Exceptions préliminaires présentées par le Gouvernement de la République libanaise

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9231
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Incidental Proceedings
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2. EXCEPTIONSPRÉLIMINAIRES PRESENTE EASR LE
GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUELIBANAISE '

INTNODUCTIOS

Par requête déposéeau Greffe de la Cour internationale de
Justice le13 février1959,le Gouvernement de la République fran-
çaise a introduit une instance contre le Gouvernement de la Répu-
bliqiie libanaise, pour un différend au sujet de la Compagnie du
I'ort, des Quais et de>;Entrcpôts de Beyrouth et de la Société
Radio-Orient.
Le Gouvernement de la République française prétend que le
Gouvernement de la Républiqiie libanaise, en appliquant la loi
du 26juillet1956 à la Compagnie du Port et à la SociétéRadio-
Orient, a violé ses engagements vis-à-vis du Gouvernement de la
lZél>uhliquefrançaise. En conséclucncede quoi, le Gouvernement
français demande une réparation adéquate.
Le Gouvernement de la République libanaise a l'honneur d'op-
poser à la demande du Gouvernement de la Répiiblique française
cinq exceptions préliminaires qu'il formule dans le présentocn-

ment, conformément à l'article 62 du Règlement de la Cour et dans
le délaifixépar l'ordonnance du I octobre 19j9.
Le Gouvernement de la République libanaisc, conformément à
l'articl42,paragraphe 2,du Rhglement de la Cour, s'abstient, pour
le moment, de déposer un contre-mémoire en réponse au mémoire
français et demande par application de l'article2, paragraphe 3,
dudit Règlement, la suspension de la procéduresur le fond, se réser-
vant le droit d'y répondre un stade ultérieur de la procédure.
Le mémoire du Gouvernement français contient une séried'allé-
gations de fait et de droit que le Gouvernement libanais tient pour
inesactes.
Le Gouvernement français consacre treize pages de son mémoire
à relaterà sa manibre, des faits pour la plupart étrangers au diffé-
rend, destinésà discréditer le Liban aux yeux de la Cour.

Ilans ces conditions une mise au point s'impose préalablement
à l'exposé des exceptions préliminaires, pour permettreà la Cour
de se faire une idéeexacte de la réalité.

Les faits.
Jusqu'à l'accession du Liban à l'indépendance et plus exacte-
ment jusqu'à la date de lasignature du protocole du 4 janvi1944,
relatif au transfert, par la France. au Gouvernement libanais du

Voir Quatrieml'artie, Correspondnn6124.. EXCEPTIOSS DU GOUV. LIBAYAIS (20 XII 59)
56
service de Contrôle des sociétés concessionnaires, la Compagnie du
Port de Beyrouth était sous le contrôle exclusif du Haut-Com-
missaire français, contrôle qui d'ailleurs était plus apparent que
réel.

Déjà bien avant son accession à l'indépendance en 1943, le Liban
se plaignait de certains agissements de la Compagnie qui tendaient
à diminuer la part du concédant dans les bénéficesannuels du
concessionnaire.
En 1926, la Compagnie du Port, en prévision de l'avenir, et pour
se soustraire au contrôle des autorités de la République libanaise-
(la République venait d'êtreproclamée au Liban) -, demanda à

la France, chargéealors du Mandat au Liban, et obtint, d'une part,
son rattachement à la nationalité française et, d'autre part, la
prorogation de la durée de sa concession, de 75 à 103 ans.
Par ailleurs, la Compagnie du Port effectua plusieurs augmen-
tations de capital, portant celui-ci de 5.ooo.000 de francs à
g53.400.000 frs. Ces augmentations ne correspondant, pour la plu-
part, à aucun apport en numéraire ou en nature, avaient pour but
de diminuer la part du Liban dans les bénéficesde la Compagnie,
prévue par les actes concessionnels. (Voir annexeno 1.)

En effet, l'article 36 des statuts de la Compagnie règle le par-
tage des bénéficessociaux comme suit:
n...sur tes recettes bmtes annuelles il est prélevé:

I" une somme égale à 7% du capital effectivement dépensép , our
&trepayée à titre d'intérêtt d'amortissement à toutes les actions
sans distinctions.
2' 10% de celle restant apres ce premier prélkvementpour étre
payés au Gouvernement impérialen exécutionde l'article 31 de la
Convention. n

La participation de l'État concédant aux bénéficesde la Com-
pagnie était donc fonction à la fois du prélèvementde 7% au profit
du capital réel dépenséet du montant des recettes brutes a rès
ledit prélèvement. Et étant donnéque cette participation de l'itat
concédant devait êtred'autant plus faible que ledit prélèvement

de 7% serait filus largementcalcul$,ou que le montant des recettes
brutes restant après ledit prélèvement serait plusUroitementcalcuM,
la Compagnie s'employa à la fois à grossir son capital et à diminuer
ses recettes brutes.
Pour atteindre son premier ohjectif la Compagnie du Port mit
en Œuvre, selon les termes d'une consultation magistrale donnée
par MM. Ernest Teilhac et Émile Tyan, professeurs à la Faculté
française de Droit de Beyrouth, deux méthodes distinctes:

iI"Elle devait recourirà une réévaluationdirecte et na prio1,du
capital en fonction de l'or.
2' Elle devait recouriàune réévaluationindirecte etca posterioru
du capital en fonctiondes prixn EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59) 57

Pour atteindre son second objectif, la Compagnie du Port diminua
ses recettes brutes de trois façons:
cI" Par la déduction préalable desfraisd'administration.

z"Par la déduction préalable des dépense ds'exploitation.
3"Par la déduction préalable des 5% destinés à la réservelégale.u

L'illégalitéde l'usage fait par la Compagnie du Port de ces
iiméthodes et façons » résidait tout particulièrement dans l'appli-
cation fausséedes actes concessionnels. La Compagnie du Port put
de cette manière rendre aussi minime que possible, voir quasi-
inexistante, la participation de l'État concédant dans les bénéfices
de la Compagnie et ce, contrairement aux termes et à l'esprit des
actes concessionnels et aux principes générauxdu droit.
Aussi la consultation de MM. les professeurs Teilhac et Tyan
conclut-elle à la condamnation des agissements de la Compagnie
du Port tant au point de vue du droit que du point de vue des
procédésemployés par la Compagnie.

