maritime suit tout d’abord la limite extérieure de la mer territoriale tracée à 12 milles marins des cayes d’Alburquerque et de l’Est‑Sud‑Est, puis le parallèle à partir du point le plus oriental de la mer territoriale des cayes de l’Est‑Sud‑Est. Pour éviter que Quitasueño et Serrana ne se retrouvent, dans ces conditions, du côté nicaraguayen de la ligne, la frontière maritime tracée autour de chacune de ces formations suit la limite extérieure de leur mer territoriale de 12 milles marins.
Troisièmement et enfin, la Cour a vérifié que la délimitation ainsi obtenue n’entraînait pas, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, une disproportion de nature à rendre le résultat inéquitable. La Cour a noté que la ligne frontière avait pour effet de partager la zone pertinente entre les Parties selon un rapport d’environ 1 à 3,44 en faveur du Nicaragua, alors que le rapport entre les côtes pertinentes était d’environ 1 à 8,2, et a conclu que cette ligne n’entraînait pas de disproportion donnant lieu à un résultat inéquitable.
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.