Déclaration d'intervention de la Tchéquie

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182-20221101-WRI-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note : Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel.
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE)
DÉCLARATION D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
EN VERTU DE L’ARTICLE 63 DU STATUT DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE
21 octobre 2022
[Traduction du Greffe]
DÉCLARATION D’INTERVENTION DE LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
EN VERTU DE L’ARTICLE 63 DU STATUT DE LA COUR
A Monsieur le greffier de la Cour internationale de Justice, le soussigné, dûment autorisé par
le Gouvernement de la République tchèque, déclare ce qui suit :
1. Au nom du Gouvernement de la République tchèque, j’ai l’honneur de soumettre à la Cour,
en vertu du paragraphe 2 de l’article 63 de son Statut, une déclaration d’intervention en l’affaire
relative à des Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie).
2. Selon le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour, un Etat qui désire se prévaloir
du droit d’intervention que lui confère l’article 63 du Statut doit déposer une déclaration qui indique
le nom de l’agent, précise l’affaire et la convention qu’elle concerne, et contient :
a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’Etat déclarant se considère comme partie à la
convention ;
b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions ;
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés.
3. Ces éléments sont précisés ci-dessous, après quelques observations liminaires.
I. OBSERVATIONS LIMINAIRES
4. Le 26 février 2022, l’Ukraine a introduit une instance contre la Fédération de Russie au sujet
d’un différend concernant l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (dénommée ci-après la «convention sur le génocide»
ou la «convention»).
5. Aux paragraphes 4 à 12 de sa requête introductive d’instance, l’Ukraine soutient qu’il existe,
entre elle et la Fédération de Russie, un différend au sens de l’article IX concernant l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la convention sur le génocide. Elle relève que
«[l]a Fédération de Russie affirme que des actes de génocide ont été commis dans les
oblasts de Louhansk et de Donetsk, et a engagé contre l’Ukraine diverses actions,
militaires et autres, notamment en reconnaissant de supposés Etats indépendants en
territoire ukrainien, avec pour objectif affiché de prévenir et de punir ces prétendus actes
de génocide»1.
6. La procédure orale, à laquelle la Fédération de Russie n’a pas participé, s’est ouverte le
7 mars 2022. Dans un document communiqué à la Cour le même jour, cependant, la Fédération de
Russie soutenait que la Cour n’avait pas compétence pour connaître de l’affaire.
1 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), requête introductive d’instance, enregistrée au Greffe de la Cour le 26 février 2022,
(ci-après la «requête de l’Ukraine»), par. 8.
7. Le 16 mars 2022, comme suite à la demande en indication de mesures conservatoires
soumise par l’Ukraine, la Cour a ordonné ce qui suit :
1) La Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle a
commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine ;
2) La Fédération de Russie doit veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou unités armées
irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui, ni aucune
organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa direction, ne commette
d’actes tendant à la poursuite des opérations militaires visées au point 1) ci-dessus ;
3) Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend
dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile.
Dans son ordonnance, la Cour a conclu que les éléments dont elle disposait à ce stade de la
procédure étaient suffisants pour établir prima facie l’existence d’un différend entre les Parties relatif
à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention sur le génocide2.
8. A la date de la présente déclaration, la Fédération de Russie ne s’est pas conformée aux
prescriptions de l’ordonnance, a considérablement intensifié et étendu ses opérations militaires sur
le territoire ukrainien et a ainsi aggravé le différend dont la Cour est saisie.
9. Le 30 mars 2022, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour, le
greffier a dûment notifié aux Etats parties à la convention sur le génocide, dont la République
tchèque, ce qui suit :
«[L]a convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide (ci-après la «convention sur le génocide») est invoquée à la fois comme base
de compétence de la Cour et à l’appui des demandes de l’Ukraine au fond. Plus
précisément, celle-ci entend fonder la compétence de la Cour sur la clause
compromissoire figurant à l’article IX de la convention, prie la Cour de déclarer qu’elle
ne commet pas de génocide, tel que défini aux articles II et III de la convention, et
soulève des questions sur la portée de l’obligation de prévenir et de punir le génocide
consacrée à l’article premier de la convention. Il semble, dès lors, que l’interprétation
de cette convention pourrait être en cause en l’affaire.»
Le greffier a ajouté que les Etats destinataires de la lettre «figur[aient] sur la liste des parties à la
convention sur le génocide [et que cette] lettre d[evait donc] être regardée comme constituant la
notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut.»
10. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour, «[c]hacun d’eux a le droit
d’intervenir au procès, et s’il exerce cette faculté, l’interprétation contenue dans la sentence est
également obligatoire à son égard». Par la présente déclaration, la République tchèque se prévaut du
droit d’intervenir en l’affaire que lui confère cette disposition et qui tient à sa qualité de partie à la
convention sur le génocide, comme il est exposé ci-dessous.
11. La convention sur le génocide est de la plus haute importance pour prévenir et punir ce
crime et pour protéger les valeurs fondamentales de la communauté internationale dans son
2 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 47.
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ensemble. La présente affaire soulève d’importantes questions concernant l’interprétation de cet
instrument. La Cour a déjà dit et confirmé que les dispositions de la convention sur le génocide
énoncent des obligations erga omnes3, dues à la communauté internationale dans son ensemble, et
que l’interdiction du génocide est une norme de jus cogens en droit international4. Elle a également
observé que cette convention vise «d’une part à sauvegarder l’existence même de certains groupes
humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus élémentaires»,
ajoutant que dans une telle convention, «les Etats contractants n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont
seulement tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison
d’être de la convention»5. Ainsi, il découle du caractère erga omnes des obligations consacrées par
la convention que tous les Etats qui y sont parties ont un intérêt commun à ce que ces obligations
soient interprétées, appliquées et exécutées comme il se doit. C’est précisément pour ces raisons que
la République tchèque a décidé d’exercer le droit d’intervenir en l’affaire que lui confère l’article 63
du Statut afin de contribuer à ce que la Cour fasse respecter l’intégrité de la convention sur le
génocide.
12. La République tchèque se concentrera sur l’interprétation de l’article IX de la convention
en ce que celui-ci a trait à la compétence de la Cour, mais se réserve le droit de présenter d’autres
arguments concernant la compétence conférée par cette disposition et le champ d’application ratione
materiae de la convention sur le génocide une fois que la Cour se sera prononcée sur la recevabilité
de la présente déclaration d’intervention.
14. Se référant à l’article 63 du Statut de la Cour, la République tchèque tient à souligner
qu’elle n’entend pas devenir partie à l’instance et accepte expressément comme également
obligatoire à son égard l’interprétation de la convention sur le génocide que contiendra l’arrêt.
15. Se référant en outre au paragraphe 1 de l’article 82 du Règlement de la Cour, selon lequel
toute déclaration d’intervention doit être «déposée le plus tôt possible avant la date fixée pour
l’ouverture de la procédure orale», la République tchèque tient à faire savoir que sa déclaration
d’intervention a été déposée dès que possible, conformément à cette exigence.
16. La République tchèque informe par ailleurs la Cour qu’elle est disposée à l’aider en
joignant son intervention à d’autres déclarations d’intervention similaires ou essentiellement
comparables émanant d’autres parties contractantes, en vue des stades ultérieurs de la procédure, si
la Cour estime qu’une telle démarche serait utile dans l’intérêt d’une administration efficace de la
justice.
II. AFFAIRE EN LAQUELLE EST DÉPOSÉE LA DÉCLARATION ET CONVENTION CONCERNÉE
17. La présente déclaration d’intervention concerne l’affaire relative à des Allégations de
génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine
c. Russie) que l’Ukraine a instituée le 26 février 2022 contre la Fédération de Russie. Cette affaire
3 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 47, par. 87 ; Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République
démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 31, par. 64 ; Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires,
arrêt du 22 juillet 2022, par. 107-109.
4 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 111, par. 161-162.
5 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1951, p. 23.
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soulève des questions concernant l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention sur
le génocide.
18. En tant que partie contractante à la convention sur le génocide, la République tchèque
considère qu’elle a un intérêt direct dans l’interprétation que la Cour pourrait donner des dispositions
pertinentes de cet instrument.
III. Base sur laquelle la République tchèque est partie à la convention
19. La Tchécoslovaquie, prédécesseur en droit de la République tchèque, a signé et ratifié la
convention, respectivement le 28 décembre 1949 et le 21 décembre 1950, tout en formulant une
réserve. Par notification reçue par le dépositaire de la convention sur le génocide le 26 avril 1991, le
Gouvernement de la Tchécoslovaquie a ultérieurement informé le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies (ci-après le «Secrétaire général») du retrait de la réserve à
l’article IX formulée lors de la signature de la convention et confirmée lors de sa ratification.