Ajoutons tout de suite que la Compagnie du Port n'était pas
seule à méconnaître les droits du Liban. En 1938, le Gouvernement
libanais et la Compagnie du Port, ayant décidé.conformément
aux actes concessionnels, de recourir à l'arbitrage afin de trancher
toutes les questions litigieuses pendantes, le Gouvernement libanais
n'avait pu inclure dans le compromis d'arbitrage certainesquestions
im~ortantes. à cause de l'o~A*sition formelle du Haut-Commissaire
français.
L'arbitrage n'avait pu avoir lieu à ce moment. la guerre étant
survenue. Depuis, le Gouvernement libanais essaya patiemment
de trouver un terrain d'entente avec la Compagnie, mais l'obstina-

tion de celle-ci sur certaines questions renditvains tous les efforts.
Entre-temps, d'autres litiges étaient venus s'ajouter aux pré-
cédents.
Nous en évoquerons ici les trois principaux:
I" - L'article 8 des actes concessionnels exemptait de tout
impôt foncier les biens immeubles de la Compagnie relevant du
domaine public ou nécessaires à l'exploitation.

La Compagnie du Port, au mépris de tous les principes du droit
financier et du droit administratif, voulait étendre directement ou
indirectement l'exemption à tous ses biens immeubles, même à
ceux qui ne relevaient pas du domaine public ou ne servaient pas
à l'exploitation, c'est-à-dire à ceux de ses biens propres qu'elle ex-
ploitaità titre particulier.

2" - L'impôt sur le revenu.

L'exemption de certains impôts, prévue par les actes conces-
sionnels, ne contenait aucune mention relative à l'impôt sur le
revenu (instituéau Liban par une loi du 4décembre1944)ni à aucun
impôt similaire. Malgréla clarté des textes, la Compagnie ne voulut58 EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59)

à aucun moment entendre la voix de la raison, refusant toujours de
se soumettre aux lois du pays où elle exerce ses activités et réalise
ses bénéfices.
3' - Les taxes ?nzlnicipales

Par une extcnsioii injustifiée de l'articl8 ci-haut cité, la Com-
pagnie du Port tenta de se déroberau payement des taxes munici-
pales, bien que la Municipalité de Beyrouth, personne morale
autonome, n'eut jamais figurécomme partie au contrat de conces-
sion, et que ce contrat ne mentionnât aucuneexemption de ces taxes.

4' - La loi de 1956
L'État libanais, exerçant un des principaux attributs de la
sou\~craineté,promulgua en 1956 une loi assujettissant aux impôts
et taxes toutes les sociétésayant bénéficié jusqu'ici d'exemptions
d'iinpôts ou de taxes approuvées par des lois spéciales.
Alalgréle caractbre incontestal>lement généralde cette loi, la

Compagnie du Port la considéra :Ltort comme une mesure sp6cialc,
par laquelle le Gouvernement libanais aurait modifiéunilatérale-
ment le contrat de concession. Et au lieu de suivre les voies de
recours mises à sa disposition par le droit interne libanais, la Com-
pagnie du Port préféras ,elon son habitude, refuser de se soumettre
à la loi, provoquant ainsi un mécontentement général à son égard,
de la part des autorités et de l'opinion publique.
Xéanmoins les pourparlers commencés et interrompus à plu-
sieurs reprises ahoutirent finalement en 1957 à la signature d'une
Convention qui réglatous les litiges pendants. (Voir nlzlzexe16 aii
ménloiredti Goziuertrentenftrançais.)
Cette Converition fut approuvée par tous les organismes com-
pétents de la Conipagnie. I)e çon côté, le Gouvernement libanais,
conformément à l'article deriiier de ladite Convention, transmit
celle-cià la Chambre, par décret rio16655 du g août 1957.
La Chambre n'a pu encore se prononcer, en raison des circons-
tances exceptionnelles (insurrection mai-novembre 1gj8) qui oiit
paralysé la vie parlementaire au Liban durant l'année 1958.
Il està noter cependant que la commission parlementaire com-
pétente a termin6 l'examen de ladite Convention,son rapport devant

êtreincessamment soumis à la délibérationdu Parlement.
Cette Convention comporte des engagements réciproques de la
part du Gouvernement libanais et de la Compagnie du Port. Faute
par cette dernière de l'avoir dénoncée,elle reste liéepar ses dis-
positions.
Devant cet état de droit et de fait, le recours de la Compagnie
du Port devant votre Cour devient inexplicable et incompréhen-
sible. Mais plus inexplicables et incompréhensibles encore sont les
prétentions de la Compagnie du Port et par suite celles du Gouver-
nement français attribuant l'essor économiquedu Liban à la Seule
activité de la Compagnie du Port de Beyrouth. EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59) 59

Nous tenons à affirmer que la Compagnie du Port ne s'cst jamais
coinportée comme un gérant de service public soucieux de l'intérêt
général desusagers. Loin de se contenter de maintcnir l'équilibre
financier de son contrat en s'assurant la couverture de ses dépenses,
une rémunération raisonnable des capitaux investis et un bénéfice
normal, son principal but était de réaliser des bénéficesénormes
au détriment de l'intérst économiquedo Liban. Au lieu dc gérerun

service public, la Compagnie du Port n'a jamais fait qii'exploiter
une entreprise coinmcrciale.
Le Liban n'a tiréprofit de l'activité de la Compagnie (lu Port que
dans la mesure où I'intérétde celle-ci se trouvait coïncider avec
l'intérêtdu Liban.
A l'appui de cela, nous renvoyons à l'annexe no 2 au présent
document qui donne une idée nette (les bénéficesréaliséspar la
Compagnie du I'ort au cours des dernikres années. II y a lieu de
rappeler tout de suite que ces bénéficesont étéréalisésau moyen
de tarifs exorbitants appliqués par la Compagnie du Port et qui ne
sont pas entièrement étrangers à la détermination de la Syrie et de

la lordanie de se ilasser. dans les ulus brefs délais. des ser\zices du
PO& de Beyrouth.'
La politique et l'activité de laComp~cnie du Port, au lieu donc
d'être.comme le prétend cellc-ci, à l'origine de I'essor économique
du Liban. ont ulutôt entravé son vlein évanouissement. Pour être
véridique; la c&mpagnie du Port doit reconnaître qu'elle exploite
au maximum l'essor économique du Liban et spécialement de
Beyrouth, sans se préoccuper de l'avenir ni des répercussions
immédiates de ses agissements.

