COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À LA DÉLIMITATION TERRESTRE ET
MARITIME ET SOUVERAINETÉ SUR DES ÎLES
(GABON/GUINÉE ÉQUATORIALE)
CONTRE-MÉMOIRE DE
LA RÉPUBLIQUE GABONAISE
Volume I
5 mai 2022
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION ................................................................................................. 1
I. Contexte géographique général ..................................................................... 1
II. Rappel de la procédure................................................................................. 7
III. Le différend dont la Cour est saisie ............................................................ 8
IV. Plan du contre-mémoire ........................................................................... 11
PREMIÈRE PARTIE
LE CONTEXTE HISTORIQUE ....................................................................... 13
Chapitre I.
Les évènements ayant conduit à la Convention de Paris .......................... 13
I. Le litige franco-espagnol à l’origine de la Convention de Paris .......... 13
A. L’établissement des puissances coloniales dans la région ........... 14
B. La naissance du litige entre l’Espagne et la France quant
à leurs droits dans le golfe de Guinée ............................................... 21
C. L’échec des travaux de la commission mixte franco-espagnole
des frontières (1886-1891) ................................................................ 23
II. La conclusion et la mise en oeuvre de la Convention
de Paris (1900) ......................................................................................... 32
A. La négociation de la Convention de Paris .................................... 34
B. Le contenu de la Convention de Paris .......................................... 39
III. La mise en oeuvre de la Convention de Paris et l’échec
de la démarcation (1901-1912) ................................................................ 42
Chapitre II.
De la Convention de Paris à la Convention de Bata .................................. 51
I. La période 1912-1916 ........................................................................... 51
II. La période 1918-1960 ......................................................................... 59
A. Les incertitudes continues concernant la frontière terrestre ......... 59
1. La frontière méridionale de la Guinée espagnole ................... 59
i
ii
2. La frontière orientale de la Guinée espagnole ........................ 63
3. L’absence de démarcation de la frontière entre le Gabon
français et la Guinée espagnole .................................................. 68
B. Les incertitudes relatives à la souveraineté sur les îles Mbanié,
Cocotiers et Conga ............................................................................ 71
III. La période suivant l’indépendance du Gabon et de
la Guinée Équatoriale (1960-1974) .......................................................... 74
A. Les questions relatives à la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et
Conga ................................................................................................ 75
1. Les premières négociations relatives à
la délimitation maritime .............................................................. 75
2. L’incident de Mbanié et ses suites .......................................... 80
B. Les questions relatives à la frontière terrestre .............................. 85
Chapitre III.
La conclusion de la Convention de Bata ..................................................... 89
I. Les entrevues préalables concernant le règlement des questions
territoriales et frontalières ........................................................................ 89
II. La visite d’État du président Bongo en Guinée Équatoriale et la
signature de la Convention de Bata ......................................................... 92
III. Le contenu de la Convention de Bata ................................................ 99
IV. Les déclarations des deux présidents au lendemain de la visite d’État
et de la signature de la Convention à Bata ............................................. 102
Chapitre IV.
Les relations entre le Gabon et la Guinée Équatoriale après
la signature de la Convention de Bata ...................................................... 111
I. L’apaisement des relations et la mise en place d’une coopération
intense entre le Gabon et la Guinée Équatoriale (1974-1999) ............... 111
A. La conclusion de multiples accords de coopération ................... 111
B. Le revirement passager de la Guinée Équatoriale quant à la
souveraineté sur Mbanié, Conga et Cocotiers ................................. 117
C. La reprise d’une coopération apaisée entre les deux États ......... 120
iii
II. La remise en cause de la Convention de Bata
par la Guinée Équatoriale ...................................................................... 124
III. Les médiations et la signature du Compromis ................................. 128
DEUXIEME PARTIE
LES TITRES FAISANT DROIT ENTRE LES PARTIES ........................... 131
Chapitre V.
L’objet du différend et la mission de la Cour .......................................... 131
I. La mission de la Cour est exclusivement de déterminer
les titres juridiques applicables .............................................................. 133
A. Un différend limité à l’identification
des titres juridiques applicables....................................................... 134
1. L’interprétation du Compromis suivant le sens ordinaire à
attribuer à ses termes dans leur contexte .................................. 136
2. Les travaux préparatoires confirment l’interprétation gabonaise
du Compromis .......................................................................... 152
B. Le consentement des Parties à la compétence de la Cour .......... 155
1. Le consentement des Parties, limite à la compétence
de la Cour .................................................................................. 156
2. Les conséquences de l’arrêt de la Cour ................................ 160
II. Les titres juridiques pouvant être invoqués par les Parties ............... 163
A. Seuls des « titres juridiques » peuvent être invoqués
par les Parties .................................................................................. 165
B. La prévalence des titres conventionnels ..................................... 173
C. L’absence de pertinence des effectivités .................................... 175
Chapitre VI.
La Convention de Bata fait droit entre les Parties .................................. 179
I. L’existence de la Convention de Bata ................................................ 180
II. L’authenticité du texte de la Convention de Bata ............................. 190
III. La Convention de Bata est un traité liant les Parties ....................... 193
iv
A. La Convention de Bata satisfait les conditions relatives
à la conclusion d’un traité en droit international ............................. 193
B. La Convention de Bata est un instrument contraignant .............. 194
1. Le texte de la Convention de Bata ........................................ 196
2. Le contexte de la conclusion de la Convention de Bata ....... 203
3. La conduite ultérieure des Parties ......................................... 206
Chapitre VII.
Les titres juridiques concernant la frontière terrestre ............................ 213
I. La Convention de Bata est un titre juridique concernant
la délimitation de la frontière terrestre ................................................... 214
II. La Convention de Paris reste un titre juridique concernant
la délimitation de la frontière terrestre ................................................... 221
III. Les autres prétendus titres juridiques invoqués
par la Guinée Équatoriale ...................................................................... 228
A. Les puissances coloniales n’ont pas modifié la délimitation de
la frontière dans les environs de la rivière Outemboni.................... 230
B. Les puissances coloniales n’ont pas modifié la délimitation de
la frontière dans les environs de la rivière Kyé ............................... 236
Chapitre VIII.
Le titre juridique relatif à la souveraineté insulaire ............................... 247
I. L’absence de consolidation d’un titre au XIXème siècle ..................... 248
A. Des tentatives concurrentes de prise de possession
par les puissances coloniales ........................................................... 248
B. Les tâtonnements du mémoire de la Guinée Équatoriale ........... 252
II. La portée de la Convention de Paris à l’égard
des territoires insulaires ......................................................................... 267
III. Un différend ravivé à la veille des indépendances .......................... 270
IV. La Convention de Bata constitue le titre faisant droit au sujet
de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ................... 276
v
Chapitre IX.
Le titre juridique relatif à la frontière maritime ..................................... 281
I. La Convention de Bata fait droit entre les Parties quant
à la délimitation maritime ...................................................................... 281
II. La Convention de Bata est le seul titre juridique faisant droit
entre les Parties quant à la délimitation maritime .................................. 284
A. La Convention de Paris ne régit pas la délimitation de
la frontière maritime entre le Gabon et la Guinée Équatoriale ....... 285
B. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et
la coutume internationale ne constituent pas des titres juridiques
concernant la délimitation maritime entre les Parties ..................... 286
CONCLUSIONS ................................................................................................ 291
Liste des annexes ................................................................................................. 295
INTRODUCTION
1. Le 15 novembre 2016, la République Gabonaise (ci-après le « Gabon ») et
la République de Guinée Équatoriale (ci-après la « Guinée Équatoriale ») ont signé,
à Marrakech, un compromis en vue de soumettre à la Cour internationale de Justice
le différend défini à l’article 1 de celui-ci (ci-après le « Compromis »).
I. Contexte géographique général
2. Le Gabon est situé en Afrique centrale, à cheval sur l’équateur, au sud du
golfe du Biafra, dans le golfe de Guinée (v. Croquis n° 1.1 ci-après, page 3).
Ancienne colonie française, le Gabon est devenu indépendant le 17 août 1960. Sa
capitale est Libreville. Le Gabon a actuellement une population d’environ 2,226
millions d’habitants1.
3. Le Gabon partage au nord-nord-ouest une frontière avec la Guinée
Équatoriale, au nord avec le Cameroun, et à l’est et au sud avec la République du
Congo. À sa partie continentale s’ajoutent les îles Mbanié, Cocotiers et Conga,
adjacentes à sa côte nord et situées à l’extrémité de la baie de la Mondah formée
par l’estuaire du fleuve du même nom, dans la partie sud-est de la baie de Corisco
(v. Croquis n° 8.1 ci-après, page 249).
4. La Guinée Équatoriale, également située en Afrique centrale, est une
ancienne colonie espagnole devenue indépendante le 12 octobre 1968. Le pays a
actuellement une population d’environ 1,403 million d’habitants2.
1 Données de la Banque mondiale pour 2020, en ligne : https://donnees.banquemondiale.org/
indicator/SP.POP.TOTL?locations=GA.
2 Données de la Banque mondiale pour 2020, en ligne : https://donnees.banquemondiale.org/
indicateur/SP.POP.TOTL?locations=GQ.
1
5. La Guinée Équatoriale est constituée d’une partie continentale (Río Muni),
bordée au sud et à l’est par le Gabon et au nord par le Cameroun, et d’une autre
insulaire, les îles de Bioko (où se trouve la capitale Malabo) et d’Annobón étant les
plus grandes. Ces deux principales îles équato-guinéennes sont séparées par Sao
Tomé-et-Principe, et distantes l’une de l’autre de 350 milles marins. Ces îles
principales sont elles-mêmes entourées d’un chapelet d’îles et rochers. S’y ajoutent,
dans la baie de Corisco, l’île de Corisco et ses satellites, Leva (ou Laval)3 et Hoco,
ainsi que la Grande Elobey et la Petite Elobey (v. Croquis n° 8.1 ci-après,
page 249).
6. La Guinée Équatoriale conteste la souveraineté du Gabon sur les îles
Mbanié, Cocotiers et Conga (v. image satellite ci-après, page 5). Il s’agit de trois
formations maritimes, d’une superficie réduite émergées à marée haute, situées à
l’extrémité de la baie de la Mondah4. Des trois, Mbanié est la formation la plus
grande, avec une superficie d’environ 20 hectares à marée basse et de 6,6 hectares
à marée haute, située à environ 10 milles marins de la côte continentale du Gabon
et à 18 milles marins de celle de la Guinée Équatoriale et à 5,5 milles marins de l’île
de Corisco5. Si les archives ne montrent pas qu’elle ait, par le passé, été habitée
3 L’îlot Laval était aussi appelé « Leva » à l’époque coloniale : v. par exemple la carte au
1/200.000 de la Guinée continentale espagnole (Muni. Guinea Continental Española)
d’Enrique d’Almonte publiée en 1903 (contre-mémoire du Gabon (ci-après « CMG »),
vol. II, annexe C8). La Guinée Équatoriale semble l’entendre de la même manière (v.
Mémoire de la Guinée Équatoriale (ci-après « MGE »), vol. I, par. 3.11). C’est le toponyme
« Leva » qui est cependant retenu sur les cartes contemporaines, celui de « Laval » désignant
un banc de sable au nord-ouest de Mbanié (v. MGE, vol. II, croquis 2.3 et Croquis 8.1
ci-après, page 249).
4 V. CMG, vol. II, annexes P1 (images satellite de novembre 2015), P2 (Vue aérienne des îles
Conga et Mbanié, prise de vue du 17 mars 2022 à 9h50, pendant la marée la plus basse) et
annexe V1.
5 V. CMG, vol. II, annexes P3 (Vue aérienne de l’île Mbanié depuis l’est, prise de vue du
17 mars 2022 à 9h51, pendant la marée la plus basse), P4 (Vue aérienne de l’île Mbanié
depuis le nord-ouest, prise de vue du 17 mars 2022 à 9h58, pendant la marée la plus basse),
P5 (Vue aérienne de l’île Mbanié depuis le sud-est, prise de vue du 17 mars 2022 à 9h56,
pendant la marée la plus basse) et annexe V1.
2
Croquis n° 1.1. Contexte géographique général
0
0
100 250 km
50 100 milles marins
GABON
GUINÉE
ÉQUATORIALE
SAO TOMÉ-
ET-PRINCIPE
CONGO
CAMEROUN
NIGÉRIA
G o l f e d e
G u i n é e
O C É A N
A T L A N T I Q U E
Sao Tomé
Principe
Libreville
Bioko (GE) (Fernando Pó)
Annobón
Bata
Port-Gentil
Franceville
Malabo
(GE)
G o l f e d u B i a f r a
0 °
5°N
9°E 10°E Projection : WGS84. Réalisation : Gaëlle Sutton, 2022.
Ce croquis a été établi à seule fin d’illustration
Mbanié
Conga Cocotiers
Leva
(Laval)
Hoco
Corisco
GUINÉE ÉQUATORIALE
GABON
M o un i
Petite
Elobey
B aie d e Cor is c o
Ba ie de la M ond ah
Grande
3
Annexe P1. Image satellite des îles Mbanié, Cocotiers et Conga de novembre 2015
(capturée sur Google Earth le 30 mars 2022), avec annotations
5
d’une manière permanente, le Gabon y a instauré en 1972 un poste léger de
gendarmerie, dont les occupants se relaient depuis lors tous les mois.
7. Cocotiers est une caye d’une superficie d’environ 10 hectares à marée
basse et de 0,3 hectare à marée haute, inhabitée, qui se trouve à 9,5 milles marins
de la côte continentale gabonaise6. À marée basse, Mbanié et Cocotiers sont reliées
par une langue de sable de 1,5 mille marin de long7. Conga présente une superficie
de 160 hectares à marée basse (incluant le vaste banc de sable qui l’entoure et
s’assèche à marée basse) et de 0,3 hectare à marée haute8; elle est à 1,1 mille marin
au sud-ouest de Mbanié et à 9,5 milles marins de la côte continentale du Gabon.
II. Rappel de la procédure
8. Le 5 mars 2021, la Guinée Équatoriale a officiellement notifié le
Compromis au Greffier de la Cour.
9. Par une ordonnance du 7 avril 2021, la Cour a fixé les dates d’expiration
des délais pour le dépôt des premières pièces de la procédure écrite. Ainsi, la date
du 5 octobre 2021 a été arrêtée pour le mémoire de la Guinée Équatoriale et celle
du 5 mai 2022 pour le contre-mémoire du Gabon.
6 V. CMG, vol. II, annexe P6 (Vue aérienne de l’île Cocotier depuis Mbanié (depuis le nordouest),
prise de vue du 17 mars 2022 à 9h50, pendant la marée la plus basse) et annexe V1.
7 V. CMG, vol. II, annexes P6 (Vue aérienne de l’île Cocotier depuis Mbanié (depuis le nordouest),
prise de vue du 17 mars 2022 à 9h50, pendant la marée la plus basse), P1 (Image
satellite des îles Mbanié, Cocotiers et Conga de novembre 2015 (capturée sur Google Earth
le 30 mars 2022)) et annexe V1.
8 V. CMG, vol. II, annexe P7 (Vue aérienne de l’île Conga depuis le sud (depuis le Cap
Estérias), prise de vue du 17 mars 2022 à 9h54, pendant la marée la plus basse) et annexe V1.
7
10. Le 5 octobre 2021, la Guinée Équatoriale a déposé son mémoire au Greffe
de la Cour. Le présent contre-mémoire y répond dans le délai fixé par l’ordonnance
précitée.
III. Le différend dont la Cour est saisie
11. Le différend opposant le Gabon à la Guinée Équatoriale est la suite des
rivalités et contestations de possessions entre la France et l’Espagne dans le golfe
de Guinée pendant la période coloniale. Ces désaccords ont donné lieu à la
signature, le 27 juin 1900 à Paris, d’une Convention spéciale pour la délimitation
des possessions françaises et espagnoles dans l’Afrique occidentale, sur la côte du
Sahara et sur la côte du golfe de Guinée (ci-après « Convention de Paris »)9. Cet
instrument constitue le seul titre juridique opposable au Gabon en tant qu’État
successeur de la France dans ses relations avec la Guinée Équatoriale.
12. En raison des imprécisions et silences de la Convention de Paris, les deux
puissances coloniales ont continué à avoir des différends sur certaines portions de
la frontière terrestre et sur la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga.
Après les indépendances, ces contestations ont refait surface. C’est ainsi que, sur
proposition du Gabon, des discussions se sont ouvertes au début des années 1970.
Des réunions se sont tenues à Bata (en 1971) et à Libreville (avril-mai 1972) sans
empêcher la survenue de vives tensions entre les deux pays, ce qui a conduit la
Conférence des chefs d’État et de gouvernement d’Afrique centrale et orientale à
confier une mission de médiation aux chefs d’État de République Populaire du
Congo (Marien Ngouabi) et du Zaïre (Mobutu Sese Seko). En exécution de ce
9 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique
occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900,
version bilingue (CMG, vol. III, annexe 47). V. également, MGE, vol. III, annexe 4.
8
mandat, un sommet s’est tenu à Kinshasa, le 17 septembre 1972, à la suite duquel
le Gabon et la Guinée Équatoriale se sont engagés à régler leur différend dans le
cadre africain et par des voies pacifiques. Un second sommet de la médiation de la
Conférence des chefs d’État et de gouvernement d’Afrique centrale et orientale
s’est tenu à Brazzaville du 11 au 13 novembre 1972.
13. Sur le plan bilatéral, la normalisation des relations entre le Gabon et la
Guinée Équatoriale se manifestera par trois rencontres entre les deux chefs d’État :
Libreville au Gabon, en juillet 1973 et juillet 1974 ; Santa Isabel et Bata en Guinée
Équatoriale, en septembre 1974. Cette dernière rencontre s’est conclue par la
signature, le 12 septembre 1974, de la Convention de Bata délimitant les frontières
terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du Gabon. Cette Convention
confirme, adapte et complète la Convention de Paris. Elle adapte les lignes fixées à
Paris lorsque la situation sur le terrain le nécessitait tout en fixant une frontière
maritime qui ne l’avait pas été en 1900. Elle confirme par ailleurs la souveraineté
de la Guinée Équatoriale sur l’île de Corisco et les îles Elobey, ainsi que celle du
Gabon sur Mbanié, Cocotiers et Conga. La Convention de Bata est un instrument
contraignant entre les Parties qui l’ont conçu comme tel jusqu’à sa remise en cause
par la Guinée Équatoriale ouvrant un nouvel épisode de tensions entre les deux
États.
14. Face à la résurgence des tensions, une première médiation a été proposée
par Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies, en 2003. Elle a été confiée à
M. Yves Fortier. Elle a pris fin en octobre 2006. En avril 2008, M. Ban Ki-moon,
secrétaire général des Nations Unies, a proposé une deuxième médiation conduite
par M. Nicolas Michel, pendant laquelle les Parties ont exploré la possibilité d’un
règlement de leur différend par la Cour. Elle a pris fin en 2014. En janvier 2016, le
secrétaire général a nommé un troisième médiateur, M. Jeffrey Feltman. Cette
9
troisième et dernière médiation a conduit les Parties à l’adoption du texte du
Compromis qui sera signé le 15 novembre 2016 à Marrakech.
15. Le Gabon a participé activement et de bonne foi à toutes les entreprises
visant à la résolution pacifique du différend qui l’oppose à la Guinée Équatoriale.
C’est précisément dans cet esprit qu’il a signé la Convention de Bata du 12
septembre 1974 et le Compromis du 15 novembre 2016.
16. S’agissant du Compromis, le Gabon démontrera dans le présent contremémoire
que l’interprétation faite par la Guinée Équatoriale de l’article 1 du
Compromis, et partant celle de la mission de la Cour, est erronée.
17. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale prétend que « [t]he phrase
‘legal titles’ in Article 1, paragraph 1, and the reference in paragraph 4 to the
invocation of ‘other legal titles’, indicate that the Parties have agreed that the
Court’s task is to determine all Legal Titles having the force of law between them,
not just those emanating from particular treaties and conventions ». Comme le
Gabon le montrera dans le chapitre V ci-dessous, l’expression « titre juridique »
doit s’entendre au sens strict de « document auquel le droit international confère
une valeur juridique intrinsèque aux fins de l’établissement des droits
territoriaux »10. Dès lors, tout autre document ne répondant pas à cette définition ne
saurait constituer un titre juridique au sens de l’article 1 du Compromis, comme le
Gabon y a toujours insisté pendant la médiation des Nations Unies ayant conduit à
la conclusion de cet accord. En effet, le différend soumis à la Cour est né de la
négation de l’existence de la Convention de Bata par la Guinée Équatoriale. C’est
pourquoi l’énonciation expresse des titres juridiques concernés dans l’article 1
indique que les Parties faisaient référence aux traités et conventions ayant trait à la
10 V. Différend frontalier (Burkina Faso/Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 582, par. 54. V.
aussi Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J.
Recueil 2002, p. 667, par. 88.
10
délimitation des frontières maritime et terrestre des Parties et à la souveraineté sur
les îles Mbanié, Cocotiers et Conga.
18. Attaché aux idéaux de paix et de coopération internationale des Nations
Unies autant qu’au respect des principes fondamentaux du droit international, le
Gabon reste convaincu que l’édifice du droit international et la sécurité juridique
internationale sont tributaires des engagements auxquels souscrivent ses sujets, sauf
à remettre en cause la pierre d’angle de tout l’édifice conventionnel international
qu’est la règle pacta sunt servanda. Il en va tout particulièrement ainsi du principe
de consentement à la compétence de la Cour.
19. Le différend soumis à la Cour doit donc se résoudre par le seul constat
des instruments faisant droit entre les Parties. Au regard de ce qui précède, le
présent contre-mémoire a pour but d’exposer les raisons pour lesquelles le Gabon
prie la Cour de dire que les titres juridiques qui font droit s’agissant de la
délimitation de la frontière terrestre commune entre les Parties sont la Convention
de Paris et la Convention de Bata et le seul titre juridique faisant droit s’agissant de
la délimitation de leur frontière maritime commune et de la souveraineté sur les îles
Mbanié, Cocotiers et Conga est la Convention de Bata.
IV. Plan du contre-mémoire
20. Dans un premier temps, le Gabon rappellera le contexte historique
permettant de mieux cerner les origines de la présente affaire (Première partie).
À cet effet, seront successivement examinés :
a) Les évènements ayant conduit à la Convention de Paris (Chapitre I) ;
b) La période allant de la Convention de Paris à la Convention de Bata
(Chapitre II) ;
11
c) La conclusion de la Convention de Bata en 1974 (Chapitre III) ;
d) Les relations entre le Gabon et la Guinée Équatoriale après la signature de la
Convention de Bata (Chapitre IV).
21. Dans un second temps, le Gabon présentera les titres juridiques faisant
droit entre les Parties (Deuxième partie). Après avoir rappelé l’objet du différend
et la mission de la Cour (Chapitre V), le Gabon s’attachera à développer les points
suivants :
a) La Convention de Bata fait droit entre les Parties (Chapitre VI) ;
b) Les titres juridiques concernant la frontière terrestre sont la Convention de
Bata et la Convention de Paris (Chapitre VII) ;
c) Le titre juridique relatif à la souveraineté insulaire est constitué par la
Convention de Bata (Chapitre VIII) ; et
d) Le titre juridique sur la frontière maritime est constitué par la Convention
de Bata (Chapitre IX).
22. Les présentes écritures sont accompagnées de 22 cartes, sept
photographies et deux enregistrements audiovisuels, reproduits dans le volume II,
ainsi que de 177 annexes, reproduites dans les volumes III, IV et V.
12
PREMIÈRE PARTIE
LE CONTEXTE HISTORIQUE
CHAPITRE I.
LES ÉVÈNEMENTS AYANT CONDUIT À
LA CONVENTION DE PARIS
1.1. L’établissement quasi concomitant de la France et de l’Espagne dans le
golfe de Guinée a conduit inexorablement au chevauchement de leurs
revendications territoriales respectives et les tentatives de règlement du différend
entreprises au XIXème siècle ont toutes échoué (I). C’est dans le cadre plus global
des transactions territoriales franco-espagnoles en Afrique que les deux puissances
coloniales sont parvenues à conclure à Paris, le 27 juin 1900, la Convention sur la
délimitation des possessions françaises et espagnoles dans l’Afrique occidentale,
sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée. Cet instrument établissait la
frontière terrestre et attribuait à l’Espagne trois des îles alors disputées (l’île de
Corisco et les deux Elobey) (II). Mais son silence au sujet de la souveraineté sur les
autres formations insulaires au large de la côte continentale du Gabon et à
l’extrémité de la baie de la Mondah, ainsi que l’absence de démarcation sur
le terrain, ont continué à nourrir les incertitudes et les contestations de part
et d’autre (III).
I. Le litige franco-espagnol à l’origine de la Convention de Paris
1.2. La France et l’Espagne se sont établies dans l’est du golfe de Guinée à
compter des années 1839 et 1843 respectivement (A). Leurs revendications de
souveraineté se sont rapidement – dès la création en 1858 de la colonie de Guinée
13
espagnole – opposées dans la région (B). C’est sur l’échec d’une première tentative
de résolution de leur différend par la réunion d’une commission mixte de
délimitation que les deux États ont construit l’approche transactionnelle qui fonde
la Convention de Paris (C).
A. L’ÉTABLISSEMENT DES PUISSANCES COLONIALES
DANS LA RÉGION
1.3. L’exploration européenne du golfe du Biafra – la partie orientale du golfe
de Guinée limitée par les littoraux des actuels Nigéria, Cameroun, Guinée
Équatoriale et Gabon – a été lancée par les Portugais en 147011. En 1472, Fernando
Pó découvrait l’île qui longtemps portera son nom et qui est aujourd’hui appelée
Bioko, l’île principale de la Guinée Équatoriale. L’année suivante, à partir de cette
île, Lopo Gonçalves poursuivait vers le sud l’exploration de la côte jusqu’à l’actuel
cap Lopez12, reconnaissant à cette occasion l’embouchure du fleuve Komo, large et
profond estuaire que les Portugais ont nommé Gabon13. Le cap Sainte-Catherine
était atteint en novembre 1473 par Ruy de Sequeira, qui parvint un mois après à
l’île de Sao Tomé, tandis qu’en janvier 1474 étaient découvertes les îles d’Annobón
et de Principe, respectivement situées au sud-ouest et au nord-est de Sao Tomé14
(v. Croquis n° 1.1 ci-dessus, page 3).
1.4. Le 11 mars 1778, le Portugal et l’Espagne ont conclu au Pardo un traité
d’amitié et de commerce dont l’objet principal était de fixer leurs frontières en
11 J. Bouchaud, « Les Portugais dans la baie de Biafra au XVIème siècle », Africa: Journal of
the International African Institute, vol. XVI, n° 4 (1946), p. 218.
12 Le cap Lopez (originellement cap Lopo Gonçalves) se trouve dans le delta de l’Ogooué et
accueille Port-Gentil, la seconde ville la plus peuplée du Gabon.
13 J. Bouchaud, « Les Portugais dans la baie de Biafra au XVIème siècle », Africa: Journal of
the International African Institute, vol. XVI, n° 4 (1946), p. 218.
14 Ibid., p. 219.
14
Amérique du Sud15. Ce traité offrait par ailleurs à l’Espagne une première présence
en Afrique subsaharienne – et dans le golfe de Guinée en particulier –, dont elle
avait été écartée jusqu’alors par le Traité de Tordesillas du 7 juin 1494 qui réservait
l’empire sur cette zone au Portugal. En effet, l’article XIII du Traité du Pardo
prévoyait la cession à l’Espagne des îles portugaises d’Annobón et de Fernando Pó,
et accordait aux sujets espagnols le droit de commercer librement sur la côte et dans
les ports du golfe de Guinée, notamment ceux du Gabon16. La France a accédé au
Traité du Pardo le 8 août 178317.
1.5. L’Espagne ne fonda d’abord aucun établissement militaire ou
commercial sur les deux îles qu’elle venait d’acquérir ; elle les abandonna
temporairement. Ce n’est pas, comme l’écrit la Guinée Équatoriale, « [s]hortly
after signing the 1778 Treaty » 18 , mais en février 1843 que l’Espagne (re)prit
possession de l’île de Fernando Pó – laquelle avait connu une période d’occupation
britannique en 1827 – puis d’Annobón19. Cette prise de possession a été scellée par
les accords d’allégeance que l’Espagne a conclus en 1843 avec certains chefs
locaux, auxquels la Guinée Équatoriale fait référence dans son mémoire20. Ces
accords allaient au-delà des droits que l’Espagne tenait du Traité du Pardo,
puisqu’ils concernaient également l’île de Corisco21.
15 Traité d’amitié, de garantie et de commerce entre l’Espagne et le Portugal (« Traité du
Pardo »), 11 mars 1778 (MGE, vol. III, annexe 1).
16 V. l’article XIII du Traité du Pardo (MGE, vol. III, annexe 1). V. aussi la carte de D. Tomas
Lopez, Golfo de Guinéa (1778), reproduite comme croquis 3.1 du MGE.
17 Ch. de Martens, Guide diplomatique (1837), pp. 79-80.
18 MGE, vol. I, par. 3.2.
19 « Equatorial Guinea », section Histoire, in Encyclopedia Britannica en ligne :
https://www.britannica.com/place/Equatorial-Guinea.
20 MGE, vol. I, pars. 3.3.-3.5.
21 V. Déclaration du commissaire royal espagnol pour les îles de Fernando Póo, Annobón et
Corisco sur la côte d’Afrique, 16 mars 1843 (MGE, vol. V, annexe 110) ; Déclaration du
15
1.6. De son côté, la France commença en 1839 l’exploration commerciale des
côtes du golfe de Guinée, en concluant elle aussi plusieurs accords avec les chefs
locaux.
1.7. Sur instructions du ministre de la Marine français, le lieutenant de
vaisseau Bouët-Willaumez, capitaine de La Malouine, a commencé l’exploration
de la baie de Corisco et de l’estuaire du Gabon en 1839, dont il fit une description
très favorable :
« [D]ans ce vaste bassin viennent déboucher au N.E. la rivière Mooney
[Muni], et au S.S.E. la rivière Moondah, accessibles pour de grands
navires à quelques lieues de leurs embouchures, mais semées de bancs
et de roches qui en rendent la fréquentation dangereuse sans pratique.
(…)
La baie de Corisco serait donc un des plus beaux bassins de la côte
d’Afrique si elle n’était semée d’une multitude d’îles, d’îlots, de roches
et de bancs, qui font que sa fréquentation et celle de ses rivières est
d’une certaine difficulté. (…)
Dans le S.S.O. de l’île Corisco, et au milieu des récifs jetés dans cette
partie de la baie, sont les deux petits îlots Laval et Bayna [Mbanié],
inhabités, mais couverts d’arbres.
Enfin les îles Elobey, autrefois nommées Mosquitos, s’aperçoivent dans
le N.E. de la baie devant l’entrée de la rivière Mooney, et forment, avec
la grande île Corisco, le canal le plus large et le plus facilement
praticable de la baie. »22
1.8. À cette occasion, il signa avec le roi Denis, chef de village de la rive
gauche de l’estuaire du Gabon, une convention par laquelle ce dernier cédait à la
commissaire royal espagnol pour les îles de Fernando Póo, Annobón et Corisco sur la côte
d’Afrique, 17 mars 1843 (MGE, vol. V, annexe 111).
22 L.-E. Bouët-Willaumez, Description nautique des côtes de l’Afrique Occidentale comprises
entre le Sénégal et l’Équateur (commencée en 1838 et terminée en 1845), 1848 (CMG,
vol. III, annexe 7), pp. 179-180 ; v. aussi H. Deschamps, « Quinze ans de Gabon (Les débuts
de l’établissement français, 1839-1853) », Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 50,
nos 180-181 (1963), p. 291.
16
France deux lieues de terre sur la rive gauche du fleuve Gabon pour y élever « toutes
les bâtisses, fortifications ou maisons qu’elle jugera convenables »23.
1.9. Dans les années suivantes, la France conclut avec les chefs locaux
plusieurs autres accords qui marquaient une extension de sa sphère d’influence sur
les côtes de la baie de Corisco (v. Croquis n° 1.224 ci-après, page 19). Ainsi, le
18 mars 1842, le roi Louis, un chef de la rive droite de l’estuaire du Gabon, céda à
la France la souveraineté pleine et entière sur son territoire, ainsi qu’un terrain pour
y élever un bâtiment ou une fortification25. Le 27 avril 1843, le roi Quaben reconnut
à son tour la souveraineté de la France et consentit à un éventuel établissement
français sur ses terres26. Sur ordre de Bouët-Willaumez, devenu gouverneur du
Sénégal et dépendances, le comptoir du Gabon était officiellement créé le
3 septembre 1843, par la construction d’un fortin, d’un blockhaus et de trois
barraques sur le terrain cédé par le roi Louis – dit « poste d’Okolo »27. Quelques
jours après que le roi Glass eut concédé la souveraineté de son territoire à la
France28, le gouverneur du Sénégal et dépendances conclut le 1er avril 1844 un
23 Convention passée entre la France et le roi Denis du Gabon et du Sénégal, 9 février 1839
(MGE, vol. III, annexe 2). V. aussi H. Deschamps, « Quinze ans de Gabon (Les débuts de
l’établissement français, 1839-1853) », Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 50,
nos 180-181 (1963), p. 292.
24 Ce croquis reprend un croquis établi par l’administration française et intitulé « Rivière Muny
– Traités français », dont la date estimée est 1885 (CMG, vol. II, annexe C2) et y ajoute les
principaux traités passés par la France avec les chefs locaux établis sur les rives du Gabon et
sur les Elobey.
25 Traité de cession de souveraineté et d’une partie de territoire conclu par le capitaine de
corvette Bouët avec le roi Louis, 18 mars 1842 (CMG, vol. III, annexe 1).
26 Article additionnel au traité passé avec le roi Louis le 18 mars 1842, conclu entre le roi
Quaben et A. Baudin, commandant la station des côtes occidentales d’Afrique,
27 avril 1843 (CMG, vol. III, annexe 2).
27 H. Deschamps, « Quinze ans de Gabon (Les débuts de l’établissement français,
1839-1853) », Revue française d’histoire d’outre-mer, tome 50, nos 180-181 (1963),
pp. 298-300.
28 Traité passé entre le Baron Darricau de Traverse, capitaine de l’Eperlan, et M. Amouroux,
capitaine au long cours, d’une part, et le roi Glass d’autre part, 28 mars 1844 (CMG, vol. III,
annexe 3).
17
traité général avec neuf chefs de l’estuaire du Gabon « afin de constater leur
unanimité à reconnaître la souveraineté de la France » sur « la rivière du Gabon [et]
toutes les terres, îles ou presqu’îles ou caps que baigne cette rivière (…) sur les deux
rives »29.
1.10. La France a multiplié, les années suivantes, les traités de souveraineté,
de protectorat ou d’amitié avec d’autres chefs locaux, dans et en-dehors de
l’estuaire du Gabon : ainsi par exemple avec le roi du fleuve Mouni, Koako, qui a
conclu une alliance avec la France le 4 septembre 184530 ; avec les chefs principaux
du cap Estérias (pointe nord de l’embouchure du Gabon) le 18 septembre 185231 ;
avec le roi et les chefs de la Grande Elobey le 23 avril 185532 – cinq ans plus tard,
ces roi et chefs, rejoints par les chefs de l’île voisine, la petite Elobey, réaffirmeront
leur allégeance à la France33 – ; ou avec les tribus sékianis sur le fleuve Mouni
(rivière Danger) le 17 octobre 186734.
29 Traité reconnaissant la souveraineté de la France sur la rivière du Gabon, signé par le
commandant Bouët, gouverneur du Sénégal et dépendances, avec les rois et chefs
signataires de traités antérieurs, 1er avril 1844 (CMG, vol. III, annexe 4).
30 Conventions passées avec Koako, roi de la rivière Danger ou Mooney par le capitaine de
corvette Auguste Baudin, 4 septembre 1845 (CMG, vol. III, annexe 6).
31 Traité de souveraineté et de protection conclu avec les nommés Outambo, Bouendi-
Adiemba, Ivaha et Mabélé, chefs principaux du cap Estérias, et M. Vignon, capitaine
commandant le comptoir fortifié du Gabon, fondé de pouvoirs de M. le commandant en chef
de la station des côtes occidentales d’Afrique, inspecteur général des comptoirs du golfe de
Guinée, 18 septembre 1852 (CMG, vol. III, annexe 8).
32 Traité de souveraineté et de protection conclu avec le roi Battaud, le prince Battaud, les
chefs principaux Naqui, Bori N’Pongoué, Bappi et Oniamon, et M. Guillet, capitaine
commandant le comptoir fortifié du Gabon, fondé de pouvoirs de M. le commandant en chef
de la station des côtes occidentales d’Afrique, 23 avril 1855 (CMG, vol. III, annexe 9).
33 Traité entre les chefs des deux Elobey et M. Ropert, chef d’état-major de la division navale
des côtes occidentales d’Afrique, 17 octobre 1860 (CMG, vol. III, annexe 13).
34 Déclaration d’allégeance à la France des chefs sékianis stationnés sur la rivière Danger,
17 octobre 1867 (CMG, vol. III, annexe 17).
18
Croquis n° 1.2. Accords conclus par la France avec les chefs locaux
jusqu’en 1885
10°E
1°N 1°N
0°N
0 2 25 km
2 5
10 20
0 10 milles marins
1 9 février 1839 13 5 septembre 1883
2 18 mars 1842 14 5 septembre 1883
3 Avril 1842 15 6 juin 1884
5 4 septembre 1845 17 22 août 1884
6 18 septembre 1852 18 22 août 1884
7 23 avril 1855 19 22 août 1884
8 17 octobre 1860 20 23 août 1884
9 17 juin 1861 21 29 août 1884
10 17 octobre 1867 22 31 mars 1885
11 23 août 1873 23 7 avril 1885
12 24 août 1883
4 1er avril 1844 16 21 août 1884
Projection : WGS84. Réalisation : Gaëlle Sutton, 2022.
Ce croquis a été établi à seule fin d’illustration
Baie de la Mondah
Pointe Boba
Outoudo
Congue
Mouni (Danger)
Boundgé
Noyo
Bétunbé
Baynia
Pointe
Denis
Petite
Elobey
Grande
Elobey
Cap Saint-Jean
Temboni
Cap
Estérias
Cap
Santa Clara
Pointe
Acanda
O C É A N
A T L A N T I Q U E
Corisco
Boungé
Epoulou
Deugé-Deugé
Ekododo
Leva
Hoco
CongMabanié Cocotiers
Es tua ir e d u Komo (G ab on)
22
16
11
7
8
1
2
4
14
15 13
12
21
9
10
53
17
20
18
6
19
23
19
B. LA NAISSANCE DU LITIGE ENTRE L’ESPAGNE ET LA FRANCE
QUANT À LEURS DROITS DANS LE GOLFE DE GUINÉE
1.11. Après la prise de possession des îles Fernando Pó, Annobón et
Corisco 35 , l’Espagne fonda officiellement la colonie de Guinée espagnole le
13 décembre 185836. À cette époque, la France était déjà bien implantée au Gabon
et, contrairement à ce que la Guinée Équatoriale allègue 37 , les revendications
espagnoles ont bien donné lieu à des protestations. Le 23 mai 1860, le commandant
en chef de la division navale des côtes occidentales d’Afrique, en charge pour la
France du comptoir du Gabon, protesta auprès du gouverneur des possessions
espagnoles de Fernando Pó contre la désignation par ce dernier d’un gouverneur de
Corisco, du cap Saint-Jean et des Elobey, en soulignant que cet acte empiétait sur
les droits de la France dans la région38.
1.12. Le litige s’est ensuite élevé au plan diplomatique. En août 1860,
l’ambassadeur de France à Madrid fit part au ministre d’État espagnol des
objections françaises contre les conséquences territoriales que l’Espagne croyait
tirer de la prise de possession de l’île de Corisco, en étendant ses prétentions aux
îles Elobey et à la côte continentale39. Un an plus tard, le ministre d’État y répondait
35 V. supra, par. 1.5 et MGE, vol. I, par. 3.5.
36 Ordonnance royale portant statut de la colonie de Guinée espagnole, 13 décembre 1858
(telle que copiée par le commandant en chef de la division navale des côtes occidentales
d’Afrique et jointe à sa lettre n° 156 au ministre des Colonies français, 24 mai 1860) (CMG,
vol. III, annexe 10).
37 MGE, vol. I, par. 3.6.
38 Lettre n° 59 du commandant en chef de la division navale des côtes occidentales d’Afrique
au gouverneur général des possessions espagnoles à Fernando Po, 23 mai 1860 (copie jointe
à sa lettre n° 156 au ministre des Colonies français, 24 mai 1860) (CMG, vol. III,
annexe 10), pp. 1-2. La réponse est donnée par le gouverneur général de Fernando Pó (Lettre
du gouverneur général de Fernando Po au commandant en chef de la division navale des
côtes occidentales d’Afrique, 28 mai 1860 (CMG, vol. III, annexe 11) pp. 3-4).
39 Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre de l’Algérie et des Colonies
français, 11 août 1860 (CMG, vol. III, annexe 12).
21
en réitérant les revendications espagnoles sur l’île de Corisco, ainsi que sur les îles
Elobey, le cap Saint-Jean et le fleuve Mouni (ou Danger), en tant que
« dépendances » de Corisco40.
1.13. Les deux États ont avancé différentes propositions de règlement de leurs
différends sur les îles et relatifs à la côte continentale sans que celles-ci soient
réciproquement agréées41. Sur le terrain, les autorités coloniales continuaient à se
disputer la souveraineté de la côte continentale entre les fleuves Mouni (ou Danger)
et Mondah, ainsi que sur les îles Elobey42, tandis que la France poursuivait son
implantation au nord du fleuve Mouni jusqu’au fleuve Campo.
1.14. Le protocole franco-allemand du 24 décembre 1885, conclu dans le
cadre de la conférence de Berlin, fera du fleuve Campo et de certaines lignes
astronomiques la frontière méridionale du Cameroun allemand et réciproquement
40 Lettre du ministre d’État espagnol à l’ambassadeur de France en Espagne, 8 août 1861,
jointe à la lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre de la Marine et des
Colonies français, 28 août 1861 (CMG, vol. III, annexe 14).
41 V. la proposition de la France dans la dépêche du ministre des Affaires étrangères français
à l’ambassadeur de France à Madrid (pour représentation auprès du ministre d’État
espagnol), 19 mai 1863 (telle que jointe à la lettre du ministre des Affaires étrangères
français au ministre de la Marine et des Colonies français, 19 mai 1863 (CMG, vol. III,
annexe 15) pp. 4-5 de la dépêche) et son rejet par le ministre d’État espagnol (M. de
Calonge) dans la note verbale à l’ambassadeur de France en Espagne, 7 juin 1867, (telle que
transmise dans la lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre de la Marine
et des Colonies français, 19 juillet 1867 (CMG, vol. III, annexe 16)).
42 V. échange entre le commandant en chef de la division navale des côtes occidentales
d’Afrique avec le gouverneur général de Fernando Pó des 11 et 15 décembre 1867, joint à
la lettre n° 585 du commandant en chef de la division navale des côtes occidentales
d’Afrique au ministre de la Marine et des Colonies français, 19 décembre 1867 (CMG,
vol. III, annexe 18). V. aussi rapport du 23 août 1873 du capitaine du navire Marabout
revenant d’une tournée dans la baie de Corisco, joint à la lettre n° 257 du commandant du
Gabon au ministre de la Marine français, 24 août 1873 (CMG, vol. III, annexe 19) et la lettre
n° 113 du commandant du Gabon au ministre des Colonies français, 4 octobre 1875 (CMG,
vol. III, annexe 20).
22
la frontière septentrionale des possessions françaises dans le golfe de Guinée43
(v. carte ci-après, pages 25 et 27). Pour la France comme pour l’Allemagne,
l’Espagne ne possédait donc pas de territoire sur le continent en 1885. Du reste, le
mémoire de la Guinée Équatoriale, dans son compte-rendu de la période, ne fournit
aucun document quant à une implantation espagnole sur la côte à cette époque44.
C. L’ÉCHEC DES TRAVAUX DE LA COMMISSION MIXTE
FRANCO-ESPAGNOLE DES FRONTIÈRES (1886-1891)
1.15. L’Espagne et la France ont mis en place en décembre 1885 une
commission mixte franco-espagnole chargée de préparer le règlement du litige de
frontières sur la côte du golfe de Guinée, ainsi que sur la côte du Sahara (région du
cap Blanc). Ses travaux ont débuté en mars 1886, pour se prolonger
jusqu’en 189145.
1.16. Dans le golfe de Guinée, la France revendiquait tout le territoire compris
entre le Gabon et le fleuve Campo46, tandis que l’Espagne affirmait détenir la
souveraineté sur les îles Elobey, sur Corisco, et sur le territoire continental limité
au sud par le fleuve Mondah et au nord par le fleuve Campo, inclus dans les
prétentions espagnoles au titre de « dépendances » desdites îles 47 . La France
invoquait comme fondement de ses prétentions les traités conclus avec les chefs
43 Protocole entre la France et l’Allemagne, concernant les possessions françaises et
allemandes à la côte occidentale d’Afrique et en Océanie, Berlin, 24 décembre 1885 (CMG,
vol. III, annexe 21), pp. 2-3. V. aussi MGE, vol. I, par. 3.8.
44 MGE, vol. I, pars. 3.7-3.8.
45 Ibid., pars. 3.9-3.10.
46 Annexe au Protocole n° 15 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du
Gabon, 24 novembre 1886 (CMG, vol. III, annexe 23), p. 2.
47 Annexe au Protocole n° 14 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du
Gabon, 12 novembre 1886 (CMG, vol. III, annexe 22), pp. 3-4.
23
indigènes48, tandis que l’Espagne s’appuyait principalement sur le Traité du Pardo49
et sur l’accord conclu le 18 février 1846 avec le dénommé Orejeck, présenté par la
Guinée Équatoriale dans son mémoire comme le roi de l’île de Corisco, d’Elobey
et ses dépendances (« Rey de la Isla de Corisco, Elobey y sus dependencias »)50.
1.17. Examinés in extenso, les travaux de cette commission sont loin de
dépeindre le tableau, esquissé dans le mémoire de la Guinée Équatoriale51, d’un
accord entre la France et l’Espagne sur leurs droits et titres de souveraineté
respectifs, tant sur les espaces insulaires que sur les territoires continentaux. Les
« protocoles » de ces travaux (terme utilisé pour désigner les procès-verbaux des
séances de négociations) et leurs « annexes » (terme désignant les notes d’analyse
produites des deux côtés), montrent au contraire que les divergences entre les deux
États étaient nombreuses et que leurs interprétations des titres invoqués étaient non
seulement opposées, mais de surcroît fluctuantes de part et d’autre.
1.18. Les points de divergence les plus âprement discutés ont été les suivants :
a) l’interprétation particulièrement extensive de la portée du Traité du Pardo par
l’Espagne, dont elle tirait un fondement de souveraineté non seulement sur
les îles Fernando Pó et Annobón, expressément mentionnées, mais aussi sur
les îles de Corisco et Elobey, sur ce que les parties appelaient la baie de
Corisco elle-même, et sur le territoire continental adjacent à ladite baie ;
b) le fondement de la souveraineté sur les îles de la baie de Corisco, en
particulier sur l’île de Corisco et sur les îles Elobey : l’Espagne prétendait
48 V. supra, pars. 1.6-1.10. Pour une description synthétique des titres invoqués par la France
(et du différend franco-espagnol), v. « Chronique des faits internationaux », RGDIP (1901),
pp. 369-376.
49 V. supra, par. 1.4.
50 V. MGE, vol. I, par. 3.5 ; « Acta de anexion », 18 février 1846 (MGE vol. V, annexe 112).
51 Ibid., pars. 3.10-3.12.
24
allemandes (en violet) et françaises (en rouge), 1886 (extrait)
25
des possessions espagnoles (en jaune), allemandes (en violet) et
françaises (en rouge), 1886 (extrait)
27
fonder un titre sur le Traité du Pardo, en combinaison avec ses accords
conclus avec les chefs locaux en 1843 et 184652. Cela étant, si ces derniers
étaient sporadiquement invoqués, l’Espagne ne semblait les tenir au mieux
que pour une confirmation de son titre conventionnel, sans qu’ils soient en
eux-mêmes présentés comme constitutifs d’un tel titre53. L’Espagne arguait
également de la reconnaissance de sa souveraineté par la France. La France
quant à elle déniait toute forme de reconnaissance, en se disant cependant
disposée à le faire à l’avenir pour l’île de Corisco, tout en s’opposant
vigoureusement à ce que les possessions espagnoles s’étendent au-delà54 ; et
c) la détermination du sens de l’expression « dépendances de Corisco »,
présente dans l’accord conclu par l’Espagne avec le chef Orejeck en 1846,
sur lequel les plénipotentiaires espagnols fondaient leurs revendications sur
la baie de Corisco dans son ensemble, ainsi que sur le territoire continental
adjacent. Pour citer la position espagnole telle qu’elle fut présentée à la
délégation française :
« [L]es îles de Corisco, les deux Elobey et leurs dépendances sont sous
la souveraineté de l’Espagne. Ces dépendances sont : la côte, depuis la
rive gauche de la rivière Campon, vers le sud, la baie de Corisco et les
rivières Muni et Munda. »55
52 MGE, vol. I, pars. 3.3-3.5.
53 Annexe au Protocole n° 14 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du
Gabon, 12 novembre 1886 (CMG, vol. III, annexe 22).
54 Annexe au Protocole n° 20 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du
Gabon, 28 février 1887 (CMG, vol. III, annexe 26), pp. 19 et 42. V. aussi les références citées
infra, note 56.
55 Annexe au Protocole n° 14 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du
Gabon, 12 novembre 1886 (CMG, vol. III, annexe 22), pp. 3-4. V. aussi Annexe au
Protocole n° 16 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon,
6 décembre 1886 (CMG, vol. III, annexe 24), pp. 9-10 ; Annexe au Protocole n° 19 de la
commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon, 18 février 1887 (CMG,
vol. III, annexe 25), passim ; Annexe au Protocole n° 23 de la commission franco-espagnole
de délimitation du nord du Gabon, 28 mars 1887 (CMG, vol. III, annexe 28), p. 8 ; Annexe
29
La France contestait le fait que l’autorité des chefs de Corisco se soit déployée
au-delà de cette île et s’opposait dès lors à ce que l’Espagne puisse étendre,
en se fondant sur le terme « dépendances » inséré dans les accords conclus
avec les chefs locaux, ses prétentions sur la côte continentale et sur
l’ensemble des formations insulaires de la baie de Corisco56.
1.19. En dépit de nombreuses rencontres, les deux États ne sont pas parvenus
à rapprocher leurs positions respectives, dans la mesure où les titres qu’ils
invoquaient de part et d’autre étaient peu clairs et leurs interprétations
irréconciliables. La commission en a pris acte et a décidé de laisser là le droit : la
partie espagnole, se déclarant prête « à entrer sur le terrain pratique des
transactions », a accepté la proposition des délégués français que « les
plénipotentiaires de chaque nationalité se réunissent hors séance pour préparer les
bases des transactions qui seront soumises ensuite à l’approbation de la
Commission » 57 . Leurs propositions demeurant inconciliables, l’Espagne et la
France ont envisagé in fine la soumission de leur différend à l’arbitrage. Ce projet
n’a pas abouti, faute d’accord entre les deux parties sur la détermination des
n° 2 au Protocole n° 27 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du
Gabon, 27 juin 1887 (CMG, vol. III, annexe 30), pp. 8-9.
56 Annexe au Protocole n° 20 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du
Gabon, 28 février 1887 (CMG, vol. III, annexe 26), pp. 19 et 42 ; Annexe au Protocole
n° 25 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon, 18 avril 1887
(CMG, vol. III, annexe 29), p. 9 ; Annexe au Protocole n° 21 de la commission francoespagnole
de délimitation du nord du Gabon, 14 mars 1887 (CMG, vol. III, annexe 27),
pp. 16-35 ; Annexe au Protocole n° 28 de la commission franco-espagnole de délimitation
du nord du Gabon, 11 juillet 1887 (CMG, vol. III, annexe 31), pp. 10-11.
57 Protocole n° 32 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon,
31 octobre 1887 (CMG, vol. III, annexe 32), pp. 1-2.
30
territoires en litige58. Les négociations ont alors été suspendues pour ne jamais
reprendre59.
1.20. Dans la période entre 1891 (fin des réunions de la commission mixte)
et 1900, les deux États ont chacun réaffirmé leurs positions respectives 60 , en
essayant par ailleurs d’éviter autant que possible les tensions sur le terrain. Pour ce
qui est des possessions insulaires dans la baie de Corisco, la France reconnaissait
l’autorité de facto de l’Espagne sur l’île de Corisco, mais pas sur les Elobey ou
Mbanié, qui continuaient à être représentées comme ne relevant pas de la
souveraineté espagnole61. L’épisode de 1895-1896 au sujet du projet présumé de la
France d’établir un poste sur Mbanié n’est donc qu’une illustration supplémentaire
du maintien des prétentions rivales des deux États et nullement une preuve de
reconnaissance de souveraineté, comme le prétend la Guinée Équatoriale dans son
mémoire62.
58 Protocole n° 43 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon,
25 avril 1891 (CMG, vol. III, annexe 33). La France souhaitait que les territoires sur
lesquels l’arbitrage porterait se limitent aux bassins côtiers des fleuves Muni, Benito, et
Campo (pp. 2-3, 9), tandis que l’Espagne rejetait cette limitation à la côte (pp. 3 et 6) et
refusait par ailleurs que la petite Elobey soit soumise à l’arbitrage, faute pour la France
d’avoir produit le moindre titre juridique à son sujet (pp. 11-12).
59 Protocole n° 44 de la commission franco-espagnole de délimitation du nord du Gabon,
27 juin 1891 (CMG, vol. III, annexe 34), p. 1.
60 Exposé des droits de l’Espagne sur certains territoires du golfe de Guinée, 1896, (CMG,
vol. III, annexe 35) ; Note interne pour le ministère des Affaires étrangères français relative
aux « Territoires Contestés de la Muny - Reprise des négociations », 24 juin 1899 (CMG,
vol. III, annexe 36).
61 Service géographique de l’armée française, Feuille n° 34 (Libreville) de la carte de l’Afrique
(région équatoriale), échelle au 1/2.000.000, dressée et dessinée par le chef de bataillon du
génie Regnauld de Lannoy de Bissy (dite « carte Lannoy »), dans ses versions de 1892
(CMG, vol. II, annexe C4) et 1896 (CMG, vol. II, annexe C7). V. aussi Service
géographique des Colonies (J. Hansen), Carte du Congo français au 1/1.500.000, 1895
(CMG, vol. II, annexe C6).
62 MGE, vol. I, pars. 3.13-3.15.
31
II. La conclusion et la mise en oeuvre de la Convention de Paris (1900)
1.21. Au début de l’année 1900, les deux États ont engagé de nouvelles
négociations, sur des bases radicalement différentes. Ayant constaté que les
démarches fondées sur un partage établi sur la base des titres juridiques avaient
conduit à une impasse, ils ont privilégié cette fois des discussions de nature
transactionnelle. À l’opinion du ministre des Colonies français suivant laquelle
« [la] recherche d’une solution transactionnelle doit être l’unique objet
des négociations nouvelles, et (…) dans ce but, les représentants de la
France et de l’Espagne auront à s’attacher exclusivement à la situation
de fait des deux Puissances au nord du Congo. Toute discussion de
droit, outre qu’elle rouvrirait des débats que les précédents pourparlers
ont amplement épuisés, ne pourrait (…) que marquer l’opposition
irréconciliable des interprétations données de part et d’autre aux actes
sur lesquels, depuis et y compris le traité du Pardo du 1er mars 1778,
s’appuient les revendications des deux Puissances »63,
répondait l’assurance par le président du Conseil espagnol que
« [l]’objectif du Gouvernement espagnol n’est en aucune manière de
réétudier les titres invoqués par les deux puissances pour justifier leurs
prétentions : cet aspect de la question a déjà été amplement discuté par
la Commission mixte qui s’est réunie à Paris de 1886 à 1891, sans que
(…) les plénipotentiaires espagnols (…) aient pu parvenir à un accord
avec leurs collègues français.
Le souhait de ce Gouvernement serait donc de donner à la nouvelle
négociation un caractère essentiellement pratique, en abordant, bien
entendu, des solutions propres à mettre un terme à une question aussi
ancienne et controversée par une répartition des territoires qui laisserait
entièrement préservés les intérêts des deux nations. »64
63 V. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français,
26 janvier 1900 (CMG, vol. III, annexe 40), p. 3 ; Lettre n° 18 de l’ambassadeur de France
en Espagne au ministre des Affaires étrangères français, 8 février 1900, résumant une note
jointe du 6 février 1900 du ministre d’État espagnol (CMG, vol. III, annexe 41), p. 3.
64 Note du ministre d’État espagnol à l’ambassadeur de France en Espagne, 6 février 1900
jointe à la lettre n° 18 de l’ambassadeur de France en Espagne au ministre des Affaires
32
1.22. Il ne s’agit donc pas là, contrairement à ce que la Guinée Équatoriale
semble considérer 65 , d’une approche de continuité par rapport aux travaux
proprement juridiques, fondés sur la seule comparaison des titres invoqués, de la
commission mixte, mais bien d’une rupture dans la méthode suivie par les parties
pour parvenir à la résolution de leur litige.
1.23. Déterminées à parvenir, au bénéfice d’une approche transactionnelle
déjà amorcée, à une solution pratique à leur différend, la France et l’Espagne ont
négocié en trois mois la Convention de Paris, qui fixe la frontière terrestre entre
leurs possessions dans le golfe de Guinée, reconnaît à la France un droit de
préemption sur la partie continentale et les îles (Corisco et les deux Elobey)
attribuées à l’Espagne si celle-ci envisageait leur cession, et dote leurs ressortissants
de droits, notamment la libre navigation dans les eaux territoriales des parties pour
l’accès au fleuve frontière Mouni (A). La Convention de Paris prévoit par ailleurs
les modalités de démarcation de la frontière qu’elle fixe : l’établissement d’une
commission mixte dont les travaux sur le terrain, jugés non fiables par les parties,
ne seront jamais ratifiés ni refaits par celles-ci (B).
étrangères français, 8 février 1900 (CMG, vol. III, annexe 41), p. 2 (original : « el proposito
del Gobierno español no es de ningun modo, entrar otra vez en el examen de los titulos
alegados por ambas Potencias para justificar sus pretensiones : tal aspecto de la cuestion
fué ya ampliamente discutido por la Comision mixta reunida en Paris desde 1886 á 1891,
sin que, apesar de sus conciliadoras disposiciones y de la riquera de datos geográficos,
históricos aportados al debate, pudieran los Plenipotenciarios españoles llegar á un
acuerdo con sus colegas franceses. El deseo de este Gobierno sería, pues, dar a la nueva
negociacion un caracter esencialmente práctico, abordando desde luego aquellas
soluciones proprias para terminar prontamente tan antigua y enojosa cuestion por medio
de un reparto de territorios que deje enteramente á salvo los intereses de ambas
naciones »).
Pour faciliter la lecture de ce contre-mémoire, le Gabon a choisi de citer dans le corps du
texte la traduction (française ou anglaise) des documents en espagnol et, le cas échéant,
allemand, en insérant en note de bas de page le texte original.
65 MGE, vol. I, par. 3.13.
33
A. LA NÉGOCIATION DE LA CONVENTION DE PARIS
1.24. Lors de la reprise des négociations à Paris en 1900 sur ces nouvelles
bases, l’Espagne était représentée par son ambassadeur à Paris, Fernando de León
y Castillo, et la France par un agent du ministère des Affaires étrangères français,
René Lecomte. Naturellement, ces négociateurs n’avaient qu’une connaissance fort
limitée du terrain.
1.25. Les pourparlers ont avancé rapidement, du fait que les deux États
avaient arrêté, chacun de leur côté, les lignes rouges de leurs revendications et
l’étendue des territoires auxquels ils étaient prêts à renoncer. Pour l’Espagne, la
ligne rouge portait sur les îles Elobey et sur Corisco, ce qui ressort du « Livre
Rouge » (collection des travaux préparatoires espagnols) transmis à Paris, qui
résumait la position espagnole66. Celui-ci ne mentionne pas une seule fois les îles
Mbanié, Cocotiers et Conga.
1.26. Lors d’une réunion du 24 avril 1900, Lecomte a transmis verbalement
un premier projet de convention à de León y Castillo. Les versions initiales des
deux dispositions principales – du point de vue de la délimitation – étaient les
suivantes :
Première disposition: « La limite entre les possessions françaises [et]
espagnoles dans le Golfe de Guinée partira du point d’intersection du
thalweg de la Rivière Mouni avec une ligne droite tirée de la pointe
Coco Beach à la pointe Diéké. Elle remontera ensuite le thalweg de la
Rivière Mouni et celui de la Rivière Outemboni jusqu’à la source de
cette rivière, et se confondra avec le parallèle passant par la source de
la dite rivière Outemboni jusqu’à l’intersection de ce parallèle avec le
méridien 8° 50’ Est de Paris. De ce point, la ligne de démarcation sera
66 J. Pérez Caballero et F. Silvela, « Informe de la sección de política referente á la anterior
real orden », 22 novembre 1899 (CMG, vol. III, annexe 38), p. 13 ; Télégramme de F. de
León y Castillo au président du Conseil et ministre d’État espagnol, 2 avril 1900 (CMG,
vol. III, annexe 44), p. 35.
34
formée par ledit méridien 8° 50’ Est de Paris jusqu’à sa rencontre avec
la frontière méridionale de la Colonie Allemande de Cameroun.
Dans le cas où la source de la rivière Outemboni se trouverait à l’Est du
méridien 8° 50’ Est de Paris ce sera ce méridien qui, à partir de son
intersection avec ladite rivière, formera la limite jusqu’à sa rencontre
avec la frontière méridionale de la colonie allemande de Cameroun. »
Deuxième disposition : « Le Gouvernement français jouira d’un droit
de préférence pour le cas où le Gouvernement Espagnol voudrait céder
à quelque titre que ce fût, en tout ou en partie, ses possessions de la
Côte, telles qu’elles lui sont reconnues par la présente Convention, ainsi
que les îles Elobey et l’île Corisco. »67
1.27. Le projet de deuxième disposition reflétait des discussions antérieures
entre les parties au sujet des îles Elobey et de Corisco. Au regard de l’enjeu
économique et de sécurité qu’elles représentaient (situées à l’embouchure du fleuve
Mouni, elles pouvaient constituer un foyer de contrebande difficile à réprimer), la
France souhaitait obtenir, en échange de sa reconnaissance de la souveraineté
espagnole, un droit de préemption sur ces îles68.
1.28. Le jour de cette réunion, l’ambassadeur d’Espagne n’a fait aucune
observation sur la deuxième disposition et a demandé, s’agissant de la première, la
reformulation du paragraphe 1er pour supprimer la référence à la source de la rivière
Outemboni et retenir le méridien de 11° Est de Greenwich plutôt que celui de 8°
50’ Est de Paris, ainsi que la suppression du dernier paragraphe. Il en résulta la
version suivante :
67 Lettre de R. Lecomte au ministre des Affaires étrangères français et premier projet de
convention, 24 avril 1900 (CMG, vol. III, annexe 45), p. 104.
68 V. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français,
16 mars 1900 (CMG, vol. III, annexe 43), p. 2. Cette lettre répond à la lettre du ministre des
Affaires étrangères français au ministre des Colonies français, 13 mars 1900 (MGE, vol. IV,
annexe 54). V. aussi J. Pérez Caballero et F. Silvela, « Informe de la sección de política
referente á la anterior real orden », 22 novembre 1899 (CMG, vol. III, annexe 38), p. 13.
