Lettre du ministre du pouvoir populaire pour les relations extérieures du Venezuela en date du 24 juillet 2020

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171-20200724-OTH-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
Lettre en date du 24 juillet 2020 adressée au président de la Cour par
le ministre du pouvoir populaire pour les relations extérieures de
la République bolivarienne du Venezuela
[Traduction]
Dans l’ordonnance qu’elle a rendue le 19 juin 2018, la Cour a estimé,
«en application de l’article 79, paragraphe 2, de son Règlement, que, dans les
circonstances de l’espèce, il [était] nécessaire de régler en premier lieu la question de
sa compétence, et qu’en conséquence il d[evait] être statué séparément, avant toute
procédure sur le fond, sur cette question».
Etant donné que, ainsi que le Venezuela le lui a indiqué, la Cour n’a manifestement pas
compétence (raison pour laquelle celui-ci a décidé de ne pas prendre part à l’instance), il n’est, de
fait, nullement nécessaire d’examiner des questions d’un autre ordre (qu’elles aient trait à la
recevabilité ou au fond) concernant la requête dont le Guyana a saisi la Cour en mars 2018.
Dans le cadre de l’assistance qu’il a offert de lui apporter aux fins de l’exécution de
l’obligation qui lui incombe en application du paragraphe 2 de l’article 53 de son Statut, le
Venezuela tient à informer la Cour qu’il n’a trouvé dans le compte rendu de l’audience qu’elle a,
le 30 juin 2020, tenue à distance avec les représentants du Guyana au sujet de sa compétence pour
connaître de l’affaire aucun élément justifiant qu’il reconsidère les vues exprimées dans son
mémorandum du 29 novembre 2019 et dans l’annexe datée du même jour. Le Guyana s’étant selon
lui contenté de réitérer les arguments avancés dans son mémoire, les objections soulevées par le
Venezuela à l’égard de la compétence de la Cour demeurent parfaitement valides, effectives et
pertinentes, et devraient amener celle-ci à se déclarer incompétente pour connaître de la requête.
Cette conclusion est confirmée par les considérations exposées ci-après.
1. La nature du différend et le but de l’accord signé le 17 février 1966 ressortent de l’intitulé
même de celui-ci, à savoir «Accord tendant à régler le différend … relatif à la frontière». Cet
instrument concerne le règlement d’un différend territorial, qui, selon le préambule, doit «être
résolu à l’amiable, d’une manière acceptable pour les deux parties». C’est donc dans cet esprit que
doivent s’interpréter ses dispositions. Compte tenu des désaccords persistant entre elles au sujet de
la validité de la sentence du 3 octobre 1899, les Parties sont convenues, non pas de soumettre cette
question à un règlement arbitral ou judiciaire ⎯ ce qui n’a nullement été évoqué à Genève ⎯,
mais de surmonter leurs divergences de vues en établissant un mécanisme qui leur permettrait de
parvenir à un règlement pratique et mutuellement satisfaisant du différend territorial. Ces termes
ne sont guère compatibles avec un règlement judiciaire ou arbitral.
2. L’affirmation du Guyana selon laquelle les négociations avaient pour seul objet la validité
de la sentence de 1899 est en nette contradiction avec le fait que, lors des discussions tenues à
Londres et Genève au sujet de l’accord, le Royaume-Uni et le Guyana s’étaient vivement opposés à
un règlement judiciaire, notamment par saisine de la Cour, que le ministre vénézuélien des affaires
étrangères de l’époque, M. Iribarren Borges, avait proposé comme solution de dernier recours.
Ce que le Venezuela préconisait, et qui a finalement été signé entre les Parties, c’est une
négociation approfondie permettant d’aboutir à un accord qui annulerait et remplacerait la
sentence de 1899.
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3. Les travaux préparatoires de l’accord de Genève sont instructifs à plusieurs égards. Ils
démontrent que :
3.1. Le Venezuela souhaitait parvenir au plus vite à un règlement du différend territorial
l’opposant au Royaume-Uni (et au Guyana) au sujet de ses frontières avec la Guyane britannique.
3.2. C’est le Venezuela qui a proposé, à cet effet, de retenir l’arbitrage et le règlement
judiciaire comme solutions de dernier recours, le Royaume-Uni et le Guyana s’opposant, quant à
eux, à l’insertion dans l’accord de toute mention directe de ces moyens de règlement, attitude qui
aurait été inexplicable si l’enjeu avait réellement été de trancher la question de la validité de la
sentence de 1899, et non de régler le différend frontalier ainsi que les autres désaccords qui,
nonobstant cette sentence, pourraient survenir sur des questions plus sensibles.
