DÉCLARATION D’INTERVENTION
DE LA RÉPUBLIQUE DE CUBA
À LA
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CAS RELATIF À L’APPLICATION DE LA CONVENTION
POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME
DE GÉNOCIDE DANS LA BANDE DE GAZA
(AFRIQUE DU SUD c. ISRAËL)
8 JANVIER 2025
1
TABLE DES MATIÈRES
I. Questions préliminaires .......................................................................................................3
II. Renseignements spécifiant sur quelle base l’État cubain se considère comme partie à la
Convention .................................................................................................................................4
III. Dispositions de la Convention dont Cuba estime que l’interprétation est en cause ...................7
IV.
Interprétation par la République de Cuba des dispositions de la Convention pertinentes pour
le présent cas ........................................................................................................................... 12
1. Considérations générales .................................................................................................. 12
2. Interprétation de l’article I de la Convention.......................................................................... 14
3. Interprétation de l’article II de la Convention ......................................................................... 19
4. Interprétation de l’article III de la Convention ........................................................................ 32
5. Interprétation de l’article IV de la Convention ....................................................................... 40
6. Interprétation de l’article V de la Convention ........................................................................ 42
7. Interprétation de l’article VI de la Convention ....................................................................... 44
8. Interprétation de l’article VIII de la Convention ..................................................................... 46
9. Interprétation de l’article IX de la Convention ....................................................................... 47
V. Conclusions ........................................................................................................................ 50
VI. Liste des documents appuyant la Déclaration d’intervention................................................... 52
2
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU
CRIME DE GÉNOCIDE DANS LA BANDE DE GAZA
(AFRIQUE DU SUD c. ISRAËL).
DÉCLARATION D’INTERVENTION DE LA RÉPUBLIQUE DE CUBA
Au Greffier de la Cour internationale de Justice :
I. Questions préliminaires
1. La République de Cuba a l’honneur de déposer devant l’honorable Cour
internationale de Justice (ci-après : « la Cour ») une Déclaration d’intervention en
vertu de l’article 63, paragraphe 2 du Statut dans le cas relatif à l’Application de la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la
Bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), tel qu’informé par S. Exc. le Greffier de
la Cour, dans la note nº 161010 en date du 3 février 2024.
2. Le paragraphe 1 de l’article 82 du Règlement de la Cour stipule : 1. Un État qui
désire se prévaloir du droit d’intervention que lui confère l’article 63 du Statut
dépose à cet effet une déclaration, signée comme il est indiqué à l’article 38,
paragraphe 3, du présent Règlement. Cette déclaration est déposée le plus tôt
possible, et au plus tard à la date fixée pour le dépôt du contre-mémoire.
3. Par ailleurs, le paragraphe 5 dudit article 82 stipule que la déclaration
déposée par un État indiquera le nom de l’agent, devra préciser l’affaire et la
convention qu’elle concerne, et contenir :
a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’État déclarant se considère
comme partie à la convention ;
b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que
l’interprétation est en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions ;
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés.
3
4. Cuba dépose cette Déclaration dans l’exercice du droit que lui confère l’article
63 du Statut de la Cour en tant qu’État partie à la Convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide, de 1948, ci-après « la Convention », au
moment opportun de la procédure et conformément aux exigences fixées à
l’article 82, paragraphe 5, du Règlement de la Cour. La présente Déclaration est
dûment signée par Mme l’Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la
République de Cuba auprès du Royaume des Pays-Bas, siège de la Cour,
désignée comme Agent de la République de Cuba. Sont joints les Pleins Pouvoirs
octroyés par le ministre des Relations extérieures de la République de Cuba et
désignant l’Agent, l’avocat-conseil et les représentants de l’État cubain pour ce
cas
1
.
5. Conformément à la note nº 161308, en date du 6 février 2024, de S. Exc. le
Greffier de la Cour, les États parties à la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide ont été notifiés du présent cas et des
implications qui, en vertu du paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour,
pourraient découler de l’interprétation de la Convention, notamment de ses articles
I, III, IV, V et VI.
II. Renseignements spécifiant sur quelle base l’État cubain se considère comme
partie à la Convention
6. Conformément aux dispositions de l’article 82, paragraphe 5, alinéa a) du
Règlement de la Cour, Cuba soutient sa condition d’État partie à la Convention.
7. La République de Cuba a souscrit la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide le 28 décembre 1949, et a déposé l’instrument
de ratification le 4 mars 1953, ce qui apparaît dûment enregistré devant le
Secrétaire général des Nations Unies, dépositaire de la Convention
.
2
1
Document nº 1 de la Liste de documents.
2
https://treaties.un.org/pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV1&chapter=4&clang=_en#8
4
8. Le gouvernement de la République de Cuba a procédé conformément à
l’article XI de la Convention, et, en correspondance avec son article XVII, le
Secrétaire général a notifié le statut de Cuba dans la Convention à tous les États
concernés, dont les Parties au présent cas. À ce jour, aucun État n’a émis de
déclaration ou réserve sur ce point.
9. Les originaux de ces instruments de ratification sont déposés aux archives
des Nations Unies où est gardée la Convention dûment enregistrée par le
Secrétaire général de l’Organisation, conformément aux articles XVIII et XIX de
ladite Convention.
10. Indépendamment du caractère incontestable de la condition de la
République de Cuba comme État partie à la Convention, il semblerait opportun
d’ajouter quelques renseignements dont doivent tenir compte les honorables
magistrats de la Cour.
11. Cuba estime nécessaire de souligner que les dispositions codifiées dans la
Convention constituent des normes de jus cogens à caractère erga omnes
. Par
voie de conséquence, tous les sujets du droit international ont qualité pour
intervenir dans le présent cas, au titre soit de l’article 62 soit de l’article 63 du
Statut de la Cour.
12. Indépendamment des dispositions fixées dans le Statut de la Cour, la
décision qu’adoptera celle-ci non seulement concernera les parties au présent
litige et influera sur l’interprétation de la Convention, mais encore touchera
l’exécution d’obligations internationales à caractère universel. Tous les sujets du
droit international sont astreints à exécuter les normes considérées aujourd’hui
comme transgressées, quel que soit leur statut devant la Convention et qu’ils
comparaissent ou non devant la Cour.
3
3
Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Arrêt du 26 février 2007, p. 43.
5
13. Compte tenu des renseignements sur lesquels se fonde la République de
Cuba pour intervenir dans le présent cas, il est nécessaire de prendre en
considération deux éléments supplémentaires.
14. Le premier point à envisager dans toute interprétation relative à la
Convention est qu’aucune déclaration ou réserve sur celle-ci ne saurait modifier,
affecter ou annuler la portée des obligations de jus cogens qu’elle contient, ni
restreindre son caractère erga omnes.
15. Dans son avis consultatif du 28 mai 1951 concernant les réserves à la
Convention, la Cour a soutenu que les principes qui sont à la base de la
Convention sont des principes reconnus par les nations civilisées comme
obligeant les États même en dehors de tout lien conventionnel. La Convention a
donc été voulue […] comme une convention de portée nettement universelle. […]
Les fins d'une telle convention doivent également être retenues. La Convention a
été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. […] Les
États contractants n'ont pas d'intérêts propres ; ils ont seulement tous et chacun
un intérêt commun […] Il en résulte que l'on ne saurait […] parler d'avantages ou
de désavantages individuels des États
4
.
16. En sus de ce qui précède et compte tenu du fait que l’objet de la
Convention est de prévenir et de réprimer le génocide, Cuba soutient que la
condition d’État partie est incompatible avec n’importe quelle réserve, incluse à
l’article IX ou à un autre, si elle empêche la Cour d’exercer effectivement sa
compétence visant à réprimer ce grave crime selon le droit international. N’importe
quelle réserve en ce sens s’opposerait au but même de la Convention, puisque,
comme cela est spécifié dans l’avis consultatif susmentionné, aucun État ne peut
être lié par une réserve à laquelle il n'a pas consenti.
17. Par ailleurs, le gouvernement de la République de Cuba partage et fait
siennes les préoccupations que la République sud-africaine a exposées dans la
Requête et dans la demande en indication de mesures conservatoires qu’elle a
4
Réserves à la Convention sur le Génocide, Avis consultatif : C. I. J., Recueil 1951, p. 15.
6
déposées devant la Cour. Il souligne également que les faits que l’Afrique du Sud
a portés à la connaissance de la Cour se bornent, pour des raisons d’économie
procédurale et de convenance probatoire, aux faits les plus récents et les plus
incontestables à même de prouver la commission de l’acte génocidaire, sans
couvrir ni prétendre couvrir les décennies durant lesquelles Israël a exécuté un
génocide contre le peuple palestinien. De la même manière, la Requête
introductive d’instance contre l’État d’Israël déposée par l’Afrique du Sud n’inclut
pas les actions ou omissions que des agents du gouvernement israélien
continuent de commettre, au moment même où la Cour examine ce cas. La
conviction génocidaire d’Israël ne se limite pas à la durée des éléments
probatoires que la Cour examine aujourd’hui et qui confirment la commission du
crime de génocide selon le droit international.
18. La Cour devrait, dans ses raisonnements sur ce cas, développer les
considérations antérieures, dans la mesure où leur interprétation pourrait inciter
des États à chercher à éluder les responsabilités que leur impose le droit
international vis-à-vis des normes de jus cogens et à caractère erga omnes.
19. En conclusion, la République de Cuba possède le statut et la légitimation
active requis pour intervenir dans la procédure actuelle et demande
respectueusement à la Cour d’envisager largement l’effet des décisions qu’elle
prendra sur l’interprétation et l’application de la Convention dans le présent cas.
III. Dispositions de la Convention dont Cuba estime que l’interprétation est en cause
20. Conformément à l’article 82, paragraphe 5, alinéa b) du Règlement de la
Cour, les préceptes de la Convention dont l’interprétation est en cause vont audelà
des
articles I, III, IV, V y VI, soulignés dans la note nº 161308, en date du
6 février 2024, du Greffier de la Cour. La République de Cuba estime que la
sentence pourrait avoir, en sus, un effet sur l’interprétation d’autres articles de la
Convention, tels les articles II, VIII et IX.
7
21. Au paragraphe 110 de sa Requête introductive d’instance contre l’État
d’Israël, l’Afrique du Sud affirme: « … le comportement d’Israël à l’égard des
Palestiniens de Gaza — par l’intermédiaire de ses organes et agents de l’État,
ainsi que d’autres personnes et entités agissant sur ses instructions ou sous sa
direction, son autorité ou son influence — est contraire aux obligations découlant
de la convention sur le génocide, notamment aux articles premier, III, IV, V et VI,
lus conjointement avec l’article II. Ces manquements à la convention sur le
génocide sont notamment, mais pas seulement, les suivants :
a) le fait de ne pas prévenir le génocide, en violation de l’article premier ;
b) la commission du génocide, en violation du litt. a) de l’article III ;
c) l’entente en vue de commettre le génocide, en violation du litt. b) de
l’article III ;
d) l’incitation directe et publique à commettre le génocide, en violation du
litt. c) de l’article III ;
e) la tentative de génocide, en violation du litt. d) de l’article III ;
f) la complicité dans le génocide, en violation du litt. e) de l’article III ;
g) le fait de ne pas punir le génocide, l’entente en vue de commettre le
génocide, l’incitation directe et publique à commettre le génocide, la
tentative de génocide et la complicité dans le génocide, en violation des
articles premier, III, IV et VI ;
h) le fait de ne pas prendre les mesures législatives nécessaires pour
assurer l’application des dispositions de la convention sur le génocide et de
ne pas prévoir des sanctions pénales efficaces applicables aux auteurs de
génocide, d’entente en vue de commettre le génocide, d’incitation à
commettre le génocide, de tentative de génocide et de complicité dans le
génocide, en violation de l’article V ; et
i) le fait de ne pas permettre ou d’empêcher directement ou indirectement
que des organes
internationaux compétents ou des missions
d’établissement des faits enquêtent sur les actes génocidaires commis
contre les Palestiniens de Gaza, y compris ceux qui sont emmenés en
8
Israël par des agents de l’État ou des forces israéliennes, obligation
nécessaire et corollaire de celles des articles premier, III, IV, V et VI.
