Déclaration d'intervention de la Croatie

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182-20221019-WRI-01-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note : Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel.
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE)
DÉCLARATION D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LA RÉPUBLIQUE DE CROATIE
EN VERTU DE L’ARTICLE 63 DU STATUT DE LA COUR
INTERNATIONALE DE JUSTICE
13 octobre 2022
[Traduction du Greffe]
A Monsieur le greffier de la Cour internationale de Justice, la soussignée, dûment autorisée
par le Gouvernement de la République de Croatie, déclare ce qui suit :
1. Au nom de la République de Croatie, j’ai l’honneur de soumettre à la Cour, en vertu du
paragraphe 2 de l’article 63 de son Statut, une déclaration d’intervention en l’affaire relative à des
Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Ukraine c. Fédération de Russie).
2. Selon le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour, un Etat qui désire se prévaloir
du droit d’intervention que lui confère l’article 63 du Statut doit déposer une déclaration qui précise
l’affaire et la convention qu’elle concerne, et qui contient :
a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’Etat déclarant se considère comme partie à la
convention ;
b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions ;
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés.
3. Ces éléments sont précisés ci-dessous, après quelques observations liminaires.
OBSERVATIONS LIMINAIRES
4. Le 26 février 2022, l’Ukraine a introduit une instance contre la Fédération de Russie dans
un différend concernant l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la «convention sur le génocide»).
5. Aux paragraphes 4 à 12 de sa requête introductive d’instance, l’Ukraine affirme qu’il existe
entre elle-même et la Fédération de Russie un différend au sens de l’article IX concernant
l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention sur le génocide.
6. Sur le fond, l’Ukraine soutient que l’annonce et la mise en oeuvre, par la Fédération de
Russie, de mesures à son encontre et sur son territoire sous la forme d’une «opération militaire
spéciale» lancée le 24 février 2022 sur le fondement d’un prétendu génocide, ainsi que la
reconnaissance par celle-ci des prétendues «République populaire de Donetsk» et «République
populaire de Louhansk» qui a précédé cette opération, sont incompatibles avec la convention, dont
elle cite les articles premier à III (par. 2 et 26-29 de la requête).
7. Le 16 mars 2022, comme suite à la demande en indication de mesures conservatoires
soumise par l’Ukraine, la Cour a ordonné ce qui suit :
«1) La Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations militaires
qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine ;
2) La Fédération de Russie doit veiller à ce qu’aucune des unités militaires ou unités
armées irrégulières qui pourraient agir sous sa direction ou bénéficier de son appui,
ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle ou sa
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direction, ne commette d’actes tendant à la poursuite des opérations militaires visées
au point 1) ci-dessus ;
3) Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou
d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus
difficile.»
8. A la date de la présente déclaration, la Fédération de Russie ne s’est pas conformée aux
prescriptions de l’ordonnance, a intensifié et étendu ses opérations militaires sur le territoire de
l’Ukraine et a ainsi aggravé le différend dont la Cour est saisie.
9. Le 30 mars 2022, ainsi que le prévoit le paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour, le
greffier a dûment averti la République de Croatie, en sa qualité de partie à la convention sur le
génocide, qu’à la suite de la requête présentée par l’Ukraine, la convention sur le génocide «[était]
invoquée à la fois comme base de compétence de la Cour et à l’appui des demandes de l’Ukraine au
fond». Il a en outre fait observer que
«[l’Ukraine] entend fonder la compétence de la Cour sur la clause compromissoire
figurant à l’article IX de la convention, prie la Cour de déclarer qu’elle ne commet pas
de génocide, tel que défini aux articles II et III de la convention, et soulève des questions
sur la portée de l’obligation de prévenir et de punir le génocide consacrée à l’article
premier de la convention. Il semble, dès lors, que l’interprétation de [la convention sur
le génocide] pourrait être en cause en l’affaire.»1
10. La République de Croatie considère que la convention sur le génocide est de la plus haute
importance pour prévenir et punir ce crime. Tout acte commis dans l’intention de détruire, en tout ou
en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux constitue un crime en droit international.
L’interdiction du génocide est une norme de jus cogens en droit international2. Les droits et
obligations consacrés par la convention sont des droits et obligations erga omnes partes, ces
obligations étant dues à la communauté internationale dans son ensemble3. Face à une telle situation,
s’agissant d’un traité portant sur des questions d’intérêt collectif, le regretté juge Cançado Trindade
avait invité les Etats parties à apporter leur contribution à l’interprétation rigoureuse de cet instrument
en guise de «garantie collective du respect des obligations contractées par les Etats parties»4.