II

PRE~IIÈREESCIIPTIOS

Le différend, tel qu'il est exposé dans la requête introductive
d'instance, porte siir deux questions distinctes:

IO- L'applicatioii il la Compagnie du Port eà la SociétéRadio-
Orient de la loi du 26 juillet 19j6, qui a assujettil l'impôt sur le
revenu, à tous autres impôts et aux taxes financièresct municipales,
les sociétésqui en étaient exemptées en vertu de conventions
approuvées par des lois spéciales.
2" - Le non-règlement des litiges avec la Compagnie du Port
par voie d'arbitrage.

L'examen de l'une ou de l'autre des deux questions se heurte
à une fin de non-recevoir pour incompétence.
Sur la prenzièreqfiestion.

La Partie adverse soutient:
que l'annexe 12 de l'accord du 24 janvier 1948 met à la charge
du Gouvernement libanais l'obligation de respectcr les actes qui60 EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59)
régissaient les concessions des sociétésfrançaises en date du 1er jan-
vier 1944 ,eux-ci ne devant être modifiésque d'une façoncontrac-
tuelle
;
qu'en soumettant la Compagnie du Port et la SociétéRadio-
Orient à la loi du 26 juillet 1956,le Gouvernement de la République
libanaise a modifié les actes concessionnels régissant ces deux
Sociétés.
Pour soumettre le différend à la Cour internationale de Justice,
le Gouvernement français se base sur l'article 23 de l'accord franco-
libanais du 24 janvier 1948 qui stipule:

«Les Hautes Parties contractantes conviennent que lesdifférends
que pourrait soulever l'application du présent accordou de ses
annexes seront,à la requêtede la partie intéressée,oumis à l'arbi-
trage de la Haute Cour de Justice internationale.
La compétence de la Cour internationale de Justice est donc
conditionnée par l'existence d'un différend soulevépar l'applica-

tion de l'accord de 1948 ou de ses annexes.
D'autre part, l'annexe 12 de l'accord du 24 janvier 1948 dispose:
iLe Gouvernement libanais,considérantqu'en raison de la findu
Mandat et de la proclamation de l'indépendancelibanaise,il peut y
avoir intérêt apporter certains aménagementsaux actes et annexes
qui régissent les concessions des sociétésfrançaisesou à capital
français exerçant sur son temtoire, ainsiqu'aux textes qui en préci-
sent les modalitésd'application, se propose d'entamer des conver-
sations avec chacune de ces sociétés dans l'esprit des pourparlers
déjàengagés ?icet effet.
Cesconversations auront pour objet de rechercher, de façon con-
tractuelle et dans le cadre de la législationactuellement existante,
une solution de nature à permettre au Gouvernement libanais de
soumettre à l'approbation du Parlement les aménagementsdont il
s'agit.
Jusqu'à la mise en application de ces aménagements,les actes,
annexes et textes qui regissaient les concessionsde cessociétéasu
lerjanvier 1944demeureront en vigueur.
Le présent Modus vivendi est liéaux diverses dispositions de
l'accord en date de ce jour.

De la lecture de ce texte, il ressort:
Que les deux parties contractantes reconnaissent la nécessité
d'apporter certains aménagements aux actes concessionnels en vue
de leur adaptation à la situation nouvelle résultant de l'accession du
Liban à l'indépendance.
Que ces modifications ne pourraient avoir lieu que d'un commun
accord des parties.
Le Gouvernement libanais, soucieux de respecter les principes
généraux dudroit, s'est engagé à ne modifier les contrats de conces-

sion des Sociétésfrançaises que d'un commun accord des parties
intéressées. Cetengagement n'est, en réalité,que la confirmation
du principe fondamental de droit public suivant lequel les clauses EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59) 61

contracttcellesd'un acte de concession ne peuvent être modifiéesque
d'un commun accord entre l'administrationet le concessionnaire.
En d'autres termes, le Gouvernement libanais s'est engagé à ne
pas prendre de mesures particulières ayant comme objectif précis

et direct de modifier un des élémentsdu contrat de telle ou telle
autre sociétéconcessionnaire française. Toute autre interprétation
serait contraire aux intentions des Parties signataires de la Conven-
tion de 1948.
Or la loi du 26 juillet1956' est ainsi conçue:
uArticle I.- Sont assujettiesà dater du janvier 1952 à l'im-
pôt sur lerevenu età tousimpôts et taxes financièreset municipales,
toutes les sociétéqui étaientexemptées deces impôts et taxes en
vertu d'accords entérinéspar deslois spéciales.D
«Le Gouvernementpourra conclure aveclescontribuables soumis
Ala présenteloi des accords spéciaux A effet rétroactif. Ilpercevra,
en vertu de ces accords, une part dans les bénéficesdesdits contri-
buables aux lieu et place des revenus et taxes dus, sous réservede
ratification de ces accords par l'autoritélégislative.

Cette loi a, d'après son texte, le champ d'application le plus
vaste. Elle atteint, sans exception, toutes les sociétésqui étaient
exemptées d'impôts et taxes financières et municipales en vertu
d'accords entérinéspar des lois spéciales.Elle ne saurait être consi-

dérée commeun aménagement aux actes concessionnels régissant
la Compagnie du Port ou la SociétéRadio-Orient visés par l'an-
nexe rz à l'accord du 24 janvier 1948.
Des mesures lég-slatives ou régl-mentaires (lois sociales, fiscales.
&coiioniiques,ctc) 111èni:cIggra\.ant les cliargcs (1,concessionnaires
ne constituent dei mc,ilificationi iinilatéralcs (lue luruiu'elles sont
prises <<aveccomme objectif précis et direct deamodifie; un des élé-
ments du contrat i),affirme M. de Laubadère (voir Traitéthdorique
et pratique des contratsadministratifs, A. deLaz~badère t.,II, n805).
Par ailleurs, le droit d'imposition, enseigne M. Allix, est r<un

attribut de la souveraineté de l'État D (voir Allix, Traitéélémentaire
des sciencesdes finances,éd.1931, $. 451).
Le principe de l'égalité devant l'impôt est, en outre, consacré
par la Constitution libanaise. L'article 81 proclame qu'a ou ne
pourra lever des impôts dans la République libanaise que confor-
mément à une loi uniforme II.
L'application de ce principe par la suppression de tout régime
de faveur et la soumission au même régimefiscal de tous les contri-
buables se trouvant dans des situations identiques. pourraient-
elles êtreconsidéréescomme figurant parmi les modifications uni-

latérales aux actes concessionnels de la Compagnie du Port et de
la SociétéRadio-Orient, contraires à l'esprit ou à la lettre de I'an-
nexe 12 de l'accord du 24 janvier 1948? Nous ne le pensons nulle-
ment.

