Observations et conclusions du Gouvernement de la République française sur les exceptions préliminaires présentées par le Gouvernement de la République libanaise

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9233
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Incidental Proceedings

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3. OBSERVATIONSET CONCLUSIONS

DU GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUEFRANÇAISE SUR
LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRESPRÉSENTÉESPAR LE
GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUELIBANAISE 1

Le Gouvernement de la République libanaise a déposéle 23dé-

cembre 1959 au Greffe de la Cour cinq exceptions préliminaires qui
sont opposées à laRequêteintroductive d'instance du Gouvernement
de la République françaiseen date du 13 février 1959. La Requête
demandait à la Cour de juger que le Gouvernement libanais n'avait
pas respectéles engagements qu'il avait pris envers le Gouvernement
de la République française dans l'accord du 24 janvier 1948 entre
la France et le Liban, et que, de ce fait, il avait engagésaespoii-
sabilité internationale vis-à-vis du Gouvernement français; dans
son Mémoiredu 18 août 1959, le Gouvernement de la République
avait exposé lesfaits et le droit relatifse différend.

Par cinq exceptions préliminaires, le Gouvernement de la Ré-
publique libanaise demande à la Cour de déclarer la Requêteirre-
cevable. Les exceptions portent sur divers griefs: existence même
du litige, datà laquelle il est né, épuisement des recours internes,
négociations diplomatiques préalables. En fait, il apparaît immédia-
tement que les problèmes poséspar les « Exceptions préliminaires 1,
touchent au fond mêmedu différendet ne restent pas dans les limi-
tes d'un débat sur la recevabilité de la requete française, et on ne
peut s'empêcherde penserà la formule employéepar Louis Renault:
R La partie qui prévoit l'éventualitéd'un échecest trop facilement
portée à arguer de l'incompétence des arbitres ..n (Recueil des

arbitrages internationazix, Lapradelle et Politis, tome 1, Introduc-
tion, p.XIV).
C'est incontestablement le privilège de tout plaideur de décliner
la compétence du tribunal, mais encore est-il souhaitable qu'il le
fasse en invoquant les arguments appropriés et ceux-ci seulement.
Or le Gouvernement libanais a cru nécessaire de commencer ses
u Exceptions IIpar une diatribe contre la Compagnie du Port à
laquelle est consacré un tiers de la pièce écrite. Avant de passer à
l'étude du problènie qui doit rester le débat actuel devant la Cour,
la conipétence de la Cour pour juger le différend, il sera donc né-

cessaire, pour éclairer la Cour sur l'inanité de ces reproches, de don-
ner quelques indications sur les points soulevés par le Gouverne-
ment libanais.
* * *

Le Gouvernement libanais commence (page 55) par affirmer que
le Gouvernement français iia consacré treize pages de son Mémoire
à relater, à sa manière, des faits pour la plupart étrangers au
différend, destinés à discréditer le Liban aux yeux de la Couru.

'Voir Quatrième Partie. Correspondap.e,6.Le Gouvernement de la République française ne croit pas nécessaire
de discuter une telle assertion, puisque, dans son Mémoire, ils'est
contenté de donner à la Cour les informations qu'il jugeait néces-
saires sur la nature des sociétés concessionnaires.leurs activités au
Liban et le déroulement du litige. Le Gouvernement libanais semble
oublier quele recours àla Cour internationale de Justice, en applica-
tion des dispositions detraités en vigueur, ne doit pas êtreconsidéré
comme un acte inamical vis-à-vis de l'État défendeur, mais comme
une méthode normale de solution pour toute controverse relative à
l'exécutiond'un traité.
Ceci rappelé,le contenu des pages 55 à 59 des KExceptions »sur-

prend. Tout d'abord, pages 56-57. le Gouvernement libanais expose
des faits dont aucun n'a le moindre rapport avec le différendporté
devant la Cour: conditions dans lesquelles la Compagnie du Port a
acquisla nationalité française, participation de l'État aux bénéfices,
tarifs, exécution des obligations concessionneiles, e...
Il suffira, au stade actuel de la procédure, pour montrer la vanité
des accusations injustifiées que le Gouvernement libanais a tenté
de porter contre la Compagnie du Port, de donner en annexe, des
documents libanais qui prouvent la haute estime en laquelle, il y a
peu de temps encore, la société concessionnaire française était
tenue au Liban (Annexes 1,lI et III). Faut-il rappeler au Gouverne-
ment libanais que le Rapport sur la Compagnie du Port présenté
au Gouvernement libanais le IO avril 1958 par la Commissioninter-
ministérielle chargéed'étudier l'aménagement dc la Concession et
l'extension du Port de Beyrouth ne contient aucune critique de

l'attitude généraleou particulière de la Compagnie (Annexe 65 au
Mémoire)?Pour éclairerla Cour sur l'autorité de ce rapport, voici
quelle était la composition de la Commission interministérielle:
PrLsident: Ibrahim ABDEL-ALD , irecteur générai du Contrîile des
Sociétéset des Affaires hydrauliques et électriques.

Membres: Aloustapha XSOULI,Directeur général de l'Économie
nationale;

Antoine BAROUDC , hef de la Section de la Législation et des
Avis au ministère de la Justice;
Antoine MOUSSALL C hefduContrôledesDouanes deBeyrouth;
Joseph PRISCE,Chef du Service des Contributions au ministère

des Finances;
Michel T~sso, Expert auprès du ministère des Finances.

Ayant ainsi écartédu débat, comme cela était nécessaire, les
polémiques extérieuresau différendque le Gouvernement libanais
avait tenté d'y introduire, le Gouvernement de la République
répondra successivement aux cinq exceptions préliminaires. 16'8Exception

La première exception opposée par le Gouvernement libanais
porte sur deux questions (pages 59 à 64):
I" Dans un premier paragraphe, le Gouvernement libanais

exprime sa conviction a que la loi du 26 juille1956, à caractère
généralet impersonnel, édictéedans un but d'intérêtnational, ne
peut en aucune façon être considérée commeune modification
des actes régissant les sociétésconcessionnaires 11(page 62 des
Exceptions). Il en infère que la Cour est incompétente «parce que
le Gouvernement libanais, en promulguant la loi du 26 juillet1956,
n'a pas modifiéunilatéralement les actes concessionnels de la Com-
pagnie duPort, des Quais et des Entrepôts de Beyrouth et par suite
n'a pas violé sesengagements résultant de l'accord franco-libanais
de 1948 » (page 72 des Exceptions).
Le Gouvernement libanais parvient à cette conclusion par une
série de postulats: par la lettre annexe na 12 à l'accord franco-
libanais de 1948 le Gouvernement libanais ne se serait engagé à
respecter que les «clauses contractuellesIIdes contrats de conces-
sion des sociétésconcessionnaires françaises; l'exonérationd'impôt

établie par l'articl8 de la convention d'origine de la Compagnie
du Port de Beyrouth et par l'article 25 de la convention d'origine
de la Société Radio-Orient ne constituerait pas une disposition
contractuelle de ces actes de concession; en conséquence, leGouver-
nement libanais aurait étélibre, malgré l'engagement pris en 1948,
d'appliquer aux sociétés encause la loi du26 juillet1956.
La thèse exposée par le Gouvernement libanais ne peut pas
constituer une exception préliminaire au sens de l'article 62 du
Règlement. Tout en reconnaissant que les Exceptions ont pour
but de suspendre la procéduresur le fond (page 55 des Exceptions.
4eme alinéa), le Gouvernement libanais se contente en effet de
prétendre résolue à son profit la question mêmeque le Gouverne-
ment français a posée à la Cour dans sa Requête: quel est le
contenu de l'obligation assuméepar le Gouvernement libanais vis-
à-vis du Gouvernement français dans l'annexe 12 à l'Accord
franco-libanais du 24 janvier 1948? (Annexes au Mémoire.)

Dans sa Requête le Gouvernement de la République a priéla
Cour de dire et juger a que les modifications apportées unilatérale-
ment, par voie législative, par le Gouvernement libanais à la
situation de la Compagnie du Port de Beyrouth et de la Société
Radio-Orient sont, dans les conditions où elles sont intervenues,
contraires à l'engagement pris dans l'accord du 24 janvier 1948
entre la France et le Liban ii(p. g de la Requête). Par la suite,
dans son Mémoire(pages 3 jà 39, 46 à 49) il a exposépour quels
motifs l'imposition des sociétésen cause, par une loi promulguée
sans que soient intervenus les aménagements contractuels fixés OBSERVATIOSS DE LA FRASCE (FÉVRIER 1960)
7S
comme condition de toute modification de la situation des sociétés
concessionnaires françaises par l'accord de 1948, lui semblait une
violation des engagements internationaux de l'État libanais.

Le Gouvernement français ne croit pas, au stade actuel de la
procédure, devoir reprendre le détail de son argumentation sur ce
point. Il rappellera seulement que, si le droit d'imposition est un
attribut de la souveraineté des États, il ne s'ensuit pas qu'un État
'qui aurait pris envers un autre État l'engagement spécifique de
respecter une certaine procédure pour modifier la situation fiscale
d'individus ou organisines déterminéspuisse se délier unilatérale-
ment de l'accord conclu à cette fin et que, ce faisant, il n'engage
pas, vis-à-vis de l'autre État, sa responsabilité internationale.

Le Gouvernement libanais nie l'existence d'un tel engagement
et sous couvert d'une exception préliminaire, il prend position sur
le fond de l'affaire en niant la possibilité mêmed'une responsabilité
internationale. Il est évident en effet que si, selon la demande du
Gouvernement libanais, la Cour examinait présentement le point
de savoir si l'application à la Compagnie du Port, des Quais et des
Entrepôts de Beyrouth et à la Société Radio-Orient de la loi de
1956 constitue une modification unilatérale des cactes, annexes et
textes régissant les concessions au ler janvier 1944 D.elle se pro-
noncerait sur la validité. au fond, de la demande française.

Dans l'hypothèse oh, sans rechercher la solution au fond de la
réclamation du Gouvernement français, la Cour examinerait la
question de sa compétence aux termes de l'article 23 de l'accord
de 1948 et, selon la procédure qu'elle a suivie par exemple dans
l'affaireMavrommatis ou dans celle des Phosfihates du Maroc,
rechercherait si le différend est relatif cà l'exécution ou à la non-
exécution des obligations prévues Idans l'accord, la Cour constate-
rait à l'évidence que le différend concerne l'application que le
Gouvernement français a toujours entendu voir donner à l'annexe
no 12 et que, de ce fait, il tombe sous le coup de l'article 23.

