L'Etat du Qatar introduit une instance contre les Emirats arabes unis et prie la Cour d'indiquer des mesures conservatoires

Document Number
172-20180611-PRE-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2018/26
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel
No 2018/26
Le 11 juin 2018
L’Etat du Qatar introduit une instance contre les Emirats arabes unis et
prie la Cour d’indiquer des mesures conservatoires
LA HAYE, le 11 juin 2018. L’Etat du Qatar (ci-après le «Qatar») a introduit aujourd’hui une
instance contre les Emirats arabes unis devant la Cour internationale de Justice, l’organe judiciaire
principal de l’Organisation des Nations Unies, à raison de violations alléguées de la convention
internationale du 21 décembre 1965 sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(ci-après la «CIEDR»), à laquelle les deux Etats sont parties.
Le demandeur affirme que «[l]es Emirats arabes unis ont promulgué et mis en oeuvre un
ensemble de mesures discriminatoires, toujours en vigueur à ce jour, qui ciblent les Qatariens au
motif exprès de leur origine nationale», ce qui aurait abouti selon lui à des violations des droits de
l’homme. Le Qatar soutient qu’à partir du 5 juin 2017, les Emirats arabes unis ont expulsé tous les
Qatariens se trouvant à l’intérieur de leurs frontières, qu’ils ont interdit à tous les Qatariens d’entrer
sur le territoire émirien ou de le traverser, qu’ils ont fermé l’espace aérien et les ports émiriens au
Qatar et aux Qatariens, qu’ils ont entravé les droits des Qatariens possédant des biens aux
Emirats arabes unis, qu’ils ont limité le droit des Qatariens d’exprimer leur soutien au Qatar ou leur
opposition aux mesures prises à son encontre, et qu’ils ont fermé les bureaux régionaux du réseau
de médias Al Jazeera et empêché Al Jazeera et d’autres sites d’information qatariens de diffuser.
Le Qatar prétend que ces mesures portent atteinte à un certain nombre de droits, dont le droit
de se marier et de choisir son conjoint, qu’elles aboutissent à des violations du droit à la liberté
d’opinion et d’expression, du droit à l’éducation et du droit au travail, et qu’elles entravent le droit
des Qatariens à la propriété et leur droit à un traitement égal devant les tribunaux.
Pour fonder la compétence de la Cour, le demandeur invoque le paragraphe 1 de l’article 36
du Statut de la Cour et l’article 22 de la CIEDR.
En conséquence, le Qatar,
«en son nom propre et en qualité de parens patriae de ses citoyens, prie
respectueusement la Cour de dire et juger que les Emirats arabes unis, par
l’intermédiaire de leurs organes et agents et d’autres personnes et entités exerçant la
puissance publique, ainsi que par l’intermédiaire d’autres agents agissant sur leurs
instructions ou sous leur direction et leur contrôle, ont violé les obligations que leur
imposent les articles 2, 4, 5, 6 et 7 de la CIEDR en prenant notamment les mesures
illicites suivantes :
a) [e]n expulsant collectivement tous les Qatariens se trouvant sur le territoire émirien
et en interdisant aux Qatariens d’y entrer au motif de leur origine nationale ;
- 2 -
b) [e]n violant d’autres droits fondamentaux, dont le droit de se marier et de choisir
son conjoint, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le droit à la santé et aux
soins médicaux, le droit à l’éducation et à la formation professionnelle, le droit à la
propriété, le droit au travail, le droit de prendre part aux activités culturelles et le
droit à un traitement égal devant les tribunaux ;
c) [e]n s’abstenant de condamner, voire en encourageant la haine raciale à l’encontre
du Qatar et des Qatariens, et en s’abstenant de prendre des mesures destinées à
lutter contre les préjugés, notamment en incriminant toute expression de sympathie
à l’égard du Qatar et des Qatariens, en autorisant, en promouvant et en finançant
une campagne internationale visant à dresser l’opinion publique et les médias
sociaux contre le Qatar, en réduisant les médias qatariens au silence et en appelant
à des attaques contre des entités qatariennes ; et
d) [e]n s’abstenant de protéger les Qatariens contre les actes de discrimination raciale
et de leur offrir des voies de recours efficaces leur permettant d’obtenir réparation
de tels actes par le biais des juridictions et des institutions émiriennes.»