' Traduction. L'origiest enarabe. EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59)
62
Les deux parties contractantes n'ont, en signant l'accord de
1948, nullement entendu-porteratteinte à leurs souverainetés réci-
proques. Les principes d'interprétation établis par le droit interna-
tional, enseigne RI.Guggenheim, reconnaissent I'interprétation la

plus favorable à la libertédes États (voir Gz~ggenl~eiwT zr,aitédedroit
international pz~blict. 1,p. r3.5).
Le Gouvernement libanais est convaincu que la loi du 26 juillet
1956, à caractère généralet impersonnel, édictée dans un but d'in-
térètnational, ne peut en aucune façon étreconsidéréecomme une
modification des actes régissant les sociétésconcessionnaires, les
actes concessionnels demeurant en vigueur et rendant possible,
le cas échéant,aux sociétés intéresséed se réclamer une indcmnisa-
tion. Il prie en conséquence la Cour de rejeter pour incompétence
la demande du Gouvernement français.

Si~rla dez~xièttzqetlestion..

Le Liban n'ayant pas signé la clause de juridiction obligatoire,
et la Cour n'étant pas saisie par voie de compromis, sa juridiction
contentieuse dans cette affaire ne peut trouver sa base que dans
le consentement des parties. C'est un principe établi (voir C. I.J.,
arréts du 25 mars 1948 dans l'agaire du détroit de Covfon, et du
22 juillet 1952 dans l'aflaire del'Angle-Irartian Oil Co.).
Dans l'espèce, la Cour est saisie par une requête unilatérale
du Gouvernement français, le consentement des parties, nécessaire

pour lui attribuer juridiction, ne peut se dégager que de l'article 23
de I'accord du 24 janvier 1948 ci-haut mentionné.
La juridiction de la Cour se trouve ainsi limitéc aux différends
prévus par ce teste. Pour qu'elle pût se prononcer sur la demande
du Gouvernement français, il faudrait que le différend qui en
forme l'objet fiit soulevépar l'application de I'accord du 24 janvier
1948 ou de ses annexes, en particulier l'annexe 12.
L'annexe 12, dont le texte a été reproduit plus haut, ne fait allii-
sion qu'aux aménagements des actes et annexes qui régissent les
concessions de sociétés françaises.
Or, le différend relatif à l'arbitrage est iiicontestablemcnt an-
térieurà l'accord de 1948, d'une part, et n'a aucun rapport avec
les modifications des actes concessionnels, d'autre part.

L'article 7 dc la Convention du 15 décembre 1925 stipule:
i<Artide 7. - Les contestations qui s'élèveraiententre la Com-
pagnie du Port de Beyrouth et l'administration au sujet de I'esé-
cution et de I'interprétationdes clauses des actes concessionnelsde
la Compagnieseront portéesdevant lesjuridictions administratives
compétentes, à moins que la Compagnie concessionnairen use du
droit qu'elle se réserve,toutefois, de soumettre le différend une
Commission d'arbitrage composéede trois arbitres nommésl'un,
par le Gouvernemcnt, l'autre par le concessionnnireet le troisihe
par les deus premiers ou à défautd'entente, par le vice-prCsident
du Conseild'l'-tatde la RépubliquefrançaiseII EXCEPTIONS DU GOUY. LIBANAIS (20 XII 59) 63

C'est de l'arbitrage prévu par cet article qu'il s'agit, quel que
soit l'objet du litige (participation de l'État au bénéficede la so-
ciété, impôt sur le revenu ou taxes municipales...).
La partie adverse reconnait à la page 29 de son mémoire qu'a en
1933 un premier litige était néentre le Gouvernement libanais et la
Compagnie du Port au sujet du calcul de la participation de I'ktat
aux bénéficesde la Compagnie,) et que <,celitige avait fait l'objet

d'une procédure d'arbitrage, engagée en 1937 et qui n'avait pu
êtremenée à son terme du fait de la guerre B.
Nous admettons avec la Compagnie du Port que ce litige était
relatif à l'interprétation des actes concessionnels et qu'en vertu de

-- - .-~ ~ ~ ~~

d'arbitrage. Mais le refus d'aller à l'arbitrage, au cas où il serait
établi, ne pourrait êtresoumis à la Cour internationale de Justice.
Ce n'est pas une modification unilatérale des actes concessionnels,
la compétence de la Cour étant limitée à ce sujet.
La Compagnie du Port auraitpu, au lieu de soumettre le différend
à une juridiction incompétente, recourir aux tribunaux libanais, en
vertu des articles 825 et 826 du Code de procédure civile libanais:

«Art. 8aj. - La clause compromissoire permet à chacun des
contractants de sommer I'autre de passer un compromis à l'effet de
soumettre à des arbitres une difficulténéedu contrat. ii
K Art. 826. - Si la partie somméerefuse, elle sera assignéepar
l'autre devant le tribunal civil et condamnée à des dommages-iri-
térêts,si la clause compromissoire était valable. Le jugement fise
en ce cas un délai au défendeur pour consentir un compromis con-
formément à l'engagement résultant pour lui de la clause compro-
missoire. Passéce délai,si le défendeur résistetoujours, le tribunal
adjuge au défendeurses conclusions au fond. ii

Le 5 août 1957, le Gouvernement libanais a signé une Convention
avec la Compagnie du Port qui a étéal>l>rouvéed'un côté par I'as-
semblée générale extraordinaire des actionnaires le IO octobre

Igj7 et transmise, d'autre part, au Parlement libanais pour rati-
fication. Tous les litiges financiers pendants ont étédéfinitivement
régléspar cette Convention. Ceci n'a pas cmpéché la Compagnie
de demander un arbitrage pour résoudre un litige déjà réglé. Le
ministre des Travaux publics a répondu i cette demande par
lettre du 27 février 1959 SOUS no 431 en ces termes:

iiII nous est impossible d'approuver votre demande concernant
le recoursà l'arbitrage au sujet de différendsrégléspar une Conven-
tion vous liant, à moins d'une déno>tcialiod ne cetteCo~ivention.»
c Sur ce, nozcs$rio~tsvotreCompagniede nous notifierclatrernentla
dé~tonciationde la Cotiuentiorzpoirrétudierà la lumièrede sa répo~ise
la qirestiondu recottrslil'arbitrageil(Voir texte completde la lettre
annexe 62 azcmémoiredu Gouvernementfrançnis.)
Cette lettre du ministre, restée sans réponse, a étéinterpr6ti.c par

le Goiivernement français comme un refus d'aller à l'arbitrage! EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII59)
64
Alors que cette lettre démontre clairement que le Gouvernement
libanais n'a pas refusél'arbitrage, mais qu'il a seulement demandé
à la Compagnie du Port d:: déterminer sa position au sujet de la
Convention, Quoi qu'il en soit, la question de l'arbitrage demeure

étrangère à tout litige pouvant êtreévoquédevant la Cour.