35
« La limite entre les possessions françaises [et] espagnoles dans le
Golfe de Guinée partira du point d’intersection du thalweg de la Rivière
Mouni avec une ligne droite tirée de la pointe Coco Beach à la pointe
Diéké. Elle remontera ensuite le thalweg de la Rivière Mouni et celui
de la Rivière Outemboni jusqu’au point où cette dernière rivière est
coupée pour la seconde fois par le 1er degré de latitude nord, près du
confluent de la rivière Mouasi, et se confondra avec ce parallèle jusqu’à
son intersection avec le méridien 11° Est de Greenwich – De ce point
la ligne de démarcation sera formée par ledit méridien 11° Est de
Greenwich jusqu’à sa rencontre avec la frontière méridionale de la
Colonie Allemande de Cameroun. »69
1.29. L’ambassadeur d’Espagne obtint ensuite, en compensation de
l’abandon par l’Espagne des salines d’Idjil à la France dans l’autre région objet des
négociations de Paris – à savoir la côte du Sahara à hauteur du cap Blanc –, deux
ajustements supplémentaires à cette version : le déplacement du point à partir
duquel, vers l’est, la frontière se confondrait avec le premier parallèle de latitude
Nord, ainsi que le décalage vers l’est du segment oriental de la frontière, suivant le
méridien de 9° Est de Paris (11° 20’ Est de Greenwich) plutôt que le méridien de
11° Est de Greenwich 70 . Ces propositions successives sont illustrées dans le
Croquis n° 1.3 ci-après (v. page 37) dans lequel les tracés frontaliers envisagés
sont superposés sur la carte utilisée par les négociateurs et ultimement annexée à la
Convention de Paris.
69 Lettre de R. Lecomte au ministre des Affaires étrangères français et premier projet de
convention, 24 avril 1900 (CMG, vol. III, annexe 45), p. 5. Une version de la carte du
Congo français à l’échelle 1/1.500.000 du Service géographique des Colonies (J. Hansen)
publiée en 1895 sur laquelle ont été reportés à l’encre de couleur – par les négociateurs euxmêmes
ou à tout le moins par la partie française – les deux tracés correspondant à ces
premier et deuxième projet de définition de la frontière est conservée aux archives du
ministère de l’Europe et des Affaires étrangères français, dans le dossier cartographique
relatif aux négociations de la convention de 1900 (CMG, vol. II, annexe C6).
70 Lettre de F. de León y Castillo au ministre d’État espagnol, 4 mai 1900 (CMG, vol. III,
annexe 46), p. 52.
36
Croquis n° 1.3. Propositions de tracés frontaliers
Source de
l’Outemboni
Points d’intersection
du thalweg de la rivière
Outemboni avec le 1°N
MÉRIDIEN 11°E DE GREENWICH
MÉRIDIEN 8°50’E DE PARIS
MÉRIDIEN 9°E DE PARIS
Tracé de la frontière franco-espagnole tel que prévu
dans le premier projet de Convention de 1900
Tracé de la frontière franco-espagnole tel que prévu
dans le deuxième projet de Convention de 1900
Tracé de la frontière franco-espagnole tel qu’arrêté
dans la version finale de la Convention de 1900
1er 2nd
37
1.30. Le texte final de la Convention, signé le 27 juin 1900 à Paris, reflète ces
derniers ajustements obtenus par l’Espagne71. La France et l’Espagne ont procédé
à l’échange des ratifications le 20 mars 190172.
B. LE CONTENU DE LA CONVENTION DE PARIS
1.31. Les articles 1 à 3 de la Convention de Paris concernent la frontière entre
la France et l’Espagne sur la côte du Sahara et ne sont donc pas pertinents pour la
présente affaire.
1.32. Plusieurs dispositions sont relatives aux possessions françaises et
espagnoles dans le golfe de Guinée et sur sa côte (articles 4, 5 et 7). Les articles 6
et 8 à 10 sont communs aux deux régions. La Convention est accompagnée de trois
annexes.
1.33. L’article 4 fixe la frontière terrestre dans les termes suivants :
« La limite entre les possessions françaises et espagnoles sur la côte du
Golfe de Guinée partira du point d’intersection du thalweg de la rivière
Mouni avec une ligne droite tirée de la pointe Coco Beach à la pointe
Diéké. Elle remontera ensuite le thalweg de la rivière Mouni et celui de
la rivière Outemboni jusqu’au point où cette dernière rivière est coupée
pour la première fois par le 1er degré de latitude Nord et se confondra
avec ce parallèle jusqu’à son intersection avec le 9e degré de longitude
Est de Paris (11° 20’ Est de Greenwich).
71 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique
occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900,
version bilingue (CMG, vol. III, annexe 47). V. aussi MGE, vol. III, annexe 4.
72 V. Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre des Colonies français,
23 mars 1901 (CMG, vol. III, annexe 48). V. aussi Décret portant promulgation de la
convention conclue à Paris, le 27 juin 1900, pour la délimitation des possessions espagnoles
et françaises dans l’Afrique occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de
Guinée, Journal officiel de la République française, 2 avril 1901, p. 2190.
39
De ce point la ligne de démarcation sera formée par ledit méridien 9 Est
de Paris jusqu’à sa rencontre avec la frontière méridionale de la Colonie
allemande de Cameroun. »
1.34. L’article 5 prévoit un régime d’usage des bassins fluviaux et maritimes
communs ou limitrophes, fondé sur les principes de non-discrimination et de
réciprocité, ainsi que de coopération en matière policière :
« Les navires français jouiront pour l’accès par mer de la rivière Mouni,
dans les eaux territoriales espagnoles, de toutes les facilités dont
pourront bénéficier les navires espagnols. Il en sera de même, à titre de
réciprocité, pour les navires espagnols dans les eaux territoriales
françaises.
La navigation et la pêche seront libres pour les ressortissants français et
espagnols dans les rivières Mouni et Outemboni.
La police de la navigation et de la pêche dans ces rivières, dans les eaux
territoriales françaises et espagnoles aux abords de l’entrée de la rivière
Mouni, ainsi que les autres questions relatives aux rapports entre
frontaliers, les dispositions concernant l’éclairage, le balisage,
l’aménagement et la jouissance des eaux feront l’objet d’arrangements
concertés entre les deux Gouvernements. »
1.35. L’article 6 prévoit que « [l]es droits et avantages qui découlent [de
l’article 5] (…) seront exclusivement réservés aux ressortissants des deux Hautes
Parties Contractantes et ne pourront en aucune façon être transmis ou concédés aux
ressortissants d’autres nations ».
1.36. L’article 7 concerne le droit de préférence accordé à la France et se
réfère spécifiquement aux îles Elobey et à l’île de Corisco. Il prévoit :
« Dans le cas où le Gouvernement Espagnol voudrait céder, à quelque
titre que ce fût, en tout ou en partie, les possessions qui lui sont
reconnues par les articles 1 et 4 de la présente Convention, ainsi que les
îles Elobey et l’île Corisco voisines du littoral du Congo français, le
Gouvernement Français jouira d’un droit de préférence dans des
40
conditions semblables à celles qui seraient proposées audit
Gouvernement Espagnol. »
1.37. L’article 8 concerne le processus de démarcation et la relation entre les
dispositions du corps de la Convention et ses annexes :
« Les frontières déterminées par la présente Convention sont inscrites
sous les réserves formulées dans l’annexe n° 1 à la présente Convention,
sur les cartes ci-jointes (annexes nos 2 et 3).
Les deux Gouvernements s’engagent à désigner, dans le délai de quatre
mois à compter de la date de l’échange des ratifications, des
Commissaires qui seront chargés de tracer sur les lieux les lignes de
démarcation entre les possessions françaises et espagnoles, en
conformité et suivant l’esprit des dispositions de la présente
Convention. »
1.38. Le paragraphe final de l’article 8 est relatif aux effets des changements
fluviaux sur la souveraineté des îles dans les fleuves :
« Il est entendu entre les deux Puissances Contractantes qu’aucun
changement ultérieur dans la position du thalweg des rivières Mouni et
Outemboni n’affectera les droits de propriété sur les îles qui auront été
attribuées à chacune des deux Puissances par le procès-verbal des
Commissaires dûment approuvé par les deux Gouvernements. »
1.39. L’annexe n° 1 prévoit le cadre de la mission de démarcation. En effet,
celle-ci avait pour mission de dresser des cartes afin de corriger et compléter les
représentations topographiques et toponymiques de l’annexe cartographique de la
Convention 73 et de reporter sur ces nouvelles cartes la ligne de délimitation
conventionnelle. Si des modifications apparaissaient nécessaires, elles devaient être
approuvées par les gouvernements :
« Bien que le tracé des lignes de démarcation sur les cartes annexées à
la présente Convention (annexes nos 2 et 3) soit supposé être
73 V. infra, par. 1.40.
41
généralement exact, il ne peut être considéré comme une représentation
absolue, correcte de ces lignes, jusqu’à ce qu’il ait été confirmé par de
nouveaux levés.
Il est donc convenu que les Commissaires ou Délégués locaux des deux
Pays qui seront chargés, par la suite, de délimiter tout ou partie des
frontières sur le terrain, devront se baser sur la description des frontières
telle qu’elle est formulée dans la Convention. Il leur sera loisible, en
même temps, de modifier lesdites lignes de démarcation en vue de les
déterminer avec une plus grande exactitude et de rectifier la position
des lignes de partage des chemins ou rivières, ainsi que des villes ou
villages indiqués dans les cartes susmentionnées.
Les changements ou corrections proposés d’un commun accord par
lesdits Commissaires ou Délégués seront soumis à l’approbation des
Gouvernements respectifs. »
1.40. Le texte est accompagné d’une annexe cartographique n° 3, à laquelle
l’article 8 et l’annexe n° 1 font référence. Cette carte est reproduite ci-après,
page 4374.
III. La mise en oeuvre de la Convention de Paris
et l’échec de la démarcation (1901-1912)
1.41. Conformément à l’article 8 de la Convention de Paris, les parties ont,
dans les quatre mois suivant l’échange des ratifications, désigné les « Commissaires
qui seront chargés de tracer sur les lieux les lignes de démarcation entre les
possessions françaises et espagnoles »75. Il s’agissait, pour la section espagnole, de
74 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique
occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900,
annexe n° 3 (CMG, vol. II, annexe C9). V. aussi, pour une version espagnole de la carte :
MGE, vol. III, annexe 4, p. 74.
75 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique
occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900,
version bilingue (CMG, vol. III, annexe 47), article 8.
42
Annexe C9. Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et
françaises dans l’Afrique occidentale, sur la côte du Sahara et sur
la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900 nnexe n° 3
43
MM. Jover y Tovar (chef), Vilches, et Nieves, et pour la section française, de
MM. Bonnel de Mézières (chef), Duboc et Roche. Du côté français, le mandat
donné aux commissaires était clair : « Votre rôle se trouve, en effet, tracé par le
texte même de la Convention passée le 27 Juin 1900 entre les représentants des
deux puissances [intéressées]. » 76 Quelle qu’ait pu être l’interprétation que les
commissaires ont eu de leur mandat, celui-ci n’était pas un mandat de révision des
critères de délimitation terrestre définis dans la Convention, comme le mémoire de
la Guinée Équatoriale le laisse entendre77.
1.42. La commission de démarcation ainsi constituée a commencé sa mission
à la fin du mois de juillet 190178, en prenant pour point de départ la reconnaissance
du thalweg de la rivière Mouni (en réalité un fleuve). Les commissaires ont procédé
à une exploration du tracé, à la détermination astronomique des points remarquables
rencontrés en route, et à des levés d’itinéraires de part et d’autre de la frontière
théorique, avant de reporter ces renseignements sur une carte79. Les deux sections,
qui échangeaient leurs procès-verbaux au fur et à mesure de la mission80, devaient
ensuite comparer et harmoniser leurs travaux aux fins de parvenir à un tracé
commun de la frontière suivant la Convention de Paris. Aucune borne ne fut posée,
bien que certains arbres fussent écorchés pour marquer les points de repère sur
l’itinéraire parcouru81.
76 Lettre du ministre des Colonies français au chef de la commission française, 19 juin 1901
(MGE, vol. IV, annexe 55).
77 MGE, vol. I, pars. 3.41-3.50.
78 V. Lettre n° 9 de Bonnel de Mézières au ministre des Colonies français, 25 juillet 1901
(CMG, vol. III, annexe 49).
79 Sur ce mode opératoire v. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires
étrangères français, 11 septembre 1901 (CMG, vol. IV, annexe 51).
80 V. Lettre de Jover y Toyar à Bonnel de Mézières, 29 août 1901, et réponse du
12 septembre 1901 (CMG, vol. IV, annexe 50).
81 A. Cottes, La mission Cottes au Sud-Cameroun (1905-1908) : exposé des résultats
scientifiques, d’après les travaux des divers membres de la section française de la
45
1.43. La mission a pris fin le 14 octobre 1901 lorsque les deux sections de la
commission ont atteint le parallèle 2° 13’ Nord, c’est-à-dire la frontière de la
colonie allemande du Cameroun82.
1.44. Le 3 décembre 1902, le gouvernement espagnol a demandé la réunion
des commissaires français et espagnols « pour procéder à la révision de leurs
travaux respectifs et leur donner l’unité voulue »83. Le 29 décembre 1902, les
commissaires français venant d’achever la minute du tracé de la démarcation se
tenaient « à la disposition du gouvernement espagnol pour la comparaison de [leur]
travail avec celui des commissaires espagnols »84. Le 15 janvier 1903, les deux
sections de la commission de démarcation se sont réunies à Paris pour procéder à
cette comparaison et « établir d’un commun accord la ligne frontière qui devra être
définitivement adoptée »85. Le 8 avril 1903, M. Bonnel de Mézières a remis au
ministre des Colonies français les documents établis par la commission de
démarcation, y compris la description de la frontière proposée par la commission,
telle qu’il l’avait lui-même rédigée86. Le gouvernement français a ensuite envoyé
Commission de délimitation entre le Congo français et le Cameroun (frontière méridionale)
et les documents étudiés au Muséum d’histoire naturelle, Paris (Ernest Leroux) (1911)
(MGE, vol. III, annexe 16).
82 M. Duboc, « Mission de délimitation franco-espagnole du Golfe de Guinée. Historique –
Journal de route », Revue coloniale, n° 13, juillet-août 1903 (CMG, vol. IV, annexe 58),
pp. 47-48.
83 Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre des Colonies français,
5 décembre 1902, joignant la note verbale de l’ambassade d’Espagne à Paris au ministre des
Affaires étrangères français, 3 décembre 1902 (CMG, vol. IV, annexe 52).
84 Note du ministère des Affaires étrangères français relative à la délimitation francoespagnole
du golfe de Guinée, 29 décembre 1902 (CMG, vol. IV, annexe 53).
85 Note verbale de l’ambassade d’Espagne en France au ministre des Affaires étrangères
français, 8 janvier 1903 (CMG, vol. IV, annexe 54).
86 Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français,
8 avril 1903 (CMG, vol. IV, annexe 57). Le dossier de démarcation ainsi transmis
comprenait, outre une carte et un croquis non retrouvés aux archives, les documents
suivants : (i) le projet de frontière orientale (MGE, vol. III, annexe 13), (ii) le projet de
frontière méridionale (MGE, vol. III, annexe 14), (iii) les « tableau des villages reconnus
par la commission de délimitation de la Guinée espagnole avec les noms des chefs, des
46
ces documents au gouvernement espagnol, afin qu’après examen ce dernier se
prononce sur ce projet et le ratifie87.
1.45. En juillet puis septembre 1905, face au silence conservé par l’Espagne
depuis cet envoi, l’ambassadeur de France à Madrid a relancé le ministre d’État
espagnol pour obtenir que son gouvernement se prononce sur la ratification des
travaux de la commission de démarcation 88 . Le 2 octobre 1905, les deux
commissaires espagnols, à qui leur gouvernement avait demandé de vérifier si les
calculs réalisés par la commission de démarcation pour la fixation des localités de
la frontière orientale étaient exacts, ont révisé ces calculs et ont répondu par
l’affirmative, indiquant que « si quelque erreur existait, elle ne peut être absolument
due qu’aux instruments et impossible à découvrir à moins de recommencer les
opérations sur ce terrain avec plus de temps et dans de meilleures conditions que
celles dont a pu bénéficier la commission »89.
tribus & la nationalité d’après le projet de frontière », l’un pour la frontière méridionale
(MGE, vol. III, annexe 15), l’autre pour la frontière orientale (Tableau des villages reconnus
par la commission de délimitation de la Guinée espagnole avec les chefs des tribus & la
nationalité d’après le projet de frontière, frontière orientale, 20 mars 1903 (CMG, vol. IV,
annexe 55)), (iv) l’itinéraire suivi par la commission (MGE, vol. III, annexe 12), et enfin (v)
une note au sujet de l’évaluation des terrains cédés respectivement par la France et
l’Espagne, d’après le projet de frontière présenté par la commission (Note au sujet de
l’évaluation des terrains cédés respectivement par la France et l’Espagne, d’après le projet
de frontière présenté par la commission, 20 mars 1903 (CMG, vol. IV, annexe 56)).
87 V. Lettre n° 391 du ministre des Affaires étrangères français au ministre des Colonies
français, 31 juillet 1905 (CMG, vol. IV, annexe 60), mentionnant l’envoi par ses soins, en
septembre 1903, de l’ensemble du projet de délimitation au gouvernement espagnol.
88 V. Lettre n° 124 de l’ambassadeur de France en Espagne au ministre des Affaires étrangères
français, 24 juillet 1905 (CMG, vol. IV, annexe 59) ; Lettre n° 261 de l’ambassadeur de
France en Espagne au ministre d’État, 10 septembre 1905, jointe à la lettre du ministre des
Affaires étrangères français au ministre des Colonies français, 19 septembre 1905 (CMG,
vol. IV, annexe 61).
89 Rapport de Vilches et Nieves à la section coloniale du ministère d’État espagnol,
2 octobre 1905 (CMG, vol. IV, annexe 62), p. 2.
47
1.46. Mais après un examen approfondi, le ministre des Colonies français fit
pour sa part le constat d’erreurs nombreuses et considérables90, en s’appuyant sur
les conclusions d’un rapport du 28 février 1907 de M. Cottes (membre de la
commission mixte chargée de démarquer la frontière entre le Gabon et le
Cameroun), parmi lesquelles : la position de la crique Mitombé, la différence
sensible du tracé de la partie orientale de la frontière terrestre entre les cartes
dressées par les sections espagnole et française de la commission, la position du
9e méridien de Paris fausse de 45 kilomètres, et la position de l’angle sud-est de la
Guinée continentale (intersection du 9e méridien de Paris avec le 1er parallèle)
fausse de 35 kilomètres en longitude et 15 kilomètres en latitude91.
1.47. Deux mois plus tard, le gouvernement espagnol indiquait officiellement
au gouvernement français son refus de ratifier les travaux de la commission de
démarcation92. Il estimait que la question ne pouvait être tranchée qu’après que de
nouvelles recherches cartographiques et documentaires menées par chacune des
parties auraient permis de « se rendre un compte exact de la valeur des travaux
qu’elle [la commission] a réalisés »93. Cette méthode a été accueillie favorablement
par le ministre des Colonies français94, et l’Espagne et la France ont échangé les
documents et cartes permettant une nouvelle analyse de l’exactitude des travaux de
90 Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français,
1er décembre 1906 (MGE, vol. IV, annexe 55bis).
91 M. Cottes, « Note sur la Guinée espagnole », 28 février 1907, jointe à la lettre du ministre
des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français, 5 mars 1907 (CMG,
vol. IV, annexe 63), pp. 2-3.
92 Lettre du ministre d’État espagnol à l’ambassadeur de France en Espagne, 20 avril 1907
(CMG, vol. IV, annexe 64), p. 2. Le rapport technique auquel se réfère cette lettre, qui
s’interroge sur les raisons des erreurs, a été reproduit comme annexe 56 du MGE.
93 Ibid, p. 6.
94 Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français,
29 juin 1907 (CMG, vol. IV, annexe 65), p. 1.
48
la commission de démarcation 95 . Il est donc clairement erroné de considérer,
comme la Guinée Équatoriale le fait dans son mémoire96, que les deux États ont
accepté les résultats des travaux de la commission de démarcation. Au contraire, ils
convenaient que ces travaux devaient être refaits.
1.48. Le 11 juillet 1908, le gouvernement espagnol a adressé au ministre des
Affaires étrangères français une note exposant sa propre analyse. La note listait les
erreurs astronomiques commises par la commission de démarcation, qui
trouveraient leur cause dans l’usage de chronomètres défectueux97. Elle proposait,
pour corriger ces erreurs, de dresser une nouvelle carte de la zone frontalière, en y
reportant selon les secteurs les travaux de la commission de démarcation ou les
données astronomiques, plus récentes et jugées exactes, obtenues lors de missions
d’exploration ou de démarcation (franco-allemande ou hispano-allemande)
postérieures à 190198.
1.49. L’Espagne et la France ne procèderont pas à la révision des travaux –
non ratifiés – de la commission de démarcation, ni n’entreprendront de nouvel effort
de démarcation de la frontière fixée par la Convention de Paris. Dès lors, et bien
loin d’endosser la proposition de recourir à des frontières naturelles faites par la
commission de démarcation, sur laquelle insiste la Guinée Équatoriale dans son
mémoire 99 , les deux États ont réaffirmé leur attachement au critère
95 Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français,
25 février 1908 (CMG, vol. IV, annexe 66).
96 MGE, vol. I, par. 3.53.
97 V. note D’Almonte du 8 mai 1908, transmise au ministre des Affaires étrangères français
par lettre n° 206 de l’ambassadeur de France en Espagne au ministre des Affaires étrangères
français, 11 juillet 1908 (CMG, vol. IV, annexe 67), pp. 3-7.
98 Ibid, pp. 11-13.
99 MGE, vol. I, pars. 3.52-3.53.
49
conventionnel100. Cela étant, l’absence de démarcation a nourri sur le terrain des
incidents épars101.
1.50. En conclusion, la Convention de Paris, résultat d’une approche
transactionnelle indifférente aux titres antérieurement avancés par chacune des
parties, a permis de résoudre en quelques mois de négociations un différend
territorial vieux de quarante ans en fixant, sinon sur le terrain, au moins
juridiquement, la frontière terrestre entre les territoires espagnols et français dans
le golfe de Guinée et en attribuant à l’Espagne la souveraineté sur les îles Elobey et
sur l’île de Corisco. Si l’entreprise de démarcation de cette frontière a échoué faute
d’approbation par les gouvernements espagnol et français, ceux-ci n’en ont jamais
modifié le tracé.
100 Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français,
15 mars 1909 (CMG, vol. IV, annexe 68), p. 3. V. aussi Lettre n° 212 du lieutenantgouverneur
du Gabon au gouverneur général des territoires espagnols du golfe de Guinée,
16 août 1927 (MGE vol. IV, annexe 76), p. 2 ; Lettre n° 712 du lieutenant-gouverneur du
Gabon au gouverneur général de l’Afrique équatoriale française, 24 décembre 1927,
24 décembre 1927 (CMG, vol. IV, annexe 77), pp. 3-4.
101 V. entre autres Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères
français, 15 mars 1909 (CMG, vol. IV, annexe 68), pp. 2-3.
50
CHAPITRE II.
DE LA CONVENTION DE PARIS À LA CONVENTION DE BATA
2.1. Après l’échec de la commission de démarcation établie conformément à
la Convention de Paris en 1901 et le rejet de ses travaux par les gouvernements
français et espagnol 102 , la délimitation de la frontière terrestre posée dans la
Convention de Paris a été confirmée par les autorités coloniales, d’abord, et par le
Gabon et la Guinée Équatoriale, ensuite. Aucune modification de la frontière ainsi
délimitée n’est intervenue ni dans la période 1912-1916 durant laquelle l’Empire
allemand occupait et administrait les territoires au sud et à l’est de la Guinée
espagnole (I), ni pendant la période coloniale à la suite du retrait des autorités
allemandes (II), ni après les indépendances du Gabon et de la Guinée
Équatoriale (III).
I. La période 1912-1916
2.2. Le 4 novembre 1911, la République française et l’Empire allemand ont
conclu la Convention relative à leurs possessions dans l’Afrique équatoriale (la
« Convention de Berlin »)103. Conformément à l’article 1 de cette Convention, la
France a cédé à l’Allemagne plusieurs territoires, et plus particulièrement la partie
septentrionale du Gabon adjacente à la partie continentale de la Guinée
espagnole104. Les territoires ainsi acquis par l’Allemagne ont été intégrés dans la
nouvelle colonie du « Neukamerun ». Les conditions de la remise des territoires
102 V. supra, pars. 1.15-1.20.
103 Convention entre la France et l’Allemagne relative à leurs possessions dans l’Afrique
équatoriale, Berlin, 4 novembre 1911, in J. Basdevant, Traités et conventions en vigueur
entre la France et les puissances étrangères, vol. 1 (1918), pp. 118-126.
104 Ibid., article 1.
51
cédés ont été définies par les deux parties dans une déclaration du
28 septembre 1912 (« Déclaration de Berne ») 105 . Conformément à cet
arrangement, les territoires au sud de la frontière de la Guinée espagnole et ceux se
trouvant à l’est de cette colonie espagnole ont été transférés à l’administration
allemande en octobre 1912 ; ils sont par la suite devenus les nouvelles
circonscriptions de Muni et de Wolö-Ntem106. La nouvelle situation territoriale ainsi
créée est représentée sur le Croquis n° 2.1 ci-après (v. page 53).
2.3. Ce transfert de territoires entre la France et l’Allemagne n’a pas remis en
question la frontière terrestre avec la Guinée espagnole établie par, et décrite dans,
la Convention de Paris.
2.4. Les autorités allemandes ont confirmé l’existence de cette frontière et son
tracé tel que déterminé par l’article 4 de la Convention de Paris en le représentant
dans les cartes du Cameroun établies par Moisel en 1911 et 1912107 et dont les
autorités espagnoles avaient connaissance. Elles ont également fait part de leur
étonnement concernant l’existence de postes espagnols se trouvant au sud du
1er parallèle de latitude Nord, notamment dans la boucle de la rivière Outemboni108.
105 Déclaration du gouvernement de la République française et du gouvernement de sa majesté
l’Empereur d’Allemagne déterminant la frontière entre l’Afrique équatoriale française et le
Cameroun, précisant les conditions de la remise des territoires échangés et réglant certaines
questions connexes, 28 septembre 1912, in J. Basdevant, Traités et conventions en vigueur
entre la France et les puissances étrangères, vol. 1 (1918), pp. 135-153.
106 Arrêté du gouverneur impérial portant création de circonscriptions administratives au
Nouveau-Cameroun, 6 mars 1913 (CMG, vol. IV, annexe 70).
107 Carte du Cameroun par M. Moisel, feuille H1, 2 : Kribi, 15 août 1911, feuilles I1 : Muni et
I2 : Ojem, 1er avril 1912 (CMG, vol. II, annexe C11).
108 Rapport du chef de la station Ekododo, 30 novembre 1912 (CMG, vol. IV, annexe 69),
pp. 11-12 ; Rapport n° 1380 du gouvernement impérial du Cameroun concernant
l’expédition Muni, 16 juillet 1914 (CMG, vol. IV, annexe 71).
52
Croquis n° 2.1. Limites des possessions allemandes, espagnoles et françaises
en vertu de la Convention de Berlin (1911)
0 50 100 130 km
0 35 70 milles marins
Projection : WGS84. Réalisation : Gaëlle Sutton, 2022.
Ce croquis a été établi à seule fin d’illustration
15°E
5°N
0° 0°
5°N
10°E 15°E
10°E
GUINÉE
ESPAGNOLE
KAMEROUN
(EMPIRE ALLEMAND)
(EMPIRE ALLEMAND)
NEUKAMEROUN
AFRIQUE
ÉQUATORIALE
FRANÇAISE
OCÉAN
AT L AN T I Q U E
53
2.5. Les autorités espagnoles ont à plusieurs reprises confirmé la validité
continue du tracé frontalier déterminé dans la Convention de Paris, ce que montrent
les documents versés au dossier par la Guinée Équatoriale.
a) Dans sa lettre à l’ambassadeur espagnol à Berlin relative au projet d’une
nouvelle délimitation entre la Guinée espagnole et les colonies allemandes, le
ministre des Affaires étrangères espagnol a remarqué que :
« the Spanish territory of the Gulf of Guinea is completely surrounded
by the new territories acquired by Germany, without the borders being
delimited except for parallels 1° and 2°10’20” north latitude, and the
meridian 9° longitude east of Paris, intangible lines not established on
the ground »109.
Selon les propos du ministre, la mission d’une future commission hispanoallemande
de délimitation devait être « to establish, using signals, the 1° and
2°10’20” parallels latitude north, and meridian 9° longitude east of
Paris »110 et d’établir une « on-site study of the natural boundaries that may
comprise the border, once approved by both the governments of Madrid and
Berlin »111.
b) Le rapport d’Olshausen, membre allemand de la commission hispanoallemande
créée en mai 1914, atteste également que le tracé de la frontière
109 Lettre du ministre des Affaires étrangères espagnol à l’ambassadeur d’Espagne auprès de
l’Empire allemand, 4 février 1914 (MGE, vol. IV, annexe 62) (traduction de la Guinée
Équatoriale de l’original en espagnol : « el territorio español del Golfo de Guinea queda
rodeado en todas sus partes por los nuevos territorios adquiridos por Alemania, sin que las
fronteras estén delimitadas nada mas, que por los paralelos 1° y el de 2° 10’ y 20” ambos
de latitud Norte, y el meridiano 9° de longitud Este de Paris, lineas inmateriales no fijadas
sobre el terreno »).
110 Ibid., p. 225 (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol : « fijar por
medio de señles los paralelos de un grado, y el de 2° 10’ 20” ambos de latitud Norte, y el
meridiano 9° de longitud Este de Paris »).
111 Ibid. (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol : « estudien sobre el
terreno los limites naturales que en su día deben constituir las fronteras, una vez que
merezcan la sanción de ambos Gobiernos de Madrid y Berlín »).
55
établi par la Convention de Paris continuait à faire droit entre l’Allemagne et
l’Espagne. Même si l’objectif des levés astronomiques et topographiques
entrepris par cette commission avait été l’établissement d’un tracé frontalier
suivant des fleuves ou d’autres éléments identifiables sur le terrain, le point
de départ restait la frontière existante. Olshausen a rapporté à cet égard
l’accord avec le commissaire espagnol selon lequel :
« the two commissions should abstain from exercising state sovereign
rights, in particular of administrative acts and jurisdiction, in the
respective foreign territory; in this respect, the agreement entered into
in July of last year is still valid, according to which the theoretical
border should be binding as drawn on Moisel’s map until the new
borders have been determined »112.
c) Sur cette base, Olshausen a d’ailleurs protesté dès son arrivée dans la région
contre la présence espagnole dans la localité d’Asobla, située, selon la carte
Moisel, au sud du 1er parallèle de latitude Nord113.
2.6. Les travaux de la commission hispano-allemande de délimitation ont dû
être interrompus en raison de la première guerre mondiale, sans qu’un accord sur le
tracé de la frontière suivant les limites naturelles, et notamment la rivière
Outemboni, ait pu être établi au sein de la commission, contrairement à ce que
prétend la Guinée Équatoriale dans son mémoire114. Pour justifier sa position, la
112 Rapport n° 4 de l’expédition impériale du Muni, 16 juin 1914 (MGE, vol. IV, annexe 63)
(traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en allemand : « die beiden Kommissionen
sich der Ausübung staatlicher Hoheitsrechte, insbesondere von Verwaltungsakten und der
Gerichtsbarkeit, auf dem jeweilig fremdstaatlichen Gebiete zu enthalten haben; in dieser
Hinsicht gilt nach wie vor die im Juli v. Js. getroffene Abrede, wonach die theoretische
Grenze in der auf der Moiselschen Karte eingezeichneten Weise massgebend sein soll, bis
die neuen Grenzen festgelegt sind »).
113 Rapport n° 1380 du gouvernement impérial du Cameroun concernant l’expédition Muni,
16 juillet 1914 (CMG, vol. IV, annexe 71).
114 MGE, vol. I, pars. 3.59-3.60.
56
Guinée Équatoriale produit la copie en langue française d’un document115 qu’elle a
intitulé « Decree Signed by the German Empire and the Kingdom of Spain for the
Delimitation Between Spanish Guinea and the Protectorate of Cameroon » et
qu’elle classe sous la rubrique « Colonial Legislation » dans ses annexes. Pourtant,
il ne s’agit pas d’un décret (decree) signé par les deux États. L’intitulé figurant sur
le document est « Acte » (traduit par la Guinée Équatoriale comme « Record »). Le
document est daté du 19 août 1914 et n’est signé que par les commissaires allemand
et espagnol. Il contient un compte-rendu des travaux effectués et des investigations
faites par la commission. Dans une lettre envoyée aux autorités françaises en 1919,
le commissaire espagnol lui-même s’est référé à ce document tout en le qualifiant
comme « un acta de los trabajos realizados y de las comprobaciones hechas, acta
que fué firmada por mi como Jefe de la mision española, y por el Dr. Olshausen
como Jefe de la mision alemana » 116 , termes que la Guinée Équatoriale a
opportunément traduits, à tort, par « agreement on the work completed and
verifications made (…) agreement signed by me as head of the Spanish mission and
by Dr. Olshausen as head of the German mission »117. Les manoeuvres linguistiques
de la Guinée Équatoriale ne sauraient cependant modifier la nature de ce document :
il s’agit purement et simplement d’un procès-verbal, d’un document de travail,
signé par les commissaires allemand et espagnol faisant état des travaux réalisés et
des vérifications réalisées. Qui plus est, les commissaires se sont expressément
« désist[és], p[o]ur le moment de s’exprimer sur la question générale de
l’échangement de territoires entre les deux Colonies »118.
115 MGE, vol. V, annexe 115.
116 Lettre du gouverneur général de Guinée espagnole au gouverneur d’Afrique équatoriale
française, 1er mai 1919 (MGE, vol. IV, annexe 67) (notre traduction: « un procès-verbal
relatif aux travaux effectués et aux investigations faites, procès-verbal qui a été signé par
moi, chef de la mission espagnole, et par le Dr. Olshausen, chef de la mission allemande »).
117 Ibid., p. 275 (traduction de la Guinée Équatoriale).
118 MGE, vol. V, annexe 115, p. 63.
57
2.7. La Guinée Équatoriale soutient également à tort que la commission
hispano-allemande avait identifié ou attribué « the nationality of the towns in the
area » selon leur situation par rapport à la rivière Outemboni119. Dans le procèsverbal
signé le 19 août 1914, les membres de la commission ont simplement
enregistré leurs conclusions concernant les localités se trouvant dans la région par
rapport aux « observations astronomiques faites par les deux sections [et aux]
itinéraires levés » 120 ; autrement dit, ils ont déterminé les coordonnées
géographiques ou la représentation de ces localités sur la carte préparée par Moisel
pour déterminer si elles se trouvaient au nord ou au sud du 1er parallèle de latitude
Nord, la frontière établie par la Convention de Paris de 1900. Le gouverneur général
de la Guinée espagnole, Barrera, qui était membre de la commission hispanoallemande
et signataire dudit protocole, l’a confirmé sans aucune ambiguïté
quelques années plus tard :
« [I]n 1914, regarding the land for the Spanish-German delimitation
mission, the geographical location of some of these places was verified;
it was seen that several of them were located north of the first parallel
north and therefore, were in Spanish territory. »121
2.8. Au début de l’année 1916, les forces allemandes se sont retirées et la
France a réoccupé les territoires précédemment cédés à l’Allemagne, mettant de
facto fin à la colonie du Neukamerun. Le Traité de Versailles a entériné la
renonciation de l’Allemagne « à tous ses droits et titres sur ses possessions d’outre-
119 MGE, vol. I, pars. 3.59-3.60.
120 MGE, vol. V, annexe 115, pp. 63-64.
121 Lettre du gouverneur général de Guinée espagnole au gouverneur d’Afrique équatoriale
française, 1er mai 1919 (MGE, vol. IV, annexe 67) (traduction de la Guinée Équatoriale de
l’original en espagnol : « pero comprobada en 1914, sobre el terreno por la misión hispanoalemana
de delimitación, la situación geográfica de algunos de aquellos lugares, se vió,
que bastantes de entre ellos esban emplazados al Norte del paralelo de un grado de latitud
Norte y por lo tanto, en territorio español »).
58
mer » 122 . La courte période allemande n’a pas entraîné la modification de la
délimitation établie par la Convention de Paris ; en revanche, les autorités
allemandes et espagnoles ont confirmé que la frontière établie par la Convention de
Paris restait en vigueur. Le Traité de Versailles a marqué le retour au statu quo ante.
II. La période 1918-1960
2.9. Après la restauration de l’administration française sur l’ensemble du
territoire de l’actuel Gabon, les incertitudes pratiques engendrées par l’absence de
démarcation se sont multipliées, et ce jusqu’à l’indépendance du Gabon en 1960.
Néanmoins, depuis 1918 et jusqu’en 1960, la France et l’Espagne n’ont procédé ni
à une démarcation, ni à une modification de leur frontière commune en Afrique
équatoriale. À la veille des indépendances du Gabon et de la Guinée Équatoriale, la
délimitation établie par la Convention de Paris est restée en vigueur et applicable.
A. LES INCERTITUDES CONTINUES CONCERNANT
LA FRONTIÈRE TERRESTRE
1. La frontière méridionale de la Guinée espagnole
2.10. La Guinée Équatoriale suggère dans son mémoire que, malgré la
délimitation convenue entre la France et l’Espagne en 1900, les autorités coloniales
122 Traité de Paix entre les États-Unis d’Amérique, l’Empire britannique, la France, l’Italie et
le Japon, la Belgique, la Bolivie, le Brésil, la Chine, Cuba, l’Équateur, la Grèce, le
Guatemala, Haïti, l’Hedjaz, le Honduras, le Libéria, le Nicaragua, le Panama, le Pérou, la
Pologne, le Portugal, la Roumanie, l’État serbe-croate-slovène, le Siam, la Tchécoslovaquie
et l’Uruguay, d’une part, et l’Allemagne, d’autre part, Versailles, 28 juin 1919,
Consolidated Treaty Series, vol. 225, p. 188, article 119. V. aussi Frontière terrestre et
maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ; Guinée équatoriale
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 331, par. 34.
59
espagnoles administraient des territoires au sud du 1er parallèle de latitude Nord
sans protestation de la part des autorités coloniales françaises123. De nouveau, cette
présentation ne correspond pas à la réalité et est contredite par les documents
soumis par la Guinée Équatoriale.
2.11. Tout au long de la période coloniale, l’absence de démarcation et
d’abornement de la frontière a conduit inévitablement à des incidents frontaliers.
Ces incidents étaient nourris par les différences d’appréciation concernant
l’emplacement géographique des localités de part et d’autre du 1er parallèle de
latitude Nord.
2.12. Ces incidents ont été rapportés par les autorités coloniale et centrale
françaises à leurs homologues espagnoles. Les lettres du gouverneur général de la
Guinée espagnole au gouverneur du Gabon français datées du 22 novembre 1917
et du 1er mai 1919, qui occupent une place importante dans le mémoire de la Guinée
Équatoriale 124 , concernent justement des incidents et incursions des autorités
espagnoles dans les territoires considérés par la France comme relevant du
Gabon125. Les autorités espagnoles ont justifié leurs activités en expliquant que,
selon les données à leur disposition, les localités concernées se trouvaient bien au
nord du 1er parallèle de latitude Nord et donc, conformément à la Convention de
Paris, en territoire espagnol. Par ailleurs, dans une lettre du 16 août 1927, le
gouverneur de la colonie du Gabon a protesté énergiquement contre les incursions
des autorités espagnoles, tout en soulignant que :
123 MGE, vol. I, pars. 3.54-3.56.
124 MGE, vol. I, pars. 3.68-3.84 et 6.36-6.40.
125 Lettre du gouverneur général des territoires espagnols d’Afrique au gouverneur du Gabon
français, 22 novembre 1917 (MGE, vol. IV, annexe 65) ; Lettre du gouverneur général de
Guinée espagnole au gouverneur d’Afrique équatoriale française, 1er mai 1919 (MGE,
vol. IV, annexe 67).
60
« Sans doute, les limites déterminées dans la Convention conclue entre
la France et l’Espagne le 29 Juin 1900 n’ont jamais été déterminées sur
le terrain. Mais cette imprécision de nos frontières ne justifie pas les
empiétements ci-dessus signalés dans les villages dépendant
manifestement de notre Gouvernement. »126
2.13. Les autorités coloniales françaises ont également informé leur
hiérarchie de multiples incidents, notamment à la frontière méridionale de la Guinée
espagnole et des protestations envoyées aux autorités espagnoles127.
2.14. En 1928, l’Espagne a accepté d’évacuer « tous les villages contestés et
dont la situation ne lui permettait pas d’affirmer de façon absolue qu’ils se
trouvaient en territoire espagnol » en attendant un règlement définitif de la
question 128. Commentant cet arrangement, le gouverneur général de l’Afrique
équatoriale française a souligné que :
« Dans ces conditions, il importe que, d’une part comme de l’autre, il
ne soit accompli aucun acte susceptible d’influer sur le dit règlement
définitif. »129
2.15. La France a du reste constamment réaffirmé ses droits fondés sur la
Convention de Paris. En 1936, l’arrêté du gouverneur général de l’Afrique
équatoriale française concernant les limites des subdivisions de départements de la
région du Gabon130 réitérait l’attachement de la France à la ligne de délimitation de
126 Lettre n° 212 du lieutenant-gouverneur du Gabon au gouverneur-général des territoires
espagnols dans le golfe de Guinée, 16 août 1927 (MGE, vol. IV, annexe 76).
127 Lettre n° 639 du gouverneur général de l’Afrique équatoriale française au ministre des
Colonies français, 24 décembre 1920 (CMG, vol. IV, annexe 73) ; Lettre n° 507 du
gouverneur général de l’Afrique équatoriale française au ministre des Colonies français,
15 septembre 1927 (CMG, vol. IV, annexe 74).
128 Lettre n° 497 du gouverneur général de l’Afrique équatoriale française au lieutenantgouverneur
du Gabon, 3 novembre 1928 (CMG, vol. IV, annexe 78).
129 Ibid.
130 Arrêté du gouverneur général de l’Afrique équatoriale française, 5 novembre 1936 (CMG,
vol. IV, annexe 87).
61
la frontière terrestre de 1900, à savoir le 1er parallèle de latitude Nord, dans la
définition des limites septentrionales des subdivisions frontalières de Cocobeach et
de Mitzic. La limite nord de la subdivision de Cocobeach était décrite comme suit :
« Jusqu’à son intersection avec le cours de l’Abanga la frontière de la
Guinée Espagnole telle qu’elle est définie par le traité du 29 Juin 1900,
savoir : ‘Du point d’intersection du thalweg de la rivière Muni avec une
ligne droite de la Pointe Cocobeach à la pointe Diéké le Thalweg du
Muni puis du Tamboni jusqu’au point ou cette rivière est coupé pour la
1ère fois par le 1° degré de latitude Nord. La limite se confond ensuite
avec ce parallèle’. »131
La limite nord de la subdivision de Mitzic correspondait également à la délimitation
de la Convention de Paris :
« La frontière entre le Gabon et la Guinée Espagnole (parallèle 1° Nord
jusqu’à son intersection avec le méridien 9° Est de Paris (11°20’ de
Greenwich) (…) ».132
2.16. Ce n’est qu’en 1937 que les autorités de la Guinée espagnole ont pour
la première fois133 soutenu que le 1er parallèle de latitude Nord ne constituait la
frontière qu’à partir de sa deuxième intersection avec la rivière Outemboni, ce qui
aurait laissé les territoires au nord de la boucle formée par cette rivière à la Guinée
espagnole 134 . Cette position a été vigoureusement rejetée par les autorités
françaises :
131 Arrêté du gouverneur général de l’Afrique équatoriale française, 5 novembre 1936 (CMG,
vol. IV, annexe 87), article 1, pp. 1-2. La date du 29 juin 1900 figurant dans l’original est
erronée. La Convention de Paris a été signée le 27 juin 1900.
132 Ibid., p. 4.
133 V. les explications concernant la frontière dans les environs de cette rivière fournies par le
gouverneur général de la Guinée espagnole dans sa lettre du 27 janvier 1920 (MGE, vol. IV,
annexe 69).
134 Lettre n° 439 du ministre des Colonies français au gouverneur général de l’Afrique
équatoriale française, 3 mai 1937 (CMG, vol. IV, annexe 88) ; Télégramme-lettre n° 1222
du gouverneur délégué au gouverneur général de l’Afrique équatoriale française,
62
« Cette interprétation est incontestablement erronée. La rédaction de
l’article 4 de la Convention [de Paris] ne peut, en effet, laisser le
moindre doute à cet égard : ‘La frontière remontera ensuite le thalweg
de la rivière Mouni et celui de la rivière Outemboni jusqu’au point où
cette dernière est coupée pour la première fois par le 1° degré de latitude
de Nord et se confondra avec le parallèle de longitude de Paris’.
C’est donc une simple question de fait. Il s’agit de déterminer le point
où le parallèle rencontre, pour la première fois, la rivière. Or, ce point
se trouve à quelque distance en amont de Kanganié : de là, l’Outemboni
descend au dessous du parallèle et après avoir décrit une boucle
largement ouverte, remonte vers le Nord et rencontre, pour la deuxième
fois, le 1° degré de latitude Nord. »135
2. La frontière orientale de la Guinée espagnole
2.17. Jusqu’à la fin de la première guerre mondiale, la frontière orientale de
la Guinée espagnole, déterminée par le 9e méridien de longitude Est de Paris selon
la Convention de Paris, n’a pas été source de préoccupation pour les puissances
coloniales. Du reste, l’Espagne n’a pris possession effective de cette partie de la
Guinée espagnole qu’au début des années 1920.
2.18. C’est seulement en 1919, après la restauration de la présence française
au Gabon, que les administrations coloniales sont convenues, sur proposition du
gouverneur général de la Guinée espagnole Barrera, d’une limite provisoire
considérée plus praticable et identifiable. Dans une première lettre du
22 novembre 1917, le gouverneur général a formulé cette proposition ainsi :
19 juin 1937 (CMG, vol. IV, annexe 89). V. également Lettre n° 18 du chef de la
subdivision de Cocobeach au chef du département de l’estuaire, 9 mars 1940 (CMG,
vol. IV, annexe 90).
135 Lettre n° 439 du ministre des Colonies français au gouverneur général de l’Afrique
équatoriale française, 3 mai 1937 (CMG, vol. IV, annexe 88) ; Lettre du commissaire
national aux Affaires étrangères au commissaire national aux Colonies, 27 février 1943
(CMG, vol. IV, annexe 91).
63
« en la parte Este del territorio español, entre el paralelo de 2° - 10’ -
20” de latitud Norte y el lugar donde nace el rio Kie, podamos
considerar come frontera provisional dicho rio, en tanto no se llegue a
una delimitación exacta de frontera, con la cual se alejará toto motivo
de incidente en casi la mitad Norte de la frontera Este de la Guinea
Española (…) »136.
La Guinée Équatoriale a versé au dossier une retranscription dactylographiée de la
lettre du gouverneur Barrera sans en préciser la source. Elle a traduit cette partie de
la proposition du gouverneur Barrera de la façon suivante :
« in the eastern part of the Spanish territory, between the 2°10’20”N
line of latitude and the source of the Kié River, we could consider the
temporary border to be that river while there is no exact border
delimitation. This would remove any motive for an incident in almost
the northern half of the eastern border of Spanish Guinea (…) »137.
Une traduction plus fidèle de cet extrait serait la suivante :
« dans la partie orientale du territoire espagnol, entre le parallèle de
2° 10’ 20” de latitude Nord et l’endroit où la rivière Kyé prend sa
source, nous pouvons considérer cette rivière comme frontière
provisoire, tant qu’une délimitation exacte de la frontière n’est pas
encore arrêtée, ce qui permettra d’éviter tout motif d’incident dans
pratiquement toute la moitié Nord de la frontière orientale de la Guinée
espagnole (…) »138.
2.19. Dans sa réponse, le gouverneur général de l’Afrique équatoriale
française a confirmé l’accord des autorités centrales françaises concernant la
proposition « regarding recognition of the N’KYE stream as the provisional border
136 Lettre du gouverneur général des territoires espagnols d’Afrique au gouverneur du Gabon
français, 22 novembre 1917 (MGE, vol. IV, annexe 65).
137 Ibid.
138 Ibid. Notre traduction en anglais de l’original en espagnol : « in the eastern part of the
Spanish territory, between the parallel of latitude 2° 10’ 20” North and the location of the
source of the Kié river, we can consider this river as a provisional border, as long as an
exact delimitation of the border has not yet been established, which will remove any cause
for incident in almost all the northern half of the eastern border of Spanish Guinea (…) ».
64
between your colony and the occupied territories of New Cameroon in the hopes
that a definitive, exact delimitation may be made »139.
2.20. Le gouverneur Barrera répliqua le 1er mai 1919 en endossant
l’arrangement sur cette limite provisoire 140 . Dans la même correspondance, le
gouverneur général a proposé par ailleurs une version plus complète d’une limite
provisoire vers le sud jusqu’à la limite méridionale de la Guinée espagnole suivant
des fleuves et routes précisément identifiés tout en notant que :
« this way as long as the borders are not definitively established, [the
limits] I have indicated could provisionally be the limits of Spanish
territory; these are more tangible limits than the meridian, and this
would dispel any incidents. »141
2.21. La lettre précise également que ces propositions ont été formulées sur
la base de la carte Moisel de 1914142 sur laquelle les routes, localités et rivières sont
identifiables. Considérant que cette question devait être réglée par voie
diplomatique, les autorités coloniales françaises n’ont pas répondu à cette
139 Lettre n° 03 du gouverneur-général de l’Afrique équatoriale française au gouverneurgénéral
des territoires espagnols du golfe de Guinée, 24 janvier 1919 (MGE, vol. IV,
annexe 66) (traduction de la Guinée Équatoriale de la copie espagnole versée au dossier :
« relativa al reconocimiento del riachuelo N’KYÉ como frontera provisional entre vuestra
Colonia y los Territorios ocupados del Nuevo-Cameroun, en espera que se efectue una
delimitacion exacta definitiva »). Le Gabon n’a pas retrouvé l’original français de cette
lettre.
140 Lettre du gouverneur général de Guinée espagnole au gouverneur général de d’Afrique
équatoriale française, 1er mai 1919 (MGE, vol. IV, annexe 67).
141 Lettre du gouverneur général de Guinée espagnole au gouverneur général de d’Afrique
équatoriale française, 1er mai 1919 (MGE, vol. IV, annexe 67) (traduction de la Guinée
Équatoriale de l’original en espagnol : « de este modo y en tanto no se fijen definitivamente
las fronteras, estas que indico podría ser provisionalmente limites del territorio español,
limites mas tangibles que el meridiano, y esto alejaría todo incidente »).
142 Ibid. Une copie de la carte mentionnée dans la lettre de M. Barrera est reproduite dans les
annexes du Gabon : Carte du Cameroun par M. Moisel, feuilles I1 : Ukoko et I2 : Ojĕm,
1er mai 1914 (CMG, vol. II, annexe C12).
65
proposition en ce qui concerne la limite provisoire dans la partie sud de la frontière
orientale143.
2.22. Ni dans l’intention des autorités françaises, ni dans les formulations des
autorités espagnoles, l’arrangement provisoire de 1919 ne constituait une
délimitation ou une démarcation définitive au sens de l’article 8 et l’annexe I de la
Convention de Paris, comme la Guinée Équatoriale le soutient144. D’ailleurs, à
aucun moment les interlocuteurs n’ont invoqué ces dispositions ou n’ont exprimé
le souhait que cet arrangement provisoire remplace la description de la frontière
dans l’article 4 de la Convention de Paris. Il ne s’agissait que d’un arrangement
provisoire permettant de limiter les incidents frontaliers en attendant une
délimitation définitive exacte de la frontière. Une telle délimitation exacte n’est
jamais intervenue.
2.23. Les autorités françaises ont été particulièrement attentives à cette
question en raison notamment des incertitudes quant à la localisation géographique
exacte de la rivière Kyé qui a été représentée très différemment sur la carte préparée
par Moisel en 1911 et celle actualisée en 1914145. Le ministre des Colonies français
a considéré à cet égard :
« D’après des travaux relativement récents émanant de la colonie, la
Kié suit sensiblement le 9° degré, frontière prévue à l’accord de 1900 ;
mais sur la carte Moisel, ce cours d’eau s’écarte dans sa partie moyenne
d’environ 9 km du même méridien : il est indispensable que je puisse
faire vérifier la position de cette rivière, afin de déterminer l’étendue de
l’accroissement de territoire qui serait consenti à l’Espagne au cas où,
143 Note de la section de coordination de l’Afrique équatoriale française relative à la
délimitation de la frontière entre le Gabon et la Guinée espagnole, 15 septembre 1952
(CMG, vol. IV, annexe 92), pp. 2-3.
144 MGE, vol. I, pars. 3.67 et 3.70.
145 V. Lettre du gouverneur général espagnol, 27 janvier 1920 (MGE, vol. IV, annexe 69).
66
la carte Moisel étant reconnue exacte, la frontière provisoire serait
adoptée comme définitive. »146
2.24. Ces incertitudes ont été accentuées par les allégations des autorités
espagnoles selon lesquelles le 9e méridien de longitude Est de Paris se trouvait plus
à l’est qu’il n’était porté sur les cartes existantes147.
2.25. Malgré les échanges sur la limite provisoire dans la partie septentrionale
de la frontière orientale de la Guinée espagnole, les autorités françaises n’ont jamais
modifié leur position quant à la délimitation de cette frontière. La frontière indiquée
sur la carte produite par les services cartographiques français en 1930 suit toujours
le méridien148. L’arrêté du gouverneur général de l’Afrique équatoriale française
concernant les limites des subdivisions de départements de la région du Gabon
réitérait la ligne de délimitation de la frontière terrestre de 1900, à savoir le 9e
méridien de longitude Est de Paris, dans la définition des limites des subdivisions
de Bitam et d’Oyem149. Des croquis provisoires de la section géographique de
l’Afrique équatoriale française, préparés en 1949 et 1950, ont également continué
à représenter la frontière avec la Guinée espagnole suivant les lignes astronomiques
déterminées dans l’article 4 de la Convention de Paris150.
146 Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français,
24 novembre 1919 (CMG, vol. IV, annexe 72). Le document annexé par la Guinée
Équatoriale en tant qu’annexe 68 ne contient pas cette lettre, mais un document des autorités
espagnoles sans aucun rapport.
147 V. Note de la section de coordination de l’Afrique équatoriale française relative à la
délimitation de la frontière entre le Gabon et la Guinée espagnole, 15 septembre 1952
(CMG, vol. IV, annexe 92), pp. 2-3.
148 IGN, Carte de l’Afrique Ouest échelle au 1/5.000.000, 1930 (CMG, vol. II, annexe C13).
149 Arrêté du gouverneur général de l’Afrique équatoriale française, 5 novembre 1936 (CMG,
vol. IV, annexe 87), pp. 2-3.
150 Croquis provisoire établi par le service géographique de l’Afrique équatoriale française –
Cameroun, feuille Oyem, janvier 1949 (CMG, vol. II, annexe C16) et feuille Ebolowa,
septembre 1950 (CMG, vol. II, annexe C18).
67
2.26. Pour leur part, les autorités locales espagnoles ont essayé de transformer
la ligne provisoire en un fait accompli. Les documents versés au dossier par la
Guinée Équatoriale démontrent que le gouverneur Barrera a tenté d’imposer
unilatéralement la présence espagnole dans les environs du Kyé et au-delà
(notamment dans la partie sud de la frontière orientale selon ses propositions
unilatérales) par la construction d’une route et l’installation de postes militaires tout
en prenant avantage du fait que les autorités françaises ne disposaient pas à l’époque
d’informations géographiques fiables151. Néanmoins, les textes législatifs adoptés
par les autorités centrales définissant le statut des possessions espagnoles dans le
golfe de Guinée et leurs subdivisions territoriales continuaient à déterminer les
limites orientales des circonscriptions d’Ebebiyin et de N’Sork, se trouvant à la
frontière avec le Gabon français, par une « ligne droite » (« linea recta ») et non
pas par rapport à la rivière Kyé ou d’autres rivières ou routes dans les environs152.
3. L’absence de démarcation de la frontière entre
le Gabon français et la Guinée espagnole
2.27. Bien qu’elles eussent conscience de la nécessité d’une démarcation de
la frontière déterminée dans la Convention de Paris et son abornement sur le terrain,
les autorités françaises ont considéré le moment inopportun pour engager un tel
processus long et coûteux avec l’Espagne153. Aucune initiative en ce sens n’a été
151 V., par exemple, Lettre du gouverneur général espagnol, 27 janvier 1920 (MGE, vol. IV,
annexe 69) ; Lettre du gouverneur général espagnol, 8 décembre 1920 (MGE, vol. IV,
annexe 70) ; Lettre du gouverneur des Colonies au ministre des Colonies français,
27 juillet 1921 (MGE, vol. IV, annexe 71).
152 Décret portant statut organique, 13 avril 1935 (CMG, vol. IV, annexe 85), première base.
153 Lettre n° 594 du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français,
3 novembre 1927 (CMG, vol. IV, annexe 75) ; Lettre n° 1396 du ministre des Affaires
étrangères français au ministre des Colonies français, 14 novembre 1927 (CMG, vol. IV,
annexe 76) ; Note de la section de coordination de l’Afrique équatoriale française relative à
la délimitation de la frontière entre le Gabon et la Guinée espagnole, 15 septembre 1952
(CMG, vol. IV, annexe 92).
68
prise concrètement154. La France préférait maintenir une attitude de réserve sur le
terrain, afin d’éviter des incidents, tout en réaffirmant ses droits sur les territoires
contestés155.
2.28. Au début des années 1950, le service géographique de l’armée
espagnole a publié deux nouvelles cartes de la Guinée espagnole : une à l’échelle
1/200.000 dénommée « Carta itineraria de la Guinea continental española » (Carte
routière de la Guinée espagnole continentale) 156 , l’autre à l’échelle 1/100.000
désignée « Mapa topográfico y forestal de Guinea »157 (Carte topographique et
forestière de Guinée). Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale a d’ailleurs
reproduit un extrait de cette dernière carte sans en produire la totalité 158 .
L’exactitude de ces nouvelles cartes a été jugée par l’Institut géographique national
français « aussi satisfaisante qu’on peut le souhaiter »159. Aucune de ces deux cartes
n’indique les frontières de la Guinée espagnole continentale160. Néanmoins, les
services géographiques français ont constaté à l’époque que ces cartes révélaient
les inexactitudes des travaux cartographiques antérieures, y compris les cartes
154 Note de la section de coordination de l’Afrique équatoriale française relative à la
délimitation de la frontière entre le Gabon et la Guinée espagnole, 15 septembre 1952
(CMG, vol. IV, annexe 92) ; Note du gouvernement général de l’Afrique équatoriale
française au sujet de la délimitation de la frontière entre le Gabon et la Guinée espagnole,
16 septembre 1952 (CMG, vol. IV, annexe 93). V. aussi Note n° 378 de l’Institut
géographique national pour la direction des affaires politiques, 9 janvier 1953 (CMG,
vol. IV, annexe 94).
155 Lettre du commissaire national aux Affaires étrangères au commissaire national aux
Colonies, 27 février 1943 (CMG, vol. IV, annexe 91).
156 Carte routière de la Guinée espagnole continentale, 1951-1952 (CMG, vol. II, annexe C19).
157 Carte topographique et forestière de Guinée espagnole, 1949-1960 (CMG, vol. II,
annexe C20).
158 MGE, vol. II, croquis n° 3.13.
159 Note n° 378 de l’Institut géographique national pour la direction des affaires politiques,
9 janvier 1953 (CMG, vol. IV, annexe 94).
160 Ibid.
69
préparées par Moisel, qui avaient servi de référence dans les discussions entre les
autorités françaises et espagnoles dans la région. Ils ont constaté que :
« Les frontaliers ont adopté tacitement un modus vivendi fondé sur les
habitudes prises par les Espagnols et en gros conforme à la convention
du 27 juin 1900 interprétée par la carte Moisel. Les inexactitudes de
cette carte avantageaient l’un ou l’autre des intéressés, mais on ne
pouvait savoir lequel. Ce modus vivendi qui tenait compte dans une
certaine mesure des réalités ne correspondait pas aux thèses officielles.
En fait, Français et Espagnols d’une part, frontaliers et bureaux de
l’autre, ne parlaient pas la même langue et chaque fois que survenait un
incident, personne ne comprenait son interlocuteur et des flots de papier
étaient échangés sans résultat. »161
2.29. Les nouvelles cartes espagnoles permettent également de constater que
« la situation de fait actuelle correspond sensiblement au tracé théorique de la
frontière »162. La comparaison du matériel cartographique fait cependant apparaître
quelques empiétements de la Guinée espagnole sur le territoire gabonais
(notamment dans la boucle de l’Outemboni sur la frontière méridionale et dans les
environs de la rivière Kyé sur la frontière orientale) et un léger empiétement du
Gabon français sur le territoire guinéen au nord du 1er parallèle de latitude Nord
dans les environs de Médouneu163.
161 Note n° 378 de l’Institut géographique national pour la direction des affaires politiques,
9 janvier 1953 (CMG, vol. IV, annexe 94).
162 Lettre n° 242 du ministre de la France d’Outre-mer au ministre des Affaires étrangères
français, 8 mars 1953 (CMG, vol. IV, annexe 96) ; Lettre du ministre de la France d’Outremer
au gouverneur général de l’Afrique équatoriale française, 9 mars 1953 (CMG, vol. IV,
annexe 97).
163 Note n° 378 de l’Institut géographique national pour la direction des affaires politiques,
9 janvier 1953 (CMG, vol. IV, annexe 94) ; Note du service géographique de l’Afrique
équatoriale française et du Cameroun sur la Guinée Équatoriale, 9 février 1953 (CMG,
vol. IV, annexe 95) ; Lettre n° 242 du ministre de la France d’Outre-mer au ministre des
Affaires étrangères français, 8 mars 1953 (CMG, vol. IV, annexe 96) ; Lettre du ministre de
la France d’Outre-mer au gouverneur général de l’Afrique équatoriale française,
9 mars 1953 (CMG, vol. IV, annexe 97) ; Note sur la frontière commune entre l’Afrique
équatoriale française et le Cameroun d’une part, la Guinée espagnole d’autre part,
22 décembre 1953 (CMG, vol. IV, annexe 99) ; Note n° 545 de l’Institut géographique
70
2.30. Les autorités diplomatiques françaises avaient donc bien conscience
que ces divergences ne pourraient être réglées que par des négociations avec
l’Espagne. Bien qu’elles aient exprimé le souhait que de telles discussions puissent
avoir lieu plus tard, elles jugeaient le moment « mal choisi »164. Les choses en sont
restées là jusqu’à l’indépendance du Gabon.
B. LES INCERTITUDES RELATIVES À LA SOUVERAINETÉ SUR LES
ÎLES MBANIÉ, COCOTIERS ET CONGA
2.31. Jusqu’à la fin de la période coloniale, les plus grandes incertitudes ont
subsisté concernant la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga.
2.32. Les autorités françaises ont régulièrement effectué des travaux de
balisage et ont assuré l’entretien des balises et bouées qu’elles avaient installées
dans la vicinité immédiate de Mbanié, Cocotiers et Conga165. Par ailleurs, des cartes
préparées par les services de la marine française en 1932 166 et par l’Institut
national pour la direction des affaires politiques, 8 juillet 1953 (CMG, vol. IV, annexe 98).
En ce qui concerne ce dernier empiétement, les services géographiques français ont noté par
ailleurs que « [d]ans l’esprit des Autorités qui ont décidé le tracé de la route MITZICEDOUME,
cette route devait se tenir entièrement en territoire français et à une distance d’au
moins 1 kilomètre de la frontière » (ibid.).
164 Lettre n° 308/AL du ministre des Affaires étrangères français au ministre de la France
d’Outre-mer, 15 février 1954 (CMG, vol. IV, annexe 100).
165 Lettre du ministre des Colonies français au chef du service hydrographique de la Marine,
4 juillet 1931 (CMG, vol. IV, annexe 79) ; Lettre n° 349 du lieutenant-gouverneur du
Gabon au ministre des Colonies français, 29 septembre 1932 (CMG, vol. IV, annexe 82) ;
Lettre de l’inspecteur général des travaux publics des Colonies au chef du service central
des phares et balises, 10 novembre 1932 (CMG, vol. IV, annexe 83) ; Lettre du directeur du
service des phares et balises à l’inspecteur général des travaux publics des Colonies,
18 novembre 1932 (CMG, vol. IV, annexe 84). V. aussi Carte hydrographique de la baie de
Corisco d’après les levés espagnols et allemands de 1913-1914, n° 3037, 1932 (CMG,
vol. II, annexe C14).