22. L’Afrique du Sud comme partie demanderesse formule clairement son
intention quand elle invoque les manquements aux articles I, III, IV, V et VI de la
Convention, tout en indiquant ensuite que ceux-ci doivent être lus en liaison avec
l’article II. Il en appert qu’elle prétend faire valoir les préceptes stipulés dans cet
article. Pour sa part, Israël soutient que ses actions ou omissions ne peuvent être
qualifiées de génocide aux termes de l’article II.
23. À quoi nous devons ajouter la complexité du présent cas. Comme le dit
bien l’Afrique du Sud dans sa requête, « les actes de génocide du gouvernement
israélien s’inscrivent nécessairement dans un continuum ». Plus de soixantequinze
ans d’actions ou d’omissions composées ont mis à nu le dolus specialis
constitutif du crime de génocide.
24. De ce fait, la Cour sera obligée de décider à partir de quel moment il lui
serait possible d’envisager l’existence d’une intention génocidaire dans l’ensemble
des actions ou omissions qui, des décennies durant, ont constitué les politiques
des différents gouvernements israéliens et qui trouvent leur expression la plus
brutale de nos jours.
25. Pour faire valoir sa requête, l’Afrique du Sud n’a pas besoin de prouver le
moment exact où est apparue l’intention génocidaire d’Israël contre le peuple
palestinien. Pas plus qu’il n’est nécessaire de prouver l’intention génocidaire
d’Israël de manière individuelle pour chaque acte ou chaque omission qui forme
sa politique, « lorsque cette intention est la seule conclusion qui puisse
raisonnablement être déduite des actes en cause ».
26. Bien qu’en ces moments précis, le génocide soit de plus en plus évident,
l’évolution historique et le contexte général du conflit sont pertinents pour la
décision de la Cour. À la différence des autres cas de génocide qu’elle a déjà
examinés, le cas présent procure à la Cour une occasion unique d’apporter une
9
interprétation de l’article II qui empêche d’autres États, comme Israël, de
concevoir et d’exécuter des politiques dont l’exécution étendue dans le temps vise
à occulter le dolus specialis.
27. De l’avis de Cuba, les articles VIII et IX devraient faire ensemble l’objet
d’une réflexion profonde quant à la décision de fond à prendre à propos de la
requête concernée.
28. Le présent cas constitue un exercice du droit qu’octroie l’article VIII de la
Convention : « Toute Partie contractante peut saisir les organes compétents de
l'Organisation des Nations Unies afin que ceux-ci prennent, conformément à la
Charte des Nations Unies, les mesures qu'ils jugent appropriées pour la
prévention et la répression des actes de génocide ou de l'un quelconque des
autres actes énumérés à l'article III
. »
5
29. Ce droit s’exerce en particulier aux termes de l’article IX : « Les différends
entre les Parties contractantes relatifs à l'interprétation, l'application ou l'exécution
de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d'un État en
matière de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article
III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d'une partie au
différend
6
. »
30. Durant les procédures initiales relatives aux mesures conservatoires, Israël
a soutenu que la Cour n’avait pas compétence prima facie pour connaître du cas.
Cet argument, que la Cour a rejeté, constitue une remise en question du droit
qu’octroie l’article VIII de la Convention, lequel, en son caractère erga omnes,
opère en faveur non seulement de l’Afrique du Sud, mais encore de tous les États.
Par ailleurs, il prouve l’intention d’Israël d’éluder les obligations découlant de
5
Article VIII de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
9 décembre 1948.
6
Article IX de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre
1948.
10
l’article IX de la Convention et du caractère de jus cogens concernant l’’interdiction
du génocide.
31. Cet argument juridique qu’Israël a avancé dès la phase initiale de la
procédure fera sûrement partie de ses arguments de fond, compte tenu de sa
violation persistante du droit international et de son attitude de mépris à l’égard
des mesures conservatoires prononcées par la Cour dans le présent cas
.
7
32. En outre, les deux articles (VIII et IX) de la Convention invoquent
directement l’article III. Celui-ci, qui est clairement en cause dans le présent cas,
impliquerait, en vertu des faits examinés, la responsabilité internationale non
seulement d’Israël, mais aussi de toutes les puissances qui l’incitent, en sont
complices ou s’y associent. Dans le présent contexte immédiat où a été soumis le
présent cas, la Cour constatera qu’elle a déjà devant soi une autre requête liée à
la même situation
.
8
33.
Cuba juge que ce qui précède est une requête sine qua non en vue de la
réalisation du but humain et civilisateur d’une Convention qui contient des normes
jus cogens et à caractère erga omnes, selon les dispositions de la Cour ellemême
9
. Le droit international coutumier pose clairement les conséquences
qu’entraînent les graves inexécutions du droit international et établit l’obligation de
tous les États de ne pas reconnaître ces violations et de coopérer pour y mettre
fin
10
.
7
Ordonnance du 26 janvier 2024, Application de la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide dans la Bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël).
8
Manquements allégués à certaines obligations internationales relativement au Territoire
palestinien occupé (Nicaragua c. Allemagne).
9
Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c.
Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015, p. 3 (paragraphe 87).
10
Articles 40 et 41. Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, Annexe de la Résolution
A/RES/56/83. 12 décembre 2001, Cinquante-sixième session de l’Assemblée générale des Nations Unies.
11
IV. Interprétation par la République de Cuba des dispositions de la Convention
pertinentes pour le présent cas
1. Considérations générales
34. La Convention de Vienne sur le droit des traités, du 23 mai 1969, contient à
sa Partie III, Section 3, les règles fondamentales existant en matière
d’interprétation des traités internationaux, la Cour ayant invoqué à maintes
reprises ces normes coutumières en matière de règles générales et de moyens
d’interprétation.
35. En outre, s’agissant de génocide, la Cour a statué : « Afin de déterminer si,
comme le soutient le demandeur, le défendeur a violé l’obligation qu’il tient de la
Convention et, s’il y a eu violation, d’en déterminer les conséquences juridiques, la
Cour fera appel non seulement à la Convention proprement dite, mais aussi aux
règles du droit international général qui régissent l’interprétation des traités et la
responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite
. »
36. Dans différents arrêts de la Cour, on peut trouver des références comme
celle-ci : « Selon la Cour, l’article II de la Convention, y compris les termes
“commis dans l’intention de détruire”, “doit être interprété de bonne foi suivant le
sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de
son objet et de son but”, ainsi que le prévoit la règle coutumière reflétée à l’article
31 de la convention de Vienne sur le droit des traités
11
. »
12
37. Aussi, Cuba insiste-t-elle sur l’importance que la Cour, en interprétant les
articles de la Convention en discussion dans le présent cas, contribue par son
arrêt à éliminer toute ambiguïté ou obscurité, et renforce l’objet et le but de la
Convention.
11
Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février 2007, p. 105,
paragraphe 149.
12
Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c.
Serbie), arrêt du 3 février 2015, p. 64, paragraphe 138.
12
38. Les particularités du cas exigeront que, indépendamment du mandat
juridictionnel sans équivoque contenu dans l’article IX de la Convention, la Cour
aborde des questions du droit des gens connexes à la Convention. En sus du droit
des traités et des règles secondaires de responsabilité des États pour fait
internationalement illicite, la Cour pourrait raisonner sur la façon dont les violations
systématiques et flagrantes du droit international humanitaire et des droits
humains du peuple palestinien confirment l’intention génocidaire de la politique
menée par le gouvernement israélien.
39. Comme l’a reconnu la Cour, il est très difficile que les responsables du
génocide déclarent directement le dolus specialis, ce qui n’empêche pas que l’on
puisse parvenir à le déterminer en examinant un ensemble de manquements au
droit international.
40. Au bénéfice de l’unité et de la non-fragmentation du droit des gens, la Cour
devrait utiliser une manière d’évaluation similaire à la creeping expropriation à
laquelle recourent des tribunaux internationaux pour défendre le droit de propriété.
Au-delà du droit international relatif aux investissements, la Convention interdit
catégoriquement le crime de génocide, qu’il soit direct ou indirect, et réprime les
conduites qui lui sont associées à n’importe quelle étape de son exécution (iter
criminis) : incitation, tentative ou atteinte.
41. Nous avons là une occasion unique, non seulement de confirmer les arrêts
historiques pris en la matière, mais encore de démontrer en accord étroit avec
l’objet et le but civilisateurs de la Convention que les personnes sont plus
importantes que les biens. Indépendamment des faits atroces qui peuvent être
dûment argumentés au titre de l’article II de la Convention, la violation graduelle,
aux effets cumulatifs, des droits du peuple palestinien équivaut au déni de son
droit d’exister comme groupe.
13
2. Interprétation de l’article I de la Convention
42. Le texte de la Convention s’étend sur la nature des sujets qui pourraient
être impliqués dans le crime de génocide selon le droit international. Les États ne
sauraient être exonérés en aucun cas de leur obligation coutumière en droit
international de ne pas commettre de génocide. L’Afrique du Sud soutient avec
raison et en accord avec le droit que les actes ou omissions qui constituent le
génocide contre le peuple palestinien sont imputables à Israël qui l’exécute à
travers des organes et des agents étatiques ou par tiers interposés sous la
direction, l’autorité ou l’influence de ceux-ci
.
43. L’article premier de la Convention stipule clairement : « Les Parties
contractantes confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou
en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu'elles s'engagent à prévenir
et à punir
13
. » Il confirme donc non seulement que tout État partie à la Convention
accepte l’existence du crime de génocide en droit international, mais il établit en
sus l’obligation pour lui de le prévenir et de le punir.
44.
14
Le caractère absolu des obligations découlant de l’article premier de la
Convention est renforcé par le fait qu’il souligne que le génocide constitue un
crime du droit des gens, qu’il soit commis en temps de guerre ou en temps de
paix. Ainsi donc, la Convention étend au temps de paix certaines règles du droit
international humanitaire, tout en renforçant le caractère inaliénable de droits de
l’homme déterminés.
45.
Il est important de souligner, au sujet du point précédent, que l’obligation
qu’impose la Convention de prévenir le crime de génocide en droit international ne
se borne pas au territoire de l’État contractant, ni n’est restreint d’aucune autre
forme. Par conséquent, on ne saurait soutenir qu’un État, alors qu’il a l’obligation
13
Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la
Bande de Gaza, (Afrique du Sud c. Israël), Requête introductive d’instance, 28 décembre 2023,
paragraphe 110.
14
Article Premier de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
9 décembre 1948.
14
de prévenir, puisse être déchargé de sa responsabilité quand il commet ce qu’on
appelle le crime des crimes. Cette obligation générale de prévoir ayant un
caractère de diligence due, tous les États doivent l’observer scrupuleusement,
quel que soit le territoire où le crime se commet et, en particulier, quand l’autorité
judiciaire internationale suprême estime pertinent d’aller plus avant dans un cas
où, prétendument, il se commet un génocide.
46. Au-delà de tout doute, et malgré la réticence de certains États, les
raisonnements de la Cour sont capitaux :
L’article premier […] n’impose pas expressis verbis aux États de s’abstenir
de commettre eux-mêmes un génocide. De l’avis de la Cour, cependant, eu
égard à l’objet de la Convention tel que généralement accepté, l’article
premier a pour effet d’interdire aux États parties de commettre eux-mêmes
un génocide. Une telle prohibition résulte, d’abord, de la qualification de
« crime du droit des gens » donnée par cet article au génocide : en
acceptant cette qualification, les États parties s’engagent logiquement à ne
pas commettre l’acte ainsi qualifié. Elle résulte, ensuite, de l’obligation,
expressément stipulée, de prévenir la commission d’actes de génocide.