III

La Convention signée le5 aoùt 1957 par le Gouvernement liba-
nais et par les représentants de la Compagnie du Port dont il a
étéfait mention ci-dessus stipule en son article 24:

uLa présenteConvention devra êtreapprouvéepar l'Assemblée
généraleextraordinaire des actionnaires de la Compagnieet par le
Parlement libanais.
M. Halim Malhaméet M. de Bourgoing s'engagent, au nom
du Conseil d'Administration, à convoquer dans le plus bref délai
possible l'Assembléegénéraledes actionnaires pour ratifier la
présente Convention.
Le Gouvernement de son côtédéposerasans retard sur le bureau
dela Chambreun projet deloienvued'obtenir lamême ratification.

Eu exécution de cet article, le Gouvernement libanais déposa
sans retard et par décret no 168jj en date du 9 août 1957 sur le
bureau de la Chambre un projet de loi en vue d'obtenir la ratihca-
tion de cette Convention.
L'Assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la
Compagnie du Port ratifia de son côté la Convention en date du
IO octobre 10,<,,et ainsi la dernière formalité aété accomplie de la
part de la Compagnie.
Devant le Parlement libanais, la Convention fut étudiée par
les Commissions parlementaires compétentes.

Et si jusqu'à la date de ce jour le Parlement n'a pu se prononcer
sur la ratification de la Convention, c'est en raison descirconstances
douloureuses que le Liban a vécueset qui ont paralysé la vie parle:
mentaire pour une période supérieure à six mois à partir de mal
1955.
Bien que la vie parlementaire eût repris son cours normal.
néanmoins le Parlement se trouvait en face d'un nombre conside-
rable de projets dc loià caractère urgent et nécessairepour le reta-
blissement de la vie normale. Il fut de ce fait empèché d'examiner
le projet de loi portant ratification de la Convention.

Cette Convention règle définitivement tous les litiges pendants
entre le Gouvernement libanais et la Compagnie du Port de l'aveu
m&me de cette dernière qui, dans sa lettre en date du 5 avril 1955
adressée au ministère des Finances libanais, déclare ce'qui suit: EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59) 65
«D'autre part, comme vous le savez la Convention passéeentre
l'État et la Compagnie du Port le 5 août 1957 prévoit un mode de
règlement des impôts réclamés à la Compagnie et pose les bases de
l'imposition future. Comme vous le savez aussi, cette Convention est
en cours d'examen la Chambre des Députés.
Aussi il n'y aurait pas intérêt,estimons-nous, de prendre une
position définitiveavant que le Parlement ait statué sur ladite Con-
vention. r

En effet l'article17 de la Convention stipule:

«Art.17. -Pour solde de tout compte et en liquidation définitive
de toutes réclamations de quelque chef que ce soit formuléespar
1'Etat ou la Municipalitévis-à-vis de la Compagnie tant au titre du
domaine public qu'au titre du domaine privé, celle-cipaiera l'État,
à titre transactionnel, la somme forfaitaire dez miilions de livres
libanaises payables en trois annuités. La première annuité de
670.000 L. L. devra Etre verséedans un délaid'un mois aprèsrati-
fication de la présente convention par le Parlement libanais. Les
deus autres de 665.000 L. L. chacune seront payables à un an
d'intervalle.
En conséquence, les comptes de la Compagnie sont approuvés
jusqu'au 31 décembre1956. »
(Voir annexe33 au mémoiredu Gouvernementfrançais.)

Il est vrai quela Convention ne serait parfaite qu'une fois ratifiée
par le Parlement, mais jusqu'à la ratification, quelle est la situation
respective des deux parties? Autrement dit, la Compagnie du Port
est-elle liéepar la Convention?

Si la Convention est imparfaite du fait du défaut de ratification,
elle n'est pas nulle ou inexistante; l'accord des volontés entre le
Gouvernement et la Compagnielui a donné une existence juridique;
elle devient parfaite et exécutoire le jour où elle sera ratifiée, et
jusqu'à ce jour, aucune modification ne peut y êtreapportée si ce
n'est d'un commun accord des parties.
Ce raisonnement quela partie adverse qualifie d'étrange est con-
firmé par la doctrine et la jurisprudence françaises.

«Il ne saurait faire aucun doute que le concessionnaire soit
engagé vis-à-visde l'autorité concédante, sans qu'il lui soitis,ible
de retirer son engagement. Sans doute, le contrat n'est pas définitif;
il n:a pas encore acquis sa pleine perfection et, par conséquent, l'exé-
cution n'en peut pas étre poursuivie contre lui. Mais, cependant.
quelque chose a étéfait, sur quoi il n'est plus possible de revenir:
le concessionnaire a fait des offreà l'Administration, et ces ofpes
ont été.acceptéespar la seule autorité qui ait qualitépour le faire:
pas encore conquis la plénitude de l'existence juridique, ne peutr
pourtant plus êtretransformé, si ce n'est du mutuel accord de ceux
qui l'?nt passé.Par conséquent,le concessionnaire ne pourrait plus
revenir sur les offres qu'il a faites, et qui ont étéacceptées;une fois

666 EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59)
la Convention signéeet envoyée à l'approbation, le concessionnaire
ne peut pas modifier ou révoquer l'engagement qu'il a pris. 1)

(Voir D. P. 1928, ZZZ~ Partie,p. 28;-dans le même seits,Conseil
d'État français, 24 juin 1938,Commune d'Huas, D. P. 1939.3.25 avec
note.)

Il ressort de ce qui précède que la Compagnie du Port est liée
par une Convention qui règle définitivement tous les litiges pen-
dants entre elle et le Gouvernement libanais. Et tant que cette
Convention n'est pas dénoncée,la requête du Gouvernement fran-
çais demeure sansobjet. C'est pourquoi nous prions la Cour de
rejeter la demande du Gouvernement français pour absence de
litige pouvant lui êtresoumis.

'~ROISIÈAIE EXCEPTIO~

Taxes mz~nicipales.