11apparait donc que la (11e1e exception ilprésentéepar le Gou-
vernement libanais n'est pas une exception préliminaire à la com-
pétence de la Cour. Les arguments exposés par le Gouvernement
libanais consistent à nier l'existence d'une violation de l'accord de
1948, ce qui est Ic fond de l'affaire. LorsqueI'article62, paragraphe 2,
du Règlement de la Cour fait obligation de présenter à l'appui de
l'Exception un «exposé de fait et de droit sur lequel l'exception
est fondée », il contraint la Partie qui refuse la compétence de la
Cour à justifier ce refus. Déclinerla compétence en indiquant qu'on
a raison sur le fond est une acceptation de compétence puisqu'on

plaide l'inexistence de la responsabilité internationale et non pas
de la compétence. Certes, comme l'a dit la Cour permanente dans
son arr&t no 6 (affaire relative à cevtains intdrêsllemandsen Haute-
Silésie fiolonaise, 25 août 1925, p. 15), l'examen d'une exception
préliminaire peut «amener à effleurer des sujets appartenant au
fond de l'affaire, étant bien entendu, toutefois, que rien de ce OBSERVATIONS DE LA FRAKCE (FÉVRIER 1960) 79

qu'elle dit dans le présent arrêt ne saurait limiter sa complète
liberté d'appréciation, lors des débats sur le fond des arguments
éventuellement apportés de part et d'autre sur ces memes sujets D.
L'argument libanais pour plaider l'incompétence étant le défaut
de responsabilité du Liban, au fond, il ne s'agirait donc pas, présen-
tement, d'«effleurer n le sujet mais de le traiter définitivement.

La Cour, dans une décisionsur la compétence, ne peut préjuger.sa
décisionsur le fond.

~eme question. (Exceptions, p. 62.) La mêmeremarque s'imposeen
ce qui concerne l'allégationdu Gouvernement libanais selon laquelle
le différend relatifà l'arbitrage n'aurait aaucun rapport avec les
modifications des actes concessionnels ,i.Tant dans sa RequEte
(p. IO.zemealinéa)que dans son Mémoire(pp. 34-33.39-40) le Gou-
vernement de la République française a demandé à la Cour de

juger aqu'en s'abstenant de donner suite aux propositions d'arbi-
trage formuléespar la Compagnie du Port de Beyrouth, le Gouver-
nement libanais a, d'autre part, manqué à l'obligation qu'il avait
également assumée à son égard par l'accord du 24 janvier 1948 II.
Le Gouvernement français remarque que le Gouvernement libanais
n'a pas clairement indiqué les motifs pour lesquels le refus d'aller
à l'arbitrage, prévu, il le reconnaît formellement, par la Convention

de 1925 (Exceptions, p. 63) aquel que soit l'objet du litige (partici-
pation de l'État aux bénéfices de la Société,impôt sur le revenu ou
taxes municipales) 23,serait compatible avec le respect des actes
concessionnels garanti par l'accord de 1948, alors que ceux-ci insti-
tuent précisémentl'arbitrage comme un droit ouvert à la Compagnie
(article 7 de la Convention du 15 décembre1925) Mais ici encore il
s'agit d'une question de fond, et non d'une exception préliminaire

à la compétencede la Cour, puisque le refus d'arbitrage est précisé-
: ment le second point du différend que le Gouvernement de. la
République française a demandéà la Cour de trancher.
Le Gouvernement libanais a fait dans le paragraphe relatif à la
m2*me question n (pp. 62 à 64) trois observations.

A) «le différend concernant l'arbitrage est antérieur à l'accord
de 1948et ne peut par suite &treévoquédevant la Cour 1).
Le Gouvernement français a effectivement signalé,à la page 29
de son Mémoire,qu'en 1933 la Compagnie avait essayé derecourir
à l'arbitrage pour régler unlitige et que la procédure n'avait pas
abouti. Mais le Gouvernement libanais commet une confusion s'il
croit qu'il s'agit de ce litige ancien; il est bien évideàt1%lecture

du Mémoirecomme de la Requêteque le Gouvernement français
n'a jamais entendu soumettre à la Cour ni le litige en question, qui
n'a aucun rapport avec le différend actuel, ni le refus d'arbitrage
auquel il a donnélieu. 11suffit de se référerà la page 29 du Mémoire
où le Gouvernement de la République française donne un rappel
des demandes d'arbitrage présentéespar la Compagnie au Gouver-
nement libanais ià propos du diférend actuellement soumis à la 80 OBSERVATIONS DE LA FRANCE (FEVRIER 1960)

Cour II.A la page 39 le Mémoireprécise encoreque les demandes
d'arbitrage présentéesen vain par la Compagnie relativement à ce
différendl'ont toutes étéentre 1952 et 1959. La confusion commise
par le Gouvernement libanais ne s'explique donc pas; il est clair que
le Gouvernement de la République française a entendu soumettre à

la Cour de Justice le fait que le Gouvernement libanais a refusé
l'arbitrage pour un litige néaprès 1948 età un moment où ce refus
entraînait la responsabilité internationale du Gouvernement liba-
naisà son égardpar la violation de l'accord de 1948.
Bj Le Gouvernement libanais affirme que, devant le refus d'ar-
bitrage à elle opposé, la Compagnie du Port aurait dû attraire
l'État libanais devant un tribunal civil (Exceptions, page 63).
II s'agit là d'une première manière de formuler une exception de

non-épuisement des recours internes. Pour simplifier les choses il
sera répondu à cette prétention en traitant du non-épuisement des
recours internes, objet de laIVhme exception.
Cj Le Gouvernement libanais prétend enfin quela Convention de
1957. ayant réglétous les litiges en cours >i,la Compagnie n'avait
aucun motif de demander l'arbitrage pour deslitiges qui n'existaient
plus. Ceci est aussi une formulation de ce qui sera soutenu dans la

IIemeexception libanaise qui est étudiéeplus loin. LeGouvernement
de la République française signale à ce sujet une erreur de fait du
Gouvernement libanais:la lettre du 27 février1959 du ministre des
Travaux publics n'est pas ((restée sans réponse 11.(Exceptions,
p. 63.) La réponsede la Compagnie, en date du 9 mars, figure à
l'annexe 63 du mémoirefrançais où le Gouvernement libanais aurait
pu en prendre connaissance si les archives de son ministère des
Travaux publics l'ont égarée.
Cette deuxième branche de la première Exception ne nous re-
tiendra pas davantage. L'argumentation qu'elle contient se confond
avec celle de la deuxième et de la quatrième Exception; son objet
est de faire juger le fond du différenden prétendant que le refus

d'arbitrage, invoqué par le Gouvernement de la République fran-
çaise comme l'une des bases de son action en responsabilité contre
le Gouvernement libanais, est un refus licite et qu'il n'engage donc
pas la responsabilité du Gouvernement libanais. Ce qui a été
rappeléà propos de la première branche de la première Exception
garde sa valeur pour la deuxième partie de cette Exception.

II*moException

Le Gouvernement libanais prétendque i<la Convention intervenue
entre le Gouvernement et la Compagnie du Port de Beyrouth en
1957a réglétous les litiges pendants et que, tant que cette Conven-
tion n'a pas étédénoncéel,a Compagnie reste liéepar sesdispositions
et que par suite il n'y a pas lieu de saisir la Cour faute de litige
pendant » (p. 72 des Exceptions). OBSERVATIONS DE LA FRANCE (FÉVRIER 1960)
81
Le Gouvernement libanais reprend donc la théorie esquisséepar
le ministre des Travaux publics dans sa lettre du 27 février 1959
(Annexe 62 au Mémoire français), et que le Gouvernement de la
République française avait déjà indiquée et critiquée (Mémoire,

p.22). Le Gouvernement de la République française constate avec
étonnement qu'une argumentation aussi spécieuseest reprise dans
les Exceptions. Cette thèse est fondée sur une présentation erronée
de la doctrine et de la jurisprudence françaises, aussi bien que
des principes généraux reconnus par tous les États en matière de
contrat et sur une méconnaissancc complète des dispositions de
l'accord franco-libanais de 1948.
I" Quels sont en effet les principes du droit administratif fran-

çais - qu'invoque la partie adverse - en la matière? Certaines
collectivités territoriales (départements, communes) peuvent con-
clure des contrats de coiicession de services publics, mais, ponr que
la décision devienne exécutoire, il est indispensable que l'autorité
supérieure de tutelle ait approuvé le contrat de concession. Le Gou-
yernement français citera sur ce point la note mêmede M. Pepy
dont le Gouvernement libanais a présentéun passage page 65 de
ses Exceptions: i<Si l'approbation n'est pas donnée, [la décision]
retombera au néant juridique ...L'acte n'ayant pas d'existence
juridique complète ne peut recevoir son exécution. n
Lorsque nous voulons analyser la situation de la Compagnie du
Port et de 1'Etat libanais en ce qui concerne le projet de contrat de

1gj7, la position des deux parties n'est donc en rien celle qu'indi-
que le Gou\~ernement libanais. L'administration concédante peut
retirer son offre, c'est-à-dire que l'État libanais peut refuser d'ap-
prouver définitivement le contrat qui avait étépréparéet conclu
par les autorités gouvcrncmentales compétentes, sous le bénéfice
de certaines observations sur ce point qui seront faite? plus loin,
sans que ce refus de mettre en vigueur le nouveau contrat ouvre
par lui-même droit à indemnité pour la sociétéconcessionnaire.
Quant à la Compagnie, tant que l'autorité qui doit approuver le
contrat n'a pas statué, une sociétéconcessionnaire ne peut retirer
son offre.C'est en ce sens, mais en ce sens seulement, qu'un conces-
sionnaire est liépar un projet decontrat. La Compagnie ne pourrait
pas revenir sur les propositions qu'elle a faites, mais il est bien

évident que ces propositions demeurent en suspens et qu'elles ne
seront appliquées que dans la mesure où elles seraient acceptées par
leconcéclant.Cette règle,de simple bon sens, n'a jamais étédiscutée
en droit administratif français. (Waline, Traitéde Droit adminis-
tratif, 1957. p. 525: Ll'entrepreneur est engagé dèsle dépôt de son
offre au mépris des règles du droit civil qui permettent de retirer
dans un délai raisonnable une offre ?ton acceptée >il.)La note de
jurisprudence au Dalloz citée par le Gouvernement libanais (Ex-
ceptions, pp. 65-66) n'a pas d'autre portée: le concessionnaire qui

' C'est nous qsoulignonr.