Cette obligation impose notamment aux États parties de mettre en œuvre
les moyens dont ils disposent, dans des conditions qui seront précisées
plus loin dans le présent arrêt, afin d’empêcher des personnes ou groupes
de personnes qui ne relèvent pas directement de leur autorité de
commettre un acte de génocide ou l’un quelconque des autres actes
mentionnés à l’article III. Il serait paradoxal que les États soient ainsi tenus
d’empêcher, dans la mesure de leurs moyens, des personnes sur
lesquelles ils peuvent exercer une certaine influence de commettre le
génocide, mais qu’il ne leur soit pas interdit de commettre eux-mêmes de
tels actes par l’intermédiaire de leurs propres organes, ou des personnes
sur lesquelles ils exercent un contrôle si étroit que le comportement de
celles-ci leur est attribuable selon le droit international. En somme,
l’obligation de prévenir le génocide implique nécessairement l’interdiction
de le commettre
.
15
47. En conclusion, la jurisprudence actuelle est claire, et les règles secondaires
de responsabilité des États pour fait internationalement illicite confirment qu’un
15
Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Arrêt du 26 Février 2007, p. 113,
paragraphe 166.
15
État répond du manquement à n’importe quelle obligation primaire en droit
international quand l’action ou l’omission lui est imputable
. Ces deux points sont
interdépendants et découlent de l’application conjointe des articles premier et IX
de la Convention.
48. En ce qui concerne la portée de l’interprétation de l’obligation de prévention
contenue dans l’article premier, celle-ci, de l’opinion de la Cour, va au-delà de
l’obligation de réprimer et de l’article VIII de la Convention. La République de
Cuba fait sien ce raisonnement, tout en insistant sur l’idée que les États « ne sont
pas […] déchargés de l’obligation de mettre en œuvre, chacun dans la mesure de
ses capacités, les moyens propres à prévenir la survenance d’un génocide, dans
le respect de la Charte des Nations Unies…
16
»
49. Dans l’arrêt précité, la Cour fixe les règles à partir desquelles elle examine
l’exécution de l’obligation de prévention contenue dans la Convention, la
considérant comme une obligation de comportement (diligence due), et non de
résultat. Bien que ce classement des obligations soit familier aux juristes formés
dans le droit romano-germanique, les experts de la Commission du droit
international ont décidé de l’écarter dans leurs commentaires sur les articles
relatifs à la responsabilité des États pour fait internationalement illicite.
50.
17
Il a été estimé, et la Cour partage ce point de vue, que les obligations en
droit international doivent être examinées dans le contexte de la Convention et de
la situation concrète en question. La République de Cuba ne souligne pas ce point
dans l’intention de polémiquer sur les raisonnements d’experts en traités et de
magistrats internationaux, mais pour mettre en relief les particularités du présent
cas.
16
« Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », annexe de la Résolution
A/RES/56/83, 12 décembre 2001, 85
e
séance plénière de l’Assemblée général des Nations Unies.
17
Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février 2007, p. 220,
paragraphe 427.
16
51. À la différence d’autres situations, la Cour, quand elle examine l’obligation
de prévention du génocide, devrait prendre en considération le fait que, de facto,
Israël est une « puissance occupante ». Cuba est d’avis que l’occupation convertit
l’obligation de prévention que doit respecter Israël en, s’il fallait la classifier, une
obligation de résultat. L’occupation illégale des territoires palestiniens rend
pleinement applicable à tous actes ou omissions le critère appliqué par la Cour, à
savoir que « cette capacité est elle-même fonction, entre autres, de l’éloignement
géographique de l’État considéré par rapport au lieu des événements, et de
l’intensité des liens politiques et de tous ordres entre les autorités dudit État et les
acteurs directs de ces événements
18
. »
52. Israël, en tant que « Puissance occupante », assume selon le droit
international une responsabilité envers le peuple palestinien et la communauté
internationale. Aussi Cuba estime-t-elle que, dans ce cas précis, l’obligation de
prévention du génocide doit être examinée comme une obligation de résultat. Il
convient de signaler par ailleurs que, conformément au droit international
coutumier, Israël est obligé, même s’il pouvait invoquer éventuellement des
circonstances excluant l’illicéité, d’appliquer sans délai les normes du droit
international violées et de verser les indemnisations correspondant aux pertes
provoquées
.
19
53. Le manquement d’Israël à son obligation de prévenir le génocide du peuple
palestinien doit être examiné concrètement dans le contexte spécifique qu’à
signalé la Cour dans le présent cas. Il faudrait envisager en particulier :
Primo : Durant ces plus de soixante-quinze années de conflit, la
communauté internationale a adopté une série d’actions qui, entre autres
objectifs, visaient à prévenir le génocide en cours contre le peuple
palestinien, sans obtenir le moindre résultat. Toutes les actions précitées et
18
Id. p, 221, paragraphe 430.
19
Article 27. Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite. Annexe de la Résolution
A/RES/56/83. 12 décembre 2001, Cinquante-sixième session de l’Assemblée générale des Nations Unies.
17
qui pourraient bien être envisagées à titre préventif aux termes de l’article
VIII de la Convention, ont échoué pour deux raisons essentielles :
a) Israël fait fi, de manière systématique et flagrante, des mesures
collectives adoptées par la communauté internationale, dont des
décisions des principaux organes des Nations Unies ;
b) le Conseil de sécurité est incapable d’adopter des mesures plus
conséquentes en raison du comportement pernicieux de l’un de ses
membres permanents qui garantit à Israël l’impunité pour ces
manquements.
Secundo : Si les mesures adoptées par certains États ont été inefficaces,
c’est parce que d’autres États ont appuyé les politiques d’Israël sans tenir
compte des conséquences des actions ou omissions de ce dernier, de son
génocide éventuel et de son manquement à ses obligations internationales.
Tertio : Ceci explique pourquoi la République du Nicaragua a engagé devant
la Cour une procédure contre un autre État souverain ; pourquoi des
dénonciations ont été soumises devant la Cour pénale internationale ; et
pourquoi, dans le cadre de nombreuses juridictions nationales, des
réclamations ont été présentées contre des gouvernants et des entreprises
pour leur appui éventuel au génocide que commet Israël contre le peuple
palestinien.
55. Compte tenu de ce contexte, la Cour, en examinant le manquement
éventuel d’Israël à son obligation directe de prévenir le génocide, devrait établir
des moyens d’interprétation qui permettent indirectement aux autres acteurs
internationaux de comprendre comment leurs actions ou omissions s’ajustent ou
non à l’exécution de cette obligation internationale.
18
56. Ceci est d’autant plus crucial que la Cour doit envisager qu’Israël continuera
probablement de mener la même politique malgré un arrêt le condamnant, grâce à
l’impunité que lui garantit un membre permanent du Conseil de sécurité.
57. En ce qui concerne l’exécution de l’obligation de répression selon le droit
international, il faut prendre en considération le fait que les personnes
responsables agissent directement au nom d’Israël ou sous sa direction ou
autorité. À quoi il faut ajouter l’engagement de ne pas détruire des preuves,
d’enquêter et de condamner les exécutants du génocide, lequel engagement fait
partie prenante de l’obligation de répression. Dans le présent cas, il faut
interpréter le manquement à cette obligation en tenant compte de l’incapacité de
l’État d’Israël à condamner les actes qu’exécute et avalise son gouvernement. Par
conséquent, la Cour devrait, en tant que facteur nécessaire à l’exécution de cette
obligation, statuer que l’État d’Israël doit obligatoirement mettre les responsables à
la disposition des tribunaux, comme cela s’est fait aux procès de Nuremberg.
3. Interprétation de l’article II de la Convention
58. L’article II de la Convention établit le concept de génocide et les actes qui
pourraient constituer le crime du droit des gens :
Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des
actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un
groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant
entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
59. L’article définit clairement le crime de génocide et liste un ensemble d’actes
de vaste portée qui pourraient y confluer soit par action soit par omission.
19
Conformément à cet article, la confluence de l’actus reus et de la mens rea
permettrait d’identifier du crime de génocide.
60. Dans le présent cas, les actes commis (actus reus) par Israël sont abondants
et dument documentés par diverses sources qui vont au-delà des faits reconnus
que l’Afrique du Sud a portés devant la Cour.
61. Cuba soutient qu’il faut examiner ces actes comme faisant partie d’une
politique que le gouvernement israélien exécute, depuis des décennies, à
différents niveaux d’intensité dans un but évidemment génocidaire (mens rea),
que les faits enregistrés depuis octobre 2023 mettent en évidence sans l’ombre
d’un doute.
62. Pour qu’il y ait crime de génocide, il suffit de la commission d’un seul de ces
actus reus, à partir du moment où l’existence de la mens rea spécifique est
confirmée. Le massacre de Palestiniens n’est pas un fait isolé qui a commencé en
octobre 2023. Même si elle prend aujourd’hui des traits dramatiques compte tenu
du nombre démesuré de civils qui ont perdu la vie ces derniers mois —des
fillettes, des garçonnets et des femmes dans leur immense majorité—
l’extermination de Palestiniens est une politique qui remonte loin en arrière. Tout
ceci se manifeste dans la façon dont est perçue de nos jours le tort historique
infligé au peuple palestinien.
63. Aussi la Cour ne saurait-elle se borner à un examen isolé d’exécutions
déterminées : elle doit vérifier, dans l’ensemble historique d’actions ou
d’omissions, la façon dont Israël a réduit l’existence du peuple palestinien.
64. Selon le texte même de la Convention, la détermination du dolus specialis en
matière de génocide ne requiert pas la commission du crime. Il suffit du concours
d’un actus reus et d’un dolus specialis donné. Elle ne requiert pas non plus que
les actions ou omissions visent tout l’ensemble du groupe, puisqu’il suffit qu’elles
portent contre une partie substantielle de celui-ci.
20
65. Dans le cas Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro, la Cour a mis en
relief trois facteurs essentiels quand on examine ces questions
, bien qu’elle ait
conclu comme suit : « La liste de critères donnée ci-dessus n’est pas limitative,
mais, comme il vient d’être indiqué, le critère du caractère substantiel est
déterminant. Ce sont essentiellement les critères que la chambre d’appel a
exposés dans l’affaire Krstić, bien que la Cour donne priorité au premier. La
décision dépendra beaucoup de la manière dont le juge appréciera ces critères
ainsi que tous les autres facteurs pertinents dans chaque espèce
20
. »
66. Le critère de caractère substantiel établi par la Cour « est corroboré par la
jurisprudence constante du TPIY et du Tribunal pénal international pour le
Rwanda (TPIR), ainsi que par la CDI dans son commentaire des articles du projet
de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (voir, par exemple,
Krstić, IT-98-33-A, chambre d’appel, arrêt du 19 avril 2004, par. 8-11, et les
affaires Kayishema, Byilishema et Semanza qui y sont citées, ainsi que l’Annuaire
de la CDI, 1996, vol. II, deuxième partie, p. 45, par. 8 du commentaire de
l’article 17)
21
. »
67. Même si Israël prétendrait argumenter qu’il ne poursuit pas tout le peuple
palestinien, le fait est qu’il mène depuis des décennies des actions et une politique
visant à éliminer la partie du peuple palestinien qui défend l’idée de son existence
comme peuple souverain et indépendant. C’est justement cette partie substantielle
du groupe qui constitue l’objectif de la mens rea génocidaire d’Israël.