11. En soumettant la présente déclaration, la République de Croatie se prévaut du droit
d’intervention qu’elle tient du paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour. Celle-ci a dit que cet
article confère un «droit» d’intervention5. Elle a aussi souligné qu’une intervention
1 Lettre du greffier de la Cour en date du 30 mars 2022 — voir annexe A.
2 Affaire relative à l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 111, par. 161-162.
3 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 3 et références citées ; Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt
du 22 juillet 2022, par. 107.
4 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande,
ordonnance du 6 février 2013, C.I.J. Recueil 2013, opinion individuelle du juge Cançado Trindade, p. 33, par. 53.
5 Haya de la Torre (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 76 ; Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya
arabe libyenne), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1981, p. 13, par. 21.
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«se limite à la présentation d’observations au sujet de l’interprétation de la convention
concernée et ne permet pas à l’intervenant, qui n’acquiert pas la qualité de partie au
différend, d’aborder quelque autre aspect que ce soit de l’affaire dont est saisie la Cour ;
et qu’une telle intervention ne peut pas compromettre l’égalité entre les Parties au
différend»6.
12. Respectant la portée limitée des interventions fondées sur l’article 63 du Statut, la
République de Croatie exposera l’interprétation qu’elle donne de l’article pertinent de la convention
sur le génocide conformément à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, qui
codifie le droit international coutumier7. Elle note que l’article 63 du Statut ne fait aucune distinction
entre les dispositions d’une convention qui ont trait à des questions de compétence et celles qui ont
trait au fond. Le juge Schwebel a fait observer que «l’intervention pendant la phase juridictionnelle
de l’instance fa[it] partie du droit que l’article 63 confère aux Etats»8. De fait, dans les deux cas, les
Etats peuvent offrir leur assistance à la Cour pour l’interprétation d’une convention donnée et le
libellé de l’article 82 du Règlement, selon lequel une déclaration doit être déposée «le plus tôt
possible», confirme qu’une déclaration déposée au titre de l’article 63 est recevable au présent stade
de la procédure.
13. La République de Croatie s’attachera d’abord à l’interprétation de l’article IX de la
convention relatif à la compétence de la Cour.
14. La République de Croatie n’entend pas devenir partie à l’instance et accepte comme
également obligatoire à son égard l’interprétation de la convention sur le génocide que contiendra
l’arrêt rendu en l’espèce. Elle ne traitera pas dans son intervention de questions relatives à
l’application de cette convention.
15. La République de Croatie souhaite en outre assurer la Cour qu’elle a déposé la déclaration
d’intervention «le plus tôt possible avant la date fixée pour l’ouverture de la procédure orale», comme
le prescrit l’article 82 du Règlement de la Cour. Elle demande, en application du paragraphe 1 de
l’article 85 du Règlement, à recevoir copie de l’ensemble des pièces de procédure et documents y
annexés déposés par l’Ukraine et la Fédération de Russie. Elle informe en outre la Cour qu’elle est
disposée à l’aider en joignant son intervention à d’autres interventions similaires émanant d’autres
Etats membres de l’Union européenne, en vue des stades ultérieurs de la procédure, si la Cour estime
qu’une telle démarche serait utile dans l’intérêt d’une administration efficace de la justice.
BASE SUR LAQUELLE LA RÉPUBLIQUE DE CROATIE EST PARTIE À LA CONVENTION
16. La République de Croatie est partie à la convention sur la base de la notification de
succession qu’elle a déposée auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies le
6 Chasse à la baleine dans l’Antarctique (Australie c. Japon), déclaration d’intervention de la Nouvelle-Zélande,
ordonnance du 6 février 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 9, par. 18.
7 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 87 : «la Cour aura recours aux règles coutumières de droit
international relatives à l’interprétation des traités, telles que reflétées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne sur
le droit des traités du 23 mai 1969» ; voir aussi Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (Qatar c. Emirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt du 4 février 2021,
C.I.J. Recueil 2021, p. 24, par. 75 et références citées.
8 Voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
déclaration d'intervention d’El Salvador, ordonnance du 4 octobre 1984,C.I.J. Recueil 1984, opinion du juge Schwebel,
p. 235-236.
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12 octobre 1992, avec effet au 8 octobre 1991, date à laquelle elle a assumé la responsabilité de ses
relations internationales.
DISPOSITIONS DE LA CONVENTION QUI SONT EN CAUSE EN L’ESPÈCE
17. L’article IX de la convention sur le génocide se lit comme suit :
«Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une partie au différend.»