20. Par lettre en date du 16 février 1993, reçue par le Secrétaire général le 22 février 1993 et
accompagnée d’une liste de traités multilatéraux dont il est le dépositaire, parmi lesquels figure la
convention sur le génocide, le Gouvernement de la République tchèque a fait savoir que,
conformément aux principes en vigueur du droit international et à ses stipulations, la République
tchèque, en tant que successeur de la République fédérale tchèque et slovaque, c’est-à-dire de la
Tchécoslovaquie, se considère liée, à compter du 1er janvier 1993, date de la dissolution de la
République fédérale tchèque et slovaque, par les traités internationaux multilatéraux auxquels
celle-ci était partie à cette date.
IV. DISPOSITIONS DE LA CONVENTION QUI SONT EN CAUSE EN L’ESPÈCE
21. Dans sa requête, l’Ukraine entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de
l’article 36 du Statut de celle-ci et sur l’article IX de la convention sur le génocide6. La Fédération
de Russie, dans le document en date du 7 mars 2022 qu’elle a communiqué à la Cour, estime que
l’article IX de la convention sur le génocide ne lui donne pas compétence en cette affaire7.
21. Par conséquent, l’interprétation qu’il convient de donner à la clause compromissoire de la
convention sur le génocide, à savoir son article IX, est en cause en l’espèce.
22. La République tchèque intervient, en vertu de l’article 63 du Statut de la Cour, au sujet de
l’interprétation de l’article IX de la convention sur le génocide. L’article 63 du Statut dispose, de
manière générale et sans aucune restriction, que les Etats notifiés sont fondés à intervenir «[l]orsqu’il
s’agit de l’interprétation d’une convention». Ainsi, aux termes de cette disposition, toute partie
contractante a le droit d’intervenir non seulement dans des différends relatifs aux clauses de fond
d’une convention, mais aussi lorsque l’interprétation des clauses juridictionnelles d’une convention
est en cause. En outre, le fait qu’il soit rédigé en termes généraux implique que l’article 63 du Statut
de la Cour est applicable à toutes les phases d’une affaire donnée, tant au stade de la compétence
6 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 3.
7 Ibid., document (avec annexes) de la Fédération de Russie exposant sa position sur la prétendue «incompétence»
de la Cour en l’affaire, 7 mars 2022, par. 10 et suiv.
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qu’à celui de l’examen au fond. Il s’ensuit qu’une déclaration déposée en vertu de cette disposition
est recevable à ce stade de la procédure.
V. INTERPRÉTATION QUE LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE DONNE
DE L’ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
23. L’article IX de la convention sur le génocide se lit comme suit :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une partie au différend.»
24. La République tchèque se concentrera sur l’interprétation de l’article IX, à savoir que les
différends doivent être «relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention».
Elle affirme que l’article IX est une clause juridictionnelle générale qui autorise la Cour à statuer sur
des différends entre Etats contractants relatifs à tous les aspects de l’interprétation et de l’application
du texte ou de l’exécution par une partie contractante des obligations qui lui incombent au titre de la
convention.
25. La notion de «différend» est déjà bien établie dans la jurisprudence de la Cour et confirme
l’interprétation qui en est donnée en l’espèce. La République tchèque convient donc que l’on entend
par ce terme «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de
thèses juridiques ou d’intérêts» entre des parties8. Un différend existe dès lors que les deux parties
ont «des points de vue … nettement opposés» en ce qui concerne la question portée devant la Cour,
que «la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre», et que «le
défendeur avait connaissance, ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance, de ce que ses vues se
heurtaient à l’«opposition manifeste» du demandeur»9. Il n’est pas nécessaire que l’Etat défendeur
ait expressément répondu aux arguments de l’Etat demandeur10. En outre, la Cour a souligné qu’un
différend relevant d’un traité particulier peut exister malgré l’absence de «référence particulière» à
la convention ou à ses dispositions dans les déclarations faites publiquement par les parties, dès lors
que ces déclarations «s[e] réf[èrent] assez clairement à l’objet du traité pour que l’Etat contre lequel
il formule un grief puisse savoir qu’un différend existe ou peut exister à cet égard»11.