782 OBSERVATIONS DE LA FRANCE (FEVRIER 1960)

a fait des offres qziiont été acceptées1ne peut revenir sur ces offres.
Ilais l'obligation de maintenir l'offre cesse d'êtreopposable à la
Compagnie concessionnaire quand les autorités concédantes ont
pris une attitude incompatible avec l'acceptation de l'offre.

Il faut avouer que tout ceci aide bien peu le Gouvernement li-
banais, qui soutient à la fois qu'il ne reconnaît pas êtreliépar le
contrat de 1957 et qu'il n'entend pas le ratifier d'une part, et que
la Compagnie doit cependant &tre considéréecomme tenue par
cette convention que le Gouvernement libanais lui demande aussi
de dénoncer d'autre part! (dernier paragraphe de la lettre du mi-
nistre libanais des Travaux publics, en date du 27 février 1959,
Annexes au blémoire, no 62). C'est là une position si contradic-
toire et paradoxalc qu'il faut laisser au Gouvernement libanais le
soin de la définir devant la Cour.
Pour l'instant, il suffira de redresser le tableau du droit adminis-
tratif qui a étéprésentédans les Exceptions préliminaires.

En admettant pour un instant que les principes de droit adminis-
tratif cités par le Gouvernement libanais soient applicables à notre
hypothèse, ce qui n'est pas établi par l'adversaire puisqu'il a invo-
quédes décisionset commentaires relatifs à des contrats instituant
une concession et non à des aménagements contractuels à une con-
cession existante, les questions suivantes pourraient se poser:

a) La Compagnie du Port ne pourrait pas, en principe. demander
au Gouvernement libanais une indemnité pour le seul motif de la
non-approbation définitive de la Convention de 1957. La règle
n'est pas absolue, car le Conseil d'État, dans cette affaire Commtme
~'H~Loq su'a cru pouvoir invoquer la Partie adverse, a jugé que,
dans la mesure où l'administration concédante était directement
respons:tblc dii tl<I:int tl'al~l>rol)atiori,Il :ivait niiconiiu ses
obli":itiuii.. 1.tv:uics;ircsi~onsabiliti ,.l.i: vrobliiiie tI:irL.j»on-
sabilitéde l'autorité quidonne le dernier mot pour la mise en vigueur
d'un contrat de concession n'est pas simple, mais il est inutile, à ce
stade de la procbdure, de s'y attarder. Nous ne sommes pas devant
une affaire de responsabilité pour violation d'un contrat mais pour

violation d'un traité.
b) La Compagnie ne peut retirer les offres qu'elle a faites au
mo~nent de la signature de la Convention et ne peut, sauf accord
de l'Administration, les modifier. Dans ces conditions, nous avons
déjà demandé comment le Gouvernement libanais, qui semble
considérer les contrats administratifs comme liant étroitement ses
CO-contractants, a pu demander à la Compagnie de «dénoncer >Ila

Convention de 1957.
C)Tant que la Convention de 1957 n'est pas approuvée par le
Gouvernement libanais après les formalités iiécessaires, elle n'est
incoiitestablemeiit pas exécutoire. Le Gouvernement libanais ne

' C'est nouqui soulignons. peut donc invoquer aucune de ses dispositions à l'encontre de la

Compagnie. Le Conseil d'Etat a fait application de ce principe dans
l'affaire Mouné notamment (Recueil des Arrêts du Conseil d'ztat,
1928, p. 1076).
Mais il n'est Das nécessaire de poursuivre davantage cett- dé-
iiionstrari,iiicl,, (Iruit :,Jiiiiiiiîtr.iti;iiivrt. I'nr~iiiiient;itioiilii
.;-~ ~cri~ ~n~~iil-it~,i~ict)ii~Iiiir:i{Iilc,srLsi11t:itsji-~~~licrs.51l'r,ii
admettait que les clauses d'un contrat de concession non encore
approuvé ont Ic caractère d'une obligation juridique réelle et

Rlient n les sociétésconcessionnaires au sens où le prétend le Gou-
vernement libanais, les administrations concédantes pourraient
exiger, avant l'entrée en vigueur du contrat, que ces sociétés exé-
cutent leurs engagements et ceux-ci seulement, alors que le contrat
peut à tout moment retomber au (néant juridique 11et que, par
conséquent, les obligations corrélatives de 1'Etat ne prendraient
jamais naissance. Ceci est formellement interdit par les règles du

droit administratif qui, en matière de concessions, est fondé essen-
tiellement sur la règle de l'équilibre constant entre les prestations
du concédant et du concessionnaire. Par ailleurs, dans le cas présent,
le Gouvernement français se voit obligéde faire remarquer ce que
seraient les conséquences de la thèselibanaisepour son ressortissant.
L'approbation de la Convention de 1957 pourrait être,volontaire-
ment ou non, indéfiniment retardée et le Gouvernement libanais
pourrait continuer à appliquer les mesures législatives actuelles qui

ne seraient pas compensées par les avantages prévus en contre-
partie par le projet de contrat susvisé;il lui serait loisible de persis-
ter à prétendre qu'aussi bien l'arbitrage, tel que le prévoit la con-
vention de 1925, que l'exercice par le Gouvernement français de la
protection diplomatique, sont impossibles, ala Convention de 1957
ayant définitivement réglétous les litiges pendants 1).
Enfin, le Gouvernement de la République française fera observer
que, si de mai à novembre 1958 le Parlement libanais s'est effective-

ment trouvé dans l'impossibilitéd'approuver la Convention de 1957
(Exceptions, p. 64, il a néanmoins disposéd'une périodede g mois,
avant l'insurrection et surtout de 13 mois depuis où, la question
ayant pris un caractère d'urgence du fait du dépôt de la requête
française il y a près d'un an, il lui était loisible, s'il l'entendait ainsi,
de a régler définitivement 11les litiges pendants entre le Gouverne-
ment et la Compagnie en faisant examiner le projet de loi portant
ratification de Ia Convention par le Parlement libanais.

z" Le Gouvernement de la République française a tenu à dé-
montrer que la théorie du Gouvernement libanais selon laquelle
ICla Compagnie du Port est liée par une Convention qui règle
définitivement tous les litiges pendantsentre elleet le Gouverueinent
libanais » et que a tant que cette Convention n'est pas dénoncée,
la requête du Gouvernement français demeure sans objet 11,ne
pouvait trouver un fondement dans les règlesdu droit administratif. o~se~v~~ioss DE LA FHASCE (FEYRIE1K 960)
84
Er1fait, cette démonstration, destinée à éclairer la Cour sur tous
les points du débat, n'étxit pas nécessaire, car l'argument du Gou-
vernenient libanais est non seulement erroné mais hors du débat.
Le Gouvernement libanais a en effet pris un engagement formel

et direct vis-à-vis du Gouvernenient français par la lettre annexe
no 12 à l'accord de janvier 1948, et les termes de cet engagement
sont précis: (1jzfsqzl'i la mise en application de ces aménageineiits,
les actes, annexes et textes qui régissaient les concessions de ces
sociétésau rer janvier 1944 demet~reronten uigzieztr1'. Le Goiiver-
nement libanais ne prétend pas, et ne saurait prétendre, qiie les
aménagements apportés à la concession du Port par la Convention
de 1957 sont r niis en application IIDonc, aux termes mêniesde
son engagement international pris envers la France, seuls sont ien
vigueur rles actes, anneses et testes qui régissaient lescoiiccssions
au Irr janvier 1944. Le Gouvernement libanais ne saurait donc,

pour écarter la compétence de la Cour, invoquer un contrat qui
n'a pas d'existence juridique et qui, en application de l'accord
franco-libanais de 1948, ne peut en acquérir que par la terminaison
des procédures d'approbation et de mise en application que le
Gouvernement libanais a négligéd'entreprendre et de mener àbien.
En véritéla Cour n'aura mêmepas à rechercher si, en droit interne.
le contrat de 1957 lie le concessionnaire en ce sens qu'il ne peut
retirer ses offres; le différend au fond est dedécider si le Gouver-
nement libanais a manqué ou non à l'obligation qu'il a souscrite

dans l'accord de 1948 de maintenir en l'état la situation de la
Compagnie du Port, jusqu'à l'aménagement de cette situation par
la voie contractuelle. Il suffit de constater que cet aménagement
n'est pas «mis en application npour que le différend apparaisse.
Or cette constatation est évidente aussi bien à la lecture des pièces
produites dans le hlémoire que dans les arguments du Gouverne-
ment libanais. En dire davantage sur cette question serait aborder
le fond mêmedu débat. Ceci suffit pour que la IIeme Exception
soulevée par le Gouvernement libanais soit écartée; prima facie
I'accord de 1948 n'a pas été respecté, il n'y a pas de nouvelle
convention (1mise en application iiet le droit ne peut reconnaitre

des contrats obligatoires pour une Partieet inexistants pour l'autre.

IIImm . xception

Le Gouvernement libanais prétend que le différend relatif aux
taxes municipales dont le versement a été exigéde la Compagnie
du Port ne peut êtresoumis à la Cour parce que la question aurait
uétédéfinitivement tranchée par la juridiction libanaise compé-
tente 11La Compagnie ayant fait opposition le IO décembre 1956

1C'est nousqui soulignons. OBSERVATIOSS DE LA FRAYCE (FÉVRIER 1960)
85
et ayant vu rejeter sa demande par décisionde la Commission du
Municipe de Beyrouth en date du 25 avril 1957, aurct dû, affirme
la Partie adverse, faire appel de cette décision devant le Conseil
d'État libanais dans les dix jours suivant la notification.
Bien qu'il ne s'agisse que d'un aspect particulier de l'Exception

de non-épuisement des recours internes, le Gouvernement libanais
a choisi de le traiter à part. Le Gouvernement de la République
française ne voit pas d'inconvénient à le suivre dans cette voie,
car le litige relatif aux tases municipales mérite une place à part
dans la mesure où les procédésdilatoires employés par le Gouver-
nement libanais pour empêcherla Compagnie de faire valoir ses
droits s'y développent sans ambages.
Deux points sont à noter:
1" Au moment où la Compagnie du Port de Beyrouth a adressé

leIO décembre 1956 une opposition à la Municipalité de Beyrouth,
elle a précisé sonintention de régler ledifférend en cours unique-
ment par des aménagementscontractuels de ses actes concessionnels
ou par la voie de l'arbitrage. Elle écrivait en effet: o A l'effet de
suspendre l'exécution jusqu'à la solution définitive de l'affaire soit
par l'arbitrage' tel que prévu dans les textes concessionnels, soit
par la voie des négociations qui seront entreprises pour le réaména-
gement contractuel de ses actes concessionnels, la Compagnie du
Port versesous toutes réservesla somme de 1oo.000 LL ... (Annexe 3
des Exceptions). La Compagnie du Port, menacée d'une saisie
imminente, prenait donc une mesure provisoire et qui, spécifiait-
elle, n'impliquait pas renonciation au droit à l'arbitrage.
En mêmetemps elle confirmait cette position au Contrôle des