Le Gouvernement français prétend que le Gouvernement liba-
nais a laissé la Municipalité de Beyrouth soumettre la Compagnie
du Port aux taxes municipales dont elle est exemptée par les actes
concessionnels et consacre un long développement, dans son mé-
moire prksenté àla Cour, àce problème. Il oublieou simule d'oublier
qu'il y a chose jugée en la matière et que la question ne peut plus

êtreremise en discussion.
La législation libanaise sur les taxes municipales désigne la
juridiction devant laqnelle doivent êtreportées toutes oppositions
ou réclamations concernant lesdites taxes. Les articles 92 et 93
du décret législatif no 148 du 3 mars 1942 disposent:

n Art. 92.-Les recours en réduction ou déchargede taxes directes
ou assimiléeset, d'une mani&regénérale,toutes les oppositions aux
taxes, sont examinées:
- I'oiir le .\lunicidc Beyroiirti:IinrI:,Coiiiiiiiision(III\liinii:ipe
- pour lei ;iurrci iiiunicip;ilitln'. une curn~i~iiiionil,éci;ilccniii-
i>ojCr(111I'rc'sidcnt<l1;.\luriirin~lit(lu conivt;il>lcer d'uii nienil>rc
du Conseil municipal.
Les recours ou oppositions sont adressés à l'Administrateur du
Municipe ou au Président de la Municipalitédans le délaid'un mo!s
. à compter du dépôt des rôles ou de la notification faite au contri-
buable. Le recours ne suspend pas la perception. ii

iArt. 93. - Les décisions rendues par ces commissions sont sus-
ceptibles d'appel dans un délaide 10 jours pour compter de leur
notification au contribuable intéressépar-devant le Conseil d'État
statuant au contentieux.
Le recours en appel ne suspend pas l'effet de la décisionrendue
par la Commission. D EXCEPTIONS DU GOUY. LIBANAIS (20 XII59)
67
Par application de ces textes, la Compagnie du Port a présenté
leIO décembre 1956 une opposition à la Commission du I<hluni-
cipe de Beyrouthn (voir A~z~leeto3 non reproduite intégralement
par le Gouvernement françaisà l'annexe 39 au mémoire français).
Dans cette opposition la Compagnie soulève des points de droit et
prétend qu'ellest exemptée de cette taxe.
La Commission, après avoir examiné la demande de la Com-
pagnie, l'a rejetée par décisiondu-4-5 s7b no81.Cette décision
a éténotifiéeàla Compagnie le 22-5-195 L a.Compagnie du Port
aurait pu faire appel devant le Conseil d'État conformément à
l'artic93 du décret législatif 148 du 3 mars 1942 déjà cité.Cet
appel n'ayant pas étéfait, la décisionest devenue définitive après
l'ê.ipirati6ndu délaid'appel.
Le défaut var la Com~aenie d'aller devant la iuridiction d'avvel
ne peut s'interpréter que comme un acquiescementà la décisionet
une reconnaissance de son bien-fondé.

Des mesures d'exécution ont étéprises par la commission munici-
pale compétente qui a décidépar décisionno167du 17 octobre 1957
de pratiquer une saisie sur les biens mobiliers de la Compagnie du
Port jusqu'à concurrence des taxes dues.
Il ressort clairement de ce qui précèdeque la question relative
aux taxes municipales a étédéfinitivement tranchée par la juridic-
tion libanaise compétente. La demande du Gouvernement français
sur ce point est par suite irrecevable parce qu'elle seheurteto-
rité de la chose jugée.

La demande du Gouvernement français doit êtrerejetée comme
irrecevable pour le non-épuisement préalable des voies de recours
internes.
L'État contre lequel unc action internationale est intentéeà
raison des dommages subis par un particulier est en droit de s'y
opposer si l'intéressé,qui se prétend l, 'a pasauparavant épuisé
les recours mis à sa disposition par la loi interne de cet État. L'État
défendeur est en droit d'exiger que tous les recours internes aient
étéépuisésavant que les questions en litige ne soient placées sur
le plan internationalpar l'État demandeur.
C'est une règle affirméedans un grand nombre de décisionsque
l'action juridictionnellinternationalene peut être engagée sur
la base du droit internationalque si les recours internes ontté

épuisésauparavant. La règleest ancienne, on la trouve notamment
dans 1s sentence arbitrale rendue 18 mai 1886 entre la Colombie
ellesEtats-Unisàpropos de la ComfiagniedeNavigationdz~Pacifique.
Elle est énoncéedans les termes suivants: 68 EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59)

cLes particuliers victimes d'actes illégauxde la part d'une auto-
rité publique doivent épuisertous les moyens légaux offerts par
la Constitution du pays pour la reconnaissance de l'illégalitéet
l'annulation desactes.
Cette règle a étérappelée dans des arbitrages célèbres,notam-

ment dans l'affaire des navires finlandais qui a donné lieu le 9 mai
1934 à une sentence du juriste suédois Bagge et plus récemment
dans une sentence du 6 mars 1956 rendue dans i'a@aireAmbatielos
par une commission constituée par la Grèceet la Grande-Bretagne,
Dans sa 47rnesession du II au 20 avril1956, l'Institut de Droit
international a adopté la résolution suivante:
«Lorsqu'unÉtat prétend quela lésionsubie par un de ses ressor-
tissants dans sa personne ou dans ses biensa étécommiseen vio-
lation du droit international, toute réclamationdiplomatique ou
judiciaire lui appartenant de ce chef est irrecevable,s'il existedans
l'ordre juridique interne de l'État contre lequel la prétention est
élevée des voiedse recours accessiblesà la personne lésée et qui,
vraisemblablement,sont efficaces et suffisantes, et tant que l'usage
normal de ces voiesn'a pas étéépuisé. ii

(Voir Annuaire français de droit infernaîio>tal1956, 9. 989.)
L'Institut n'a retenu que deux exceptions à l'irrecevabilité.
celle où la nature de l'acte dommageable permet une réclamation

internationale immédiate, celle oh les partics ont convenu d'écarter
la règle. Elle a éliminétoutes autres exceptions.
Si le dommage résulte d'un comportement du législateur ou de
l'administration publique, l'épuisement des voies de recours in-
ternes apparaît comme une règle procédurale destinée à empêcher
tout recours à la justice internationale, alors que l'affaire peut être
régléedans le cadre du droit interne, car certains systèmes juri-
diques - parmi lesquels celui du Liban - connaissent un recours
interne dont il y a lieu d'user tout d'abord.
II appert que cette règle est une des plus solidement assises du
droit international positif. La Cour permanente de Justice interna-
tionale en a fait application dans son arrêt no 76 (affaire dzcchemin
de fer Panevezys-Saldutiskis). Elle a étéégalement invoquée dans
une séried'autres litiges portésdevant votre Cour (afaire de1'Anglo-
Iranian Oil Co., arrêd t u22 jz~ille1952; affaireAmbatielos,arrêd t u