3.3. Le ministre vénézuélien considérait que, dans l’éventualité où les moyens politiques de
règlement prévus à l’article 33 de la Charte des Nations Unies viendraient à être épuisés de manière
successive, graduelle et progressive, les procédures d’arbitrage ou de règlement judiciaire ne
pourraient être engagées mécaniquement ou unilatéralement, mais devraient donner lieu à un
accord exprès et spécifique négocié entre les Parties, faisant de l’équité une des sources
fondamentales de la décision pour répondre à la nécessité d’une véritable justice. Les propositions
formulées par le Venezuela à Londres et Genève reposaient sur des considérations de justice
historique, de morale et de redressement équitable. S’adressant, le 17 mars 1966, au Congrès de la
République du Venezuela au sujet de l’accord de Genève signé le 17 février 1966,
Iribarren Borges, ministre des affaires étrangères de l’époque, a ainsi conclu son allocution en ces
termes :
«De toute évidence, l’accord de Genève n’est pas la solution idéale du
problème, qui ne pourrait être que la restitution de son territoire au Venezuela. Ce
n’est cependant pas pour dicter les conditions de la reddition de l’adversaire en jetant
le glaive de la victoire sur le plateau de la balance que nous nous sommes rendus sur
les bords du lac Léman, mais pour trouver une solution satisfaisante à l’épineuse
question territoriale. Fruit d’un dialogue diplomatique et non du monologue des
vainqueurs, l’accord de Genève constitue une nouvelle donne pour les tenants des
positions extrêmes qui exigent la restitution d’un territoire spolié en vertu d’une
sentence nulle et non avenue, ceux qui ne nourrissaient aucun doute quant à la
souveraineté sur le territoire n’ayant pas été disposés à porter cette affaire devant un
tribunal.»
4. Aux termes du paragraphe 2 de l’article IV de l’accord de Genève, «le choix [des] moyens
de règlement» est confié au Secrétaire général de l’ONU, lequel, «[s]i les moyens ainsi choisis ne
mènent pas à une solution du différend», «choisira un autre des moyens stipulés à l’article 33 de la
Charte des Nations Unies, et ainsi de suite, jusqu’à ce que le différend ait été résolu ou jusqu’à ce
que tous les moyens de règlement pacifique envisagés dans la Charte aient été épuisés». Les
caractéristiques de cette disposition sont la gradation, la progressivité et la condition selon laquelle
un nouveau mode de règlement ne peut être retenu que si le précédent «ne [mène] pas à une
solution du différend».
5. Le fait que, dans la lettre en date du 30 janvier 2018 par laquelle il indique avoir retenu la
Cour comme moyen de règlement, le Secrétaire général ait également mentionné les négociations
et la procédure des bons offices confirme que les moyens politiques de résolution de la controverse
n’étaient et ne sont certainement pas épuisés.
- 3 -
6. En entendant choisir la Cour comme moyen de règlement, après avoir estimé que la
procédure des bons offices avait échoué, le Secrétaire général est allé à l’encontre de la lettre et de
l’esprit du paragraphe 2 de l’article IV, qui prévoyait le recours à d’autres moyens politiques (tels
que la médiation) pour aider véritablement les Parties à négocier une solution pratique, acceptable
et mutuellement satisfaisante, ce qui est le but de la procédure énoncée dans cette disposition.
Retenir la Cour sans s’être assuré de l’épuisement de tous les moyens politiques de règlement
revient à déroger à la procédure convenue, ce qui n’est assurément pas la meilleure manière
d’atteindre l’objectif de l’accord de Genève.
7. Il convient également de relever que le Secrétaire général avait auparavant toujours
subordonné ses choix ainsi que la désignation de ses représentants chargés de mener la procédure
des bons offices à l’agrément des deux Parties. Or, en retenant la Cour, il s’est affranchi du
principe de l’équilibre entre les parties ⎯ qu’il avait pourtant respecté jusqu’alors ⎯ pour s’aligner
sur l’une d’elles, ce qui n’est compatible ni avec la lettre et l’esprit, ni avec l’objet et le but de
l’accord de Genève.
8. L’élément le plus important aux fins présentes est que le paragraphe 2 de l’article IV de
cet accord ne constitue pas l’expression absolue et sans équivoque du consentement du Venezuela à
la compétence de la Cour à l’égard de la requête du Guyana, consentement qui est requis par le
droit international. Pour s’assurer, conformément à l’objet de l’accord de Genève, que la
controverse soit «résolu[e] à l’amiable, d’une manière acceptable pour les deux parties», celles-ci
doivent progressivement recourir aux méthodes de négociation politique prévues à l’article 33 de la
Charte ; si elles ne parvenaient pas ainsi à une solution mutuellement acceptable et satisfaisante,
elles pourraient en conclure ensemble que les moyens politiques ont été employés et épuisés ; c’est
seulement dans cette hypothèse qu’il leur faudrait non seulement accepter volontairement la
compétence de la Cour mais également procéder, de manière consensuelle, à la négociation d’un
compromis, indispensable pour définir le rôle de cette juridiction, l’objet du différend ainsi que les
sources de droit et les éléments d’équité à prendre en compte pour régler la controverse
conformément à l’accord de Genève. Ce compromis pourrait préciser certains éléments d’ordre
procédural et la langue à utiliser en l’affaire afin de garantir l’égalité entre les Parties. A défaut d’un
tel compromis, il n’est pas possible de saisir la Cour.