18. La République de Croatie fait valoir que la notion de «différend» est déjà bien établie dans
la jurisprudence de la Cour et confirme l’interprétation qui en est donnée en l’espèce. Elle convient
donc que l’on entend par ce terme «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction,
une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts» entre des parties9. Pour établir l’existence d’un
différend, «[i]l faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition
manifeste de l’autre»10. Les deux parties doivent avoir des «points de vue … , quant à l’exécution ou
à la non-exécution de certaines obligations internationales, [qui] sont nettement opposés»11. En outre,
«dans le cas où le défendeur s’est abstenu de répondre aux réclamations du demandeur, il est possible
d’inférer de ce silence, dans certaines circonstances, qu’il rejette celles-ci et que, par suite, un
différend existe»12.
19. La République de Croatie se concentre donc sur l’interprétation du reste de l’énoncé de
l’article IX, à savoir que les différends visés doivent être «relatifs à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la … Convention». Elle affirme que l’article IX est une clause juridictionnelle
générale qui autorise la Cour à statuer sur des différends concernant non seulement l’application et
l’interprétation du texte mais aussi la prétendue exécution par une partie contractante des obligations
qui lui incombent au titre de la convention. Comme l’a relevé le juge Oda, l’insertion du terme
«exécution» dans la disposition est «unique si on … compare [celle-ci] aux clauses compromissoires
d’autres traités multilatéraux qui prévoient la soumission à la Cour internationale de Justice des
différends entre les parties contractantes ayant trait à leur interprétation ou application»13.
20. L’interprétation par la République de la Croatie de l’article IX en général et du membre de
phrase «relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention» en particulier est
fondée sur l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, dont le paragraphe 1 se lit
9 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
10 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
11 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 414,
par. 18 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50, citant Interprétation des traités de paix
conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
12 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 71.
13 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1996 (II), déclaration du juge Oda, p. 627, par. 5 (les italiques sont
dans l’original).
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comme suit : «Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux
termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.»
21. S’agissant du membre de phrase «relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de
la … Convention», son sens ordinaire peut s’analyser en deux temps.
22. Le premier terme («relatifs à») établit un lien entre le différend et la convention.
23. Le second terme («l’interprétation, l’application ou l’exécution de la Convention»)
recouvre de nombreux cas de figure.
24. Il peut y avoir un différend au sujet de l’interprétation, de l’application ou de l’exécution
de la convention lorsqu’un Etat allègue qu’un autre Etat a commis un génocide14. Dans ce cas de
figure, la Cour examinera les faits sous-tendant cette allégation, ce qui revient à vérifier si un
génocide a été commis ou non.
25. Si ce cas de figure, dans lequel la responsabilité à raison d’actes de génocide est alléguée,
est souvent à l’origine des différends concernant «l’interprétation, l’application ou l’exécution» de
la convention, il n’est pas le seul. Ainsi, dans l’affaire (pendante) relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), la
demanderesse a fait valoir que le défendeur non seulement était responsable d’actes prohibés par
l’article III, mais manquait aussi aux obligations que lui impose la convention en ne prévenant pas
le génocide, en violation de l’article premier, et en ne punissant pas ce crime, en violation des
articles premier, IV et V15. Dans ce cas précis, un Etat allègue qu’un autre Etat ne respecte pas son
engagement de «prévenir» et de «punir» le génocide, au motif qu’il laisse impunis les actes de
génocide commis sur son territoire. Il s’ensuit qu’il peut aussi exister des différends concernant une
«inaction» constitutive de manquement aux obligations de fond énoncées aux articles susvisés.
26. Il ressort clairement du sens ordinaire du membre de phrase «relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la … Convention» figurant à l’article IX qu’il n’est pas nécessaire
d’établir l’existence d’actes de génocide pour fonder la compétence de la Cour. Outre la constatation
d’actes de génocide, celle-ci est compétente pour connaître de la question de savoir si des actes de
génocide ont été commis ou le sont, ou non16. La Cour a donc aussi compétence ratione materiae
pour constater l’absence de génocide et un manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi la
convention qui donne lieu à un abus de droit. Sa compétence s’étend, en particulier, aux différends
concernant l’emploi unilatéral de la force militaire dans le but affiché de prévenir et de punir un
prétendu génocide17.
14 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 75, par. 169.
15 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 24, alinéas c), d) et e) du point 1).
16 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 43 et 45 ; Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires,
ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 14, par. 30.
17 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 43 et 45.
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27. Le contexte du membre de phrase «relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution
de la … Convention» confirme également cette lecture. En particulier, l’emploi inhabituel du terme
«y compris» dans l’incise de l’article IX de la convention indique que celui-ci a un champ
d’application plus large que celui d’une clause compromissoire classique18. Les différends relatifs à
la responsabilité d’un Etat en matière de génocide ou à raison de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III ne sont donc qu’un des types de différends visés par l’article IX, «compris»
dans la catégorie plus large des différends «relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution»
de la convention19.