166 Carte hydrographique de la baie de Corisco d’après les levés espagnols et allemands de
1913-1914, n° 3037, 1932 (CMG, vol. II, annexe C14).
71
géographique national français en 1935167 et en 1950168 ont désigné spécifiquement
l’île de Corisco et les îles Elobey comme relevant de la souveraineté espagnole,
sans faire de même pour Mbanié, Cocotiers ou Conga.
2.33. Les autorités espagnoles n’ont pas non plus inclus les îles Mbanié,
Cocotiers et Conga dans leur législation interne définissant l’emprise territoriale de
la Guinée espagnole. Le statut organique adopté par décret du 22 juillet 1931 a
défini les « territoires espagnols du golfe de Guinée » comme incluant les îles de
Fernando-Pó, d’Annobón, de Corisco, Elobey Grande, Elobey Chico et le territoire
continental de la Guinée espagnole169. Le statut organique modifié en 1935 ne
mentionne pas non plus Mbanié, Cocotiers ou Conga ni dans la définition des
districts des territoires espagnols dans le golfe de Guinée, ni en tant que partie de la
circonscription territoriale de Kogo, bien que l’île de Corisco et les îles Elobey y
soient énumérées spécifiquement170.
2.34. En 1955, les services hydrographiques français, après avoir effectué de
nouveaux relevés, ont voulu installer une balise sur Cocotiers171. Les autorités
espagnoles ont protesté. Les autorités françaises s’estimaient dans leur bon droit172,
considérant que seule la souveraineté de l’Espagne sur les îles Elobey et sur l’île de
167 Croquis de l’Afrique française échelle au 1/1.000.000, Feuille Libreville, 1935 (CMG,
vol. II, annexe C15).
168 Carte du Congo français échelle au 1/2.000.000, 1950 (CMG, vol. II, annexe C17).
169 Décret portant statut organique, 22 juillet 1931 (CMG, vol. IV, annexe 80), disposition de
base 1. V. aussi Lettre n° 407 de l’ambassadeur de France en Espagne au ministre des
Affaires étrangères français, 25 juillet 1931 (CMG, vol. IV, annexe 81).
170 Décret portant statut organique, 13 avril 1935 (CMG, vol. IV, annexe 85), disposition de
base 1. V. aussi Décret portant statut organique, 14 novembre 1935 (CMG, vol. IV,
annexe 86), article 1.
171 MGE, vol. I, pars. 3.26-3.32.
172 V. Note du ministère des travaux publics, de l’habitat et de l’urbanisme gabonais au sujet
de la construction d’une balise sur l’îlot Cocotier en baie de la Mondah, 25 septembre 1972
(CMG, vol. V, annexe 127).
72
Corisco était formellement reconnue par la Convention de Paris173. Les travaux ont
finalement été achevés par la France avec l’accord des autorités locales espagnoles
qui, pourtant, n’ont jamais supporté les charges de l’installation et de l’entretien de
la balise174.
2.35. Même après cet incident, l’Espagne n’a pas mentionné les îles Mbanié,
Cocotiers et Conga dans sa législation. La loi espagnole du 30 juillet 1959 sur
l’organisation et le régime juridique des provinces africaines ne mentionne pas
Mbanié175, alors même qu’une proposition en ce sens avait été faite dans le projet
de loi versé au dossier par la Guinée Équatoriale176. Par ailleurs, le décret du
12 juin 1959 définissant des blocs pour l’exploration et l’exploitation des
ressources pétrolières n’inclut pas non plus les espaces maritimes générés par
Mbanié, Cocotiers et Conga 177 . L’article 172 de ce décret, dont la Guinée
Équatoriale n’a reproduit qu’un court extrait178, précise seulement que le bloc n° 1
inclut « les îles (…) Elobey et Corisco et leurs eaux territoriales ».
173 Lettre n° 438/AL du ministre des Affaires étrangères au ministre de la France d’Outre-mer,
6 mai 1955 (MGE, vol. IV, annexe 94).
174 Lettre n° 247 du capitaine du « Beautemps-Beaupré » et de la mission hydrographique de
la côte ouest d’Afrique au gouverneur de la France d’Outre-Mer, 8 octobre 1955 (CMG,
vol. IV, annexe 101) ; Lettre du directeur du service des phares et balises au directeur
général des travaux publics de l’Afrique équatoriale française, 26 janvier 1956 (CMG,
vol. IV, annexe 102) ; Note n° 301/AMF du ministère des travaux publics, de l’habitat et de
l’urbanisme gabonais au sujet de la construction d’une balise sur l’îlot Cocotier en baie de
la Mondah, 16 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 124) ; Lettre n° 302/SMF du
ministère des travaux publics, de l’habitat et de l’urbanisme gabonais au chargé de mission
auprès de la présidence française, 10 octobre 1972 (CMG, vol. V, annexe 129). V. aussi
Service hydrographique de la Marine française, feux et signaux de brume, série C, Manche
et Océan Atlantique est (MGE, vol. V, annexe 132).
175 Loi n° 46/1959 sur l’organisation et le régime juridique des provinces africaines,
30 juillet 1959 (CMG, vol. IV, annexe 104).
176 Projet de loi espagnol sur la réorganisation des territoires espagnols de Guinée, 4 mars 1958
(MGE, vol. V, annexe 131). V. aussi MGE, vol. I, par. 3.34.
177 V. MGE, vol. I, par. 3.35.
178 Décret espagnol n° 977/1959, 12 juin 1959 (CMG, vol. IV, annexe 103) ; v. aussi MGE,
vol. V, annexe 135.
73
2.36. Par ailleurs, la question de la délimitation maritime entre le Gabon et la
Guinée espagnole n’avait pas été abordée entre les puissances coloniales. À la veille
de l’indépendance du Gabon, le service juridique du ministère des Affaires
étrangères français a constaté :
« A la connaissance du Service juridique, la France n’a pas,
antérieurement à l’entrée en vigueur de l’Accord du 15 juillet 1960
portant transfert à la République gabon[]aise des compétences de la
Communauté, conclu d’accord international [relatif aux frontières
maritimes], qui puisse lier le Gabon en tant qu’État successeur. Le
Gouvernement de Libreville est donc à même d’édicter en ce domaine
les règles qui lui paraîtront les plus appropriées et de passer avec ses
voisins toutes conventions qu’il jugera opportunes. »179
III. La période suivant l’indépendance du Gabon et
de la Guinée Équatoriale (1960-1974)
2.37. Le Gabon et la Guinée Équatoriale acquirent leur indépendance
respectivement le 17 août 1960 et le 12 octobre 1968. Les questions et les
incertitudes concernant le tracé de la frontière terrestre convenue dans la
Convention de Paris et celles concernant la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et
Conga ont continué à occuper les relations de la nouvelle République Gabonaise
avec l’Espagne, d’abord, et avec la Guinée Équatoriale, après l’indépendance de
cette dernière. Par ailleurs, la question de la délimitation maritime s’y est ajoutée
dans un contexte d’extension des droits maritimes des États.
179 Note n° 555 du service juridique pour le service des affaires de la Communauté,
23 septembre 1960 (CMG, vol. IV, annexe 105), pp. 1-2.
74
A. LES QUESTIONS RELATIVES À LA SOUVERAINETÉ SUR MBANIÉ,
COCOTIERS ET CONGA
1. Les premières négociations relatives à la délimitation maritime
2.38. En 1963, le Gabon a fixé la limite de ses « eaux territoriales » à
12 milles marins180. Les autorités espagnoles, qui ne réclamaient jadis qu’une mer
territoriale de 6 milles marins, ne semblent pas avoir exprimé d’objection à cette
extension. La question de la délimitation maritime n’a cependant pas tardé à
resurgir avec le développement des activités de prospection d’hydrocarbures dans
la région181.
2.39. En 1967, le Gabon a octroyé un permis de recherche d’hydrocarbures
dans le nord de son domaine maritime. Contrairement aux allégations de la Guinée
Équatoriale, la limite septentrionale de ce permis n’a pas été définie dans les textes
gabonais comme étant la « median line between Gabon’s mainland and Spain’s
island possessions, including Mbañe, Cocoteros, and Conga » 182 . Le décret
gabonais, reproduit par la Guinée Équatoriale, définit cette limite du permis en se
référant simplement à la « frontière maritime commune du Gabon et de la Guinée
Equatoriale »183 sans aucune autre précision sur le tracé de cette frontière qui, à
l’époque, n’était pas encore délimitée.
180 Loi n° 10/63 portant Code de la Marine marchande gabonaise, 12 janvier 1963 (CMG,
vol. IV, annexe 106), article 5.
181 V. Dépêche n° 28/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires
étrangères français, 4 février 1965 (CMG, vol. IV, annexe 108).
182 MGE, vol. I, par. 3.98.
183 Décret n° 391/PR-MENCM-DMG accordant conjointement à la Société Gulf Oil et la
Société Shell Gabon un permis de recherches minières valable pour les hydrocarbures
liquides et gazeux dit « Permis Marin de Libreville », 2 août 1967 (MGE, vol. VI,
annexe 181).
75
2.40. La même année, les autorités espagnoles ont proposé au Gabon des
négociations sur la question de la délimitation maritime ; cette proposition a été
acceptée par le Gabon184. Les autorités espagnoles semblent d’ailleurs avoir préparé
plusieurs documents internes pour définir leur position concernant une telle
délimitation maritime185. Aucun de ces documents n’évoque la question de la
souveraineté sur Mbanié, Cocotiers ou Conga. Dans un rapport confidentiel, les
services du ministère de l’Industrie de l’Espagne ont cependant suggéré que le point
de départ de la délimitation devait être la ligne de base de Corisco car « if we start
from the island Cocotier or Bane [(Mbañe)], we greatly fear that those negotiations
will be clouded with difficulties »186. De telles négociations n’ont pas eu lieu avant
l’indépendance de la Guinée Équatoriale.
2.41. Jusqu’à la fin de la domination coloniale espagnole, l’Espagne a
continué à rester ambiguë sur la question des îles Mbanié, Cocotiers et Conga dans
sa législation définissant l’assiette territoriale de sa colonie187 comme c’était le cas
auparavant188.
2.42. Le Gabon, pour sa part, a renouvelé le permis d’exploitation dit
« Permis marin de Libreville » en 1969189. En 1970, la limite nord de ce permis a
184 Note du ministère des Affaires étrangères espagnol, 14 novembre 1967 (MGE, vol. V,
annexe 145).
185 MGE, vol. I, pars. 3.87-3.89.
186 Rapport confidentiel du ministère de l’Industrie espagnol, 12 juillet 1966 (MGE, vol. IV,
annexe 103) (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original espagnol : « si nosotros
partimos de la isla Cocotier o la de Bañe, mucho nos tememos que dichas negociaciones
van a estar sombradas de dificultades »).
187 V. Loi n° 191/1963, 30 décembre 1963 (MGE, vol. V, annexe 140) ; Loi concernant la
séparation du régime juridique de Fernando Po et du Rio Muni (MGE, vol. V, annexe 143).
V. également Décret n° 1043/1968 portant publication de la carte officielle des blocs sur les
zones marines de la zone II (Rio Muni), 2 mai 1968 (CMG, vol. IV, annexe 109).
188 V. supra, pars. 2.33 et 2.35.
189 Décret n° 670/PR/MMERH/DMG, 24 septembre 1969 (MGE, vol. VI, annexe 183).
76
été fixée au parallèle Y=112.700 en coordonnées UTM (ou, en degrés, au parallèle
de latitude 1°01’10,6” Nord)190, tout en réservant les « zones d’influence des iles
KORISKO et ELOBEY appartenant à la Guinée Equatoriale » qui devaient être
déterminées conformément aux principes du droit international en la matière191.
2.43. Le 4 juin 1970, le Gabon a proposé à la Guinée Équatoriale de mener
des négociations afin de déterminer leur frontière maritime commune192 ; cette
proposition a été acceptée par la Guinée Équatoriale quelques jours plus tard193.
2.44. Avant que ces négociations aient pu avoir lieu, les deux États ont adopté
plusieurs textes et décrets concernant l’étendue de leurs « eaux territoriales »
respectives194. Le 24 septembre 1970, la Guinée Équatoriale a fixé unilatéralement
par décret présidentiel les limites de ses « eaux territoriales » dans la partie
méridionale de la province du Rio Muni195 ; pour la première fois, ce texte se réfère
aux îles Mbanié, Cocotiers et Conga196. La mission permanente de la Guinée
Équatoriale auprès des Nations Unies a expliqué par ailleurs que « ce décret
protectionniste » avait été pris « en raison de la situation géographique
exceptionnelle de ces îles et îlots »197.
190 Décret n° 689/PR/MMERH/DMG, 14 mai 1970 (MGE, vol. VI, annexe 184), article 1.
191 Ibid., article 3.
192 Note verbale n° 1966/MAE-C/DAAP du ministère des Affaires étrangères gabonais à
l’ambassade de Guinée Équatoriale au Gabon, 4 juin 1970 (CMG, vol. V, annexe 112).
193 Note n° 1524 du ministère des Affaires étrangères équato-guinéen à l’ambassadeur de
Guinée Équatoriale au Gabon, 15 juin 1970 (CMG, vol. V, annexe 113).
194 MGE, vol. I, pars. 4.4-4.5.
195 Décret présidentiel n° 17/1970, 24 septembre 1970 (MGE, vol. VI, annexe 186).
196 Ibid., article 1 (a).
197 Traduction de la note verbale n° 558 de la mission permanente de la Guinée Équatoriale
auprès des Nations Unies au secrétaire général des Nations Unies, 8 octobre 1970 (CMG,
vol. V, annexe 114). V. également Aérogramme n° A-1798 de la mission des États-Unis
auprès des Nations Unies au département d’État, 21 octobre 1970 (MGE, vol. VI,
annexe 155).
77
2.45. Les négociations entre le Gabon et la Guinée Équatoriale concernant la
délimitation maritime ont commencé à Bata en février 1971. Selon les informations
communiquées par l’ambassadeur de France à Libreville, cette réunion s’est
déroulée dans de bonnes conditions198. Le Gabon a proposé, lors de cette réunion,
que « la frontière coïncide au large avec le parallèle tracé à partir du milieu du Rio
Muni à son embouchure » tout en aménageant des zones d’eaux territoriales équatoguinéennes
autour des îles Elobey et de Corisco199. Lors d’une deuxième réunion
se tenant à Libreville en mars 1972, les deux Parties ont continué leurs discussions.
Elles ont notamment réaffirmé « la validité de la Convention de Paris (1900)
qu’elles déclar[aient] adopter comme document de base pour la délimitation des
frontières maritimes »200. À cette fin, elles ont cherché à obtenir des informations
plus complètes des anciennes puissances coloniales sur cette Convention201. Tandis
que la Guinée Équatoriale proposait une délimitation selon les termes du décret
présidentiel de 1970202, le Gabon a réitéré et précisé la proposition faite lors de la
première réunion de Bata :
« La limite maritime entre la Guinée Equatoriale et le Gabon partirait
du point d’intersection du Thalweg de la rivière Mouni avec la ligne
droite tirée de la pointe Cocobeach à la pointe Dieke, conformément à
la convention de Paris. Elle s’étendrait ensuite vers l’Ouest suivant le
parallèle passant par le point ci-dessus défini.
198 Dépêche n° 57/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires
étrangères français, 23 mars 1971 (CMG, vol. V, annexe 115).
199 Ibid.
200 Procès-verbal dressé par la commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la
rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 199),
par. 2.1.
201 Télégramme n° 145 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires
étrangères français, 29 mars 1972 (CMG, vol. V, annexe 117).
202 Procès-verbal dressé par la commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la
rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 199),
pars. 3.1-3.3.
78
Il serait r[é]servé autour des îles Corisco, Elobey Chico et Elobey
Grande, concédées à l’Espagne par le Traité de Paris, une ceinture de
3 milles marins à partir de leurs côtes constituant la mer territoriale, de
juridiction équato-guinéenne, sauf en ce qui concerne leur frontière
Sud-Est qui serait [d]élimitée par une ligne brisée situé à égale distance
de leur côte et de la côte gabonaise la plus proche, soit :
1°/ Pour l’île Elobey, une ligne définie par les coordonnées suivantes :
Point I : X = 561.900
Y = 112.700
Point II : X = 560.600
Y = 107.850
Point III : X = 557.500
Y = 104.700
Point IV : X = 553.100
Y = 101.900
Point V : Intersection de la ligne des eaux territoriales avec
le parallèle Y = 112.700.
2°/ Pour l’île Corisco : Une ligne définie par les coordonnées suivantes :
Point VI : X = 545.800
Y = 97.250
Point VII : X = 540.400
Y = 94.100
Point VIII : X = 534.400
Y = 91.000 »203.
2.46. La ligne définie par les points VI à VIII pour l’île de Corisco se trouve
à équidistance entre les côtes de cette île équato-guinéenne et les côtes de Mbanié.
La délimitation maritime ainsi proposée par le Gabon est indiquée à titre illustratif
dans le Croquis n° 2.2, ci-après (v. page 81).
203 Procès-verbal dressé par la commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la
rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 199),
par. 4.1.
79
2.47. Lors de cette réunion de Libreville, les deux délégations sont également
convenues des suites des négociations et ont confirmé leur volonté de conclure un
accord international sur la délimitation maritime204. Une troisième réunion a eu lieu
à Bata en juin 1972 sans que des progrès aient été faits205.
2.48. À la suite de cette dernière rencontre, le président Bongo s’est adressé
directement au président Macías Nguema pour débloquer les négociations206. Selon
les comptes-rendus diplomatiques de l’époque, le président équato-guinéen n’a pas
accueilli les propositions de son homologue gabonais au motif qu’elles
équivaudraient « à une violation flagrante de l’intégrité territoriale de [son]
Pays »207. En réponse, le président Bongo a exprimé ses regrets face à ce refus tout
en soulignant sa satisfaction que le président Macías Nguema partageât son
attachement à la Convention de Paris qui « a[vait] toujours été et reste pour nous le
texte de base qui détermine de manière non équivoque les frontières terrestres entre
[les] deux Pays »208.
2. L’incident de Mbanié et ses suites
2.49. Malgré les discussions, les incidents se sont multipliés dans les eaux
adjacentes aux îles Mbanié, Cocotiers et Conga. À plusieurs reprises des pêcheurs
204 Procès-verbal dressé par la commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la
rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 199),
par. 8.2.
205 Communiqué sanctionnant la réunion mixte Gabon-Guinée Équatoriale, 27 juin 1972 joint
à la Lettre de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français,
6 juillet 1972 (CMG, vol. V, annexe 118).
206 V. Note verbale du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération gabonais,
12 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 123).
207 Lettre du président de la Guinée Équatoriale au président du Gabon, 20 juillet 1972 (CMG,
vol. V, annexe 119).
208 Lettre du président du Gabon au président de la Guinée Équatoriale, 30 août 1972 (CMG,
vol. V, annexe 120).
80
Croquis n° 2.2. La proposition de délimitation maritime
faite par le Gabon en 1972
1°N
0 2 5 10 milles marins
0 2 10 20 km
Projection : WGS84. Réalisation : Gaëlle Sutton, 2022.
Ce croquis a été établi à seule fin d’illustration
Estuair e d u K o m o ( Gab o n)
Elobey
Grande B a i e d e C o r i s c o
Diéké
Cocobeach
Cocotiers
Leva (Laval)
Hoco
O C É A N
A T L A N T I Q U E
Corisco
Cap
Saint-Jean
GUINÉE ÉQUATORIALE
GABON
M o u n i
B a i e d e l a M o n d a h
Mbanié
Conga
Cap
Estérias
Cap
Santa Clara
Pointe
Denis
Petite
Point I
Point II
Point III
Point IV
Point VI
Point VII
Point VIII
Point V
81
gabonais ont été harcelés par les autorités ou des citoyens équato-guinéens ; des
coups de feu ont même été tirés sur une embarcation gabonaise209. Afin de garantir
la sécurité de ses ressortissants et pêcheurs opérant sur ces îles gabonaises et dans
les eaux adjacentes, le Gabon a mis en place un poste léger de gendarmerie sur
Mbanié le 23 août 1972. Les gendarmes gabonais y ont trouvé des Équatoguinéens,
dont quelques-uns étaient armés ; leurs armes ont été confisquées. Les
individus équato-guinéens ont été relâchés par la suite210.
2.50. Cette opération de police a suscité de vives protestations de la part de la
Guinée Équatoriale211. Le président équato-guinéen n’a, par ailleurs, pas hésité à
soutenir, sans aucun fondement, que le Gabon avait occupé toutes les îles de la
province du Rio Muni212.
2.51. Afin d’apaiser les tensions entre les deux États et de les assister dans le
règlement pacifique de leur différend dans le cadre africain, la Conférence des chefs
d’État et de gouvernement d’Afrique centrale et orientale, réunie à Dar-es-Salaam
du 7 au 9 septembre 1972, a confié une mission de bons offices aux présidents
Mobutu (République du Zaïre) et Ngouabi (République populaire du Congo).
209 V. Note verbale du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération gabonais,
12 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 123). V. également Lettre du ministre des
Affaires étrangères et de la Coopération gabonais à l’ambassadeur de Guinée Équatoriale
au Gabon, 21 février 1972 (CMG, vol. V, annexe 116).
210 Note verbale du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération gabonais,
12 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 123).
211 Note verbale n° 2581 du ministère des Affaires étrangères équato-guinéen à l’ambassade du
Gabon en Guinée Équatoriale, 1er septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 121) ; Dépêche
n° 162/DAM de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministre des Affaires
étrangères français, 9 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 122).
212 V. Télégramme du ministre des Affaires étrangères de Guinée Équatoriale au représentant
permanent de Guinée Équatoriale aux Nations Unies (MGE, vol. VI, annexe 164). V.
également télégramme adressé au président du Conseil de sécurité par le représentant de la
Guinée Équatoriale, 11 septembre 1972, doc. S/10789.
83
2.52. Lors de la première rencontre entre les quatre présidents, le
17 septembre 1972 à Kinshasa, les présidents Bongo et Macías Nguema ont décidé
de « régler leur différend dans le cadre africain et par des voies pacifiques », de
« renoncer à tout recours à la force » et de « cesser immédiatement toute forme
d’attaque réciproque dans la presse tant écrite que parlée »213. Il a été également
décidé de créer une commission en vue d’étudier tous les aspects du problème et de
recommander les voies et moyens susceptibles de conduire à une solution définitive
au différend214. Le 18 septembre 1972, cette commission a résolu, entre autres, de
consulter l’Espagne et la France sur « l’identité de la puissance qui, à la veille de
l’indépendance de la République gabonaise et de la République de Guinée
Équatoriale, avait la responsabilité de l’administration des îles Mbana, Cocotier et
Conga »215. Cette invitation précisait par ailleurs :
« En effet la Convention du 27/6/1900 qui établit la délimitation des
possessions françaises et espagnoles dans le golfe de Guinée ne fait
nulle part une mention expresse de l’île Mbane dont la souveraineté
constitue aujourd’hui l’objet du différend entre la République
gabonaise et la République de Guinée Équatoriale »216.
2.53. Le gouvernement français a transmis sa position sur la question le
27 septembre 1972 soutenant que « la Convention du 27 juin 1900 attribu[ait] cette
souveraineté [sur Mbanié] à la France, et donc au Gabon à titre d’État
213 Communiqué final de mission, Kinshasa, 17 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 125).
214 Ibid.
215 V. Télégramme n° 670/672 de l’ambassade de France à Kinshasa au ministère des Affaires
étrangères français, 19 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 126).
216 Télégramme n° 670/672 de l’ambassade de France à Kinshasa au ministère des Affaires
étrangères français, 19 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 126).
84
successeur »217. Dans son exposé soumis à la commission, l’Espagne soutenait le
contraire218.
2.54. La dernière réunion entre les quatre présidents a eu lieu à Brazzaville
du 11 au 13 novembre 1972. Après des discussions, y compris sur le rapport
de la commission, les présidents gabonais et équato-guinéen se sont mis d’accord
sur la « neutralization of the disputed zone in Corisco Bay » et « delimitation by the
OAU ad hoc Commission of the maritime boundary between the Gabonese Republic
and the Republic of Equatorial Guinea in Corisco Bay, in accordance with the spirit
of the Charter of the Organization of African Unity »219 ; ils se sont également
engagés « to comply with the spirit of the Brazzaville Conference held November 11
to 13, 1972 »220.
B. LES QUESTIONS RELATIVES À LA FRONTIÈRE TERRESTRE
2.55. Après 1960, la frontière terrestre définie par la Convention de Paris n’a
été remise en question ni par l’Espagne ni, après 1968, par la Guinée Équatoriale.
En effet, le Gabon et la Guinée Équatoriale ont réaffirmé la validité de la
217 Télégramme n° 304/12 du ministère des Affaires étrangères français à l’ambassade de
France à Kinshasa, 27 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 128).
218 Mémorandum espagnol sur la souveraineté sur les îles Mbanié, Conga et Cocotiers et leur
administration, 16 octobre 1972 (CMG, vol. V, annexe 130).
219 Communiqué final de la conférence des chefs d’État et de gouvernement d’Afrique centrale
et orientale, Brazzaville, 13 novembre 1972, (MGE, vol. VII, annexe 201) (traduction de la
Guinée Équatoriale de l’original en espagnol : « La neutralización de la zona litigiosa en la
bahía de Corisco » et « La delimitación por la Comisión ad hoc de la O.U.A. de las
fronteras marítimas entre la República Gabonesa y la República de Guinea Ecuatorial en
la bahía de Corisco conforme al espíritu de la Carta de la O.U.A. »).
220 Ibid. (traduction de la Guinée Équatoriale de l’original en espagnol : « conformarse al
espíritu de la Conferencia de Brazzaville del 11 al 13 de noviembre de 1972. »).
85
Convention de Paris à laquelle ils acceptaient d’avoir succédé 221 . En 1965,
l’ancienne puissance coloniale du Gabon a d’ailleurs considéré que les frontières
du Gabon avec le Rio Muni avaient « été définies par le traité de Paris du
27 Juin 1900 »222.
2.56. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale fait néanmoins croire
qu’après l’indépendance du Gabon, ce dernier et l’Espagne ont confirmé l’existence
d’une autre frontière que celle de la Convention de Paris. Elle fait grand cas du soidisant
accord relatif à la circulation et les échanges transfrontaliers entre l’État
espagnol et le Gabon en 1966223. Pourtant, la Guinée Équatoriale ne conteste pas
que cet accord n’est jamais entré en vigueur224 ; elle se borne à se référer, dans une
note de bas de page, à un extrait de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Qatar c.
Bahreïn225, probablement pour attacher à ce texte non-ratifié une valeur qu’il ne
peut avoir. Quoi qu’il en soit, les négociations menées au milieu des années 1960 à
l’initiative du Gabon n’avaient aucunement pour but et objet de définir ou de
préciser le cours de la frontière terrestre ; il s’agissait simplement de déterminer les
relations frontalières entre le Gabon et la partie continentale des possessions
espagnoles dans le golfe de Guinée. Qui plus est, l’ensemble des documents versés
au dossier par la Guinée Équatoriale ne sont que des propositions unilatérales faites
lors des négociations. Au mieux, ces échanges permettent de conclure que, peu
après l’indépendance du Gabon, les incertitudes concernant le tracé de la frontière
terrestre sur le terrain et les empiétements de la Guinée espagnole sur le territoire
221 Lettre du président de la Guinée Équatoriale au président du Gabon, 20 juillet 1972 (CMG,
vol. V, annexe 119) ; Lettre du président du Gabon au président de la Guinée Équatoriale,
30 août 1972 (CMG, vol. V, annexe 120).
222 Dépêche n° 3/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires
étrangères français, 7 janvier 1965 (CMG, vol. IV, annexe 107).
223 MGE, vol. I, pars. 3.103-3.104 et 3.108.
224 Ibid., par. 3.103 (in fine).
225 Ibid., note 190, se référant à Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et
Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 68, par. 89.
86
gabonais au sud du 1er parallèle de latitude Nord et à l’est du 9e méridien de
longitude Est de Paris constatés dès les années 1950 par les autorités françaises
subsistaient226 ; c’est d’ailleurs également le cas pour l’empiétement du Gabon au
nord du 1er parallèle de latitude Nord dans les environs de Médouneu227.
2.57. À partir du mois de mars 1974, plusieurs incidents, que la Guinée
Équatoriale a choisi de taire dans son mémoire, se sont produits dans le secteur le
plus septentrional de la frontière terrestre entre le Gabon et la Guinée Équatoriale,
dans les environs d’Ebebiyin (Guinée Équatoriale) et de Bitam (Gabon). Des
ressortissants gabonais ont été chassés de leurs plantations dans la région et un
ressortissant gabonais a été enlevé par les forces équato-guinéennes228. À la fin du
mois de mai 1974, la Guinée Équatoriale a installé un poteau frontalier sur la rive
gauche de la rivière Kyé en territoire gabonais229. Le 17 juin 1974, une brigade de
la gendarmerie gabonaise a enlevé ce signe frontalier230. Face à une situation très
tendue et à la présence de forces militaires des deux États de part et d’autre de la
frontière, les autorités locales gabonaises ont tenté d’engager des discussions avec
leurs homologues équato-guinéennes. Les émissaires gabonais envoyés le
226 V. supra, par. 2.28.
227 V. Directorat général des territoires africains et provinces, Étude de la frontière entre le
Gabon et le Rio Muni – Points de croisement (1965) (MGE, vol. III, annexe 6) (« Moffut
Highway in Río Muni to Medoneu in Gabon »). Le Gabon note que le document contenu
dans l’annexe 6 ne peut être qu’une étude préparée unilatéralement par l’État espagnol ou
les autorités du Rio Muni. En aucun cas, il s’agit d’un accord ou instrument international
contrairement à ce que la classification de ce document par la Guinée Équatoriale semble
suggérer.
228 Fiche n° 497/4.GEND.CAB.S.G. du commandant en chef de la gendarmerie au président
gabonais, 21 juin 1974 (CMG, vol. V, annexe 133), p. 1.
229 V. également Télégramme de l’ambassade du Royaume Uni au Cameroun, 16 juillet 1974
(MGE, vol. VI, annexe 175).
230 Fiche n° 497/4.GEND.CAB.S.G. du commandant en chef de la gendarmerie au président
gabonais, 21 juin 1974 (CMG, vol. V, annexe 133), p. 1.
87
18 juin 1974 ont cependant été interceptés dès qu’ils eurent franchi la rivière,
arrêtés et transférés à Ebebiyin en Guinée Équatoriale231.
2.58. L’ambassadeur du Gabon à Malabo s’est rendu à la fin du mois de
juin 1974 à Ebebiyin sur invitation et en compagnie du vice-ministre des relations
extérieures équato-guinéen. À son retour, il a rapporté que « l’incident de frontière
survenu entre le Gabon et la Guinée Equatoriale provient d’une confusion
volontaire de la part des autorités équato-guinéennes entre la frontière rectiligne
fixée par le Traité de Paris à 11 degrés vingt minutes de longitude Est et le cours
sinueux de la rivière Kye situé en plusieurs endroits à l’Est de cette ligne »232. Afin
de réduire les tensions locales, les deux représentants se sont accordés sur la
libération des deux émissaires gabonais détenus en Guinée Équatoriale et ont
confirmé que « le panneau frontière équato-guinéen ne serait pas replacé sur la
rivière tant [qu’ils] n’auraient pas fait leur rapport à leurs Chefs d’État
respectifs »233.
2.59. En conclusion, pendant la période coloniale et après l’indépendance du
Gabon et de la Guinée Équatoriale, les plus grandes incertitudes ont subsisté
concernant la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga. Par ailleurs,
aucune modification de la frontière délimitée par la Convention de Paris n’est
intervenue et ce malgré les incertitudes et incohérences constatées, ainsi que les
incidents qui se sont produits. Les incidents ayant eu lieu au début de l’année 1974
dans les environs d’Ebebiyin ont finalement donné un nouvel élan aux négociations
frontalières entre le Gabon et la Guinée Équatoriale.
231 Fiche n° 497/4.GEND.CAB.S.G. du commandant en chef de la gendarmerie au président
gabonais, 21 juin 1974 (CMG, vol. V, annexe 133), p. 2.
232 Télégramme n° 65/66/67 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des
Affaires étrangères français, 25 juin 1974 (CMG, vol. V, annexe 134).
233 Ibid.
88
CHAPITRE III.
LA CONCLUSION DE LA CONVENTION DE BATA
3.1. En 1974, les entrevues, entretiens et négociations entre les plus hautes
autorités gabonaises et équato-guinéennes ont continué afin de trouver une solution
à la question de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre et à celle de
la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga. Ils ont abouti en
septembre 1974 à la conclusion de la Convention délimitant les frontières terrestres
et maritimes de la Guinée Équatoriale et du Gabon à Bata (la « Convention de
Bata »).
3.2. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale ne nie pas que les présidents
des deux États se sont réunis à Bata en septembre 1974234. Néanmoins, en dehors
d’une seule phrase, elle ne fournit aucun élément factuel sur les circonstances ou
les résultats de cette rencontre, tout comme si ces évènements, d’une importance
capitale, n’avaient pas existé. Elle reste également muette sur les événements,
entretiens et conférences de presse ayant eu lieu peu après cette visite d’État qui
confirment la signature d’une convention par les deux présidents lors de leur
rencontre à Bata.
I. Les entrevues préalables concernant le règlement
des questions territoriales et frontalières
3.3. Le 13 juillet 1974, les présidents Bongo et Macías Nguema se sont
rendus ensemble à Bitam (Gabon) et à Ebebiyin (Guinée Équatoriale) pour
234 MGE, vol. I, p. 84. L’intérêt porté par la Guinée Équatoriale à cette rencontre est si minime
qu’elle n’a même pas daigné de numéroter le paragraphe dans lequel elle en accepte la
réalité historique.
89
s’entretenir au sujet de la frontière entre les deux États dans cette région235 et des
récents incidents préoccupants236.
3.4. Selon les informations fournies par le président Bongo à l’ambassadeur
de France à son retour, les « malentendus » concernant le cours de la frontière
terrestre ont pu être dissipés lors de cette rencontre et un « modus vivendi » a été
convenu237. Le président Macías Nguema a reconnu « la ligne frontière telle qu’elle
était définie par les accords anciens »238. Le président Bongo a également rapporté
à l’ambassadeur de France à Libreville que le président Macías Nguema « avait
admis en particulier, que le carrefour situé à 2 km 500 à l’ouest de la rivière Kye
[aussi appelé « carrefour international »] constituait bien le lieu de rencontre des
trois frontières du Gabon, de la Guinée Équatoriale et du Cameroun »239 . Par
ailleurs, les deux chefs d’État sont convenus « de créer une commission mixte qui
aura pour tâche de vérifier et de fixer définitivement, sur toute sa longueur, le tracé
de la frontière continentale entre le Gabon et la Guinée Équatoriale » 240 . Ces
235 Télégramme n° 76 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des
Affaires étrangères français, 14 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 136) ; Bulletin de
renseignements n° 82/GAB/AFA/CD de l’attaché des forces armées auprès de l’ambassade
de France au Gabon, 18 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 140) ; Dépêche n° 101/DAM de
l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères français,
1er août 1974 (CMG, vol. V, annexe 144), p. 11 ; « Fin du malentendu frontalier entre le
Gabon et la Guinée Équatoriale », Cameroun Tribune, 15 juillet 1974 (CMG, vol. V,
annexe 137).
236 V. supra, pars. 2.57-2.59.
237 Télégramme n° 561/563 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires
étrangères français, 15 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 138), p. 1.
238 Ibid.
239 Ibid.
240 Ibid., p. 2.
90
informations sont corroborées par d’autres sources241, y compris provenant de
Malabo242.
3.5. Il ressort également de la correspondance diplomatique de l’époque
qu’aussi bien le Gabon que la Guinée Équatoriale ont, à la suite de cette réunion,
tenté de réunir des éléments factuels et documentaires concernant leur frontière
commune auprès des anciennes puissances coloniales, pour mener à bien le
processus de négociations techniques. Ainsi, au lendemain de la rencontre du mois
de juillet 1974, l’ambassadeur de France au Gabon a informé sa hiérarchie que le
président Bongo avait demandé la communication de documents d’archives
français relatifs à la délimitation de la frontière243. Les autorités équato-guinéennes
ont également sollicité le concours des autorités des anciennes puissances
coloniales, voire leur intervention et médiation244.
241 Télégramme n° 2676 de l’ambassade des États-Unis au Cameroun au secrétaire d’État
américain, 15 août 1974 (CMG, vol. V, annexe 146) ; Bulletin de renseignements
n° 82/GAB/AFA/CD de l’attaché des forces armées auprès de l’ambassade de France au
Gabon, 18 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 140), p. 4. V. également « Fin du malentendu
frontalier entre le Gabon et la Guinée Équatoriale », Cameroun Tribune, 15 juillet 1974
(CMG, vol. V, annexe 137) ; « Gabon – Guinée Équatoriale : Négociation éclaire », Jeune
Afrique, 27 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 143).
242 Télégramme n° 78/79 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des
Affaires étrangères français, 15 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 139) ; Télégramme n° 85
de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères
français, 20 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 141).
243 Télégramme n° 561/563 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires
étrangères français, 15 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 138), p. 2 ; Lettre n° 200/DAM/1
du ministre des Affaires étrangères français au secrétaire d’État à la Culture, 26 août 1974
(CMG, vol. V, annexe 147). Des demandes comparables avaient également été formulées
avant la rencontre du 13 juillet 1974. V. par exemple, Télégramme n° 556/557 de
l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires étrangères français,
12 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 135).
244 Télégramme n° 78/79 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des
Affaires étrangères français, 15 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 139) ; Télégramme n° 85
de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires étrangères
français, 20 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 141).
91
3.6. Par ailleurs, les autorités gabonaises ont précisé leur position juridique
concernant la détermination d’une frontière maritime conforme aux principes
pertinents du droit international. Une note du conseiller juridique du ministère des
Mines, de l’Industrie, de l’Énergie et des Ressources hydrauliques datée du
6 août 1974 rappelle qu’« [u]ne nouvelle réunion d’experts est prévue pour la
délimitation des frontières maritimes entre la Guinée Equatoriale et le Gabon »245.
Les conclusions et propositions de l’auteur de la note concernant la frontière
maritime et l’enclavement des îles Elobey et de l’île de Corisco sont conformes à
la position gabonaise lors des négociations246 et ont été reprises, au moins en partie,
lors des discussions ayant eu lieu en septembre 1974 et dans le texte de la
Convention de Bata.
II. La visite d’État du président Bongo en Guinée Équatoriale et
la signature de la Convention de Bata
3.7. Le 9 septembre 1974, le président Bongo, accompagné d’une importante
délégation gabonaise, s’est rendu à Malabo en Guinée Équatoriale pour une visite
d’État sur invitation du président Macías Nguema. Cette visite d’État s’est
poursuivie le 11 septembre à Bata dans la partie continentale de la Guinée
Équatoriale avant que le président Bongo retourne, le 12 septembre au soir, à
Libreville. Le président équato-guinéen était accompagné à Malabo et à Bata par
une importante délégation qui comprenait, entre autres, l’actuel président de la
245 Note du conseiller technique sur les frontières maritimes entre la Guinée Équatoriale et le
Gabon, 6 août 1974 (CMG, vol. V, annexe 145), p. 1.
246 Procès-verbal dressé par la commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la
rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 199),
pars. 4.1-4.3. V. également supra, par. 2.45.
92
Guinée Équatoriale, M. Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, visible sur les
photographies publiées par l’hebdomadaire L’Union247 :
L’actuel président de la Guinée Équatoriale apparaît également, à plusieurs reprises,
dans le reportage audiovisuel préparé par les services télévisés gabonais248 :
247 « ‘Tout est réglé !’ avec la Guinée Équatoriale », L’Union, 20 septembre 1974 (CMG, vol. V,
annexe 150), p. 1.
248 Reportage audiovisuel sur la visite d’État du président Bongo en Guinée Équatoriale et sa
retranscription (CMG, vol. II, annexe V2).
Président Macías Nguema
Président Bongo
Président Teodoro Obiang
Nguema Mbasogo
93
Président Macías Nguema
Président Bongo
Président Teodoro Obiang
Nguema Mbasogo
Président Macías Nguema
Président Bongo
Président Teodoro Obiang
Nguema Mbasogo
94
3.8. Lors de cette visite, les experts des deux Parties ont continué à
s’entretenir sur la délimitation des frontières terrestre et maritime, dans l’esprit de
l’accord intervenu entre les deux présidents lors de la visite et des entretiens du
mois de juillet 1974249. Les pourparlers se sont poursuivis entre les deux présidents
et leurs experts respectifs. La Convention de Bata entérinant l’accord des Parties a
été signée le 12 septembre 1974, à la fin de la visite d’État. Les services télévisés
gabonais ont filmé une partie de ces négociations et la conclusion de la
Convention250. Quelques images extraites de cet enregistrement audiovisuel sont
reproduites ci-dessous.
249 V. supra, pars. 3.3-3.6.
250 Reportage audiovisuel sur la visite d’État du président Bongo en Guinée Équatoriale sa
retranscription (CMG, vol. II, annexe V2).
Président Macías Nguema
Président Bongo
95
96
97
3.9. Les images montrent les deux présidents entourés d’autres membres de
leur délégation en train de discuter autour de documents et cartes. Elles montrent
également les deux présidents signer un document. Les commentaires
accompagnant ces images précisent :
« Les entretiens des deux chefs d’État ont permis ensuite de résoudre
de manière définitive le problème de la délimitation des frontières entre
la Guinée Équatoriale et le Gabon. C’est là un point capital qui
supprime pour les deux pays une cause de litige parfois épineuse. ‘Tout
est réglé’, allait pouvoir affirmer avec une vive satisfaction le président
Bongo à son retour à Libreville. »251
3.10. Une semaine après la signature de la Convention de Bata,
l’hebdomadaire gabonais L’Union a titré que « ‘Tout est réglé’ avec la Guinée
Équatoriale »252. Il a rapporté par ailleurs que « le président Bongo a[vait] eu avec
son homologue équato-guinéen d’importants entretiens qui se sont soldés par la
publication d’un communiqué final » dont il reproduisait les « principaux
extraits »253. Parmi ces extraits, sous le titre « Délimitation des frontières », on peut
lire :
« Sur le plan bilatéral, les deux chefs d’Etat ont tour à tour exalté la
qualité des liens très divers, la profondeur des sentiments fraternels, et
la cordialité des rapports qui ont toujours uni leurs deux peuples. Ils ont
convenu de la nécessité de donner une impulsion nouvelle à l’évolution
des relations existant entre les deux pays. Ils ont à cet effet procédé à la
signature d’une convention portant délimitation des frontières terrestres
et maritimes entre la République Gabonaise et la République de Guinée
Équatoriale. »254
251 Reportage audiovisuel sur la visite d’État du président Bongo en Guinée équatoriale et sa
retranscription (CMG, vol. II, annexe V2).
252 « ‘Tout est réglé !’ avec la Guinée Équatoriale », L’Union, 20 septembre 1974 (CMG,
vol. V, annexe 150), p. 1.
253 Ibid., p. 3.
254 Ibid.
98
3.11. L’article dans l’hebdomadaire L’Union est accompagné de plusieurs
photographies. Une de ces photographies montre les deux chefs d’État lors de leur
rencontre à Bata, entourés de leurs collaborateurs en train de signer un document.
Selon la description de cette photographie il s’agit de la signature du « communiqué
final »255.
III. Le contenu de la Convention de Bata
3.12. Malgré tous ses efforts, le Gabon n’a pas pu retrouver dans ses archives
un original de la Convention de Bata signée le 12 septembre 1974. À sa demande,
le ministère des Affaires étrangères français a cependant localisé une ampliation
des versions française et espagnole de ce document qui avait été envoyée peu après
255 « ‘Tout est réglé !’ avec la Guinée Équatoriale », L’Union, 20 septembre 1974 (CMG, vol. V,
annexe 150), p. 3.
99
la signature par le président Bongo à l’ambassadeur de France à Libreville256. Une
copie de cette ampliation, dont l’original demeure toujours dans les archives du
ministère des Affaires étrangères français257, est jointe au présent contre-mémoire
en tant qu’annexe 155.
3.13. Ce texte porte le titre « Convention délimitant les frontières terrestres et
maritimes de la Guinée-Équatoriale et du Gabon », dans la version française, ou
« Convención delimitando las fronteras terrestres y maritimas de la Guinea
Ecuatorial y del Gabón », dans la version espagnole. Le texte proprement-dit est
composé d’un préambule et de dix articles.
a) L’article 1 décrit « la limite entre la République de la Guinée Équatoriale et
la République Gabonaise sur la côte du golfe de Guinée » reproduisant
presque mot pour mot le texte de l’article 4 de la Convention de Paris. Il
précise cependant que cette description de la frontière est faite « [s]ous
réserve des dispositions de l’article 2 ».
b) L’article 2 prévoit la cession d’une partie de territoire par la Guinée
Équatoriale au profit du Gabon et, « [e]n compensation », d’une partie de
territoire par le Gabon au profit de la Guinée Équatoriale.
c) Conformément à l’article 3, les « hautes parties contractantes reconnaissent,
d’une part, que l’île MBANIE fait partie intégrante du territoire de la
République gabonaise, et d’autre part, que les îles ELOBEY et l’île
CORISCO font partie intégrante du territoire de la République de GuinéeÉquatoriale
».
256 V. aussi infra, par. 3.22.
257 Lettre n° 12/AL de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères,
de la Coopération et de la Francophonie gabonais, 6 janvier 2004 (CMG, vol. V,
annexe 172).
100
d) L’article 4 établit « [l]a frontière maritime entre la République de GuinéeÉquatoriale
et la République gabonaise » et concède à la Guinée Équatoriale
des « portions d’eau » autour des îles Elobey et de l’île de Corisco tout en en
définissant la largeur.
Le Croquis n° 3.1 ci-après (v. page 103) montre la frontière entre le Gabon
et la Guinée Équatoriale conformément aux articles 1 à 4 de la Convention de
Bata.
e) L’article 5 reconnaît aux navires équato-guinéens un régime d’usage dans les
eaux territoriales gabonaises « [p]our l’accès par mer à la rivière Mouni ainsi
qu’aux îles ELOBEY et CORISCO ». Cette disposition précise par ailleurs
qu’« [i]l en sera de même, à titre de réciprocité, pour les navires gabonais
dans les eaux territoriales équato-guinéennes » et définit des régimes
particuliers pour la pêche dans les rivières Mouni et Outemboni et pour la
police. L’article 6 souligne que ces droits et avantages sont réservés aux
ressortissants des deux Parties.
f) Les articles 7 et 8 prévoient, d’une part, la conclusion de protocoles d’accord
afin de préciser les « limites exactes » des portions de territoire échangées et
de préciser les modalités d’application de la Convention et, d’autre part, la
matérialisation des frontières.
g) L’article 9 contient des dispositions concernant le règlement des litiges « nés
de l’application ou de l’interprétation du présent traité de la présente
Convention »258.
258 Lettre n° 12/AL de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires étrangères,
de la Coopération et de la Francophonie gabonais, 6 janvier 2004 (CMG, vol. V,
annexe 172). Les corrections indiquées dans la citation figurent dans le texte de façon
manuscrite. Ces corrections sont paraphées.
101
h) L’article 10 précise que « [l]a présente Convention entrera en vigueur dès sa
signature ».
3.14. Les deux présidents ont apposé leur signature en bas des deux versions
linguistiques : sur la version française, la signature du président Bongo figure à
gauche, et celle du président Macías Nguema à droite. Sur la version espagnole, la
signature du président Macías Nguema est à gauche, tandis que celle du président
Bongo est à droite.
3.15. Sur la version française, une note figure en dessous des signatures :
« N.B. Les deux Chefs d’État conviennent de proc[é]der ultérieurement
à une nouvelle rédaction de l’article 4, afin de la mettre en conformité
avec la Convention de 1900. »
3.16. Sur la copie de la version espagnole, cette note n’apparaît pas sous
forme dactylographiée. Néanmoins, cette version contient une note manuscrite et
paraphée sur la marge gauche de la deuxième page. Cette note est libellée ainsi :
« El articulo 4º sera examinado por los dos Jefes de Estado
ulteriormente, conforme la Convención de 1900. »259
IV. Les déclarations des deux présidents au lendemain
de la visite d’État et de la signature de la Convention à Bata
3.17. À son retour à Libreville, le président Bongo a déclaré que tout était
réglé entre le Gabon et la Guinée Équatoriale 260 . L’ambassadeur de France à
259 Cette note manuscrite apparaît, en partie, dans la version espagnole de la Convention de
Bata annexée par la Guinée Équatoriale à son mémoire comme annexe 217 (MGE, vol. VII).
La traduction versée au dossier par la Guinée Équatoriale précise : « [handwritten note]:
[illegible] subsequently, in accordance with the 1900 Convention ».
260 « ‘Tout est réglé !’ avec la Guinée Équatoriale », L’Union, 20 septembre 1974 (CMG,
vol. V, annexe 150) ; Reportage audiovisuel sur la visite d’État du président Bongo en
102
Croquis n° 3.1. La frontière délimitée par la Convention de Bata
1 : Grande et
Petite Elobey
1
Projection : WGS84. Réalisation : Gaëlle Sutton, 2022.
Ce croquis a été établi à seule fin d’illustration
Cocobeach
Diéké
GABON
Bata
Libreville
O C É A N
A T L A N T I Q U E
Médouneu
Ngong
Ebebiyin
CAMEROUN
GUINÉE ÉQUATORIALE
Benito
Allen
Kyé
Outemboni
Outemboni
CongMabaniéCocotiers
Corisco
Mouni
1°N
10°E 11°E
2°N 2°N
1°N
9°E Paris
0 2 5 10 milles marins
0 2 10 20 km
103
Libreville a rapporté que, lors d’une conférence de presse donnée à l’aéroport de
Libreville, le président gabonais avait annoncé qu’« il avait signé avec le président
Macías Nguema un accord sur la délimitation des frontières ‘terrestres et maritimes’
entre les deux pays et que ce problème était définitivement réglé »261.
3.18. Quelques semaines plus tard, le président Bongo a fait part à
l’ambassadeur de France à Libreville des résultats de sa visite à Malabo et à Bata.
Selon le compte rendu de cet entretien préparé par l’ambassadeur pour sa hiérarchie,
le président Bongo a « déclaré de prime abord, que la question [de la délimitation
des frontières entre le Gabon et la Guinée Équatoriale] avait, dans son ensemble,
été définitivement r[é]glée »262. Et l’ambassadeur de continuer :
« Certes, les discussions au niveau des experts s’étaient révélées ardues
et il avait été nécessaire que les deux Présidents exercent leur arbitrage.
Mais un accord avait p[u] être élaboré et une convention, datée du
12 septembre, signée par les deux Chefs d’État.
Ainsi la frontière maritime avait-elle été déterminée et les droits des
Gabonais reconnus sur l’île de Mbanié ainsi que sur l’enclave que forme
la ville de Médouneu au Nord du premier parallèle. En contre-partie,
quelques concessions avaient été faites aux Equato-Guinéens sur leur
frontière orientale, à la hauteur des localités d’Ebebiyin et de
Ngong. »263
3.19. Par ailleurs, le président Bongo avait insisté sur le fait qu’« [i]l
s’agissait d’une convention (…) et non d’un traité afin d’éviter une ratification
Guinée Équatoriale et sa retranscription (CMG, vol. II, annexe V2) ; Télégramme n° 1139
de l’ambassade des États-Unis au Cameroun au secrétaire d’État américain,
14 septembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 149).
261 Télégramme n° 691/692 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires
étrangères français, 13 septembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 148).
262 Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires
étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156), p. 2.
263 Ibid.
105
parlementaire qui aurait p[u] être prétexte à une nouvelle contestation, voire à une
remise en cause de l’accord »264.
3.20. Le 1er octobre 1974, le président équato-guinéen a reçu l’ambassadeur
de France en Guinée Équatoriale et l’a informé des négociations relatives à la
frontière avec le Gabon 265 . Selon le rapport de l’ambassadeur de France, le
président Macías Nguema lui a expliqué lors de cet entretien les détails de l’accord
intervenu quant à la délimitation de la frontière terrestre et à l’échange de certains
territoires266, conformes au texte de la Convention du 12 septembre 1974 et, plus
particulièrement, à ses articles 1 et 2. Le président a également confirmé « qu’il
avait abandonné au Gabon la souveraineté de jure sur M’Banie, Cocotier et
Conga »267. Finalement, il s’est référé à la frontière maritime telle qu’elle est décrite
dans l’article 4 de la Convention de Bata tout en qualifiant cette solution d’exigence
de la délégation gabonaise268 et en ajoutant qu’« [i]l aurait souhaité toutefois que la
limite des eaux territoriales entre les deux pays fut fixée, comme la frontière
terrestre, sur le 1° de latitude Nord et qu’il n’y ait pas de solution de continuité entre
les eaux territoriales attenantes au Rio Muni et celles qui ent[our]eraient l’ensemble
des îles Corisco, Elobey Grande et Elobey Chico »269.
3.21. Au lendemain de la fête nationale de la Guinée Équatoriale, le
13 octobre 1974, le président Macías Nguema a exposé aux représentants
diplomatiques les résultats des négociations concernant la délimitation des
264 Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires
étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156), p. 3.
265 Dépêche d’actualité n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale
à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères
français, 2 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 152), pp. 4-5.
266 Ibid., pp. 5-7.
267 Ibid., p. 7.
268 Ibid., p. 8.
269 Ibid., p. 7.
106
frontières avec le Gabon270. De nouveau, il a confirmé que des négociations avaient
eu lieu à Bata entre les deux chefs d’États lors de la visite d’État du mois de
septembre 1974271 et que les deux Parties avaient fait des concessions concernant
la frontière terrestre272. Il a précisé par ailleurs qu’il « avait tiré un trait définitif sur
cette affaire » et qu’il avait « renoncé à toute discussion ultérieure au sujet des
frontières terrestres »273. Le président équato-guinéen a également concédé avoir
« entièrement abandonné ses droits de souveraineté sur M’Banié, Cocotier et
Conga »274. Il a présenté la solution retenue par la Convention de Bata quant à la
délimitation maritime, tout en suggérant que la Guinée Équatoriale avait fait des
propositions afin d’apporter des légères modifications permettant de mieux
satisfaire les intérêts équato-guinéens275.
3.22. Comme il l’avait annoncé lors d’un entretien276, le président gabonais a
transmis une ampliation des versions française et espagnole de la Convention signée
le 12 septembre 1974 à l’ambassadeur de France à Libreville par lettre datée du
270 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale
à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères
français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153) ; Télégramme n° 3385 de
l’ambassade des États-Unis au Cameroun au secrétaire d’État américain, 16 octobre 1974
(CMG, vol. V, annexe 154).
271 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale
à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères
français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153), pp. 3-4.
272 Ibid., p. 4.
273 Ibid., p. 5.
274 Ibid., p. 5. V. aussi Télégramme n° 3385 de l’ambassade des États-Unis au Cameroun au
secrétaire d’État américain, 16 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 154), point B(4).
275 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale
à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères
français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153), p. 6. V. aussi Télégramme n° 3385
de l’ambassade des États-Unis au Cameroun au secrétaire d’État américain, 16 octobre 1974
(CMG, vol. V, annexe 154), point C.
276 Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires
étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156), p. 3.
107
28 octobre 1974277. Dans cette lettre, le président Bongo a précisé qu’il avait « jugé
utile de [s]e conformer à cette pratique internationale, non tapageuse, qui
recommande aux pays amis de s’informer mutuellement de l’évolution de leur
rapport avec les États tiers »278. L’ambassadeur de France à Libreville a transféré
la lettre du président Bongo et l’ampliation de la Convention de Bata au ministre
des Affaires étrangères à Paris279.
3.23. Lors d’un entretien avec l’ambassadeur de France à Malabo, le
23 décembre 1974, le président Macías Nguema a réitéré ses propos tenus le
1er octobre 280 devant l’ambassadeur et le 13 octobre devant le corps
diplomatique281 ; il a ajouté « qu’il voulait et avait toujours voulu la paix et ne
pouvait d’ailleurs pas se risquer à un conflit avec un pays frère comme le Gabon,
malgré l’injustice dont il était victime au sujet des eaux territoriales de Corisco et
des deux Elobey » 282 . Ces propos confirment qu’un règlement des questions
relatives à la délimitation des frontières terrestres et maritimes et de celle
concernant la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga est bel et bien
intervenu, même si le président équato-guinéen n’était pas entièrement satisfait des
résultats.
3.24. Par ailleurs, les informations fournies par les autorités diplomatiques à
Malabo et à Libreville confirment l’existence de la Convention de Bata.
277 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG,
vol. V, annexe 155). V. également, pour une copie de la lettre sans ses annexes : MGE,
vol. VI, annexe 176.
278 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG,
vol. V, annexe 155).
279 Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires
étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156), p. 2.
280 V. supra, par. 3.20.
281 V. supra, par. 3.21.
282 Télégramme n° 134 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des
Affaires étrangères français, 23 décembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 157).
108
a) En avril 1975, l’ambassadeur de France à Malabo a fait part de son
étonnement quant à l’absence de contrôle exercé par les autorités gabonaises
dans la zone entre Mongomo et Ebebiyin283 ; il a néanmoins rapporté les
propos de l’ambassadeur du Gabon selon lesquels le « principe de la
souveraineté gabonaise sur la zone n’en est point pour autant entaché » et que
les forces gabonaises dans la région avait « reçu mission de faire preuve de
vigilance » 284 . L’ambassadeur gabonais avait également assuré son
homologue français que le Gabon « n’a[vait] pas abandonné ses exigences au
sujet des eaux territoriales au voisinage de Corisco et des deux Elobey et
exerce, là aussi, une surveillance attentive »285.
b) L’ambassade américaine a rapporté des informations selon lesquelles
« Macias [felt] last years ‘settlement’ was imposed upon him by Bongo » et
le « maritime [boundary] settlement [was] also very shaky »286.
c) Dans un rapport détaillé sur les relations entre le Gabon et la Guinée
Équatoriale, l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale a rappelé les
incidents et querelles de souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga en
1972, d’une part, et concernant la frontière terrestre à Ebebiyin en 1974,
d’autre part287. Il a confirmé que ces questions avaient été réglées « par une
convention signée le 12 septembre 1974 à Bata entre les présidents du Gabon
283 Dépêche n° 92/DAM/2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministre des
Affaires étrangères français, 11 avril 1975 (CMG, vol. V, annexe 158).
284 Dépêche n° 92/DAM/2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministre des
Affaires étrangères français, 11 avril 1975 (CMG, vol. V, annexe 158).
285 Ibid.
286 Télégramme n° 621 de l’ambassade des États-Unis au Gabon, 29 avril 1975 (CMG, vol. V,
annexe 159).
287 Dépêche n° 255/DAM/2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministre des
Affaires étrangères français, 28 novembre 1976 (CMG, vol. V, annexe 160).
109
et de la Guinée Equatoriale » tout en résumant fidèlement le contenu de cet
instrument et en en annexant le texte dactylographié288.
3.25. La Convention de Bata signée par les présidents gabonais et équatoguinéen
lors de la visite d’État le 12 septembre 1974 a résolu les différends
territoriaux et frontaliers entre le Gabon et la Guinée Équatoriale et a permis une
normalisation de leurs relations bilatérales.
288 Dépêche n° 255/DAM/2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministre des
Affaires étrangères français, 28 novembre 1976 (CMG, vol. V, annexe 160).
110
CHAPITRE IV.
LES RELATIONS ENTRE LE GABON ET LA GUINÉE ÉQUATORIALE
APRÈS LA SIGNATURE DE LA CONVENTION DE BATA
4.1. La Convention de Bata a mis un terme aux crispations entre les deux
États et les vingt-cinq années suivantes ont été marquées par un climat apaisé et la
mise en oeuvre d’une politique de coopération dans de multiples domaines (I). Ce
n’est qu’en 1999 que le différend frontalier s’est cristallisé, la Guinée Équatoriale
remettant en question les engagements pris dans la Convention de Bata (II). Le
Gabon et la Guinée Équatoriale tenteront en vain de solder leur différend en ayant
recours à la médiation des Nations Unies (III).
I. L’apaisement des relations et la mise en place d’une coopération intense
entre le Gabon et la Guinée Équatoriale (1974-1999)
4.2. Le Gabon et la Guinée Équatoriale ont conclu de multiples accords de
coopération attestant de leur bonne entente et de l’absence de différend majeur entre
eux (A). Nonobstant une opposition passagère de la Guinée Équatoriale à la
souveraineté gabonaise sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga en 1984 (B), cette
coopération bilatérale s’est poursuivie dans un climat apaisé jusqu’en 1999 (C).
A. LA CONCLUSION DE MULTIPLES ACCORDS DE COOPÉRATION
4.3. À la suite de la conclusion de la Convention de Bata, les questions
concernant les frontières terrestre et maritime, d’une part, et la souveraineté sur les
îles Mbanié, Cocotiers et Conga, d’autre part, n’ont plus été abordées entre les deux
États. Les autorités équato-guinéennes, et notamment le secrétaire général de la
111
présidence de la République de Guinée Équatoriale, ont confirmé leur règlement
par la Convention de Bata289.
4.4. Les relations entre le Gabon et la Guinée Équatoriale se sont normalisées
et intensifiées. Le renversement violent mi-1979 du président Macías Nguema
(lequel a été jugé devant un tribunal militaire et exécuté la même année) et la prise
de pouvoir par M. Teodoro Obiang Nguema 290 n’ont pas affecté les bonnes
relations de voisinage. Pas moins de neuf accords de coopération ont été conclus
entre les deux États entre 1974 et 1984. Preuve de la volonté de construire une
coopération saine et durable, le premier d’entre eux a été l’Accord général de
coopération. Cet accord a été signé le 13 novembre 1979 par les ministres des
Affaires étrangères du Gabon et de la Guinée Équatoriale291. Par l’article 1,
« Les Parties Contractantes décident de poursuivre en commun, dans la
mesure de leurs possibilités et ce dans un esprit de solidarité fraternelle,
leurs efforts pour intensifier la coopération économique, sociale,
culturelle, scientifique et technique, dans tous les domaines d’intérêt
commun entre leurs deux pays, en vue de contribuer au plus haut point
à leur développement. »292
4.5. Lors de la première réunion de la grande commission mixte instaurée par
cet Accord, un grand nombre de projets d’accord de coopération dans des domaines
289 M. Liniger-Goumaz, La Guinée Équatoriale, un pays méconnu (1980) (CMG, vol. V,
annexe 165), pp. 228-229 ; D. Ndongo Bidyogo, Historia y tragedia de Guinea Ecuatorial
(1977), (CMG, vol. V, annexe 161), p. 219.
290 V. « Quand Teodoro Obiang s’emparait du pouvoir par un putsch en Guinée Équatoriale »,
Radio France Internationale, 3 août 2019 (en ligne : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20190803-
guinee-equatoriale-teodoro-obiang-putsch (consulté le 28 avril 2022)). V. également A. Artucio,
The Trial of Macias in Equatorial Guinea: The Story of a Dictatorship, Commission
internationale de Juristes et International University Exchange Fund, 1979 (en ligne :
https://www.icj.org/wp-content/uploads/1979/01/Equatorial-Guinea-fair-trial-trial-observationreport-
1979-eng.pdf (consulté le 28 avril 2022)).
291 Accord général de coopération entre le gouvernement de la République Gabonaise et le
gouvernement de la République de Guinée Équatoriale, Libreville, 13 novembre 1979
(CMG, vol. V, annexe 163).
292 Ibid., article 1.
112
divers, y compris un accord d’amitié et de bon voisinage ou un accord en matière
de travail et de libre circulation des personnes, ont été discutés293. Entre 1979 et
1984, neuf accords ont été signés entre les États sur des matières aussi nombreuses
que variées 294 :
a) l’Accord général de coopération (susvisé) en 1979 ;
b) l’Accord de coopération pétrolière en 1979 ;
c) l’Accord relatif au transport aérien en 1980 ;
d) l’Accord culturel en 1980 ;
e) l’Accord commercial en 1980 ;
f) l’Accord de coopération en matière de télécommunications en 1981 ; et
g) l’Accord de coopération en matière de marine marchande en 1983.