26. Les éléments de preuve versés au dossier montrent que a) la Fédération de Russie a maintes
fois accusé l’Ukraine de s’être livrée, dans les oblasts de Luhansk et de Donetsk, à des actes
constitutifs de génocide au sens de la convention sur le génocide, et que b) celle-ci a maintes fois
8 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
9 Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le
désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 850,
par. 41.
10 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie
c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 71.
11 Ibid., par. 72, citant Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85,
par. 30.
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rejeté ces accusations12. Un différend entre parties contractantes concernant la question de savoir si
le demandeur a commis des actes de génocide, en violation de la convention, et dans lequel celui-ci
prie la Cour de dire qu’il n’a pas commis de tels actes, est assurément un différend «relati[f] à
l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention». Rien ne limite la compétence de
la Cour aux affaires dans lesquelles c’est l’Etat demandeur qui accuse l’Etat défendeur de manquer
à ses obligations au regard de la convention.
27. Ainsi, chaque fois qu’il y a un différend entre deux ou plusieurs parties contractantes sur
la question de savoir si l’une d’elles a eu un comportement contraire à la convention sur le génocide,
la partie contractante accusée d’un tel comportement a le même droit que celle qui a porté
l’accusation de soumettre le différend à la Cour, et celle-ci sera à même d’exercer sa compétence.
En particulier, l’Etat accusé de commettre un génocide peut demander à la Cour de prononcer un
jugement déclaratoire «négatif» à l’effet de dire que les allégations par lesquelles l’autre Etat l’accuse
d’être responsable d’actes de génocide sont dénuées de fondement en fait et en droit. Si tel n’était
pas le cas, une partie contractante pourrait accuser à tort une autre partie contractante d’avoir violé
la convention sur le génocide sans que celle-ci puisse saisir la Cour, ce qui reviendrait à exclure de
sa compétence les différends liés à un génocide et pourrait donner lieu à de graves abus dans le
recours à ces allégations. A l’évidence, pareille exclusion ne serait pas conforme à l’objet et au but
de la convention sur le génocide.
28. De plus, les déclarations émanant des organes de l’Etat et de hauts responsables des deux
Parties au différend indiquent l’existence entre elles d’une divergence de vues non seulement sur la
question de savoir si certains actes qui auraient été commis par l’Ukraine dans les régions de Donetsk
et de Louhansk sont constitutifs de génocide et emportent donc violation des obligations incombant
à cet Etat au titre de la convention sur le génocide, mais aussi sur celle de savoir si l’emploi de la
force dans le but affiché de protéger des populations qui auraient été victimes d’actes de génocide en
territoire étranger entre dans le champ d’application de la convention et peut être considéré comme
une violation de ses dispositions13. Par conséquent, un différend portant sur la question de savoir si
une partie contractante a eu ou non un comportement contraire à la convention est d’autant plus digne
d’intérêt et grave qu’il est, expressément et factuellement, en lien avec l’emploi de la force par une
partie contre l’autre et le territoire de celle-ci au motif que cette dernière aurait violé la convention
sur le génocide.
29. Le paragraphe 1 de l’article 33 de la Charte des Nations Unies dispose ce qui suit :
«Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le
maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution,
avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation,
d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux,
ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix.»
Ce principe normatif fondamental et universel du règlement pacifique des différends est
d’autant plus important dans le cas de la convention sur le génocide, qui protège certaines des valeurs
les plus élémentaires et essentielles de la communauté internationale. L’article IX reflète et précise
ce principe aux fins de la convention. Lorsqu’une partie contractante estime qu’une autre partie
contractante a agi en violation de l’une quelconque des dispositions de la convention, la seule voie
que celle-ci lui offre pour y porter remède dans le cadre de relations bilatérales consiste à saisir la
12 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 30-34. Ibid., opinion
individuelle de M. le juge Robinson, par. 7-12.
13 Ibid., par. 35-47.
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Cour d’un différend relatif à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention sur le
génocide en vertu de son article IX.
30. Se pose donc également la question de savoir si le fait pour une partie contractante de
recourir à d’autres mesures, dont l’emploi de la force armée contre une autre partie contractante, à la
suite ou sous le prétexte fallacieux d’une prétendue violation par celle-ci de la convention sur le
génocide, constitue un manquement à l’obligation d’appliquer de bonne foi cet instrument, y compris
le principe du règlement pacifique des différends reflété en son article IX, et si, en conséquence, cette
partie contractante a invoqué abusivement la convention sur le génocide pour justifier les actions
qu’elle a engagées contre une autre partie contractante hors du cadre de la convention en cause.