En conséquence,
«le Qatar prie respectueusement la Cour d’ordonner aux Emirats arabes unis de
prendre toutes les dispositions requises pour s’acquitter des obligations que leur
impose la CIEDR, notamment :
a) [d]e suspendre et d’abroger immédiatement les mesures discriminatoires
actuellement en vigueur, notamment les directives interdisant de «sympathiser»
avec des Qatariens et toute autre législation nationale emportant discrimination
de jure ou de facto à l’encontre des Qatariens au motif de leur origine nationale ;
b) [d]e suspendre immédiatement toutes autres mesures incitant à la discrimination
(y compris les campagnes médiatiques et le soutien à la diffusion de messages à
caractère discriminatoire) et d’incriminer de telles mesures ;
c) [s]’acquitter de leur obligation, telle qu’elle découle de la CIERD, de condamner
publiquement la discrimination raciale à l’égard des Qatariens, de poursuivre une
politique tendant à éliminer la discrimination raciale et de prendre des mesures
pour lutter contre semblables préjugés ;
d) [s]’abstenir de prendre toute autre mesure susceptible d’être discriminatoire à
l’égard des Qatariens relevant de leur juridiction ou se trouvant sous leur contrôle ;
e) [r]établir les Qatariens dans leurs droits, notamment le droit de se marier et de
choisir son conjoint, le droit à la liberté d’opinion et d’expression, le droit à la
santé et aux soins médicaux, le droit à l’éducation et à la formation
professionnelle, le droit à la propriété, le droit au travail, le droit de prendre part
aux activités culturelles et le droit à un traitement égal devant les tribunaux, et
mettre en oeuvre des mesures pour garantir le respect de ces droits ;
f) [d]onner des garanties et assurances de non-répétition de la conduite illicite des
Emirats arabes unis ; et
g) [r]éparer intégralement, notamment par une indemnisation, le préjudice résultant
des actes commis par les Emirats arabes unis en violation de la CIERD.»
- 3 -
Le 11 juin 2018, en application de l’article 41 du Statut de la Cour et des articles 73, 74 et 75
de son Règlement, le Qatar a également présenté une demande en indication de mesures
conservatoires «afin de protéger contre tout nouveau préjudice irréparable … les droits que les
Qatariens et leurs familles tiennent de la CIEDR … et d’éviter que le différend ne s’aggrave ou ne
s’étende» en attendant l’arrêt définitif en l’affaire.
Le demandeur affirme que «les droits mêmes du Qatar qui sont en cause dans la présente
affaire sont menacés d’un préjudice imminent et irréparable de la part des Emirats arabes unis».
En conséquence, le Qatar
«prie la Cour d’indiquer d’urgence les mesures conservatoires suivantes, à l’évidence
directement liées aux droits constituant l’objet du différend, en attendant que celui-ci
soit tranché sur le fond :
a) [l]es Emirats arabes unis doivent cesser et s’abstenir de commettre tout acte
pouvant entraîner, directement ou indirectement, une forme quelconque de
discrimination raciale à l’égard de ressortissants ou d’entités du Qatar, par le fait
de tout organe, agent, personne ou entité exerçant la puissance publique sur leur
territoire ou agissant sous leur direction ou leur contrôle. En particulier, les
Emirats arabes unis doivent immédiatement cesser et s’abstenir de commettre tout
acte constituant une violation des droits de l’homme que les Qatariens tiennent de
la CIERD, et notamment :
i) mettre un terme aux mesures visant à expulser collectivement tous les
Qatariens des Emirats arabes unis et à interdire à tous les Qatariens d’entrer
sur le territoire émirien au motif de leur origine nationale ;
ii) prendre toutes les dispositions requises de sorte qu’aucun ressortissant
qatarien (ni aucune personne ayant des liens avec le Qatar) ne soit la cible
d’actes discriminatoires ou haineux motivés par des considérations raciales, et
notamment condamner tout discours haineux visant les Qatariens, cesser toute
publication critique ou caricaturale à l’égard du Qatar, et s’abstenir de toute
autre forme d’incitation à la discrimination raciale contre les Qatariens ;
iii) cesser d’appliquer les dispositions du décret-loi fédéral n° 5) de 2012 sur la
lutte contre la cybercriminalité à toute personne «faisant montre de sympathie
à l’égard … du Qatar» ainsi que toute autre législation nationale
discriminatoire (de jure ou de facto) envers les Qatariens ;
iv) prendre toutes les mesures requises pour protéger la liberté d’expression des
Qatariens aux Emirats arabes unis, et notamment s’abstenir de fermer les
bureaux de leurs sites d’information ou d’empêcher ceux-ci de diffuser ;
v) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, de séparer un Qatarien de sa famille, et prendre toutes les