4.6. L’Accord de coopération pétrolière conclu le 13 novembre 1979 par les
présidents Bongo et Obiang Nguema a aussi été l’un des premiers accords conclus
dans le cadre de la mise en oeuvre de cette coopération295. Cet accord prévoyait des
engagements réciproques importants des deux États en matière pétrolière, en mer
comme sur terre :
a) le Gabon s’engageait à faire bénéficier la Guinée Équatoriale de son
« expérience pétrolière acquise sur son Territoire National, son concours et
293 Procès-verbal de la première session de la grande commission mixte Gabon-Guinée
Équatoriale, 26-30 juillet 1980 (MGE, vol. VII, annexe 202).
294 V. la liste d’accords bilatéraux conclus par le Gabon et publiée sur le site du ministère des
Affaires étrangères gabonais : http://www.diplomatie.gouv.ga/object.getObject.do?id=534
&msclkid=1370018eb0fe11ecb54a0b78ae6ad097 (consultée le 28 avril 2022).
295 Accord de coopération pétrolière entre la République de Guinée Équatoriale et la République
Gabonaise, Libreville, 13 novembre 1979 (CMG, vol. V, annexe 163).
113
son appui pour l’accès de la République de Guinée Equatoriale aux facilités
d’assistance technique et financière offertes par les Organisations
Internationales dont le Gabon est membre »296 ;
b) le Gabon et la Guinée Équatoriale concédaient à la société nationale
pétrolière gabonaise PETROGAB « un droit exclusif d’exploration et de
production pétrolières dans la zone maritime située entre le parallèle Nord de
latitude 1°01’14” (un degré, une minute, quatorze secondes) et le parallèle
Nord de latitude 0°41’32” (zéro degré, quarante et une minutes trente-deux
secondes) » 297 . La zone ainsi attribuée à la société nationale pétrolière
gabonaise – illustrée dans le Croquis n° 4.1 ci-après (v. page 115) – se
trouvait immédiatement au sud de la frontière maritime convenue en 1974,
et englobait les « portions d’eau » autour de l’île de Corisco et des îles
Elobey ;
c) les deux États créaient la « Société Mixte Pétrolière Gabono-Equato
Guinéenne, ayant pour objet toutes opérations financières, commerciales,
techniques ou autres, se rapportant directement ou indirectement à l’industrie
pétrolière en Guinée Equatoriale »298. Le Gabon s’engageait à apporter les
moyens techniques et financiers nécessaires au fonctionnement de cette
société mixte 299 et, en échange, la Guinée Équatoriale accordait à cette
dernière « un droit de première option sur toutes les zones d’exploration ou
d’exploitation pétrolières actuellement libres [sur le territoire équatoguinéen]
»300.
296 Accord de coopération pétrolière entre la République de Guinée Équatoriale et la République
Gabonaise, Libreville, 13 novembre 1979 (CMG, vol. V, annexe 163), article 5.
297 Ibid., article 6.
298 Ibid., article 7.
299 Ibid., article 8.
300 Ibid., article 10.
114
0 2 5 10 milles marins
0 2 10 20 km
Projection : WGS84. Réalisation : Gaëlle Sutton, 2022.
Ce croquis a été établi à seule fin d’illustration
Permis octroyé à la société PETROGAB
1°N
(Laval)
B a i e d e l a M o n d a h
Petite
Elobey
E s t u a i r e d u K o mo
( G a b o n )
GUINÉE ÉQUATORIALE
GABON
O C É A N
A T L A N T I Q U E
Corisco
CongMabanié Cocotiers
Leva
Hoco
M o u n i
Grande
B a i e d e C o r i s c o
Croquis n° 4.1. Permis octroyé à la société PETROGAB en vertu de
l’article 6 de l’accord de coopération pétrolière de novembre 1979
115
4.7. Pendant les dix années qui ont suivi la conclusion de la Convention de
Bata, les deux États ont été animés par une volonté réelle de mener une coopération
importante entre eux. Une telle volonté – et la conclusion de ces nombreux accords
– n’aurait pas été possible si, comme le soutient la Guinée Équatoriale301, les Parties
s’opposaient depuis plusieurs années sur un différend frontalier décisif pour
l’exercice de leur souveraineté respective.
4.8. Aucun de ces nombreux accords – y compris l’Accord général de
coopération – n’a au demeurant fait état de l’existence d’un quelconque différend
frontalier entre le Gabon et la Guinée Équatoriale, alors même que plusieurs d’entre
eux portaient sur une coopération transfrontalière, tel que l’Accord relatif au
transport aérien ou encore l’Accord de coopération relatif à la circulation des
personnes et des biens et de l’emploi.
B. LE REVIREMENT PASSAGER DE LA GUINÉE ÉQUATORIALE QUANT
À LA SOUVERAINETÉ SUR MBANIÉ, CONGA ET COCOTIERS
4.9. L’année suivant la signature de l’Accord de coopération pétrolière, le
Gabon a proposé d’élargir son champ d’application aux activités minières 302 .
Néanmoins, la délégation équato-guinéenne y a opposé une fin de non-recevoir, en
soutenant que la Guinée Équatoriale avait dénoncé cet accord de 1979, au motif
qu’il « n’avait pas été négocié par des Experts équato-guinéens »303. Malgré cette
position très catégorique de la Partie équato-guinéenne et afin de trouver une
solution mutuellement acceptable, les deux États ont engagé un processus de
301 MGE, vol. I, pars. 5.1 et s.
302 Procès-verbal de la première session de la grande commission mixte Gabon-Guinée
Équatoriale, Malabo, 26-30 juillet 1980 (MGE, vol. VII, annexe 202).
303 Procès-verbal de la première session de la grande commission mixte Gabon-Guinée
Équatoriale, Malabo, 26-30 juillet 1980 (MGE, vol. VII, annexe 202).
117
révision de l’Accord de 1979, conformément à son article 11 304. En 1982, la
commission ad hoc portant révision de l’Accord de coopération pétrolière s’est
réunie et a enregistré les propositions des deux Parties concernant plusieurs
dispositions de l’Accord de 1979. En ce qui concerne l’article 6, la Guinée
Équatoriale a proposé un amendement visant à mettre fin au droit exclusif accordé
à PETROGAB et à en accorder un à une société mixte gabono-équato-guinéenne
sur une zone à déterminer305.
4.10. Deux ans plus tard, en 1984, la commission ad hoc s’est à nouveau
réunie afin de poursuivre les négociations sur la nature et l’étendue d’une zone
d’exploitation commune et la modification de l’article 6. Néanmoins, les Parties ont
constaté que leurs positions respectives restaient irréconciliables306. La délégation
gabonaise a proposé que la zone définie dans l’article 6 de l’Accord de 1979 fasse
l’objet d’une exploitation commune307. La délégation équato-guinéenne quant à elle
a estimé l’ensemble de la zone comme relevant de sa seule souveraineté. Elle s’est
fondée sur « l’article 7 de sa constitution qui détermine le territoire national de la
République de Guinée Équatoriale constitué dans sa partie maritime par les îles de
BIOCO, CORISCO, ANNOBON, GRANDE ELOBEY, PETITE ELOBEY, et les
îlots avoisinants, et sur le récent traité de la Jamaïque de 1982 sur le droit de la
mer » pour en conclure que « la zone proposée par la Partie Gabonaise se situerait
entièrement sous souveraineté Equato-Guinéenne, étant entendu que le recours aux
textes juridiques ne signifie pas une délimitation de frontière mais la démonstration
304 Accord de coopération pétrolière entre la République de Guinée Équatoriale et la République
Gabonaise, Libreville, 13 novembre 1979 (CMG, vol. V, annexe 163), article 11.
305 Procès-verbal de la commission ad hoc portant révision de l’Accord de coopération pétrolière
entre la République de Guinée Équatoriale et la République Gabonaise, Libreville,
18 mars 1982 (CMG, vol. V, annexe 167), pp. 3-4. V. aussi MGE, vol. VII, annexe 203.
306 Procès-verbal de la deuxième réunion de la commission ad hoc portant révision de l’Accord
de coopération pétrolière entre la République de Guinée Équatoriale et la République
Gabonaise, Libreville, 13 septembre 1984 (CMG, vol. V, annexe 169), p. 4.
307 Ibid., p. 3.
118
de la souveraineté Equato-Guinéenne sur cette zone ». Il est à noter que,
logiquement, la Partie équato-guinéenne n’a cependant pas fait référence aux îles
Mbanié, Cocotiers et Conga, dont le sort avait été réglé par la Convention de
Bata308.
4.11. Mais l’année suivante, en novembre 1985, que la Guinée Équatoriale a
dénié au Gabon sa souveraineté sur les îles Mbanié, Conga et Cocotiers. La
commission ad hoc s’est réunie à Bata. Le périmètre de la zone d’exploitation
commune n’a plus été évoqué et les discussions se sont focalisées sur les lignes de
base à prendre en compte pour la définition de leurs frontières maritimes309. La
Guinée Équatoriale a proposé une ligne de base qui n’incluait pas Mbanié, Conga
et Cocotiers et, tel que figuré dans le Croquis n° 4.2 ci-après (v. page 121),
rejoignait les points suivants
« – Cap Saint-Jean – Pointe Ugoni (Corisco) –Pointe Yoke en passant
par LEVA – Pointe MASAKA (Grande Elobey) –Elobey (Petite
Elobey) à la pointe YEKE (Côte du Rio Muni) »310.
4.12. Le Gabon a quant à lui établi un point de base sur Mbanié 311
manifestant ainsi que cette île relève de sa souveraineté. Alors même qu’elle
n’intégrait pas Mbanié dans sa ligne de base, la Guinée Équatoriale n’en a pas moins
revendiqué la souveraineté. Elle a « rejeté la ligne de base présentée par la Partie
Gabonaise parce que celle-ci passe par l’île Mbanié qui, selon elle, fait partie
308 Procès-verbal de la deuxième réunion de la commission ad hoc portant révision de l’Accord
de coopération pétrolière entre la République de Guinée Équatoriale et la République
Gabonaise, Libreville, 13 septembre 1984 (CMG, vol. V, annexe 169), p. 4.
309 Procès-verbal de la commission ad hoc Gabon-Guinée Équatoriale chargée de la délimitation
de la frontière maritime dans la baie de Corisco entre la République Gabonaise et la
République de Guinée Équatoriale, Bata, 16 novembre 1985 (MGE, vol. VII, annexe 208).
310 Ibid., p. 4.
311 Ibid.
119
intégrante du territoire national de la République de Guinée Équatoriale ainsi que
les îlots de LEVA – OCHO – CONGA et COCOTIERS »312.
C. LA REPRISE D’UNE COOPÉRATION APAISÉE
ENTRE LES DEUX ÉTATS
4.13. Entre 1985 et 1999, soit pendant près de quinze années, les relations
diplomatiques entre le Gabon et la Guinée Équatoriale se sont inscrites dans un
climat de coopération apaisé et fraternel et dans un esprit de bon voisinage. Cette
coopération s’est au demeurant poursuivie pendant de longues années sur des
problématiques très variées, y compris pendant les médiations organisées sous
l’égide des Nations Unies. Ont ainsi été conclus un Accord relatif à la construction
d’un pont frontalier, un Accord de coopération portant création de la commission
mixte permanente de sécurité transfrontalière, un Accord sur l’exemption
réciproque de visas pour les détenteurs de passeport diplomatique, officiel et de
service, un Traité d’amitié et de bon voisinage, un Accord général de coopération
et un Accord sur des consultations diplomatiques régulières313.
4.14. Malgré ces échanges nourris et la fréquence de ces rencontres
diplomatiques, la question de la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga et
celle y relative des frontières n’ont été évoquées qu’en une seule occasion, en
janvier 1993, lors de la rencontre de la commission ad hoc sur les frontières. Les
questions discutées au sein de cette commission étaient diverses (immigration,
312 Procès-verbal de la commission ad hoc Gabon-Guinée Équatoriale chargée de la délimitation
de la frontière maritime dans la baie de Corisco entre la République Gabonaise et la
République de Guinée Équatoriale, Bata, 16 novembre 1985 (MGE, vol. VII, annexe 208).
313 V. Accord entre le Gabon et la Guinée Équatoriale relatif à la construction d’un pont
frontalier et d’un tronçon de route bitumée avec des ouvrages entre les deux pays, 3 août 2007
(CMG, vol. V, annexe 176) et liste d’accords bilatéraux supra, note 294.
120
0 2 5 10 milles marins
0 2 10 20 km
1°N
Ligne de base revendiquée par le Gabon
Ligne de base revendiquée par la Guinée Équatoriale
E s t u a i r e d u K o m o ( G a b o n )
O C É A N
A T L A N T I Q U E
B a i e d e C o r i s c o
M o u n i
B a i e d e l a M o n d a h
GUINÉE ÉQUATORIALE
Cocotiers GABON
Leva
Hoco
Corisco
Pointe
Ugoni
Cocobeach
Diéké
Cap
Saint-Jean
Cap
Estérias
Libreville
Petite
Elobey
Grande
Mbanié
Conga
Projection : WGS84. Réalisation : Gaëlle Sutton, 2022.
Ce croquis a été établi à seule fin d’illustration
Croquis n° 4.2. Les lignes de base revendiquées par le Gabon et la Guinée
Équatoriale lors de la rencontre bilatérale de novembre 1985
121
coopération judiciaire) et le statut des frontières n’a été que l’une d’elles314. Alors
que la Guinée Équatoriale n’avait pas soulevé cette question depuis 1985, elle a à
nouveau revendiqué la souveraineté sur Mbanié, Conga et Cocotiers315. Elle n’avait
cependant pas objecté au décret présidentiel par lequel le Gabon, avait, quelques
mois plus tôt, confirmé la position présentée en 1985 au sujet de sa ligne de base
dans la zone maritime comprise entre Cocobeach et le cap Lopez au sud de
Libreville316. Cette ligne – illustrée dans le Croquis n° 4.3 ci-après (v. page 125) –
reliait en effet les points Cocobeach (1° 00’ 02” N, 9° 34’ 58” E), Mbanié
(0° 48’ 39” N, 9° 22’ 50” E), Cap Esterias (0° 35’ 19” N, 9° 19’ 01” E), Pointe
Ngombe (0° 18’ 35” N, 9° 18’ 19” E) et Cap Lopez (0° 37’ 54” S, 8° 42’ 13” E)317.
Ces dispositions ont été par la suite notifiées au secrétaire général des Nations
Unies318.
4.15. Après cette réunion, les relations diplomatiques se sont poursuivies
dans un climat apaisé et fraternel. Ce n’est que huit ans plus tard que la Guinée
Équatoriale évoquera à nouveau la question – pourtant réglée – de la souveraineté
sur les îles au large du Gabon.
314 Communiqué final de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée Équatoriale,
Libreville, 20 janvier 1993 (MGE, vol. VII, annexe 211), p. 2.
315 Rapport de la sous-commission « Frontières » de la commission ad hoc des frontières Gabon-
Guinée Équatoriale, Libreville, 19 janvier 1993 (MGE, vol. VII, annexe 209), p. 2.
316 Décret n° 2066/PR/MHCUCDM définissant les lignes de base à partir desquelles est mesurée
la largeur de la mer territoriale, 4 décembre 1992 (MGE, vol. VI, annexe 192).
317 Ibid., article 2.
318 Lettre n° 2162/MAECF/DF du ministre des Affaires étrangères gabonais au secrétaire
général des Nations Unies, 23 septembre 1999 (CMG, vol. V, annexe 170). V. aussi Bulletin
du Droit de la mer, n° 42, 2000, p. 179.
123
II. La remise en cause de la Convention de Bata par la Guinée Équatoriale
4.16. Début 1999, la Guinée Équatoriale a décidé d’abandonner les
négociations, leur préférant la voie unilatérale.
4.17. Tout d’abord, elle a entrepris de tracer unilatéralement ses frontières
maritimes en promulguant un décret-loi « portant désignation de la ligne médiane
comme frontière maritime » 319 . L’article 1 de ce décret-loi déterminait « [l]es
limites de la mer territoriale et de la zone économique exclusive » de la Guinée
Équatoriale dans la région de Bioko et du Rio Muni par des lignes géodésiques
reliant 124 points définis par leurs coordonnées géographiques. Comme cela ressort
du croquis n° 6.1 de la Guinée Équatoriale 320 , celle-ci intégrait ainsi Mbanié,
Cocotiers et Conga à sa ligne de base, puis traçait une « ligne médiane » entre sa
ligne de base ainsi définie et la masse continentale du Gabon dont les projections
maritimes se trouvaient largement amputées. Le Gabon a immédiatement protesté
par une note verbale de son ambassade à Malabo 321.
4.18. Deux mois plus tard, la Guinée Équatoriale a conclu un accord de
délimitation maritime avec Sao Tomé-et-Principe322. Un segment de la ligne de
délimitation entre les îles de Sao Tomé-et-Principe, d’une part, et l’île de Bioko et
le Rio Muni, d’autre part, se trouvait nettement au sud de la frontière maritime
319 Décret-loi n° 1/1999 portant désignation de la ligne médiane comme frontière maritime de la
République de Guinée Équatoriale, 6 mars 1999, Bulletin du Droit de la mer, n° 40, 2000,
p. 28. V. aussi MGE, vol. VI, annexe 193.
320 MGE, vol. I, p. 124.
321 Note verbale de l’ambassade du Gabon en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires
étrangères équato-guinéen, 13 septembre 1999 (MGE, vol. VI, annexe 178).
322 Traité entre la République de Guinée Équatoriale et la République démocratique de Sao
Tomé-et-Principe concernant la délimitation de la frontière maritime, Malabo, 26 juin 1999
(MGE, vol. III, annexe 10).
124
0 25 50 milles marins
0 50 100 km
Projection : WGS84. Réalisation : Gaëlle Sutton, 2022.
Ce croquis a été établi à seule fin d’illustration
Cocobeach
Corisco
Mbanié
Cap Estérias
Pointe Ngombe
Cap Lopez
GUINÉE ÉQUATORIALE
GABON
O C É A N
A T L A N T I Q U E
Estuaire du Komo (Gabon)
8° E
1°S
9° E
0°
1°N
8° E 9° E 10° E
Croquis n° 4.3. La ligne de base du Gabon en vertu du décret présidentiel
du 4 décembre 1992
125
déterminée par la Convention de Bata et outrepassait les zones maritimes dans
lesquelles la Guinée Équatoriale pouvait prétendre exercer des droits souverains323.
4.19. Deux ans plus tard, en 2001, la commission ad hoc des frontières s’est
réunie à Libreville. S’agissant de la frontière terrestre, bien qu’ils n’aient pas fait
état de difficultés particulières, les États ont décidé de renvoyer les questions s’y
rapportant (notamment les questions consulaires et celles relatives à la circulation
transfrontalière) à une prochaine réunion de la commission ad hoc324. S’agissant de
la frontière maritime, la délégation équato-guinéenne est revenue sur la position
maximaliste adoptée quelques mois auparavant. Elle a proposé au Gabon de
procéder à la « [d]élimitation de la frontière maritime en faisant abstraction des îles
MBANIE, CONGA, COCOTIER afin de visualiser le panorama général et tracer
une ligne médiane entre les deux territoires pour ensuite examiner la situation des
îles après ce tracé »325.
4.20. Une ultime rencontre s’est tenue à Malabo en mai 2003. Rappelant les
instruments juridiques régissant les discussions, la délégation gabonaise a invoqué
« la Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes entre la Guinée
Equatoriale et le Gabon, signée à Bata le 12 septembre 1974 »326. La Guinée
Équatoriale a nié l’existence de la Convention de Bata – pourtant négociée et signée
par les plus hautes autorités des deux États : « [l]a République de GuinéeÉquatoriale
ignore et méconnaît l’existence de la supposée Convention délimitant
323 Traité entre la République de Guinée Équatoriale et la République démocratique de Sao
Tomé-et-Principe concernant la délimitation de la frontière maritime, Malabo, 26 juin 1999
(MGE, vol. III, annexe 10), article 2 (b).
324 Procès-verbal de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée Équatoriale, Libreville,
31 janvier 2001 (MGE, vol. VII, annexe 212), p. 4.
325 Ibid.
326 Procès-verbal de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée Équatoriale, Malabo,
23 mai 2003 (CMG, vol. V, annexe 171), p. 4. Pour une version espagnole de ce procèsverbal,
v. MGE, vol. VII, annexe 213.
127
les frontières terrestres et maritimes entre le Gabon et la Guinée-Equatoriale depuis
1974. Pour cela la République de Guinée Equatoriale nie l’existence et la validité
de cette convention. »327
4.21. Les Parties avaient atteint le point de rupture et étaient irréconciliables.
III. Les médiations et la signature du Compromis
4.22. Le Gabon et la Guinée Équatoriale se sont prêtés à trois processus de
médiation afin de tenter de régler à l’amiable leur différend. Seule la première
médiation, celle conduite par M. Yves Fortier entre 2003 et 2006, a constitué une
tentative de règlement du différend global. Les deux autres, conduites par M.
Nicolas Michel entre 2008 et 2012 puis par M. Jeffrey Feltman en 2016, ont
uniquement porté sur la négociation du Compromis qui est à l’origine de la présente
instance.
4.23. En juillet 2003, lors d’un entretien avec le secrétaire général des Nations
Unies, les chefs d’État équato-guinéen et gabonais ont accepté son offre de bons
offices pour le règlement pacifique de leur différend territorial. M. Yves Fortier a
été nommé médiateur et son mandat – conjointement admis par les deux États –
était d’« essayer de parvenir à un règlement acceptable pour les deux Parties en ce
qui concerne leur différend territorial (à savoir la souveraineté sur les îles de
Mbanié, Cocotiers et Conga (…), le tracé de leur frontière maritime commune et le
tracé de leur frontière terrestre commune) (…) »328.
327 Procès-verbal de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée Équatoriale, Malabo,
23 mai 2003 (CMG, vol. V, annexe 171), p. 5.
328 Communiqué conjoint de la République Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale
au sujet du processus de médiation relatif à leur différend territorial, 19 janvier 2004 (CMG,
vol. V, annexe 173) ; Protocole d’Addis-Abeba, 6 juillet 2004 (CMG, vol. V, annexe 175).
128
4.24. Neuf réunions se sont tenues entre juillet 2003 et décembre 2004 sous
les auspices du médiateur329. La question de la souveraineté sur les îles Mbanié,
Conga et Cocotiers et de la délimitation de la frontière maritime a été longuement
débattue, sans succès. Durant cette période, la Guinée Équatoriale s’est opposée à
l’enregistrement par le Gabon de la Convention de Bata auprès du Secrétariat des
Nations Unies intervenue le 2 mars 2004330.
4.25. Rapidement, la question de la frontière maritime a été reléguée au
second plan et la médiation a principalement porté sur la négociation d’un accord
de développement conjoint : en juillet 2004, les deux États ont conclu un protocole
d’accord en présence du secrétaire général des Nations Unies au terme duquel ils
s’engageaient à négocier de bonne foi un « un accord qui conduira à l’exploration
conjointe de l’île qui fait l’objet du litige pendant que se poursuivra la démarcation
des frontières »331.
4.26. La négociation a échoué et en avril 2008, le nouveau secrétaire général
des Nations Unies, M. Ban Ki-Moon, a proposé aux Parties de se soumettre à une
nouvelle procédure de médiation. M. Nicolas Michel, secrétaire général adjoint et
conseiller juridique, a été nommé médiateur332. Le Gabon et la Guinée Équatoriale
se sont entendus sur la saisine de la Cour internationale de Justice aux fins de régler
329 Ces réunions se sont tenues en juillet et décembre 2003, janvier, mars, avril, juin, août,
octobre et décembre 2004.
330 Gabon et Guinée Équatoriale, Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de
la Guinée Équatoriale et du Gabon, Bata, 12 septembre 1974, Objections relatives à
l’authenticité de la Convention : Guinée Équatoriale, 18 mars 2004, R.T.N.U., vol. 2251, A-
40037, p. 387 et 7 et 26 avril 2004, R.T.N.U., vol. 2261, A-40037, p. 308.
331 « Kofi Annan félicite les dirigeants du Gabon et de la Guinée Equatoriale d’avoir accepté de
résoudre leur différend frontalier par des moyens pacifiques », Communiqué de presse des
Nations Unies, 8 juillet 2004 (MGE, vol. III, annexe 35) ; pour la version française, v.
https://www.un.org/press/fr/2004/SGSM9407.doc.htm?msclkid=9b5ad876b66c11eca83ba7
e91d2dcdcf (consulté le 28 avril 2022).
332 « Former UN Legal Chief to Mediate dispute Between Equatorial Guinea, Gabon », UN
News, 17 septembre 2008 (MGE, vol. III, annexe 39).
129
leur différend et la médiation a alors eu pour principal objet de négocier les termes
du Compromis333.
4.27. En 2012, à la suite de nombreux échanges de vues 334 , le texte du
Compromis était largement arrêté mais l’article 1, relatif à l’objet du différend
opposant les Parties, a constitué un obstacle majeur à sa conclusion335. À nouveau,
les deux États ne sont pas parvenus à s’entendre, le projet de Compromis n’a pas
été signé et la négociation a échoué.
4.28. Quatre années plus tard, en juillet 2016, le secrétaire général des
Nations Unies, M. Ban Ki-Moon, a désigné un nouveau médiateur, M. Jeffrey
Feltman, sous-secrétaire général chargé des affaires politiques.
4.29. Seules deux réunions de médiation se sont tenues en janvier et en
avril 2016 au cours desquelles le texte du Compromis – notamment son article 1 –
a été finalisé. En novembre 2016, le Gabon et la Guinée Équatoriale ont signé le
Compromis objet de la présente saisine en marge de la Conférence des Nations
Unies sur les changements climatiques (COP 22) à Marrakech.
333 « Former UN Legal Chief to Mediate dispute Between Equatorial Guinea, Gabon », UN
News, 17 septembre 2008 (MGE, vol. III, annexe 39).
334 Cette deuxième méditation sera l’objet de douze rencontres en juin et juillet 2008, en janvier,
mars, mai et novembre 2009, en janvier, mars, mai et juillet 2010, en mars 2011 et en
mai 2012.
335 Note du sous-secrétaire général L. Pascoe, 15 mars 2010, (MGE, vol. III, annexe 42).
130
DEUXIEME PARTIE
LES TITRES FAISANT DROIT ENTRE LES PARTIES
CHAPITRE V.
L’OBJET DU DIFFÉREND ET LA MISSION DE LA COUR
5.1. Aux termes de l’article 1 du Compromis intitulé « Soumission à la Cour
et objet du différend » :
« 1. La Cour est priée de dire si les titres juridiques, traités et
conventions internationales invoqués par les Parties font droit dans les
relations entre la République Gabonaise et la République de Guinée
Equatoriale s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et
terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers
et Conga.
À cette fin :
2. La République Gabonaise reconnaît comme applicables au différend
la Convention spéciale sur la délimitation des possessions françaises et
espagnoles dans l’Afrique Occidentale, sur la Côte du Sahara et sur la
Côte du Golfe de Guinée du 27 juin 1900 (Paris) et la Convention
délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale
et du Gabon du 12 septembre 1974 (Bata).
3. La République de Guinée Equatoriale reconnaît comme applicable
au différend la Convention spéciale sur la délimitation des possessions
françaises et espagnoles dans l’Afrique Occidentale, sur la Côte du
Sahara et sur la Côte du Golfe de Guinée du 27 juin 1900 (Paris).
4. Chacune des Parties se réserve le droit d’invoquer d’autres titres
juridiques ».
5.2. Commentant cette disposition, la Guinée Équatoriale écrit, dès
l’introduction de son mémoire :
131
« The Special Agreement determines the Court’s jurisdiction, which
extends to deciding which of the legal titles, treaties and international
conventions (‘Legal Titles’) invoked by either Party, in the Special
Agreement or in the course of these proceedings, have the force of law
between the Parties »336.
Le Gabon n’a rien à redire à cette affirmation qui est une simple glose de l’article 1
du Compromis, étant remarqué qu’elle laisse ouverte la question fondamentale de
la définition de l’expression « titres juridiques ».
5.3. À cet égard, la Guinée Équatoriale, qui ne tire aucune conséquence de la
mention expresse et spécifique des seuls « traités et conventions » dans cette
disposition, se borne à affirmer, de manière passablement ambiguë, à la fin du
même paragraphe de son mémoire :
« The phrase ‘legal titles’ in Article 1, paragraph 1, and the reference
in paragraph 4 to the invocation of ‘other legal titles’, indicate that the
Parties have agreed that the Court’s task is to determine all Legal Titles
having the force of law between them, not just those emanating from
particular treaties and conventions ».
Cette définition négative constitue la seule tentative de la Partie équato-guinéenne
pour défendre sa conception de la notion de « titres juridiques ». Après quoi, sans
s’embarrasser de quelque démonstration que ce soit à l’appui de cette assertion, elle
s’emploie presque exclusivement à décrire le différend frontalier et territorial qui
oppose les deux États sans davantage prêter attention aux termes du Compromis,
sauf à réaffirmer de temps à autre – et contre toute raison – qu’elle s’y tient
rigoureusement337.
336 MGE, vol. I, par. 1.4. V. aussi le par. 5.1: « (…) the dispute identified in that Agreement was
submitted to the Court ».
337 V. notamment pars. 7.8 et 7.20.
132
5.4. En réalité, à rebours du texte du Compromis, la Guinée Équatoriale
postule implicitement que la Cour est invitée à se prononcer sur l’intégralité des
faits et des arguments juridiques confirmant ses positions de fond sur l’ensemble
du différend territorial et frontalier qui l’oppose au Gabon. Il est donc indispensable
de préciser la mission dont les Parties ont chargé la Cour – qui consiste
exclusivement en la détermination des titres juridiques s’appliquant à la
délimitation des frontières, tant terrestre que maritime, entre les deux États et à la
détermination la souveraineté sur les îles mentionnées au paragraphe 1 (I), ce qui
conduit nécessairement à s’interroger sur la définition des « titres juridiques (…)
invoqués par les Parties » dont la Cour doit apprécier l’applicabilité (II).
I. La mission de la Cour est exclusivement de déterminer
les titres juridiques applicables
5.5. La simple lecture de l’article 1 du Compromis montre que l’affaire
soumise à la Cour n’est pas un contentieux territorial ou frontalier traditionnel –
quelles que puissent être les différences entre l’un et l’autre338. La présente affaire
est un préalable à la résolution du différend frontalier et territorial qui oppose le
Gabon et la Guinée Équatoriale qui, sur la base de l’arrêt de la Cour, mettront
ultérieurement définitivement fin à ce différend, plus général que celui que les
Parties ont soumis à la Cour. Pour ce qui est de ce dernier, il porte exclusivement
sur la question des titres juridiques qui font droit dans les relations entre les Parties.
L’interprétation correcte du Compromis conformément aux règles d’interprétation
énoncées aux articles 31 à 33 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des
traités ne laisse aucun doute à cet égard : le différend soumis à la Cour est limité à
l’identification du ou des titres juridiques applicables (A). Conformément au
338 V. Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986,
pp. 563-564, par. 17.
133
principe fondamental du respect du consentement des Parties à la compétence de la
Cour, la mission de celle-ci en la présente affaire est bornée par cette limitation (B).
A. UN DIFFÉREND LIMITÉ À L’IDENTIFICATION
DES TITRES JURIDIQUES APPLICABLES
5.6. Le Gabon a adhéré le 5 novembre 2004 à la Convention de Vienne339,
que la Guinée Équatoriale n’a ni signée ni ratifiée. Cela est, au demeurant, sans
importance concrète en la présente espèce : peu de dispositions conventionnelles se
sont vu reconnaître un statut coutumier aussi unanimement et constamment que la
« règle générale d’interprétation » codifiée à l’article 31340. Et si le statut coutumier
des règles énoncées aux articles 32 et 33 a fait l’objet d’une jurisprudence moins
fournie, il n’en est pas moins attesté par plusieurs décisions judiciaires et
339 Recueil des traités des Nations Unies, vol. 2286, p. 289. V. aussi la page internet du Recueil
des traités multilatéraux déposés auprès du Secrétaire général consacrée à l’état de la
Convention de Vienne sur le droit des traités : https://treaties.un.org/pages/
ViewDetailsIII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXIII-1&chapter=23&Temp=mtdsg3&
clang=_fr (consultée le 19 avril 2022).
340 V. parmi une très abondante jurisprudence : Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée
Bissau c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991, p. 70, par. 48 ; Différend territorial
(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, pp. 21-22, par. 41 ; Platesformes
pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996, p. 812, par. 23 ; Île de Kasikili/Sedudu
(Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999, p. 1059, par. 18 ; Souveraineté sur Pulau
Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 645, par. 37 ;
Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France),
arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 222, par. 123 et p. 232, par. 153 ; Différend maritime (Pérou c.
Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014, p. 28, par. 57 ; Application de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats Arabes
Unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, pp. 24-25, par. 75.
134
arbitrales341 et par une doctrine autorisée342. Il convient donc d’interpréter cette
disposition clé du Compromis en suivant les directives codifiées par la Convention
de Vienne et en se référant aux canons d’interprétation pertinents, et d’appliquer la
règle générale d’interprétation telle que la codifie l’article 31, complétée, le cas
échéant, par le recours aux « moyens auxiliaires d’interprétation » mentionnés à
l’article 32. Cela implique essentiellement ici de mobiliser les travaux préparatoires
du Compromis. L’application de ces directives conduit à une unique conclusion :
l’affaire soumise à la Cour ne peut être qualifiée ni de conflit frontalier, ni de conflit
territorial ; elle constitue un préalable au règlement définitif d’un différend plus
vaste et ne porte que sur les titres juridiques décisifs et faisant droit entre les Parties
aux fins de la délimitation terrestre et maritime et de la détermination de la
souveraineté sur les trois îles.
341 Sur l’article 32, v. notamment : Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c.
Kenya), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2017, p. 29, par. 63 ; Immunités et
procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2018, pp. 320-321, par. 91 ; Jadhav (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 2019,
pp. 437-438, par. 71 ; Application de la convention internationale pour la répression du
financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019, p. 598, par. 106 ; Immunités et procédures pénales
(Guinée équatoriale c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 19, par. 61 ; Application de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Qatar c. Émirats Arabes Unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021,
pp. 24-25, par. 75. Sur l’article 33, v. LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 2001, p. 502, par. 101 ; Question de la délimitation du plateau continental
entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la cote nicaraguayenne
(Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016, p. 116,
par. 33 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du
terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2019, p. 598, par. 106.
342 M.E. Villiger, Commentary on the 1969 Vienna Convention on the Law of Treaties, Nijhoff,
Leiden/Boston (2009), Article 33, p. 461 ; O. Corten et P. Klein dirs., Les Conventions de
Vienne sur le droit des traités – Commentaire article par article, Bruylant, Bruxelles (2006),
tome II, pp. 1343-1346, pars. 4-8 (édition anglaise, Oxford, OUP, 2011, vol. I, pp. 843-846,
pars. 4-8) ; D. Alland, « L’interprétation du droit international public », RCADI (2014),
vol. 362, p. 158.
135
1. L’interprétation du Compromis suivant le sens ordinaire à attribuer
à ses termes dans leur contexte
5.7. Aux termes de l’article 31 la Convention de Vienne :
« 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire
à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son
objet et de son but.
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre
le texte, préambule et annexes inclus :
a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre
toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité ;
b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion
de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant
qu’instrument ayant rapport au traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de
l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ;
b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du
traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de
l’interprétation du traité ;
c) De toute règle pertinente de droit international applicable dans
les relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle
était l’intention des parties ».
5.8. Comme la Cour l’a souligné dans son arrêt du 3 février 1994,
« selon le droit international coutumier qui a trouvé son expression dans
l’article 31 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités,
un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à
attribuer à ses termes dans leur contexte et à la lumière de son objet et
de son but. L’interprétation doit être fondée avant tout sur le texte du
136
traité lui-même. Il peut être fait appel à titre complémentaire à des
moyens d’interprétation tels les travaux préparatoires et les
circonstances dans lesquelles le traité a été conclu »343.
Ce principe s’applique pleinement lorsqu’il s’agit d’interpréter l’instrument par
lequel les parties soumettent une affaire à la Cour 344 : « Tout compromis (...)
constitue un accord entre États qui doit être interprété selon les règles du droit
international général régissant l’interprétation des traités »345.
5.9. Conformément à une jurisprudence bien établie, les éléments constituant
« la » règle générale d’interprétation doivent être considérés comme un tout et sont
indissociables les uns des autres 346 et ce n’est que par commodité qu’ils sont
envisagés successivement ci-après. En la présente occurrence, qu’il s’agisse
exclusivement du sens ordinaire des termes de l’article 1 du Compromis (i), de leur
place dans le contexte plus général de celui-ci (ii), ou plus généralement de l’objet
et du but du Compromis (iii), tout concourt à la même interprétation de l’article 1
du Compromis.
343 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, pp. 21-
22, par. 41.
344 V. not. Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.
Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 18, par. 33 ; dans ce
passage, la Cour cite d’ailleurs l’extrait reproduit ci-dessus de Libye/Tchad. V. aussi :
Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée Bissau c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991,
pp. 69-70, par. 48 ; Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El
Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, pp. 582-583,
par. 373.
345 Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée Bissau c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991,
p. 69, par. 48. La Cour se référait à « tout compromis d’arbitrage » ; le problème se pose
dans les mêmes termes s’agissant de la saisine d’une juridiction permanente.
346 V. Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2017, p. 29, par. 64 ; Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats Arabes Unis),
exceptions préliminaires, arrêt, Recueil 2021, p. 25, par. 78. V. aussi CDI, Projet d’articles
sur le droit des traités et commentaire, Annuaire de la Commission du droit international
(1966), vol. II, commentaire de l’article 31, pp. 239-240, pars. 8-9.
137
i) Le sens ordinaire des termes
Les termes du Compromis
5.10. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale adopte une position ambiguë
quant à l’interprétation de l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis. Elle affirme
que « [t]he Parties have seised the Court with jurisdiction to determine the Legal
Titles applicable to sovereignty over the three disputed islands (Mbañe, Cocoteros
y Conga), and identify the Legal Titles applicable to the delimitation of their land
and maritime boundaries »347. Mais cela n’empêche pas la Guinée Équatoriale,
reprenant les termes de l’arrêt de la Cour dans l’affaire Nicaragua c. Colombie, de
caractériser le présent litige de différend relatif à la souveraineté sur un territoire348.
5.11. Le paragraphe 1er de l’article 1 du Compromis est pourtant rédigé d’une
manière qui ne laisse place à aucune ambiguïté :
« La Cour est priée de dire si les titres juridiques, traités et conventions
internationales invoqués par les Parties font droit dans les relations
entre la République Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale
s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre
communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et
Conga ».
La question posée à la Cour porte sur « les titres juridiques, traités et conventions
internationales » qui permettront ultérieurement aux Parties de déterminer à la fois
le tracé de leurs frontières maritime et terrestre et la souveraineté sur les trois îles
citées, à l’exclusion de tout autre problème.
347 MGE, vol. I, par. 1.7.
348 Ibid., par. 6.25, citant Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J.
Recueil 2012, p. 652, par. 67.
138
5.12. À cet égard, l’arrêt du 11 septembre 1992 dans l’affaire du Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime entre El Salvador et le Honduras constitue
un précédent très éclairant. L’article 2 du Compromis donnant compétence à une
chambre de la Cour dans cette affaire décrivait ainsi l’objet du litige :
« Les Parties demandent à la Chambre :
1. De délimiter la ligne frontière dans les zones ou secteurs non décrits
à l’article 16 du traité général de paix du 30 octobre 1980.
2. De déterminer la situation juridique des îles et des espaces
maritimes »349.
Commentant le paragraphe 2 de cette disposition, la Chambre de la Cour a considéré
que :
« À en juger d’après le texte du compromis, aucune mention n’est faite
d’une délimitation devant être effectuée par la Chambre. Pour que celleci
soit habilitée à tracer des lignes de délimitation maritime, que ce soit
à l’intérieur ou à l’extérieur du golfe, il faut qu’elle ait reçu mandat de
le faire, soit en termes exprès, soit en vertu d’une interprétation légitime
du compromis. Il faut donc, en application des règles normales
d’interprétation des traités, déterminer si le texte doit être lu comme
impliquant cette délimitation. Si l’on tient compte de la règle
fondamentale de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des
traités, selon laquelle un traité doit être interprété ‘suivant le sens
ordinaire à attribuer aux termes’ de ce traité, il est difficile de voir
comment une ‘délimitation’ peut être assimilée à ‘la détermination
d’une situation juridique...’ (‘Que determine la situación jurídica...’)
Nul doute que le mot ‘déterminer’ en français (et, a-t-on dit à la
Chambre, le verbe ‘determinar’ en espagnol) peut être utilisé pour
donner l’idée d’une fixation de limites, de sorte que, s’il était appliqué
directement aux ‘espaces maritimes’, son ‘sens ordinaire’ pourrait être
349 Compromiso entre Honduras y el Salvador para someter a la decisión de la Corte
Internacional de Justicia, Controversia fronteriza terrestre, insular y marítima existente
entre los dos Estado, Esquipulas, Republica de Guatemala, le 24 mai 1986, entré en vigueur
le 1er octobre 1986 – v. Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El
Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, pp. 356-357,
par. 3.
139
considéré comme incluant la délimitation desdits espaces. Mais ce mot
doit être lu dans son contexte : l’objet du verbe ‘déterminer’ n’est pas
les espaces maritimes eux-mêmes mais la situation juridique desdits
espaces. Rien ne dénote par conséquent, dans le texte, tel qu’il se
présente, une intention commune d’obtenir que la Chambre procède à
une délimitation »350.
En conséquence, la Chambre a décidé
« que les Parties, lorsqu’elles ont demandé à la Chambre, à l’article 2,
paragraphe 2, du compromis du 24 mai 1986, ‘de déterminer la situation
juridique … des espaces maritimes’, ne lui ont pas conféré compétence
pour procéder à une quelconque délimitation desdits espaces maritimes,
que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du golfe »351.
5.13. On peut transposer presque exactement l’ensemble de ces constatations
à la présente affaire :
a) « d’après le texte du compromis, aucune mention n’est faite d’une
délimitation devant être effectuée par la [Cour] » ; « [i]l faut donc, en
application des règles normales d’interprétation des traités, déterminer si le
texte doit être lu comme impliquant cette délimitation » ;
b) certes, les titres juridiques invoqués par les Parties et entre lesquels la Cour
doit effectuer un choix doivent concerner (« s’agissant de » / « en lo que se
refiere a ») « la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre
communes et (...) la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga » ;
c) mais « il est difficile de voir comment » la mission de la Cour de seulement
« dire » quels sont les « titres juridiques, traités et conventions
internationales invoqués par les Parties [faisant] droit dans les relations entre
350 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, pp. 582-583, par. 373.
351 Ibid., p. 616, par. 432.
140
la République Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale s’agissant
de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes » « peut
être assimilée à » une demande visant à charger la Cour de procéder à une
telle délimitation ;
d) « Rien ne dénote par conséquent, dans le texte, tel qu’il se présente, une
intention commune d’obtenir que la [Cour] procède à une délimitation » ; pas
davantage qu’à une attribution formelle de souveraineté des trois (seules) îles
expressément mentionnées dans le Compromis ;
e) Il s’en déduit que les Parties, lorsqu’elles ont demandé à la Cour, à l’article 1,
paragraphe 1er, du Compromis du 15 novembre 2016, « de dire si les titres
juridiques, traités et conventions internationales invoqués par les Parties font
droit dans les relations » entre elles s’agissant de ces deux questions, « ne lui
ont pas conféré compétence pour procéder à une quelconque délimitation ».
5.14. L’intérêt de l’affaire El Salvador/Honduras ne se limite pas à ce seul
point352. Dans ce même arrêt, la Cour s’est demandé « pour quelle raison, si c’est
une délimitation des espaces maritimes qui est envisagée », le compromis avait
« simplement demandé à la Chambre, s’agissant des îles et des espaces maritimes,
d’en ‘déterminer la situation juridique...’ (‘Que determine la situación
jurídica...’) »353. Et elle s’est montrée d’accord avec le Honduras pour considérer
que le conflit insulaire n’était pas un différend de délimitation354. Il en va de même
dans la présente espèce : on ne saurait interpréter la demande formulée dans le
paragraphe 1er de l’article 1 du Compromis, qui prie la Cour de se prononcer sur les
titres juridiques s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre
352 V. aussi infra, par. 5.80.
353 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 583, par. 374.
354 Ibid.
141
communes et de la souveraineté sur les trois îles citées, comme une requête en
délimitation.
5.15. Cette interprétation est d’ailleurs confirmée par le choix des Parties de
demander à la Cour, dans l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis, de « dire »
quels sont les titres juridiques qui « font droit » ou, dans la version espagnole « son
aplicables », dans le différend entre les Parties. La Cour n’est nullement priée
d’appliquer elle-même les titres juridiques invoqués par les Parties. Il y a une grande
différence entre « application » et « applicabilité » – cette dernière étant un
préalable, nécessaire mais distinct de la première. En l’espèce, la Haute Juridiction
est seulement invitée à se prononcer sur l’existence de ces titres juridiques et leur
opposabilité ; à déterminer si et dans quelle mesure ceux qu’invoquent les Parties
sont applicables « s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et
terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ».
L’interprétation du texte du Compromis à la lumière d’autres compromis
5.16. L’interprétation du paragraphe 1er, conforme au sens ordinaire à donner
à son libellé, est confirmée par une comparaison avec d’autres compromis par
lesquels des affaires de délimitation, terrestre ou maritime, ont été soumises à la
Cour.
5.17. Comme la Chambre de la Cour l’a remarqué dans l’affaire du Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime entre El Salvador et le Honduras :
« Pour déterminer le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité, il y
a lieu de comparer ces termes à ceux qui sont généralement ou
communément utilisés pour exprimer l’idée qu’une délimitation est
envisagée. Chaque fois que par le passé la Cour s’est vu confier par un
compromis une tâche de délimitation, le compromis formulait très
clairement ce qui lui était demandé : la formulation de principes ou de
règles permettant aux parties de s’entendre sur une délimitation,
142
l’application précise de ces principes ou règles (voir affaires du Plateau
continental la mer du Nord, affaires du Plateau continental
(Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) et du Plateau continental
(Jamahiriya arabe libyenne/Malte)), ou encore le tracé proprement dit
de la ligne de délimitation (affaire de la Délimitation de la frontière
maritime dans la région du golfe du Maine). De même, dans l’arbitrage
franco-britannique de 1977, le tribunal était expressément chargé, aux
termes du compromis, de tracer la ligne. »355
Dans cette affaire, comme cela est indiqué ci-dessus356, la Chambre a décidé que
« les Parties, lorsqu’elles ont demandé à la Chambre, à l’article 2, paragraphe 2, du
Compromis du 24 mai 1986, ‘de déterminer la situation juridique … des espaces
maritimes’, ne lui ont pas conféré compétence pour procéder à une quelconque
délimitation desdits espaces maritimes, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur du
golfe »357, exception faite de la délimitation de « la ligne frontière dans les zones
ou secteurs non décrits à l’article 16 du traité général de paix du 30 octobre 1980 »
à laquelle un sort à part était réservé à l’article 2 du compromis358.
5.18. Il en va a fortiori ainsi dans la présente affaire dans laquelle il est
seulement demandé à la Cour d’identifier les titres juridiques faisant droit que ce
soit en matière de délimitation ou de souveraineté sur les trois îles nommées dans
le Compromis.
5.19. L’objet de l’affaire, tel qu’il résulte du Compromis, diffère donc de
celles dans lesquelles la Cour a été expressément priée de procéder à une
délimitation comme cela a été le cas, à titre d’exemples :
355 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 586, par. 380 (italiques ajoutés).
356 V. supra, pars. 5.12-5.13.
357 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 617, par. 432(2).
358 Ibid., p. 357, par. 3.
143
a) dans l’affaire du Golfe du Maine (tracé de la frontière maritime en termes de
lignes géodésiques)359 ;
b) dans l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime entre El
Salvador et le Honduras en ce qui concerne la délimitation de « la ligne
frontière dans les zones ou secteurs non décrits à l’article 16 du traité général
de paix du 30 octobre 1980 »360 ;
c) dans l’affaire de l’Île de Kasikili/Sedudu entre le Botswana et la Namibie
(détermination de la frontière au niveau de l’île de Kasikili/Sedudu ainsi que
du statut juridique de cette île)361 ; ou
d) dans celle du Différend frontalier entre le Bénin et le Niger (tracé frontalier
et appartenance des îles fluviales)362.
5.20. Par contraste, l’affaire que le Gabon et la Guinée Équatoriale ont
soumise à la Cour s’apparente davantage (sans pouvoir y être assimilée) à celles du
Plateau continental de la mer du Nord dans lesquelles la Cour avait été priée
« de trancher la question suivante :
‘Quels sont les principes et les règles du droit international applicables
à la délimitation entre les Parties des zones du plateau continental de la
mer du Nord relevant de chacune d’elles, au-delà de la ligne de
359 Compromis signé entre le Canada et les États-Unis, le 29 mars 1979, article II – Délimitation
de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/États-Unis d’Amérique),
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 253.
360 Compromis signé entre le Salvador et le Honduras, 24 mai 1986, article 2 – Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)),
arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 357, par. 3.
361 Compromis signé entre le Botswana et la Namibie, 15 février 1996 et entré en vigueur le
15 mai 1996, article I – Île de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil
1999, p. 1049, par. 2.
362 Compromis signé entre le Bénin et le Niger, 15 juin 2001, article 2 – Différend frontalier
(Bénin/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 95, par. 2 et p. 103, par. 17.
144
délimitation partielle déterminée par la convention susmentionnée du
1er décembre 1964 ?’ »363
5.21. En conséquence, la Cour avait constaté qu’il ne lui était pas demandé
« d’établir effectivement les limites prolongées dont il s’agit »364. Tel est également
le cas en la présente espèce.
5.22. Le même parallèle peut être dressé, en partie, entre la présente affaire et
celles du Plateau continental entre la Tunisie et la Libye et entre cette dernière et
Malte. Dans ces deux affaires, en des termes pratiquement identiques, la Cour avait
été priée de dire « [q]uels sont les principes et les règles du droit international qui
[peuvent être appliqués pour] [sont applicables à] la délimitation de la zone du
plateau continental appartenant » respectivement à chacune des parties365. Dans
Tunisie/Libye, il était demandé en outre à la Cour « en prenant sa décision, de tenir
compte des principes équitables et des circonstances pertinentes propres à la région,
ainsi que des tendances récentes admises à la troisième Conférence sur le droit de
la mer »366. À cette question était ajoutée, en termes voisins, celle de la mise en
oeuvre de ces principes et règles367.
5.23. La Cour a constaté que « [l]a première partie de la question vise donc à
résoudre les divergences entre les Parties au sujet des principes et règles de droit
363 Compromis, 2 février 1967 cités in Plateau continental de la mer du Nord (République
Fédérale d’Allemagne/Danemark ; République Fédérale d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt,
C.I.J. Recueil 1969, p. 6.
364 Ibid., p. 13, par. 2.
365 Compromis signé entre le Danemark et la République Fédérale d’Allemagne, 2 février 1967,
article 1 ; Compromis signé entre la République fédérale d’Allemagne et les Pays-Bas,
2 février 1967, article 1 – v. ibid., p. 6.
366 Compromis signé entre la République tunisienne et la Jamahiriya arabe libyenne,
10 juin 1977, article 1 – Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt,
C.I.J. Recueil 1982, p. 21, par. 2.
367 Une adjonction qui n’est pas présente dans le Compromis du 11 novembre 2016 – v. supra,
par. 5.11.
145
international applicables en l’espèce »368 et relevé que « les Parties ne se sont donc
pas réservé le droit de choisir la méthode à adopter ; elles ont au contraire prié la
Cour de définir cette méthode à leur place »369. Et, dans Tunisie/Libye, elle a
souligné avec approbation que :
« En plaidoirie, les deux Parties ont reconnu que de ce point de vue
l’affaire actuelle se situe entre les affaires du Plateau continental de la
mer du Nord de 1969, où la Cour était seulement priée d’indiquer quels
étaient les principes et règles du droit international applicables à la
délimitation, et l’arbitrage franco-britannique de 1977 sur la
délimitation du plateau continental, dans lequel le tribunal arbitral
devait lui-même tracer la limite entre les portions de plateau continental
relevant de chacune des Parties en cause dans la région considérée »370.
5.24. Bien qu’il s’agisse de choix entre des titres juridiques et non de
principes ou de règles applicables, qui portent sur un objet plus large, la présente
affaire « penche » nettement du côté de celles ayant donné lieu à l’arrêt de 1969 : il
n’est assurément pas demandé à la Cour de tracer elle-même les frontières maritime
et terrestre communes au Gabon et à la Guinée Équatoriale. Au surplus, le choix
entre les titres juridiques faisant droit est limité à ceux qu’invoquent les Parties.
5.25. Pour ce qui est d’établir les titres qui « font droit dans les relations entre
la République Gabonaise et la République de Guinée Equatoriale s’agissant de (…)
la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga », l’objet change mais la
formulation et la mission de la Cour demeurent les mêmes : aux termes du
Compromis, le différend soumis à la Cour ne porte que sur le ou les titres conférant
souveraineté, comme cela était le cas (quoique selon des formulations plus précises)
368 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 22,
par. 18 . V. aussi Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J.
Recueil 1982, p. 37, par. 23.
369 Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 38,
par. 25.
370 Ibid.
146
notamment dans l’affaire des Minquiers et des Écréhous371 ou dans celle relative à
la Souveraineté sur certaines parcelles frontalières372.
5.26. Il en allait de même dans Pedra Branca : la Cour avait été priée par le
Compromis signé entre la Malaisie et Singapour le 6 février 2003,
« de déterminer si la souveraineté sur
a) Pedra Branca/Pulau Batu Puteh ;
b) Middle Rocks ;
c) South Ledge,
appartient à la Malaisie ou à la République de Singapour »373.
Dans cette affaire, de manière très significative, la Cour a rappelé
« que, bien qu’elle ait été spécifiquement priée, dans le compromis et
dans les conclusions finales des Parties, de se prononcer sur la question
de la souveraineté sur chacune des trois formations maritimes prises
séparément, elle n’a pas reçu pour mandat de tracer la ligne de
délimitation des eaux territoriales de la Malaisie et de Singapour dans
la zone en question »374.
5.27. Il doit en aller de même dans la présente affaire : l’énumération
nominale des trois îles dans le Compromis n’implique nullement qu’il y ait lieu
pour la Cour de se prononcer sur le tracé de la frontière maritime. En réalité, la
371 V. l’article 1 du Compromis entre le Royaume-Uni et la France, 29 décembre 1950 – v.
Minquiers et des Écréhous (France/Royaume-Uni), arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 49 ; v. aussi
p. 59.
372 V. l’article 1 du Compromis entre la Belgique et les Pays-Bas, 7 mars 1957, article 1 – v.
Souveraineté sur certaines parcelles frontalières (Belgique/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil
1959, p. 211.
373 Compromis signé entre la Malaisie et la République de Singapour, 6 février 2003, article 2 –
v. Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge
(Malaisie/Singapour), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 18, par. 2.
374 Ibid., p. 101, pars. 298 et 299.
147
mission de la Cour de céans est encore plus restreinte que dans l’affaire de Pedra
Branca, puisqu’elle consiste exclusivement à « dire » si les titres juridiques
invoqués par les Parties « font droit (…) s’agissant de la délimitation de leurs
frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié,
Cocotiers et Conga ». La Cour n’est donc pas appelée à se prononcer sur le
détenteur de la souveraineté sur ces territoires et il appartiendra aux Parties
d’appliquer de bonne foi ses conclusions quant au titre applicable auxquelles la
Cour sera parvenue.
ii) Le contexte
5.28. En vertu du paragraphe 1er de l’article 31 de la Convention de Vienne,
le sens ordinaire du texte d’un traité est indissociable de son contexte. Le
paragraphe 2 de cette disposition précise : « Aux fins de l’interprétation d’un traité,
le contexte comprend, outre le texte » du traité dans son ensemble, le préambule du
traité375. Et l’on ne saurait « déterminer sa signification sur la base de quelques
phrases détachées de leur milieu et qui, séparées de leur contexte, peuvent être
interprétées de plusieurs manières »376.
5.29. En l’espèce, le contexte immédiat est limité au préambule, aux trois
paragraphes qui suivent le premier dans l’article 1, ainsi qu’aux cinq autres articles
du Compromis ; toutefois, les articles 2 à 6 n’apportent aucun élément susceptible
d’aider directement à la détermination de l’objet du différend.
375 Article 31 par. 2 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 précise que le
contexte inclut en outre « a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre
toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité » et « b) Tout instrument établi par
une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties
en tant qu’instrument ayant rapport au traité » ; ces précisions sont sans objet en la présente
espèce.
376 Compétence de l’O.I.T. pour la réglementation internationale des conditions du travail des
personnes employées dans l’agriculture, avis consultatif, 1922, C.P.J.I. série B n° 2, p. 22.
148
5.30. Ces dispositions mettent en évidence le fait que le coeur du différend
repose sur l’applicabilité de conventions ou plus exactement sur l’applicabilité de
la Convention de Bata du 12 septembre 1974, que le Gabon considère comme
applicable377. Pour ce qui est de la Convention de Paris du 27 juin 1900, le postulat
de son applicabilité est accepté par les deux Parties378.
5.31. Le 4ème paragraphe de l’article 1 du Compromis réserve quant à lui la
possibilité pour les Parties d’invoquer d’autres titres juridiques susceptibles, pour
reprendre les termes du paragraphe 1er, de « [faire] droit dans les relations entre la
République Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale s’agissant de la
délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté
sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ».
iii) L’objet et le but du Compromis
5.32. Le préambule – qui est ici plus étoffé que ce n’est souvent le cas dans
les compromis soumettant un différend à la Cour – présente une importance
particulière aux fins de l’interprétation de l’article 1.
5.33. D’une façon générale, le recours au préambule permet de préciser le but
et l’objet du traité dont l’interprétation est recherchée379 – opération indispensable
au même titre que l’analyse de ses termes puisque le sens ordinaire à leur attribuer
377 V. article 1, 2ème paragraphe.
378 V. article 1, 2ème paragraphe, qui expose la position du Gabon et l’article 1, 3ème paragraphe,
qui expose la position de la Guinée Équatoriale.
379 V. par exemple : Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la
Colombie au-delà de 200 milles marins de la cote nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016, p. 118, par. 39 ; Sentence arbitrale du
3 octobre 1899 (Guyana c. Venezuela), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2020,
p. 476, par. 73.
149
doit être déterminé à la lumière de l’objet et du but du traité380. En conséquence,
« la Cour ne saurait adopter une interprétation par implication des dispositions [du
traité interprété] qui dépasserait la portée de ses buts et de son objet explicites. De
plus, cet argument entraînerait dans les dispositions [du traité] des modifications
radicales et des additions »381.
5.34. En la présente espèce le but et l’objet du traité – concept holistique382 –
ressortent de manière particulièrement nette du préambule du Compromis du
15 novembre 2016 : il s’agit pour les Parties de « régler pacifiquement leur
différend » (dernier alinéa) et l’objet de celui-ci « est énoncé à l’article premier »
(premier alinéa). Le 3ème paragraphe du préambule atteste également qu’il s’agit (et
ne s’agit que) de ce différend relatif à l’identification des titres juridiques
applicables, par l’utilisation de l’article défini « du » (« ... en vue d’un règlement
pacifique du différend »).383
5.35. Le préambule, en définissant l’objet et le but du Compromis, établit
donc, lui aussi, que la Cour n’est pas appelée à résoudre tous les différends entre
les Parties, mais uniquement celui, limité, défini dans la première disposition. Il
résulte également du préambule que l’interprétation doit être d’autant plus
380 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 21, par. 40 ; LaGrand (Allemagne
c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 506, par. 109 ; Question de la
délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles
marins de la cote nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2016, p. 118, par. 39 ; Jadhav (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 2019,
p. 439, par. 75.
381 Droits des ressortissants des États-Unis au Maroc (France c. États-Unis), arrêt, C.I.J.
Recueil 1952, p. 196.
382 V. Dixième rapport sur les réserves aux traités, par Alain Pellet, Rapporteur spécial, doc.
A/CN.4/558 et Add.1 et 2, 1er, 14 et 30 juin 2005, Ann. C.D.I., 2005, vol. II, Première partie,
p. 167, par. 77 ; Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 24.
383 Italiques ajoutés.
150
scrupuleusement limitée que cet objet a été défini à la suite de « plusieurs années
d’efforts consacrés à la recherche d’une solution par voie de négociation [qui] n’ont
pas permis d’atteindre le résultat escompté » (alinéa 2).
5.36. Interpretatio cessat in claris. « Placée en présence d’un texte dont la
clarté ne laisse rien à désirer, [la Cour] est tenue de l’appliquer tel qu’il est, sans
qu’elle ait à se demander si d’autres dispositions auraient pu lui être ajoutée (sic)
ou substituées avec avantage »384. C’est l’essence même de l’office de la Cour qui
« est appelée à interpréter les traités, non à les réviser »385.
5.37. Le recours à la règle générale d’interprétation codifiée dans l’article 31
de la Convention de Vienne sur le droit des traités ne laisse aucun doute sur
l’interprétation de l’article 1 du Compromis : le différend qu’il est demandé à la
Cour de trancher concerne – mais concerne exclusivement – la question de savoir
si les titres juridiques, traités ou conventions invoqués par les Parties font (ou non)
droit en ce qui concerne la délimitation terrestre et maritime et la souveraineté sur
les trois îles. Il n’est dès lors pas utile de recourir à des moyens auxiliaires
d’interprétation. Ce n’est donc que pour surplus de droit que le Gabon se réfère ciaprès
aux travaux préparatoires du Compromis.
384 Acquisition de la nationalité polonaise, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B n° 7, p. 20.
V. aussi Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994,
p. 25, par. 51 ; LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001,
p. 494, par. 77.
385 Interprétation des traités de paix, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950,
p. 229. V. aussi Acquisition de la nationalité polonaise, avis consultatif, 1923, C.P.J.I.
série B n° 7, p. 20 ; Droits des ressortissants des États-Unis au Maroc (France c. États-
Unis), arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 196 ; Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ;
Libéria c. Afrique du Sud), deuxième phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1966, p. 48,
par. 91.
151
2. Les travaux préparatoires confirment l’interprétation gabonaise du Compromis
5.38. Aux termes de l’article 32 de la Convention de Vienne :
« Il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation,
et notamment aux travaux préparatoires et aux circonstances dans
lesquelles le traité a été conclu, en vue, soit de confirmer le sens
résultant de l’application de l’article 31, soit de déterminer le sens
lorsque l’interprétation donnée conformément à l’article 31 :
a) laisse le sens ambigu ou obscur ; ou
b) conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou
déraisonnable ».
5.39. En l’espèce, l’accord des Parties sur l’objet du différend soumis à la
Cour est limité, mais son sens n’est ni ambigu, ni obscur, et son interprétation en
application de la règle générale de l’article 31 de la Convention de Vienne conduit
à un résultat qui n’est ni absurde, ni déraisonnable. Dès lors, il n’est en principe pas
opportun de prendre en considération les circonstances dans lesquelles le
Compromis a été conclu386. En tout cas, le recours aux travaux préparatoires ne peut
avoir pour objet que « de confirmer le sens résultant de l’application de
l’article 31 »387.
386 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 584, par. 376 ; v. aussi, notamment : Admission
d’un État aux Nations unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1948, p. 63.
387 V. par exemple : Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J.
Recueil 1994, p. 27, par. 55 ; Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et
Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 21,
par. 40 ; Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J.
Recueil 2002, p. 653, par. 53 ; Différend maritime (Pérou c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2014,
p. 30, par. 66 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement
du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2019, p. 585, par. 59 ; Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats Arabes Unis),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 28, par. 89.