31. En conclusion, comme cela est exposé ci-dessus, le différend dont la Cour est saisie
concerne l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention sur le génocide et satisfait
donc aux conditions énoncées à son article IX, interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à lui
attribuer dans son contexte, à la lumière de l’objet et du but de la convention. Par conséquent, la
compétence conférée à la Cour par cette disposition s’étend aux différends dans lesquels une partie
contractante en accuse une autre d’avoir commis des actes de génocide, ainsi qu’aux différends
relatifs à un manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi les dispositions pertinentes de la
convention sur le génocide en lien avec ces allégations donnant lieu à l’invocation abusive de cet
instrument.
VI. DOCUMENTS FOURNIS À L’APPUI DE LA DÉCLARATION
32. La République tchèque fournit les documents suivants à l’appui de la présente déclaration :
a) Annexe A : Lettre adressée par le greffier aux Etats parties à la convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide en application du paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la
Cour.
b) Annexe B : Copie de la notification par le dépositaire du dépôt par la Tchécoslovaquie de
l’instrument de ratification de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide.
c) Annexe C : Copie de la notification reçue le 26 avril 1991, par laquelle le Gouvernement de la
Tchécoslovaquie informait le Secrétaire général du retrait de la réserve à l’article IX formulée
lors de la signature de la convention et confirmée lors de sa ratification.
d) Annexe D : Copie de la lettre en date du 16 février 1993, reçue par le Secrétaire général le
22 février 1993, informant ce dernier de la succession de la République tchèque à certains traités
multilatéraux dont il était dépositaire et dont la liste était jointe en annexe.
VII. CONCLUSION
33. Au vu de ce qui précède, la République tchèque se prévaut du droit que lui confère le
paragraphe 2 de l’article 63 du Statut d’intervenir en tant que non-partie à l’affaire portée devant la
Cour par l’Ukraine contre la Fédération de Russie.
34. La République tchèque se réserve le droit de modifier ou compléter la présente déclaration
au cours des exposés écrits et oraux et en déposant une nouvelle déclaration auprès de la Cour.
- 8 -
35. Le Gouvernement de la République tchèque a désigné le soussigné en qualité d’agent aux
fins de la présente déclaration. Il a également désigné Mme Kateřina Sequensová, ambassadrice de
la République tchèque auprès du Royaume des Pays-Bas, en qualité de coagente. Le greffier de la
Cour est invité à adresser toutes communications à l’adresse suivante :
Ambassade de la République tchèque
Paleisstraat 4
2514 JA La Haye
Veuillez agréer, etc.
Le directeur du département du droit international,
ministère des affaires étrangères de la République tchèque,
agent du Gouvernement de la République tchèque,
(Signé) Emil RUFFER.
___________
ANNEXE A
LETTRE EN DATE DU 30 MARS 2022 ADRESSÉE À L’AMBASSADRICE DE LA RÉPUBLIQUE
TCHÈQUE AUPRÈS DU ROYAUME DES PAYS-BAS PAR LE GREFFIER
DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE
INTERNATIONAL COURT
OF JUSTICE
156413 Le 30 mars 2022
J'ai l'honneur de me referer A ma lettre (n° 156253) en date du 2 mars 2022, par laquelle j'ai
porte A la connaissance de votre Gouvernement que l'Ukraine a, le 26 fevrier 2022, depose au Greffe
de la Cour internationale de Justice une requete introduisant une instance contre la Federation de
Russie en l'affaire relative A des Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention
et la repression du crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie). Une copie de la requete etait
jointe a cette lettre. Le texte de ladite requete est egalement disponible sur le site Internet de la Cour
(www.icj-cij.org).
Le paragraphe 1 de l'article 63 du Statut de la Cour dispose que
«[1]orsqu'il s'agit de 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres
Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans delai».
Le paragraphe 1 de l'article 43 du Reglement de la Cour precise en outre que
«[1]orsque 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres Etats que
les parties en litige peut etre en cause au sens de l'article 63, paragraphe 1, du Statut, la
Cour examine quelles instructions donner au Greffier en la matiere».
Sur les instructions de la Cour, qui m'ont ete donnees conformement a cette derniere
disposition, j'ai l'honneur de notifier a votre Gouvernement ce qui suit.