Sociétés concessionnaires en lui écrivant le II décembre 19j6
(Annese 40 du filémoire français) que, faute d'une réponse satis-
faisante de la Municipalité, elle se verrait obligée de recourir à
l'avbitragetel que prévudans les actesconcessionnels '.
2" Le Gouvernement libanais reconnaît formellement que la
décision de la Commission du IMunicipe de Beyrouth fut prise le
25 avril 1957 et que la Compagnie du Port n'en reçut notification
que le 22 mai (Exceptions, p. 67). 11prétend donc que. dans les dix
jours suivant le 22 mni, la Conipagnie du Port aurait dû faire appel

devant le Conseil d'Etat. Ces dates sont importantes, car un fait
capital semble avoir échappéau Gouvernement libanais: le 17 mai,
soit une semaine avant le reçu de la notification (qui elle-même
était datée du ~j), un lJrotocole intitulé aBases d'accord entre
l'État libanais et la Compagnie du Port de Beyrouth relatives à
l'extension du Port et à l'aménagement de la concession >Iétait
signéentre les ministres des Finances et des Travaux publics et les
représentants de la Compagnie (annexe IV aus présentes obser-
vations). Or ce Protocole précisait en son articlj: n En application
de la loi du 26 juillet 1956,la participation del'État aux bénéfices

'C'est nous qusoulignons.86 OBSERVATIONS DE LA FRANCE (FÉVRIER 1960)

sera enclz~sivede fous in~po'tsou faxes d'Êtnt ou municipales »1 et,
en son article 7: e Pour solde de tout compte et en liquidation
définitivede toute réclamation de quelque chef que se soit formulée
par l'État pu la Municipalité vis-à-vis de la Compagnie, celle-ci
paiera à I'Etat, à titre transactionnel, la somme /or/aitairel de
deux riiillions de livr...>I

Ce protocole, intervenu entre le moment où la notification de la
décision de la Comniission du Municipe a étéenvoyée à la Com-
pagnie du Port et le moment où elle l'a reçu, explique pourquoi la
Compagnie du Port n'a pas fait appel. Elle n'avait en effet à
l'époqueaucun motif de soupçonner que le litige n'était pas défini-
tivement réglépar l'accord du 17 mai avec le Gouvernement liba-
nais. Un appel de la part de la Compagnie alors que le litige était
réglédans l'accord eut constitué un procédéincorrect vis-à-vis du
Gouvernement libanais; celui-ci devrait êtrele dernier à en faire
le reproche à la Compagnie puisqu'il soutient que tout accord lie
celle-ci immédiatement. Sila Compagnic avait fait appel, le Gouver-

nement libanais lui aurait fait grief de ndénoncer IIl'accord du
17 mai. Comment peut-on prétendre à la fois que la Compagnie
est tenue par l'accord et lui dire qu'elle aurait dû faire appel?
Au surplus, jnsqu'au jour où ont étéprésentéesles Exceptions,
le Gouvernement libanais n'a jamais prétendu que la décision de
la Commission municipale était définitive et avait force de chose
jugée. La lettre, en date du 19 novembre 1957, du ministre des
Travaux publics àla Présidence du Conseil en témoigne (Annexe 43
du Mémoirefrançais). Enfin la Compagnie du Port demanda for-
mellement l'arbitrage par lettre du 2 janvier 1948 (Annexe 45 du
Mémoire français).
Le Gouvernement de la République française n'a cité ces faits

que pour éclairerpleinement la Cour sur un aspect desinconvénients
qu'a présentée pour la Compagnie l'attitude du Gouvernement
libanais, lequel a toujours fait espérerla solution des litiges par la
voie contractuelle et, de ce fait, a longtemps fait paraître inutile
ou prématurétout recours à la voie arbitrale.
Le Gouvernement de la République française maintient, pour le
litige relatif aux taxes municipales, comme il le fait pour l'ensemble
du différend,que, s'agissant d'un conflit d'Étatà État, néde la non-
application de l'accord de janvier 1948, l'article 23 de cet accord
s'applique. Le raisonnement a déjà étéfait à l'occasion de l'argu-
mentation libanaise sur la deuxième Exception. Le Gouvernement

libanais doit une chose et une seule au Gouvernement français,c'est
de n~aiiiteiiiven l'état le statut du concessionnaire: dans cette affaire
des taxes il a conclu un accord réglant le problème par une somme
forfaitaire, il peut soit refuser d'appliquer cet accord. soit l'appli-
quer. hlais, l'ayant signé, le Gouvernement libanais ne peut, une
fois encore, plaider une chose et son contraire.

'C'estnousqui soulignons. Si In Compagnie ne doit s'acquitter que par le forfait, la décision
de la Commission du Municipe est sans valeur et aucun problème
de recours ne pouvait se poser. Si le Gouvernement libanais déchire
l'accord du 17 mai 1957, nous retrouvons le problème de fond qui
est l'atteinte portée à l'engagement vis-à-vis du Gouvernement de
la République française dans l'accord de 1948de procéder àdesamé-
nagements contractuels et de tenir les choses en l'état jusqu'à

l'applicnlion de ces aménagements.

IV'moException

Le Gouvernement libanais invoque la règle de l'épuisement
préalable des recours internes et prétend que la demande du Gou-
vernement français est irrecevable parce que prématurée.
Si nous avons bien saisi le raisonnement du Gouvernement liba-
nais, à la suite des constants refus d'arbitrage de sa part, aussi bien
la Compagnie du Port que la Société Radio-Orient auraient dû

épuiser udes recours internes quel'on nons ditexistants et efficaces
en la matière. Ainsi, la Compagnie du Port, n'ayant pu obtenir
l'arbitrage, aurait dû attraire 1'Etat libanais devant un Tribunal
civil en application des articles 825 et 826 du Code de procédure
civile libanais. Au cas où la Cour ne le suivrait pas sur ce terrain, le
Gouvernement libanais émet une seconde hypothèse: la Compagnie
du Port aurait dû saisir lesa juridictions libanaises1et leur deman-
der une r réparation pour les dommages qu'elle a subis du fait de
la loi du 26 juillet 1956n. Il n'est pas précisési cesa juridictions»
auxquelles la Compagnie aurait pu faire appcl sont les tribunaux
administratifs - seconde des voies de recours entre lesquelles la

Compagnie pouvait opter aux termes dc l'article 7 de la Con-
vention de 1925 - OU les tribunaux civils dont on nous dit qu'ils
pouvaient connaître de la constitutionnalité des lois. Quant à la
SociétéRadio-Orient, elle devrait attendre la décision du Conseil
d'État qu'elle a saisi en décembre 1957. Sans qu'il soit nécessaire
de discuter les principes générauxd'une question qu'il a déjà eu
l'honneur de plaider devant la Cour, le Gouvernement de la Répu-
blique française voudrait montrer que la Partie adverse ne présente
pas le problème comme il se pose, et que, si l'on considère les textes
sur lesquels est fondé le différend, son argumentation tombe.

I" Le Gouvernement libanais semble oublier que le différend
~ytuellcrnent soumis à la Cour est né directement entre les deux
btats du fait de la non-application de certaines dispositions de
l'accord franco-libanais de janvier 1948.
Par la lettre annexe no 12, le Gouvernement libanais s'était
engagé envers le Gouvernement de la République française à
respecter une certaine procédure dans ses rapports avec les sociétés
concessionnaires françaises. Aucun changement ne devait être88 OBSERVATIOSS DE LA FRANCE (FÉVRIER 1960)

apporté à In situation de ces sociétés,si ce n'est après la mise en
application d'aménagements contractuels éventuels. Les sociétés
devaient jiisqu'à ce moment demeurer soumises au régime qui leur
était appliqué antérieurement. Il suffit d'examiner les faits pour
constater que, quelle que soit l'étendue du préjudice subi par les
sociétés du fait de L'application de la loi de 1956, et que celle-ci
rompe on non gravement l'équilibre contractuel (points que le
Gouvernement de la République française a traités dans son 3Ié-
moire), le Gouvernement libanais a manqué aux engagements pris
envers le Gouvernement français du jour où il a décidé,sans que

les sociétésy aient souscrit, de supprimer une exonération prévue
dans les textes concessionnels. Et c'est cette violation précised'un
engagement international que le Gouvernement de la République
française deniande à la Cour de sanctionner. IIfaut en effet se rap-
peler que, par l'accord de janvier 1948, la France, désireused'aider
le Liban, vis-à-vis duquel elle avait assumé des responsabilités
définiesen vertu du Mandat de la Sociétédes Xations, a consenti
d'assez lourds sacrifices. Le respect des intérèts des sociétésfran-
çaises ou à capital françaisétait une contrepartie, faible peut-ètre
mais essentielle à ses yeux.
L'ensemble des dispositions de l'accord de 1948 et de ses annexes
est garanti par l'article 23 qui donne compétence àla Cour. Rappe-

lons-en les termes: aLes Hautes Parties contractaiites conviennent
que les différends que pourrait soulever l'application du présent
accord ou de ses annexes seront, àla requète de la partie intéressée,
soumis à l'arbitrage de la Haute Cour de Justice internationale. 11
Cette clause attribue donc directement compétence à la Cour
pour tout différend concernant l'application de l'accord de 1948,
sans que soit poséeaucune condition préalable. C'est à l'État in-
téresséet à lui seul que le recours est ouvert lorsqu'un différend
s'est produit. C'est bien ajnsi que le Gouvernement libanais l'a
entendu dans I'affaire de 1'Electricitéde Beyroz~th,souniiseàla Cour
par requête du 14 août 1gj3. La situation des Parties et l'accord
invoqué pour justifier la compétence de la Cour étaient les mêmes;
or le Gouvernement libanais n'a jamais contesté la compétence