68. Bien que, faute de consensus en 1948, la poursuite légale pour des motifs
politiques ait été malheureusement exclue de la Convention, le critère de groupe
national implique une protection spéciale envers les membres d’une nation. Cette
protection doit être spécialement reconnue quand une partie significative dudit
22
20
Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février 2007, p. 126,
paragraphe 198-201.
21
Id., paragraphe 201.
22
Id., paragraphe 198.
21
groupe national défend, conformément aux buts et principes de la Charte des
Nations Unies, ses droits inaliénables à l’autodétermination, à la paix, à
l’indépendance politique et à la souveraineté
.
69. De plus, « la Cour relève qu’il est largement admis qu’il peut être conclu au
génocide lorsque l’intention est de détruire le groupe au sein d’une zone
géographique précise. Pour reprendre les termes de la CDI, l’intention “ne doit pas
nécessairement être l’anéantissement complet du groupe, dans le monde
entier”
23
24
. »
70. Ce deuxième critère défendu par la Cour est capital. La République de Cuba
estime que l’endroit géographique où se trouve situé un groupe ou une partie
substantielle de celui-ci est essentiel pour déterminer le dolus specialis du crime
de génocide. Dans le présent cas, ce que nie Israël est justement l’emplacement
géographique du groupe et la défense de son droit d’exister d’une manière
indépendante et en tant que nation souveraine.
71. Pour atteindre ces objectifs, Israël a conçu et appliqué sa politique
génocidaire d’une façon méticuleuse et étalée dans le temps. Le résultat tangible
en est les millions de personnes déplacées et réfugiées, les centaines de milliers
de morts et de victimes, la destruction de l’économie et de l’infrastructure civile de
l’État palestinien.
72. Bien que la question de la partie substantielle du groupe puisse être
considérée comme un point de départ, elle ne se réduit pas à un constat
numérique
. Creusant ces raisonnements, la Cour elle-même a fait siens les
critères soutenus par la cour d’appel de l’ICTY dans le cas Krstić : « Si une portion
donnée du groupe est représentative de l’ensemble du groupe, ou essentielle à sa
survie, on peut en conclure qu’elle est substantielle au sens de l’article 4 du Statut
25
23
Articles 1 et 2 de la Charte des Nations Unies.
24
Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février 2007, p. 126,
paragraphe 199.
25
Id., paragraphe 200.
22
[de l’ICTY, paragraphe 2, qui reproduit pour l’essentiel l’article II de la
Convention]
. »
26
73. En outre, dans le jugement contre Akayesu, le tribunal a statué :
« Concrètement, pour que l’un quelconque des actes incriminés au paragraphe (2)
de l’article 2 du Statut soit constitutif de génocide, il doit avoir été commis à
l’encontre d’un ou de plusieurs individus, parce que cet ou ces individus étaient
membres d’un groupe spécifique et en raison même de leur appartenance à ce
groupe. Aussi, la victime de l’acte est choisie non pas en fonction de son identité
individuelle, mais bien en raison de son appartenance nationale, ethnique, raciale
ou religieuse. La victime de l’acte est donc un membre du groupe, choisi en tant
que tel, ce qui signifie finalement que la victime du crime de génocide est le
groupe lui-même et non pas seulement l’individu
. »
27
74. Indépendamment des aspects précédents, Cuba tient à souligner que, pour
constater le génocide, la Convention n’établit aucune analyse de type
mathématique ni ne fixe de seuil numérique. De fait, dans les alinéas a) et b) de
l’article III de la Convention, il n’est fait référence ni à un groupe ni à une partie
substantielle d’un groupe ou à une partie d’un groupe, ce qui pourrait être
qualitativement supérieur au concept de membres du groupe utilisé.
75. En outre, dans le droit des traités, les règles d’interprétation exigent que l’on
considère les termes dans leur « sens ordinaire
». De même, le principe de
bonne foi indiquerait la nécessité que n’importe quelle interprétation vise à élargir,
et non à restreindre, la portée de la Convention.
76. En droit international, et notamment en ce qui concerne l’article II, alinéa a)
de la Convention, la détermination du génocide ne se réduit pas à des chiffres. Le
meurtre de membres du groupe peut être confirmé aussi bien par les plus de
28
26
Arrêt de la Chambre d'appel dans l'affaire le Procureur contre Radislav Krstic, La Haye, 19 avril
2004, CC/P.I.S./839-f.
27
Tribunal pénal international pour le Rwanda, Le Procureur c. Jean-Paul Akayesu, ICTR-96-4-T,
Jugement, 2 septembre 1998, paragraphe 521.
28
Article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 1969.
23
43 712 Palestiniens tués et 130 258 blessés au 13 novembre 2024 – selon le
ministère gazaoui de la Santé – après plusieurs mois d’attaques et de
bombardements que par l’existence de fosses communes aux environs des
hôpitaux Al Nasser et Al Shifa
.
77. Il vaut la peine de souligner que, avant l’attaque de Rafah par Israël, près de
la moitié des victimes de son agression étaient des enfants (14 685) et un tiers
des femmes (9 679), selon des rapports du Haut-Commissariat aux droits de
l’homme. Soit environ 63 femmes tuées par jour, dont 37 mères. Un rapport
détaillé émis le 8 novembre 2024 par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux
droits de l’homme - Amérique centrale et Caraïbes (OACNUDH) et couvrant du
1
29
er
novembre 2023 au 30 avril 2024, corrobore que près de 70 p. 100 des victimes
mortelles de l’agression israélienne sont des enfants et des femmes, ce qui
indique une violation systématique des principes fondamentaux du droit
international humanitaire, tels que la distinction et la proportionnalité, par les
forces armées israéliennes
. De même, des experts des Nations Unies ont
exprimé leur inquiétude devant la présence de corps de femmes et d’enfants dans
les fosses communes récemment découvertes, et devant de fortes présomptions
de personnes enterrées vivantes, exécutées de façon sommaire, torturées et/ou
ligotées.
78. On ne saurait considérer ces actus reus de façon isolée, bien que chacun
d’eux confirme une violation de l’alinéa a) de l’article II ; ils doivent être évalués
comme faisant partie du meurtre généralisé en cours depuis des décennies.
Reconnaître cet actus reus dans toute son ampleur permettrait d’honorer la dette
de justice historique envers toutes les victimes palestiniennes, compte tenu du
caractère continu et aggravé des actions ou omissions imputables à Israël.
79. Une fois déduite dans ce cas la mens rea, que l’on pourrait aussi démontrer
directement à partir de déclaration de représentants du gouvernement israélien, la
Cour pourrait inférer comme partie de ce meurtre (actus reus) les années
30
29
https://news.un.org/es/story/2024/04/1529211
30
ohchr.org/sites/default/files/documents/countries/opt/20241106-Gaza-Update-Report-OPT.pdf
24
d’assassinats et d’exécutions perpétrés par les forces d’occupation. De l’avis de la
République de Cuba, il est important que les raisonnements de la Cour confirment
que la commission du meurtre ne se limite pas aux faits dans lesquels on constate
une quantité élevée de victimes, mais qu’elle pourrait avoir un effet cumulatif, une
fois prouvée la mens rea.
80. La Cour devrait, dans son interprétation, dépasser la simple
reconnaissance que le terme « membres du groupe » n’est pas associé à
l’existence d’une quantité déterminée ou significative de victimes. Elle pourrait
ainsi en conclure que le « meurtre des membres du groupe » est confirmé par la
mens rea existant au moment de l’homicide de n’importe quel être humain, quel
que soit le contexte du cas. L’Holocauste a débuté avec la première victime juive.
81.
Il faudrait recourir au même modèle d’interprétation pour examiner l’actus
reus d’Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe,
conformément à la teneur de l’article II, alinéa b), de la Convention.
82. Dans le présent cas, les atteintes physiques ou mentales vont au-delà des
personnes individuelles pour se convertir en un dommage direct et tangible « au
groupe ». Et ce, comme conséquence de plusieurs décennies durant lesquelles
Israël a appliqué des politiques et réalisé des actions dans un objectif clairement
génocidaire.
83. En sus des éléments de fait présentés par l’Afrique du Sud, de nombreuses
sources internationales consignent l’ampleur des lésions physiques et mentales
infligées à des centaines de Palestiniens attrapés dans le régime honteux
d’apartheid qu’Israël a mis en place dans les territoires palestiniens illégalement
occupés.
84. Dans la Déclaration qu’elle a déposée récemment devant la Cour à
l’occasion de la Demande d’avis consultatif sur les conséquences juridiques
découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé,
25
y compris Jérusalem-Est, Cuba a rappelé une longue série de rapports des
Nations Unies qui permettent d’affirmer, au-delà de tout doute, que des centaines
de milliers de Palestiniens sont atteints physiquement et mentalement
.
85. Les atteintes physiques et mentales dans le conflit entre Israël et la
Palestine sont malaisément quantifiables.
86. En sus des atteintes mentales, il faut tenir compte de l’interdépendance
existant entre les alinéas a) et b) de l’article II, pour ne citer qu’un exemple. Il
faudrait par conséquent ajouter que, derrière les 3 588 enfants (1 865 garçons et
1 723 filles) assassinés dans la dernière offensive d’Israël, selon le dernier rapport
de l’OACNUDH, il y a des parents et des proches sévèrement atteints sur le plan
mental. De même, un rapport de l’UNICEF révèle qu’au moins 17 000 garçons et
filles de la Bande de Gaza se retrouvent seuls ou séparés
31
.
32
87. En sus des remarques précédentes, il faudrait, compte tenu des
particularités du cas, envisager les atteintes physiques et mentales qui dépassent
les membres du groupe et constituent une atteinte directe et tangible au groupe
dans son ensemble, spécialement protégé par la Convention.
88. De ce point de vue, il serait pertinent d’évaluer comment des décennies de
politiques et d’actions inscrites dans le cadre de la politique d’Israël ont porté
atteinte au peuple palestinien dans son ensemble et menacent son existence
comme nation indépendante et souveraine. Ceci inclut toutes les violations du
droit international humanitaire, des droits de l’homme et d’autres normes du droit
conventionnel qui sont imputables à Israël et constituent son meas rea
génocidaire. La Convention contre la torture et autres peines et traitements cruels,
inhumains ou dégradants représente l’un de ces exemples directement liés à des
atteintes physiques et mentales.
31
Déclaration de la République de Cuba devant la Cour internationale de justice au sujet d’un avis
consultatif, La Havane, 24 juillet 2023.
32
https://www.unicef.org/press-releases/stories-loss-and-grief-least-17000-children-are-estimated-be-
unaccompanied-or
26
89. Dans l’examen d’un génocide, les règles précitées sont tout aussi
pertinentes pour déterminer les violations de la Convention. La Cour a raisonné à
fort juste titre qu’elle ne devait pas limiter l’action judiciaire que lui octroie l’article IX
aux faits enregistrés sous la Convention.
90. En 2015, la Cour a raisonné de manière concluante : « Cela n’empêche pas
la Cour de rechercher, dans sa motivation, s’il y a eu violation du droit international
humanitaire ou du droit international relatif aux droits de l’homme, dans la mesure
où cela lui serait utile pour déterminer s’il y a eu violation d’une obligation découlant
de la convention sur le génocide
. »
33
91. Suivant cette ligne de raisonnement, la Cour, quand elle examine les
violations éventuelles de l’alinéa b), pourrait examiner les pratiques et politiques
d’Israël qui violent un vaste ensemble de normes internationales et qui portent
atteinte dans leur ensemble au peuple palestinien. Israël mène depuis des
décennies des pratiques et des politiques qui visent à détruire l’idéal d’existence
collective du peuple palestinien.
92. Tout ceci constitue un panorama général qui s’inscrit de toute évidence
dans le cas prévu à l’alinéa c) de l’article II de la Convention : « Soumission
intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa
destruction physique totale ou partielle. »
93. De même que tous les actus reus définis sous l’article II, la confirmation de
cette seule supposition impliquerait la confirmation du génocide contre le peuple
palestinien.
