Violations alléguées de droits souverains et d'espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie) - La Cour dit qu'elle a compétence, sur la base de l'article XXXI du pacte de Bogotá,

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18946
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2016/8
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Communiqué de presse
Non officiel

N 2016/8
Le 17 mars 2016

Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Colombie)

La Cour dit qu’elle a compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour
statuer sur le différend relatif à de prétendues violations par la Colombie des droits du
Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirme qu’elles lui ont été

reconnues par l’arrêt de 2012

LA HAYE, le 17 mars 2016. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal des Nations Unies, a rendu ce jour son arrêt sur les exceptions préliminaires soulevées par
la Colombie en l’affaire relative à des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces
maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie).

Dans son arrêt, qui est définitif et sans recours, la Cour

1) a) rejette, à l’unanimité, la première exception préliminaire soulevée par la République de

Colombie ;

b) rejette, par quinze voix contre une, la deuxième exception préliminaire soulevée par la
République de Colombie en ce qu’elle a trait à l’existence d’un différend relatif à de
prétendues violations par la Colombie des droits du Nicaragua dans les zones maritimes dont
celui-ci affirme qu’elles lui ont été reconnues par l’arrêt de 2012 ;

c) retient, à l’unanimité, la deuxième exception préliminaire soulevée par la République de
Colombie en ce qu’elle a trait à l’existence d’un différend relatif aux prétendues violations
par la Colombie de l’obligation lui incombant de s’abstenir de recourir à la menace ou à

l’emploi de la force ;

d) rejette, par quinze voix contre une, la troisième exception préliminaire soulevée par la
République de Colombie ;

e) dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur la quatrième exception
préliminaire soulevée par la République de Colombie ;

f) rejette, par quinze voix contre une, la cinquième exception préliminaire soulevée par la
République de Colombie ; - 2 -

2) dit, par quatorze voix contre deux, qu’elle a compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte
de Bogotá, pour statuer sur le différend entre la République du Nicaragua et la République de

Colombie auquel renvoie le point 1) b) ci-dessus.

Raisonnement de la Cour

La Cour rappelle que, en l’espèce, le Nicaragua entend fonder la compétence de la Cour sur
l’article XXXI du pacte de Bogotá. A titre subsidiaire, le Nicaragua soutient que la Cour possède
un pouvoir inhérent pour connaître de différends concernant un défaut d’exécution de ses arrêts ; et

qu’en l’espèce, pareil pouvoir inhérent existe, puisque le différend en cause découle de la
non-exécution par la Colombie de l’arrêt rendu par la Cour le 19 novembre 2012 en l’affaire du
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie) (dénommé ci-après l’«arrêt de 2012»).

La Colombie a soulevé cinq exceptions préliminaires à la compétence de la Cour.

1. PREMIÈRE EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

Dans sa première exception préliminaire, la Colombie soutient que la Cour n’a pas
compétence ratione temporis au titre du pacte de Bogotá, le Nicaragua ayant introduit l’instance le
26 novembre 2013, après que la Colombie eut dénoncé le pacte le 27 novembre 2012.

La Cour rappelle que la date à laquelle s’apprécie sa compétence est celle du dépôt de la
requête. Aux termes de l’article XXXI du pacte de Bogotá, les parties reconnaissent comme
obligatoire la juridiction de la Cour «tant que le[dit] Traité restera en vigueur». Le premier alinéa

de l’article LVI dispose que le pacte, lorsqu’il est dénoncé par un Etat partie, demeure en vigueur
entre ce dernier et les autres parties pour une durée d’un an à compter de la notification de la
dénonciation. La requête du Nicaragua a été soumise à la Cour après l’avis de dénonciation de la
Colombie, mais avant l’expiration du préavis d’un an prévu au premier alinéa de l’article LVI. Dès
lors, la seule question soulevée par la première exception de la Colombie est celle de savoir si le
second alinéa de l’article LVI, qui stipule que «[l]a dénonciation n’aura aucun effet sur les
procédures en cours entamées avant la transmission de l’avis en question», peut faire l’objet d’une

interprétation a contrario contrant ce qui aurait autrement été l’effet du premier alinéa au point
d’imposer à la Cour de se déclarer incompétente pour connaître de l’instance, même si celle-ci a été
introduite alors que le pacte était toujours en vigueur entre les Parties.