9. En résumé, l’article 33 de la Charte contraint d’ores et déjà le Guyana et le Venezuela à
recourir à un ou plusieurs des moyens pacifiques de règlement qui y sont énoncés et, partant, à
parvenir ainsi à un règlement de leur différend. Il est cependant incontestable que cet article ne
constitue pas une «disposition particulière» conférant valablement compétence à la Cour, du
simple fait que le Secrétaire général a l’obligation de choisir parmi ces mêmes moyens de
règlement.
10. De même, le choix fait par le Secrétaire général en janvier 2018 ne saurait être
directement applicable, car il ne précise aucun des éléments susmentionnés qui sont pourtant
indispensables à un règlement du différend devant la Cour conformément à l’accord de Genève.
11. Le fait que la désignation de la Cour comme moyen de règlement du différend par le
Secrétaire général ne soit pas directement applicable et exige la conclusion d’un accord
complémentaire a d’ailleurs été confirmé par le Guyana dans ses exposés oraux. Ce dernier n’a en
effet pas été en mesure de définir précisément l’objet du différend qu’il cherche à soumettre à la
Cour, ses conseils ayant au contraire présenté des vues contradictoires sur ce point. Selon
- 4 -
M. Akhavan, la controverse ne porte que sur la validité de la sentence1, tandis que, selon M. Pellet,
le différend, «plus vaste» et d’ordre «territorial», exige de la Cour qu’elle «défini[sse] … la
frontière entre les deux pays» et qu’elle ne se prononce sur la validité de la sentence qu’«à titre
préliminaire»2. Cette contradiction dans la définition du différend dans les exposés du demandeur
lui-même confirme la nécessité d’un compromis avant toute saisine de la Cour.
Permettez-moi, en conclusion de reprendre les derniers paragraphes du mémorandum du
29 novembre 2019 :
Si la Cour se déclarait compétente pour connaître des prétentions du Guyana, la requête de
ce dernier constituerait une violation de l’accord de Genève, lequel ne pourrait donc répondre à
l’objet et au but pour lesquels il a été conclu, à savoir le règlement pratique, acceptable et
satisfaisant du différend territorial. Statuer sur la seule validité de la sentence de 1899 ne
permettrait en effet pas d’atteindre cet objectif, mais rendrait au contraire plus difficile le règlement
du différend. Ce faisant, la Cour irait à l’encontre de l’accord de Genève.
En revanche, si la Cour décidait qu’elle n’a pas compétence, comme l’estime le Venezuela, à
l’égard de la requête dont le Guyana l’a unilatéralement saisie, l’accord de Genève s’en trouverait
renforcé et des négociations directes pourraient être mises en oeuvre par des moyens politiques en
vue de rechercher un règlement pratique, acceptable et satisfaisant pour les deux Parties. La
controverse concernant l’Essequibo devrait être réglée, dans son ensemble, par des concessions
réciproques et le recours à des mécanismes de coopération.
Le Venezuela ne recourra pas à la force, non seulement parce que le droit international actuel
le lui interdit, mais aussi, et surtout, en raison de la politique régionale de paix, d’intégration et de
solidarité qu’il poursuit. Une fois encore, il invite le Guyana à la table de négociation dans l’esprit
fraternel et coopératif qui n’a cessé d’animer sa politique de bon voisinage et d’intégration. Dans sa
manière d’aborder ce différend territorial, le Venezuela sera toujours guidé par les principes
énoncés dans la Charte des Nations Unies et par le souci de préserver la paix.
Veuillez agréer, etc.
___________
1 Voir CR 2020/5, p. 20, par. 2 :
«L’historique du différend entre les Parties montre que celui-ci portait et continue de porter sur la
validité juridique et l’effet contraignant de la sentence arbitrale de 1899. … Les Parties avaient des points
de vue «nettement opposés» concernant la validité de la sentence, ce qui constituait l’objet du différend
entre elles.»
2 CR 2020/5, p. 67-69, par. 31-35.

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Lettre du ministre du pouvoir populaire pour les relations extérieures du Venezuela en date du 24 juillet 2020

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