94. À partir de cette hypothèse, la commission du génocide est recherchée
indirectement par rapport aux victimes. À la différence des alinéas a) et b), dans
cette hypothèse, les actes ne visent pas l’intégrité physique des personnes, mais
leurs conditions de vie. Dans l’histoire de l’humanité, peu de peuples ont été
33
Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c.
Serbie), arrêt du 3 février 2015, p. 3, paragraphe 85.
27
soumis à des conditions de vie aussi difficiles que celles que la « Puissance
occupante » a imposées au peuple palestinien.
95. Le ministre des Affaires étrangères et des Expatriés de l’État de Palestine,
S. Exc. M. Riad Malki, affirmait devant les honorables magistrats de la Cour :
« …2.3 million Palestinians in Gaza, half of them children, are besieged and
bombed, killed and maimed, starved and displaced. As more than 3.5 million
Palestinians in the West Bank, including East Jerusalem, are subjected to the
colonization of their territory and the racist violence that enables it. As 1.7 million
Palestinians in Israel are treated as second-class citizens, as unwelcomed
intruders in their ancestral land. As 7 million Palestine refugees continue to be
denied their right to return to their land and homes. I stand before you as the entire
Palestinian people continue to be denied their fundamental rights, their very
existence negated
.»
34
96. La destruction systématique de l’infrastructure civile, l’expulsion de leurs
terres et le déplacement forcé font partie d’une vaste politique visant à faire
disparaître l’État palestinien. Le 22 septembre 2023, le Premier ministre israélien
en personne a révélé son plan à une Assemblée générale des Nations Unies
médusée (soixante-dix-huitième session) : un Moyen-Orient sans Palestine.
97. La construction d’un mur ignominieux et illégal, les restrictions imposées
aux déplacements et aux droits des Palestiniens, le régime d’apartheid instauré
dans l’administration du Territoire palestinien illégalement occupé, le vol et
l’annexion de leurs terres et de leurs ressources naturelles font également partie
de cette politique qui vise à rendre la situation des membres du groupe toujours
plus difficile.
98. Israël nie même au peuple palestinien l’accès à l’aide humanitaire, malgré
les décisions de la Cour, de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité des
34
Audience publique tenue le lundi 19 février 2024, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la
présidence de M. Salam, président, sur les Conséquences juridiques découlant des politiques et
pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est (Demande d’avis
consultatif soumise par l’Assemblée générale des Nations Unies), pp. 52-53.
28
Nations Unies. Sur ce territoire, illégalement occupé par Israël, le personnel
humanitaire meurt sans distinction, et l’on orchestre des campagnes pour
empêcher l’action de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les
réfugiés de Palestine dans le Moyen-Orient (UNRWA). Toutes ces actions
individuelles contre le groupe, ou une partie du groupe s’accompagnent de
mesures plus généralisées de blocus économique, politique et financier qui
cherchent à réduire les conditions de vie du peuple palestinien et à causer faim et
désespérance.
99. Tous les faits précités confirment la mens rea qui préside aux actions du
gouvernement israélien. En abordant ce point précis, la Cour devrait examiner
l’effet destructeur que produit dans les conditions de vie d’un peuple l’application
prolongée dans la durée d’un ensemble de mesures qui lui sont contraires.
100. Il appert clairement du texte de l’article II, alinéa c) de la Convention que la
destruction physique, totale ou partielle, du groupe ou d’une partie du groupe en
question n’est pas nécessaire, mais qu’il suffit qu’elle soit l’objectif de l’ensemble
de mesures examinées. On pourrait aussi inférer cet objectif de l’effet appréciable
que l’ensemble des mesures imposées a sur les personnes qui constituent le
groupe ou une partie de celui-ci.
101. En résumé, Cuba estime que l’intention de destruction totale ou partielle
tombe sous le sens quand des mesures de caractère généralisé sont imposées au
groupe ou à une partie de celui-ci dans le but déclaré de l’affamer, de le pousser
au désespoir et de lui interdire l’accès à des droits essentiels comme la santé, le
logement, l’eau potable et l’alimentation. En de telles situations, que le résultat soit
atteint ou non n’est pas pertinent. De même, à défaut d’une déclaration le
reconnaissant expressément, ce qui est le plus courant, la Cour pourrait constater
l’intention génocidaire par les effets des mesures et des politiques adoptées. Dans
les deux cas, la persistance dans la durée de ces mesures et l’effet cumulatif du
dommage ou de la détérioration des conditions de vie des membres du groupe
s’avèreraient une preuve sans équivoque de la mens rea génocidaire de leur
exécutant.
29
102. En ce qui concerne les éventuelles Mesures visant à entraver les
naissances au sein du groupe, il faudrait examiner les effets du génocide en
cours sur les femmes et les enfants. La grande probabilité qu’un enfant palestinien
meure avant d’atteindre l’âge adulte est l’un des facteurs les plus efficaces pour
empêcher les naissances au sein du groupe, surtout au sein de la partie du
groupe qui vit directement dans le Territoire palestinien occupé illégalement par
Israël.
103. Comme l’a signalé M. Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies
aux droits de l’homme : « Toutes les dix minutes, un enfant est tué ou blessé. Ils
sont protégés par les lois de la guerre, et pourtant ce sont eux qui, de manière
disproportionnée, paient le prix ultime de cette guerre
. »
35
104. À quoi il faut ajouter la destruction des hôpitaux et de l’infrastructure
sanitaire de la Palestine, ce qui constitue non seulement une grave violation du
droit international humanitaire, mais encore une nouvelle mesure visant à
empêcher les naissances dans le Territoire palestinien illégalement occupé.
105. En ce qui concerne l’application des alinéas d) et e) de l’article II de la
Convention, il faut toujours avoir à l’esprit que le but des deux prohibitions est de
protéger deux groupes spécialement vulnérables qui ont un effet direct sur la
subsistance de n’importe quel groupe humain : les femmes et les enfants.
106. L’alinéa e) de l’article II interdit le Transfert forcé d'enfants du groupe à un
autre groupe. Par conséquent, il faut examiner dans le cas présent l’effet produit
chez des enfants qui, contraints d’abandonner leurs foyers, seront des réfugiés
pour le restant de leur vie. Cuba tient à souligner que le facteur de
dénaturalisation des enfants d’un groupe est essentiel pour analyser une situation
concrète. À quoi il faut ajouter la politique d’expulsion, de déplacements forcés et
de non-retour suivie systématiquement par Israël.
35
https://news.un.org/fr/story/2024/04/1145006
30
107. De l’avis de la République de Cuba, le seuil de compréhension du terme
« forcé » ne saurait se limiter à l’enlèvement ou au transfert, sous forme de
coercition directe, d’une personne d’un endroit à un autre par les forces de l’ordre.
Un transfert est forcé —autrement dit par le recours à la force— dans toute
situation où les choix réels offerts aux membres d’un groupe sont le départ ou la
mort. C’est là justement l’alternative que provoquent les pratiques et politiques
d’Israël dans la mesure où elles visent intentionnellement à établir des conditions
de vie telles que les Palestiniens courent le risque de la destruction physique,
totale ou partielle. Ce qui viole l’alinéa c) de l’article II de la Convention.
108. Tout ce qui vient d’être dit renforce l’idée que l’article II de la Convention
doit faire l’objet d’une analyse holistique selon une relation de cause à effet entre
les actus reus et la mens rea qui confluent dans tout crime de génocide.
109. Finalement, les médias rapportent des déclarations d’agents du
gouvernement israélien qui entraînent la responsabilité directe de leur État dans le
crime de génocide contre le peuple palestinien, conformément aux normes
d’attribution coutumières
.
36
110. On infère de ces déclarations —bien que, parfois, il ne soit même pas
besoin de le faire— la mens rea selon laquelle la Puissance occupante exécute sa
politique. Le président israélien soutient : « C’est toute une nation qui est
responsable. Tous ces beaux discours sur les civils qui ne savaient rien et ne
faisaient rien sont faux, absolument faux
37
. » Le Premier ministre se dit fier de
bloquer l’État de Palestine
38
, niant la possibilité d’existence de cette partie
substantielle, significative et représentative du peuple palestinien attrapée à Gaza.
36
« Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », annexe de la Résolution
A/RES/56/83, 12 décembre 2001, 85
e
séance plénière de l’Assemblée général des Nations Unies.
37
https://www.itv.com/news/2023-10-13/israeli-president-says-gazans-could-have-risen-up-to-fighthamas
Ordonnance du 26 janvier 2024, Application de la Convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide dans la Bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), p. 73
38
The Times of Israel, citant le professeur Andreas Zimmermann dans sa plaidoirie devant la CIJ.
Audience publique tenue le lundi 19 février 2024, à 10 heures, au Palais de la Paix, p. 61.
31
111. De son côté, le ministre de la Défense déclare que : « Ceux que nous
combattons sont des animaux et nous agissons en conséquence » et qu’Israël
« imposait un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas
d’eau, pas de combustible. Tout est fermé
. » Comme l’a argumenté l’expert en
traités Paul Reichler devant la Cour, le ministre des Finances « denied the
existence of Palestine and declared that Palestinians do not constitute a
people.
39
40
»
112. Pour la République de Cuba, il ne fait aucun doute qu’un génocide est en
cours depuis des décennies, dans le cadre d’une politique visant à nier l’existence
à cette partie substantielle du peuple palestinien qui veut exercer ses droits à
l’autodétermination, à la paix et à l’indépendance politique et souveraine de sa
nation. Cette politique a empêché d’aboutir à un règlement large, juste et durable
du conflit israélo-palestinien à partir de la création de deux États, qui permette au
peuple palestinien d’exister comme un État-nation, libre, indépendant et souverain
dans les frontières antérieures à 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale, et qui
garantisse également le droit de retour des réfugiés. Aussi appelons-nous la Cour
à interpréter dans ses raisonnements l’article II d’une manière large et holistique,
conformément au droit international et aux buts civilisateurs de la Convention ellemême.
4.
Interprétation de l’article III de la Convention
113. L’article III de la Convention établit : « Seront punis les actes suivants :
a) Le génocide ;
b) L'entente en vue de commettre le génocide ;
c) L'incitation directe et publique à commettre le génocide ;
d) La tentative de génocide ;
39
https://www.timesofisrael.com/liveblog_entry/defense-minister-announces-complete-siege-ofgaza-no-power-food-or-fuel/
Ordonnance
du
26
janvier
2024,
Application
de
la
Convention
pour
la
prévention
et la répression du crime de génocide dans la Bande de Gaza (Afrique du Sud c.
Israël), p. 73.
40
The Times of Israel, citant le professeur Andreas Zimmermann dans sa plaidoirie devant la CIJ.
Audience publique tenue le lundi 19 février 2024, à 10 heures, au Palais de la Paix, p. 65.
32
e) La complicité dans le génocide. »
114. La République de Cuba estime que les critères d’interprétation devant régir
l’application de cet article se déduisent de la rédaction même de la Convention et
de certaines règles déjà établies par la Cour elle-même.
115. Tout d’abord, l’article III de la Convention amplifie et définit la portée de
l’obligation de répression contenue dans son article premier.
116. Les États contractants de la Convention, analysant la gravité du crime et
ses conséquences pour le monde civilisé, ont voulu punir les différents degrés de
participation et de commission du crime. Ainsi, ils ont établi l’obligation
internationale de punir aussi bien les responsables du crime de génocide, tel que
défini à l’article II, que les sujets impliqués dans ses actes préparatoires et aux
différents degrés de participation, que le crime ait été perpétré ou non [(alinéas b)
à e)].
117. La Convention prévoit de punir non seulement l’acte consommé de
génocide, mais aussi l’incitation, la tentative, l’entente et la complicité. Chacun de
ces alinéas engendre, selon le droit international, des obligations primaires
indépendantes, malgré leur interconnexion avec une même situation de facto.