La Cour note que ce n’est pas la dénonciation en soi qui peut avoir un effet sur la juridiction
que la Cour tient de l’article XXXI, mais l’extinction du traité (entre l’Etat qui l’a dénoncé et les
autres parties) qui en résulte. Dès lors, une interprétation du second alinéa de l’article LVI
compatible avec l’article XXXI consiste à dire que, tandis que les procédures introduites avant la

transmission de l’avis de dénonciation peuvent en tout état de cause se poursuivre et ne tombent
donc pas sous le coup du premier alinéa de l’article LVI, l’effet de la dénonciation sur les
procédures introduites après cette date est, lui, régi par le premier alinéa. Puisque celui-ci prévoit
que la dénonciation n’entraîne, pour l’Etat qui en est l’auteur, l’extinction du traité qu’au terme
d’un délai d’un an, les procédures introduites pendant cette année de préavis le sont alors que le
pacte est toujours en vigueur. Elles relèvent donc du champ de compétence défini à l’article XXXI.

Au vu de l’article LVI pris dans son ensemble, et à la lumière de son contexte ainsi que de
l’objet et du but du pacte, la Cour conclut que l’article XXXI (qui lui confère compétence)
demeurait en vigueur entre les Parties à la date du dépôt de la requête en la présente affaire. Par
conséquent, la première exception préliminaire de la Colombie doit être rejetée. - 3 -

2. DEUXIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

Aux termes de sa deuxième exception, la Colombie soutient que la Cour, quand bien même
elle ne retiendrait pas sa première exception, n’aurait pas compétence au titre du pacte de Bogotá
parce qu’il n’existait pas de différend entre les Parties au 26 novembre 2013, date à laquelle la
requête a été déposée.

La Cour observe que l’existence d’un différend entre les parties est une condition à la

compétence de la Cour. Elle ajoute qu’en principe, la date critique aux fins d’apprécier l’existence
d’un différend est celle à laquelle la requête est soumise à la Cour. Elle rappelle que le Nicaragua
formule deux demandes distinctes, faisant grief à la Colombie, d’une part, d’avoir violé les droits
souverains du Nicaragua dans ses espaces maritimes et, d’autre part, d’avoir manqué à l’obligation
lui incombant de s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force. La Cour analyse ces
deux demandes séparément afin de déterminer s’il existait, au sujet de chacune d’elles, un différend
à la date du dépôt de la requête.

S’agissant de la première demande du Nicaragua, la Cour examine en particulier les points
de vue opposés exprimés par les Parties dans des déclarations faites par leurs plus hauts
représentants sur la question de leurs droits respectifs dans les espaces maritimes visés par l’arrêt
de 2012, les incidents mettant en cause des navires ou aéronefs colombiens qui se seraient produits
en mer dans lesdits espaces, et les positions divergentes des Parties par rapport aux implications,

sur l’étendue de leurs espaces maritimes respectifs, du décret colombien portant création d’une
«zone contiguë unique». La Cour note à cet égard que la Colombie ne se défend pas d’avoir
continué à exercer sa juridiction dans les espaces maritimes que le Nicaragua considère comme
siens sur le fondement de l’arrêt de 2012. La Cour déduit de cet examen que, à la date du dépôt de
la requête, il existait un différend relatif à de prétendues violations par la Colombie des droits du
Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirme qu’elles lui ont été reconnues par l’arrêt
de 2012.

S’agissant de la seconde demande du Nicaragua, la Cour relève que rien dans les éléments de
preuve produits ne laisse entendre que le Nicaragua avait indiqué que la Colombie avait manqué à
ses obligations au titre du paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies ou du droit
international coutumier en matière de recours à la menace ou à l’emploi de la force.

A la lumière des considérations qui précèdent, la Cour considère que la deuxième exception

préliminaire de la Colombie doit être rejetée en ce qu’elle a trait à la première demande du
Nicaragua, et accueillie en ce qu’elle a trait à la seconde.

3. T ROISIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

Par sa troisième exception, la Colombie affirme que la Cour n’a pas davantage de

compétence au titre du pacte de Bogotá parce qu’au moment du dépôt de la requête, les Parties
n’étaient pas d’avis que le prétendu différend «ne pou[v]ait être résolu au moyen de négociations
directes suivant les voies diplomatiques ordinaires». Or, il s’agit là, selon la Colombie, d’une
condition exigée par l’article II du pacte pour recourir aux procédures de règlement des différends
établies dans celui-ci.