directe de la Cour, ainsi qu'il apparaît de la correspondance (Mé-
naoires, Plaidoiries, Doctl~ze>tts,notamment lettre de l'agent du
Gouvernement libanais en date du 29 mars 1954, p. 533).
Or il apparaît dans la pratique internationale que, si un accord
contient une clause compromissoire, les arbitres, pour juger de leur
propre compétence, se fondent sur les termes mêmesde la clause.
Ils ne subordonnent pas leur compétence à des conditions qui
n'avaient pas étéexplicitement prévues par les parties à l'accord.
Ainsi, dans l'affaireMuvrommatis (Arrêtno 2). la Cour permanente
a recherché si les négociations diplomatiques préalables avaient eu
lieu, mais ceci uniquement parce que l'article 26 duMandat pour
la Palestine prévoyait expressément qu'elles &aient la condition
de la cornpetence de la Cour. Dans I'affaire relative à Cerlnins OBSERV.~TIONS DE LA FRANCE (FÉYRIER 1960) 89

iiitéréallemands etc Haute-Silésiefiolonnise,la Cour permanente a
argué du silence de l'article3 de la Convention germano-polonaise
du 15 mai 1922, dont elle tenait sa compétence, pour repousser toute
condition préalable de négociation ou d'épuisement des recours
internes. L'arbitrehl. Osten Unclen a tiré la méme conclusion du
silence de l'article81 du Traitéde Neuilly dans le différendgréco-
bulgare relatif aux Forêtsdu Rhodope central. Lorsqu'une clause
compromissoire est clai,rement rédigée pour ouvrir un recours
immédiat et direct à un Etat et qu'elle ne contient aucune condition
concernant l'épuisement des recours internes, l'État qui a accepté
ce recours à l'arbitrage ne peut invoquer cette exception. Tel est
bien le cas de l'article23 de l'accord franco-libanais de 1948 qui
donne à la Cour compiitence immédiate pour tout différend relatif
à l'application de l'accord.
Ainsi qu'il a étédit plus haut, il est évident que le différend ac-
tuellement soumis à la Cour et fondé sur l'application de I'accord
franco-libanais de1948 est un différendd'État à État. En opposant
à la compétence de la Cour l'exception de non-épuisement des
recours internes, le Gouvernement libanais méconnaît la nature au

fond de l'obligation qu'il a assumée par l'accord de janvier 1948.
II ne s'agit pas du litige entre la Compagnie et le Gouvernement
libanais mais du différend entre les deux Etats. Le Gouvernement
français n'exerce pas la protection diplomatique de son ressortissant
dans les conditions classiques du droit international. Il revendique
son propre droit, qui lui a étéattribué par un accord particulier,
I'accord franco-libanais de janvier 1948, accord qui est directement
atteint par l'attitude du Gouvernement libanais. Or de mème que
cette atteinte est directe, le droit au juge est direct. Le même
accoid l'a ouvert sans restrictions. Ce serait limiter l'accord que
d'obliger l'État à passer par les recours de ses ressortissants. Ce
serait une confusion entre les litiges. Les engagements pris par le
Gouvernement libanais l'ont étéenvers le Gouvernement français,
et non envers les sociétés concessionnaires françaises. Il se trouve
qu'en violant les dispositions de la lettre annexeo 12, le Gouverne-
ment libanais a porté atteinte aux intérêtsde nationaux français.
Mêmes'il était loisible de soutenir que ceux-ci auraient pu, sur le
plan interne, obtenir réparation et auraient été dece fait tenus
d'épuiser les recours locaux - point qui sera examiné plus loin-,
il n'en resterait pas moins que le Gouvernement libanais a engagé

directement sa responsabilité vis-à-vis du Gouvernement français,
en usant d'une procédure absolument proscrite par I'accord de 1948,
et que cette violation d'un engagement conventionnel international
ne peut êtresanctionnée par aucun tribunal interne. Le Gouverne-
ment libanais ne peut prétendre que le Gouvernement français
aurait dû s'adresser à une juridiction libanaise pour faire recon-
naître son droit! Seule la Cour est compétente pour ce faire, ettel
fut le but de l'article3 de I'accord de1948. Il est bien évident que
si le Gouvernement libanais avait violé par exemple I'article 8, 90 OBSERVATIOSS DE LA FRANCE (FÉVRIER 1960)

paragraphe 4, de l'accord relatif à la créance du Gouvernement
français sur le Gouvernement libanais pour la cession du poste de
radiodiffusion de Beyrouth, la compétence de la Cour n'aurait pu
être contestée au nom de la règle de l'épuisement des recours
internes. Le Gouvernement français ne voit donc pas comment
une réclamation qui lui est propre, et qui est fondée sur une viola-
tion précise d'engagements pris envers lui, devrait être différée

dans l'attente d'une décisionéventuelle des tribunaux Libanais qui
n'ont pas compétence pour en juger. Un État qui peut invoquer un
traité attribuant compétence à la Cour dans une affaire où un en-
gagement direct envers lui a étéviolé ii'a pasà remettre sa cause à
ses ressortissants pour qu'ils plaident pour lui devant un juge
étranger. Le Gouvernement français demande donc à la Cour de
rejeter l'exception du Gouvernement libanais parce que, dans le
différendactuel, il n'y a pas pour le Gouvernement de la République
française de recours internes à épuiser.

2" Cette exception doit êtrerejetée pour une deuxième raison
contingente & l'espèce. Le Gouvernem-nt libanais reconnaît (Ex-
ceptions, p. 68) que l'exception relative à l'épuisement des recours
internes ne peut êtreinvoquée au cas r où les parties ont convenu
d'écarter la rigle1).
En admettant pour un instant la thèse libanaise où l'article 23

de l'accord de 1948 n'aurait pas donné compétence directe à la
Cour et où 1'Etat français ne pourrait agir que dans l'exercice du
droit de défendre ses nationaux, sans qu'une atteinte directe ait
étéportée à ses droits propres, il demeure que, en signant l'accord
de janvier 1948, le Gouvernement libanais a, par avance, renoncé à
invoquer la règle de l'épuisement des recours internes en ce qui
concerne la Compagnie du Port comme toute autre société conces-
sionilaire française au Liban.
Ainsi qu'il a été dit plus haut, en application de la lettre-annexe
no 12, aucun aménagement contractuel n'ayant étémis en appli-
cation. les actes, annexes et textes qui régissaient les concessions au

ler janvier 1944 sont seuls en vigueur. Est donc notamment appli-
cable l'article 7 de la Convention de 1925 dont le Gouvernement de
la Répiiblique française doit iine fois de plus rappeler le texte:
ILes contestations qui s'élèveraiententre la Compagniedu Port
de Reyroiith et l'administration au sujet de l'exécutionet l'inter-
prétation des clauses des actes concessionnels de la Compagnie
seront portéesdevant les juridictionsadininistratives compétentes,
à s~zoilzque la Com$ag?tieco~zcessioitnairn'xse dt~droit qn'ellese
réserve.toz~tefois,de soüniettrele difireàdune Commissioizd'arbi-
trage'composée detrois arbitres nommés l'un par leGouvernement,
l'autre par le concessionnaireet le troisièmear les deux,premiers
ou à défaut d'entente par le vice-présidentdu Conseild'Etat de la
liépiibliqiiefrançaisea

' C'estnousqui soulignons. OBsERVATIONS DE LA FRANCE (FEYRIER 1960) 9'

La validité de la clause compromissoire contenue dans l'article 7
de la Convention de 1925 n'a jamais étécontestée par le Gouverne-
ment libanais - pas mêmedans les Exceptions qu'il oppose à la
compétence de la Cour (cf. pp. 62-63). Cette clause a étéreprise,
avec une légèremodification (personnalité qui désigne le troisième
arbitre), à l'article 18du projet de Convention de 19j7 (Annexes
du Mémoire français, no 16).
Or quelle est la portée de l'article 7 de la Convention de 1yz5?
Ici, comme dans l'affaire Losinger, qui fut soumise :Lla Cour per-
manente en 1936, un Etat a conclu avec une sociétéconcessionnaire

étrangère un contrat en vue de la réalisation de travaux publics
importants. La sociétéLosinger avait fait inscrire dans son contrat
l'arbitrage obligatoire; la Compagnie du Port, elle. s'est réservéle
droit d'opter entre la procédure judiciaire et la procédure arbitrale.
Le Gouvernement libanais a accepté,et semble continuer d'accepter
le texte de 1925, donc le principe de cette option. II est, dans ces
conditions, curieux de voir que, parce que la Compagnie a demandé
l'arbitrage auquel elle a un droit incontesté. le Gouvernement li-
banais prétend (Exceptions, p. 58) que, ccau lieu de suivre lesvoies de
recours mises à sa disposition par Ic droit interne libanais, la Com-
pagnie du Port préféra,selon son habitude, refuser de se soumettre
à la loin. La Cour appréciera cette curieuse façon [le juger une so-
ciétéqui ne faisait qu'user de droits que lui avait précisémentre-
connus le Gouvernement libanais.
La Compagnie s'était réservé le droit de soumettre à l'arbitrage

certains différends de son choix. II n'y avait pas là une mesure dc
mefiailce à l'égard des juridictions libanaises. Mais la Compagnie
pouvait, par la voie de l'arbitrage, obtenir une décisionrapide et
parfaitement impartiale, puisque la commission arbitrale devait
êtrecomvosée de uersonnalités choisies selon toutes les gara-ties
possibles.
La possibilité tic l'arbitrage, courante en matière de travaux
imvortants. était un des élémentsde base du contrat. elle avait été
acc'eptéepar l'État libanais et elle l'est encore aujouid'hui.
Si la Compagnie optait pour la voie de l'arbitrage, en vertu du
droit rappeléci-dessus, le résultat decette option était de soustraire
définitivement à toutes les instances libanaises le différend pour
lequel l'option était faite. En lui reconnaissant le droit à cette
option, le Gouvernement libanais a renoncépar avance à exiger que
la Compagnie s'adresse à ses tribunaux. Sinon il n'y a pas option,
il n'y a pas droit eréservé 1)à la Compagnie puisrlu'on aboutirait

toujours aux tribunaux libanais. Toute interprktation qui rend
iiiutilc ou absurde une disposition de convention est insoutenable.
Ainsi que le disait JI. Saiiser-Hall, agent du Gouvernement suisse
dans l'affaire Lositcger(C.P. J. I., SériC,no78, p. 269). ccil est de la
nature ... de toute clause compromissoire de soustraire un litige à
la compétence des Tribunaux ordiriairt:~; sinon ...la fixation dc la
clause compromissoire ne se comprendrait pas IIDès lors que la OBSERVATIONS DE LA FRANCE (F&\'RIER 1960)
g2
Compagnie du Port a, mêmeune seule fois, demandé I'arbitrage
sur un différend quelconque, elle a rempli les conditions nécessaires
pour que la règle de l'épuisement des recours internes ne puisse lui
êtreopposée. Or le Gouvernement de la République française n'a
pas besoin dc rappeler combien de fois la Compagnie a demandé
l'arbitrage dans l'affaire piésente (cf. pp. 29, 30, 31 du Mémoire

français). 11est donc certain que, de son côté,la Compagnie a rempli
toutes les conditions nécessaires pour que, en exécution des dispo-
sitions de l'accord de 1948 et de ses annexes, l'affaire puisse être
portée devant la Cour.
Le Gouvernement libanais a évoqué, ccrtes, la possibilité d'un
recours devant Ic Tribunal civil contre les signataires d'une clause
compromissoire qui se refuseraient à allerà I'arbitrage. Cette allé-
gation appelle de la part du Gouvernement de la République fran-
çaise les observationssuivantes. En premier lieu, ce recours possible
aux tribunaux civils libanais ne vise, d'une façon bien évidente, que
les contrats civils et non les contrats administratifs qui, sauf clause
contraire, sont au Liban comme en France de la compétence des
tribunaux administratifs. La Compagnie du Port n'avait donc pas