152
5.40. Au demeurant, dans la présente affaire, les travaux préparatoires ont une
valeur probante limitée, et ce pour au moins deux raisons. D’une part, les Parties se
sont engagées à maintenir confidentiels les échanges et documents présentés durant
la médiation. D’autre part, surtout à compter de 2009, les négociations menées dans
le cadre de la médiation des Nations Unies ont consisté pour l’essentiel en échanges
verbaux destinés au médiateur lui-même qui, après avoir rencontré chaque Partie
successivement et à huis clos, formulait des propositions de compromis.
5.41. Au surplus, les Parties ont adopté les « Réserves d’usage » inscrites au
10ème paragraphe du document cadre de la médiation conduite par M. Nicolas
Michel selon lesquelles :
« 10.1 Tous les documents, déclarations, représentations et
propositions communiqués au médiateur par une Partie durant la
médiation seront considérés comme étant strictement confidentiels et
ne seront ni rendus publics ni divulgués à l’autre Partie, à moins que les
Parties ne l’autorisent spécifiquement.
10.2 Toutes les discussions durant la médiation ainsi que tous les
documents, déclarations, représentations et propositions produits soit
par une Partie au médiateur, soit par celui-ci à une Partie, y compris
toutes propositions ou recommandations qu’une Partie ou que le
médiateur pourrait faire, seront sans préjudice des positions juridiques
respectives des Parties et ne pourront être invoqués par l’autre Partie
dans toute procédure judiciaire. »388
5.42. La négociation du Compromis s’est avérée complexe. En effet, comme
l’affirme la Guinée Équatoriale, « [b]etween 2009 and 2016, the Parties continued,
within the context of the mediation, their efforts to reach a special agreement to
bring the case before the Court, but had difficulty agreeing on the definition of
subject matter of the dispute to submit to the Court »389. Ce fut la principale pomme
388 Document cadre de la médiation, Genève, 19 janvier 2009 (CMG, vol. V, annexe 177).
389 MGE, vol. I, par. 5.28.
153
de discorde entre les Parties : effectivement, durant les médiations, la Guinée
Équatoriale s’est efforcée d’attraire devant la Cour l’ensemble des différends
territorial et frontaliers opposant les Parties tandis que le Gabon s’est employé avec
détermination et succès à limiter le présent contentieux à la seule détermination des
titres juridiques permettant de les régler.
5.43. Le caractère central de cette divergence transparaît avec une netteté
particulière dans une lettre au secrétaire général des Nations Unies en date
du 10 mars 2004 par laquelle le ministre des Affaires étrangères de Guinée
Équatoriale a souligné que « l’existence de la prétendue convention de 1974 que
l’ancien président de la Guinée équatoriale Macias Nguema aurait signée selon le
Gouvernement du Gabon, est au coeur du différend (…) »390. C’est en effet le cas et
cela confirme que le différend en question porte bien sur les titres juridiques dont
peuvent se prévaloir les Parties aux fins de la délimitation frontalière et de
l’appartenance des îles.
5.44. Du reste, dans les conclusions de son mémoire, la Partie équatoguinéenne
se borne à prier la Cour de déterminer
« only [the] legal titles, treaties and international conventions that have
the force of law in the relations between the Gabonese Republic and the
Republic of Equatorial Guinea in so far as they concern the delimitation
of their common maritime and land boundaries and sovereignty over
the islands of Mbanié/Mbañe, Cocotiers/Cocoteros and Conga »391.
390 Gabon et Guinée Équatoriale, Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de
la Guinée Équatoriale et du Gabon, Bata, 12 septembre 1974, Objection relative à
l’authenticité de la Convention : Guinée Équatoriale, 18 mars 2004, R.T.N.U., vol. 2251, A-
40037, p. 387 (italiques ajoutés).
391 MGE, vol. I, Conclusions, p. 143.
154
5.45. L’attachement du Gabon à une limitation de la recherche aux seuls titres
conventionnels remonte aux négociations directes entre les Parties 392 . Son
opposition décidée durant la médiation à toute formule qui aurait prévu ou impliqué
que le différend dont la Cour est saisie aille au-delà de la détermination des titres
juridiques applicables confirme, si besoin était, que l’on ne saurait interpréter
l’objet du litige défini par l’article 1 du Compromis comme portant sur un différend
territorial ou de délimitation frontalière. Seule la limitation de l’objet du différend
soumis à la Cour à la stricte identification des titres juridiques applicables invoqués
par les Parties a permis l’adhésion du Gabon au Compromis. Cette constatation a
des conséquences déterminantes en ce qui concerne la mission confiée à la Cour
par les Parties.
B. LE CONSENTEMENT DES PARTIES À LA COMPÉTENCE
DE LA COUR
5.46. Selon la formule de l’article 38, paragraphe 1er, de son Statut, la mission
de la Cour est « de régler conformément au droit international les différends qui lui
sont soumis ». Il lui appartient de les régler complètement, mais sans excéder le
mandat que les Parties lui ont donné, faute de quoi elle agirait en violation du
principe fondamental du consentement à la juridiction (1). La décision que la Cour
est amenée à rendre ne peut donc excéder le cadre du litige particulier que le Gabon
et la Guinée Équatoriale ont consenti à lui soumettre ; elle n’en constituera pas
moins un élément déterminant pour la résolution, par les Parties, du différend plus
général qui les oppose (2).
392 V. par exemple MGE, vol. I, par. 5.16, relatif à la session de la commission ad hoc des
frontières Gabon-Guinée Équatoriale.
155
1. Le consentement des Parties, limite à la compétence de la Cour
5.47. Conformément à une jurisprudence bien établie et constante, c’est à la
Cour qu’il échet en dernière analyse d’apprécier la portée et le sens exact du
différend qui lui est soumis393. À cette fin, elle doit rechercher l’intention réelle des
Parties telle qu’elle est exprimée dans le Compromis : « dans l’interprétation d’un
texte de ce genre, il faut considérer l’intention commune telle qu’exprimée dans les
termes du compromis »394.
5.48. Il n’est pas douteux que ce différend, dont l’objet est fixé avec précision
à l’article 1, est lié à un différend plus vaste qui oppose les Parties et qui est à la
fois « territorial » et « frontalier » 395 . La question posée à la Cour porte
exclusivement sur les titres juridiques invoqués par les Parties à l’appui de leurs
prétentions respectives en ce qui concerne la délimitation de leurs frontières
maritime et terrestre et la souveraineté sur les trois îles ; elle constitue un préalable
au règlement de ce double différend que les Parties devront régler en se fondant sur
l’arrêt à intervenir396.
393 Demande d’examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt rendu par la Cour le
20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France),
ordonnance, C.I.J. Recueil 1995, p. 304, par. 56 ; Compétence en matière de pêcheries
(Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 448, par. 29 ;
Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955
(République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt,
Rec. 2021, p. 18, par. 53.
394 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 584, par. 376.
395 V. supra, note 338.
396 V. supra, par. 5.6.
156
5.49. Il ne s’agit nullement d’une situation inédite. « Ainsi que la Cour l’a
noté, les requêtes qui lui sont soumises portent souvent sur un différend particulier
qui s’est fait jour dans le cadre d’un désaccord plus large entre les parties »397.
5.50. En l’espèce, la Cour doit trancher le différend qui lui est soumis en son
entier mais sans devoir, ni pouvoir, se prononcer sur celui ou ceux, plus vastes,
auxquels il est lié – étant entendu que l’arrêt de la Cour contribuera à la solution de
ceux-ci398.
5.51. La Cour « ne doit pas excéder la compétence que lui ont reconnue les
Parties, mais elle doit exercer toute cette compétence »399. Dans la présente espèce,
elle doit se prononcer sur l’applicabilité des « titres juridiques, traités et
conventions » invoqués par les Parties, mais ni sur la délimitation des frontières
maritime et terrestre communes aux Parties, ni, directement, sur la souveraineté sur
les îles.
5.52. Sans doute, la Cour, ayant à l’esprit l’existence du « désaccord plus
large entre les parties », pourrait « être tentée »400 de procéder elle-même à la
délimitation des frontières entre les deux États ou à l’attribution des îles Mbanié,
397 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019, p. 23, par. 36 citant la jurisprudence antérieure :
« Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 604, par. 32 ; Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c.
Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt C.I.J. Recueil 2011 (I), pp. 85-86,
par. 32 ; Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, pp. 91-92, par. 54 ; Personnel
diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt,
C.I.J. Recueil 1980, pp. 19-20, pars. 36-37 ».
398 V. infra, pars. 5.56 et s.
399 Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 23,
par. 19. V. aussi Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine
(Canada/États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 266, par. 22.
400 V. Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/États-
Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 266, par. 22.
157
Cocotiers et Conga. Mais, le Gabon ne doute pas que, fidèle à sa mission, elle saura
résister à cette « tentation » comme l’avait su la Chambre dans Golfe du Maine.
Dans cette affaire, le Canada et les États-Unis d’Amérique avaient « choisi de se
réserver pour une éventuelle négociation directe aux fins d’un accord la
détermination du tracé de la ligne de délimitation » ; la Chambre en a déduit que,
pour le reste, « leur intention de recourir, (…) à la voie judiciaire, doit être
interprétée dans les limites dans lesquelles elle a été conçue et exprimée. (...) La
Chambre en conclut donc que, dans l’exécution de la tâche qui lui a été confiée, elle
doit s’en tenir aux termes par lesquels les Parties ont défini celle-ci. Si elle ne le
faisait pas, elle dépasserait sa compétence »401.
5.53. Dans le même esprit, dans l’affaire El Salvador/Honduras, une autre
Chambre de la Cour a rejeté la prétention du Honduras selon laquelle il n’était pas
permis d’interpréter le compromis demandant à la Cour de « déterminer la situation
juridique des îles et des espaces maritimes »402 comme la chargeant d’« une demimesure,
à savoir une simple détermination de la situation juridique de ces espaces
non accompagnée d’une délimitation (…) [au lieu de] régler une fois pour toute un
ensemble de différends dont certains éléments remontent à plus d’un siècle »403.
Rappelant que « la compétence de la Chambre, comme celle de la Cour, dépend du
consentement des Parties », la Chambre a estimé n’avoir « nullement compétence
pour effectuer une quelconque délimitation de ce genre »404. Elle a ajouté :
« Dans la présente affaire, les Parties ont réservé (...) leurs positions
juridiques sur la question de savoir si la situation juridique des eaux du
golfe est telle qu’elle exige ou autorise une délimitation ; c’est là une
401 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/États-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 266, par. 23.
402 V. supra, par. 5.12.
403 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, pp. 583-584, par. 375.
404 Ibid., p. 585, par. 378.
158
question qu’il appartiendra à la Chambre de trancher. En revanche, il
ne peut y avoir aucune réserve analogue sur la question de savoir quelle
sera la compétence du tribunal devant être saisi du différend, car c’est
seulement de la rencontre des volontés sur ce point que naît la
compétence. (...) La Chambre conclut qu’il y a eu un accord entre les
Parties, accord exprimé au paragraphe 2 de l’article 2 du compromis,
selon lequel la Chambre devrait déterminer la situation juridique des
espaces maritimes, mais que cet accord ne s’étendait pas à la
délimitation desdits espaces dans le cadre de cette opération »405.
5.54. Il en va de même en la présente instance : si la Cour, allant au-delà de
son mandat, répondait à des questions qui ne lui sont pas posées en vue de trancher
un différend qui ne lui est pas soumis, notamment en procédant elle-même à la
délimitation des frontières maritime et terrestre entre les Parties, elle porterait
atteinte au principe fondamental du consentement à sa juridiction, qui « est le
fondement de la juridiction de la Cour en matière contentieuse »406. Dès lors, « en
considération du fait que sa juridiction est limitée [et] qu’elle se fonde toujours sur
le consentement du défendeur », cette compétence « ne saurait subsister en dehors
des limites dans lesquelles ce consentement a été donné » 407 . Puisque « sa
compétence repose sur le consentement des parties, dans la seule mesure reconnue
par celles-ci », « lorsque ce consentement est exprimé dans une clause
compromissoire insérée dans un accord international, les conditions auxquelles il
405 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 585, par. 378. V. aussi le dispositif (par. 432 (2))
cité supra, pars. 5.12 et 5.17.
406 Interprétation des traités de paix, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.
V. aussi, parmi une jurisprudence extrêmement abondante : Or monétaire pris à Rome en
1943 (Italie c. France, Royaume-Uni et États-Unis d’Amérique), question préliminaire,
arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 32 ou Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c.
Venezuela), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 31, par. 113.
407 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt, 1924, C.P.J.I. série A n° 2, p. 16 également
cité dans : Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras),
requête à fin d’intervention du Nicaragua, arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 133, par. 95.
159
est éventuellement soumis doivent être considérées comme en constituant les
limites »408.
5.55. Dans l’affaire de la Sentence arbitrale du 31 juillet 1989, la Cour a
souligné que « si les deux Etats avaient exprimé de manière générale, dans le
préambule du compromis, leur désir de parvenir à un règlement de leur différend,
ils n’y avaient consenti que dans les termes prévus à l’article 2 du compromis »409.
C’est aussi le cas dans l’affaire présente : les deux Parties se sont déclarées, dans le
préambule du Compromis, « [d]éterminées à régler pacifiquement leur différend »
mais elles n’y ont consenti que dans les termes prévus à l’article 1 expressément
intitulé : « Soumission à la Cour et objet du différend ».
2. Les conséquences de l’arrêt de la Cour
5.56. Ainsi que cela est établi ci-dessus 410 , le Compromis du
25 novembre 2016 définit strictement l’objet du différend que les Parties ont
soumis à la Cour et, par voie de conséquence, la mission de celle-ci. Il n’en reste
pas moins qu’en réglant le différend défini par l’article 1 du Compromis, c’est-àdire
en déterminant les titres juridiques, traités et conventions, faisant droit entre les
Parties, l’arrêt à intervenir constituera une étape importante en vue de la solution
du différend plus large qui les oppose. La formule utilisée par la Cour dans
408 Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République
démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006,
p. 39, par. 88. V. aussi Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et
South Ledge (Malaisie/Singapour), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 101, par. 298 ; Certaines
questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt,
C.I.J. Recueil 2008, p. 200, par. 48 ; Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c.
Venezuela), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2020, pp. 486-487, par. 111.
409 Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée Bissau c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 1991,
p. 72, par. 56 ; v. aussi, Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El
Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 584, par. 376.
410 V. supra, pars. 5.6-5.45.
160
Tunisie/Libye, alors qu’elle n’avait pas été chargée de la délimitation de la frontière
maritime entre les États parties411, s’applique pleinement dans la présente espèce :
« Bien entendu la tâche de la Cour (...) n’est pas de donner un avis consultatif au
sens de l’article 65 du Statut et de l’article 102 du Règlement. Elle est priée de
statuer au contentieux par un arrêt rendu conformément aux articles 59 et 60 du
Statut et à l’article 94, paragraphe 2, du Règlement, qui aura donc l’effet et la force
obligatoire que lui attribuent l’article 94 de la Charte des Nations Unies et lesdites
dispositions du Statut et du Règlement »412.
5.57. Une telle mission correspond pleinement à la fonction judiciaire de la
Cour qui est de trancher le différend qui lui est soumis, étant entendu que l’arrêt à
intervenir doit pouvoir avoir des conséquences concrètes. À cet égard, la présente
affaire ne présente aucun point commun avec celle du Cameroun septentrional sur
laquelle la Cour a refusé de se prononcer en constatant que l’arrêt que le demandeur
lui demandait de rendre ne serait pas « effectivement applicable »413. Contrairement
à ce qui était alors le cas, il existe, dans la présente affaire, « un litige réel impliquant
un conflit d’intérêts juridiques entre les parties » ; l’arrêt que la Cour est invitée à
rendre est évidemment destiné à « affecter les droits ou obligations juridiques
existants des parties, dissipant ainsi toute incertitude dans leurs relations
juridiques »414 et les Parties seront « à même de prendre des mesures » pour y
donner suite415. Ainsi que la Cour l’a rappelé dans l’affaire de la Compétence en
matière de pêcheries, « il n’est nullement incompatible avec sa fonction judiciaire
411 V. supra, par. 5.22.
412 Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1982, p. 40,
par. 29.
413 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1963, p. 33.
414 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1963, p. 34. V. aussi Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, pp. 19-20, par. 40.
415 Ibid., p. 37.
161
de statuer sur les droits et les devoirs des Parties au regard du droit international
existant d’une manière qui pourrait avoir manifestement un effet dans l’avenir »416.
Il n’est pas non plus demandé à « la Cour de traiter des questions dans l’abstrait »
comme elle s’y était refusée dans les affaires des Essais nucléaires417. Elle est
seulement priée « de s’acquitter de sa fonction judiciaire normale en s’assurant de
l’existence ou de la non-existence de principes et de règles juridiques
applicables »418 dans les relations entre les Parties.
5.58. Ainsi, dans l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord, la Cour
s’est acquittée de son office en déterminant les principes et les règles applicables à
la délimitation entre les Parties sans préciser la ligne représentant la frontière
maritime419. Il doit en aller de même dans la présente affaire. Lorsque la Cour,
conformément à sa mission, aura déterminé les titres juridiques applicables parmi
ceux invoqués par les Parties, il appartiendra à celles-ci d’en tirer les conséquences.
5.59. Il convient de noter à cet égard que ces conséquences risquent d’être
assez différentes selon les réponses que la Cour apportera aux questions qui lui sont
posées dans le Compromis. Bien que ces questions soient précises, elles demeurent
ouvertes : la Cour est invitée à se prononcer en priorité sur l’applicabilité de deux
conventions nommément désignées, celle de Paris de 1900 et celle de Bata de 1974 ;
mais outre que la Guinée Équatoriale souhaite écarter la Convention de Bata, les
Parties ne se sont pas interdites d’invoquer d’autres titres juridiques qui pourraient,
en principe, être considérés par la Cour comme étant applicables en l’espèce.
416 Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil
1974, p. 19, par. 40.
417 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, pp. 271-272, par. 59 ;
Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 477, par. 62.
418 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996,
p. 237, par. 18.
419 V. supra, par. 5.20.
162
5.60. À s’en tenir aux deux instruments mentionnés dans le Compromis, il est
clair que la marge d’appréciation laissée aux Parties dans la mise en oeuvre de l’arrêt
pourrait différer grandement selon que la Cour déciderait que la Convention de Bata
fait, ou non, droit entre elles.
5.61. Dans la première hypothèse (applicabilité de la Convention de 1974) les
indispensables négociations entre les Parties pour la mise en oeuvre de l’arrêt se
trouveraient grandement simplifiées : cet instrument apporte des précisions quant
au tracé de la frontière terrestre et les modifications intervenues par rapport à la
Convention de Paris de 1900 sont particulièrement bienvenues pour des raisons
pragmatiques : c’est en effet la répartition des populations gabonaises et équatoguinéennes
dans la région qui a inspiré les échanges de territoires décidés à
l’article 2 de la Convention de 1974. À cet égard, la Convention de Bata, sans
remettre entièrement en cause celle de Paris, apparaît par rapport à celle-ci comme
une lex posterior très opportune. En outre et surtout, à la différence de la
Convention de 1900, celle de 1974 définit la frontière maritime entre les deux États
et se prononce de manière claire au sujet de la souveraineté sur les principales îles
se trouvant à proximité des côtes des deux États.
5.62. Dans la seconde hypothèse (applicabilité de la seule Convention de
Paris), a contrario, tous ces points resteraient à discuter entre les Parties sans égard
pour le principe pacta sunt servanda.
II. Les titres juridiques pouvant être invoqués par les Parties
5.63. La décision de la Cour est conditionnée par l’invocation de titres
juridiques par les Parties conformément au Compromis, soit qu’ils soient
mentionnés dans celui-ci, soit que les Parties les invoquent durant la présente
procédure. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale fait état d’un certain nombre
163
d’instruments ou de principes qui, selon elle, seraient susceptibles de faire droit
entre les Parties « s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et
terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et
Conga ».420 Pour autant, la totalité de ces éléments, à l’exception de la Convention
de Paris, ne constituent pas des titres juridiques pertinents, ce qui s’explique sans
doute par le peu de soin mis par la Guinée Équatoriale à définir la notion même de
« titre juridique ».
5.64. Comme le Gabon l’a souligné dans l’introduction du présent chapitre421,
dès les premières lignes de son mémoire, la Guinée Équatoriale affirme « that the
Parties have agreed that the Court’s task is to determine all Legal Titles having the
force of law between them, not just those emanating from particular treaties and
conventions » 422 . Elle invoque en conséquence des arguments à l’appui de sa
position juridique « s’agissant de la délimitation [des] frontières maritime et
terrestre communes [aux Parties] et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers
et Conga ». À titre d’exemples, sont ainsi allégués pêle-mêle par la Guinée
Équatoriale, sans d’ailleurs que le rattachement de ces éléments à de prétendus titres
juridiques soit toujours clair : « the special Convention on the delimitation of
French and Spanish possessions in West Africa, on the coasts of the Sahara and the
Gulf of Guinea, signed in Paris on 27 June 1900 », « the legal title of the Republic
of Equatorial Guinea as the successor State to Spain to all titles to territory (…)
based on modifications to the boundary », ou encore « the United Nations
Convention on the Law of the Sea signed on 10 December 1982 at Montego Bay »,
420 Compromis entre la République Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale,
15 novembre 2016, article 1, paragraphe 1er.
421 V. supra, par. 5.3.
422 MGE, vol. I, par. 1.4.
164
ou « [the] customary international law in so far as it establishes that a State’s title
and entitlement to maritime areas derives from its title to land territory »423.
5.65. Comme ceci est établi ci-dessus 424 , ce différend porte sur la
détermination des « titres juridiques », expression choisie à dessein par les Parties
de préférence au terme plus générique de « titres ». C’est donc exclusivement des
titres juridiques dont peuvent se réclamer les Parties à la double fin indiquée au
paragraphe 1er de l’article 1 du Compromis qu’il s’agit. Cela ne dissuade pas la
Guinée Équatoriale de confondre, en les assimilant, la notion plus générale de
« titres » à celle de « titres juridiques »425, dont il convient de préciser la nature, en
gardant à l’esprit que seuls peuvent être pris en compte les « titres juridiques »
invoqués par les Parties (A). Cela est d’ailleurs conforme à la pratique habituelle de
la Cour qui fait prévaloir les titres juridiques, et d’abord les traités et conventions
(sans qu’il existe une différence de nature entre les uns et les autres), sur tout
autre « titre » (B), ou a fortiori, sur des effectivités – qui ne peuvent être assimilées
à des « titres » quelconques, quelle qu’en soit la définition (C).
A. SEULS DES « TITRES JURIDIQUES »
PEUVENT ÊTRE INVOQUÉS PAR LES PARTIES
5.66. Étant donnée la confusion entretenue par la Guinée Équatoriale entre
« titres juridiques » et, plus généralement, « titres », il convient de revenir sur le
sens attribué à chacune de ces notions.
423 MGE, vol. I, pp. 143-144.
424 V. supra, pars. 5.6-5.45.
425 MGE, vol. I, par. 6.11.
165
5.67. En ce qui concerne d’abord le « titre », la Cour a affirmé que
« [l]e mot ‘titre’ a en fait (…) été parfois employé de telle manière
qu’on ne sait pas très bien parmi ses divers sens possibles lequel lui
attribuer ; il est donc peut-être utile de rappeler certaines distinctions
fondamentales. Comme l’a fait observer la Chambre constituée dans
l’affaire du Différend frontalier, en général le mot ‘titre’ ne renvoie pas
uniquement à une preuve documentaire, mais ‘peut … viser aussi bien
tout moyen de preuve susceptible d’établir l’existence d’un droit que la
source même de ce droit’ (C.I.J. Recueil 1986, p. 564, par. 18) »426.
5.68. Certes, la Guinée Équatoriale mentionne l’arrêt Burkina Faso/Mali qui
confirme la distinction à opérer entre les deux notions. Mais elle ne cite que
partiellement cette décision lorsqu’elle affirme que « [t]he ‘concept of title’
encompasses ‘any evidence which may establish the existence of a right, and the
actual source of that right »427. Ce faisant, elle omet de préciser que la Chambre de
la Cour a, dans le même paragraphe de la même décision, distingué la notion de
« titre juridique » de celle plus générale de « titre » en affirmant que :
« Dans ce contexte, l’expression ‘titre juridique’ semble se référer
exclusivement à l’idée de preuve documentaire. Il est à peine besoin de
rappeler que ce n’est pas là la seule acception du mot ‘titre’. (...) En
réalité la notion de titre peut également et plus généralement viser aussi
bien tout moyen de preuve susceptible d’établir l’existence d’un droit
que la source même de ce droit »428.
5.69. Au vu de cette jurisprudence, il est manifeste qu’en mentionnant « les
titres juridiques, traités et conventions internationales » faisant droit dans les
426 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, pp. 388-389, par. 45 ; Différend frontalier (Burkina
Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 564, par. 18.
427 MGE, vol. I, par. 6.11, note 306 : « Frontier Dispute (Burkina Faso/Mali), Judgment, I.C.J.
Reports 1986, p. 554, para. 18. See, similarly, Land, Island and Maritime Frontier Dispute
(El Salvador/Honduras: Nicaragua intervening), Judgment, I.C.J. Reports 1992, p. 351, para.
45. ».
428 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 564,
par. 18 (italiques ajoutés).
166
relations entre les Parties « s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime
et terrestre communes et de la souveraineté » sur les trois îles, l’article 1, paragraphe
1er, du Compromis invite la Cour à s’en tenir aux seuls « titres juridiques » entendus
comme preuves documentaires sans qu’elle puisse retenir la notion très générale de
« titre » comme la Guinée Équatoriale semble l’y inviter.
5.70. Le contexte et l’économie générale du Compromis confortent cette
interprétation. Non seulement les titres explicitement invoqués par les Parties aux
termes des paragraphes 2 et 3 sont des conventions, mais encore, le paragraphe 1er
de l’article 1 accole expressément à l’expression « les titres juridiques » la précision
« traités et conventions internationales ». Les « traités et conventions » sont bien
des « preuves documentaires »429 à la différence des effectivités ou des principes
très généraux invoqués par la Guinée Équatoriale au début du chapitre VI de son
mémoire430. Seuls de tels titres juridiques sont en cause dans la présente affaire.
5.71. Du reste, dans un autre passage du même arrêt Burkina Faso/Mali, la
Chambre a donné une définition positive, nettement plus ferme et opérationnelle,
de l’expression « titre territorial », qui s’applique particulièrement bien dans la
présente espèce. Il y est dit d’une manière qui ne souffre pas de la moindre
ambiguïté qu’« un titre territorial », est « un document auquel le droit international
confère une valeur juridique intrinsèque aux fins de l’établissement des droits
territoriaux »431.
429 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 606,
par. 97.
430 V. MGE, vol. I, pars. 6.1 et s.
431 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 582,
par. 54 (italiques ajoutés). V. Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan
(Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 667, par. 88 ; Différend territorial et
maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c.
Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, pp. 723, par. 215 ; Île de Kasikili/Sedudu
167
5.72. De même, le Compromis se borne à envisager, dans sa version
française, la seule possibilité pour les Parties d’invoquer « les titres juridiques,
traités et conventions internationales invoqués par les Parties [qui] font droit » à
l’exclusion de tout autre fondement à leurs prétentions respectives. Dans sa version
espagnole, « faisant également foi » entre les Parties, le Compromis évoque
« los títulos jurídicos, tratados y convenios internacionales invocados por las
Partes [que] son aplicables ». Ce faisant, il exclut toute possibilité pour les Parties
d’invoquer autre chose qu’une preuve documentaire : ni en français, ni en espagnol
il ne peut être envisagé de dire que des effectivités « font droit » ou, en espagnol,
« son aplicables ».
5.73. Et si le paragraphe 4 de l’article 1 se réfère à « d’autres titres
juridiques » qu’une Partie viendrait à invoquer, sans donner de précision sur la
nature de ces titres, il s’agit toujours de « titres juridiques » et non de « titres » « tout
court » et il n’y a nulle raison de penser qu’il faille donner à l’expression un sens
différent de celui qui lui est applicable dans le paragraphe 1er. À cet égard
également, les travaux préparatoires confirment, si besoin était, que c’est bien ainsi
que l’entendaient les Parties.
5.74. Cela est attesté notamment par les négociations tenues par les Parties en
vue de la résolution de leur différend, indépendamment même de leurs échanges
durant la médiation menée au nom du secrétaire général des Nations Unies et qui a
abouti directement à l’adoption du Compromis432.
5.75. À de nombreuses reprises, les Parties se sont entretenues en vue de la
résolution de leur différend relatif à la délimitation de leur frontière commune. Ces
discussions se sont limitées à la détermination des titres juridiques applicables aux
(Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999, p. 1098, par. 84 ; Différend territorial et
maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 661, par. 100.
432 V. supra, par. 5.41.
168
Parties tels qu’ils sont définis ci-dessus, autrement dit à l’identification des traités
et conventions faisant droit entre les Parties, sans mentionner de quelconques
effectivités433. Les Parties se sont focalisées sur l’existence de la Convention de
Bata 434 , faisant abstraction de la pertinence des effectivités dans l’espoir de
permettre la résolution du différend entre le Gabon et la Guinée Équatoriale.
5.76. Il se déduit du reste inévitablement des termes du Compromis qu’il est
demandé à la Cour de se prononcer sur les titres juridiques applicables entre les
Parties, tels que les définit l’article 1 du Compromis, qui fait référence aux seuls
titres conventionnels applicables, étant entendu que les Parties peuvent en invoquer
d’autres de même nature conformément au paragraphe 4 de l’article 1.
5.77. L’expression « à cette fin », intercalée entre les paragraphes 1 et 2 de
l’article 1 confirme que les titres juridiques, ou « document[s] [auxquels] le droit
international confère une valeur juridique intrinsèque aux fins de l’établissement
des droits territoriaux »435, dont il s’agit sont conventionnels, et que l’enjeu de la
présente affaire est d’abord de dire si la Convention de Bata fait droit entre les
Parties (qui sont d’accord sur l’applicabilité de la Convention de Paris de 1900)
étant par ailleurs entendu que d’autres instruments conventionnels peuvent être
invoqués (et contestés) par les Parties en vertu du paragraphe 4.
433 V. Communiqué final de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée Équatoriale,
Libreville, 20 janvier 1993 (MGE, vol. VII, annexe 211) ; Procès-verbal de la commission
ad hoc des frontières Gabon-Guinée Équatoriale, Libreville, 31 janvier 2001 (MGE, vol. VII,
annexe 212) ; Procès-verbal de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée
Équatoriale, Malabo, 23 mai 2003 (CMG, vol. V, annexe 171) ; v. aussi MGE, vol. VII,
annexe 213; Communiqué conjoint de la République Gabonaise et la République de Guinée
Équatoriale au sujet du processus de médiation relatif à leur différend territorial,
19 janvier 2004 (CMG, vol. V, annexe 173).
434 V. notamment Procès-verbal de la commission ad hoc des frontières Gabon-Guinée
Équatoriale, Malabo, 23 mai 2003 (CMG, vol. V, annexe 171) ; v. aussi MGE, vol. VII,
annexe 213 ; Communiqué conjoint de la République Gabonaise et la République de Guinée
Équatoriale au sujet du processus de médiation relatif à leur différend territorial,
19 janvier 2004 (CMG, vol. V, annexe 173).
435 V. supra, note 431 (italiques ajoutés).
169
5.78. Dès lors, la Cour ne peut se prononcer sur un certain nombre d’éléments
invoqués par la Guinée Équatoriale qui ne constituent pas des titres juridiques de
cette acceptation, et pour nombre d’entre eux même pas « documentaires »,
« [faisant droit] dans les relations entre la République Gabonaise et la République
de Guinée Equatoriale s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et
terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ».
5.79. Selon la Guinée Équatoriale, « [a]cquisition of legal title to territory
through succession is not controversial »436. Assurément ! Mais la succession ellemême
n’est pas un « titre », même entendu au sens large. Elle est seulement le
phénomène par lequel les titres antérieurs acquis par l’État prédécesseur se
transmettent à l’État successeur – ce dont, du reste, la Guinée Équatoriale semble
convenir, quoique de manière ambiguë437. Il en va de même des principes uti
possidetis juris ou du respect des frontières existant à l’indépendance dont la
Guinée Équatoriale fait grand cas438, ou de la coutume invoquée plus discrètement
dans les seules conclusions du mémoire mais sans justification ni explication439.
Ces éléments ne sont a fortiori pas des « titres juridiques », ou, dit autrement, des
« preuve[s] documentaire[s] » susceptibles de fonder ses droits.
5.80. L’uti possidetis juris est, du reste, sans utilité pour les Parties
« s’agissant de la délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et
de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ». Comme la Cour l’a
relevé dans l’affaire El Salvador/Honduras, « le jus [dans l’expression uti
436 MGE, vol. I, par. 6.1 ; v. aussi, par exemple, par. 6.27.
437 V. Ibid., par. 6.28 : « The question is: to what continental territory did each of the Parties
succeed when they achieved independence? This requires a determination of the land to
which France and Spain held Legal Title at the time Gabon and Equatorial Guinea became
independent ».
438 Ibid., pars. 6.2-6.9 ou pars. 6.17-6.24.
439 Ibid., p. 144, Conclusions, C.3.
170
possidetis juris] en question n’est pas le droit international, mais le droit
constitutionnel ou administratif du souverain avant l’indépendance »440. Les deux
États en cause ne relevaient pas, avant les indépendances, du même empire
colonial : dans une telle situation, les documents unilatéraux émanant de l’une ou
l’autre puissance coloniale ne valent évidemment pas titres juridiques et peuvent au
mieux être considérés à titre confirmatif441. Si les frontières concernent d’anciennes
colonies relevant de puissances administrantes différentes, l’uti possidetis n’ajoute
rien au principe – que le Gabon ne remet nullement en cause – de la succession aux
frontières coloniales. Il en va de même des accords que les États successeurs
pourraient conclure entre eux postérieurement à leur accession à l’indépendance.
5.81. S’agissant de la délimitation maritime, une autre confusion est faite par
la Guinée Équatoriale entre ce qui fonde le titre juridique et la possibilité de le
détenir (« an entitlement ») d’une part, et la possession du titre lui-même (« title »)
d’autre part. La Cour n’est pas appelée à se prononcer sur la possibilité pour les
Parties de détenir un titre juridique (sur leur « entitlement ») mais sur la seule
possession de ce titre juridique.
5.82. L’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire du Différend territorial et
maritime entre le Nicaragua et la Colombie illustre cette distinction. Elle y a rappelé
la règle invoquée par la Guinée Équatoriale442, à savoir que « [l]e titre d’un État sur
le plateau continental et la zone économique exclusive est fondé sur le principe
selon lequel la terre domine la mer du fait de la projection des côtes ou des façades
440 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 559, par. 333.
441 V. Île de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999, p. 1078, par. 55 ;
Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J. Recueil
2002, pp. 650-651, par. 48.
442 MGE, vol. I, Conclusion, C.3.
171
côtières »443. Mais, poursuivant sa réflexion, et toujours en vertu de cette règle, elle
a affirmé que « [la] Cour ne s’intéressera, en la présente instance, qu’aux zones sur
lesquelles la Colombie peut prétendre à un titre »444, se refusant ainsi à considérer
que cette règle constituait en elle-même un titre.
5.83. Le Gabon ne conteste évidemment pas que la Convention des Nations
Unies sur le droit de la mer (ci-après « CNUDM ») fasse droit entre les Parties.
Mais les articles 15, 74 et 83 de la CNUDM invoqués par la Guinée Équatoriale445,
loin de constituer un titre juridique (ou un « titre » tout court dans l’acception du
terme la plus large possible), ne font que confirmer la prévalence du titre
conventionnel : ils font justement tous mention de la nécessité pour les Parties de
conclure un « accord »446 susceptible de constituer un titre (« title ») ; seul un tel
accord est un titre. Ces dispositions n’ont de pertinence en la présente espèce que
parce qu’elles établissent que la délimitation ne peut reposer que sur un accord :
l’article 15 du fait de l’expression « sauf accord contraire entre eux » et les
paragraphes 4 respectifs des articles 74 et 83 en précisant que, lorsqu’un accord est
en vigueur entre les États concernés, les questions relatives à la délimitation du
plateau continental ou de la zone économique exclusive « sont réglées
conformément à cet accord ». Dans les relations entre le Gabon et la Guinée
Équatoriale un tel titre juridique existe : la Convention de Bata447.
5.84. La coutume, générale par nature, y compris lorsqu’elle est formée des
principes juridiques très généraux tels que le principe de l’uti possidetis juris ne
peut, pas davantage que les dispositions de la CNUDM, constituer un titre
443 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 674,
par. 140.
444 Ibid., p. 680, par. 151.
445 MGE, vol. I, par. 6.54.
446 V. MGE, vol. I, par. 6.41.
447 V. infra, Chapitre VI.
172
(« title »). De tels principes généraux, comme la Convention de 1982, définissent
seulement les conditions auxquelles les États concernés peuvent prétendre à un titre.
B. LA PRÉVALENCE DES TITRES CONVENTIONNELS
5.85. À s’en tenir aux titres juridiques proprement dits – documentaires –, un
certain nombre de précédents montrent qu’en matière de titres territoriaux, une
considération prioritaire doit être donnée aux traités et conventions liant les Parties.
Dans le cadre du différend soumis à la Cour, une considération particulière doit être
portée à la Convention de Bata, seul traité conclu entre les Parties relatif à « la
délimitation de leurs frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté
sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga ».
5.86. À l’article 1 du Compromis, les Parties ont pris soin de souligner le rôle
particulier des conventions bilatérales qui les lient – pour le Gabon « la Convention
spéciale sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles dans l’Afrique
Occidentale, sur la Côte du Sahara et sur la Côte du Golfe de Guinée du 27 juin
1900 (Paris) et la Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la
Guinée Equatoriale et du Gabon du 12 septembre 1974 (Bata) » et, pour la Guinée
Équatoriale, la « Convention spéciale sur la délimitation des possessions françaises
et espagnoles dans l’Afrique Occidentale, sur la Côte du Sahara et sur la Côte du
Golfe de Guinée du 27 juin 1900 (Paris) », en les incluant nominativement.
5.87. Indépendamment de la volonté des Parties de souligner le rôle central
de ces traités, les conventions, et tout spécialement les conventions bilatérales,
revêtent une importance particulière dans les différends relatifs à la délimitation ou
à l’attribution de la souveraineté. En tant que leges speciales, elles l’emportent sur
173
tout autre élément, y compris les coutumes ou les principes généraux invoqués à
tort par la Guinée Équatoriale comme constituant des « titres »448.
5.88. Des considérations du même type jouent en ce qui concerne les cartes
géographiques. À cet égard, la jurisprudence de la Cour est particulièrement bien
établie. Ici encore, l’arrêt de 1986 dans Burkina Faso/Mali est éclairant :
« En matière de délimitation de frontières ou de conflit territorial
international, les cartes ne sont que de simples indications, plus ou
moins exactes selon les cas ; elles ne constituent jamais – à elles seules
et du seul fait de leur existence – un titre territorial, c’est-à-dire un
document auquel le droit international confère une valeur juridique
intrinsèque aux fins de l’établissement des droits territoriaux. Certes,
dans quelques cas, les cartes peuvent acquérir une telle valeur juridique
mais cette valeur ne découle pas alors de leurs seules qualités
intrinsèques : elle résulte de ce que ces cartes ont été intégrées parmi
les éléments qui constituent l’expression de la volonté de l’Etat ou des
Etats concernés. Ainsi en va-t-il, par exemple, lorsque des cartes sont
annexées à un texte officiel dont elles font partie intégrante. En dehors
de cette hypothèse clairement définie, les cartes ne sont que des
éléments de preuve extrinsèques, plus ou moins fiables, plus ou moins
suspects, auxquels il peut être fait appel, parmi d’autres éléments de
preuve de nature circonstancielle, pour établir ou reconstituer la
matérialité des faits. »449
Pas davantage que les effectivités, les cartes ne sauraient tenir lieu de titres
juridiques, à moins d’être annexées au texte d’un traité, en faisant corps avec lui450.
Lorsque ce n’est pas le cas, le matériel cartographique n’est qu’un outil permettant
448 MGE, vol. I, pars 6.2 et 6.41 et Conclusions, pp. 143-144.
449 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 582,
par. 54 ; v. aussi notamment : Île de Kasikili/Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J.
Recueil 1999, p. 1098, par. 84 ; Différend frontalier (Bénin/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2005,
p. 119, par. 44.
450 Souveraineté sur certaines parcelles frontalières (Belgique/Pays-Bas), arrêt, C.I.J.
Recueil 1959, p. 220.
174
« [d’]étay[er] [les] revendication[s] respective[s] de souveraineté » 451 et même
lorsque cet outil est utilisé, « ce n’est qu’avec une extrême circonspection que l’on
peut tenir compte des cartes pour trancher une question de souveraineté … »452.
C. L’ABSENCE DE PERTINENCE DES EFFECTIVITÉS
5.89. Au regard du Compromis, la Cour n’est appelée qu’à identifier les titres
juridiques faisant « droit dans les relations entre la République Gabonaise et la
République de Guinée Equatoriale ». Les prétendues « effectivités » invoquées par
la Guinée Équatoriale453 ne lui sont, dès lors, d’aucun secours.
5.90. Il n’est en effet pas douteux que les effectivités ne constituent pas un
titre en elles-mêmes454 ; elles ne peuvent être prises en considération, précisément,
qu’en l’absence de titre ou en vue d’interpréter un titre juridique existant. Dans
l’affaire Burkina Faso/Mali, la chambre de la Cour a fermement exposé leur rôle et
leur rapport aux titres juridiques :
« [d]ans le cas où le fait ne correspond pas au droit, où le territoire objet
du différend est administré effectivement par un Etat autre que celui qui
possède le titre juridique, il y a lieu de préférer le titulaire du titre. Dans
l’éventualité où l’‘effectivité’ ne coexiste avec aucun titre juridique,
elle doit inévitablement être prise en considération. Il est enfin des cas
où le titre juridique n’est pas de nature à faire apparaître de façon
précise l’étendue territoriale sur laquelle il porte. Les ‘effectivités’
451 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 722, par. 213.
452 Ibid., p. 723, par. 214 citant Ile de Palmas (Pays-Bas/Etats-Unis d’Amérique), 4 avril 1928,
traduction française : Revue générale de droit international public, t. XLIII, pp. 179-180.
453 V. par exemple dans le MGE, vol. I, pars. 3.84, 6.32, 6.33, et 6.35.
454 V. supra, pars. 5.85-5.93.
175
peuvent alors jouer un rôle essentiel pour indiquer comment le titre est
interprété dans la pratique »455.
5.91. De même, citant plusieurs affaires relatives à des différends territoriaux
ou frontaliers, la Cour a relevé
« que, dans aucune de ces affaires, les actes invoqués n’étaient des actes
contra legem, et que par suite ces précédents ne sont pas pertinents. La
question d’ordre juridique consistant à déterminer dans quelle mesure
des effectivités peuvent amener à considérer qu’un titre appartient à un
Etat plutôt qu’à un autre n’est pas la même que celle consistant à
déterminer si de telles effectivités peuvent permettre de supplanter un
titre conventionnel établi. Ainsi que la Chambre de la Cour constituée
en l’affaire du Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali)
l’a clairement indiqué, dans l’éventualité où il existe un conflit entre
effectivités et titre juridique, il y a lieu de préférer le titre (C.I.J. Recueil
1986, arrêt, p. 586-587, par. 63) »456.
5.92. Ceci ne signifie évidemment pas que les effectivités ne jouent aucun
rôle dans le cadre de contentieux territoriaux ou frontaliers lorsqu’un titre est établi.
Mais précisément, la présente affaire n’entre pas dans le cadre de tels contentieux :
il ne s’agit, à ce stade, que d’identifier les titres juridiques faisant droit457 et non de
décider le tracé de la frontière, ou de dire laquelle des Parties est souveraine sur les
îles.
5.93. La Guinée Équatoriale est du reste bien consciente que les
« effectivités » ne peuvent constituer ni des titres juridiques, ni plus largement des
455 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, pp. 586-
586, par. 63 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.
Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, pp. 353-355, pars. 68
et 70. V. aussi : Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil
1986, p. 564, par. 18 ; Différend frontalier (Bénin/Niger), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 149,
par.141.
456 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ;
Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 415, par. 223.
457 V. infra, Chapitre VI.
176
titres territoriaux ou frontaliers : elle n’invoque jamais purement et simplement les
« effectivités » en tant que titres juridiques et accole systématiquement l’expression
« infra legem » au substantif « effectivités » 458 . Cette expression originale et
inusitée montre bien que, si titre il y a, il n’est pas constitué par les effectivités ellesmêmes
mais par les titres juridiques auxquels elles renvoient. Cette affirmation
rejoint la rédaction du Compromis dans lequel les Parties se sont entendues pour
limiter la tâche de la Cour à l’identification des « titres juridiques, traités et
conventions » faisant droit entre les Parties.
5.94. Sans préjudice de la distinction entre « titres juridiques », « titres » et
« effectivités », et quand bien même il serait possible de donner à l’expression
« titres juridiques » une interprétation plus extensive que celle dictée par le texte et
le contexte des dispositions pertinentes du Compromis et la jurisprudence
internationale, il n’en resterait pas moins que les titres conventionnels
l’emporteraient sur tout autre titre invoqué par la Guinée Équatoriale.
Conclusion
5.95. Sans jamais définir la notion de titres juridiques dans son mémoire, la
Guinée Équatoriale a utilisé divers éléments à l’appui de sa position. Au regard des
développements précédents, il apparaît que nombre des éléments qu’elle a invoqués
ne peuvent, en tout état de cause, être qualifiés de « titres juridiques » au sens du
Compromis du 15 novembre 2016. Il en va ainsi :
a) des règles ou des principes juridiques qui peuvent être créateurs de titres –
comme les principes de l’uti possidetis juris ou de l’intégrité territoriale, ou
de la CNUDM – mais qui ne peuvent en aucun cas être considérés, en euxmêmes,
comme constituant des titres juridiques ;
458 V. MGE, vol. I, notamment les pars. 3.84, 6.32, 6.33 et 6.35.
177
b) des cartes et croquis qu’elle invoque (souvent à tort) et qui, si elles ne sont
pas intégrées dans un traité, n’ont pas davantage valeur de titres ; ou
c) des prétendues « effectivités » qui forment une grande partie de
l’argumentation de la Guinée Équatoriale.
5.96. Aucun des pseudo-titres alternatifs que la Guinée Équatoriale a mis en
avant dans son mémoire n’entre dans les prévisions du Compromis et ne saurait
faire droit entre les Parties « s’agissant de la délimitation de leurs frontières
maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers
et Conga. »
5.97. De toute manière, les titres juridiques que la Guinée Équatoriale prétend
avoir acquis par les puissances coloniales, sont inopérants puisqu’ils ont été abrogés
par les Conventions de Paris et de Bata.
178
CHAPITRE VI.
LA CONVENTION DE BATA FAIT DROIT ENTRE LES PARTIES
6.1. Le 12 septembre 1974, au terme de négociations menées depuis 1971459,
les présidents Bongo et Macías Nguema ont signé la « Convention délimitant les
frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du Gabon » à Bata460.
Conformément à ses dispositions, cette Convention est entrée en vigueur le même
jour et a résolu les différends et autres difficultés entre les deux États en ce qui
concerne la délimitation de leurs frontières terrestre et maritime et la souveraineté
sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga.
6.2. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale continue de prétendre ignorer
l’existence de cette Convention, y faisant référence comme le « Document
presented in 2003 ». L’argument de la Guinée Équatoriale repose uniquement sur
l’absence d’exemplaire original de la Convention de Bata. Or, l’existence de cette
Convention n’est nullement liée à celle de ses exemplaires originaux. La question
devant la Cour est de savoir s’il existe des preuves satisfaisantes de l’existence de
la Convention de Bata, en l’absence de son original. Au regard des éléments soumis
en annexe des présentes écritures, en particulier l’ampliation de la Convention de
Bata qui avait été envoyée par le président Bongo à l’ambassadeur de France au
Gabon le mois suivant sa conclusion et détenue depuis lors dans les archives du
ministère des Affaires étrangères français461, la réponse à cette question ne peut
qu’être affirmative.
459 V. supra, pars. 2.45-2.54, 2.58-2.59 et 3.1-3.8.
460 V. supra, pars. 3.7-3.10.
461 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG,
vol. V, annexe 155).
179
6.3. La Guinée Équatoriale tente, à titre subsidiaire, de démontrer qu’en
signant la Convention de Bata, les Parties n’avaient pas l’intention de conclure un
instrument contraignant au regard du droit international. Cette prétention repose sur
une lecture très sélective du texte de la Convention et fait abstraction du contexte
de sa conclusion. Les termes employés par les Parties dans la Convention de Bata
ainsi que le contexte de sa conclusion ne laissent aucun doute quant à la valeur
juridique de cet instrument.
I. L’existence de la Convention de Bata
6.4. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale reproche au Gabon de ne pas
avoir présenté l’original de la Convention de Bata, prétendant que cela met en doute
l’existence même de cette Convention462. Déjà en 2004, bien que le Gabon lui ait
remis une copie de la Convention de Bata (document joint en annexe au mémoire
de la Guinée Équatoriale)463, la Guinée Équatoriale avait soutenu « qu’il n’existe
entre la Guinée équatoriale et le Gabon aucune convention en date du 12 septembre
1974, ni d’aucune autre date, concernant les frontières terrestres et maritimes » et
qu’il « est évident qu’il n’existe aucune convention de nature de celle invoquée par
le Gabon »464. La Guinée Équatoriale était allée jusqu’à accuser le Gabon d’avoir
agi « de manière honteuse » et de « mauvaise foi », décriant les prétendus « efforts
du Gabon pour fabriquer un traité qui n’a jamais existé »465.
462 MGE, vol. I, pars. 7.2-7.3, 7.7.
463 MGE, vol. VII, annexe 215.
464 Gabon et Guinée Équatoriale, Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes
de la Guinée Équatoriale et du Gabon, Bata, 12 septembre 1974, Objection relative à
l’authenticité de la Convention : Guinée Équatoriale, 7 avril 2004, R.T.N.U., vol. 2261, A-
40037, p. 316.
465 Ibid., p. 317.
180
6.5. Le Gabon reconnaît « le principe bien établi onus probandi incumbit
actori » selon lequel c’est à la partie qui avance certains faits d’en démontrer
l’existence466. S’il revient au Gabon de démontrer l’existence de la Convention de
Bata, rien en droit international ne prescrit un certain mode de preuve. Les parties
à un différend soumis devant la Cour sont libres de présenter tous les éléments de
preuve qu’elles estiment utiles. En 1925, le Juge Huber notait, lors la révision du
Règlement de la Cour permanente internationale de Justice que « les Parties
peuvent présenter toutes preuves qu’elles jugent utiles, et la Cour est entièrement
libre d’en tenir compte dans la mesure dans laquelle elle juge ces preuves comme
pertinentes »467.
6.6. La Cour examine ainsi « les faits qui se rapportent aux divers éléments
constitutifs des demandes formulées par les Parties » 468 . À cette fin, elle se
prononce « sur le poids, la fiabilité et la valeur qu’elle juge devoir leur être
reconnus » 469 . La Guinée Équatoriale ne semble pas remettre en question ces
principes ; du reste, elle-même s’appuie sur de nombreux éléments de preuve
indirects dans son mémoire, y compris des copies et retranscriptions de documents
sans pour autant verser les originaux de ces documents ou en indiquer la source470.
466 Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, C.I.J. Recueil
2010, p. 71, par. 162 ; MGE, vol. I, par. 7.7.
467 Révision du Règlement de la Cour, 1926, C.P.J.I. série D addendum au n° 2, p. 250.
V. aussi A. Riddell et B. Plant, Evidence before the International Court of Justice (2009),
p. 151.
468 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.
Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 200, par. 59 ; Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil
2015, p. 74, par. 180.
469 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c.
Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 200, par. 59.
470 V. par exemple supra, par. 2.18, et infra, note 691.
181
6.7. En effet, une partie n’est aucunement obligée de soumettre l’original
d’un document pour en prouver l’existence471. En particulier, elle est tout à fait
légitime à s’appuyer sur des preuves indirectes pour prouver l’existence d’un
instrument lorsque l’original a été perdu ou détruit472. Dans l’affaire du Personnel
diplomatique et consulaire des États-Unis à Téhéran, la Cour s’est fondée sur des
preuves indirectes car les États-Unis n’avaient pas pu, au vu des circonstances,
« [ni] prendre contact avec leurs représentants diplomatiques et consulaires ni avoir
accès à leurs locaux et à leurs archives diplomatiques et consulaires » en Iran473.
Ainsi que l’a noté le Juge Fitzmaurice dans son opinion individuelle jointe à l’arrêt
dans l’affaire Barcelona Traction :
« Force est d’admettre qu’en l’absence des instruments pertinents la
conclusion qui précède ne peut être qu’une conjecture. Mais c’est, je
crois, une conjecture raisonnable, qui est justifiée par les faits dont on
a connaissance et dont le bien-fondé paraît probable. Bien sûr, les Trust
Deeds constitueraient, si on les produisait, ce que le common law
appelle la ‘meilleure’ preuve et, sauf si l’on pouvait établir qu’ils ont
été perdus ou détruits, une juridiction interne n’admettrait sans doute
471 P. Tomka et V.-J. Proulx, « The Evidentiary Practice of the World Court », NUS Law
Working Paper (December 2015) p. 12 ; D. Sandifer, « Documentary Evidence », in
Evidence before International Tribunals (1975), pp. 202, 209-210.
472 Appel contre une sentence du tribunal arbitral mixte hungaro-tchécoslovaque (Université
Peter Pázmány c. État tchécoslovaque), arrêt, 1933, C.P.J.I. série A/B n° 61, p. 215 (« Pour
ce qui est de la demande de l’agent du Gouvernement tchécoslovaque tendant à ce que la
Cour invite le Gouvernement hongrois à produire le texte authentique des nouveaux
documents invoqués, cette demande reposait sur la conception erronée qu’il eût incombé au
Gouvernement tchécoslovaque de présenter des copies certifiées des originaux de ces
documents ; il était en réalité responsable seulement de la conformité entre les textes qu’il
avait déposés et les sources secondaires qu’il avait citées. »). V. également United States,
Foreign Claims Settlement Commission, Decisions and Annotations (1968), p. 645 (« The
Commission recognized that as a general rule it would be a rare exception if a claimant had
in his possession primary documentary evidence to establish ownership and value of the
items of personalty lost aboard a vessel. Accordingly, the Commission granted awards in
such cases on the basis of credible secondary evidence »); Barcelona Traction, Light and
Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, opinion individuelle de
Sir Gerald Fitzmaurice, C.I.J. Recueil 1970, p. 98, par. 58; D. Sandifer, « Documentary
Evidence », in Evidence before International Tribunals (1975) pp. 202, 209-210.
473 Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amérique c.
Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 3, pars. 11-13.
182
pas une preuve moins formelle de leur contenu. Mais les tribunaux
internationaux ne sont pas liés par des règles aussi strictes, dont
beaucoup ne conviennent pas à des litiges entre des
gouvernements. »474
6.8. Du reste, il n’existe aucune hiérarchie entre les différents modes de
preuves. La Cour prend en considération des éléments de preuves indirectes
notamment lorsqu’ils sont « d’une cohérence et d’une concordance totales en ce qui
concerne les principaux faits et circonstances de l’affaire »475. Dans l’affaire du
Détroit de Corfou, la Cour a estimé que :
« [Les] moyens de preuve indirecte sont admis dans tous les systèmes
de droit et leur usage est sanctionné par la jurisprudence internationale.
On doit les considérer comme particulièrement probants quand ils
s’appuient sur une série de faits qui s’enchaînent et qui conduisent
logiquement à une même conclusion. »476
6.9. La preuve de l’existence de la Convention de Bata peut donc être
rapportée par tout moyen en l’absence de l’original du traité qui a été égaré.
6.10. En l’espèce, de nombreuses preuves de l’existence et du contenu de la
Convention de Bata existent. Ces preuves proviennent d’une diversité de sources et
sont concordantes.
474 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième
phase, opinion individuelle de Sir Gerald Fitzmaurice, C.I.J. Recueil 1970, p. 98, par. 58.
V. aussi Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), compétence, opinion dissidente de Sir Arnold
McNair, C.I.J. Recueil 1952, p. 60, selon qui une déclaration jointe à un traité avait été
ratifiée quand bien même l’instrument de ratification du Royaume-Uni n’avait pu être
retrouvé à la suite de la perte d’archives.
475 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-
Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 40, pars. 62-63 ; Personnel
diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (États-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt,
C.I.J. Recueil 1980, p. 10, par. 13.
476 Affaire du Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 18.
183
6.11. En premier lieu, une ampliation de la Convention de Bata se trouve dans
les archives du ministère des Affaires étrangères français. Cette copie a été envoyée
par le président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon sous pli d’une lettre
du 28 octobre 1974, peu de temps après sa conclusion le 12 septembre 1974477. La
Guinée Équatoriale a inclus cette lettre dans les annexes de son mémoire478, en
omettant d’inclure les documents qui y étaient joints, à savoir l’ampliation
contemporaine de l’original de la Convention de Bata. Le Gabon fournit en annexe
155 des présentes écritures la lettre et sa pièce jointe.
6.12. Cette copie de la Convention de Bata contient les signatures des deux
présidents ainsi que des annotations manuscrites dûment paraphées. Les signatures
sont conformes à celles qui sont apposées sur d’autres documents contemporains,
dont l’existence et l’authenticité ne sont pas contestées479. La lettre de couverture
comporte également le tampon de l’ambassade de France au Gabon daté au 31
octobre 1974. La copie et les circonstances de son envoi aux autorités françaises ne
soulèvent aucun doute quant à son authenticité.
6.13. La lettre du président Bongo à l’ambassadeur de France joignant
l’ampliation de la Convention de Bata a été envoyée à la suite d’une réunion
organisée par le président Macías Nguema avec les chefs de missions diplomatiques
en Guinée Équatoriale le 13 octobre 1974. À cette occasion, ainsi que quelques
jours auparavant lors d’une discussion avec l’ambassadeur de France en Guinée
477 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG,
vol. V, annexe 155).
478 Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au Gabon, 28 octobre 1974 (MGE,
vol. VI, annexe 176).
479 V. par exemple Lettre du président du Gabon au président de la Guinée Équatoriale,
30 août 1972 (CMG, vol. V, annexe 120) ; Lettre du président de la Guinée Équatoriale au
secrétaire général des Nations Unies, 21 janvier 1969 (CMG, vol. V, annexe 110) ; Lettre
du président de la Guinée Équatoriale au secrétaire général des Nations Unies, 30 août 1969
(CMG, vol. V, annexe 111).
184
Équatoriale 480 , le président Macías Nguema avait confirmé que la Guinée
Équatoriale était parvenue à un accord avec le Gabon481. Bien que le président
Macías Nguema ait dénaturé en partie la teneur du compromis trouvé concernant la
frontière maritime, il avait reconnu qu’un accord avait été conclu entre les deux
États concernant la frontière terrestre et la souveraineté sur les îles Mbanié,
Cocotiers et Conga482.
6.14. À son retour de Guinée Équatoriale, le président Bongo avait aussi fait
état de la conclusion de la Convention de Bata en déclarant lors d’une conférence
de presse qu’il :
« avait signé avec le président Macias Nguema un accord sur la
délimitation des frontières ‘terrestres et maritimes’ entre les deux pays
et que ce problème était définitivement réglé. »483
6.15. Quelques semaines plus tard, il avait confirmé à l’ambassadeur de
France à Libreville que la Convention de Bata avait été signée et s’était engagé à
lui en transmettre une copie484.
480 Dépêche d’actualité n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale
à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères
français, 2 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 152), pp. 5-9. V. aussi supra, par. 3.4.
481 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale
à la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères
français, 14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153) ; Télégramme n° 3385 de
l’ambassade des États-Unis au Cameroun au secrétaire d’État américain, 16 octobre 1974
(CMG, vol. V, annexe 154).
482 Ibid.
483 Télégramme n° 691/692 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires
étrangères français, 13 septembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 148). V. aussi Télégramme
n° 1139 de l’ambassade des États-Unis au Cameroun au secrétaire d’État américain,
14 septembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 149) (« In Libreville airport press conference
September 12 following return from official visit to Equatorial Guinea, President Bongo
announced that the frontier problem between the two countries had been definitively
settled. »).
484 Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires
étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156), p. 2.
185
6.16. Après la chute et l’exécution du président Macías Nguema en 1979, des
représentants équato-guinéens ont à nouveau confirmé l’existence de la Convention
de Bata lors d’une réunion avec l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale
en 1984. À cette occasion, Marcelino Nguema Onguene, ministre d’État équatoguinéen
chargé des affaires extérieures et de la coopération avait expliqué qu’il
savait du ministre secrétaire général de la présidence qui avait assisté aux entretiens
entre les présidents Bongo et Macías Nguema en septembre 1974 « [qu’]une
convention avait été signée »485. Relatant cette réunion, l’ambassadeur français
notait :
« Un maigre dossier des archives de ce poste contient la traduction libre
de la Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la
Guinée Équatoriale et du Gabon signée le 12 septembre 1974,
Convention contestée par la Guinée. Il y est disposé que ‘la frontière
partira du point d’intersection du thalweg du fleuve Muni en ligne droite
tracée depuis la pointe Cocobeach à la pointe Dieke’. L’îlot Mbane est
explicitement cédé au Gabon et d’ailleurs, la gendarmerie gabonaise
l’occupe depuis. »486
Cette description est conforme à la Convention de Bata et confirme du même coup
son existence.
6.17. Outre les nombreuses correspondances diplomatiques françaises et
américaines qui font référence à la Convention de Bata487, la conclusion de cette
Convention en septembre 1974 a également été relatée dans la presse de l’époque.
La rencontre et les négociations entre les deux présidents qui sont intervenues du
9 au 12 septembre 1974 avaient été filmées pour un reportage audiovisuel, qui
rapportait que les entretiens des deux chefs d’État avaient « permis ensuite de
485 Télégramme n° 254 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des
Affaires étrangères français, 3 septembre 1984 (CMG, vol. V, annexe 168).
486 Ibid. Concernant l’installation d’un poste de gendarmerie, v. supra, par. 2.49.
487 V. supra, pars. 3.18-3.25.
186
résoudre de manière définitive le problème de la délimitation des frontières entre la
Guinée Équatoriale et le Gabon »488 et montrait les deux présidents entourés de
membres de leurs délégations en train de discuter et de signer un document.
6.18. De même, le 20 septembre 1974, le journal L’Union publiait les
« principaux extraits » du communiqué final de la rencontre entre les deux chefs
d’État, qui confirment la conclusion de la Convention de Bata489.
6.19. La conclusion de la Convention de Bata et son contenu ont par la suite
été décrits dans plusieurs ouvrages :
a) Dans le livre de Max Liniger-Goulas, La Guinée Équatoriale, Un Pays
Méconnu, publié en 1980, l’auteur a relaté les dires de Asumu Oyono, exsecrétaire
général de la Présidence de la République de Guinée Équatoriale,
selon lesquels le président Macías Nguema avait en 1974 « accepté la cession
au Gabon des îles Mbañe, Cocotiers et Conga, ainsi que de la zone, de Kiosi,
contre rétribution, soit l’abandon de quelques 2 000 km² de territoire
national »490. Bien que ce chiffre soit surévalué, cet ouvrage décrit la solution
entérinée dans la Convention de Bata. Les propos de Asumu Oyono ont
également été rapportés dans un ouvrage de 1977 par Donato Ndongo
Bidyogo, auteur et journaliste équato-guinéen :
488 Reportage audiovisuel sur la visite d’État du président Bongo en Guinée Équatoriale et sa
retranscription (CMG, vol. II, annexe V2).
489 V. supra, pars. 3.10-3.11. « Sur le plan bilatéral, les deux chefs d’Etat ont tour à tour exalté
la qualité des liens très divers, la profondeur des sentiments fraternels, et la cordialité des
rapports qui ont toujours uni leurs deux peuples. Ils ont convenu de la nécessité de donner
une impulsion nouvelle à l’évolution des relations existant entre les deux pays. Ils ont à cet
effet procédé à la signature d’une convention portant délimitation des frontières terrestres
et maritimes entre la République Gabonaise et la République de Guinée Equatoriale »
(« ‘Tout est réglé !’ avec la Guinée Equatoriale », L’Union, 20 septembre 1974 (CMG,
vol. V, annexe 150).