La Cour recherche si les éléments de preuve soumis démontrent que, à la date du dépôt de la

requête du Nicaragua, aucune des deux Parties ne pouvait soutenir de manière plausible que le
différend qui les opposait pouvait être résolu au moyen de négociations directes. Elle constate que
si, par divers échanges qu’ont eus leurs chefs d’Etat depuis le prononcé de l’arrêt de 2012, l’une et
l’autre des Parties avaient indiqué être prêtes à engager un dialogue pour examiner certaines
questions soulevées par la Colombie conséquemment à l’arrêt, l’objet des négociations différait de - 4 -

l’objet du différend. En outre, rien dans le dossier n’indique que les Parties avaient envisagé, ou

étaient en mesure, de tenir des négociations en vue de régler le différend en question.

Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que, à la date à laquelle le Nicaragua a
déposé sa requête, la condition énoncée à l’article II était remplie. La troisième exception
préliminaire de la Colombie doit donc être rejetée.

4. Q UATRIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

Dans sa quatrième exception, la Colombie conteste l’affirmation du Nicaragua selon laquelle
la Cour disposerait d’un «pouvoir inhérent» lui permettant de se prononcer sur la non-exécution
alléguée d’un arrêt rendu par elle.

La Cour relève que c’est à titre subsidiaire que le Nicaragua invoque un tel «pouvoir
inhérent», pour établir sa compétence en l’espèce. Dès lors qu’elle a fondé sa compétence sur
l’article XXXI du pacte de Bogotá, elle considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner cet
argument. Par conséquent, il n’y a pas lieu pour la Cour de se prononcer sur la quatrième
exception préliminaire de la Colombie.

5. CINQUIÈME EXCEPTION PRÉLIMINAIRE

Selon la cinquième exception préliminaire, la Cour n’a pas compétence en ce qui concerne
l’exécution d’un arrêt antérieur.

La Cour note que cette exception repose sur le postulat qu’il est demandé à la Cour d’assurer

l’exécution de son arrêt de 2012. Or, si ce dernier est incontestablement pertinent en la présente
affaire, en ce qu’il détermine la frontière maritime entre les Parties, dans le cas d’espèce, toutefois,
le Nicaragua prie la Cour de dire et juger que la Colombie a manqué à l’obligation lui incombant de
ne pas violer les droits du Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirme qu’elles lui ont
été reconnues par ledit arrêt. Le Nicaragua ne cherche pas à faire exécuter l’arrêt de 2012 en tant
que tel. La cinquième exception préliminaire de la Colombie doit donc être rejetée.

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Abraham, président ; M. Yusuf, vice-président ;
MM. Owada, Tomka, Bennouna, Cançado Trindade, Greenwood, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja,
Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Gevorgian, juges ; MM. Daudet, Caron, juges ad hoc ;

M. Couvreur, greffier.

M. le juge C ANÇADO TRINDADE joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle ;
M. le juge B HANDARI joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc ARON joint à l’arrêt
l’exposé de son opinion dissidente.

*

Un résumé de l’arrêt figure dans le document intitulé «Résumé 2016/1». Le présent
communiqué de presse, le résumé de l’arrêt, ainsi que le texte intégral de celui-ci sont disponibles
sur le site Internet de la Cour (www.icj-cij.org) sous la rubrique «Affaires».

___________ - 5 -

Note : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documents officiels.

___________

La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des

Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé
ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est
le seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une
double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends
d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont
sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les
questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du

système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat
de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du
Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre
secrétariat international, dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect
administratif. Les langues officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Aussi appelée «Cour
mondiale», elle est la seule juridiction universelle à compétence générale.

Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la
procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la
procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à
La Haye et dans sa proche banlieue, comme par exemple le Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sécurité), la Cour pénale
internationale (ou CPI, première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui
n’appartient pas au système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe

judiciaire international doté d’une personnalité juridique indépendante, établi par le Conseil de
sécurité de l’Organisation des Nations Unies à la demande du Gouvernement libanais et composé
de juges libanais et internationaux), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (ou CPA, institution
indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et facilitant leur fonctionnement,
conformément à la Convention de La Haye de 1899).

___________

Département de l’information :

M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
M. Boris Heim, attaché d’information (+31 (0)70 302 2337)
Mme Joanne Moore, attachée d’information adjointe (+31 (0)70 302 2394)
Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396)

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La Cour dit qu'elle a compétence, sur la base de l'article XXXI du pacte de Bogotá, pour statuer sur le différend relatif à de prétendues violations par la Colombie des droits du Nicaragua dans les zones maritimes dont celui-ci affirme qu'elles lui ont été reconnues par l'arrêt de 2012

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