à adopter cette curieuse procédure qui, à suivre le conseil donné
dans les Exceptions préliminaires, ne l'aurait menée qu'à une
décisiond'incompétence du tribunal civil saisi.
hlais surtout il faut répéter que,la Compagnie ayant choisi la voie
de l'arbitrage, le différend ne pouvait à aucun moment ni sous
aucun prétexte êtreenlevé à I'arbitrage, par contrainte,pour être
soumis aux tribunaux de droit commun. La question n'est donc
pas de savoir si, en théorie, il est possible en droit interne libanais
d'obliger par décision judiciaire l'État signataire d'une clause
compromissoire à allerà I'arbitrage contre son gré. Néanmoins,afin
d'éclairer la Cour sur la valeur dans le droit libanais lui-inêrnede
certains des arguments présentésdans les Exceptions, le Gouverne-

iiient de la liépublique française fait remarquer que les articles 8zj
et 826 du Code de procédure civile libanais (invoqués p. 69 des
Exceptions) ne peuvent pas être appliqués à un différend avec
l'État vis-à-vis duquel le Tribunal civil est incompéteiit.
En effet, d'après l'article 21 du Code de procédure civile, le
Tribunal civil a la plénitude de juridiction sauf dans les cas réservés
par la loià la compétence administrative. Or, d'après la législation
sur la compétence administrative, toutes les affaires relativesux
conventions de concessiou de services publics sont attribuées au
Conseil d'État et non au Tribunal civil. Voici ce que disent à ce
sujet les articles 50 et jr du Décret législatif no119 du rz juillet

7959:
-Article jo -.
«Le Conseild'Etat est le Tribunal de droit commun en matière
administrative et le juge d'appel ou de cassation dans les affaires
administratives pour lesquelles la loi a prévu une juridiction
spéciale.» -Article 51 -
iiLe Conseild'État connaît en particulier:

I. - Desdemandesen indemnitésformées a raisondes dommages
causes par lestravaux publics oiipar l'exécutiondesservicespiiblics.
2. 1)ii Cuiitciiliciis ndminiitrntif aynt trnir niis coiirrat.
n~~irc:l.;n,cIiuclit::ti~.s-~,,JICC,.<SCI,,I.~~!<~I./IIIIJII~~~, ~.\\~;~
par les adm;nistrations pnbliqiresen vue d'assz~rerle fonction~emerit
des services$ublics'.
3. -Du Contentieux des contributions directes.
4. -Du Contentieus des imp6ts indirects, par dkrogation ailx
tcxtes spéciaus antérieurs.
j.-Du Coiitcntieus des traitements et pensionsde retraite des
fonctionnaires.

6.- DuContcntieuxde I'occiipationdesbiens-fondsdomaniaux.
Donc, contrairement aux affirmations du Gouvernement li-
banais, la Compagnie du Port ne pouvait pas se baser sur les articles
825 et 826 du Code de procédure civile pour contraindre l'État
libanais à conclure un compromis d'arbitrage, et son exception de

non-épuisement des voies de recours internes tomberait de ce chef,
s'il en était besoin.
b) Le recours à l'arbitrage, dont la Compagnie s'était vu réserver
la possibilité, avait pour effet, ainsi qu'il a étédit plus haut, de
soustraire le différenden cours à la juridiction des tribunaux inter-
nes libanais. Ceserait une modification des droits contractuels de la
Compagnie de prétendre que, par le biais d'une action pour non-
exécution de la clause compromissoire, les tribunaux libanais pou-

vaient connaître de diffhrends que la Compagnie avait entendu ne
pas leur soumettre. Une telle prétcntion du Gouvernement libarlais
est, encore une fois, une violation de l'accord de janvier 1948
portant engagement vis-à-vis du Gouvernement français de mainte-
nir le statut des concessionnaires.
Enfin le, Gouvcrnernent de la République française rappellera
qu'aucun Etat ne peut exciper du fait que les recours internes n'ont
pas étéépuiséslorsque lui-même, en violation de ses obligations
conventionnelles, a empêché que les droits de l'étranger qui s'estime
lésésoient poursuivis devant la juridiction qui lui est ouverte. La

Cour permanente, dans son Arrêtno g (SérieA, p. 31), a déclaré:
«C'est du reste uii principe généralement reconnu par la jurispru-
dence internationale, aussi bien que par les juridictions nationales.
qu'une partie ne saurait opposer à l'autre le fait de ne pas avoir
rempli une obligation oz^de ne $as s'étveservie d'unmoyen derecours ',
si la première, par un acte contraire au droit, a empêché la seconde
de remplir l'obligation en question, ozrd'auoir rero~~rsà la jzbridictioii
qiii lzri étaitotivertel1)
Le Gouvernement libanais a empêchéla Compagnie du Port
d'aller devant les arbitres.

' C'estnous quisoulignons. 94 OBSEWVATIOSS DE LA FRANCE (FÉVRIER 1960)
3" Pour ne pas laisser sans réponse une affirmation qui a été

faite par le Gouvernement libanais, le Gouvernement de la Répu-
blique française doit ajouter qu'il ne pense pas que le recours aux
tribunaux libanais eût étéefficace. Si, en raison des données du
différend,la Cour permanente a estimé qu'il fallait que lui soit
démontréeI'incon~pétcncedes tribunaux lithuaniens dans l'affaire
du Chemin de fer Palzevezys-Saldutisltis,l'arbitrage Anzbatielos, cité
par la Partie adverse, porte (p. 27 du texte publié à Londres):

cPour soutenir av- succèsque la procédureinternationale ne
peut étreentamée.l'Ela1défendeurdoit prmcverl'existencedans son
système de droit iizlernede recoursgui n'ont pas été employés 1. Les
vues expriméespar les auteurs et les précédents judiciaires cepen-
dant coïncident cn cc que l'existencede recours qui sont clairement
inefficacesn'est pas tenue comme suffisante pour justifier i'applica-
tion de la règle.Des recozirsqt&i,fpourraientpas rétablirla situatioii
ne pezlvefztétreinuoqtiéspar I'Etat détendeur' comme excluant une
action internationale. r

C'est donc bien nu Gouvernement libanais, contrairement à ce
qu'il affirme à la page 69 des Exceptions, de r<démontrer que son
ofganisation judiciaire offre aux intéressésles garanties voulues ID,
c est-à-dire les voies locales de recours efficaces et suffisantes.
Le Gouvernement libanais a entendu montrer, et a montré, que
« la jurisprudence libanaise admet le principe de la responsabilité
de la puissance publique du fait du législateur »(Exceptions, p. 70).
en ce sens que les tribunaux libanais peuvent se prononcer sur la
constitutionnalité des lois (Annexe no 4 des Exceptions). Le Gou-

vernement de la République française ne désirepas contester l'exis-
tence au Liban d'un contrôle de la coiistitiitionnalité des lois, cette
question n'ayant aucun rapport avec le problème posé à la Cour.
Le Gouvernement de la République française ne plaide pas que la
loi de 19j6 était inconstitutionnelle mais que son application à
certaines sociétésfrançaises est,dans les conditions où elle est inter-
venue, une violation d'un engagement international pris envers lui
par le Gouvernement libanais. Les tribunaux libanais sont-ils
habilités à examiner la conformité des lois avec le droit internatio-

nal? Lc Gouvernenieiit libanais ne l'a ni démontré,ni même pré-
tendu. Le Gouvernement de la République française croit savoir,
s:iiif :i<liriiniitr;itiun 1:iprciivc sùiitr:iire. qu'en ;itliiicttanIIII~
les tribiiiiniix lib;(ii:iisi)iiis...iit,~~-l~sudisnositiu~~i~l'iin tr.,ité.
ils n'en sauraient donner l'interprétation. celle-ci étniit sur le plan
interne du domaiiic du Gouvernement. Reprenons alors l'analyse
des choses telles qu'elles se passeraient.

a) Si une des sociétésconcessionnaires françaises en cause se
présente devant un tribunal libanais, plusieurs possibilités lui sont
ouvertes. Elle peut d'abord invoquer ses actes concessionnels pour
écarter l'application de la loi de 1gj6: son action sera alors évidem-

' C'estnousqui soulipnonç. OBSERVATIO~S DE LA FRAXCE (FÉVRIER 1960) 95
ment vaine puisque cette loi, seule applicable en la matière sur le
plan interne, supprime exl~ressémentl'exonération d'impôts dont

bénéficiaient «toutes les sociétésqui étaient exemptées de ces
impôts et taxes en vertu d'accords entérinés par des lois spécialesu.
11faudrait, pour que le recours interne soit efficace,que la Société
en cause puisse faire valoir que sa soumission à la loi du 26 juillet
1956 est contraire à l'accord franco-libanais de 1948. Le tribunal
devra se demander alors le sens exact de la lettre annexe no 12.
Il n'est pas douteux que le Gouvernement, consulté, lui répondra
selon le sens indiqué aux pages 60-62 des Exceptions, qui ne laisse
bien évidemment aucune chance de succès aux sociétésfrançaises
viséespar la loi. 11ne serait en effet pas plausible que, dans le but

de faire admettre sa première Exception, le Gouvernement libanais
donne à la Cour une interprétation de l'accord différente de celle
qu'il fourniraità ses propres tribunaux. Le Gouvernement français
s'étonne du reste de voir le Gouvernement libanais invoquer sansla
combattre l'interprétation avancée par son ministre de la Justice
en faveurde la thèse française, alors que l'interprétation contraire
est soutenue g pages auparavant (pp. 61-62 et 69-70). De toutes
manières, il est clair que les tribunaux libanais ne peuvent redresser
l'action internationale du Gouvernement libanais en ce qui concer-
ne l'exécution d'une obligation internationale de cette nature.