490 M. Liniger-Goumaz, La Guinée équatoriale, un pays méconnu (1980) (extraits) (CMG,
vol. V, annexe 165), p. 229.
187
« Selon une déclaration de Gaudencio Asumu Oyono, alors viceministre
et secrétaire général de la présidence -maintenant en exil-,
‘Macias a signé un accord sur les nouvelles limites territoriales avec le
président Bongo à Bata. Selon cet accord, la Guinée Équatoriale a cédé
au Gabon les îles de Mbanie, Cocoteros et Conga ; dans la zone de Kiosi
(Ebebiyin, à l’extrémité nord-est du Rio Muni), la Guinée a droit à un
kilomètre de la fourche du fleuve Kie, perdant le territoire de Ngong à
Mibang, les villages situés à soixante kilomètres de la ville de
Mongomo, ainsi que le village de Nkok-Ekieri. Au total, Macias a cédé
au Gabon plus de 2 000 kilomètres carrés de territoire continental, plus
les îles mentionnées ci-dessus’. En conséquence, une grande partie des
districts d’Ebebiyin et de Mongomo, y compris la ville natale du
président, rebaptisée par lui ‘El Ferrol del Caudillo’, est devenue
territoire gabonais. »491
b) Dans un article de l’Encyclopédie juridique d’Afrique publiée en 1982,
Monique Chemiller-Gendreau et Dominique Rosenberg ont confirmé qu’une
convention relative à la délimitation des frontières entre le Gabon et la
Guinée Équatoriale avait été signée le 12 septembre 1974492.
6.20. Dès lors, la Guinée Équatoriale ne peut sérieusement prétendre avoir été
« taken completely by surprise » par l’invocation de cette Convention par le Gabon
et n’avoir jamais vu ou entendu parler de cet instrument493.
491 D. Ndongo Bidyogo, Historia y tragedia de Guinea Ecuatorial (Editorial Cambio 16)
(1977), p. 219 (CMG, vol. V, annexe 161) (original en espagnol : « Según declaración del
entonces vice-ministro y secretario general de la presidencia —hoy en el exilio—,
Gaudencio Asumu Oyono, «Macías firmó en Bata con el presidente Bongo un acuerdo de
nuevos límites territoriales. Según dicho acuerdo, Guinea Ecuatorial entregó a Gabón las
islas de Mbañe, Cocoteros y Conga; en la zona de Kiosí (Ebebiyín, en el extremo
nororiental de Río Muni), Guinea tiene derecho a un kilómetro a partir de la bifurcación
hacia el río Kie, perdiendo el territorio comprendido desde Ngong hasta Mibang, poblados
situados a sesenta kilómetros de la ciudad de Mongomo, así como el pueblo de Nkok-Ekieñ.
En total, Macías entregó a Gabón más de dos mil kilómetros cuadrados de territorio
continental, más las islas citadas». El resultado es que gran parte de los distritos de
Ebebiyín y Mongomo, incluido el pueblo natal del presidente, rebautizado por él como «El
Ferrol del Caudillo», han pasado a ser territorio gabonés. »).
492 Encyclopédie juridique de l’Afrique (1982) (extraits), pp. 67, 100-101 (CMG, vol. V,
annexe 166).
493 MGE, vol. I, par. 5.19.
188
6.21. Qui plus est, la Convention de Bata s’inscrit parfaitement dans
l’évolution des relations entre les Parties à partir de 1970. Elle est la suite logique
des négociations qui ont eu lieu entre 1970 et 1974 entre les deux États et reflète
les propositions considérées au cours de celles-ci494. En effet, dès 1971, le Gabon
avait suggéré que la frontière maritime coïncide au large avec le parallèle tracé à
partir du milieu du Rio Muni à son embouchure tout en aménageant « une ceinture »
de mer territoriale équato-guinéenne autour des îles Elobey et Corisco 495 ,
proposition reprise dans la Convention de Bata.
6.22. La Convention de Bata permet aussi d’expliquer l’amélioration des
relations entre les deux États depuis 1974496. Ce changement dans les relations entre
les Parties coïncide avec la résolution de leur différend frontalier et insulaire par la
conclusion de la Convention de Bata. Si, avant 1974, les relations entre les deux
États étaient marquées par des tensions prononcées quant à la délimitation de leurs
frontières communes et à la souveraineté sur Mbanié 497 , la conclusion de la
Convention de Bata a mis fin aux incidents frontaliers et a permis aux Parties de
développer leur coopération dans plusieurs domaines498. En particulier, en 1979,
les Parties ont signé un Accord général de coopération et un Accord de coopération
pétrolière499. Aucun de ces instruments ne fait référence à un différend frontalier
entre les États, avec lequel leur conclusion n’eût guère été compatible. Ces
494 V. supra, pars. 2.45, 3.6.
495 Procès-verbal dressé par la commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la
rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 199).
496 V. supra, pars. 4.2-4.8.
497 V. supra, pars. 2.49-2.54, 2.57-2.59 .
498 V. supra, pars. 4.2-4.8.
499 V. supra, par. 4.5; Accord général de coopération entre le gouvernement de la République
Gabonaise et le gouvernement de la République de Guinée Équatoriale, Libreville,
13 novembre 1979 (CMG, vol. V, annexe 164) ; Accord de coopération pétrolière entre la
République de Guinée Équatoriale et la République Gabonaise, Libreville,
13 novembre 1979 (CMG, vol. V, annexe 163).
189
initiatives ont pu être poursuivies dans le contexte de stabilité qui résultait du tracé
des frontières et de la reconnaissance réciproque de souveraineté sur les îles entre
les deux États dans la Convention de Bata.
6.23. Les éléments de preuve présentés par le Gabon ne mènent qu’à une
seule conclusion : la Convention de Bata existe et son contenu est conforme
à la copie envoyée par le Gabon à l’ambassadeur de France à Libreville,
le 28 octobre 1974.
II. L’authenticité du texte de la Convention de Bata
6.24. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale tente de faire naître des
doutes quant à l’authenticité du texte de la Convention de Bata, sans jamais la
contester formellement. Elle se contente de soutenir qu’il incombe au Gabon de
prouver l’authenticité du texte de la Convention de Bata500. À l’appui de son
argument, la Guinée Équatoriale fait référence ici encore au principe, reconnu par
la Cour, « onus probandi incumbit actori ».
6.25. Le Gabon a démontré ci-dessus l’existence indiscutable de la
Convention de Bata 501 . Dans la mesure où la Guinée Équatoriale conteste
l’authenticité du texte de la Convention de Bata tel qu’il est reproduit dans la copie
qui avait été adressée à l’ambassadeur de France au Gabon en octobre 1974, il lui
incombe d’en apporter la preuve502. En tout état de cause, l’authenticité du texte ne
500 MGE, vol. I, par. 7.7.
501 V. supra, Chapitre VI.I.
502 Souveraineté sur certaines parcelles frontalières (Belgique c. Pays-Bas), arrêt, C.I.J.
Recueil 1959, p. 224. V. aussi Tribunal irano-américain de réclamations, Abrahim Rahman
Golshani c. Gouvernement de la République islamique d’Iran, sentence finale n° 546-812-
3, 2 mars 1993, par. 49 dans laquelle le tribunal a jugé : « The Tribunal believes that the
analysis of the distribution of the burden of proof in this Case should be centered around
Article 24, paragraph 1 of the Tribunal Rules which states that ‘[e]ach party shall have the
190
requiert pas la présentation d’un original, en particulier lorsque celui-ci n’est plus
en la possession de la partie qui l’invoque503. Comme l’a noté le juge Al Khasawneh
dans son opinion dissidente dans l’affaire de l’Application de la Convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide :
« La Cour relève (…) que l’authenticité du document a été mise en
doute par le défendeur, vraisemblablement parce qu’il s’agissait ‘des
copies de communications interceptées et non des originaux’. Mais il
est clair que, si la Cour insistait pour obtenir des originaux de
documents, elle ne pourrait jamais rendre de jugements. »504
6.26. En l’espèce, le Gabon a fourni la copie de la Convention de Bata qui
avait été envoyée à l’époque à l’ambassadeur de France au Gabon et détenue dans
les archives françaises. Cette copie comporte les signatures et paraphes des deux
présidents. En vertu de la Convention de Vienne, les signatures des Parties
contractantes arrêtent le texte comme authentique et définitif505.
6.27. L’authenticité de cette ampliation ne fait aucun doute et est corroborée
par le fait que les mentions manuscrites qu’elle contient, en particulier les
modifications opérées aux articles 6 et 9 visant à remplacer « du présent traité » par
« de la présente Convention », qui sont paraphées par les deux présidents, sont
burden of proving the facts relied on to support his claim or defence.’ It was the Respondent
who, at one point during the proceedings in this Case, raised the defence that the Deed is a
forgery. Specifically, the Respondent has contended that the Deed, dated 15 August 1978,
was in fact fabricated in 1982. Having made that factual allegation, the Respondent has the
burden of proving it. However, the Tribunal need only concern itself with the question
whether the Respondent has met that burden if the Claimant has submitted a document
inspiring a minimally sufficient degree of confidence in its authenticity. It is therefore up to
the Claimant first to demonstrate prima facie that the Deed is authentic. »
503 V. supra, pars. 6.5-6.8.
504 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Servie-et-Monténégro), opinion dissidente de M. le juge Al-
Khasawneh, C.I.J. Recueil 2007, p. 325, p. 262.
505 Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil
des traités, vol. 1155, n° 18232, p. 331, article 10.
191
conformes à la description faite de la Convention de Bata par le président Bongo à
l’ambassadeur de France au Gabon en 1974506.
6.28. Les arguments soulevés par la Guinée Équatoriale, qui ont trait à
l’enregistrement de la Convention de Bata aux Nations Unies, ne jettent aucun
doute quant à son authenticité. La copie remise au Secrétariat des Nations Unies par
le Gabon est conforme au texte de la Convention de Bata présenté devant la Cour507.
La qualité de cette copie ne peut, à elle seule, remettre en cause l’authenticité de cet
instrument. Dans sa lettre à la représentation permanente de Guinée Équatoriale aux
Nations Unies, le Secrétariat des Nations Unies notait à cet égard : « the Treaty
Section (…) requested Gabon to resubmit clearer copies. This is not an unusual
practice when illegible texts are submitted for registration by Member States. »508
506 Lors d’une réunion avec l’ambassadeur de France à Libreville, le président Bongo avait
déclaré qu’ « [i]l s’agissait d’une convention (…) et non d’un traité afin d’éviter une
ratification parlementaire qui aurait [pu] être prétexte à une nouvelle contestation, voire à
une remise en cause de l’accord ». V. Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au
Gabon au ministre des Affaires étrangères français, 7 novembre 1974, p. 2 (CMG, vol. V,
annexe 156). V. aussi supra, par. 3.19.
507 À cet égard, le Gabon note que c’est bien la copie de l’original, et non la retranscription
soumise ultérieurement au Secrétariat qui fait foi. V. Lettre du ministre d’État gabonais au
secrétaire général des Nations Unies, 5 février 2004 (CMG, vol. V, annexe 174).
508 Lettre de l’assistant secrétaire général des Nations Unies au représentant permanent de la
Guinée Équatoriale auprès des Nations Unies, 22 mars 2004 (MGE, vol. III, annexe 32).
192
III. La Convention de Bata est un traité liant les Parties
A. LA CONVENTION DE BATA SATISFAIT LES CONDITIONS
RELATIVES À LA CONCLUSION D’UN TRAITÉ
EN DROIT INTERNATIONAL
6.29. La Convention de Bata répond à toutes les conditions relatives à la
conclusion d’un traité en droit international codifiées dans la Convention de
Vienne. Ainsi :
a) le texte de la Convention de Bata a été adopté avec le consentement des deux
États, 509 exprimés par les paraphes et signatures de leur représentant
respectif ;
b) il a été arrêté comme authentique et définitif par la signature et les paraphes
de ces représentants510 ; et
c) ceux-ci étaient les chefs d’État du Gabon et de Guinée Équatoriale511.
6.30. Ainsi, en vertu de leurs éminentes fonctions, les présidents Bongo et
Macías Nguema ont valablement conclu un traité qui est entré en vigueur le jour de
sa signature et qui lie la Guinée Équatoriale et le Gabon.
509 Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil
des traités, vol. 1155, n° 18232, p. 331, article 9.
510 Ibid., article 10.
511 Ibid., article 7.
193
B. LA CONVENTION DE BATA EST UN INSTRUMENT CONTRAIGNANT
6.31. La Guinée Équatoriale soutient, à titre subsidiaire, que la Convention
de Bata « does not have, and was never understood or treated as having, the force
of law in the relations between the Parties with regard to the delimitation of their
common maritime and land boundaries or sovereignty over the islands of Mbañe,
Cocoteros and Conga »512. Cette allégation est contredite par l’intention objective
des Parties telle qu’elle ressort du texte de la Convention et du contexte de sa
conclusion.
6.32. Pour être qualifié de traité, un accord doit entraîner des obligations
juridiquement contraignantes. Dans l’affaire du Rhin de fer, le tribunal arbitral avait
relevé que l’intention des parties est le facteur clé qui permet de distinguer un
instrument juridiquement non contraignant d’un traité513. Ce principe a également
été reconnu par le tribunal arbitral qui s’est prononcé dans l’affaire concernant
l’Aire marine protégée des Chagos :
« While the Tribunal readily accepts that States are free in their
international relations to enter into even very detailed agreements that
are intended to have only political effect, the intention for an agreement
to be either binding or non-binding as a matter of law must be clearly
expressed or is otherwise a matter for objective determination. As
recalled by the ICJ in Aegean Sea Continental Shelf, “in determining
512 MGE, vol. I, par. 7.8.
513 Arbitrage relatif au chemin de fer dit Iron Rhine (« Ijzeren Rijn ») (Belgique/Pays-Bas),
décision du 24 mai 2005, R.S.A., vol. XXVII, pp. 91-92, par. 142. V. aussi Nations Unies,
Bureau des affaires juridiques, Manuel des traités (2013), par. 5.3.4 (« [u]n traité ou un
accord international doit entraîner pour les parties des obligations juridiquement
contraignantes au regard du droit international, et non de simple engagements politiques. Il
doit être clair au vu de l’instrument, quelle que soit sa forme, que les parties ont l’intention
d’être juridiquement contraintes au regard du droit international ») ; Obligation de négocier
un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), arrêt, C.I.J. Recueil 2018, p. 548, par. 126 ;
Arbitrage relatif à l’aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume Uni), sentence
du 18 mars 2015, R.S.A., vol. XXXI, pp. 536 et 538, pars. 423 et 426 ; Arbitrage sur la mer
de Chine méridionale (Philippines c. Chine), Décision sur la compétence et la recevabilité,
29 octobre 2015, R.S.A., vol. XXXIII, pp. 82-85, pars. 213-218.
194
what was indeed the nature of the act or transaction embodied in the
[agreement], the [Tribunal] must have regard above all to its actual
terms and to the particular circumstances in which it was drawn up”
((Greece v. Turkey), Judgment, I.C.J. Reports 1978, p. 3 at p. 39,
para. 96). »514.
L’intention des parties est l’élément déterminant pour la création de droits ou
d’obligations régis par le droit international515.
6.33. L’intention d’un État demande à être établie objectivement. Ainsi, dans
l’affaire de la Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et
Bahreïn, la Cour a examiné les termes du texte consignant l’accord allégué, sans
s’interroger sur l’état d’esprit subjectif des représentants des États lorsqu’ils l’ont
signé516.
6.34. L’existence de l’intention requise pour la création d’un traité doit être
déduite des « termes employés et des circonstances dans lesquelles [l’instrument
en cause] a été élaboré »517. En l’espèce, le texte de la Convention de Bata (1) et
514 Arbitrage relatif à l’aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni), sentence
du 18 mars 2015, R.S.A., vol. XXXI, p. 538, par. 426. V. aussi O. Schachter, « The Twilight
Existence of Nonbinding International Agreements », American Journal of International
Law, vol. 71 (1977), pp. 296-297 ; S. Rosenne, Developments in the Law of Treaties 1945-
1986 (1989), p. 86 ; A. McNair, The Law of Treaties (1961), p. 15 ; J. E. S. Fawcett, « The
Legal Character of International Agreements » British Yearbook of International Law,
vol. 30 (1953), p. 385.
515 Arbitrage relatif au chemin de fer dit Iron Rhine (« Ijzeren Rijn ») (Belgique/ Pays-Bas),
décision du 24 mai 2005, R.S.A., vol. XXVII, pp. 91-92, par. 142. V. aussi S. Rosenne,
Developments in the Law of Treaties 1945-1986 (1989), p. 86 ; R. Jennings et A. Watts,
Oppenheim’s International Law (9e éd., 1996), p. 1202 ; A. McNair, The Law of Treaties
(1961), p. 15 ; J. E. S. Fawcett, « The Legal Character of International Agreements », British
Yearbook of International Law, vol. 30 (1953), p. 385.
516 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, pp. 121-122, par. 27.
517 Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 39,
par. 96. V. aussi Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn
(Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, pp. 120-122,
pars. 23-30 ; Arbitrage sur la mer de Chine méridionale (Philippines c. Chine), Décision
sur la compétence et l’admissibilité, 29 octobre 2015, R.S.A., vol. XXXIII, p. 82, par. 213.
195
le contexte de sa conclusion (2) confirment l’intention claire et non équivoque des
Parties d’être liées au regard du droit international. Contrairement à la thèse de la
Guinée Équatoriale, la conduite ultérieure des Parties ne remet pas en cause la
force obligatoire de ce traité (3).
1. Le texte de la Convention de Bata
6.35. Les termes employés dans un traité sont la preuve la plus manifeste de
l’intention des Parties518. Ces termes doivent traduire leur intention claire de créer
des droits ou des obligations entre elles519. Tel est notamment le cas lorsque les
parties contractantes emploient des termes tels que « s’engager » ou que le texte
« ne se borne pas à relater des discussions et à résumer des points
d’accord et de désaccord. Il énumère les engagements auxquels les
Parties ont consenti. Il crée ainsi pour les Parties des droits et des
obligations en droit international. Il constitue un accord
international. »520
6.36. Contrairement à la thèse avancée par la Guinée Équatoriale521, le texte
de la Convention de Bata présente toutes les caractéristiques d’un traité. Le
document s’intitule « Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de
518 Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1961, pp. 31-32 ; Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et
Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, pp. 120-
122, par. 27.
519 Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 39,
par. 96 ; Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c.
Bahreïn), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, pp. 120-122, pars. 23-30 ;
Arbitrage sur la mer de Chine méridionale (Philippines c. Chine), Décision sur la
compétence et l’admissibilité, 29 octobre 2015, R.S.A., vol. XXXIII, p. 82, par. 213.
520 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 121, pars. 24-25 ; Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, pp. 111-112, pars. 162-163.
521 MGE, vol. I, pars. 7.10, 7.15-7.20.
196
la Guinée-Équatoriale et du Gabon » ; il comporte un préambule ainsi que dix
articles dans lesquels les « hautes parties contractantes » ont exprimé leur accord.
6.37. Dans le préambule, les « hautes parties contractantes » ont rappelé
l’objet et le but de leur accord. Elles ont reconnu que « les traités et les conventions
constituent un moyen important permettant de développer la coopération pacifique
entre les Nations, quels que soient les régimes politiques de celles-ci ». Par ailleurs,
elles ont confirmé leur volonté « de jeter les bases durables de la paix entre leurs
deux pays, notamment en établissant définitivement leurs frontières terrestres et
maritimes communes ».
6.38. L’objet de la Convention de Bata, à savoir la reconnaissance de la
souveraineté d’un État sur des portions de territoire et la délimitation de leurs
frontières, ne laisse aucun doute quant à sa force contraignante.
6.39. Comme le reconnaît la Guinée Équatoriale522, dans l’article 1 de la
Convention de Bata les Parties ont délimité leur frontière terrestre en reprenant en
substance les termes de l’article 4 de la Convention de Paris (dont la valeur
juridique est acceptée par la Guinée Équatoriale), tout en l’assujettissant à l’article 2
de la Convention de Bata en vertu duquel les Parties ont échangé certaines portions
de territoire :
« La portion du District de Médouneu située en territoire guinéen, audelà
du parallèle du 1er degré de latitude nord, est cédée à la République
Gabonaise et fera désormais partie intégrante du territoire de celle-ci.
En compensation, la République Gabonaise cède à la République de
Guinée Equatoriale d’une part une portion de terre située autour des
agglomérations de Ngong et Allen et comprenant lesdites
agglomérations et d’autre part une portion de terre de 1km dont l’un des
sommets est le lieu dit carrefour international. Ces deux portions de
terre qui seront d’une superficie totale équivalente à celle cédée à la
522 MGE, vol. I, par. 7.17.
197
République Gabonaise, feront désormais partie intégrante de la
République de Guinée Equatoriale »523.
6.40. Les obligations juridiques découlant de ces dispositions sont claires,
définitives, et ont un effet immédiat, comme l’utilisation des termes « cédée » et
« cède » en témoigne. Elles ne sont pas assorties de conditions ou soumises à une
éventualité future. Au contraire, la Convention constate explicitement que le
territoire « cédé » au Gabon fera « désormais partie intégrante » du territoire
gabonais et, réciproquement, que les territoires que le Gabon « cède » à la Guinée
Équatoriale « feront désormais partie intégrante » du territoire équato-guinéen.
Même si, comme le souligne la Guinée Équatoriale524, en vertu de l’article 7 de la
Convention de Bata, la localisation et la surface précises des portions de territoire
cédées devaient être déterminées ultérieurement, il n’en demeure pas moins que les
articles 1 et 2 sont revêtus d’une force contraignante immédiate. En effet, nombreux
sont les traités territoriaux qui prévoient un exercice de démarcation ultérieur525 à
l’instar de la Convention de Paris dont la valeur contraignante est acceptée par les
deux Parties.
6.41. Par l’article 3 de la Convention de Bata, « [l]es hautes parties
contractantes reconnaissent, d’une part, que l’île MBANIE fait partie intégrante du
territoire de la République gabonaise, et d’autre part, que les îles ELOBEY et l’île
CORISCO font partie intégrante du territoire de la République de Guinée
523 Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du
Gabon, 12 septembre 1974, jointe à la lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de
France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155), article 2.
524 MGE, vol. I, par. 7.18.
525 R. Jennings et A. Watts, Oppenheim’s International Law (9e éd., 1996), p. 662 (« The
common practice for land boundaries is, in a boundary treaty or award, to describe the
boundary line in words, i.e. to ‘delimit’ it; and then to appoint boundary commissions,
usually joint, to apply the delimitation to the ground and if necessary to mark it with
boundary posts or the like, i.e. to ‘demarcate’ it »).
198
Equatoriale »526. Les termes employés par les Parties témoignent d’engagements
définitifs. Selon la décision de la Cour dans l’affaire du Différend territorial (Libye
c. Tchad) « [l]e verbe ‘reconnaître’, que le traité utilise, indique qu’une obligation
juridique est contractée »527.
6.42. À l’article 4 de la Convention de Bata, les Parties ont délimité leur
frontière maritime, en précisant que cette frontière « sera constituée par une ligne
droite parallèle au 1er degré de latitude nord, et partant du point d’intersection du
thalweg de la rivière Mouni avec le segment de droite tirée de la pointe Cocobeach
à la pointe Diéké », concédant cependant à la Guinée Équatoriale, autour des îles
Elobey et de l’île de Corisco, des « portions d’eau » dont les largeurs sont précisées
dans cet article528.
6.43. À l’article 5 de la Convention de Bata, les deux États accordent aux
navires équato-guinéens des garanties et facilités dans les « eaux territoriales
gabonaises » pour l’accès par la mer à la rivière Mouni et aux îles Elobey et Corisco,
et réciproquement aux navires gabonais dans les « eaux territoriales équatoguinéennes
». Ils garantissent par ailleurs la liberté de pêche et de navigation dans
les rivières Mouni et Outemboni. Cette disposition est semblable à celle contenue
dans la Convention de Paris, qui accordait aux navires français dans « les eaux
territoriales espagnoles » des facilités d’accès par la mer à la rivière Mouni et, à
526 Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du
Gabon, 12 septembre 1974, jointe à la lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de
France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155), article 3 (italiques ajoutés).
527 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne c. Tchad), arrêt, C.I. J. Recueil 1994,
p. 22, par. 42.
528 Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du
Gabon, 12 septembre 1974, jointe à la lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de
France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155), article 4.
199
titre de réciprocité, aux navires espagnols dans « les eaux territoriales
françaises »529.
6.44. Les Parties ont également prévu la conclusion d’arrangements pour
convenir de questions relatives aux rapports entre frontaliers telles que la police de
la navigation et de la pêche, l’éclairage et le balisage. L’article 6 de la Convention
de Bata reconnaît que cette disposition accorde des « droits et avantages »,
témoignant ainsi des obligations juridiques réciproques acceptées par les Parties.
Ici encore, la Convention de Bata reprend largement les termes employés dans la
Convention de Paris, en précisant que ces droits « seront exclusivement réservés
aux ressortissants des deux hautes parties contractantes et ne pourront en aucune
façon être transmis ou concédés aux ressortissants d’autres nations ».
6.45. L’article 8 de la Convention prévoit que la « matérialisation des
frontières sera faite par une équipe composée des représentants des deux pays ».
Contrairement à l’argument de la Guinée Équatoriale 530 , la nécessité d’une
matérialisation ultérieure de la frontière ne saurait altérer la force contraignante de
la Convention de Bata. Bien au contraire, conformément à la jurisprudence de la
Cour, un accord sur une démarcation future suppose l’existence d’une délimitation
préalable531. La Convention de Bata est la source de cette délimitation.
6.46. Par ailleurs, les Parties ont convenu à l’article 9 que « [l]es litiges nés
de l’application ou de l’interprétation de la présente Convention seront soumis à
une commission mixte paritaire et, s’il y a lieu, réglés conformément à l’esprit de
529 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique
occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900,
version bilingue (CMG, vol. III, annexe 47), article 5.
530 MGE, vol. I, par. 7.19.
531 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 28,
par. 56 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.
Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 339-340, par. 49.
200
l’article 33 de la Charte de l’Organisation des Nations Unies ». Cette disposition
atteste que les Parties ont eu l’intention de s’engager juridiquement, de créer des
droits et obligations réciproques entre elles et de régler des litiges concernant ce
texte juridique conformément à leur accord.
6.47. Enfin, la Convention de Bata prévoit expressément qu’elle « entrera en
vigueur dès sa signature ». Cela démontre clairement qu’il s’agit bel et bien d’un
accord juridiquement contraignant et non pas d’une simple déclaration politique.
En effet, dans l’affaire de la Délimitation maritime dans l’océan Indien, la Cour a
relevé que « [l]e fait qu’[un instrument] renferme une disposition gouvernant son
entrée en vigueur est une indication de son caractère contraignant »532.
6.48. La Convention de Bata contient également les clauses finales typiques
pour des traités en disposant : « Fait à Bata, le 12 Septembre 1974 en deux
originaux, en langue française et espagnole, les deux originaux faisant également
foi. »
6.49. La Guinée Équatoriale conteste la force contraignante de l’article 4, et
de la Convention de Bata dans son ensemble, notamment en raison de l’inclusion
d’un nota bene. Elle prétend que « the reservation on the French text makes clear
that there was no final agreement on the course of the maritime boundary »533. Il
n’en est rien.
6.50. Selon le texte du nota bene, les Parties sont convenues : « de procéder
ultérieurement à une nouvelle rédaction de l’article 4, afin de la mettre en
conformité à la Convention de 1900 » ou selon la version espagnole : « El
articulo 4º sera examinado por los dos Jefes de Estado ulteriormente, conforme la
532 Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2017, p. 21, par. 42.
533 MGE, vol. I, para 7.16.
201
Convención de 1900 ». Ce nota bene ne signifie pas que l’article 4 est dépourvu de
portée juridique et de caractère contraignant. Au contraire, il réaffirme la force
obligatoire de l’article 4 et ce jusqu’à ce que les Parties procèdent, le cas échéant, à
une nouvelle rédaction.
6.51. L’accord des Parties visant à la révision ultérieure potentielle de
l’article 4 ne peut donc remettre en cause la force contraignante de l’article 4 ou de
la Convention de Bata dans son ensemble. Le Professeur Shaw note que « the fact
that an instrument provides for modification by mutual agreement of its terms does
not detract from the fact that a fully delimited frontier line has been
established »534.
6.52. Cette conclusion est renforcée par le raisonnement de la Cour dans
l’affaire du Différend territorial (Libye c. Tchad). Dans cette affaire, la Cour n’a
pas hésité à reconnaître l’effet contraignant du Traité de 1955 entre la Libye et la
France quand bien même son article 11 prévoyait que « [l]e présent Traité est
conclu pour une durée de vingt années. Les Hautes parties contractantes pourront
toujours se consulter en vue de sa révision » et qu’une telle « consultation sera
obligatoire à l’expiration des dix années qui suivront sa mise en vigueur »535.
6.53. Le même raisonnement s’impose en l’espèce : le simple fait que le nota
bene envisage une révision ultérieure de l’article 4 de la Convention de Bata ne peut
remettre en question la force obligatoire de cet article ou de la Convention de Bata
dans son ensemble.
534 M. N. Shaw, « Boundary Treaties and their Interpretation », in Evolving Principles of
International Law (Brill, 2012), p. 249.
535 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne c. Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 37,
pars. 72-73.
202
2. Le contexte de la conclusion de la Convention de Bata
6.54. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale a choisi de passer sous silence
une partie importante des événements de 1974, ainsi que les évènements qui ont
suivi la conclusion de la Convention de Bata. Et pour cause : ces évènements
confirment la conclusion de la Convention de Bata et révèlent l’intention des deux
États de résoudre l’ensemble de leurs différends territoriaux et frontaliers par la
conclusion de cet instrument contraignant au regard du droit international.
6.55. Le contexte de la conclusion de la Convention de Bata explique la
volonté des Parties d’entériner la délimitation de leurs frontières et la
reconnaissance de la souveraineté sur les îles de la baie de Corsico au regard du
droit international. La Convention de Bata est l’aboutissement des négociations
entre les deux États sur l’ajustement des frontières terrestres définies par la
Convention de Paris qui ne reflétaient pas ou plus la réalité sur le terrain et était à
l’origine de nombreux incidents entre les deux États536. Elle résout aussi la question
de la souveraineté sur les îles, ainsi que celle de la frontière maritime, qui étaient
omises dans la Convention de Paris.
6.56. La Guinée Équatoriale ne dément pas qu’entre 1970 et 1974 des
négociations ont eu lieu entre les deux États visant à la délimitation de leurs
frontières et la détermination de la souveraineté sur les îles faisant face à la côte
gabonaise. Elle tente néanmoins de minimiser l’importance de ces négociations en
en omettant certaines étapes clés537.
536 V. supra, pars. 2.9-2.59.
537 MGE, vol. I, pars. 4.3-4.12.
203
6.57. Ces négociations ont débuté à la suite de l’indépendance de la Guinée
Équatoriale538. En raison des incertitudes concernant le tracé sur le terrain de la
frontière terrestre établie par la Convention de Paris, ainsi que de son silence quant
à la frontière maritime et la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga, il était
rapidement devenu manifeste que des négociations à cet égard entre les deux États
étaient nécessaires.
6.58. Dès 1970, les deux États ont exprimé leur volonté d’entamer des
négociations afin de tracer leur frontière maritime commune539. Des représentants
du Gabon et de la Guinée Équatoriale ont exprimé le souhait de fixer cette frontière
« suivant les principes de droit international »540 . Au cours de ces négociations, les
représentants des deux Parties ont également affirmé leur intention de résoudre leur
différend pacifiquement en concluant un accord, qui aurait comme base la
Convention de Paris541.
6.59. Certains incidents frontaliers entre 1970 et 1974, notamment le long de
la frontière terrestre 542 , ont renforcé la nécessité de régler la question de la
délimitation, non seulement maritime mais aussi terrestre, entre les deux États. À la
suite d’un incident sur Mbanié, en 1972 il était aussi devenu patent que tout accord
de délimitation devrait également régler la question de la souveraineté sur les îles
de la baie de Corisco543.
538 V. supra, pars. 2.37 et s.
539 Note verbale n° 1966/MAE-C/DAAP du ministère des Affaires étrangères gabonais à
l’ambassade de Guinée Équatoriale au Gabon, 4 juin 1970 (CMG, vol. V, annexe 112) ;
Note n° 1524 du ministère des Affaires étrangères équato-guinéen à l’ambassadeur de
Guinée Équatoriale au Gabon, 15 juin 1970 (CMG, vol. V, annexe 113).
540 Ibid.
541 Procès-verbal dressé par la commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la
rencontre de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 198),
par. 2.1.
542 V. supra, pars. 2.57-2.59.
543 V. supra, pars. 2.49-2.54.
204
6.60. L’incident frontalier de juillet 1974 le long de la frontière terrestre à
l’est a accéléré les négociations entre les deux États 544 . Lors de rencontres
préparatoires, les premières lignes de la Convention de Bata, et notamment l’idée
de procéder à un échange de territoires entre les deux États, se sont dessinées545.
Dans le contexte de ces négociations, une commission mandatée pour établir le
tracé des frontières entre les deux États a été créée546. En juillet 1974, la Guinée
Équatoriale a entrepris des consultations juridiques avec l’URSS et a demandé à
l’Espagne l’aide d’un expert en droit international 547 , autre témoignage de la
volonté du gouvernement équato-guinéen de négocier et conclure un accord en droit
international. De son côté, le Gabon a développé sa position sur la frontière
maritime en tenant compte des principes pertinents du droit international548. Les
solutions envisagées par le Gabon en août 1974 ont été en partie reprises un mois
plus tard dans le texte final de la Convention de Bata.
6.61. C’est dans ce contexte que la visite du président Bongo en Guinée
Équatoriale du 9 au 12 septembre 1974 doit s’apprécier. La conclusion de la
Convention de Bata, qui vient régler non seulement la question de la souveraineté
insulaire (à l’origine de l’incident de 1972549) et la question relative à la frontière
maritime, mais également la question de la frontière terrestre (à l’origine des
544 V. supra, pars. 2.57-2.59, 3.3-3.6 ; Lettre n° 200/DAM/1 du ministre des Affaires
étrangères français au secrétaire d’État à la Culture, 26 août 1974 (CMG, vol. V,
annexe 147), rapportant que « les autorités gabonaises et les autorités équato-guinéennes
ont décidé de procéder à une délimitation de la frontière entre les deux pays. »
545 Télégramme de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires
étrangères français, 24 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 142).
546 Télégramme n° 85 de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale au ministère des
Affaires étrangères français, 20 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 141).
547 Ibid.
548 V. supra, par. 3.6.
549 V. supra, pars. 2.49-2.54.
205
incidents de juin 1974550), est l’aboutissement de négociations entre les deux États
visant à clarifier, ajuster et augmenter la Convention de Paris par la conclusion d’un
autre traité.
3. La conduite ultérieure des Parties
6.62. La Guinée Équatoriale prétend que la Convention de Bata ne fait pas
droit entre les Parties car « [d]uring decades of negotiations (…) the document was
entirely absent from the relations between the Parties », et « Equatorial Guinea
and Gabon never took any of the steps necessary to complete the alleged
convention, to conclude the additional agreements that were called for, or to
implement any of the material terms found in the text » 551 . Mais la conduite
ultérieure des Parties ne saurait remettre en question l’existence ou la force
contraignante de la Convention de Bata.
6.63. Les règles relatives à l’extinction et à la suspension des traités contenues
aux articles 54 à 62 de la Convention de Vienne sur le droit des traités reflètent le
droit international coutumier552. En l’absence de disposition dans la Convention de
Bata afférente à sa dénonciation ou sa suspension, celle-ci ne peut cesser de
produire ses effets que dans les conditions énumérées de façon limitative dans la
Convention de Vienne. La conduite ultérieure des parties à un traité ou à une
convention ne fait pas partie de ces conditions et ne peut suffire à justifier son
extinction553.
550 V. supra, pars. 2.57-2.59.
551 MGE, vol. I, pars. 7.9, 7.11.
552 V. par exemple Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique
du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de
sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 47.
553 V. par exemple Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt,
25 septembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 65, par. 114.
206
6.64. La Guinée Équatoriale n’explique pas sur quel fondement la
Convention de Bata pourrait ne plus faire droit entre les Parties. Elle fait une brève
allusion au principe d’estoppel554, mais cette référence, qui est confinée à une note
de bas de page, n’est guère pertinente. La Cour a rappelé que l’estoppel ne peut être
présumé à la légère555. Même si le principe d’estoppel pouvait être invoqué pour
modifier ou ne pas appliquer une frontière conventionnelle ou une reconnaissance
de souveraineté par traité – ce qui est loin d’être établi – la Guinée Équatoriale
n’apporte aucune preuve de l’existence d’une déclaration claire et non équivoque
du Gabon, ou un changement de position à son détriment de la part de la Guinée
Équatoriale sur la base d’une telle déclaration gabonaise. En outre, la Convention
de Bata détermine un régime territorial objectif 556 . Ce régime objectif a une
existence indépendante du traité qui le créé557.
6.65. La Guinée Équatoriale invoque également la conduite ultérieure des
Parties pour soutenir que la Convention de Bata « was never understood or treated
as having, the force of law » entre les Parties558. Mais une telle conduite ultérieure
« ne saurait prévaloir sur les termes mêmes de l’instrument concerné »559.
6.66. En tout état de cause, aucun des éléments soulevés par la Guinée
Équatoriale ne remet en cause l’intention claire et non équivoque des Parties de
conclure un instrument ayant force obligatoire en droit international, comme ceci
554 MGE, vol. I, note 367.
555 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada/Etats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 308, pars. 140-142.
556 Décision concernant la délimitation de la frontière entre l’Érythrée et l’Éthiopie, décision
du 9 octobre 1998, RSA, vol. XXII, p. 250, par. 153.
557 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne c. Tchad), arrêt, C.I. J. Recueil 1994,
p. 37, pars. 72-73.
558 MGE, vol. I, par. 7.8.
559 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 122, par. 29.
207
ressort des termes employés dans la Convention de Bata et des circonstances de sa
conclusion.
6.67. Dans un premier temps, le simple fait que les Parties n’aient pas mis en
oeuvre certaines des dispositions de la Convention de Bata (notamment les
dispositions du nota bene et des articles 7 et 8) ne saurait mettre en question
l’existence et l’effet contraignant de cette Convention560. En effet, les relations
entre les Parties à la suite de la signature de la Convention de Bata doit s’apprécier
à la lumière de la difficile situation politique intérieure en Guinée Équatoriale entre
1974 et 1979, qui avait amené plusieurs pays à rompre leurs relations diplomatiques
avec le régime du président Macías Nguema561. Qui plus est, la Convention de Bata
avait, en grande partie, reconnu de manière formelle une situation qui existait déjà
sur le terrain, notamment en ce qui concerne la frontière terrestre et la souveraineté
sur les îles. Dès lors, les dispositions de la Convention de Bata n’exigeaient pas de
mise en oeuvre sur le terrain ou, du moins, pas de mise en oeuvre immédiate.
6.68. Ensuite, l’absence de « consentement du peuple gabonais » et de
ratification « en vertu d’une loi » ne jette pas non plus de doute quant à l’intention
du Gabon de conclure un traité contraignant en droit international562. Au contraire,
les explications fournies par le président Bongo à l’ambassadeur de France au
Gabon563 confirment que la Convention de Bata a été conclue en la forme voulue
en raison de son interprétation des règles constitutionnelles gabonaises applicables.
560 Projet Gabčikovo-Nagymaros (Hongrie c. Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 65,
par. 114.
561 P. Barnès, « Près de la moitié de la population a fui l[a] dictature du président Ma[c]ias
Nguéma », Le Monde, 14 juin 1978 (CMG, vol. V, annexe 162).
562 MGE, vol. I, par. 7.22.
563 Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires
étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156), p. 3.
208
La Guinée Équatoriale ne peut tirer aucune conséquence en droit international d’une
prétendue violation de règles internes gabonaises564.
6.69. De même, l’absence d’enregistrement immédiat auprès des Nations
Unies ne saurait remettre en cause l’intention des Parties de conclure un accord
contraignant au regard du droit international. Dans l’affaire de la Délimitation
maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, la Cour a déjà rejeté ce
même argument. Le Bahreïn avait contesté :
« qu’un accord international ait été conclu, en développant une autre
argumentation. Selon lui, la conduite ultérieure des Parties démontrerait
qu’elles n’ont jamais considéré le procès-verbal de 1990 comme un
accord de cette nature. Telle aurait été non seulement la position de
Bahreïn, mais encore celle de Qatar. Bahreïn expose en effet que Qatar
a attendu juin 1991 pour demander au Secrétariat de l’Organisation des
Nations Unies d’enregistrer le procès-verbal de décembre 1990 par
application de l’article 102 de la Charte, enregistrement auquel Bahreïn
a d’ailleurs fait objection. Bahreïn ajoute que, contrairement aux
prescriptions de l’article 17 du pacte de la Ligue des Etats arabes, Qatar
n’a pas déposé le procès-verbal de 1990 au Secrétariat général de celleci
; et qu’il n’a pas davantage suivi les procédures requises par sa propre
Constitution pour la conclusion des traités. Ce comportement établirait
que Qatar, comme Bahreïn, n’a jamais considéré le procès-verbal de
1990 comme un accord international. »565
6.70. Écartant l’argument, la Cour a observé :
« [U]n traité ou accord international non enregistré auprès du
Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies ne peut, selon les
dispositions de l’article 102 de la Charte, être invoqué par les parties
devant un organe de l’Organisation des Nations Unies. Le défaut
d’enregistrement ou l’enregistrement tardif est en revanche sans
conséquence sur la validité même de l’accord, qui n’en lie pas moins
les parties. Dès lors la Cour ne saurait déduire de la circonstance que
564 Convention de Vienne sur le droit des traités, Vienne, 23 mai 1969, Nations Unies, Recueil
des traités, vol. 1155, n° 18232, p. 331, article 46.
565 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, compétence et
recevabilité, C.I.J. Recueil 1994, p. 122, par. 28.
209
Qatar ait sollicité l’enregistrement du procès-verbal de 1990 six mois
seulement après sa signature que cet Etat considérait, en décembre
1990, ledit procès-verbal comme ne constituant pas un accord
international. »566
La même conclusion s’impose en l’espèce.
6.71. Enfin, les négociations qui ont repris à la suite de la conclusion de la
Convention de Bata ne contredisent pas, mais au contraire corroborent, l’existence
de la Convention de Bata.
6.72. En effet, contrairement à la version des faits présentée par la Guinée
Équatoriale, les négociations qui ont abouti à la conclusion de l’Accord de
coopération pétrolière en 1979 étaient centrées sur la coopération pétrolière entre
les deux États et non pas sur la délimitation de leurs frontières567. De même, les
discussions au sein de la commission ad hoc en 1982 ont concerné la question de la
coopération pétrolière entre les deux États, notamment dans la zone entourant les
îles Corisco et Elobey568. Ces négociations ont pu se dérouler grâce à l’accord
intervenu sur les frontières terrestres et maritimes et la souveraineté sur les îles.
6.73. En outre, aucune des dispositions de l’Accord de coopération pétrolière
de 1979 ni aucune des discussions en 1982 n’ont remis en cause la Convention de
Bata. Au contraire, l’Accord de coopération pétrolière de 1979 confirme
implicitement la frontière maritime établie par la Convention de Bata en l’adoptant
566 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, compétence et
recevabilité, C.I.J. Recueil 1994, p. 122, par. 29.
567 V. supra, par. 4.6.
568 Procès-verbal de la commission ad hoc portant révision de l’Accord de coopération
pétrolière entre la République de Guinée Équatoriale et la République Gabonaise, Libreville,
18 mars 1982 (CMG, vol. V, annexe 167), pp. 3-4. V. aussi MGE, vol. VII, annexe 204.
210
comme limite au nord de la zone d’exploration et d’exploitation exclusive concédée
à la Société Nationale Pétrolière Gabonaise569.
6.74. De surcroît, la Convention de Bata a eu l’effet escompté à savoir, la
résolution des différends entre les deux États et l’amélioration d’ensemble de leurs
relations 570 . En effet, la conclusion de la Convention de Bata a permis un
développement de la coopération entre les deux États notamment sur les questions
économiques, culturelles et sécuritaires 571 . Cette coopération avait été rendue
possible par la résolution dans la Convention de Bata du différend relatif aux îles
Mbanié, Cocotiers et Conga ainsi que du différend frontalier entre le Gabon et la
Guinée Équatoriale.
6.75. Enfin, les déclarations des présidents gabonais et équato-guinéen qui
ont suivi la conclusion de la Convention de Bata confortent en tout point la thèse
gabonaise. En effet, les deux présidents ont tous les deux confirmé qu’un accord
avait été conclu en septembre 1974 concernant la délimitation de leurs frontières et
la souveraineté sur les îles de la baie de Corisco.572
Conclusion
6.76. Les conclusions à tirer de ce qui précède sont les suivantes.
a) La Convention de Bata existe. Son texte correspond à celui figurant dans
l’ampliation envoyée par le président Bongo à l’ambassadeur de France à
Libreville le 28 octobre 1974. Son existence est corroborée par des éléments
569 Accord de coopération pétrolière entre la République de Guinée Équatoriale et la
République Gabonaise, Libreville, 13 novembre 1979 (CMG, vol. V, annexe 163), article 6.
570 V. supra, pars. 4.3-4.8.
571 V. supra, pars. 4.3-4.8.
572 V. supra, pars. 3.17-3.25, 6.13-6.16.
211
de preuve variés et concordants, y compris des documents d’archives
diplomatiques françaises et américaines qui rapportent notamment des
déclarations de représentants équato-guinéens et gabonais ; des ouvrages
contemporains ; des articles de presse ; et un film documentaire de 1974. La
conclusion de la Convention de Bata est dans la droite ligne de l’évolution
des relations entre les Parties de 1970 à 1982, en particulier l’amélioration de
leurs rapports à partir de 1974 et le développement d’une coopération
bilatérale entre les deux États à partir de cette date sur la base de la résolution
de leurs différends territoriaux et frontaliers.
b) La Convention de Bata est un instrument juridiquement obligatoire au regard
du droit international. Elle remplit les conditions de conclusion d’un traité
codifiées par la Convention de Vienne. Elle est entrée en vigueur le jour de
sa conclusion, le 12 septembre 1974. Les termes employés par les Parties ainsi
que les circonstances de sa conclusion ne laissent aucun doute quant à leur
intention d’être liées au regard du droit international. La conduite ultérieure
des Parties dans les années qui ont suivi sa conclusion atteste également de
cette intention.
212
CHAPITRE VII.
LES TITRES JURIDIQUES CONCERNANT
LA FRONTIÈRE TERRESTRE
7.1. Dans ses conclusions, la Guinée Équatoriale retient en tant que titres
juridiques faisant droit entre les Parties quant à la délimitation terrestre :
a) la Convention de Paris de 1900 « as applied by France and Spain until the
independence of Gabon on 17 August 1960 and as continued to be applied by
Gabon and Spain until the independence of Equatorial Guinea on
12 October 1968 » ;
b) pour la Guinée Équatoriale: « all titles to territory, including territorial limits,
held by Spain based on modifications to the boundary described in Article 4
of the 1900 Convention in accordance with the terms of the 1900 Convention
and international law prior to 12 October 1968 » ; et
c) pour le Gabon: « all the titles to territory, including territorial limits, held by
France based on modifications to the boundary described in Article 4 of the
1900 Convention in accordance with the terms of the 1900 Convention and
international law prior to 17 August 1960 »573.
En d’autres termes, les titres juridiques concernant la frontière terrestre sont
constitués, selon la Guinée Équatoriale, par la Convention de Paris574, d’une part,
et des modifications de la frontière délimitée par l’article 4 de cette Convention et
prétendument intervenues « in accordance with the terms of the 1900 Convention
573 MGE, vol. I, pp. 143-144 (par. (A) des conclusions).
574 Ibid., par. 6.29.
213
and international law » pendant la période coloniale575, d’autre part. Par ailleurs, la
Guinée Équatoriale conteste que la Convention de Bata de 1974 soit un titre
juridique faisant droit s’agissant de la délimitation de la frontière terrestre576.
7.2. Comme il a été démontré dans le chapitre VI ci-dessus, la Convention de
Bata est une convention faisant droit entre les Parties. Elle reprend et ajuste la
délimitation de l’ensemble de la frontière terrestre entre le Gabon et la Guinée
Équatoriale résultant de la Convention de Paris. Elle constitue donc le titre juridique
concernant cette délimitation terrestre (I).
7.3. Bien que la Convention de Bata soit le titre juridique relatif aussi bien à
l’ensemble de la frontière terrestre, qu’à la frontière maritime et à la souveraineté
sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga, la Convention de Paris continue à faire
droit entre les deux États pour autant que et dans la mesure où ce titre n’a pas été
modifié par la Convention de Bata. Elle reste donc un titre juridique résiduel relatif
à la délimitation terrestre (II).
7.4. En revanche, aucun autre titre juridique concernant la délimitation de la
frontière terrestre ne fait droit entre les Parties. En particulier, les modifications
prétendument intervenues entre les puissances coloniales invoquées par la Guinée
Équatoriale ne constituent pas de tels titres juridiques (III).
I. La Convention de Bata est un titre juridique concernant
la délimitation de la frontière terrestre
7.5. La Convention de Bata constitue un titre juridique s’agissant de la
délimitation de la frontière terrestre entre le Gabon et la Guinée Équatoriale et qui
575 MGE, vol. I, par. 6.33.
576 Ibid., par. 7.20.
214
fait droit entre les deux États, comme cela a été démontré ci-dessus577. Elle délimite,
c’est-à-dire définit578, l’ensemble de la frontière terrestre et constitue un instrument
« auquel le droit international confère une valeur juridique intrinsèque aux fins de
l’établissement des droits territoriaux »579.
7.6. Les articles 1er et 2 de la Convention concernent spécifiquement la
frontière terrestre. Ils disposent :
Article 1er
Sous réserve des dispositions de l’article 2 ci-dessous, la limite entre la
République de la Guinée Equatoriale et la République Gabonaise sur la
côte du golfe de Guinée partira du point d’intersection du thalweg de la
rivière Mouni avec une ligne droite tirée de la pointe Cocobeach à la
pointe Diéké. Elle remontera ensuite le thalweg de la rivière Mouni et
celui de la rivière Outemboni jusqu’au point où cette dernière rivière
est coupée pour la première fois par le 1er degré de latitude nord et se
confondra avec ce parallèle jusqu’à son intersection avec le 9ème degré
de longitude est de Paris (11°20, est de Greenwich).
De ce dernier point d’intersection, la deuxième démarcation entre les
deux Etats se confondra avec le méridien 9 est de Paris (11°20, est de
Greenwich) jusqu’à sa rencontre avec la frontière méridionale de la
République Unie du Cameroun.
577 V. supra, pars. 6.1-6.76.
578 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria ;
Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 359, par. 84 ; Différend
territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 28, par. 56.
579 Différend frontalier (Burkina Faso/Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 582, par. 54 ; Île de
Kasikili/ Sedudu (Botswana/Namibie), arrêt, C.I.J. Recueil 1999, p. 1098, par. 84 ;
Souveraineté sur Pulau Ligitan et Pulau Sipadan (Indonésie/Malaisie), arrêt, C.I.J.
Recueil 2002, p. 667, par. 88 ; Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le
Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007,
p. 723, par. 215 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J.
Recueil 2012, p. 661, par. 100.
215
Article 2
La portion du District de Médouneu située en territoire guinéen, au-delà
du parallèle du 1er degré de latitude nord, est cédée à la République
Gabonaise et fera désormais partie intégrante du territoire de celle-ci.
En compensation, la République Gabonaise cède à la République de
Guinée Equatoriale d’une part une portion de terre située autour des
agglomérations de Ngong et Allen et comprenant lesdites
agglomérations et d’autre part une portion de terre de 1 Km dont l’un
des sommets est le lieu dit carrefour international. Ces deux portions de
terre qui seront d’une superficie totale équivalente à celle cédée à la
République Gabonaise, feront désormais partie intégrante de la
République de Guinée Equatoriale.
7.7. Le texte de ces deux dispositions est sans ambiguïté. L’article 1 fixe « la
limite entre la République de la Guinée Equatoriale et la République Gabonaise »,
c’est-à-dire la frontière terrestre entre les deux États. Cette frontière est identifiée
par le thalweg des rivières Mouni et Outemboni, puis, à partir du point où cette
dernière rivière rencontre le 1er parallèle de latitude Nord pour la première fois, par
ce parallèle jusqu’à l’intersection avec le 9e méridien de longitude Est de Paris (ou
11° 20’ E de Greenwich). De ce point, la frontière suit ce méridien vers le nord
jusqu’à la frontière avec le Cameroun. De fait, cette frontière est, en sa forme et en
sa substance, identique à celle délimitée par l’article 4 de la Convention de Paris de
1900580. La Guinée Équatoriale le concède581.
7.8. Conformément aux termes de l’article 2, les deux États ont consenti à se
céder mutuellement des parties de leurs territoires respectifs, à savoir, la partie du
district de Médouneu qui se trouve au nord du 1er parallèle de latitude Nord, une
partie du territoire située autour des agglomérations de Ngong et Allen et
comprenant lesdites agglomérations et une « portion de terre de 1 Km dont l’un des
580 V. infra, par. 7.16.
581 MGE, vol. I, par. 7.17.
216
sommets est le lieu dit carrefour international » à l’extrémité septentrionale de la
frontière commune. Ces ajustements décidés par les Parties modifient la frontière
décrite dans le texte de l’article 1 en conséquence.
7.9. La Guinée Équatoriale croit pouvoir trouver dans cette disposition la
preuve que la Convention de Bata ne délimite pas la frontière terrestre entre les
Parties et ne constitue qu’un « agreement to continue to seek a final agreement »
qui « does not possess the force of law ‘in so far as [it] concern[s] the delimitation
of their common maritime and land boundaries (…)’ »582.
7.10. Certes, l’article 2 ne décrit pas la frontière qui résulte de l’échange de
territoires consenti. Mais il n’en résulte pas que cette frontière n’existe pas ou n’était
pas délimitée à suffisance par la Convention de Bata. Selon la Cour, « ‘[d]éfinir’ un
territoire signifie définir ses frontières »583. Comme chaque délimitation « a pour
conséquence de répartir les parcelles limitrophes de part et d’autre de ce tracé »584,
l’échange de parcelles territoriales entre deux États a nécessairement pour
conséquence la délimitation de la frontière qui en résulte585. Qui plus est, comme la
Cour permanente l’a reconnu dans son avis consultatif sur le Traité de Lausanne,
« [i]l arrive assez fréquemment qu’au moment où est signé un traité établissant de
nouvelles frontières, certaines fractions de ces frontières ne soient pas encore
déterminées et que le traité prévoie certaines mesures afin de les déterminer »586.
Et la Cour permanente de continuer : « Mais il est naturel que tout article destiné à
582 MGE, vol. I, pars. 7.18 et 7.20.
583 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 26,
par. 52.
584 Différend frontalier (Burkina Faso/Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 563, par. 17.
585 V. aussi Arbitrage entre la République de Croatie et la République de Slovénie, sentence
finale, 29 juin 2017, par. 574.
586 Interprétation de l’article 3‚ paragraphe 2‚ du traité de Lausanne, avis consultatif, C.P.J.I.
série B n° 12, p. 20.
217
fixer une frontière soit, si possible, interprété de telle sorte que, par son application
intégrale, une frontière précise, complète et définitive soit obtenue. »587
7.11. En tout état de cause, la Convention de Bata contient des précisions
suffisantes pour déterminer l’étendue des territoires cédés, tout en réservant pour
un stade ultérieur l’adoption d’un protocole d’accord « pour déterminer les
superficies et les limites exactes de la portion de territoire cédée à la République
gabonaise et de celle cédée à la République de Guinée Equatoriale »588. Les Parties
ont trouvé un accord détaillé en ce qui concerne les territoires cédés respectivement,
comme en attestent les déclarations et explications concordantes des deux chefs
d’État au lendemain de la conclusion de la Convention de Bata.
a) Selon les explications du président Macías Nguema devant les représentants
diplomatiques à Malabo :
« l’empiètement d’origine française était de 91 km2 sur la frontière Sud
et l’empiètement d’origine espagnole de 259 km2 sur la frontière Est
du Rio Muni. Le Président Bongo [avait] donc exigé la rétrocession de
la différence, soit 159 km2, à choisir dans les zones litigieuses situées
à l’Est du méridien 11° 20’, entre le 1° 37’ 30” de Lat. N. et le 1° 56’ de
lat. N. et entre le 2° 6’ 30” de lat. N. et le 2° 10’ de lat. N. Le Gabon,
pour sa part, se retirerait de la petite zone où il empiète jusqu’à la rivière
Kye, à l’Ouest du méridien 11° 20’ entre le 2° 00’ de lat. N. et le
2° 6’ 30” de lat. N., sans que ce retrait comporte de compensation. »589
587 Interprétation de l’article 3‚ paragraphe 2‚ du traité de Lausanne, avis consultatif, C.P.J.I.
Série B n° 12, p. 20.
588 Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du
Gabon, 12 septembre 1974, jointe à la lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de
France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155), article 7.
589 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à
la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français,
14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153), p. 4. V. également Dépêche d’actualité
n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la direction des
Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français, 2 octobre 1974
(CMG, vol. V, annexe 152), pp. 5-7.
218
b) Lors d’un entretien avec l’ambassadeur de France à Malabo, le président
équato-guinéen a également confirmé que la question des échanges
territoriaux avait été discutée en détail et qu’un accord avait été conclu. Selon
le rapport de l’ambassadeur, le président Macías Nguema lui a confirmé que :
« le Gabon avait accepté de céder une bande de terrain d’un kilomètre
à l’Est du méridien 11°20’, mais cette bande, qui commence au Nord à
la frontière camerounaise (2°10’ de lat. N.) et inclut Ebebiyin, s’arrête
à quelques kilomètres plus au Sud à l’endroit (2°6’30” lat. N.) où,
s’infléchissant, la rivière Kye repasse à l’Ouest du méridien 11°20’ de
longitude »590.
Et l’ambassadeur de continuer :
« Toutefois, la principale difficulté a surgi au sujet de l’échange des
territoires occupés de facto, par le Gabon d’une part au nord du 1er
degré de latitude Nord au voisinage de Medouneu ou d’Akurenam, et
par la Guinée Equatoriale d’autre part, à l’Est du 11°20’ de longitude
jusqu’à la rivière Kye, entre Ngom (1°56’ de lat. N.) et Mongomo
(1°37’30" de lat. N.). Il était décidé d’un commun accord que l’échange
porterait sur des superficies strictement égales. Or, si la poche
gabonaise en territoire équato-guinéen, au nord du 1° de latitude Nord,
est, selon le Président Macias, d’un peu plus de 100 km², la poche
équato-guinéenne en territoire gabonais, à l’Est du méridien 11°20’,
atteint 200 km².
Pour conserver la totalité de la zone occupée depuis l’époque coloniale
par les populations équato-guinéennes, à l’Est du méridien 11°20’ et,
avec elle, la frontière naturelle de la rivière Kye, le Président Macias a
proposé d’abandonner au Gabon une centaine de Km² supplémentaires
contigus à la poche gabonaise de Medouneu - Akurenam. Cette solution
n’a pas été acceptée par le Président Bongo qui veut conserver à l’Ouest
de la rivière Kye les 100 km² auxquels il a droit.
Pour des raisons de politique intérieure et pour qu’on ne l’accuse pas
de favoriser les populations des environs de Mongomo, sa ville natale,
590 Dépêche d’actualité n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à
la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français,
2 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 152), p. 6.
219
le Président Macias a alors choisi de garder les 100 km² s’étendant vers
le Sud en partant de Ngom. Le reste de la zone s’étendant jusqu’à
Mongomo devra donc être laissé au Gabon et les populations équatoguinéennes
en seront évacuées.
Pour compenser cet inconvénient, le Président Macias a demandé au
Gabon d’indemniser ces populations. Il a essuyé un refus dont il paraît
affecté. »591
c) Le président Bongo a également confirmé lors d’une entrevue avec
l’ambassadeur de France à Libreville que « quelques concessions avaient été
faites aux Equato-Guinéens sur leur frontière orientale, à la hauteur des
localités d’Ebebiyin et de Ngong »592.
7.12. La Guinée Équatoriale soutient par ailleurs que l’absence de
démarcation de la frontière définie par la Convention de Bata conformément à son
article 8 la prive de la qualité de titre juridique faisant droit entre les Parties quant
à la délimitation terrestre. Mais c’est mettre la charrue avant les boeufs. Comme il
a déjà été expliqué 593 , loin d’infirmer l’existence d’une délimitation, une
matérialisation telle que celle prévue par l’article 8 de la Convention de Bata ne
pourrait être convenue et envisagée que si la frontière était considérée par les Parties
comme ayant été délimitée avec une précision suffisante594. Par ailleurs, la Guinée
Équatoriale accepte que la Convention de Paris constitue un titre juridique relatif à
591 Dépêche d’actualité n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à
la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français,
2 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 152), pp. 6-7.
592 Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au ministre des Affaires
étrangères français, 7 novembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 156), p. 2. V. aussi supra,
pars. 3.20-3.23.
593 V. supra, par. 6.45.
594 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 28,
par. 56 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.
Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2002, p. 340, par. 49 et
p. 359, par. 84.
220
la délimitation de la frontière terrestre 595 bien que cette Convention prévoie
également la démarcation de la frontière dans son article 8 et son annexe n° 1 et
qu’une telle démarcation n’ait jamais abouti596.
7.13. Dans tous les cas, le préambule de la Convention de Bata confirme
l’intention des Parties d’établir « définitivement leurs frontières terrestres et
maritimes communes »597. Les signataires de la Convention ont, tous les deux,
confirmé qu’elle règle définitivement la question de la frontière terrestre. Le
président Macías Nguema, en particulier, a confirmé qu’il avait « renoncé à toute
discussion ultérieure au sujet des frontières terrestres »598.
7.14. Dans ces conditions, on ne saurait contester que la Convention de Bata
constitue un titre juridique s’agissant la délimitation de l’ensemble de la frontière
terrestre entre le Gabon et la Guinée Équatoriale.
II. La Convention de Paris reste un titre juridique concernant
la délimitation de la frontière terrestre
7.15. Il n’y pas de désaccord entre les Parties sur le fait que la Convention de
Paris constitue un titre juridique pertinent concernant la délimitation de la frontière
terrestre entre le Gabon et la Guinée Équatoriale par le biais de la succession de ces
595 V. infra, par. 7.17.
596 V. supra, pars. 1.41-1.50. V. également infra, par. 7.32.
597 Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du
Gabon, Bata, 12 septembre 1974, jointe à la lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de
France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155), préambule.
598 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à
la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français,
14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153), p. 5.
221
deux États aux droits et obligations prévus dans le régime de frontière établi par
cette Convention.
7.16. L’article 4 de la Convention de Paris règle la question de la délimitation
de la frontière terrestre entre les possessions françaises et espagnoles sur la côte du
golfe de Guinée. Il prévoit :
« La limite entre les possessions françaises et espagnoles sur la côte du
Golfe de Guinée partira du point d’intersection du thalweg de la rivière
Mouni avec une ligne droite tirée de la pointe Coco Beach à la pointe
Diéké. Elle remontera ensuite le thalweg de la rivière Mouni et celui de
la rivière Outemboni jusqu’au point où cette dernière rivière est coupée
pour la première fois par le 1er degré de latitude Nord et se confondra
avec ce parallèle jusqu’à son intersection avec le 9e degré de longitude
Est de Paris (11°20’Est de Greenwich).
De ce point la ligne de démarcation sera formée par ledit méridien 9 Est
de Paris, jusqu’à sa rencontre avec la frontière méridionale de la
Colonie allemande de Cameroun. »599
7.17. Dans son mémoire, la Guinée Équatoriale accepte sans réserve que la
Convention de Paris « settled the Spanish and French claims to possessions along
the West Coast of Africa by providing for the delimitation of neighbouring Spanish
and French territories »600. Elle ajoute que l’« Article 4 of the 1900 Convention
described the course of the agreed boundary between the Spanish territory of Río
Muni and neighbouring French territory » 601 . La Guinée Équatoriale détaille
correctement le tracé de la frontière terrestre tel qu’il est déterminé et décrit par
599 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique
occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900,
version bilingue (CMG, vol. III, annexe 47). V. aussi MGE, vol. III, annexe 4.