19 mai 1953; affaire Noftebohm,arrêd l z6 avril1955).
Le Gouvernement français, agissant au nom de la Compagnie
du Port, des Quais et des Entrepôts de Beyrouth, se plaint d'une
modification unilatérale apportée aux actes concessionnels de la
Compagnie par la loi du 26 juillet1956, qui aurait entraîné une
rupture de l'kquation financière du contrat de la Conipagnie du
Port et ouvert à celle-ci un droit à indemnisation. Le Gouverne-
ment français se plaint aussi du refus du Gouvernement libanais
d'aller à l'arbitrage, refus qui aurait engagk la responsabilité inter-
nationale du Gouvernenient libanais. EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59) 69

Au nom de la SociétéRadio-Orient, il prétend qu'en appliquant
à cette Sociétéla loi du 26 juiliet 1956, le Gouvernement libanais a
commis un acte illicite qui en- -e sa responsabilité interna-
tionale.
Or, dans le système du droit libanais, un recours existe dans le
cas où l'une des deux ~arties contractantes refuse d'allerà l'arbi-
trage.
Le système du droit libanais, inspiré du système français, recon-
naît également le principe de la responsabilité de la Puissance
publique du fait du législateur. La Partie adverse ne le conteste pas

(voir mdmoiredzcGouvernementfrangais, 9ages 36 et 39).
Le Gouvernement français ne pourrait écarter cette exception
que s'il établissait soit l'inexistence du recours interne soit son ineffi-
cacité. La charge de la preuve lui incombe à cet égard,car la pré-
somption joue en faveur de l'État défendeur. La C. P. J. 1. l'a rap-
pelédans son arrêtdu 28 février 1939 dans l'afaire du chemindefer
Panevezys-Saldz~tiskis.

aTant qu'on n'aura pas nettement démontrédevant elle que les
tribunaux lithuaniens n'ont pas compétence pour connaître d'une
action produite par la SociétEsimene, afin de faire reconnaitre son
titre de propriété sur laligne Panevezys-Saldutiskis, la Cour ne peut
accepterla thèse de l'agentdu Gouvernementestonien selonlaquelle
la règlede l'épuisement desrecours internes ne trouverait pas son
application dans lecasprésent,parceuela loilithuanienne nefournit
point de remède.D (C. P.J. I., SérieA/B,no 76. 9.19.)

Le Gouvernement libanais n'a donc pas à démontrer que son
organisation judiciaire offre aux intéressés les garanties voulues.
Cependant, dans le but d'éclairer la Cour, il croit utile de fournirà
ce sujet les indications suivantes:
Les articles 825 et 826 du Code de procédure civile libanais
disposent :

IArt. 825 -La clause compromissoire permet à chacun des con-
tractants de sommer i'autre de passer un compromis à l'effet de
soumettre à des arbitres une difficulténéedu contratn
aArt. 826. - Si la partie somméerefuse, elle sera assignéepar
I'autre devant le tribunal civil et condamnéeà des dommages-in-
térêts,si la clause compromissoire était valable. Le jugement fixe
en ce cas un délaiau défendeur pour consentir un compromis con-
formément A l'engagement résultant pour lui de la clause compro-
missoire. Passéce délai,si le défendeurrésistetoujours, le tribunal
adjuge au demandeur ses conclusionsau fond. >,

La Compagnie du Port aurait pu porter l'affaire devant les juri-
dictions libanaises conformément à ces textes.
Le Gouvernement français cite à l'appui de sa thèse, en ce qui
concerne la responsabilité de l'État libanais du fait de la loi du
26 juillet 1956, l'avis du ministère de la Justice du Gouvernement7O EXCEPTIOSS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59)

libanais, lequel reconnaît que les exonérations d'impôts dont
bénéficiela Compagnie du Port étaient garanties par l'accord
franco-libanais de 1948 (cl. annexe32 aumémoiredu Gouvernement
français).
A la page 36 de son mémoirele Gouvernement français repro-
duit textuellement l'avis du ministère de la Justice et reconnaît que

cet avis est conforme à la thèsedu Gouvernement françaisqui tend
à établir la responsabilité de l'État libanais.
Nous produisons à notre tour un arrêt de la Cour .d'appel de
Beyrouth, no 1081 du 30.7.53(annexe no 4).
De la lecture de cet arrêt, il ressort que la jurisprudence liba-
naise, semblable à la jurisprudence française, admet le principe de
la responsabilité de la Puissance publique du fait du législateur.
La Compagnie du Port aurait pu ainsi saisir les juridictions liba-
naises et réclamer, le cas échéant,réparation pour les dommages
qu'elle a subis du fait de la loi du 26 juillet 1956.

Non seulement la Compagnie du Port n'a pas épuiséles voies
de recours internes, mais, à l'exception du recours en opposition
relatif aux taxes municipales, elle n'a procédé à aucune tentative
de les utiliser en ce qui concerne la loi du 26 juillet 1956.
Il'ailleurs, même ence qui concerne les taxes municipales, elle
n'a pas épuisé les recoursinternes.
Le non-usage de l'appel est considéré commeun défaut d'épuise-
ment des recours internes. Dans l'afaire Ambalielos, la Commis-
sion arbitrale estime qu'nil serait faux de prétendre qu'une partie

qui n'a pas uséde tous les moyens à sa disposition devant la juridic-
tion de premièreinstance et rendu ainsi l'appel sansrésultat possible,
puisse êtreautoriséeà s'appuyer sur ce fait pour échapper à la règle
de l'épuisement desrecours internes in.
La Compagnie du Port aurait pu faire appel de la décisiqnde la
Commission du Municipe de Beyrouth devant le Conseil d'Etat tel
que prévu par l'article 93 du décret législatifno 148du 3 mars 1942.
Il està relever que le chef de la demande ayant trait à la Société
Radio-Orient s'avère également irrecevable, les voies de recours
internes n'ayant pas étéépuisées.