118. Ceci engendre des effets différenciés pour les États et a des conséquences
quand la Cour examine la situation concrète qui lui est soumise.
119. Aux effets du présent cas, la Cour devrait examiner deux questions tout à
fait pertinentes quand elle interprète la portée des obligations visées à l’article III
de la Convention. Primo, que les faits signalés par l’Afrique du Sud se déroulent
dans les territoires occupés illégalement ou contrôlés par les forces militaires
israéliennes. Secundo, qu’Israël nie l’existence d’un génocide dans ces territoires,
y entravant l’accès aux autres acteurs internationaux.
33
120. Conformément au critère de l’article III, Israël est astreint à l’obligation
primaire de punir toutes les personnes impliquées dans un génocide éventuel, que
le crime ait été commis ou qu’il se trouve au stade de la tentative [(alinéas a) et
d)]. À quoi il faut ajouter l’obligation de punir quiconque inciterait aux différents
actus reus constitutifs d’un génocide, s’y s’associerait ou y participerait comme
complice [(alinéas b), c) et e)].
121. Par conséquent, si l’existence d’un génocide dans le Territoire palestinien
illégalement occupé était constaté, le manquement d’Israël aux obligations
susmentionnées deviendrait évident. Notamment parce que, compte tenu du fait
qu’Israël nie catégoriquement l’existence de ces actus reus dans les territoires
qu’il contrôle, son manquement aux obligations précitées, selon le droit
international, se constituerait par omission.
122. Par ailleurs, l’interprétation de l’article III s’élargit et s’enrichit quand le cas
soumis à la Cour implique la responsabilité directe d’un État, et non d’individus,
autrement dit quand les faits examinés peuvent constituer des actions ou des
omissions génocidaires directement imputables à un État.
123. Selon cette hypothèse, la Cour devrait examiner en premier lieu si l’État est
responsable du crime de génocide. Si c’était le cas, il y aurait violation de l’alinéa
a) de l’article III, ce qui entraînerait par conséquent que l’État en question soit
déclaré responsable international.
124. La République de Cuba est convaincue qu’Israël est responsable aux
termes de l’article III, alinéa a), parce que tout un ensemble d’actions ou
d’omissions internationalement illicites aux termes de l’article II lui est attribuable.
125. En conformité avec les raisonnements de la Cour dans le cas BosnieHerzégovine
c. Serbie et Monténégro
, il est évident, sans plus amples
raisonnements juridiques, si le point précédent était démontré, que le responsable
41
41
Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février 2007, p. 43,
paragraphes 379-384.
34
n’a pas la volonté de respecter ses obligations de prévention et de répression du
génocide (article I). Par conséquent, tout État est responsable d’un génocide
quand il viole ses obligations de prévention et de répression de ce crime.
126. Une fois démontré un crime de génocide imputable à un État, il n’y aurait
pas lieu d’entreprendre l’examen des responsabilités qui découle de l’article III de
la Convention, si ce n’était pour analyser des faits qui pourraient révéler a
posteriori la complicité, l’incitation et l’association d’autres sujets associés au
génocide envers le peuple palestinien. Et ce, selon l’approche adoptée par la
Convention de tolérance zéro envers n’importe quel sujet impliqué directement ou
indirectement dans un crime de génocide en droit international.
127. Sur ce point, la République de Cuba estime que les raisonnements
antérieurs de la Cour n’en sont pas encore arrivés au seuil qui garantisse
l’application la plus efficace de la Convention. Le présent cas lui offre une
occasion hors de pair de progresser dans la bonne direction. Il faut souligner que,
même si la Cour, soupçonnant un génocide, ordonnait des mesures
conservatoires urgentes, des pays continuent de fournir un appui militaire et
logistique à son exécution.
128. On constate, dans la situation soumise à la Cour, des actions et des
omissions qui constituent de manière individuelle un génocide, ainsi qu’un
ensemble de faits qui, examinés intégralement, constituent le génocide le plus
prolongé de l’histoire. Tout ceci prouve l’existence d’une politique génocidaire
exécutée de manière systématique et à basse intensité, bien qu’il soit impossible
par moments de dissimuler sa nature atroce et inhumaine.
129. Cette dualité entraîne un effet interprétatif important pour l’article III, quand
le génocide fait partie d’une politique d’État perfectionné et non de faits concrets
limités dans le temps. Aussi la République de Cuba estime-t-elle que, même si
cela pouvait sembler sans importance, une fois déclaré le génocide commis par
Israël, de poursuivre l’examen de l’article III, il pourrait s’avérer nécessaire
d’entreprendre la preuve de responsabilité.
35
130. Ceci permettrait à la Cour d’évaluer tous les faits individuels constitutifs de
la politique génocidaire générale d’Israël. Il s’agirait d’examiner des actes
déterminés, tout aussi génocidaires, où d’autres acteurs sont intervenus, même si
la Cour n’analyse pas leur responsabilité pour le moment. Le but ici n’est pas
d’aggraver la responsabilité d’Israël, puisque tout acte de génocide implique que
l’on dépasse le seuil de civilisation, mais de garantir la justice aux victimes d’un
crime exécuté durant plusieurs décennies, sans laisser aucune place à l’impunité
d’Israël ou d’autres éventuels acteurs impliqués.
131. Cuba estime que cette manière de faire serait en accord avec l’objet et le
but de la Convention, à partir du moment où une situation semblable est soumise
à la Cour. Dans ce contexte, il suffit de signaler pour le moment que la Cour a été
saisie d’au moins une autre requête associée à cette même situation
.
42
132. Par ailleurs, à supposer que la Cour ne déclare pas l’existence d’un
génocide attribuable à un État, elle devrait dès lors poursuivre l’examen des
responsabilités prévu à l’article III, lequel sanctionne d’ « autres actes » [(alinéas
b) à e)] qui, sans atteindre le génocide, impliquent également la responsabilité
internationale d’un État pour violation de la Convention.
133. Cette hypothèse posée, la Cour devrait aussi examiner les faits
éventuellement attribuables à Israël qui, sans atteindre un génocide consommé,
sont pareillement interdits par la Convention. Ces « autres actes » doivent être
examinés de manière indépendante en rapport avec les faits soumis à la Cour, en
vue de déterminer la responsabilité aussi bien d’Israël que celle d’autres acteurs
éventuels.
134. La Cour doit analyser l’entente en vue de commettre le génocide selon
cette hypothèse à partir de l’ensemble de faits qu’elle examinera dans le présent
cas. De toute évidence, si l’État d’Israël est déclaré responsable du crime de
génocide, il ne serait pas sensé de se prononcer sur son entente éventuelle pour
42
Manquements allégués à certaines obligations internationales relativement au Territoire
palestinien occupé (Nicaragua c. Allemagne).
36
perpétrer un crime dont il serait le responsable direct. Mais ceci ne décharge pas
les personnes impliquées dans ces crimes de leurs responsabilités individuelles.
135. Les critères d’attribution de la responsabilité n’exigent aucun degré
d’entente ou de concertation entre les agents de l’État pour définir la
responsabilité de celui-ci.
136. Il n’empêche que, compte tenu du vaste ensemble de faits que doit
examiner la Cour, de leur exécution prolongée dans le temps et de la lutte contre
l’impunité de personnes déterminées, il pourrait être pertinent de raisonner sur
n’importe quelle découverte significative qui indiquerait l’entente d’autres sujets.
137. Par ailleurs, l'incitation directe et publique à commettre le génocide
doit être examinée indépendamment du fait que le génocide ait été perpétré ou
non contre le peuple palestinien.
138. L’iter criminis différencie clairement les étapes de : pensée, délibération,
résolution, actes préparatoires, attentat et atteinte. Du point de vue criminologique,
l’incitation à commettre un délit est perpétrée dès lors que les éléments internes
non punissables de pensée, délibération et résolution de commettre un génocide
sont simplement extériorisés.
139. Cet acte qu’interdit l’article III est en accord avec la gravité du crime de
génocide en droit international et, par conséquent, se maintient au seuil le plus
bas des facteurs listés. Pour examiner cet acte, point n’est besoin de corroborer
l’existence d’actes préparatoires ou de l’attentat en matière de génocide.
140. L’attentat en matière de génocide étant situé dans l’iter criminis entre les
actes préparatoires et l’atteinte, il est donc possible d’examiner une violation de
cette nature en l’absence d’un génocide accompli, mais en présence prouvée
d’actions ou d’omissions qui montrent le début d’exécution de l’un des actus reus
interdits dans l’article II.
37
141. Cette hypothèse met en évidence que des facteurs extérieurs à la volonté
du génocidaire l’ont empêché d’attendre le but du crime, que ce soit à cause du
temps écoulé jusqu’au moment où la question est examinée ou parce que d’autres
sujets ont empêché l’atteinte de ces buts.
142. En résumé, à partir de cette hypothèse, il n’est pas nécessaire de
corroborer que le blocus de la Bande de Gaza visant à empêcher l’entrée
d’aliments, de produits médicaux et d’énergie a détruit une part substantielle du
peuple palestinien, dès lors qu’on peut en inférer l’intention génocidaire de placer
intentionnellement un groupe ou une partie de celui-ci dans des conditions
d’existence qui pourraient entraîner sa destruction, totale ou partielle.
143. Dans ce cas, peu importe que l’arrivée d’aide humanitaire ait empêché le
gouvernement israélien d’atteindre l’objectif génocidaire que poursuivent ses
politiques. De fait, les actions qu’il n’a cessé d’entreprendre pour bloquer cette
aide humanitaire confirment la mens rea dans laquelle il exécute sa politique
génocidaire contre une partie substantielle de la nation palestinienne.
144. Finalement, la complicité dans le génocide est l’une des questions les
plus importantes dans le présent cas. Il est essentiel d’appliquer et d’interpréter
adéquatement cette hypothèse au présent cas si l’on veut que soit atteints l’objet
et le but de la Convention.
145. Sur ce point, la Cour ne devrait pas limiter ses raisonnements à une
éventuelle complicité d’Israël avec d’autres acteurs en vue d’exécuter sa politique
génocidaire pendant plus de sept décennies. La question essentielle à se poser
en matière de complicité doit partir dans le présent cas des facteurs qui ont
permis, des décennies durant, l’exécution d’une politique génocidaire contre une
nationalité.
146. En théorie, la complicité apparaît quand, dans la commission d’un crime, on
constate la participation d’une personne naturelle ou juridique sans le concours de
laquelle le crime n’aurait pu se perpétrer.
38
147. Compte tenu des facteurs qui interviennent dans le présent cas, on pourrait
affirmer qu’il s’agit d’une violation constituée par un fait composite
exécutée
durant plusieurs décennies. Le génocide contre le peuple palestinien va plus loin
qu’un ensemble d’actus reus limités dans le temps et visant à détruire le groupe
ou une partie du groupe sous cette nationalité.
148. Il s’agit d’une politique génocidaire conçue et exécutée minutieusement et
d’une manière soutenue dans le temps dans l’objectif sans équivoque de nier
l’existence d’une nationalité. Nier l’existence de l’État palestinien libre et
souverain, tel est l’objectif politique de la mentalité génocidaire d’Israël.
149. Cette position politique de nature génocidaire est semblable à celle
qu’adoptèrent les métropoles au XV
43
siècle et dont les politiques firent périr
d’innombrables nationalités. Dans le cas de la République de Cuba, elle a
entraîné l’extermination de sa population aborigène.
150. C’est dans ce contexte que la Cour devrait se demander si le génocide en
cours contre le peuple palestinien aurait été possible sans la présence d’au moins
un complice. Seul un examen exhaustif, basé sur l’article III, pourrait permettre de
répondre à cette question essentielle pour la pleine exécution de la Convention.