600 MGE, vol. I, par. 3.36.
601 Ibid.
222
l’article 4 de la Convention 602 et admet que cette frontière correspond à celle
reproduite sur la carte de l’annexe n° 3 de la Convention de Paris603.
7.18. La Guinée Équatoriale identifie d’ailleurs la Convention de Paris en tant
qu’un des titres juridiques relatifs à la délimitation de la frontière terrestre.
Néanmoins, sans discussion aucune, elle ajoute la qualification suivante : « as
applied by France and Spain until the independence of Gabon on 17 August 1960
and as continued to be applied by Gabon and Spain until the independence of
Equatorial Guinea on 12 October 1968 »604. Cette qualification du titre juridique
découlant de la Convention de Paris est inopportune. En effet, il s’agit d’une
esquive à peine voilée visant à inclure dans ce titre juridique les soi-disant
« effectivités infra legem » dont la Guinée Équatoriale fait grand cas dans son
mémoire. En d’autres termes, pour la Guinée Équatoriale, ce n’est pas la
Convention de Paris qui est le titre juridique, mais la situation factuelle sur le terrain
jusqu’en 1968 présentée comme preuve de l’application de cette Convention par les
Parties. Cette position de la Guinée Équatoriale appelle quatre remarques :
a) Premièrement, la Cour n’est pas appelée à déterminer ou délimiter la
frontière. Dans le cadre du Compromis, il ne rentre pas dans la compétence
de la Cour d’appliquer les titres juridiques, c’est-à-dire d’établir le cours de
la frontière terrestre conformément à un titre juridique donné ou à un autre.
Sa mission se limite à confirmer ou infirmer si tel ou tel titre juridique invoqué
par une ou les Parties fait droit quant à la question de la délimitation de la
frontière terrestre605.
602 MGE, vol. I, par. 3.36. Le Gabon note cependant que dans d’autres parties de son mémoire,
la Guinée Équatoriale fournit une interprétation erronée ou, du moins, incomplète du cours
de la frontière terrestre déterminé par la Convention de Paris. V. p. ex., ibid., par. 6.29.
603 Ibid., par. 3.36 et illustration n° 3.6.
604 Ibid., p. 143 (conclusion A(1)).
605 V. supra, pars. 5.47-5.55.
223
b) Deuxièmement, l’interprétation d’un titre juridique conventionnel, si elle était
nécessaire, « doit être fondée avant tout sur le texte du traité lui-même. Il peut
être fait appel à titre complémentaire à des moyens d’interprétation tels les
travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles le traité a été
conclu »606. Le texte de l’article 4 de la Convention de Paris est très clair et
nul ne peut éprouver de difficulté à établir le sens naturel et ordinaire des
termes pertinents de cette disposition. Qui plus est, cette frontière est
représentée sur une carte qui fait partie intégrante de la Convention de Paris
en tant qu’annexe n° 3607. La Guinée Équatoriale elle-même a su dégager du
seul texte de l’article 4 le cours de la frontière terrestre délimité par cette
disposition608. Dans tous les cas, comme il a été expliqué dans le chapitre V
ci-dessus609, en présence d’un titre juridique conventionnel clair, il n’est point
nécessaire d’examiner l’efficacité et la constance de l’administration des
territoires de part et d’autre de la frontière pour en déterminer le tracé610.
c) Troisièmement, interpréter un titre juridique conventionnel n’est pas le
modifier. La Guinée Équatoriale ne peut se prévaloir à la fois du titre juridique
conventionnel constitué par la Convention de Paris et de la situation factuelle
sur le terrain qui, selon ses propres dires, ne correspondait pas à ce titre
juridique. En l’absence d’une modification, en bonne et due forme, du titre
juridique conventionnel délimitant une frontière terrestre, une situation
606 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 22,
par. 41.
607 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique
occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900,
annexe n°3 (CMG, vol. II, annexe C9). V. aussi MGE, vol. III, annexe 4. V. également supra,
par. 1.40.
608 MGE, vol. I, par. 3.36.
609 V. supra, pars. 5.90-5.92.
610 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994,
pp. 38-40, par. 76.
224
factuelle divergente sur le terrain ne constitue rien d’autre que le non-respect
de ce titre juridique ou une effectivité contra legem qui ne supplante pas le
titre juridique 611 . La Guinée Équatoriale semble avoir conscience de la
faiblesse de sa position concernant ses soi-disant « effectivités infra legem » ;
en effet, elle invoque également « all titles to territory (…) based on
modifications to the boundary described in Article 4 of the
1900 Convention »612. Seules de telles modifications de jure peuvent affecter
et altérer le titre juridique découlant de la Convention de Paris. Pourtant,
aucune modification n’a eu lieu avant 1974613.
d) Quatrièmement, et en tout état de cause, le Gabon et la Guinée Équatoriale
ont confirmé et réitéré le titre juridique conventionnel créé par l’article 4 de
la Convention de Paris non pas « as applied » par leurs puissances coloniales
respectives, mais « as written in the text » par la France et l’Espagne en 1900.
Il n’est pas anodin que les deux États aient choisi de recopier presque mot
pour mot le texte de l’article 4 de la Convention de Paris dans la Convention
de Bata, et en particulier son article 1 ; la Guinée Équatoriale ne le conteste
pas614. Ils auraient pu simplement renvoyer aux dispositions de la Convention
de Paris, à l’instar du renvoi aux « actes internationaux en vigueur à la date
de la constitution du Royaume Uni de Libye » opéré par le Traité d’amitié et
de bon voisinage entre la République française et le Royaume-Uni de Libye
de 1955 que la Cour a dû interpréter dans l’affaire du Différend territorial
611 Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali, arrêt, C.I.J. Recueil 1986,
p. 586-587, par. 63 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria
(Cameroun c. Nigéria ; Guinée Équatoriale (intervenant)), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2002,
p. 415, par. 223. V. aussi supra, par. 5.91.
612 MGE, vol. I, p. 143. V. aussi supra, par. 7.1 b).
613 V. infra, pars. 7.22-7.47.
614 V. MGE, vol. I, par. 7.17.
225
(Jamahiriya arabe libyenne/Tchad)615. Le Gabon et la Guinée Équatoriale
auraient pu faire de même et renvoyer purement et simplement à la frontière
telle qu’elle résultait des actes internationaux en vigueur lors de leur
accession à l’indépendance. Ils ont cependant choisi d’« indiquer les
frontières en en précisant littéralement le tracé »616. En procédant de la sorte,
le Gabon et la Guinée Équatoriale ont confirmé et réaffirmé, en 1974, le titre
juridique tel qu’il a été initialement agréé en droit par leurs puissances
coloniales respectives. Même si celles-ci avaient modifié d’une façon ou
d’une autre le titre juridique relatif à la frontière terrestre – quod non617 –, les
Parties n’ont pas voulu réitérer, confirmer ou entériner une telle modification.
7.19. Conscients des nombreuses divergences entre la frontière « définie par
les accords anciens » 618 et la situation sur le terrain, le Gabon et la Guinée
Équatoriale n’ont adapté le titre juridique agréé entre les puissances coloniales en
1900 que dans la mesure où cela leur paraissait judicieux et nécessaire. Le texte de
l’article 2 de la Convention de Bata qui opère cet ajustement619 confirme d’ailleurs
que dans l’appréciation des Parties, c’est seulement cette disposition qui modifie
définitivement et pour l’avenir la frontière :
a) En ce qui concerne la partie septentrionale du district de Médouneu, les
Parties ont pris soin de préciser qu’elle était « située en territoire guinéen »
car « au-delà du parallèle du 1er degré de latitude nord », c’est-à-dire la
frontière délimitée par l’article 4 de la Convention de Paris ; c’est seulement
615 C.I.J. Recueil 1994, pp. 20-21, pars. 38-39.
616 Ibid., p. 25, par. 51.
617 V. infra, pars. 7.22-7.47.
618 Télégramme n° 561/563 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires
étrangères français, 15 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 138), p. 1.
619 V. supra, par. 7.8.
226
par l’opération de l’article 2 de la Convention de Bata que cette portion du
district « fera désormais partie intégrante du territoire [gabonais] ».
b) En ce qui concerne les portions de territoire longeant le 9e méridien de
longitude Est de Paris, les Parties sont convenues que le Gabon les « cède » à
la Guinée Équatoriale, ce qui implique nécessairement qu’elles considéraient
que ces terres faisaient antérieurement partie du territoire gabonais. Seule la
Convention de Bata a modifié le titre juridique constitué auparavant par la
Convention de Paris ; les portions de territoire gabonais ainsi déterminées
« feront désormais partie intégrante de la République de Guinée
Equatoriale ».
De ce fait, dans l’opinion des Parties, une nouvelle convention était nécessaire pour
opérer la modification du titre juridique hérité des puissances coloniales ; ce dernier
est resté, jusqu’en 1974, dans son état initial de 1900 sans modification.
7.20. En d’autres termes, les Parties ont confirmé par la Convention de Bata
le titre juridique concernant la délimitation de la frontière terrestre tel qu’il ressort
du texte de l’article 4 de la Convention de Paris, tout en le modifiant et le
remplaçant par un nouveau titre juridique s’agissant de la délimitation territoriale
dans les régions identifiées dans l’article 2 de la Convention de Bata. C’était leur
droit :
« La fixation d’une frontière dépend de la volonté des Etats souverains
directement intéressés. Rien n’empêche les parties de décider d’un
commun accord de considérer une certaine ligne comme une frontière,
quel qu’ait été son statut antérieur. S’il s’agissait déjà d’une frontière,
celle-ci est purement et simplement confirmée. S’il ne s’agissait pas
d’une frontière, le consentement des parties à la ‘reconnaître’ comme
telle confère à la ligne une force juridique qui lui faisait auparavant
défaut. »620
620 Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 23,
par. 45.
227
7.21. Pour ces raisons, la Convention de Paris reste un titre juridique relatif à
la délimitation de la frontière terrestre pour autant que et dans la mesure où ce titre
n’a pas été modifié ou remplacé par la Convention de Bata.
III. Les autres prétendus titres juridiques invoqués
par la Guinée Équatoriale
7.22. La Guinée Équatoriale demande également à la Cour d’inclure dans les
titres juridiques faisant droit entre les Parties s’agissant de la délimitation terrestre
« all titles to territory, including territorial limits » détenus par les anciennes
puissances coloniales « based on modifications to the boundary described in
Article 4 of the 1900 Convention in accordance with the terms of the 1900
Convention and international law » avant l’accès à l’indépendance du Gabon ou de
la Guinée Équatoriale621. Elle ajoute en guise d’explication que la frontière terrestre
délimitée par la Convention de Paris a été modifiée « in practice » et que « the
effectivités carried out by Spain until 1968, and by Equatorial Guinea
subsequently, themselves constitute (or contribute) to sources of Legal Title to the
land territory (…) on the Spanish/Equatoguinean side of the modified
boundary »622. Ces allégations ne sont qu’une tentative visant à justifier les soidisant
« effectivités infra legem », notamment dans la partie occidentale de la
frontière dans les environs de la boucle de l’Outemboni, d’une part, et dans la partie
orientale de la frontière dans les environs de la rivière Kyé, d’autre part.
7.23. Comme cela est expliqué dans le chapitre V du présent
contre-mémoire623, aucune de ces effectivités et aucune de ces modifications « in
621 MGE, vol. I, p. 143.
622 Ibid., par. 6.40.
623 V. supra, pars. 5.66-5.77.
228
practice », si elles étaient avérées, n’est un « titre juridique » et encore moins un
traité ou une convention. Cela est une raison suffisante pour rejeter les allégations
et conclusions de la Guinée Équatoriale sur ce sujet. Leur examen ne rentre pas dans
la mission que les Parties ont conférée à la Cour et dépasse donc les limites de sa
compétence.
7.24. Par ailleurs, les développements ci-dessus624 constituent une réponse
complète et suffisante à ces demandes et allégations de la Guinée Équatoriale :
même si de telles modifications de la frontière étaient avérées dans le passé – quod
non –, elles ont été désavouées et remplacées par la réaffirmation du titre juridique
conventionnel de la Convention de Paris, tout en apportant les modifications jugées
nécessaires, opérées par la Convention de Bata. La Convention de 1974 et celle de
1900 constituent donc les seuls titres juridiques faisant droit entre les Parties
s’agissant de la délimitation de leur frontière terrestre commune.
7.25. Pour surplus de droit, les allégations et conclusions de la Guinée
Équatoriale sont tout simplement erronées. Aucune modification de la frontière
définie par la Convention de Paris n’est intervenue entre les Parties « in accordance
with the terms of the 1900 Convention and international law », ni avant 1960, ni
avant 1968 ; dès lors, aucune effectivité ne saurait confirmer une telle modification.
Même si les effectivités que la Guinée Équatoriale met en avant correspondaient à
la réalité, en l’absence d’un titre juridique sur lequel elles pouvaient s’appuyer, elles
demeureraient contra legem, contraires au seul titre juridique établi, reconnu par les
puissances coloniales à l’époque et confirmé, en partie, par le Gabon et la Guinée
Équatoriale en 1974.
624 V. supra, par. 7.20.
229
A. LES PUISSANCES COLONIALES N’ONT PAS MODIFIÉ
LA DÉLIMITATION DE LA FRONTIÈRE DANS LES ENVIRONS
DE LA RIVIÈRE OUTEMBONI
7.26. La Guinée Équatoriale soutient dans son mémoire que « both France
and Spain, in practice, accepted the 1901 Commission’s recommendations, and
modified the boundary in the southwest where it followed the Utamboni River and
other rivers instead of strictly following the 1° North parallel of latitude »625. Elle
prétend que les modifications proposées par la commission franco-espagnole
de 1901 conformément aux dispositions de la Convention de Paris, et qui avaient
été acceptées par les puissances coloniales dans la pratique constituent « [o]ther
sources of Spain’s title »626.
7.27. Visiblement, la Guinée Équatoriale peine à identifier avec exactitude
sur quel titre juridique elle s’appuie : sont-ce les modifications proposées en 1901
conformément à la Convention ? Ou est-ce les prétendues acceptations de telles
modifications dans et par la pratique des puissances coloniales ? Ou encore, s’agitil
des deux ?
7.28. Quoi qu’il en soit, les modifications proposées par la commission
de 1901 n’ont pas été faites conformément aux dispositions de la Convention de
Paris. Les parties à la Convention de Paris ont fixé des conditions et des limites à
respecter pour effectuer la démarcation de la frontière. L’article 8 décrit ce
processus de démarcation :
« Les deux Gouvernements s’engagent à désigner, dans le délai de
quatre mois à compter de la date de l’échange des ratifications, des
Commissaires qui seront chargés de tracer sur les lieux les lignes de
démarcation entre les possessions françaises et espagnoles, en
625 MGE, vol. I, par. 6.31.
626 Ibid., par. 6.33.
230
conformité et suivant l’esprit des dispositions de la présente
Convention. »627
L’annexe 1 à la Convention contient davantage d’informations sur l’étendue de la
mission et des pouvoirs des commissaires ainsi désignés :
« Bien que le tracé des lignes de démarcation sur les cartes annexées à
la présente Convention (annexes nos 2 et 3) soit supposé être
généralement exact, il ne peut être considéré comme une représentation
absolue, correcte de ces lignes, jusqu’à ce qu’il ait été confirmé par de
nouveaux levés.
Il est donc convenu que les Commissaires ou Délégués locaux des deux
Pays qui seront chargés, par la suite, de délimiter tout ou partie des
frontières sur le terrain, devront se baser sur la description des frontières
telle qu’elle est formulée dans la Convention. Il leur sera loisible, en
même temps, de modifier lesdites lignes de démarcation en vue de les
déterminer avec une plus grande exactitude et de rectifier la position
des lignes de partage des chemins ou rivières, ainsi que des villes ou
villages indiqués dans les cartes susmentionnées.
Les changements ou corrections proposés d’un commun accord par
lesdits Commissaires ou Délégués seront soumis à l’approbation des
Gouvernements respectifs. »628
7.29. Ces dispositions laissaient à la commission de démarcation une certaine
marge d’interprétation. Bien que les commissaires dussent « se baser sur la
description des frontières telle qu’elle est formulée dans la Convention », ils
pouvaient « modifier les dites lignes de démarcation en vue de les déterminer avec
une plus grande exactitude et de rectifier la position des lignes de partage des
chemins ou rivières, ainsi que des villes ou villages indiqués dans les cartes
susmentionnées ». Cette marge est triplement encadrée :
627 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique
occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900,
version bilingue (CMG, vol. III, annexe 47). V. aussi MGE, vol. III, annexe 4.
628 Ibid.
231
a) Premièrement, elle doit s’exercer « en conformité et suivant l’esprit des
dispositions de la présente Convention » (article 8) et toute rectification doit
avoir pour finalité de répartir les éléments géographiques et topographiques
indiqués sur la carte en fonction du tracé de la frontière défini dans l’article 4.
Rien dans le texte de la Convention n’accorde aux commissaires le pouvoir
de substituer des lignes naturelles aux lignes droites établies comme
frontières. Les instructions données au commissaire français en 1901
confirment que la ligne que la commission devait démarquer était celle
définie dans l’article 4 de la Convention629, ni plus ni moins.
b) Deuxièmement, toute modification proposée ne pouvait l’être que d’un
commun accord des commissaires.
c) Troisièmement, elle devait être soumise à l’approbation des gouvernements
respectifs.
7.30. La proposition de la commission de 1901 ne satisfait pas à ces
conditions et limites. Ses membres avaient conscience que leur proposition
dépassait leur mission ; elle ne concernait point la démarcation de la frontière
définie par l’article 4, mais, selon les termes même utilisés par la commission, un
nouveau « Projet de frontière » :
« La commission de délimitation franco-espagnole du Golfe de Guinée
(…) réunie à Paris, après avoir étudié les travaux effectués au cours des
opérations sur le terrain, propose comme frontière naturelle la plus
convenable & la plus conforme à l’esprit de la Convention, celle qui est
décrite ci-après (…) »630.
629 Lettre du ministre des Colonies français au chef de la commission française, 19 juin 1901
(MGE, vol. IV, annexe 55).
630 Commission de délimitation franco-espagnole, projet de frontière méridionale,
1er janvier 1902 (MGE, vol. III, annexe 14).
232
7.31. La modification proposée visant à utiliser la rivière Outemboni en lieu
et place du 1er parallèle de latitude Nord n’était certainement pas conforme à l’esprit
de la Convention de Paris. En effet, comme la Guinée Équatoriale l’accepte631, les
autorités françaises et espagnoles avaient connaissance des cours des rivières Muni
et Outemboni. Indépendamment de cette connaissance, et malgré une proposition
de négociation délimitant la frontière par référence au thalweg de la rivière
Outemboni jusqu’à sa source632, les parties à la Convention de Paris – à l’initiative
des autorités espagnoles – ont finalement convenu la délimitation par le 1er parallèle
de latitude Nord à partir du premier point d’intersection entre l’Outemboni et ce
parallèle de latitude633. La commission de démarcation ne l’ignorait point. Elle s’est
même employée à déterminer par des mesures astronomiques ce point
d’intersection634. Dans ces circonstances, il paraît incongru d’accepter par la petite
porte de la démarcation une ligne de délimitation expressément rejetée lors des
négociations de la Convention de Paris.
7.32. Dans tous les cas, ces propositions n’ont jamais reçu l’assentiment des
autorités gouvernementales françaises ou espagnoles635. Les deux gouvernements
ont rejeté les travaux de la commission en raison d’erreurs importantes dans la
détermination des coordonnées astronomiques constatées sans se prononcer sur le
projet de frontière proposé ; ils ont d’ailleurs envisagé une révision de l’ensemble
des données afin de pouvoir présenter une proposition de « tracé de frontière
naturelle le plus rapproché possible du méridien 9° Est de Paris et du parallèle 1°
631 MGE, vol. I, par. 3.37 (« the colonial powers were familiar with the courses of the Muni and
Utamboni (“Outemboni” on the Annex 3 map) Rivers near the coast »).
632 V. supra, pars. 1.26 et 1.28.
633 V. supra, par. 1.28.
634 Commission de délimitation franco-espagnole, itinéraire suivi par la commission, 1901
(MGE, vol. III, annexe 12), p. 2.
635 V. supra, pars. 1.46-1.49.
233
de latitude Nord » 636 . Sans aucune approbation de la part des gouvernements
français et espagnol, le projet de frontière proposé par la commission de
démarcation ne saurait constituer une modification en conformité avec les
dispositions de la Convention de Paris. Il ne s’agit, en fin de compte, que d’un
rapport, d’une proposition préparée par une commission dépassant son mandat – et
consciente de le faire. En aucun cas, un tel document ne pourrait constituer la source
d’un titre juridique.
7.33. Indépendamment de la question de savoir si les modifications proposées
pourraient constituer la source d’un titre juridique, il est simplement faux
d’affirmer, comme le fait la Guinée Équatoriale, que les autorités coloniales ont
appliqué ces propositions dans la pratique. La Guinée Équatoriale n’a pas
mentionné un seul document ou instrument qui identifierait la frontière
conformément aux propositions de la commission de 1901. En revanche, la
frontière telle qu’elle est décrite dans l’article 4 de la Convention de Paris et qui,
dans ce secteur, suit le 1er parallèle de latitude Nord, a été réaffirmée par les
autorités coloniales allemandes (pendant la période 1912-1916), françaises et
espagnoles637. C’est seulement en 1937 que les autorités coloniales de la Guinée
espagnole ont suggéré pour la première fois que « la frontière ne d[evait] suivre le
1° degré de latitude Nord qu’à partir du point où ce parallèle rencontre la rivière
Outemboni, en amont de la boucle que celle-ci forme au Sud [de ce] parallèle »638,
sans pour autant invoquer l’existence d’un prétendu accord modifiant la Convention
de Paris sur la base des propositions de la commission de 1901639. Les autorités
françaises ont vigoureusement rejeté cette « interprétation » de la Convention de
636 Lettre du ministre d’État relative aux frontières du Congo et de la Guinée espagnole,
20 avril 1907 (MGE, vol. IV, annexe 58).
637 V. supra, pars. 2.4-2.7 et 2.10-2.15.
638 Lettre n° 439 du ministre des Colonies français au gouverneur général de l’Afrique
équatoriale française, 3 mai 1937 (CMG, vol. IV, annexe 88).
639 V. supra, par. 2.16.
234
Paris en 1937 et en 1943640. Et encore au début des années 1970, les autorités
équato-guinéennes et gabonaises ont confirmé la validité de la Convention de Paris
dans leurs relations mutuelles sans mentionner de quelconques modifications de la
frontière résultant d’un accord ou de la pratique641.
7.34. La Convention de Bata confirme clairement le titre juridique
conventionnel de 1900 dans cette région en réitérant que la frontière est constituée
par le thalweg de la rivière Outemboni jusqu’à la première intersection avec le
1er parallèle de latitude Nord et, à partir de ce point, se confond avec ce parallèle642.
Aucune modification ou ajustement de la frontière dans cette région n’a été
convenue en 1974 et aucune mention n’a été faite d’une prétendue modification de
la Convention de 1900 dans cette région.
7.35. Il est encore plus surprenant que malgré les efforts entrepris pour
prouver vainement l’existence d’un « titre » qui trouverait sa source dans le projet
de frontière proposé par la commission de 1901, la modification de la frontière de
1900 prétendument intervenue entre la France et l’Espagne et à laquelle la Guinée
Équatoriale attribue la valeur de « titre » s’éloigne considérablement de la
proposition de la commission de démarcation. Il suffit de comparer la ligne
proposée par la commission de 1901 représentée approximativement dans le
croquis n° 3.8 du mémoire de la Guinée Équatoriale, d’une part, et celle
représentant, selon la Guinée Équatoriale, « [t]he Parties’ Modifications to the
Article 4 Lines in the Utamboni [Area] » représentée sur le croquis n° 3.9 du
mémoire. Pour les besoins de la comparaison, le Croquis n° 7.1 (ci-après,
640 Ibid. V. également Lettre n° 439 du ministre des Colonies français au gouverneur général de
l’Afrique équatoriale française, 3 mai 1937 (CMG, vol. IV, annexe 88) ; Lettre du
commissaire national aux Affaires étrangères au commissaire national aux Colonies,
27 février 1943 (CMG, vol. IV, annexe 91).
641 V. supra, pars. 2.45 et 3.4.
642 V. supra, pars. 7.6 et 7.7.
235
page 237) indique ces deux lignes sur le fond du croquis n° 2.7 du mémoire de la
Guinée Équatoriale. La différence entre ces deux lignes est importante et reste
entièrement inexpliquée. Elle contredit la prétention de la Guinée Équatoriale quant
à un titre juridique trouvant sa source dans les propositions de la commission
de 1901.
B. LES PUISSANCES COLONIALES N’ONT PAS MODIFIÉ
LA DÉLIMITATION DE LA FRONTIÈRE DANS LES ENVIRONS
DE LA RIVIÈRE KYÉ
7.36. En ce qui concerne la partie nord-est de la frontière, dans les environs
d’Ebebiyin et de la rivière Kyé, la Guinée Équatoriale affirme que « the adjustments
to the boundary agreed by parties’ colonial Governors (…) in accordance with the
provisions of the [1900] Convention » constitue une autre source du titre des
autorités espagnoles643. Elle ajoute comme explication :
« Just as Spain and France applied the 1900 Convention by delimiting
the boundary in the southwest along natural features, such as the
Utamboni River, and human made features rather than the parallel of
latitude identified in the text, they adopted the same approach in the
northeast. In particular, instead of delimiting the boundary along the
meridian 9º East of Paris specified in the Convention, they followed the
natural boundary formed by the Kie River for a significant portion of
the boundary. This modification was consistent with Article 8 and
Annex 1 of the Convention, which authorized the Commissioners and
local Delegates to agree to propose changes to the boundaries defined
in Article 4, based on their work in the field. »644
7.37. Mais ici encore, la Guinée Équatoriale ignore les faits et les termes des
échanges entre les autorités coloniales espagnoles et françaises.
643 MGE, vol. I, par. 6.33.
644 Ibid., par. 3.67.
236
Prétendue modification de la frontière
de l’article 4 de la Convention de Paris
(MGE, croquis 3.9)
Frontière proposée par la Commission de
démarcation de 1901 (MGE, croquis n° 3.8)
Sources : MGE, croquis nos 2.7, 3.8 et 3.9 (annotations ajoutées)
Croquis n° 7.1. Les incohérences de la position de la Guinée Équatoriale (Outemboni)
(comparaison des informations sur les croquis 3.8 et 3.9 de la Guinée Équatoriale)
237
7.38. Comme il a été rappelé ci-dessus 645 , le gouverneur général des
possessions espagnoles, Barrera, a proposé dans sa lettre du 22 novembre 1917 de
considérer le cours de la rivière Kyé comme une « frontera provisional (…) en tanto
no se llegue a una delimitación exacta de frontera »646. Le gouverneur général de
l’Afrique équatoriale française a confirmé que la rivière Kyé pourrait être
considérée comme « the provisional border between your colony and the occupied
territories of New Cameroon », ajoutant toutefois « in the hopes that a definitive,
exact delimitation may be made »647. Dans sa réponse, le gouverneur Barrera a de
nouveau précisé les raisons expliquant ses propositions portant sur une limite
provisoire :
« [T]his way as long as the borders are not definitively established, [the
limits] I have indicated could provisionally be the limits of Spanish
territory; these are more tangible limits than the meridian, and this
would dispel any incidents. »648
7.39. Cette correspondance contredit l’allégation de la Guinée Équatoriale
selon laquelle il s’agissait d’une modification de la délimitation faite conformément
à l’article 8 et à l’annexe 1 de la Convention de Paris649.
645 V. supra, par. 2.18.
646 Lettre du gouverneur général des territoires espagnols d’Afrique au gouverneur du Gabon
français, 22 novembre 1917 (MGE, vol. IV, annexe 65). Pour une traduction plus fidèle du
texte espagnol, v. supra, par. 2.18 : « frontière provisoire, tant qu’une délimitation exacte de
la frontière n’est pas encore arrêtée ».
647 Lettre n° 03 du gouverneur-général de l’Afrique équatoriale française au gouverneur-général
des territoires espagnols du golfe de Guinée, 24 janvier 1919 (MGE, vol. IV, annexe 66)
(traduction de la Guinée Équatoriale de la copie espagnole versée au dossier : « como
frontera provisional entre vuestra Colonia y los Territorios ocupados del Nuevo-Cameroun,
en espera que se efectue una delimitacion exacta definitiva »). Le Gabon n’a pas retrouvé
l’original français de cette lettre.
648 Lettre du gouverneur général de Guinée espagnole au gouverneur général d’Afrique
équatoriale française, 1er mai 1919, (MGE, vol. IV, annexe 67) (traduction de la Guinée
Équatoriale de l’original en espagnol : « [D]e este modo y en tanto no se fijen definitivamente
las fronteras, estas que indico podría ser provisionalmente los limites del territorio español,
limites mas tangibles que el meridiano, y esto alejaría todo incidente. »).
649 Pour le texte de ces dispositions, v. supra, par. 7.27.
239
7.40. D’abord, ni le gouverneur général espagnol, ni son homologue français
n’avaient été désignés par leur gouvernement respectif comme commissaires ou
chargés de « tracer sur les lieux les lignes de démarcation entre les possessions
françaises et espagnoles, en conformité et suivant l’esprit des dispositions de la
présente Convention », au sens de l’article 8 de la Convention de Paris. D’ailleurs,
ce n’est pas ce qu’ils ont fait. Ils n’ont jamais tracé de ligne de démarcation ; en
fait, ils n’ont jamais été sur le terrain pour discuter de ces propositions. Comme le
gouverneur Barrera l’a expliqué dans cette correspondance, ces propositions ont été
formulées sur la base de la carte Moisel650, en dépit de toutes les imprécisions
qu’elle contenait651, et non pas à la suite d’une étude de terrain.
7.41. Consciente du fait que les deux gouverneurs n’étaient à l’évidence pas
des commissaires au sens de l’article 8 et de l’annexe 1 de la Convention de Paris,
la Guinée Équatoriale qualifie habilement les deux gouverneurs coloniaux de
« local Delegates » (délégués locaux)652 pour créer – artificiellement et sans aucune
justification – l’impression que leurs actes tombaient dans le champ d’application
de l’annexe 1 de la Convention de Paris. Mais indépendamment de ce tour de passepasse,
la détermination de la rivière Kyé comme frontière naturelle n’entrait pas
dans les pouvoirs et fonctions ni d’un commissaire, ni d’un délégué local ; comme
il l’a été expliqué ci-dessus653, ni les dispositions de la Convention de Paris, ni celles
de son annexe 1 n’accordent aux commissaires ou délégués locaux le pouvoir de
substituer des lignes naturelles aux lignes artificielles établies comme frontière.
650 Lettre du gouverneur général de Guinée espagnole au gouverneur d’Afrique équatoriale
française, 1er mai 1919 (MGE, vol. IV, annexe 67).
651 V. supra, par. 2.28.
652 MGE, vol. I, pars. 6.31, 6.36 et 6.40.
653 V. supra, par. 7.28.
240
7.42. Rien dans la correspondance entre les deux gouverneurs ne permet de
conclure qu’ils ont agi ou qu’ils ont considéré agir dans le cadre des dispositions de
la Convention de Paris ou de celles de son annexe 1. Au contraire, la proposition
du gouverneur espagnol et la réponse de son homologue français confirment qu’il
ne s’agissait pas d’une opération de délimitation ou de démarcation dans le sens de
la Convention de Paris. Les deux interlocuteurs ont reconnu que la limite provisoire
sur la rivière Kyé devait servir à prévenir et limiter les incidents frontaliers en
attendant une démarcation précise de la frontière délimitée par la Convention de
Paris. En d’autres termes, les gouverneurs ne visaient pas à adopter une frontière
fluviale en lieu et place de la frontière représentée par le 9e méridien de longitude
est de Paris, comme le suggère la Guinée Équatoriale ; la limite de la rivière Kyé
n’était qu’une solution provisoire et pratique ne modifiant pas la frontière délimitée
par la Convention de Paris.
7.43. Accessoirement, la Guinée Équatoriale n’a pas fourni la preuve que la
proposition du gouverneur général des possessions espagnoles ou l’arrangement
entre les deux gouverneurs auraient été autorisés ou approuvés par les autorités
gouvernementales espagnoles, conformément au dernier alinéa de l’annexe 1 de la
Convention de Paris. Cela est fort douteux eu égard au fait que les textes juridiques
définissant le statut et les subdivisions territoriales des possessions espagnoles dans
le golfe de Guinée, adoptés par l’Espagne en 1935, continuaient à déterminer les
limites orientales des circonscriptions frontalières par une ligne droite
(« linea recta »)654.
654 Décret portant statut organique, 13 avril 1935 (CMG, vol. IV, annexe 85), disposition de
base 1.
241
7.44. La France, pour sa part, n’a jamais modifié sa position au sujet de la
délimitation de la frontière orientale de la Guinée espagnole par la ligne suivant le
9e méridien de longitude est de Paris655.
7.45. Qui plus est, comme c’est le cas pour les prétendues modifications de
la frontière dans les environs de la rivière Outemboni656, la position de la Guinée
Équatoriale relative aux prétendues modifications de la frontière orientale de la
Guinée espagnole est contradictoire. Il ressort des croquis préparés par la Guinée
Équatoriale qu’elle ne prétend pas seulement que, conformément à l’arrangement
des gouverneurs, la rivière Kyé constituerait la frontière depuis le Cameroun au
nord, jusqu’à sa source ; elle semble également considérer que, depuis la source de
la rivière Kyé, cette frontière suit un autre fleuve, dont la Guinée Équatoriale n’a
pas révélé le nom, dans une direction sud-sud-ouest jusqu’à rejoindre le 9e méridien
de longitude Est de Paris. Les prétentions de la Guinée Équatoriale sont illustrées
sur le Croquis n° 7.2 (ci-après, page 243) qui reprend les informations représentées
sur les croquis nos 3.9 et 3.14 du mémoire. Si la source justifiant les modifications
invoquées par la Guinée Équatoriale était l’arrangement des gouverneurs de 1919
et la frontière était constituée par le cours de la rivière Kyé jusqu’à sa source, la
modification de la frontière entre cette source et le fleuve Benito resterait
complètement inexpliquée. Le Gabon note par ailleurs que la Guinée Équatoriale
n’a pas fourni d’explications pour justifier la localisation de la source de la rivière
Kyé – représentée nettement à l’est du 9e méridien de longitude Est de Paris ; les
cartes préparées par l’Espagne dans les années 1950 et 1960 suggèrent que cette
source se trouve à l’ouest de ce méridien657.
655 V. supra, par. 2.20.
656 V. supra, par. 7.35.
657 Carte topographique et forestière de Guinée espagnole, 1949-1960 (CMG, vol. II,
annexe C20), feuille 4-I, Assoc (1960).
242
Arrangement provisoire
des gouverneurs (1919)
Prétendue modification de la frontière
de l’article 4 de la Convention de Paris
(MGE, croquis 3.9)
Sources : MGE, croquis nos 3.14 et 3.9
(annotations ajoutées)
Prétendue modification
de la frontière sans
aucune justification
Agrandissement
Croquis n° 7.2. Les incohérences de la position de la Guinée Équatoriale
(rivière Kyé) (comparaison des informations sur les croquis 3.14 et 3.9
de la Guinée Équatoriale)
243
7.46. En tout état de cause, après l’indépendance du Gabon et de la Guinée
Équatoriale, les plus hautes autorités des deux États se sont rendues sur les lieux et
ont confirmé que la frontière délimitée et héritée des puissances coloniales était bien
le 9e méridien de longitude Est de Paris et non pas la rivière Kyé658. Le président
Bongo a ainsi informé l’ambassadeur de France à Libreville que le président Macías
Nguema avait reconnu lors de leur visite sur les lieux le 13 juillet 1974 « la ligne
frontière telle qu’elle était définie par les accords anciens »659.
7.47. Quel qu’ait été le titre juridique dans cette partie de la frontière avant
1974, la Convention de Bata l’a remplacé par une nouvelle définition de la frontière
découlant de l’échange de territoires conformément aux dispositions de son
article 2660. Qui plus est, l’article 2 de la Convention de Bata prévoit la cession de
deux portions de territoire à l’est du 9e méridien de longitude de Paris par le Gabon
à la Guinée Équatoriale661 ; une telle cession n’aurait été ni nécessaire ni appropriée
si la frontière correspondait, depuis les années 1920, à la rivière Kyé.
Conclusion
7.48. Pour les raisons exposées ci-dessus, les titres juridiques faisant droit
entre les Parties s’agissant de la délimitation de leur frontière terrestre sont :
a) La Convention de Bata de 1974 qui délimite l’ensemble de la frontière
terrestre entre le Gabon et la Guinée Équatoriale conformément à ses
articles 1er et 2 ; et
658 V. supra, par. 2.56.
659 Télégramme n° 561/563 de l’ambassade de France au Gabon au ministère des Affaires
étrangères français, 15 juillet 1974 (CMG, vol. V, annexe 138), p. 1.
660 V. supra, par. 7.8.
661 V. supra, par. 7.19 (b).
245
b) La Convention de Paris de 1900, et notamment son article 4, pour autant que
et dans la mesure où ce titre n’a pas été modifié par la Convention de Bata de
1974.
Aucun autre titre juridique relatif à la délimitation de la frontière terrestre n’existe
ni ne fait droit entre les Parties.
246
CHAPITRE VIII.
LE TITRE JURIDIQUE RELATIF À LA SOUVERAINETÉ INSULAIRE
8.1. Par l’article 1 du Compromis, la « Cour est priée de dire si les titres
juridiques, traités et conventions internationales invoqués par les Parties font droit
dans les relations entre la République Gabonaise et la République de Guinée
Equatoriale s’agissant (…) de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et
Conga ». En effet, les deux Parties ont un différend sur le titre de souveraineté
relatif à ces trois formations insulaires.
8.2. Le différend de souveraineté à l’égard de ces îles remonte bien à l’époque
coloniale, quand bien même la Guinée Équatoriale affirmerait le contraire dans son
mémoire662. Ses premiers signes apparaissent au XIXème siècle (I) et, faute d’avoir
été résolu par la Convention de Paris (II), il s’est prolongé jusqu’à la veille de
l’indépendance des deux Parties, pour reprendre, avec plus de force, dans les
années 1970 (III). Il a été définitivement réglé par la Convention de Bata, qui
constitue dès lors le titre qui fait droit s’agissant de la souveraineté sur les îles
Mbanié, Cocotiers et Conga (IV).
662 MGE, vol. I, pars. 3.13-3.17, sp. par. 3.17 (absence de différend insulaire à l’époque
antérieure à 1900) et pars. 3.32-3.35 (absence de différend insulaire à la veille des
indépendances). V. aussi Ibid., par. 3.3 ; Déclaration du commissaire royal espagnol pour les
îles de Fernando Póo, Annobón et Corisco sur la côte d’Afrique, 16 mars 1843 (MGE, vol. V,
annexe 110).
247
I. L’absence de consolidation d’un titre au XIXème siècle
A. DES TENTATIVES CONCURRENTES DE PRISE DE POSSESSION PAR
LES PUISSANCES COLONIALES
8.3. Le titre de souveraineté sur les formations insulaires disputées entre le
Gabon et la Guinée Équatoriale est resté incertain tout au long du XIXème siècle, ce
qui n’est pas étonnant s’agissant d’îles inhabitées d’une superficie réduite. Si elles
étaient connues des autorités espagnoles comme françaises, elles n’ont pas constitué
un point de friction dans les rapports entre les puissances coloniales. Celles-ci ne se
disputaient que la souveraineté sur les îles habitées de la baie de Corisco, à
savoir l’île de Corisco et les deux Elobey, ainsi que sur une partie considérable de
la côte continentale663.
8.4. Au XIXème siècle, aussi bien la France que l’Espagne considéraient que
les îles et îlots de cette baie relevaient de leur souveraineté, d’autant plus que leurs
expéditions de reconnaissance ont été souvent faites en parallèle ou à de courts
intervalles de temps. Ces revendications portaient d’abord et surtout sur les îles
habitées de la baie, mais elles touchaient par moments aux îles Mbanié, Cocotiers
et Conga.
8.5. L’Espagne, qui pendant plus de 70 ans après le Traité du Pardo n’avait
fondé aucun établissement militaire ou commercial ni à Fernando Pó ni à Annobón,
a commencé à s’y intéresser de nouveau en 1843664. C’est à cette même période
qu’elle a souhaité étendre ses possessions à l’île de Corisco, afin de conjurer le
risque d’occupation anglaise665.
663 V. supra, pars. 1.11-1.14.
664 V. supra, par. 1.5.
665 MGE, vol. I, par. 3.3.
248
1°N
0 2 5 10 milles marins
0 2 10 20 km
Projection : WGS84. Réalisation : Gaëlle Sutton, 2022.
Ce croquis a été établi à seule fin d’illustration
Estuair e d u K o m o ( Gab o n)
Elobey
Grande B a i e d e C o r i s c o
Diéké
Cocobeach
Cocotiers
Leva (Laval)
Hoco
O C É A N
A T L A N T I Q U E
Corisco
Cap
Saint-Jean
GUINÉE ÉQUATORIALE
GABON
M o u n i
B a i e d e l a M o n d a h
Mbanié
Conga
Cap
Estérias
Cap
Santa Clara
Pointe
Denis
Petite
Croquis n° 8.1. Les îles au large de la côte continentale nord du Gabon
249
8.6. Pendant ce temps, la France avait approfondi l’exploration des côtes et
des îles du golfe du Guinée. Ainsi, dans un rapport de 1844, le capitaine de
l’Antilope fait une description de l’île de Corisco, qu’il avait utilisée comme lieu de
mouillage666. D’autres expéditions françaises permettent de cartographier la baie de
Corisco et notent les dangers à la navigation représentées par les différentes
formations insulaires667.
8.7. La France et l’Espagne avaient par ailleurs signé chacune des accords
avec les chefs locaux afin de se voir reconnaître par ceux-ci un titre de
souveraineté668. Certains chefs avaient conclu de tels accords avec les deux États
pour les mêmes territoires. Tel fut le cas des chefs des îles Elobey669. Mais aucun
de ces accords ne concernait les îles actuellement contestées670.
8.8. Les documents soumis par la Guinée Équatoriale elle-même attestent de
l’existence d’un différend portant sur les îles non habitées en face de la côte
continentale du Gabon, et en particulier sur Mbanié671. Loin de renoncer à leurs
prétentions respectives pendant la durée des pourparlers au sein de la commission
666 Extrait d’un rapport du capitaine de l’Antilope parti de Nantes pour la côte d’Afrique le
12 juin 1843 et de retour à Nantes le 6 mai 1844 (CMG, vol. III, annexe 5).
667 V. supra, par. 1.7 ; L.-E. Bouët-Willaumez, Description nautique des côtes de l’Afrique
Occidentale comprises entre le Sénégal et l’Equateur (commencée en 1838 et terminée en
1845), 1848 (CMG, vol. III, annexe 7), pp. 179-180.
668 V. supra, pars. 1.5-1.10.
669 Traité de souveraineté et de protection conclu avec le roi Battaud, le prince Battaud, les chefs
principaux Naqui, Bori N’Pongoué, Bappi et Oniamon, et M. Guillet, capitaine commandant
le comptoir fortifié du Gabon, fondé de pouvoirs de M. le commandant en chef de la station
des côtes occidentales d’Afrique, 23 avril 1855 (CMG, vol. III, annexe 9) ; Traité entre les
chefs des deux Elobey et M. Ropert, chef d’état-major de la division navale des côtes
occidentales d’Afrique, 17 octobre 1860 (CMG, vol. III, annexe 13) ; pour l’Espagne :
« Acta de anexion », 18 février 1846 (MGE vol. V, annexe 112).
670 V. supra, pars. 1.5-1.10.
671 Lettre n° 367 du gouverneur général de Fernando Póo au ministre des possessions espagnoles
d’outre-mer, 2[1] novembre 1895 (MGE, vol. IV, annexe 49) ; Lettre n° 368 du gouverneur
général de Fernando Póo au commissaire général du Congo français, 22 novembre 1895
(MGE, vol. IV, annexe 50).
251
mixte franco-espagnole672, les deux États ont souhaité mettre en place un statu quo
applicable à l’ensemble des territoires contestés, y compris aux îles Mbanié,
Cocotiers et Conga. C’est ce qui résulte d’une lettre du commissaire général du
gouvernement français adressé au gouverneur espagnol de Fernando Pó, que la
Guinée Équatoriale présente curieusement comme la preuve de l’absence de
différend673 :
« J’ai l’honneur d’accuser réception à votre Excellence de sa lettre en
date du 5 novembre 1895.
Depuis que nos gouvernements ont arrêté des mesures en vue du
règlement de notre différend dans le Golfe de Guinée, je n’ai plus
qualité pour traiter avec Votre Excellence de questions de droit. Je
répondrai donc à sa lettre en me tenant uniquement dans le domaine
des faits.
Les informations qu’elle mentionne au sujet de l’établissement d’un
poste sur un îlot situé à 6 milles au S.E. de Corisco sont dénuées de
fondement »674.
B. LES TÂTONNEMENTS DU MÉMOIRE DE
LA GUINÉE ÉQUATORIALE
8.9. La Guinée Équatoriale affirme détenir un titre sur les îles mentionnées à
l’article 1 du Compromis, qui se serait consolidé au XIXème siècle. Elle peine
cependant à l’identifier. Elle en invoque plusieurs aux paragraphes 6.11 à 6.13 du
mémoire, mais sans en faire une réelle démonstration juridique et sans préciser
lequel a ses faveurs et encore moins lequel pourrait faire droit entre les Parties. Dans
672 Sur les travaux de cette commission, v. supra, pars. 1.15-1.20.
673 MGE, vol. I, par. 3.15.
674 Lettre n° 203 du commissaire général du gouvernement français au Congo français au
gouverneur général espagnol de Fernando Pó et dépendances, 4 février 1896 (MGE, vol. IV,
annexe 51) (italiques ajoutés).
252
ses Conclusions 675, elle invoque pêle-mêle des actes conventionnels inter-étatiques
(le Traité du Pardo), un accord avec un chef local (« Spain’s 1846 Record of
Annexation »), des actes unilatéraux espagnols (« 1843 Spanish Declaration (…),
Spain’s 1846 Charter of Spanish Citizenship ») ainsi que « l’occupation effective ».
Force est de constater que les « fondements » invoqués par la Guinée Équatoriale
ont un double défaut : pour la plupart, ils ne correspondent pas au concept de titre
juridique retenu dans le Compromis676. En outre, les autres fondements invoqués
par la Guinée Équatoriale ne confirment pas la souveraineté espagnole sur ces îles
et la Guinée Équatoriale leur attribue un sens qu’ils n’ont pas. Les développements
ci-dessous les examinent plus en détail.
8.10. La Guinée Équatoriale met d’abord en avant un titre conventionnel
dérivé du Traité du Pardo de 1778677, dont aurait bénéficié l’Espagne et auquel elle
aurait succédé. Pourtant, aucune des îles Mbanié, Cocotiers ou Conga, pas
davantage que Corisco ou les Elobey, n’est incluse dans le Traité du Pardo678.
Aucune mention n’en est faite dans l’article XIII de ce traité qui énonce :
« [L]es deux hauts contractants sont convenus, qu’afin de jouir de ces
avantages, et pour compenser en quelque façon les cessions et
restitutions qu’a faites l’Espagne au Portugal dans le traité préliminaire
de limites du 1er octobre 1777, S.M.T.F. [Sa Majesté Très Fidèle]
céderait, comme en effet elle a cédé et cède, tant pour elle que pour ses
héritiers et successeurs, à S.M.C. [Sa Majesté Catholique] et à ses
héritiers et successeurs, à perpétuité l’île d’Annobon sur la côte
d’Afrique, avec tous les droits, possessions et actions quelconques
qu’elle a sur ladite île ; afin que dès à présent elle appartienne en toute
propriété au domaine espagnol, de la même façon que jusqu’à présent
elle a appartenu à la couronne de Portugal. S.M.T.F. cède également en
toute propriété au roi catholique, l’île de Fernando del Po, située dans
675 MGE, vol. I, p. 144 (point B).
676 V. supra, pars. 5.63-5.65.
677 MGE, vol. I, pars. 3.2 et 6.12.
678 V. supra, pars. 1.4-1.5, 1.18 ; MGE, vol. I, par. 3.2.
253
le golfe de Guinée, afin que les sujets de la couronne d’Espagne puissent
s’établir dans ladite île et de là faire leur commerce ainsi que la traite
des nègres, dans les ports et sur les côtes vis-à-vis de l’île, comme sont
les ports du fleuve Gabon, de Camarones [du Cameroun], de Saint
Dominique, de Cap Formoso et autres voisins, sans préjudicier au
commerce des Portugais sur les mêmes côtes (…) »679.
8.11. Doutant elle-même de la force de son argument relatif à un titre
conventionnel, la Guinée Équatoriale avance un titre supplémentaire, qui serait
fondé sur « l’occupation » 680 ou la « possession originelle » 681 . Elle fait ainsi
référence à la théorie de la possession ou de la prescription acquisitive, dont la
formulation classique résulte d’un célèbre dictum de Max Huber dans l’affaire de
1’Île de Palmas :
« la pratique, aussi bien que la doctrine, reconnaissent – quoique sous
des formules juridiques différentes et avec certaines divergences
touchant les conditions requises – que l’exercice continu et pacifique de
la souveraineté territoriale (pacifique par rapport aux autres États) vaut
titre »682.
8.12. Mais l’argument fondé sur l’occupation est lui aussi voué à l’échec.
Tout d’abord, il contredit l’argument fondé sur le titre conventionnel, puisque la
théorie de la possession ne s’applique qu’à l’égard des territoires sans maître (terrae
nullius). La Cour l’a clairement établi dans son arrêt dans l’affaire du Différend
frontalier terrestre, insulaire et maritime :
679 Ch. de Martens et F. de Cussy, Recueil manuel et pratique de traités, conventions et autres
actes diplomatiques, t. I, 1846, pp. 159-160 (italiques ajoutés). La version espagnole du traité
et sa traduction en anglais sont reproduites in MGE, vol. III, annexe 1.
680 MGE, vol. I, par. 6.11.
681 Ibid., par. 6.12.
682 Affaire de l’Île de Palmas, 4 avril 1928, Recueil des sentences arbitrales, vol. II, p. 839 ;
traduction française dans la Revue générale de droit international public, t. XLII, 1935,
p. 164 cité entre autres dans Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El
Salvador/Honduras ; Nicaragua (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 563, par. 342.
254
« La difficulté s’agissant d’appliquer à la présente espèce les principes
de droit relevant de cette catégorie [le droit d’acquisition territoriale
fondé sur l’exercice continu et pacifique de la souveraineté], est
toutefois qu’ils ont été élaborés au premier chef pour traiter de
l’acquisition de la souveraineté sur des territoires qui étaient
susceptibles d’occupation, c’est-à-dire territoire sans maître »683.
Or la Guinée Équatoriale ne peut, sans contradiction, invoquer en même temps un
titre originel, conventionnel, et un titre dérivé fondé sur l’occupation684.
8.13. Il en va de même pour le titre prétendument fondé sur les accords avec
les chefs locaux, que la Guinée Équatoriale met également en avant685, encore que
d’une manière là aussi ambiguë. En effet, alors que dans l’intitulé de la section, la
Guinée Équatoriale écrit que « Spain Acquired Legal Title to the Corisco
Dependencies in 1843 »686, à l’intérieur de cette section elle fait remonter son
prétendu titre aux îles disputées à 1778 : « Spain’s Legal Title to the Corisco
Dependencies consisted of the cession of rights from Portugal in the 1778 Treaty
of El Pardo and Spain’s original peaceful occupation of the Corisco Dependencies
beginning in 1843 »687.
683 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 564, par. 343.
684 V. supra, pars. 5.89-5.94.
685 MGE, vol. I, pars. 1.10 (« Spain acquired title to the islands of Corisco Bay as a consequence
of: (i) the 1778 Treaty of El Pardo with Portugal; (ii) its uncontested 1843 Declaration of
sovereignty over Corisco Island and 1846 signature of a Record of Annexation with King I.
Orejeck of Corisco Island, Elobey and their dependencies; and (iv) its uncontested and
effective occupation of the islands for the following 122 years. Equatorial Guinea succeeded
to this title when it became an independent sovereign State, and has maintained it ever
since »), 1.12 et 6.11.
686 Ibid., p. 104.
687 Ibid., par. 6.12.
255
8.14. D’un point de vue juridique, le seul qui importe ici, l’invocation des
accords avec les chefs locaux exclut cependant la théorie de la terra nullius et donc
de l’occupation :
« Quelles qu’aient pu être les divergences d’opinions entre les juristes,
il ressort de la pratique étatique de la période considérée que les
territoires habités pas (sic) des tribus ou des peuples ayant une
organisation sociale et politique n’étaient pas considérés comme terra
nullius »688.
8.15. D’un point de vue factuel, aucun des documents de cette période – des
copies et non des originaux signés – soumis par la Guinée Équatoriale n’atteste d’un
acte à titre de souverain à l’égard de l’un quelconque des îlots disputés. En effet, ils
concernent tous les îles habitées de la baie de Corisco. Ils seront successivement
analysés ci-après.
8.16. Ce que la Guinée Équatoriale appelle « déclaration de Corisco » – une
proclamation de souveraineté dépourvue d’intitulé en date du 16 mars 1843689 – et
l’acte d’intronisation d’un certain Boncoro, en qualité de « pilote de la baie de
Corisco » et de « chef de la pointe sud de l’île du même nom », du 17 mars 1843690,
qui constituent les premiers documents par lesquels l’Espagne revendique une prise
688 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 39, par. 80.
689 MGE, vol. I, par. 3.3 ; Déclaration du commissaire royal espagnol pour les îles de Fernando
Póo, Annobón et Corisco sur la côte d’Afrique, 16 mars 1843 (MGE, vol. V, annexe 110).
690 MGE, vol. I, par. 3.4 ; Déclaration du commissaire royal espagnol pour les îles de Fernando
Póo, Annobón et Corisco sur la côte d’Afrique, 17 mars 1843, extraite de Documents relatifs
à l’annexion par l’Espagne de Corisco, des Elobey et de leurs dépendances - et au royaume
des Benga (MGE, vol. V, annexe 111). L’intitulé donné par la Guinée Équatoriale à son
annexe 111 est trompeur (Original Documents on the Annexation to Spain of Corisco, Elobey
and their Dependencies), car il ne correspond pas à son contenu, qui se limite à une page
(une copie et non l’original signé) rapportant la déclaration de Juan José de Lerena prenant
acte de l’allégeance de Boncoro à l’Espagne et l’intronisant, en contrepartie, chef et pilote
(« Por la presente queda nombrado Práctico de la bahía de Corisco y Jefe de la punta del
Sur de la isla del mismo nombre, el fiel negro Boncoro que quiere ser llamado desde hoy
Baldomero Boncoro, lo que se le concede por su manifiesta adhesión a la España y al Jefe
de su Gobierno, cuyo nombre toma »).
256
de possession de Corisco, concernent exclusivement cette grande île habitée. Rien
dans ces documents ne permet de considérer qu’ils seraient applicables aux îles
Mbanié, Cocotiers et Conga.
8.17. La Carta de Nacionalidad Española dada á los habitantes de Corisco,
Elobey, y sus dependencias du 18 février 1846691 – qui accompagne l’Acta de
anexion du même jour par lequel le dénommé Orejeck reconnaît comme espagnoles
« la Isla de Corisco, Elobey y sus dependencias » dont il est présenté comme le
roi692 –, ne concerne que les territoires habités : elle vise en effet à ce que « les
habitants de Corisco et dépendances bénéficient de la même protection que les
Espagnols résidant dans la Mère Patrie »693 et à ce que soient reconnus comme
espagnols les enfants « nés ou à naître à Corisco et ses dépendances, de père ou de
mère nés sur lesdites îles »694. Or Mbanié, Cocotiers et Conga n’ont jamais eu de
population permanente, comme, d’ailleurs, la Guinée Équatoriale le reconnaît695.
Du reste, dans la description, au bas du document, des signataires de cet acta de
691 MGE, vol. I, par. 3.5 ; Certificat de nationalité espagnole donnée aux habitants de Corisco,
Elobey et ses dépendances, 18 février 1846 (MGE, vol. IV, annexe 47) (dont la Guinée
Équatoriale traduit le titre par Charter of Spanish Citizenship Given to the Inhabitants of
Corisco, Elobey and their Dependencies dans les conclusions de son mémoire (MGE, vol. I,
p. 144)).
692 « Acta de anexion », 18 février 1846 (MGE, vol. V, annexe 112) (traduction anglaise de la
Guinée Équatoriale : « the Island of Corisco, Elobey, and dependencies »).
693 Certificat de nationalité espagnole donnée aux habitants de Corisco, Elobey et ses
dépendances, 18 février 1846 (MGE, vol. IV, annexe 47) (italiques ajoutés) (original :
« disfrutan los habitantes de Corisco y dependencias de la misma protección que los
españoles residentes en la madre patria », traduit en anglais par la Guinée Équatoriale :
« inhabitants of Corisco and dependencies enjoy the same protection as Spanish residents of
the motherland »). Sur la notion de « dépendances » v. aussi supra, pars. 1.16-1.17 et infra,
pars. 8.24-8.27.
694 Ibid. (original : « nacidos ó que nazcan en Corisco y sus dependencias, de padre ó madre
nacidos en las citadas islas » traduit en anglais par la Guinée Équatoriale : « [c]hildren who
have been or will be born in Corisco or its dependencies, of a father or mother born on the
aforementioned islands, shall be recognized as Spaniards »).
695 MGE, vol. I, pars. 2.9-2.11.
257
anexion, Orejeck est identifié comme le roi de la seule Corisco696. Ces documents
attestent en outre du fait que l’Espagne n’avait nullement exercé auparavant
d’autorité sur ces territoires697.
8.18. Ce que la Guinée Équatoriale appelle la « lettre réaffirmant la
possession espagnole de l’île de Corisco » – document en fait dépourvu d’intitulé –
du 20 juillet 1858698 concerne les mêmes territoires que ceux couverts par les actes
de 1846, à savoir les territoires habités, puisqu’elle précise à propos de « l’île de
Corisco et ses dépendances » que les Espagnols y sont établis (« establecido »)
depuis de nombreuses années699.
8.19. Les documents historiques sur lesquels s’appuie la Guinée Équatoriale,
et en particulier ceux qui utilisent le terme de « dépendances », apparaissent donc
dépourvus de pertinence. Ils ne visent pas nommément les îles litigieuses (mais
seulement Corisco, « ses dépendances » non définies, et une île Elobey dont il n’est
pas précisé s’il s’agit de la Petite ou de la Grande). Surtout, si ces documents ne
définissent pas la notion de « dépendances » (sinon pour mentionner à une seule
reprise que celles-ci comprennent ladite « isleta de Elobey » 700 ), ils montrent
696 « Acta de anexion », 18 février 1846 (MGE, vol. V, annexe 112).
697 Certificat de nationalité espagnole donnée aux habitants de Corisco, Elobey et ses
dépendances, 18 février 1846 (MGE, vol. IV, annexe 47) (« es verdad que en este mismo
momento la isla y sus habitants no quedan todavía regidos por autoridades enviadas por el
Gobierno de la Nacion » ; traduit en anglais par la Guinée Equatoriale par « it is true that, at
this very moment, neither the island nor its inhabitants are yet governed by the authorities
sent by the national Government »).
698 MGE, vol. I, par. 3.6 ; Lettre du ministère d’État espagnol, 20 juillet 1958 (MGE, vol. IV,
annexe 48).
699 Original : « en la Isla de Corisco y sus dependencias han estado establecidos los españoles
desde muchos años », traduit par la Guinée Équatoriale par « Spaniards have been
established on the island of Corisco and its dependencies for many years » (Lettre du
ministère d’État espagnol, 20 juillet 1958 (MGE, vol. IV, annexe 48)).
700 Certificat de nationalité espagnole donnée aux habitants de Corisco, Elobey et ses
dépendances, 18 février 1846 (MGE, vol. IV, annexe 47) (« la Isla misma [Corisco] y sus
dependencias en las cuales se halla la isleta de Elobey, es española » - soulignement dans le
texte, qui est une copie de l’original).
258
clairement que les « dépendances » sont des territoires habités, ce qui n’était pas le
cas des îles Mbanié, Cocotiers et Conga.
8.20. Aux titres conventionnels au sens large (avec le Portugal et avec les
chefs locaux) et à celui fondé sur l’occupation, la Guinée Équatoriale ajoute donc
un titre fondé sur la théorie de « la dépendance » ou de l’adjacence, bien qu’il ne
soit pas explicitement invoqué dans les conclusions701. À de nombreuses reprises
dans son mémoire, elle fait en effet référence aux « Corisco Dependencies »702, en
l’écrivant en majuscules afin de suggérer l’existence d’une sous-division
administrative ou d’une catégorie géographique spéciale qui recouvrirait les îles
Mbanié, Cocotiers et Conga. La Guinée Équatoriale semble en effet considérer que
le concept de « Corisco et ses dépendances », utilisé dans les accords avec les chefs
locaux de 1846 et 1858703, renvoyait notoirement aux îles contestées. Or, tel n’était
pas le sens que l’Espagne lui attribuait à l’époque704.
8.21. En réalité, cette expression ne recouvre, aujourd’hui, comme par le
passé, aucune réalité juridique. La Guinée Équatoriale ne précise d’ailleurs jamais
de quel type d’adjacence il s’agirait : aux « dépendances » historiques, elle ajoute
tantôt une adjacence géographique, fondée sur la distance705, tantôt une adjacence
géomorphologique, fondée sur le prolongement naturel706, tantôt la théorie selon
laquelle il existerait une présomption en faveur de la reconnaissance, au profit de
l’État côtier, d’un titre juridique sur toute île ou tout îlot situé dans sa mer
territoriale707.
701 MGE, vol. I, p. 144 (point B).
702 V., inter alia, ibid., pars. 2.4, 2.7, 3.3, 3.19, 3.20-3.35, 3.85-3.90, 3.99 et 6.11-6.16.
703 V. supra, pars. 1.16-1.17 et 8.17.
704 V. supra, par. 1.18.
705 MGE, vol. I, par. 2.7.
706 Ibid.
707 Ibid., vol. I, pars. 3.11 et 3.32.
259
8.22. Si la théorie de l’adjacence a été invoquée comme titre d’appropriation
de territoires qui pouvaient apparaître comme des « prolongements naturels » d’un
territoire étatique, la jurisprudence internationale ne lui a jamais reconnu droit de
cité, à moins que le critère de l’adjacence ne soit établi par des instruments
juridiques valant titre de souveraineté. Comme la Cour l’a noté dans l’affaire
Nicaragua c. Honduras au sujet de plusieurs îlots dans les Caraïbes,
« la proximité en tant que telle ne permet pas nécessairement d’établir
un titre juridique »708.
8.23. Reste enfin l’argument de la prétendue reconnaissance par la France des
effectivités espagnoles, qui n’est pas explicitement identifiée comme titre dans les
conclusions709, mais qui apparaît en filigrane à plusieurs endroits du mémoire de la
Guinée Équatoriale. Celle-ci le présente cumulativement comme une
reconnaissance d’un titre espagnol (non identifié) à l’égard des îles disputées et
comme une absence de protestation face à des actes de souveraineté (qui ne
s’étaient, au demeurant, nullement manifestés à l’égard de ces mêmes îles
contestées)710. La Guinée Équatoriale se réfère en particulier aux protocoles n° 17
et 30 de la commission mixte franco-espagnole (1886-1891)711, en arguant qu’ils
vaudraient reconnaissance de la souveraineté espagnole sur Corisco, Laval
(aujourd’hui Leva) et Mbanié712. Ces protocoles – que la Guinée Équatoriale classe
trop opportunément sous la section intitulée « International Treaties and
708 Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes
(Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 708, par. 161 ; v. aussi ibid., p. 709,
par. 164. Dans Qatar c. Bahreïn la Cour a aussi préféré chercher un titre originel, plutôt que
de se prononcer sur le fondement de la théorie de la proximité, qui avait été invoquée par les
deux parties (Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar
c. Bahreïn), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 2001, pp. 86-91, pars. 151-165).