dispositions requises pour réunir les familles séparées par suite de
l’application des mesures discriminatoire (aux Emirats arabes unis, si telle est
leur préférence) ;
vi) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, de priver des Qatariens de la possibilité de recevoir des soins
médicaux aux Emirats arabes unis au motif de leur origine nationale, et
prendre toutes les dispositions requises pour qu’ils puissent avoir accès à de
tels soins ;
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vii) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, d’empêcher les étudiants qatariens de suivre les enseignements
ou les formations professionnelles des établissements émiriens, et prendre
toutes les dispositions requises pour qu’ils puissent avoir accès à leur dossier
académique ;
viii) cesser et s’abstenir de prendre des mesures ayant pour effet, directement ou
indirectement, d’empêcher les Qatariens d’avoir accès aux biens qu’ils
possèdent aux Emirats arabes unis, d’en avoir la jouissance et l’usage ou de
les administrer, et prendre toutes les dispositions requises pour leur permettre
d’agir valablement par procuration aux Emirats arabes unis, de procéder au
renouvellement nécessaire de leurs permis de commerce et de travail, et de
renouveler leurs contrats de location ; et
ix) prendre toutes les dispositions requises pour garantir aux Qatariens un
traitement égal devant les tribunaux et autres organes judiciaire aux
Emirats arabes unis, ainsi que l’accès à un mécanisme devant lequel ils
puissent contester toute mesure discriminatoire ;
b) [l]es Emirats arabes unis doivent s’abstenir de prendre toute mesure susceptible
d’aggraver ou d’étendre le présent différend ou d’en rendre le règlement plus
difficile ; et
c) [l]es Emirats arabes unis doivent s’abstenir de prendre toute mesure susceptible de
porter préjudice aux droits des Qatariens dans le cadre du présent différend.»
___________
Remarque : Les communiqués de presse de la Cour sont établis par son Greffe à des fins
d’information uniquement et ne constituent pas des documents officiels.
Le texte intégral de la requête introductive d’instance du Qatar en date du 11 juin 2018 sera
disponible prochainement sur le site Internet de la Cour.
___________
La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des
Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé
ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est le
seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une
double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends
d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont
sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les
questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du
système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat
de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du
Secrétariat des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre secrétariat international,
dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect administratif. Les langues
officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Egalement appelée «Cour mondiale», elle est la
seule juridiction universelle à compétence générale.
- 5 -
Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la
procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la
procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à
La Haye et dans sa proche banlieue, comme la Cour pénale internationale (CPI, seule juridiction
pénale internationale permanente existante, créée par traité et qui n’appartient pas au système des
Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (TSL, organe judiciaire international doté d’une
personnalité juridique indépendante, établi par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations
Unies à la demande du Gouvernement libanais et composé de juges libanais et internationaux), le
Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI, chargé d’exercer les fonctions
résiduelles du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international
pour le Rwanda), les Chambres spécialisées et Bureau du Procureur spécialisé pour le Kosovo
(institution judiciaire ad hoc qui a son siège à La Haye), ou encore la Cour permanente d’arbitrage
(CPA, institution indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et facilitant leur
fonctionnement, conformément à la Convention de La Haye de 1899).
___________
Département de l’information :
M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
Mme Joanne Moore, attachée d’information (+31 (0)70 302 2337)
M. Avo Sevag Garabet, attaché d’information adjoint (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)

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