En effet, la Société a Radio-Orient >ia, par requêteenregistrée
en date du 5-12-57. introduit devant le Conseil d'État libanais une
action en réparation du fait de l'application de la loi du 26 juillet
1956(annexeno 5).Cette action est toujours pendante.
Votre Cour a fait application de la règle de non-épuisement des
voies de recours internes dans une affaire analogue (affaire de la
Compagnie d'glectricité de Sofia). Lc 4 avril 1939, elle déclarait
qu'une requ&te belge était irrecevable, ila Cour de cassation de
Bulgarie n'ayant pas encore rendu son arrêt 1).

On ne saurait concevoir de cas où la règle de l'épuisementpréa-
lable des voies de recours internes soit plus complètement et plus
délibérémentméconnue,par le demandeur, que dans notre présente
instance. EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII59) 7I

Enfin la demande du Gouvernement français doit être rejetée
pour avoir méconnu la règle des négociations diplomatiques préa-
lables.
Dans l'arrêtrelatif à l'affaire Mavrommatis, la Cour permanente
s'est exprimée ainsi:

n La Cour se rend bien,compte de toute l'importance de la règle
suivant laquelle ne doivent êtreportéesdevant elle que les affaires
qui ne sont pas susceptibles d'êtreréglées par négociations. Elle
reconnaît, en effet, qu'avant qu'un différendfasse l'objet d'un
recours en justice. il im~orte aue son obiet ait été nettementdéfini
:IImuwn hc pourp;trlfrs tlipiom:itique~.Ccptiicl:inr,pour 1';ippli-
c:triudccctte regle,InC'ourrieptmt p;t~sedii~>cri~~~rdneir comytc,
entre suircs circonst;iiice~.dc I';ii>oréciatiies ft.its iritcrcssts
eus-mêmes,qui sontles mieuxplacéspour juger des motifs d'ordre
politique pouvant rendre impossible lasolution diplomatiqued'une
contestation déterminée.n
. La iurisprudence a fait ap~lication de cette rè~lemêmeen I'ab-
sence .de dispositions con%tionnelles imposant aux parties dec
recourir avant tonte instance contentieuse Ades négociations diplo-
matiques.

Les Commissions de réclamations qui avaient un grand nombre
d'affaires àconnaître et qui se trouvaient, à cet égard,assimilables
à des juridictions internationales, ont décidéqu'une réclamation
était irrecevable en l'absence de négociations diplomatiques préa-
lables, portant sur le point soumis à la commission (voir Lapra-
delle et Polilis,t.II, p.485, sentenced11 18 mai 1886 com~nission
ncixte - États-Unis-~exipe).
La Cour de justice centre-américaine, dans une affairc opposant
le Costa Rica au Nicaragz~a,pour déclarer le recours recevable,
a dû constater que le demandeur avait épuisé lesdémarches diplo-
matiques et que toute tentative nouvelle pourrait ètre considérée
comme vaine.
Si la Cour n'a pas eu l'occasion de préciserson opinion sur cette

exception, elle a néanmoins toujours exigéqu'il y ait,en quelque
sorte, manifestation d'opinions parallèles sur des questions précises,
avant qu'une requête ne lui soit présentée (arrétdu 27 novembre
lgjû; aflaire de6Droit d'asile).
Dans le différend actuel, contrairement aux allégations du Gou-
vernement français qui prétend à la page g de la requête intro-
ductive d'instance avoir e vainement eu recours à la voie diploma-
tique sur tous les points précédents... n,nous tenons à affirmer que
le Gouvernement libanais a étésurpris par la notification de la
requête etqu'aucune démarchepréalable n'a étéeffectuéeauprès du
ministre des Affaires étrangèresdu Gouvernement libanais.72 EXCEPTIONS DU GOUV. LIBANAIS (20 XII 59)

VI1

CONCLUSION

A) Relativement an difdvend avecla Compagniedu Port, des Quais et
des Entrepôts de Beyrouth.

Attendu que la Cour est incompétente:
Parce que le Gouvernement libanais, en promulguant la loi du
26 juillet 1956, n'a pas modifiéunilatéralement les actes conces-
sionnels de la Compagnie du Port, des Quais et des Entrepbts de
Beyrouth et par suite n'a pas violé sesengagements résultant de
l'accord franco-libanais de 1948.
Parce que le différend concernant l'arbitrage est antérieur
à l'accord de 1948et ne peut par suite êtreévoquédevant la Cour.
Parce que la Convention intervenue entre le Gouvernement
et la Compagnie du Port de Beyrouth en 1957a reglétous les litiges

pendants et que, tant que cette Convention n'a pas étédénoncée,
la Compagnie reste liéepar ses dispositions et que par suite, il n'y a
pas lieu de saisir la Cour faute de litige pendant.
Attendu, d'autre part, qu'en ce qui concerne la partie du diffé-
rend relative aux taxes municipales, l'action du Gouvernement
français se heurte à l'autoritéde la chose jugée.

Attendu que le Gouvernement de la République française n'a
pas épuisé les voiesde recours internes.
Attendu qu'il n'a pas non plus respecté larègledes négociations
diplomatiques préalables.

B) Relativement au diférend avec la SociétéRadio-Orient.
Attendu que les mêmesexceptions - à part celles relatives à

i'arbitrage et aux taxes municipales - s'appliquent au différend
avec la SociétéRadio-Orieiir.
Plaise à la Cour,

dire et juger que la requête du Gouvernement de la République
française introduite le 3 février1959 est irrecevable.

Le 20 décembre 1959.
L'Agent du Gouvernement
de la République libanaise,
..... Liste des annexes aux exceptions preliminaires
presentees par le Gouvernement de la
Republique libanaise '

I. Compagnie du Port, des Quais et des EntrepUts de Beyrouth -
augmentations du capital 1888.1956 (tableau établi par la société
Winney, Murray et Cie).

z. Renseignements extraits des bilans officielsde la Compagnie du Port,
des Quais et des Entrepôts de Beyrouth.

3. Lettre no 17.758 du IO décembre 1956 de la Compagnie du Port à
la municipalité de Beyrouth (opposition présentéepar la Compagnie
du Port A la Commission d'opposition sur les taxes des valeurs
locatives).
4. Arrêtde la Cour d'Appel de Beyrouth, no 1081 du 30 juillet 1953.

5. Recours présentépar la SociétéRadio-Orient devant le Conseild'État
libanais, no 1975 du 5 décembre 1957.

1 Annexes non reproduites

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Document Long Title

Exceptions préliminaires présentées par le Gouvernement de la République libanaise

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