151. Outre que le défendeur intimé par l’Afrique du Sud est Israël, les faits
qu’examinera la Cour contiennent de forts indices qui indiquent une violation de la
prohibition contenue à l’alinéa e) de l’article III de la Convention. Il est par
conséquent de l’intérêt de toutes les Parties à la Convention de comprendre en
profondeur la portée du crime commis.
152. L’exécution de ce crime international a requis d’importantes ressources
financières et militaires. Qui plus est, elle a requis qu’Israël puisse agir en étant
sûr de jouir de l’impunité internationale.
e
43
« Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », annexe de la Résolution
A/RES/56/83, 12 décembre 2001, 85
séance plénière de l’Assemblée général des Nations Unies,
article 15.
e
39
153. Tous ces facteurs sont cruciaux dans l’examen des faits soumis aujourd’hui
à la Cour et essentiels si l’on veut interpréter et appliquer dûment la Convention.
Compte tenu de la nature du cas, la Cour doit raisonner amplement et en
profondeur sur tous les faits qui pourraient être considérés comme des violations
de la Convention.
154. En conclusion, la République de Cuba juge qu’une interprétation adéquate
de l’article III de la Convention, dans le présent cas, devrait susciter des
raisonnements fondés sur tous les alinéas qui le composent, dans la mesure où ils
sont importants pour les situations de facto que l’Afrique du Sud a soumises à la
Cour. Déclarer la responsabilité d’Israël sur la base de l’alinéa a) de l’article III
implique per se que l’on reconnaisse des violations aux termes d’autres articles de
la Convention et des autres alinéas dudit article. Et ce, sans oublier aucunement
les responsabilités individuelles d’autres sujets du droit international qui pourraient
découler du présent cas.
5. Interprétation de l’article IV de la Convention
155. L’article IV de la Convention établit : « Les personnes ayant commis le
génocide ou l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III seront
punies, qu'elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers. »
156. Cet article développe les obligations contenues dans les articles premier et
III de la Convention. On constate dans sa teneur avec quelle précaution les
rédacteurs de la Convention ont voulu mettre en place l’obligation de répression.
Son langage est direct, précis et clair, laissant peu de marge de manœuvre à
l’interprétation de la part des experts en traités.
157. Il contient deux éléments centraux. Primo, les États sont obligés de punir
toute personne responsable des actus reus de : génocide ; entente en vue de
commettre un génocide ; incitation directe et publique à commettre le génocide ;
tentative de génocide ; complicité dans le génocide. Secundo, il n’existe pas
40
d’immunité devant ces crimes, qu’il s’agisse de gouvernants, de fonctionnaires ou
de particuliers.
158. Il est indubitable, aux termes de l’article IV, que les États ont l’obligation en
droit international de punir toutes les personnes responsables des actes
susmentionnés. Ce qui confirme l’existence du principe de dualité en matière de
responsabilité
44
, applicable à ce cas. Pour reprendre les paroles de la
Cour : « …cette dualité en matière de responsabilité continue à être une constante
du droit international
45
».
159. Les responsabilités d’Israël et celles des autres individus agissants sont
clairement différenciées en droit international et ne s’excluent pas mutuellement.
Par conséquent, le constat de n’importe quel acte associé à l’article III de la
Convention dans le Territoire palestinien illégalement occupé impliquerait ipso
facto, d’après le droit international, la responsabilité des prétendus exécutants s’ils
n’ont pas été sanctionnés.
160. Le déni de ces actes par le gouvernement israélien, y compris après que la
Cour a adopté des mesures conservatoires urgentes face à la présente
commission d’un génocide en territoire palestinien, est la preuve incontestable
qu’il viole les obligations que lui impose le droit international, d’où l’on peut inférer
qu’il persistera dans sa conduite de transgression.
161. La Cour devrait tenir compte de cette caractéristique quand elle se
prononcera. Une fois Israël déclaré responsable, il sera non seulement contraint à
44
« Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », annexe de la Résolution
A/RES/56/83, 12 décembre 2001, 85
séance plénière de l’Assemblée général des Nations Unies,
article 58.
e
45
Affaire relative à l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt du 26 février 2007, p. 116,
paragraphe 173.
41
l’obligation de réparation, de cessation et de non-répétition
, mais il devra
exécuter son obligation de juger tous les individus responsables
46
.
162. En outre, et conformément à l’article IV de la Convention, la condition de
gouvernant, de fonctionnaire ou de particulier agissant serait indifférente quant à
l’exécution de cette obligation. Aussi la République de Cuba insiste-t-elle sur
l’importance d’appliquer intégralement la preuve de responsabilité de l’article II,
même si Israël était condamné pour génocide aux termes de son alinéa a).
163. La réalisation de l’objet et du but de la Convention exige une analyse
détaillée et holistique de tous les faits soumis à la considération de l’organe
juridictionnel.
164. Nous tenons à souligner en outre que, en ce qui concerne l’application de
l’article IV, aucune des parties au litige n’a émis de réserves visant à exclure la
responsabilité de particuliers qui pourraient être considérés comme spécialement
protégés selon d’autres normes du droit international. De l’avis de Cuba, de telles
réserves seraient d’ailleurs incompatibles avec l’objet et le but de la Convention et
avec le caractère absolu des obligations internationales émanant de l’article IV.
6. Interprétation de l’article V de la Convention
165. L’article V de la Convention stipule : « Les Parties contractantes s'engagent
à prendre, conformément à leurs constitutions respectives, les mesures
législatives nécessaires pour assurer l'application des dispositions de la présente
Convention, et notamment à prévoir des sanctions pénales efficaces frappant les
personnes coupables de génocide ou de l'un quelconque des autres actes
énumérés à l'article III. »
47
46
« Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », annexe de la Résolution
A/RES/56/83, 12 décembre 2001, 85
séance plénière de l’Assemblée général des Nations Unies,
articles 30 et 31.
e
47
Id., article 29.
42
166. Cet article V renforce la stricte exécution des obligations de la Convention
en amplifiant l’obligation, mentionnée à l’article IV, de punir les actes qu’elle
interdit.
167. Aux termes de cet article, les Parties contractantes s’astreignent à adopter
à titre préventif l’ensemble des mesures législatives nécessaires à l’exécution de
toutes les obligations de la Convention et, tout spécialement, à garantir l’existence
de sanctions pénales efficaces contre les infracteurs. Autrement dit, l’article V
impose comme point de départ l’obligation générale d’exécuter la Convention à
l’échelle nationale.
168. À la différence d’autres normes conventionnelles, celle-ci garantit que
l’exécution de cette obligation selon le droit international ne soit pas de caractère
simplement formel, raison pour laquelle elle introduit le concept d’efficacité.
Autrement dit, l’obligation de l’État contractant ne se borne pas à l’adoption
formelle de lois et de tribunaux censés punir en théorie les responsables des
actes interdits à l’article III.
169. De l’avis de Cuba, les États sont contraints de garantir que l’application de
ces mesures législatives de nature préventive soit au contraire particulièrement
efficace en ce qui concerne l’obligation de répression stipulée à l’article premier de
la Convention.
170. Cuba est d’avis que l’obligation de prévoir des sanctions pénales efficaces
doit être comprise, non dans l’optique de leur simple mise en place, mais en
fonction de leur effet contre l’impunité de l’un quelconque des actes interdits par la
Convention. Bref, l’efficacité des sanctions découle en premier lieu de leur effet
contre l’impunité, ce qui implique avant tout qu’elles soient applicables.
171. En conclusion, l’existence de lois et de tribunaux, même s’il est prévu des
peines très lourdes pour sanctionner les actes interdits aux termes de l’article III,
est insuffisante si ces lois ne sont pas appliquées. Le manque de volonté de la
part d’Israël de traduire devant la justice les auteurs des crimes qui ont été
43
perpétrés des décennies durant dans le Territoire palestinien occupé constitue
fondamentalement une violation de ces obligations.
172. En outre, la Cour pourrait envisager aussi comme violations les omissions
législatives qui empêchent les Palestiniens de se protéger contre le génocide,
ainsi que l’existence de lois qui fomentent la mise en place d’un régime
d’apartheid entraînant de sévères restrictions à la liberté de déplacement ; d’un
régime dont les lois et les tribunaux en tant que Puissance occupante garantissent
l’impunité par rapport aux violations des droits de l’homme du peuple palestinien,
à la destruction de son infrastructure civile, au vol de ses terres et de ses biens et
aux déplacements forcés.
173. Bref, loin d’adopter des mesures législatives efficaces pour punir le
génocide, Israël fomente au contraire un cadre normatif qui favorise et consolide
l’exécution de la politique génocidaire qu’il poursuit méticuleusement depuis des
décennies.
7. Interprétation de l’article VI de la Convention
174. L’article VI de la Convention doit se lire comme faisant partie des articles IV
et V, car tous trois visent à une application efficace de l’article III. C’est également
dans ce sens qu’il faut comprendre et appliquer l’article VII. L’article VI stipule :
« Les personnes accusées de génocide ou de l'un quelconque des autres actes
énumérés à l'article III seront traduites devant les tribunaux compétents de l'État
sur le territoire duquel l'acte a été commis, ou devant la cour criminelle
internationale qui sera compétente à l'égard de celles des Parties contractantes
qui en auront reconnu la juridiction. »
175. La teneur de cet article reflète la classique obligation de juger, complétée
par l’obligation d’extrader de l’article VII. La Convention est un exemple de ce
qu’on appelle l’obligation selon le droit international de juger et d’extrader, en vertu
de laquelle les États sont contraints de juger un crime ou d’extrader les
responsables de crimes déterminés.
44
176. Bien que l’article VI précise que l’action de juger sera exercée « devant les
tribunaux compétents de l'État sur le territoire duquel l'acte a été commis », ce
précepte ne saurait en aucun cas s’interpréter de manière à restreindre le
caractère universel de la poursuite du crime de génocide et des « autres actes ».
L’obligation de réprimer le génocide et les autres actes interdits par la Convention
découle des articles premier et III, lus à partir de l’article II, quel que soit l’endroit
où les faits sont survenus. Par conséquent, l’interprétation de ce précepte ne
concerne que la compétence nationale du tribunal qui connaîtra du cas, mais
n’exclut en aucun cas d’autres compétences nationales.
177. De fait, la conjonction « ou » qui apparaît dans la rédaction de l’article VI
confirme, sous forme d’alternative, la possibilité que les personnes accusées
soient traduites devant un tribunal international, à condition que les Parties
contractantes en aient reconnu la juridiction.
178. Bref, l’article en question établit deux possibilités de traduction de
particuliers devant la justice : devant des tribunaux nationaux ou devant des
tribunaux internationaux. Ce contexte est essentiel pour une interprétation
correcte de l’article VI de la Convention, laquelle ne laisse aucun espace à
l’impunité.
179. Face à la première possibilité : traduction d’un individu devant la justice
nationale, l’article doit être appliqué en conformité avec le reste des obligations
émanant de la Convention selon le droit international.
180. En principe, tout tribunal compétent possède la juridiction requise pour
connaître des violations interdites par la Convention. Ainsi, aucun tribunal national
ne pourrait soutenir qu’un accusé soumis à sa juridiction possède l’immunité en sa
qualité de gouvernant. Indépendamment de la non-pertinence du droit interne
,
ce raisonnement impliquerait une interprétation erronée de l’article VI, parce que
manifestement contraire aux obligations établies dans l’article IV.