28. En outre, l’article IX prévoit expressément que la Cour est compétente pour connaître d’un
différend soumis «à la requête d’une partie [à celui-ci]» (les italiques sont de nous). Cet énoncé fait
penser qu’un Etat accusé de commettre un génocide a le même droit de soumettre le différend à la
Cour que l’Etat qui formule l’accusation. En particulier, l’Etat accusé peut demander à la Cour de
prononcer un jugement déclaratoire «négatif» à l’effet de dire que les allégations par lesquelles
l’autre Etat l’accuse d’être responsable de génocide sont dénuées de fondement en fait et en droit.
29. Enfin, l’objet et le but de la convention viennent également à l’appui d’une interprétation
large de l’article IX. La Cour a noté que «[t]ous les Etats parties à la convention sur le génocide ont
[donc], en souscrivant aux obligations contenues dans cet instrument, un intérêt commun à veiller à
ce que le génocide soit prévenu, réprimé et puni»20. Dans un passage célèbre de l’avis consultatif
qu’elle a rendu en 1951, elle a dit ceci21 :
«Les fins d’une telle convention doivent également être retenues. La Convention
a été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut
même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double
caractère, puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains
groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les
plus élémentaires. Dans une telle convention, les Etats contractants n’ont pas d’intérêts
propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les
fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne
saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages
individuels des Etats, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les
droits et les charges. La considération des fins supérieures de la convention est, en vertu
de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions
qu’elle renferme.»
30. L’objet de la convention, qui est de protéger les principes de morale les plus élémentaires,
interdit également qu’un Etat partie puisse détourner ses dispositions à d’autres fins. La crédibilité
de la convention en tant qu’instrument universel visant à interdire le crime le plus abject qu’est le
génocide serait compromise si un Etat partie pouvait l’invoquer abusivement sans que la victime
d’un tel abus puisse se tourner vers la Cour. Le but de la convention plaide donc avec force en faveur
d’une lecture de l’article IX selon laquelle les différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou
18 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 75, par. 169.
19 Voir aussi exposé écrit de la République de Gambie sur les exceptions préliminaires soulevées par la République
de l’Union du Myanmar, 20 avril 2021, p. 28 et 29, par. 3.22 («Cette précision [quant aux différends relatifs à la
responsabilité d’un Etat en matière de génocide] signifie incontestablement que la responsabilité à l’égard d’actes de
génocide peut être l’objet d’un différend porté devant la Cour par toute partie contractante.»)
20 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 107.
21 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1951, p. 23.
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à l’exécution de la convention comprennent les différends relatifs au recours abusif à l’autorité de
cet instrument pour justifier un acte d’un Etat partie à l’égard d’un autre Etat partie.
31. En conclusion, l’interprétation de l’article IX de la convention montre que la compétence
de la Cour va au-delà des différends entre Etats concernant la responsabilité à raison d’actes de
génocide allégués et s’étend également aux différends entre Etats concernant l’absence de génocide
et un manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi la convention qui donne lieu à un abus de
droit. Elle confirme en outre qu’un différend relatif à des actes qu’un Etat commet contre un autre
Etat sur le fondement d’allégations fallacieuses de génocide relève de la notion de «différends entre
les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de
la … Convention». Il s’ensuit que la Cour est compétente pour constater l’absence de génocide et un
manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi la convention qui donne lieu à un abus de droit.
Par conséquent, sa compétence s’étend aux différends concernant l’emploi unilatéral de la force
militaire fondé sur des allégations mensongères selon lesquelles des actes de génocide auraient été
commis.
DOCUMENTS FOURNIS À L’APPUI DE LA DÉCLARATION
32. Liste des documents fournis à l’appui de la déclaration et annexés à la présente :
a) Lettre adressée par le greffier aux Etats parties à la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide en application du paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour ;
b) Notification de succession de la République de Croatie à la convention sur le génocide.
CONCLUSION
33. Au vu de ce qui précède, la République de Croatie se prévaut du droit que lui confère le
paragraphe 2 de l’article 63 du Statut d’intervenir en tant que non-partie à l’affaire portée devant la
Cour par l’Ukraine contre la Fédération de Russie.
34. La République de Croatie se réserve le droit de compléter ou de modifier la présente
déclaration en tant que de besoin.