Dans la requete susmentionnee, la convention de 1948 pour la prevention et la repression du
crime de genocide (ci-apres la «convention sur le genocide») est invoquee A la fois comme base de
competence de la Cour et a l'appui des demandes de l'Ukraine au fond. Plus precisement, celle-ci
entend fonder la competence de la Cour sur la clause compromissoire figurant A l'article IX de la
convention, prie la Cour de declarer qu'elle ne commet pas de genocide, tel que defini aux articles II
et III de la convention, et souleve des questions sur la portee de l'obligation de prevenir et de punir
le genocide consacree A Particle premier de la convention. Ii semble, des lors, que "'interpretation de
cette convention pourrait etre en cause en l'affaire.
./.
[Lettres aux Etats parties A la convention sur le genocide
(A l'exception de l'Ukraine et de la Federation de Russie)]
Palais de la Paix, Camegieplein 2
2517 KJ La Haye - Pays -Bas
Telephone: +31 (0) 70 302 23 23 - Facsimile : +31 (0) 70 364 99 28
Site Internet : www.icj-cij.org
Peace Palace, Carnegieplein 2
2517 KJ The Hague - Netherlands
Telephone: +31(0) 70 302 23 23 - Telefax: +31(0) 70 364 99 28
Website: www.icj-cij.org
COUR INTERNATIONALE INTERNATIONAL COURT
DE JUSTICE OF JUSTICE
Votre pays figure sur la liste des parties A la convention sur le genocide. Aussi la presente lettre
doit-elle etre regardee comme constituant la notification prevue au paragraphe 1 de l'article 63 du
Statut. J'ajoute que cette notification ne prejuge aucune question concernant l' application eventuelle
du paragraphe 2 de Particle 63 du Statut sur laquelle la Cour pourrait par la suite etre appelee A se
prononcer en l'espece.
Veuillez agreer, Excellence, les assurances de ma tres haute consideration.
Le Greffier de la Cour,
Philippe Gautier
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ANNEXE B
RATIFICATION PAR LA TCHÉCOSLOVAQUIE DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE


ANNEXE C
RETRAIT PAR LA TCHÉCOSLOVAQUIE D’UNE RÉSERVE À L’ARTICLE IX


ANNEXE D
SUCCESSION PAR LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

MINISTER
OF FOREIGN AFFAIRS
Prague, "(6. February 1993
Ref.: 79.059/93-MPO
Your Excellency,
Upon the instruction of the Government of the Czech Republic
and referring to the Declaration of the Czech National Council to
All Parliaments and Nations of the World of 17 December 1992, I
have the honour to communicate to Your Excellency the
following:
In conformity with the valid principles of international law
and to the extent defined by it, the Czech Republic, as a
successor State to the Czech and Slovak Federal Republic,
considers itself bound, as of 1 January 1993, i.e. the date of
the dissolution of the Czech and Slovak Federal Republic, by
multilateral international treaties to which the Czech and Slovak
Federal Republic was a party on that date, including reservations
and declarations to their provisions made earlier by the Czech
and Slovak Federal Republic.
His Excellency
Mr. Boutros Boutros-Ghali
Secretary -General
of the United Nations
New York
The Government of the Czech Republic have examined
multilateral treaties the list of which is attached to this
letter. I have the honour to inform you that the Czech Republic
considers to be bound by these treaties as well as by all
reservations and declarations to them by virtue of succession as
of 1 January 1993.
The Czech Republic, in accordance with the well -established
principles of international law, recognizes signatures made by
the Czech and Slovak Federal Republic in respect of all signed
treaties as if they were made by itself.
In order to ensure the continuous implementation of these
conventions in relations between the Czech Republic and other
parties to these conventions, I have the honour to request Your
Excellency in Your capacity of depositary to pass this
information as soon as possible to all States Parties to the
above -mentioned conventions.
Other treaties deposited with the Secretary -General of the
United Nations ratified or signed by the Czech and Slovak Federal
Republic and not included in the aforementioned list have not yet
been examined by the competent authorities of the Czech Republic.
I will inform you on the positions of the Czech Republic in
respect of those treaties in due course.
Please accept, Your Excellency, the assurances of my highest
consideration.
, C
Partial list of multilateral treaties deposited with the
Secretary General of the United Nations which are subject to
succession by the Czech Republic
/treaties are enlisted according to UN document ST/LEG/SER.E/10/
10 February 1993
Chapter III.