b) II est certain en effet que, s'agissant d'une violation du droit
international mais non du droit interne, la doctrine comme la juris-
prudence concordent à écarter la règle de I'épuisement des recours
internes. M. J. E. S. Farvcett a écrit: nLorsque l'acte attaqué
constitue une atteinte an droit international, mais non au droit

interne, la règle de l'épuisement des recours internes doit être,par
hypothèse, entièrement écartée (puisque, si la loi interne n'est pas
violée, ilne peut y avoir de remèdes internes) 1(cf. The exhaustion
of local remedies, dans The British Yearbook o/ International Law,
1954, p. 455). Ici la cause du différend setrouve dans la conduite du
Gouvernement libanais vis-à-vis d'un traité, et la violation du
droit international est directement imputable à l'État. La Cour
permanente, examinant dans son Arrêtno S l'exception d'incompé-
tence de la Pologne, a déclaré: CIII convient de constater avant tout
que la compétence éventuelle des Tribunaux polonais n'entre pas en

ligne de compte. L'acte du Gouvernement polonais, que la Cour a
jugé nonconforme à la Convention de Genève, était en effet l'appli-
cation des articles 2 et 5 de la loi polonaisei>(p. 26 de l'arrèt). La
Cour a donc écartéla règlede l'épuisement desrecours internes com-
me n'entrant pas en ligne de compte parce que l'acte dommageable,
contraire au droit international, était confornie au droit interne et
qu'un recours au juge interne eût étévoué à l'échec.

c) Pour constater que le Gouvernement libanais partage au
fond notre opinion sur l'inefficacitéde ses propres recours internes
dans l'affaire présente, il suffit de se reporter aux pages 62 et 70 des96 OBSER~ATIO~S DE LA FRANCE (F~VRIER 1960)
Exceptions préliminaires. Un recours, pour êtreefficace, doit pou-
voir aboutir au rétablisseiiteidzela silzintioiz'Le délitinternational

commis par le Gouvernement libanais est d'avoir, sans que soient
intervenus des aménagements contractuels, décidéd'appliquer aux
sociétésconcessionnaires françaises la loi de 1956. Pour que le
recours devant les tribunaux libanais puisse être réputéefficace, il
faudrait que l'un d'entre eux soit habilite à décider que le Gouver-
nement libanais a mal appliqué l'accord de 1948 et que, dans ces
conditions, la loi de1956 ne s'appliquera pas aux sociétésfrançaises
en cause, tant que des aménagements contractuels n'auront pas été
établis. Quelle est donc la décisionque, selon le Gouverncment liba-
nais. peuvent prendre les tribunaux libanais? A la page 62 des Ex-

ceptions il indique: IIles actes concessionnels demeurent en vigueur
et rendent possible, le cas échéant,aux sociétésintéresséesde récla-
mer une indemnisation B.A la page 70: « La Compagnie du Port
aurait pu ainsi saisir les juridictions libanaises et réclamer, le cas
échéant,réparation pour les dommages qu'elle a subis du fait de la
loi de juillet 1gj6.» Ainsi, de l'aveu mêmedu Gouvernement liba-
nais, les tribunaux internes pouvaient accorder aux sociétésune
indcrnnisation mais non rétablir la situation cn suspcndant l'ap-
plication de la loi et en obligeant l'État libanais à négocier. Or
seule unc telle mesure aurait été le Iredressement de la situation

telle que l'État françaisen a stipulé le maintien. En dchors decette
décision impossible pour un tribunal libanais, les sociétésauraient
étéobligéesd'introduire une nouvelle instance à chaque réception
d'un avis d'imposition. A moins que le Gouvernement libanais
n'entende, en parlant des dommages r qu'ont ,isubis les sociétésdu
fait de la loi de 1956, qu'à partir d'une certaine date, qui serait à
fixer d'une façon plus précise, il a lui-même décidé de suspendre
définitivement l'application de la loi aux compagnies en cause?
Bien que les faits infirment cette hypothèse, le Gouvernement de
la République française accueillirait avec intérêtune déclaration

du Gouvernement libanais sur ce point.

Vbme Exception

C'est avec une profonde surprise que le Gouvernement de la Ré-

publique françaisc lit dans les Exceptions préliminaires du Gouver-
nement libanais qu'il a rméconnu la règle des négociations diplo-
matiques préalables il.Lc Gouvernenient de la République française
doit faire une rapide mise au poiiità cc sujet en rappelant tout d'a-
bord la manière dont a procédéle Gouvernement libanais envers la
Compagnie du Port comme envers lui-même. Il montrera ensuite
que les négociations nécessairesont eu lieu.

' C'est nousqui soulignons. OBSERVATIONS DE LA FRANCE (FÉVRIER 1960) 97

1" Lorsque fut signéen 1948 l'accord monétaire franco-libanais,
le Gouvernement de la République française a obtenu que soit
inscrit dans les textes conventionnels l'engagement du Gouverne-
ment libanais de ne pas modifier autrement que par la voie con-
tractuelle la situation des sociétés concessionnaires françaises. La
lettre annexe no 12 ouvrait deux voies au Gouvernement libanais.
11pouvait ou bien respecter les actes, annexes et textes qui régis-
saient les sociétésconcessionnaires françaises au lerjanvier 1944,
ou bien entrer en négociations avec les sociétéspour modifier les
contratsde concession, s'il estimait que ceux-ci ne répondaient plus
aux besoins du service. C'est cette seconde voie qu'a choisie le
Gouvernement libanais en ce qui concerne la Compagnie du Port.
Les négociations ont eu lieu et le Gouvernement de la République
française a ététenu informédecette application de l'accord de 1948
par l'intermédiaire de l'Ambassade de France à Beyrouth. Un Pro-

tocole d'accord fut signé le17 mai 1957 (Annexe IV); le Gouverne-
ment de la République française en a pris acte par l'échange de
lettres du 22 juillet-5 aoùt1957 (Annexe V), puis vint la Convention
du 5 août 1957. L'assemblée généraleextraordinaire des action-
naires de la Compagnie du Port approuva la Convention le IO oc-
tobre 1957, alors que le Gouvernement libanais avait fait déposer
sur le bureau de la Chambre un projet de loi autorisant la ratifica-
tion. Le Gouvernement de la République française, après ce geste
du Gouvernement libanais, n'avait plus à intervenir auprès de lui
puisque, d'une part, le Gouvernement libanais s'était engagédans
des négociations avec la Compagnie qui avaient abouti, et que,
d'autre part, les démarches à accomplir encore pour que les amé-
nag-ments contractuels soient mis en v-aueur lui étaient présen-
t&:s soninit! de slniplcs f<,r1il:,li1.c(;~>II\,~IIIUII~li.bl~i~iJ en-
trf:t(.llI':~ttetltJr lilritlllication il<.la Cbii\.t!nlion I,-,..(.ui
aurait réglétous les litiges, pendant deux ans, répondant par des
apaisements sur la proximité de cette ratification tant aux démar-
ches diplomatiques du Gouvernement de la République française
qu'aux demandes d'arbitrage de la Compagnie du Port. Le Gouver-
nement de la République française a dit dans le Mémoire(p. 23) qu'il

ne faisait pasgrief au Gouvernement libanais de ne pas avoir réalisé
l'aménagement contractuel des actes concessionnels, puisqu'il
s'agissait d'une faculté réservéepar le Traité de 1948. Rlais il a ob-
servé,et il maintient que, s'étant engagédans la voie des aménage-
ments, et en retardant indéfiniment la réalisation sans prendre àce
sujet une attitude claire, le Gouvernement libanais a pris une attitu-
de contraire aux engagements acceptés dans l'accord de 194%.Et,
en ce qui concerne les négociationsdiplomatiques, sur quoi auraient-
elles pu porter, ce qui fut le cas, sinon sur la nécessitéde ratifier
la convention nouvelle au plus tôt?

2" En effet, malgré les allégations du Gouvernement libanais,
des démarchesdiplomatiques ont étéfaites à plusieurs reprises, tant
8g8 OBSERVATIOSS DE LA FRASCE (FÉVRIER 1960)

en 1958 qu'en 1959, par l'ambassadeur de France au Liban sur
instruction du ministère des Affaires étrangères. Le Gouvernement
de la République française s'inquiétait en effet de la lenteur appor-
téeà la ratification de la convention de 1957 et il s'élevaitcontre la
prétention du Gouvernement libanais d'appliquer aux sociétés con-
cessionnaires françaises la loi de juillet56 Ainsi le18 avril 1958,
l'ambassadeur de France s'est rendu auprès du Président Chamouii
et lui a exprimé les inquiétudes du Gouvcrncment français devant
l'absence de ratification, après un an, de la convention de 1957
qui aurait mis fin à tous les litiges pendants entre le Gouvernement

libanais et la Compagnie du Port. L'ambassadeur a mis en garde le
Gouvernement libanais à la fois contre les inconvénients pour le
Liban de ce retard apporté au développement du port (et dont
semblaient êtreresponsables certains ministres qui soulevaient des
objections à l'intérieur mêmedu Cabinet) et contre les conséquences
que le Gouvernement de la République française pourrait se trouver
contraint de tirer de l'attitude du Gouvernement libanais. Cette
démarche ne demeura pas isoléeet. de façon régulière, leretard de
la ratification de la Convention de1957 fit l'objet des conversations
diplomatiques à Beyrouth. D'autre part. le Gouvernement libanais
n'a pu oublier que, au moment d'entamer les négociations en vue
de la reconduction de l'accord de 1948. le Gouvernement de la
République française réclama à nouveau des assurances formelles
pour le respect des droits des sociétés concessionnaires. C'estseule-