35. Le Gouvernement de la République de Croatie a désigné la soussignée, Mme Gordana
Vidović Mesarek, directrice générale chargée du droit européen et international au sein du ministère
des affaires étrangères et européennes, en qualité d’agente aux fins de la présente déclaration, ainsi
que Mme Anamarija Valković, directrice du service de droit international du même ministère, en
qualité de coagente. Le greffier de la Cour est invité à leur adresser toutes communications à l’adresse
suivante : Ambassade de la République de Croatie à La Haye, Surinamestraat 11, 2585 GG La Haye
(Pays-Bas).
Veuillez agréer, etc.
L’agente du Gouvernement de la République de Croatie,
(Signé) Gordana VIDOVIĆ MESAREK.
Annexe A : Lettre adressée par le greffier aux Etats parties à la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide en application du paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour
Annexe B : Notification de succession de la République de Croatie à la convention sur le génocide
___________
ANNEXE A
LETTRE ADRESSÉE PAR LE GREFFIER AUX ETATS PARTIES À LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE EN APPLICATION
DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE 63 DU STATUT DE LA COUR
COUR INTERNATIONALE
DE JUSTICE
INTERNATIONAL COURT
OF JUSTICE
156413 Le 30 mars 2022
J'ai l'honneur de me referer A ma lettre (n° 156253) en date du 2 mars 2022, par laquelle j'ai
porte A la connaissance de votre Gouvernement que l'Ukraine a, le 26 fevrier 2022, depose au Greffe
de la Cour internationale de Justice une requete introduisant une instance contre la Federation de
Russie en l'affaire relative A des Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention
et la repression du crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie). Une copie de la requete etait
jointe a cette lettre. Le texte de ladite requete est egalement disponible sur le site Internet de la Cour
(www.icj-cij.org).
Le paragraphe 1 de l'article 63 du Statut de la Cour dispose que
«[1]orsqu'il s'agit de 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres
Etats que les parties en litige, le Greffier les avertit sans delai».
Le paragraphe 1 de l'article 43 du Reglement de la Cour precise en outre que
«[1]orsque 'Interpretation d'une convention A laquelle ont participe d'autres Etats que
les parties en litige peut etre en cause au sens de l'article 63, paragraphe 1, du Statut, la
Cour examine quelles instructions donner au Greffier en la matiere».
Sur les instructions de la Cour, qui m'ont ete donnees conformement a cette derniere
disposition, j'ai l'honneur de notifier a votre Gouvernement ce qui suit.
Dans la requete susmentionnee, la convention de 1948 pour la prevention et la repression du
crime de genocide (ci-apres la «convention sur le genocide») est invoquee A la fois comme base de
competence de la Cour et a l'appui des demandes de l'Ukraine au fond. Plus precisement, celle-ci
entend fonder la competence de la Cour sur la clause compromissoire figurant A l'article IX de la
convention, prie la Cour de declarer qu'elle ne commet pas de genocide, tel que defini aux articles II
et III de la convention, et souleve des questions sur la portee de l'obligation de prevenir et de punir
le genocide consacree A Particle premier de la convention. Ii semble, des lors, que "'interpretation de
cette convention pourrait etre en cause en l'affaire.
./.
[Lettres aux Etats parties A la convention sur le genocide
(A l'exception de l'Ukraine et de la Federation de Russie)]
Palais de la Paix, Camegieplein 2
2517 KJ La Haye - Pays -Bas
Telephone: +31 (0) 70 302 23 23 - Facsimile : +31 (0) 70 364 99 28
Site Internet : www.icj-cij.org
Peace Palace, Carnegieplein 2
2517 KJ The Hague - Netherlands
Telephone: +31(0) 70 302 23 23 - Telefax: +31(0) 70 364 99 28
Website: www.icj-cij.org
COUR INTERNATIONALE INTERNATIONAL COURT
DE JUSTICE OF JUSTICE
Votre pays figure sur la liste des parties A la convention sur le genocide. Aussi la presente lettre
doit-elle etre regardee comme constituant la notification prevue au paragraphe 1 de l'article 63 du
Statut. J'ajoute que cette notification ne prejuge aucune question concernant l' application eventuelle
du paragraphe 2 de Particle 63 du Statut sur laquelle la Cour pourrait par la suite etre appelee A se
prononcer en l'espece.
Veuillez agreer, Excellence, les assurances de ma tres haute consideration.
Le Greffier de la Cour,
Philippe Gautier
- 2 -
ANNEXE B
NOTIFICATION DE SUCCESSION DE LA RÉPUBLIQUE DE CROATIE
À LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE

Document file FR
Document Long Title

Déclaration d'intervention de la Croatie

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