1. Convention on the Privileges and Immunities of the United
Nations. Adopted by the General Assembly of the United Nations
on 13 February 1946
2. Convention on the Privileges and Immunities of the Specialized
Agencies. Approved by the General Assembly of the United Nations
on 21 November 1947
3. Vienna Convention on Diplomatic Relations. Done in Vienna on
18 April 1961
6. Vienna Convention on Consular Relations. Done at Vienna on 24
April 1963
9. Convention on Special Missions. Adopted by the General Assembly
of the United Nations on 8 December 1969
11. Convention on the Prevention and Punishment of Crimes against
Internationally Protected Persons, including Diplomatic Agents.
Adopted by the General Assembly of the United Nations on 14 December
1973
12. Vienna Convention on the Representation of States in their
Relation with International Organizations of a Universal Character.
Concluded at Vienna on 14 March 1975
Chapter IV.
1. Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide. Adopted by the General Assembly of the United Nations
on 9 December 1948
2. International Convention on the Elimination of All Forms of
Racial Discrimination. Opened for signature at New York on
7 March 1966
3. International Covenant on Economic, Social and Cultural
Rights. Adopted by the General Assembly of the United Nations on
16 December 1966
4. International Covenant on Civil and Political Rights. Adopted
by the General Assembly of the United Nations on 16 December 1966
2
5. Optional Protocol to the International Covenant on Civil and
Political Rights. Adopted by the General Assembly of the United
Nations on 16 December 1966
6. Convention on the Non -Applicability of Statutory Limitations
to Was Crimes and Crimes against Humanity. Adopted by the General
Assembly of the United Nations on 26 November 1968
7. International Convention on the Suppression and Punishment of
the Crime of Apartheid. Adopted by the General Assembly of the
United Nations on 30 November 1973.
8. Convention on the Elimination of All Forms of Discrimination
against Women. Adopted by the General Assembly of the United Na
tions on 18 December 1979.
9. Convention against Torture and other Cruel, Inhuman or Degrading
Treatment of Punishment. Adopted by the General Assembly of
the United Nations on 10 December 1984.
10. International Convention against Apartheid in Sports. Adopted
by the General Assembly of the United Nations on 10 December
1985.
11. Convention on the Rights of the Child. Adopted by the General
Assembly of the United Nations on 20 November 1989.
Chapter XVI.
1. Convention on the Political Rights of Women. Opened for
signature at New York on 31 March 1953.
2. Convention on the Nationality of Married Women. Done at New
York on 20 February 1957.
3. Convention on Consent to Marriage, Minimum Age for Marriage
and Registration of Marriages. Opened for signature at New York
on 10 December 1962.
Chapter XVIII.
3. Slavery Convention. Geneva, September 25th, 1926
4. Supplementary Convention on the Abolition of Slavery, the
Slave Trade, and Institutions and Practices Similar to Slavery.
Done at the European Office of the United Nations at Geneva on 7
September 1956
5. International Convention Against the Taking of Hostages.
Adopted by the General Assembly of the United Nations on 17
December 1979
3
Chapter XXI.
1. Convention on the Territorial Sea and the Contiguous Zone.
Done at Geneva on 29 April 1958.
2. Convention on the High Seas. Done at Geneva on 29 April 1958.
4. Convention on the Continental Shelf. Done at Geneva on 29
April 1958.
6. United Nations Convention on the Law of the Sea. Concluded at
Montego Bay, Jamaica, on 10 December 1982. - S
Chapter XXIII.
1. Vienna Convention on the Law of Treaties. Concluded at Vienna
on 23 May 1969
2. Vienna Convention on Succession of States in respect of
Treaties. Concluded at Vienna on 23 August 1978 - S
3. Vienna Convention on the Law of Treaties between States and
International Organizations or between International
Organizations. Concluded at Vienna on 21 March 1986
Chapter XXIV.
1. Convention on Registration of Objects Launched into Outer
Space. Adopted by the General Assembly of the United Nations on
12 November 1974.
Chapter XXVI.
1. Convention on the Prohibition of Military or any other Hostile
use of Environmental Modification Techniques. Adopted by the General
Assembly of the United Nations on 10 December 1976.
2. Convention on Prohibitions or Restrictions on the Use of
certain Conventional Weapons which may be deemed to be
excessively injurious or to have indiscriminate effects (and
Protocols. Concluded at Geneva on 10 October 1980

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Déclaration d'intervention de la Tchéquie

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