ment après que le Gouvernement libanais ait pris cet engagement à
son égard que les négociations commencèrent.
Enfin, avant de déposer la requête introductive d'instance, un
entretien décisifeut lieu, l31 janvier 1959, entre l'Ambassade et le
Gouvernement libanais. M. Kerame. Président du Conseil, indiqua
à notre représentant B qu'il considérait que la loi de 1956 était
applicable aux sociétés concessionnaires 1)Un télégrammede l'Am-
bassade du 2 février1959 rend compte de cette conversation en ces
termes: aRelisant la consultation du 19mars 1957 de M.Emile Tyan,
le Président du Conseil a soulignéla phrase iiLa jurisprudence de la
Cour internationale de Justice incline à donner la préférenceaux
traités internationaux n. Il en tire la conclusion que le problème est
très débattu. Il a ajouté que le ministre des Finances de l'époque
n'avait pas étéconvaincu par l'analyse de M.Tyan et que toutefois

d'autres juristes avaient conclu que la loi de1956 devait êtreappli-
quéeaux sociétés concessionnaires. 1)
Dans cette conversation divers points ont été traités:
a) le Gouvernement libanais a étéofficiellement avisé de la
décision du Gouvernement de la République française de saisir
éventuellement la Cour internationale de Justice, mais il était,à
l'époque, prêtà en prendre les risques puisqu'il avait fait faire les
études nécessaireset estimait l'affaire plaidable;
b) le Gouvernement libanais entendait maintenir l'application

aux sociétés concessionnairesfrançaises de la loi de 1956 parce que, OBSERVATIONS DE LA FKANCE (FÉ~RIBR 1960) 99
quand bien mêmel'accord de 1948aurait eu une autorité supérieure
à celle des lois internes, il refusait d'admettre notre interprétation

de la lettre annexe na 12;
C)le Gouvernement libanais laissait entièrement de côté la
Convention de 1957 puisqu'il entendait appliquer à la Compagnie
du Port des mesures dont elle était exemptée par ladite Convention.
Devant ces positions, notre représentant avertit le Président

Kerame que la France entendait, ainsi qu'elle en avait le droit en
vertu de l'article 23 de l'accord de 1948, demander l'arbitrage de la
Cour internationale de Justice. e AI.Kerame a paru fort bien com-
prendre notre position et n'a pas soulevéd'objections ni de critiqn,
conclut sur ce point notre représentant à Beyrouth (Annexe VI).
Au cours d'une antre conversation tenue le 5 février entre
M. Roché, ambassadeur de France, et M. Kerame, celui-ci indiqua
que la ratification de la Convention de 1957paraissait improbable et
que le sort des sociétés concessionnairesfrançaises serait régléau
gré de l'État libanais.
Le 7 févrierle ministère des Affaires étrangèresdonnaità nouveau

à notre représentant au Liban des instructions sur le différend: ou
bien le Gouvernement libanais reviendrait sur son refus d'admettre
notre interprétation de la lettre annexe no12, ou bien le Gouverne-
ment de la République française se verrait obligéde saisir la Cour
internationale de Justice. L'ambassadeur fit cette démarche leIO fé-
vrier; M. Kerame, Président du Conseil, accepta uniquement de
donner des instructions n suspensives 11de l'application de la loi de
1956, et seulement pour l'impôt foncier et l'impôt sur le revenu; il
refusa de mentionner les taxes douanières. La conversation ne
laissa aucun doute à l'ambassadeur de France; le refus du Gouver-

nement libanais d'accepter nos demandes était absolu, tant pour
l'interprétation des accords de 1948 que pour la mise en application
de la Convention négociéeavec la Compagnie du Port en 1957.
L'ambassadeur fit, à nouveau, connaitre les intentions du Gouver-
nement de la République française de saisir la Cour (Annexe VI).
L'appel à la Cour n'a pu surprendre en aucune façon la Partie
adverse. Le Gouvernement de la Mpublique française n'a, à aucun
moment, laisséplaner de doutes ni sur ses demandes ni sur ses in-
tentions de faire appel au juge international en cas de désaccord.
Les plus hautes autorités de l'État libanais en ont étéinforméeset
les comptes rendus de ces entretiens montreraient amplement la

compréhension trouvée par l'ambassade de France auprès de ses
divers interlocuteurs libanais, tant en ce qui concerne la nécessité
logique de ce recours au juge que l'esprit amical qui anime, cefaisant,
le Gouvernement français.
Ainsi il apparaît clairement que le Gouvernement de la Républi-
que française n'a cesséde mener une activité diplomatique assidue
pour tenter de régler ce différend.Lorsqu'un Président du Conseil
refuse par deux fois de prendre en considération les propositions
d'un ambassadeur qui le prévient, sur ordre de son Gouvernement, 100 OBSERVATIOSS DE LA FRAXCE (FÉVRIER 1960)

qu'il s'agit d'ultimes démarches sur une question contentieuse
que ce Gouvernement a l'intention de porter devant le juge inter-
national, si le désaccord nese règlepas, la négociationdiplomatique
prend fin.
Dans ces conditions il est même superflu de rappeler toutes
les démarches diplomatiques qui avaient précédé,interventions
pour appuyer la Compagnie du Port, en 1957. au moment où sem-

blait devoir êtreniise en application une convention de réaménage-
ment, à nouveau et de façon répétée dèqsue les intérêtsdes sociétés
ont paru compromis par les retards et les agissements du Gouverne-
ment libanais qui constituaient des violations de ses engagements
internationaux envers la France.
Tout ce qui pouvait et devait être fait pour éviter un différend
grave a étéfait sur le plan diplomatique. En 1959,le Gouvernement
de la République française n'a pu qu'enregistrer le refus formel du
Gouvernement libanais de régler le différendautrement qu'en ac-
ceptant ses vues; il n'y avait plus rienà négocier,le recours au juge
s'imposait.
S'ilétaitbesoin d'établirdevantla Cour combien le Gouvernement
de la République française a ménagéles intérêts,voire les suscep-
tibilités du Gouvernement libanais en cette affaire, nous rappelle-

rons que, mème après que le différendait étésoumis à la Cour, des
démarches ont étéfaites pour régler ledifférendpar nos représen-
tants auprès du Président de la République, du Président du Con-
seil, du ministre des Affaires étrangèreset du ministre des Travaux
publics (18 février, 17 avril, 15 juin, 26 juin20 octobre 1959). Au
moment de la signature de l'accord financier du 25 juin 1959 entre
la France et le Liban, le chef du Gouvernement libanais a meme
pris des engagements(Annexe VII) qui n'ont toujours pas ététenus.
Le Gouvernement de la Républiqbefrançaiseestimeavoir dans cet-
te affaireciépuisé IIau sens propre du mot, les négociations diplo-
matiques. Les démarches récentesmontrent d'ailleurs combien il
avait raison en février 1959 de considérer que le Gouvernement
libanais ne souhaitait plus négocier.
Rappelons, pour le bon ordre, que les négociations postérieuresau
litige dont la Cour est saisie ne sont pas des négociations sur les

points qui font l'objet du différendmais des négociationstendant à
résoudrele différenden dehors de la Cour par une transaction. Les
parties peuvent toujours chercher à transiger; si cela devait suffire
pour que le juge doive se déclarerincompétent -il n'y aurait plus
de procès ..ou plus de transaction. Il ne doit donc pas y avoir de
confusion sur ce point: les seules négociations qui importent dans
l'examen juridique de la présente affairesont celles qui, en bonne
règle,ont précédé la requêteà la Cour. Ces négociationsont eu lieu,
à l'échelon leplus élevédu Gouvernement libanais, et elles ont défi-
nitivement échouéen février 1959; le Gouvernement de la Répu-
blique française. prenant acte de cet échec,a saisi la Cour par re-
quêtedu 13 février1959. OBSERVATIOSS DE L.4FRASCE (FÉVRIER 1960) 101

Dans son Arrêt na 2(Séri Ae, p. 13) la Cour permanente, exarni-
nant l'exception relative aux négociations diplomatiques préalables.
disait:

s L'objection sera réduiteà sa juste valeur si l'on considèreque
l'appréciation de l'importance et des chances de réussite d'une
négociationdiplomatique est essentiellement relative. Une négocia-
tion ne suppose pas toujours et nécessairement ilne série plus ou
moins longue de notes et de dépêches;ce peut êtreassez qu'une
conversation ait étéentamée; cette conversation a pu être très
courte. Tel est le cas si ealrencontré iin point mort, si elle s'est
heurtée finalement à un non possz~mtrsou non uolzamuspéremp-
toire de l'une des Parties et qu'ainsi il est apparu avec évidence que
le différend n'est pas susceptible d'êtreréglépar une négociation
diplomatique. Tel peut êtreencore le cas, dans certaines circons-
tances, si les coriversations entre gouvernements iie sont que la
suite de négociationsantérieures entre un particulier et un gouver-
nenient.1,

Le Gouvernement de la République française ne saurait mieux
décrire sa position vis-à-vis du Gouvernement libanais.

Tels sont les motifs pour lesquels le Gouvernement de la Répu-
blique française prie la Cour de rejeter les iExceptions préliminai-

res » soulevées par le Gouvernement de la Képiiblique libanaise.
La première Exception est d'une telle nature que son examen est
liéà celui du fond de l'affaire. Les quatre autres sont mal fondées.
Pour ces motifs et sous réserve de tous moyens et preuves à
présenter ultérieurement à la Cour,

I" se déclarer compétente pour juger le litige qui lui a étésoumis
par requête du Gouvernement de la République française en date du
13 février 1959

2" fixer de nouveaus délais pour la suite de la procédure.

L'Agent du Gouvernement
de la République française:

(Signé)André GROS.Liste des annexes aux observations et conclusions du Gouvernement de
la Républiquefrançaise sur les exceptions préliminaires présentéespar

le Gouvernement de la Républiquelibanaise 1

1. - Communiqué du 18 janvier 1454. émanant du ministère des
Travaux publics, direction du Contrôle des Sociétésconces-
sionnaires et des Affaires hydrauliques et électriques.

II. - Extraits de la Presse libanaise.
III. - Commiiniqué aux journaux de l'Association des Commerçants
de Beyrouth.

IV. - Bases d'accord entre l'État libanais et la Compagnie du Port
de Beyrouth relatives à l'extension du port et à l'aménagement
de la concession (17 mai 1957).

V. - Échange de lettres du 22 juillet-5 aoiit 1957 eritre le ministre
des Affaires étrangères libanais et l'ambassadeur de France
à Beyroutli.
VI. - Extraits de communications de l'ambassade de France à
Beyrouth adressées au ministère des Affaires étrangères en
date des rer et 10 février 1959.

VII. - Lettre annexe no 3 à l'Accord monétaire franco-libanais du
25 juin 1959.

1 Annexes non reproduites.

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Observations et conclusions du Gouvernement de la République française sur les exceptions préliminaires présentées par le Gouvernement de la République libanaise

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