48
48
« Responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite », annexe de la Résolution
A/RES/56/83, 12 décembre 2001, 85
séance plénière de l’Assemblée général des Nations Unies,
article 32.
e
45
181. La seconde possibilité : traduction d’un individu devant un tribunal
international, implique que, en cas d’arrestation d’un prétendu génocidaire, l’État
en question a le choix de le juger devant ses propres tribunaux ou de le renvoyer
à un tribunal international compétent. En ce cas, peu importe que l’État de la
nationalité de l’individu ait reconnu ou non la juridiction du tribunal international,
puisque la nécessité de cette reconnaissance opère de facto par rapport à l’État
qui a l’obligation de juger dès lors qu’il a la garde d’un prétendu génocidaire.
182. C’est pour cette raison qu’il est capital d’appliquer exhaustivement la
preuve de responsabilité de l’article III, afin de garantir la dualité en matière de
responsabilité, laquelle ne pourra être exercée que par les États parties à la
Convention en cas d’interprétation correcte de l’article VI qui confirme l’obligation
de juger les individus ayant exécuté la politique génocidaire d’Israël.
8. Interprétation de l’article VIII de la Convention
183. La République de Cuba soutient que les articles VIII et IX sont
intrinsèquement associés au présent cas. Les faits soumis à la Cour soulèvent
deux questions importantes pour une application correcte de l’article VIII de la
Convention.
184. D’une part, la Cour constatera comment Israël a fait fi de manière réitérée
de toutes les mesures adoptées par les organes compétents des Nations Unies,
violant ainsi le droit des États contractants de recourir à ces mécanismes pour
prévenir le génocide et les autres actes interdits par la Convention.
185. D’autre part, la Cour devra évaluer l’incapacité du système des Nations
Unies à réprimer les actes susmentionnés.
186. Le premier élément permet de constater le caractère continu et aggravé du
crime perpétré contre le peuple palestinien. Le second est associé directement à
l’application intégrale de l’article III.
46
187. Bien que, pour exercer sa juridiction contre un État, elle ait besoin d’une
norme habilitante, la Cour n’est pas limitée dans son analyse des faits si ceux-ci
sont pertinents pour lui permettre de comprendre une violation du droit
international et de la Convention en particulier.
188. Une interprétation appropriée de l’article VIII confirmerait que celui-ci
octroie certains droits aux États parties à la Convention devant les organes
compétents des Nations Unies. En revanche, les autres États parties doivent agir
conformément aux obligations que leur impose la Convention au-delà de l’exercice
discrétionnaire de certains droits ou privilèges.
189. Tout ceci, ainsi que la possibilité d’une éventuelle sentence condamnatoire,
justifieraient que la Cour raisonne sur la façon dont devraient agir les États parties
à la Convention au sein des organes compétents des Nations Unies pour ne pas
violer les droits d’autres États et pour s’acquitter de leurs propres obligations.
190. Ce type de raisonnement prend la plus grande pertinence dans des cas
comme celui-ci, dans la mesure où Israël, avec la complicité d’autres États, a fait fi
de manière réitérée des décisions correspondantes des organes compétents des
Nations Unies qui visaient toutes à prévenir le génocide en cours.
191. À quoi il faut ajouter la posture prima facie adoptée par Israël
face aux
mesures conservatoires ordonnées par la Cour et le fait qu’il met en cause la
compétence juridictionnelle de celle-ci. Compte tenu de sa conduite comme
violateur invétéré du droit international, il est à prévoir qu’Israël continuera de
contester l’applicabilité de l’article IX de la Convention.
9. Interprétation de l’article IX de la Convention
192. C’est justement l’article IX de la Convention qui légitime l’action de la Cour :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l'interprétation,
49
49
Ordonnance du 26 janvier 2024, Application de la Convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide dans la Bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël).
47
l'application ou l'exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d'un État en matière de génocide ou de l'un quelconque des autres
actes énumérés à l'article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à
la requête d'une partie au différend
. »
193. Cet article constitue la base irréfutable du fait que la Cour a compétence
pour connaître du présent cas et qu’elle est la garantie essentielle que l’obligation
de répression du génocide sera exécutée quand le sujet impliqué est un État.
Comme le soutient la doctrine légale, un droit sans garantie n’est qu’une simple
formule légale.
194. Par voie de conséquence, quand la personne impliquée est un État,
l’obligation de répression du génocide (article premier) ne peut se concrétiser que
moyennant l’article IX, notamment dans des cas comme celui-ci où il existe une
incapacité de prévenir et de punir aux termes de l’article VIII.
195. Par ailleurs, on a invoqué pour le présent cas l’article III qui, en sus de
renvoyer directement aux articles VIII et IX, a des implications qui dépassent les
actes d’Israël qu’examine la Cour. L’ampleur et la prolongation dans le temps des
actes de génocide contre le peuple palestinien permettent de supposer
raisonnablement l’existence d’incitateurs, de complices et d’associés potentiels.
En outre, dans le contexte immédiat où a été soumis le présent cas, la Cour
constatera qu’elle a aussi devant elle une autre requête liée à la même situation
50
.
51
196. C’est pour toutes ces raisons que, dans ses arguments interprétatifs, la
Cour devra associer et développer les interconnexions entre tous les articles de la
Convention pertinents pour le présent cas. Aussi la République de Cuba soutientelle
que,
au-delà
de
la
réponse
qu’elle
devra
forcément
apporter
aux
remises
en
cause
d’Israël quant à sa compétence, la Cour devra établir en matière
d’interprétation que :
50
Article IX de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre
1948.
51 Manquements allégués à certaines obligations internationales relativement au Territoire
palestinien occupé (Nicaragua c. Allemagne).
48
- L’obligation de prévention et de répression du génocide est, en droit
international, une norme de caractère coutumier, confirmée comme jus
cogens et erga omnes ;
- Tous les États sont obligés de s’en acquitter, parce qu’elle est confirmée par
les normes conventionnelles établies dans la Convention ;
- L’article premier de la Convention confirme cette obligation à caractère
spécial pour tous les États parties ;
- Dans le contexte de la Convention, l’exécution de cette obligation (invoquée
dans ce cas contre un État) est interconnectée indissolublement avec le
reste des articles et garantie en particulier par l’article IX.
- Par conséquent, aucun État partie à la Convention accusé de génocide ne
peut éluder la compétence de la Cour prima facie, même s’il a présenté des
réserves envers celle-ci.
- N’importe quelle réserve ou déclaration au sujet de l’article IX de la
Convention qui priverait de garantie les droits émanant de l’exécution des
obligations de prévention et de répression du crime de génocide, est
incompatible avec l’objet et le but de la Convention.
197. La République de Cuba affirme que, dans le présent cas, la Cour doit
forcément énoncer dans ce sens des raisonnements interprétatifs, ce qui est une
condition sine qua non pour atteindre le but humain et civilisateur de la Convention
qui, comme l’a disposé la Cour elle-même, reflète des normes de jus cogens et de
caractère erga omnes
52
.
52
Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c.
Serbie), arrêt du 3 février 2015, p. 3, paragraphe 87.
49
V. Conclusions
198. Le présent cas revêt des caractéristiques sui generis qui méritent des
déclarations interprétatives spéciales au sujet de la Convention si l’on veut en
préserver l’objet et le but. Nous sommes devant la politique génocidaire d’un État
contre un sous-groupe national, les Palestiniens, qui réclament leur droit à
l’autodétermination et à la défense d’un État palestinien souverain et indépendant
dans le Territoire occupé illégalement par Israël.
199. Cette politique, poursuivie de façon prolongée dans le temps dans l’objectif
sans équivoque d’occulter son dolus specialis, se compose d’un ensemble d’actes
et d’omissions qui, même s’ils pouvaient passer inaperçus par ignorance de leur
contexte et de leur durée, confirment l’exécution d’un génocide en cours depuis
plusieurs décennies.
200. Les violations du droit international humanitaire ou la mise en place d’un
régime d’apartheid ignominieux sont des crimes per se, mais ils s’inscrivent aussi
dans cette politique de génocide généralisée, aggravée par la condition de l’État
d’Israël comme puissance occupante. Cette vision holistique doit entraîner des
déclarations interprétatives au sujet de la Convention à même d’éviter toute
impunité présente et future.
201. L’impunité est précisément l’autre trait saillant du présent cas, au point que
l’échec du système des Nations Unies à cet égard depuis des décennies mérite
des déclarations spéciales qui garantissent l’efficacité de la Convention.
202. C’est justement dans ce contexte que la République de Cuba décide de
déposer la présente Déclaration d’intervention devant l’Honorable Cour
internationale de Justice. Le peuple, l’État et le gouvernement de la République de
Cuba sont convaincus que l’exercice des droits et obligations octroyés en vertu de
l’article 63, paragraphe 2 du Statut de la Cour et de la Convention elle-même, est
une condition sine qua non de la condition de Cuba de membre des Nations Unies
et d’État partie d’instruments internationaux pertinents.
50
203. Aussi la République de Cuba estime-t-elle pertinent d’émettre des
déclarations de jurisprudence qui englobent au minimum les articles premier, II, III,
IV, V, VI, VIII et IX de la Convention.
204. Dans le système des Nations Unies, la Cour constitue l’ultime espoir du
peuple palestinien et la sauvegarde de la Convention. La Cour est placée à un
point d’inflexion historique complexe, où la crédibilité du système légal mis en
place après la Seconde Guerre mondiale risque de voler définitivement en éclats.
205. Cuba est convaincue de la portée universelle de la Convention, qui a été
créée à partir de l’holocauste du peuple juif exécuté par les nazis et qui devra
protéger aujourd’hui le peuple palestinien contre les génocidaires agissant depuis
le gouvernement israélien. Les normes de jus cogens et à caractère erga omnes
qu’on invoque maintenant ne font pas de distinctions entre les victimes (groupe
national, ethnique, racial ou religieux), ni entre les auteurs (tous génocidaires,
indépendamment de leur nationalité, origine, race ou religion).
206. La décision que la Cour adoptera sur le fond de la question aura des effets
sur le système de relations internationales et devra perdurer comme constat sans
équivoque que « le génocide est un crime du droit des gens, en contradiction avec
l'esprit et les fins des Nations Unies et que le monde civilisé condamne
».
53
207. La République de Cuba se réserve le droit d’amplifier, de compléter ou de
modifier cette Déclaration selon qu’elle le juge nécessaire en fonction de
l’évolution du présent cas.
208. De même, selon les Pleins pouvoirs émis par Son Excellence Monsieur
Bruno Rodríguez Parrilla, ministre des Relations extérieures de la République de
Cuba, sont désignés comme :
53
Préambule de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
9 décembre 1948.
51
A) Agent : S. Exc. Mme Anet Pino Rivero, ambassadeur
extraordinaire et plénipotentiaire de la République
auprès du Royaume des Pays-Bas.
B) Représentants de l’État cubain :
- Mme Anayansi Rodríguez Camejo, vice-ministre des
Relations extérieures de la République de Cuba.
- M. Rodolfo Benítez Verson, directeur général des
Affaires multilatérales et du droit international, au
ministère des Relations extérieures de la République
de Cuba.
- M. Carlos Miguel Pereira Hernández, directeur
général des Affaires bilatérales au ministère des
Relations extérieures de la République de Cuba.
- Mme Eva Yelina Silva Walker, directrice du droit
international, au ministère des Relations extérieures
de la République de Cuba.
- Avocat-conseil : Lester Delgado Sánchez, docteur en
sciences, conseiller au ministère des Relations
extérieures de la République de Cuba.
209. Conformément à l’article 40, paragraphe premier, du Règlement de la Cour,
toutes les communications doivent être adressées à :
Ambassade de la République de Cuba,
Koninginnegracht 37, 2514 AD, La Haye, Pays-Bas.
VI. Liste des documents appuyant la Déclaration d’intervention
- Pleins Pouvoirs du ministre des Relations extérieures de la République de
Cuba, S. Exc. Monsieur Bruno Rodríguez Parrilla.
S. Exc. Mme Anet Pino Rivero
52
Agent de la Republique de Cuba
Déclaration d'intervention de Cuba