709 MGE, vol. I, p. 144 (point B).
710 Ibid., pars. 6.12-6.13.
711 Sur le rôle de cette commission, v. supra, pars. 1.15-1.20.
712 MGE, vol. I, pars. 3.11 et 6.12
260
Instruments » du volume III de ses annexes, plutôt que sous la section suivante
« Delimitation Commission Documents »713 – ne sont nullement des instruments
conventionnels mais des procès-verbaux de négociations. Du reste, les mentions
citées par la Guinée Équatoriale sont extraites non pas des « protocoles », mais des
« annexes » qui exposent les positions de négociation des Parties714.
8.24. Les deux documents concernés répondaient à des annexes dans
lesquelles l’Espagne exposait ses prétendus titres sur les territoires en litige et
l’interprétation qu’il convenait selon elle d’en donner. L’Espagne affirmait que, sur
le fondement de la Carta de Nacionalidad Española dada á los habitantes de
Corisco, Elobey, y sus dependencias et l’Acta de anexion du 18 février 1846715, elle
disposait de la souveraineté sur les « dépendances » de l’île de Corisco qu’elle
définissait comme
« la côte, depuis la rive gauche de la rivière Campon, vers le sud, la baie
de Corisco et les rivières Muni et Munda »716.
8.25. L’Espagne soutenait ainsi que les « dépendances » d’une île de 16 km²
(Corisco) couvraient (i) toute la baie (d’une superficie d’environ 1.600 km²) dans
laquelle cette île était nichée, (ii) la côte continentale, non limitée à la portion du
littoral la plus proche de ladite île ou même au littoral de la baie (120 km) mais à
l’intégralité de la côte depuis l’embouchure du fleuve Campo au nord (à près de
170 km de l’île de Corisco) jusqu’à la baie incluse au sud, ainsi que (iii) les deux
fleuves se jetant dans la baie. En somme, d’après l’Espagne, de la petite île de
713 Documents reproduits comme annexes du MGE, vol. III, annexes 3 et 11 respectivement.
714 Sur cette distinction, v. supra, par. 1.17.
715 MGE, vol. I, par. 3.5 ; Certificat de nationalité espagnole donnée aux habitants de Corisco,
Elobey et ses dépendances, 18 février 1846 (MGE, vol. IV, annexe 47) ; « Acta de anexion »,
18 février 1846 (MGE, vol. V, annexe 112).
716 Annexe au Protocole n° 14 de la Commission franco-espagnole de délimitation du nord du
Gabon, 12 novembre 1886 (CMG, vol. III, annexe 22), p. 4. V. aussi supra, pars. 1.16-1.17.
261
Corisco « dépendaient » toute la baie et les fleuves se jetant dans celle-ci, et une
côte continentale d’une longueur de plus de 328 km717.
8.26. Le croquis ci-après (v. page 263), conservé aux archives du ministère
des Affaires étrangères français, illustre l’étendue des prétentions espagnoles.
8.27. En réaction à cette thèse extravagante par laquelle l’Espagne cherchait
à prendre pied sur une portion significative du continent dont elle était absente, les
commissaires français, la jugeant intenable juridiquement, ont indiqué que du point
de vue géographique le terme « dépendances » dans les accords conclus par
l’Espagne avec le chef de Corisco pourrait, tout au plus, renvoyer aux îlots Laval
(Leva) et Baynia (Mbanié)718.
8.28. La Guinée Équatoriale fait grand cas719 de cette affirmation, qu’elle
juge engageante pour la France. Or, il est bien établi en jurisprudence qu’un État
n’est pas lié par une position qu’il a pu prendre dans les négociations, du moins
aussi longtemps qu’elle ne se cristallise dans un texte conventionnel. Les
concessions qu’une partie à un différend est prête à faire dans les négociations,
formulées pour faire triompher ses intérêts, ne la lient pas. Selon la formule de la
sentence Lac Lanoux,
« [I]l ne faut pas s’attacher à des expressions isolées ou à des attitudes
ambiguës qui n’altèrent pas les positions juridiques prises par les États.
Toute négociation tend à revêtir un caractère global, elle porte à la fois
sur des droits, les uns reconnus et les autres contestés, et sur des
intérêts ; il est normal qu’en prenant en considération les intérêts
adverses, une Partie ne se montre pas intransigeante sur tous ses droits ;
717 Le littoral réclamé par l’Espagne correspondait à la côte équato-guinéenne actuelle complétée
par la côte comprise entre l’embouchure du fleuve Muni et le cap Santa Clara au sud.
718 Annexe au Protocole n° 17 de la Commission franco-espagnole de délimitation du nord du
Gabon, 24 décembre 1886, pp. 6-7, reproduite comme annexe 11 au MGE et l’annexe au
Protocole n° 30, reproduite comme annexe 3 au MGE.
719 MGE, vol. I, pars. 3.11 et 6.12.
262
Annexe C22. Croquis représentant les prétentions espagnoles
sur le golfe de Guinée avant la Convention de Paris
263
c’est la seule manière, pour elle, de faire prendre en considération
certains de ses propres intérêts. »720
8.29. La Cour, comme la Cour permanente avant elle, partage sans conteste
cette vision du caractère non engageant des concessions qu’une partie s’est dite
prête à faire durant des négociations qui n’ont finalement pas abouti :
« la Cour ne saurait faire état des déclarations, admissions ou
propositions qu’ont pu faire les Parties au cours des négociations
directes qui ont eu lieu entre elles, lorsque ces négociations n’ont pas
abouti à un accord complet »721,
étant précisé que
« [c]ette remarque vise (...) la pratique courante et louable — qui de fait
est inhérente aux négociations — selon laquelle les parties à un
différend, ayant chacune présenté ses positions de principe, définissant
ainsi la portée du différend, en viennent à suggérer des concessions
réciproques, dans la limite ainsi définie, en vue de parvenir d’un
commun accord à un règlement. Si aucun accord n’est conclu, aucune
des deux parties ne peut être tenue de faire les concessions ainsi
suggérées. »722
8.30. Ainsi, le détail le plus significatif des négociations au sein de la
commission mixte franco-espagnole, que la Guinée Équatoriale passe
complètement sous silence, tient à leur échec absolu. En cinq années de
négociations (1886 à 1891), les deux États n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur
720 Affaire du Lac Lanoux (Espagne/France), sentence, 16 novembre 1957, Recueil des
sentences arbitrales, vol. XII, p. 311.
721 Usine de Chorzów (fond), arrêt, 1928, C.P.J.I. série A n° 17, p. 51, cité entre autres dans
Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 270, par. 54 ou encore
Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 126, par. 40.
722 Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras ; Nicaragua
(intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 406, par. 73, réitérée dans Délimitation maritime
et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 126, par. 40.
265
leurs titres juridiques respectifs, que ce soit sur les îles ou sur la côte723. On ne
saurait, dans ces circonstances, conclure, comme le fait la Guinée Équatoriale724,
que la France ait reconnu la souveraineté espagnole sur Mbanié, Cocotiers et Conga
alors qu’à la fin des négociations l’ensemble des territoires restait disputé.
8.31. Comme le résumait en août 1899 une note interne adressée par l’Union
coloniale française – un groupement d’intérêts commerciaux plaidant pour
l’extension de la colonisation française au bénéfice de ses membres – au ministère
des Affaires étrangères français :
« L’Espagne occupe actuellement l’enclave du Cap St Jean, les Iles
Corisco & Elobey, elle s’est établie en 1886 aux Iles Elobey, malgré les
réserves faites alors par la France à ce sujet.
Les droits de l’Espagne ne sont réels qu’en ce qui concerne la
possession de l’Ile Corisco & de l’enclave du cap Saint Jean. (…)
Le Gouvernement français revendique & est en droit de revendiquer la
possession des Iles Elobey & de tout le territoire contesté par l’Espagne
sur le continent à l’exception de la petite enclave de Saint-Jean.
Le traité de 1842 passé avec les chefs M’Pongoué, de la baie du Gabon,
nous donnait bien des droits sur l’Ile Corisco, mais les Espagnols se
sont établis dans cette Ile & nous n’avons jamais protesté depuis
cinquante-cinq ans. Nous ne leur contestons donc pas la possession de
cette Ile & nous ne lui contestons pas non plus la possession de la petite
enclave du cap Saint Jean. Elle appartenait aux M’Benga, dont le chef
Boucaro a passé avec eux le traité du 14 mars 1843. Par ce traité, le chef
Boucaro, de Corisco, cédait à l’Espagne, l’Ile Corisco & ses
dépendances. Or, ces dépendances sont exactement & simplement
l’enclave continentale possédée antérieurement par les M’Benga et
occupée actuellement par l’Espagne. Celle-ci a prétendu depuis que les
dépendances de l’Ile Corisco s’étendaient sur la Côte entre la rivière
Moundah & Mouny & du cap Saint-Jean à la rivière Campos. Or, les
M’Benga n’ont pu céder des territoires qu’ils n’occupaient pas.
723 V. supra, pars. 1.15-1.20.
724 MGE, vol. I, par. 6.13.
266
C’est pourquoi nous ne pouvons reconnaître à l’Espagne que le droit à
la possession de l’Ile Corisco & de l’enclave Saint-Jean, sa seule &
unique dépendance.
Tout autre est la situation aux Iles Elobey. Les Espagnols l’occupent
sans doute à notre exclusion, mais là, nous conservons nos droits, car
depuis 1886, date de l’occupation espagnole, la France n’a jamais cessé
de protester énergiquement. »725
8.32. En conclusion, à la veille des pourparlers de Paris en 1900, les territoires
contestés étaient à la fois les îles et îlots de la baie de Corisco et une portion
considérable de la côte continentale.
II. La portée de la Convention de Paris à l’égard des territoires insulaires
8.33. Les négociations de la commission mixte avaient été guidées par la
volonté d’identifier, parmi les titres juridiques invoqués par chacun des deux États,
lequel ou lesquels faisaient droit. Elles ont échoué faute pour les parties de se mettre
d’accord sur l’existence et la valeur des titres invoqués, et sur l’interprétation à leur
donner 726 . L’échec dans la recherche des titres juridiques a conduit les deux
puissances coloniales à fonder les pourparlers ultérieurs sur la volonté d’aboutir à
un accord de nature transactionnelle727.
8.34. Durant les pourparlers de 1900, l’Espagne a fait savoir que Corisco et
les îles Elobey représentaient ses lignes rouges728 ; la France s’est dite prête à
725 Note de l’Union coloniale française relative aux contestations territoriales entre France et
Espagne dans la région du Rio Mouny, adressée au ministère des Affaires étrangères français,
1er août 1899 (CMG, vol. III, annexe 37), pp. 170, 172-173.
726 V. supra, pars. 1.11-1.20.
727 Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français,
26 janvier 1900 (CMG, vol. III, annexe 40). V. aussi supra, pars. 1.15-1.23.
728 V. supra, pars. 1.24-1.30.
267
renoncer, sans condition, à toute prétention sur Corisco ; quant aux îles Elobey, elle
conditionnait sa renonciation à un engagement de la part de l’Espagne à ne pas
ériger de fortifications sur ces dernières729. D’une manière générale, la France
souhaitait qu’en contrepartie à ses renonciations, insulaires et continentales,
l’Espagne lui reconnaisse un droit de préemption sur ces territoires.
8.35. Les positions françaises se reflètent dans l’article 7 de la Convention de
Paris, qui est rédigé en ces termes :
« Dans le cas où le Gouvernement Espagnol voudrait céder, à quelque
titre que ce fût, en tout ou en partie, les possessions qui lui sont
reconnues par les articles 1 et 4 de la présente Convention, ainsi que les
îles Elobey et l’île Corisco voisines du littoral du Congo Français, le
Gouvernement Français jouira d’un droit de préférence dans des
conditions semblables à celles qui seraient proposées audit
Gouvernement Espagnol. »
8.36. Cette disposition résout le différend de souveraineté à l’égard des îles
mentionnées (les îles Elobey et l’île de Corisco), du moins dans les rapports entre
les deux puissances coloniales. En effet, l’incorporation de ce droit de préférence
équivaut, de la part de la France, à une reconnaissance de l’appartenance de ces îles
nommément identifiées à l’Espagne. Autrement dit, la France renonce à exiger de
l’Espagne qu’elle démontre l’existence d’un titre juridique sur les îles Elobey et sur
Corisco préalable à 1900, mais elle reconnaît sa souveraineté, avec tous les attributs
qui en découlent, dont celui de « l’abusus » (cession) éventuelle, dont la France
bénéficie d’une manière prioritaire. De ce point de vue, et quoi qu’en dise la Guinée
Équatoriale730 , la Convention de 1900 a bien un caractère constitutif dans les
729 Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires étrangères français,
3 janvier 1900 (CMG, vol. III, annexe 39) ; Lettre du ministère des Affaires étrangères
français au ministère des Colonies français, 15 mars 1900 (CMG, vol. III, annexe 42), p. 2 ;
Télégramme de F. de León y Castillo au président du Conseil et ministre d’État espagnol,
2 avril 1900 (CMG, vol. III, annexe 44).
730 MGE, vol. I, par. 6.13.
268
rapports entre les deux États : ce n’est qu’à partir de son adoption que la
souveraineté espagnole devient opposable à la France.
8.37. Mais cette Convention ne concerne pas Mbanié, Cocotiers et Conga.
Elle n’y fait mention ni dans l’article 7 ni ailleurs. En effet, l’article 7 ne fait
référence qu’aux îles Elobey et à « l’île de Corisco », au singulier. Mbanié,
Cocotiers et Conga, bien que connues de longue date, comme en témoignent les
discussions au sein de la commission mixte franco-espagnole des frontières731 et
leurs diverses représentations cartographiques732, n’apparaissent ni dans le texte ni
sur la carte de l’annexe 3 de la Convention de Paris (reproduite sur la page 43 de ce
contre-mémoire). Cette exclusion ne pouvait être fortuite, compte tenu des
divergences au sujet notamment de Mbanié, réitérées à la veille des négociations733.
8.38. Comme la Cour l’a souligné dans l’affaire de Pedra Branca, la
reconnaissance de la souveraineté d’un autre État sur certains territoires insulaires
spécifiquement mentionnés ne s’étend en principe pas aux formations maritimes
voisines, qui ne sont pas visées :
« La Cour, ainsi qu’elle l’a indiqué plus haut (voir paragraphes 273-
277), est parvenue à la conclusion que, étant donné les circonstances
particulières de l’espèce, la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu
Puteh appartenait à Singapour [la plus importante de ces circonstances
est une déclaration de 1953 de l’Etat du Johor selon laquelle le Johor ne
revendiquait pas la propriété de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh]. Or,
ces circonstances n’existent manifestement pas s’agissant des
formations maritimes voisines de Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, à
savoir Middle Rocks et South Ledge. Aucun des éléments du
731 V. supra, pars. 1.15-1.20.
732 Service géographique de l’armée française, Feuille n° 34 (Libreville) de la carte de l’Afrique
(région équatoriale), échelle au 1/2.000.000, dressée et dessinée par le chef de bataillon du
génie Regnauld de Lannoy de Bissy (dite « carte Lannoy »), 1892 (CMG, vol. II,
annexe C4) ; A. Largent (Chef du service des douanes de la colonie), Carte générale du
Gabon, échelle de 0,004 par mille, feuille 1 et feuille 3, avril 1884 (CMG, vol. II, annexe C1).
733 V. supra, par. 8.7.
269
comportement analysé dans la partie précédente de l’arrêt et ayant
conduit la Cour à conclure que la souveraineté sur Pedra Branca/Pulau
Batu Puteh était passée à Singapour ou à son prédécesseur avant 1980
n’est pertinent en ce qui concerne Middle Rocks et South Ledge. »734
8.39. Les cartes espagnoles dressées en 1900 pour rendre compte des résultats
de la Convention de Paris illustrent cette mise à l’écart des trois îles par les parties.
Quand elles représentent Mbanié, elles continuent à ne pas l’identifier comme
espagnole (v. carte, ci-après page 271)735.
III. Un différend ravivé à la veille des indépendances
8.40. C’est précisément parce que la Convention de Paris ne règle pas la
question de la souveraineté sur Mbanié, Conga et Cocotiers que la France et
l’Espagne ont continué à avoir des positions divergentes à leur égard après 1900.
En effet, la France les considérait comme siennes736 et y a effectué des actes à titre
de souverain, dont notamment la construction d’une balise sur Cocotiers en 1955,
qui s’est heurtée à une vive opposition de l’Espagne737. Il résulte des échanges entre
les deux États qu’aucun ne considérait à l’époque que la Convention de 1900 avait
résolu la question de la souveraineté sur ces îles.
8.41. Comme le détaille le chapitre II du présent contre-mémoire 738 , les
autorités françaises ont régulièrement effectué des travaux de balisage dans la baie
734 Souveraineté sur Pedra Branca/Pulau Batu Puteh, Middle Rocks et South Ledge
(Malaisie/Singapour), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 99, par. 289.
735 Depósito de la Guerra, Mapa de la Guinea Española, échelle au 1/500.000, 1900 (CMG,
vol. II, annexe C8). Sont ci-après reproduits deux extraits de cette carte. V. aussi Annuarios
Bailly Baillière y Riera Reunidos, Mapa del Muni (CMG, vol. II, annexe C21).
736 V. supra, pars. 2.32, 2.34.
737 V. supra, par. 2.34.
738 V. supra, pars. 2.32, 2.34.
270
Annexe C8. Depósito de la Guerra, Mapa de la Guinea Española,
échelle au 1/500.000, 1900
271
de la Mondah739. Par ailleurs, lorsqu’elles sont représentées sur les cartes produites
par les services français, Mbanié, Cocotiers et Conga ne sont accolées d’aucune
mention les attribuant à l’Espagne740, alors que l’île de Corisco et les îles Elobey
sont, elles, spécifiquement désignées comme relevant de la souveraineté espagnole.
8.42. Lorsqu’en 1955, la France et l’Espagne ont des échanges spécifiques au
sujet de la souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga, le ministère des Affaires
étrangères français considérait que :
« rien ne permet, après examen des archives [du ministère des Affaires
étrangères français], d’affirmer la nationalité des îles de la Baie de
Corisco, autres que les îles Elobay, Corisco, et Añobon dont
l’appartenance à l’Espagne est formellement reconnue, soit dans les
rapports préparatoires à la Convention du 27 Juin 1900, soit dans le
texte même de cet instrument diplomatique. Le nom de l’île Baynia (ou
Bañe), qui constitue la principale terre émergée du banc auquel
appartient l’îlot ‘Cocotier’, n’apparaît, en particulier, dans aucun
texte. »741
739 V. supra, par. 2.32 ; Lettre du ministre des Colonies français au chef du service
hydrographique de la Marine, 4 juillet 1931 (CMG, vol. IV, annexe 79) ; Lettre n° 349 du
lieutenant-gouverneur du Gabon au ministre des Colonies français, 29 septembre 1932
(CMG, vol. IV, annexe 82) ; Lettre de l’inspecteur général des travaux publics des Colonies
au chef du service central des phares et balises, 10 novembre 1932 (CMG, vol. IV,
annexe 83) ; Lettre du directeur du service des phares et balises à l’inspecteur général des
travaux publics des Colonies, 18 novembre 1932 (CMG, vol. IV, annexe 84). V. aussi Carte
hydrographique de la baie de Corisco d’après les levés espagnols et allemands de 1913-1914,
n° 3037, 1932 (CMG, vol. II, annexe C14).
740 Carte hydrographique de la baie de Corisco d’après les levés espagnols et allemands de 1913-
1914, n° 3037, 1932 (CMG, vol. II, annexe C14) : Croquis de l’Afrique française échelle au
1/1.000.000, Feuille Libreville, 1935 (CMG, vol. II, annexe C15) ; Carte du Congo français
échelle au 1/2.000.000, 1950 (CMG, vol. II, annexe C17). V. aussi supra, par. 2.32.
741 Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre de la France d’Outre-mer,
6 mai 1955 (MGE, vol. IV, annexe 94).
273
8.43. Afin d’éviter que l’incident prenne de l’ampleur, les travaux ont
finalement été achevés par la France avec l’accord de l’Espagne742, étant entendu
que cette dernière allait la dédommager pour les frais engagés743, ce qui n’a jamais
été fait. Depuis lors, la France – puis le Gabon –, ont entretenu cette installation et
les autres bouées et balises dans les environs de Mbanié744. Les trois îles n’étaient
pas non plus spécifiquement incluses dans la législation espagnole, ni avant745 ni
après746 l’incident de 1955.
8.44. Les incertitudes quant au détenteur de la souveraineté sur les îles
Mbanié, Cocotiers et Conga se reflètent également dans les négociations sur la
délimitation maritime entre l’Espagne et le Gabon. Dans un rapport confidentiel,
les services du ministère de l’Industrie de l’Espagne ont ainsi suggéré que le point
de départ de la délimitation devait être la ligne de base de Corisco car « si nous
démarrons à partir de l’île de Cocotier ou celle de Mbanié, il est à craindre que ces
négociations soient difficiles »747.
8.45. Les pourparlers sur la délimitation maritime ont repris en 1970, peu de
temps après l’indépendance de la Guinée Équatoriale. C’est dans ce contexte que la
question de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga a gagné en
742 Lettre n° 247 du capitaine du « Beautemps-Beaupré » et de la mission hydrographique de la
côte ouest d’Afrique au gouverneur de la France d’Outre-Mer, 8 octobre 1955 (CMG,
vol. IV, annexe 101).
743 Lettre du directeur du service des phares et balises au directeur général des travaux publics
de l’Afrique équatoriale française, 26 janvier 1956 (CMG, vol. IV, annexe 102).
744 V. aussi Service hydrographique de la Marine française, feux et signaux de brume, série C,
Manche et Océan Atlantique est (MGE, vol. V, annexe 132).
745 V. supra, par. 2.33.
746 V. supra, par. 2.35.
747 Rapport confidentiel du ministère de l’Industrie espagnol, 12 juillet 1966 (MGE, vol. IV,
annexe 103) (original : « si nosotros partimos de la isla Cocotier o la de Bañe, mucho nos
tememos que dichas negociaciones van a estar sombradas de difficultades » ; traduction en
anglais de la Guinée Équatoriale : « if we start from the island Cocotier or Bane [(Mbañe)],
we greatly fear that those negotiations will be clouded with difficulties »).
274
importance748. En 1972, suite à différents incidents en mer préoccupants749, les
autorités gabonaises ont installé un poste léger de gendarmerie sur Mbanié afin de
garantir la sécurité de ces plaisanciers et pêcheurs750.
8.46. La commission constituée dans le cadre de la mission de bons offices
de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement d’Afrique centrale et
orientale a, entre autres, consulté l’Espagne et la France sur « l’identité de la
puissance qui, à la veille de l’indépendance de la République gabonaise et de la
République de Guinée Équatoriale, avait la responsabilité de l’administration des
îles Mbana, Cocotier et Conga »751. Les réponses reçues des puissances coloniales
reflètent, sans surprise, leurs divergences antérieures752. À l’été 1974, le Gabon
intensifie sa présence sur Mbanié mais cette fois-ci sans aucune protestation équatoguinéenne753.
8.47. Telle était la situation entre le Gabon et la Guinée Équatoriale à la veille
de la signature de la Convention de Bata : les deux États se disputaient la
souveraineté sur Mbanié, Cocotiers et Conga, qui se trouvaient sous le contrôle des
autorités gabonaises.
748 V. supra, pars. 2.49-2.50.
749 Lettre du ministre des Affaires étrangères et de la coopération gabonais à l’ambassadeur de
Guinée Équatoriale au Gabon, 21 février 1972 (CMG, vol. V, annexe 116). V. aussi Procèsverbal
dressé par la commission mixte Gabon-Guinée Équatoriale à l’issue de la rencontre
de Libreville du 25 au 29 mars 1972, 29 mars 1972 (MGE, vol. VII, annexe 199) ; Note
verbale du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération gabonais,
12 septembre 1972 (CMG, vol. V, annexe 123).
750 V. supra, pars. 2.49-2.50.
751 V. Télégramme n° 670/672 de l’ambassade de France en République démocratique du Congo
au ministère des Affaires étrangères français, 19 septembre 1972 (CMG, vol. V,
annexe 126).
752 V. supra, pars. 2.52-2.53.
753 Télégramme n° 4/5 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au ministère des
Affaires étrangères français, 8 janvier 1974 (CMG, vol. V, annexe 131) (italiques ajoutés) ;
Dépêche d’actualité n° 30/DA/DAM de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale au
ministère des Affaires étrangères français, 8 avril 1974 (CMG, vol. V, annexe 132).
275
IV. La Convention de Bata constitue le titre faisant droit au sujet de
la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga
8.48. La Convention de Bata règle enfin la question de la souveraineté sur les
îles Mbanié, Cocotiers et Conga. Elle prévoit dans son article 3 :
« Les hautes parties contractantes reconnaissent, d’une part, que l’île
MBANIE fait partie intégrante du territoire de la République gabonaise,
et d’autre part, que les îles ELOBEY et l’île CORISCO font partie
intégrante du territoire de la République de Guinée Equatoriale. »
8.49. Le texte de l’article 3 de la Convention de Bata est clair. Les deux États
ont reconnu la souveraineté gabonaise sur l’île Mbanié, d’une part, et la
souveraineté équato-guinéenne sur Corisco et les îles Elobey, d’autre part. Quelle
que puisse être la situation juridique concernant la souveraineté sur les îles
inhabitées avant la signature de la Convention de Bata, et indépendamment de cette
situation, l’article 3 de la Convention règle la question définitivement754.
8.50. Cette conclusion est confirmée par le contraste entre les termes de cet
article et ceux de l’article 2 de la même Convention. Tandis que ce dernier organise
expressément une cession réciproque de territoires (une « portion du District de
Médouneu (…) est cédée à la République Gabonaise », et « la République
Gabonaise cède à la République de Guinée Equatoriale (…) deux portions de terre
qui seront d’une superficie totale équivalente à celle cédée à la République
Gabonaise ») 755 , l’article 3 prévoit la reconnaissance (« reconnaissent ») de la
souveraineté du Gabon sur l’île Mbanié, terme qui témoigne de ce que les Parties
estimaient en 1974 que Mbanié appartenait déjà au Gabon – tout comme l’île de
754 V. Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994,
pp. 38-39, pars. 75-76.
755 Italiques ajoutés.
276
Corisco et les Elobey, dont les Parties « reconnaissent » au même article
l’appartenance au territoire équato-guinéen.
8.51. Par conséquent, la Convention de Bata constitue le titre juridique sur la
base duquel la question de la souveraineté sur Mbanié est réglée entre les deux
Parties au regard du droit international.
8.52. Il en va de même s’agissant des îles Cocotiers et Conga mentionnées
dans l’article 1, paragraphe 1er, du Compromis756, dont la Convention de Bata règle
le sort en tant qu’elle vise Mbanié avec laquelle ces deux îles forment une unité
géographique et géologique : très proches les unes des autres – Conga et Cocotiers
apparaissant comme de petits satellites encadrant l’île principale qu’est Mbanié –,
les trois îles sont par ailleurs reliées par un banc de sable submergé, comme en
témoigne la photographie satellite ci-dessus à la page 5757.
8.53. Du reste, le différend insulaire entre les puissances coloniales laissé
ouvert par la Convention de Paris et persistant après les indépendances portait sur
Mbanié nommément, tout en s’étendant, concrètement, au groupe d’îles dans son
ensemble ; c’est ce que montre l’incident relatif à la construction par la France
d’une balise de navigation sur Cocotiers en 1955, qui a donné lieu à contestation
espagnole758.
8.54. Le fait que la Convention de Bata appréhende « Mbanié » comme une
unité comprenant Conga et Cocotiers est encore démontré par la délimitation
maritime des mers territoriales entre le Gabon et la Guinée Équatoriale, définie à
son article 4 et qui ne laisse aucun doute sur la souveraineté gabonaise sur les îles
756 Compromis entre la République Gabonaise et la République de Guinée Équatoriale,
15 novembre 2016, article 1, paragraphe 1er.
757 V. supra, par. 6.
758 V. supra, par. 2.34.
277
Mbanié, Cocotiers et Conga, tout comme elle confirme la souveraineté équatoguinéenne
sur l’île de Corisco et sur les Elobey.
8.55. La ligne de délimitation agréée sur « une ligne droite parallèle au 1
degré de latitude nord » partant du point terminal de frontière terrestre se trouve au
nord de l’ensemble des six îles précitées, lesquelles sont ainsi toutes situées dans
les eaux territoriales gabonaises. Pour donner effet à la souveraineté équatoguinéenne
sur l’île de Corisco et sur les deux îles Elobey, des « portions d’eau »
autour de ces îles sont donc spécifiquement attribuées à la Guinée Équatoriale.
L’article 4 ne concède en revanche pas d’eaux territoriales à la Guinée Équatoriale
autour des îles Cocotiers ou Conga. Si la Guinée Équatoriale voulait réellement
prétendre à la souveraineté sur ces deux îles, elle aurait logiquement demandé un
traitement comparable à celui de Corisco ou des îles Elobey. Mais rien de tel ne
découle du texte de l’article 4 ou de toute autre disposition de la Convention de
Bata. Pour cette raison supplémentaire, les îles Mbanié, Cocotiers et Conga, dans
leur ensemble, relèvent nécessairement de la souveraineté gabonaise,
conformément aux dispositions de la Convention de Bata.
8.56. Par ailleurs, les autorités gabonaises et équato-guinéennes ont confirmé
cette interprétation de la Convention de Bata. Dans les jours qui ont suivi la
signature, les autorités respectives des deux pays ont exprimé des vues
concordantes au sujet de la solution de souveraineté concernant les îles.
8.57. Ainsi le vice-ministre par intérim des relations extérieures de Guinée
Équatoriale a-t-il fait savoir à l’ambassadeur de France à Malabo que :
278
« les îlots de M’Banie, Cocotier et Conga seront juridiquement déclarés
gabonais et les eaux territoriales en litige dans cette région seront
abandonnées au Gabon »759.
8.58. L’ambassadeur du Gabon en Guinée Équatoriale a également expliqué
à son homologue français que « le Gabon a[vait] obtenu la reconnaissance de jure
de sa souveraineté sur M’Banie, Cocotier et Conga » 760 . Le président équatoguinéen
Macías Nguema a également rapporté lors d’un entretien avec
l’ambassadeur français en Guinée Équatoriale qu’« il avait abandonné au Gabon la
souveraineté de jure sur M’Banie, Cocotier et Conga »761.
8.59. Lors de sa présentation devant les représentants diplomatiques présents
à Malabo, le 13 octobre 1974, le président Macías Nguema a de nouveau rappelé
que la Guinée Équatoriale avait
« entièrement abandonné ses droits de souveraineté sur M’Banie,
Cocotier et Conga, bien que la commission désignée par l’OUA et le
document signé par les quatre chefs d’Etat qui la composaient eussent
formellement stipulé en 1972 que ces îlots constitueraient une zone
neutre »762.
Conclusion
8.60. Pour toutes ces raisons, la Convention de Bata constitue un titre
juridique s’agissant de la souveraineté sur les îles Mbanié, Cocotiers et Conga. Elle
759 Dépêche d’actualité n° 39/DA/DAM de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à la
direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français,
23 septembre 1974 (CMG, vol. V, annexe 151), p. 6.
760 Dépêche d’actualité n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à
la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français,
2 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 152), p. 3.
761 Ibid., p. 7. V. aussi supra, par. 3.20.
762 Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de France en Guinée Équatoriale à
la direction des Affaires africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères français,
14 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 153), p. 5. V. également supra, par. 3.18.
279
est d’ailleurs le seul titre juridique applicable à la question de la souveraineté sur
ces trois îles, puisqu’elle est venue régler ce différend insulaire persistant depuis le
XIXème siècle que les puissances coloniales, toutes deux incapables de faire valoir
la constitution d’un titre sur lesdites îles, avaient laissé hors du champ de la
Convention de Paris.
280
CHAPITRE IX.
LE TITRE JURIDIQUE RELATIF À LA FRONTIÈRE MARITIME
9.1. La Guinée Équatoriale soutient à tort que font droit entre les Parties
s’agissant de leur frontière maritime commune :
« 1. the 1900 Convention in so far as it established the terminus of the
land boundary in Corisco Bay, and recognized Spain’s sovereignty over
Corisco Island, Elobey Grande and Elobey Chico; and
2. the United Nations Convention on the Law of the Sea signed on 10
December 1982 at Montego Bay, and
3. customary international law in so far as it establishes that a State’s
title and entitlement to maritime areas derives from its title to land
territory »763.
9.2. La Convention de Bata constitue le titre juridique qui fait droit entre
les Parties (I). Elle en constitue au demeurant le seul titre, ceux invoqués par
la Guinée Équatoriale n’étant pas des titres juridiques aux fins de la délimitation de
la frontière maritime entre les Parties (II).
I. La Convention de Bata fait droit
entre les Parties quant à la délimitation maritime
9.3. La Convention de Bata constitue le titre juridique qui détermine la
frontière maritime entre le Gabon et la Guinée Équatoriale au large des côtes du Rio
Muni764. L’article 4 de la Convention dispose :
763 MGE, vol. I, p. 144.
764 Le Gabon et la Guinée Équatoriale ont également une frontière maritime commune plus au
sud, entre la côte atlantique gabonaise au sud de Port Gentil, d’une part, et la côte orientale
281
« La frontière maritime entre la République de Guinée-Equatoriale et la
République gabonaise sera constituée par une ligne droite parallèle au
1er degré de latitude nord, et partant du point d’intersection du thalweg
de la rivière Mouni avec le segment de droite tirée de la pointe
Cocobeach à la pointe Diéké.
Toutefois il est concédé à la République de Guinée-Equatoriale, autour
des îles ELOBEY et de l’[île] CORISCO, des portions d’eau dont les
largeurs sont les suivantes :
Pour l’île CORISCO :
1,5 miles au nord
6 miles à l’ouest
1,5 miles au sud c’est-à-dire entre CORISCO et MBAGNE
1,5 miles à l’est
Pour les îles ELOBEY :
0,06 miles au nord d’Elobey chico
1,5 miles à l’ouest
0,30 miles à l’est
0,30 miles au sud d’Elobey grande. »
9.4. Cette disposition de la Convention de Bata définit clairement la
« frontière maritime entre la République de Guinée Equatoriale et la République
gabonaise ». Celle-ci est constituée de trois segments distincts : elle consiste en une
ligne parallèle au parallèle de latitude 1° Nord, qui commence au point terminal de
la frontière terrestre. L’article 4 de la Convention de Bata prévoit également de
créer deux enclaves autour des îles équato-guinéennes – celle de Corisco d’une part,
de l’île Annobón appartenant à la Guinée Équatoriale. Le Gabon convient qu’aucun titre
juridique ni aucune convention ne délimite cette frontière maritime entre le Gabon et la
Guinée Équatoriale.
282
et celles d’Elobey grande et Elobey chico d’autre part – se situant « du mauvais côté
de la ligne » : ces îles étant situées au sud du premier segment susvisé et donc dans
l’espace maritime du Gabon, l’article 4 a prévu de concéder à la Guinée Équatoriale
des « portions d’eau » autour de ces îles.
9.5. Le tracé de la ligne frontière est clair : dans son premier segment,
l’ensemble des éléments nécessaires à l’identification de la frontière est précisé et
ne nécessite pas d’avantage de spécifications ; ces éléments sont soit identifiés
(parallèle de latitude 1° N), soit identifiables (point d’intersection du thalweg de la
rivière Mouni avec le segment de droite tiré de la pointe Cocobeach à la pointe
Diéké). S’agissant des enclaves, les coordonnées des lignes partageant
respectivement les eaux relevant de la juridiction gabonaise et les eaux relevant de
la juridiction de la Guinée Équatoriale ne sont pas précisées, mais le texte de
l’article 4 permet de déterminer aisément les étendues des emprises maritimes
accordées à chacune de ces îles équato-guinéennes. Grâce à ces précisions, ces
frontières maritimes sont définies à suffisance ; il est possible de les localiser.
9.6. La Convention de Bata détermine donc clairement la frontière maritime
entre les deux États et partant l’exercice de leur souveraineté respective en mer.
L’article 5 de la Convention prévoit au demeurant que « [p]our l’accès par mer à la
rivière Mouni ainsi qu’aux îles ELOBEY et CORISCO, les navires équato-guinéens
jouiront, dans les eaux territoriales gabonaises, de toutes les facilités dont pourront
bénéficier les navires gabonais »765. L’espace maritime situé au sud de la ligne
frontière relève de la souveraineté du Gabon (hormis les enclaves autour de Corisco
et des deux Elobey) et la Guinée Équatoriale bénéficie d’un droit de passage. Une
telle disposition opère une profonde modification par rapport à la Convention de
765 Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du
Gabon, 12 septembre 1974, jointe à la lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de
France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155) (italiques ajoutés).
283
Paris qui octroyait en son article 5 un droit de passage aux « navires français (…)
pour l’accès par mer de la rivière Mouni, dans les eaux territoriales espagnoles »766.
9.7. Il est clair que, dans l’esprit des négociateurs et signataires de la
Convention de Bata, cette dernière avait vocation à régir la délimitation de la
frontière maritime entre le Gabon et la Guinée Équatoriale : dans le préambule de
la Convention, les deux Parties ont clairement consigné l’objectif de « jeter les
bases durables de la paix entre leurs deux pays, notamment en établissant
définitivement leurs frontières terrestres et maritimes communes »767. Le texte de
l’article 4 est formulé d’une façon précise et obligatoire (« La frontière
maritime (…) sera constituée … » et « il est concédé »). Le fait que les signataires
ont inclus un nota bene n’enlève rien à cet état de fait : la Convention de Bata
détermine la frontière maritime entre les deux États en son article 4.768 Elle fait droit
entre les Parties s’agissant de la délimitation de leur frontière maritime.
II. La Convention de Bata est le seul titre juridique faisant droit
entre les Parties quant à la délimitation maritime
9.8. Ni la Convention de Paris (A), ni la Convention des Nations Unies sur le
droit de la mer et la coutume internationale (B), toutes trois invoquées par la Guinée
766 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique
occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900,
version bilingue (CMG, vol. III, annexe 47), article 5.
767 Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée Équatoriale et du
Gabon, 12 septembre 1974, jointe à la lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de
France au Gabon, 28 octobre 1974 (CMG, vol. V, annexe 155) préambule, 3e considérant
(italiques ajoutés).
768 V. supra, pars. 6.49-6.52.
284
Équatoriale769, ne constituent des titres juridiques faisant droit entre les Parties
s’agissant de leur frontière maritime commune.
A. LA CONVENTION DE PARIS NE RÉGIT PAS LA DÉLIMITATION
DE LA FRONTIÈRE MARITIME ENTRE LE GABON ET
LA GUINÉE ÉQUATORIALE
9.9. La Convention de Paris – que la Guinée Équatoriale invoque comme titre
juridique faisant droit s’agissant de la délimitation de la frontière maritime770 – est
muette s’agissant du tracé de la frontière maritime. Elle ne fait référence qu’à deux
éléments pertinents pour les espaces maritimes. L’article 4 d’une part, fixe le point
terminal de la frontière terrestre771 (et donc, en principe, le point de départ de la
frontière maritime) en des termes quasiment identiques à ceux repris dans la
Convention de Bata : partant « du point d’intersection du thalweg de la rivière
Mouni avec une ligne droite tirée de la pointe Coco Beach à la pointe Diéké ».
L’article 5 d’autre part, prévoit un droit de passage pour les navires français et
espagnols dans les eaux territoriales de chacun des États772, sans pour autant que
les limites de ces eaux territoriales soient déterminées dans la Convention de Paris.
9.10. Cette Convention ne régit pas le tracé de la frontière maritime : elle ne
détermine pas le tracé de la frontière, ni sa direction, ni ne prend position quant à
l’espace maritime entourant les îles équato-guinéennes de Corisco, la Grande
769 MGE, vol. I, p. 144.
770 Ibid.
771 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique
occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900,
version bilingue (CMG, vol. III, annexe 47), article 4.
772 Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et françaises dans l’Afrique
occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900,
version bilingue (CMG, vol. III, annexe 47), article 5.
285
Elobey et la Petite Elobey. La Guinée Équatoriale reconnaît au demeurant cette
évidence puisqu’elle elle cantonne l’invocation de la Convention de 1900 comme
titre juridique aux fins de la délimitation de la frontière maritime à la seule mention
du point terminal de la frontière terrestre et de la souveraineté de la Guinée
Équatoriale sur l’île de Corisco, la Grande Elobey et la Petite Elobey773.
9.11. Tout au plus, la Convention de Paris pourrait constituer le fondement
du titre des Parties (leur entitlement) : la Convention de Paris régit, en partie, la
souveraineté territoriale entre les États et cette souveraineté territoriale pourrait
permettre de déterminer la souveraineté maritime en vertu du principe selon lequel
la terre domine la mer, d’ailleurs invoqué par la Guinée Équatoriale 774 . La
Convention de Paris serait alors l’un des fondements à l’origine du titre juridique
(l’entitlement) de la délimitation maritime mais non le titre lui-même.
B. LA CONVENTION DES NATIONS UNIES SUR LE DROIT DE LA MER
ET LA COUTUME INTERNATIONALE NE CONSTITUENT PAS DES
TITRES JURIDIQUES CONCERNANT LA DÉLIMITATION MARITIME
ENTRE LES PARTIES
9.12. Comme le Gabon l’a montré dans le chapitre V du présent contremémoire775,
il n’entre pas dans la mission de la Cour de se prononcer sur un certain
nombre d’éléments invoqués par la Guinée Équatoriale qui ne constituent pas des
titres juridiques conventionnels, et pour nombre d’entre eux même pas des titres
« documentaires », faisant droit « dans les relations entre la République Gabonaise
et la République de Guinée Équatoriale s’agissant de la délimitation de leurs
773 MGE, vol. I, p. 144.
774 Ibid., pars. 6.41, 6.47, p. 144.
775 V. supra, pars. 5.78 et s.
286
frontières maritime et terrestre communes et de la souveraineté sur les îles Mbanié,
Cocotiers et Conga ».
9.13. Seuls les titres juridiques conventionnels peuvent valablement être
invoqués par les Parties et soumis à l’appréciation de la Cour qui est appelée à
déterminer si ceux-ci font droit. « [T]he United Nations Convention on the Law of
the Sea signed on 10 December 1982 at Montego Bay » et le « customary
international law in so far as it establishes that a State’s title and entitlement to
maritime areas derives from its title to land territory » ne sont pas des titres
juridiques quant à la délimitation de ces espaces maritimes et ne relèvent donc pas
du mandat de la Cour dans la présente affaire776.
9.14. Par ailleurs, le Gabon admet volontiers que la Convention de Montego
Bay, complétée par le droit international coutumier et la jurisprudence pertinente,
régit les principes applicables à la délimitation maritime entre deux États dont les
côtes se font face ou sont adjacentes. Pour autant, ni la Convention de Montego Bay
(et plus précisément ses articles 15, 74 et 83 invoqués par la Guinée Équatoriale777)
ni le droit coutumier de la mer778 ne constituent en eux-mêmes des titres juridiques
s’agissant de la frontière maritime. La Guinée Équatoriale cherche à tort à assimiler
la possibilité de détenir un titre juridique (« an entitlement ») d’une part, et le titre
(« title ») pouvant en découler d’autre part779. Or, la Cour n’est pas appelée à se
prononcer sur la possibilité pour les Parties de détenir un titre juridique (leur
« entitlement ») ni, a fortiori, sur la délimitation maritime elle-même, mais sur
l’existence et la possession de ce titre juridique. La Guinée Équatoriale admet au
demeurant que la coutume ne constitue qu’un simple « entitlement » : « customary
776 MGE, vol. I, p. 144.
777 Ibid., par. 6.54.
778 Ibid., p. 144.
779 V. supra, par. 5.81.
287
international law in so far as it establishes that a State’s title and entitlement to
maritime areas derives from its title to land territory »780 . La coutume et les
dispositions générales de la CNUDM ne constituent pas un titre, elles établissent
une vocation à un titre et une méthode permettant aux États de l’établir.
9.15. Enfin, comme cela est établi plus haut781, les méthodes de délimitation
maritime prévues par la Convention de Montego Bay, la jurisprudence
internationale et la coutume ne s’appliquent qu’en l’absence de titre conventionnel.
Le principe cardinal de la délimitation maritime est en effet celui de la délimitation
par voie d’accord entre les États dont les prétentions se chevauchent : ce principe
est expressément visé par la Convention « [l]orsqu’un accord est en vigueur entre
les Etats concernés, les questions relatives à la délimitation [de la zone économique
exclusive ou du plateau continental] sont réglées conformément à cet accord »782.
Il en va de même pour la délimitation de la mer territoriale783. En d’autres termes,
lorsqu’il existe un accord, celui-ci constitue le titre juridique de la délimitation
maritime et ce n’est qu’en l’absence d’accord – et partant, de titre juridique – que
les principes et méthodes de délimitation maritime prévus par la Convention de
Montego Bay et la coutume serviront de fondement à l’établissement du titre
juridique par accord ou, à défaut, par la voie judiciaire ou arbitrale.
9.16. La Guinée Équatoriale semble du reste reconnaître ce principe. Elle
affirme en conclusion du chapitre 6 de son mémoire relatif aux titres faisant droit
en matière de délimitation maritime que « [t]o the extent that the Parties’ maritime
claims overlap, in the absence of an agreement, the delimitation of their respective
780 MGE, vol. I, p. 144 (italiques ajoutés).
781 V. supra, pars. 5.81-5.83.
782 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, Montego Bay, 10 décembre 1982,
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1834, n° 31363, art. 74 (4) et 83 (4).
783 Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, Montego Bay, 10 décembre 1982,
Nations Unies, Recueil des traités, vol. 1834, n° 31363, art. 15.
288
areas is to be carried out in accordance with the principles set forth in UNCLOS
Articles 15, 74 and 83, and the body of maritime delimitation jurisprudence of the
Court in interpreting and applying those principles »784. Or un tel accord existe : la
Convention de Bata de 1974, négociée et signée par les deux États, est un accord
portant délimitation de la frontière maritime entre le Gabon et la Guinée
Équatoriale.
9.17. La « United Nations Convention on the Law of the Sea signed on 10
December 1982 at Montego Bay » et le « customary international law in so far as
it establishes that a State’s title and entitlement to maritime areas derives from its
title to land territory » ne constituent donc pas des titres juridiques s’agissant de la
frontière maritime entre le Gabon et la Guinée Équatoriale.
Conclusion
9.18. Il résulte des développements ci-dessus, que :
a) la Convention de Bata constitue le titre juridique s’agissant de la frontière
maritime entre le Gabon et la Guinée Équatoriale : elle a été négociée et
signée par les plus hautes autorités des deux pays et règle la question de la
délimitation de la frontière maritime ;
b) ni la Convention de Paris ni la CNUDM et la coutume internationale ne
constituent des titres juridiques faisant droit entre les Parties s’agissant de
leur frontière maritime.
784 MGE, vol. I, par. 6.54 (italiques ajoutés).
289
CONCLUSIONS
Au vu des arguments présentés dans le présent contre-mémoire et de tous autres à
produire, déduire ou suppléer, au besoin même d’office, la République Gabonaise
prie la Cour de bien vouloir
a) Déclarer que
(i) la Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la Guinée
Équatoriale et du Gabon du 12 septembre 1974 (Bata) et la Convention
spéciale sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles dans
l’Afrique occidentale, sur la Côte du Sahara et sur la Côte du Golfe de Guinée
du 27 juin 1900 (Paris) sont les titres juridiques qui font droit dans les
relations entre la République Gabonaise et la République de Guinée
Équatoriale s’agissant de la délimitation de leur frontière terrestre commune ;
(ii) la Convention délimitant les frontières terrestres et maritimes de la
Guinée Équatoriale et du Gabon du 12 septembre 1974 (Bata) est le titre
juridique qui fait droit dans les relations entre la République Gabonaise et la
République de Guinée Équatoriale s’agissant de la délimitation de leur
frontière maritime commune et de la souveraineté sur les îles Mbanié,
Cocotiers et Conga.
b) Rejeter toute prétention contraire de la République de Guinée Équatoriale.
291
292
293
LISTE DES ANNEXES
(VOLUMES II à V)
VOLUME II
CROQUIS
Croquis n° 1.1. Contexte géographique général
Croquis n° 1.2. Accords conclus par la France avec les chefs locaux
jusqu’en 1885
Croquis n° 1.3. Propositions de tracés frontaliers
Croquis n° 2.1. Limites des possessions allemandes, espagnoles et françaises
en vertu de la Convention de Berlin (1911)
Croquis n° 2.2. La proposition de délimitation maritime faite par le Gabon
en 1972
Croquis n° 3.1. La frontière délimitée par la Convention de Bata
Croquis n° 4.1. Permis octroyé à la société PETROGAB en vertu de l’article 6
de l’accord de coopération pétrolière de novembre 1979
Croquis n° 4.2. Les lignes de base revendiquées par le Gabon et la Guinée
Équatoriale lors de la rencontre bilatérale de novembre 1985
Croquis n° 4.3. La ligne de base du Gabon en vertu du décret présidentiel
du 4 décembre 1992
Croquis n° 7.1. Les incohérences de la position de la Guinée Équatoriale
(Outemboni)
Croquis n° 7.2. Les incohérences de la position de la Guinée Équatoriale
(rivière Kyé)
Croquis n° 8.1. Les îles au large de la côte continentale nord du Gabon
(Les croquis ont été établis à seule fin d’illustration)
295
CARTES
Annexe C1. A. Largent (Chef du service des douanes de la colonie), Carte
générale du Gabon, échelle de 0,004 par mille, feuille 1 et
feuille 3, avril 1884
Annexe C2. Croquis, « Rivière Muny - Traités français », Administrations
des colonies françaises, 1885
Annexe C3. Carte du Congo français par Bouvier, figurant les limites des
possessions espagnoles (en jaune), portugaises (en vert),
allemandes (en violet), françaises (en rouge) et de l’État
indépendant du Congo (en bleu) dans le golfe de Guinée, 1886
Annexe C4. Service géographique de l’armée française, Feuille n° 34
(Libreville) de la carte de l’Afrique (région équatoriale), échelle
au 1/2.000.000, dressée et dessinée par le chef de bataillon du
génie Regnauld de Lannoy de Bissy (dite « carte Lannoy »),
1892
Annexe C5. Service géographique des Colonies (J. Hansen), Carte du Congo
français échelle au 1/1.500.000, 1895
Annexe C6. Service géographique des Colonies (J. Hansen), Carte du Congo
français échelle au 1/1.500.000 (avec tracé des propositions de
frontières), 1895
Annexe C7. Service géographique de l’armée française, Feuille n° 34
(Libreville) de la carte de l’Afrique (région équatoriale), échelle
au 1/2.000.000, dressée et dessinée par le chef de bataillon du
génie Regnauld de Lannoy de Bissy (dite « carte Lannoy »),
1896
Annexe C8. Depósito de la Guerra, Mapa de la Guinea Española, échelle
au 1/500.000, 1900
Annexe C9. Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et
françaises dans l’Afrique occidentale, sur la côte du Sahara et
sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900, annexe n° 3
Annexe C10. E. d’Almonte, Carte du Muni, Guinée continentale espagnole,
1903
296
Annexe C11. Carte du Cameroun par M. Moisel, feuille H1, 2 : Kribi,
15 août 1911 ; feuilles I1 : Muni et I2 : Ojem, 1er avril 1912
Annexe C12. Carte du Cameroun par M. Moisel, feuilles I1 : Ukoko et I2 :
Ojĕm, 1er mai 1914
Annexe C13. IGN, Carte de l’Afrique Ouest échelle au 1/5.000.000, 1930
Annexe C14. Carte hydrographique de la baie de Corisco d’après les levés
espagnols et allemands de 1913-1914, n° 3037, 1932
Annexe C15. Croquis de l’Afrique française échelle au 1/1.000.000, Feuille
Libreville, 1935
Annexe C16. Croquis provisoire établi par le service géographique de
l’Afrique équatoriale française - Cameroun, feuille Oyem,
janvier 1949
Annexe C17. Carte du Congo français échelle au 1/2.000.000, 1950
Annexe C18. Croquis provisoire établi par le service géographique de
l’Afrique équatoriale française – Cameroun, feuille Ebolowa,
septembre 1950
Annexe C19. Carte routière de la Guinée espagnole continentale, 1951-1952
Annexe C20. Carte topographique et forestière de Guinée espagnole,
1949-1960
Annexe C21. Annuarios Bailly Baillière y Riera Reunidos, Mapa del Muni
Annexe C22. Croquis représentant les prétentions espagnoles sur le golfe de
Guinée avant la Convention de Paris
297
PHOTOGRAPHIES
Annexe P1. Image satellite des îles Mbanié, Cocotiers et Conga de
novembre 2015 (capturée sur Google Earth le 30 mars 2022),
avec annotations
Annexe P2. Vue aérienne des îles Conga et Mbanié, prise de vue du
17 mars 2022 à 9h50, pendant la marée la plus basse
Annexe P3. Vue aérienne de l’île Mbanié depuis l’est, prise de vue du
17 mars 2022 à 9h51, pendant la marée la plus basse
Annexe P4. Vue aérienne de l’île Mbanié depuis le nord-ouest, prise de vue
du 17 mars 2022 à 9h58, pendant la marée la plus basse
Annexe P5. Vue aérienne de l’île Mbanié depuis le sud-est, prise de vue du
17 mars 2022 à 9h56, pendant la marée la plus basse
Annexe P6. Vue aérienne de l’île Cocotier depuis Mbanié depuis le nordouest,
prise de vue du 17 mars 2022 à 9h50, pendant la marée la
plus basse
Annexe P7. Vue aérienne de l’île Conga depuis le sud (depuis le Cap
Estérias)
VIDÉOS
Annexe V1. Prise de vue des îles Mbanié, Cocotiers et Conga
Annexe V2. Reportage audiovisuel sur la visite d’État du président Bongo en
Guinée Équatoriale et sa retranscription
298
VOLUME III
Annexe 1. Traité de cession de souveraineté et d’une partie de territoire
conclu par le capitaine de corvette Bouët avec le roi Louis,
18 mars 1842
Annexe 2. Article additionnel au traité passé avec le roi Louis le
18 mars 1842, conclu entre le roi Quaben et A. Baudin,
commandant la station des côtes occidentales d’Afrique,
27 avril 1843
Annexe 3. Traité passé entre le Baron Darricau de Traverse, capitaine de
l’Eperlan, et M. Amouroux, capitaine au long cours, d’une part,
et le roi Glass, d’autre part, 28 mars 1844
Annexe 4. Traité reconnaissant la souveraineté de la France sur la rivière
du Gabon, signé par le commandant Bouët, gouverneur du
Sénégal et dépendances, avec les rois et chefs signataires de
traités antérieurs, 1er avril 1844
Annexe 5. Extrait d’un rapport du capitaine de l’Antilope parti de Nantes
pour la côte d’Afrique le 12 juin 1843 et de retour à Nantes le
6 mai 1844
Annexe 6. Conventions passées avec Koako, roi de la rivière Danger ou
Mooney par le capitaine de corvette Auguste Baudin,
4 septembre 1845
Annexe 7. L.-E. Bouët-Willaumez, Description nautique des côtes de
l’Afrique Occidentale comprises entre le Sénégal et l’Equateur
(commencée en 1838 et terminée en 1845), 1848
Annexe 8. Traité de souveraineté et de protection conclu avec les nommés
Outambo, Bouendi-Adiemba, Ivaha et Mabélé, chefs principaux
du cap Estérias, et M. Vignon, capitaine commandant le
comptoir fortifié du Gabon, fondé de pouvoirs de M. le
commandant en chef de la station des côtes occidentales
d’Afrique, inspecteur général des comptoirs du golfe de Guinée,
18 septembre 1852
299
Annexe 9. Traité de souveraineté et de protection conclu avec le roi
Battaud, le prince Battaud, les chefs principaux Naqui, Bori
N’Pongoué, Bappi et Oniamon, et M. Guillet, capitaine
commandant le comptoir fortifié du Gabon, fondé de pouvoirs
de M. le commandant en chef de la station des côtes
occidentales d’Afrique, 23 avril 1855
Annexe 10. Lettre n° 156 du commandant en chef de la division navale des
côtes occidentales d’Afrique au ministre des Colonies français,
24 mai 1860
Annexe 11. Lettre du gouverneur général de Fernando Po au commandant
en chef de la division navale des côtes occidentales d’Afrique,
28 mai 1860
Annexe 12. Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre
de l’Algérie et des Colonies français, 11 août 1860
Annexe 13. Traité entre les chefs des deux Elobey et M. Ropert, chef d’étatmajor
de la division navale des côtes occidentales d’Afrique,
17 octobre 1860
Annexe 14. Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre
de la Marine et des Colonies français, 28 août 1861
Annexe 15. Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre
de la Marine et des Colonies français, 19 mai 1863
Annexe 16. Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre
de la Marine et des Colonies français, 19 juillet 1867
Annexe 17. Déclaration d’allégeance à la France des chefs sékianis
stationnés sur la rivière Danger, 17 octobre 1867
Annexe 18. Lettre n° 585 du commandant en chef de la division navale des
côtes occidentales d’Afrique au ministre de la Marine et des
Colonies français, 19 décembre 1867
Annexe 19. Lettre n° 257 du commandant du Gabon au ministre de la
Marine français, 24 août 1873
Annexe 20. Lettre n° 113 du commandant du Gabon au ministre des
Colonies français, 4 octobre 1875
300
Annexe 21. Protocole entre la France et l’Allemagne, concernant les
possessions françaises et allemandes à la côte occidentale
d’Afrique et en Océanie, Berlin, 24 décembre 1885
Annexe 22. Annexe au Protocole n° 14 de la commission franco-espagnole
de délimitation du nord du Gabon, 12 novembre 1886
Annexe 23. Annexe au Protocole n° 15 de la commission franco-espagnole
de délimitation du nord du Gabon, 24 novembre 1886
Annexe 24. Annexe au Protocole n° 16 de la commission franco-espagnole
de délimitation du nord du Gabon, 6 décembre 1886
Annexe 25. Annexe au Protocole n° 19 de la commission franco-espagnole
de délimitation du nord du Gabon, 18 février 1887
Annexe 26. Annexe au Protocole n° 20 de la commission franco-espagnole
de délimitation du nord du Gabon, 28 février 1887
Annexe 27. Annexe au Protocole n° 21 de la commission franco-espagnole
de délimitation du nord du Gabon, 14 mars 1887
Annexe 28. Annexe au Protocole n° 23 de la commission franco-espagnole
de délimitation du nord du Gabon, 28 mars 1887
Annexe 29. Annexe au Protocole n° 25 de la commission franco-espagnole
de délimitation du nord du Gabon, 18 avril 1887
Annexe 30. Annexe n° 2 au Protocole n° 27 de la commission francoespagnole
de délimitation du nord du Gabon, 27 juin 1887
Annexe 31. Annexe au Protocole n° 28 de la commission franco-espagnole
de délimitation du nord du Gabon, 11 juillet 1887
Annexe 32. Protocole n° 32 de la commission franco-espagnole de
délimitation du nord du Gabon, 31 octobre 1887
Annexe 33. Protocole n° 43 de la commission franco-espagnole de
délimitation du nord du Gabon, 25 avril 1891
Annexe 34. Protocole n° 44 de la commission franco-espagnole de
délimitation du nord du Gabon, 27 juin 1891
301
Annexe 35. Exposé des droits de l’Espagne sur certains territoires du golfe
de Guinée, 1896
Annexe 36. Note interne pour le ministère des Affaires étrangères français
relative aux « Territoires Contestés de la Muny - Reprise des
négociations », 24 juin 1899
Annexe 37. Note de l’Union coloniale française relative aux contestations
territoriales entre France et Espagne dans la région du Rio
Mouny, adressée au ministère des Affaires étrangères français,
1er août 1899
Annexe 38. J. Pérez Caballero et F. Silvela, « Informe de la sección de
política referente á la anterior real orden », 22 novembre 1899,
extrait de Documentos presentados á las cortes en la legislatura
de 1900 por El ministro del Estado – Negociación con Francia
para celebrar un tratado de límites entre las posesiones
españolas y francesas en la costa occidental de Africa, Madrid
(Sucesores de Rivadeneyra), 1900
Annexe 39. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires
étrangères français, 3 janvier 1900
Annexe 40. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires
étrangères français, 26 janvier 1900
Annexe 41. Lettre n° 18 de l’ambassadeur de France en Espagne au ministre
des Affaires étrangères français, 8 février 1900
Annexe 42. Lettre du ministère des Affaires étrangères français au ministère
des Colonies français, 15 mars 1900
Annexe 43. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires
étrangères français, 16 mars 1900
Annexe 44. Télégramme de F. de León y Castillo au président du Conseil et
ministre d’État espagnol, 2 avril 1900 extrait de Documentos
presentados á las cortes en la legislatura de 1900 por El
ministro del Estado – Negociación con Francia para celebrar
un tratado de límites entre las posesiones españolas y francesas
en la costa occidental de Africa, Madrid (Sucesores de
Rivadeneyra), 1900
302
Annexe 45. Lettre de R. Lecomte au ministre des Affaires étrangères
français et premier projet de convention, 24 avril 1900
Annexe 46. Lettre de F. de León y Castillo au ministre d’État espagnol, 4
mai 1900, extrait de Documentos presentados á las cortes en la
legislatura de 1900 por El ministro del Estado – Negociación
con Francia para celebrar un tratado de límites entre las
posesiones españolas y francesas en la costa occidental de
Africa, Madrid (Sucesores de Rivadeneyra), 1900
Annexe 47. Convention pour la délimitation des possessions espagnoles et
françaises dans l’Afrique occidentale, sur la côte du Sahara et
sur la côte du golfe de Guinée, Paris, 27 juin 1900, version
bilingue
Annexe 48. Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre
des Colonies français, 23 mars 1901
Annexe 49. Lettre n° 9 de Bonnel de Mézières au ministre des Colonies
français, 25 juillet 1901
VOLUME IV
Annexe 50. Lettre de Jover y Toyar à Bonnel de Mézières, 29 août 1901, et
réponse du 12 septembre 1901
Annexe 51. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires
étrangères français, 11 septembre 1901
Annexe 52. Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre
des Colonies français, 5 décembre 1902
Annexe 53. Note du ministère des Affaires étrangères français relative à la
délimitation franco-espagnole du golfe de Guinée,
29 décembre 1902
Annexe 54. Note verbale de l’ambassade d’Espagne en France au ministre
des Affaires étrangères français, 8 janvier 1903
303
Annexe 55. Tableau des villages reconnus par la commission de
délimitation de la Guinée espagnole avec les chefs des tribus et
la nationalité d’après le projet de frontière, frontière orientale,
20 mars 1903, extrait du dossier relatif à un projet de frontière
entre le Congo français et la Guinée espagnole transmis par
Bonnel de Mézières au ministre des Colonies français
Annexe 56. Note au sujet de l’évaluation des terrains cédés respectivement
par la France et l’Espagne, d’après le projet de frontière
présenté par la commission, 20 mars 1903, extrait du dossier
relatif à un projet de frontière entre le Congo français et la
Guinée espagnole transmis par Bonnel de Mézières au ministre
des Colonies français
Annexe 57. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires
étrangères français, 8 avril 1903
Annexe 58. M. Duboc, « Mission de délimitation franco-espagnole du golfe
de Guinée. Historique – Journal de route », Revue coloniale,
n° 13, juillet-août 1903
Annexe 59. Lettre n° 124 de l’ambassadeur de France en Espagne au
ministre des Affaires étrangères français, 24 juillet 1905
Annexe 60. Lettre n° 391 du ministre des Affaires étrangères français au
ministre des Colonies français, 31 juillet 1905
Annexe 61. Lettre du ministre des Affaires étrangères français au ministre
des Colonies français, 19 septembre 1905
Annexe 62. Rapport de Vilches et Nieves à la section coloniale du ministère
d’État espagnol, 2 octobre 1905
Annexe 63. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires
étrangères français et extrait de la note sur la Guinée espagnole
de M. Cottes du 28 février 1907, 5 mars 1907
Annexe 64. Lettre du ministre d’État espagnol à l’ambassadeur de France en
Espagne, 20 avril 1907
Annexe 65. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires
étrangères français, 29 juin 1907
304
Annexe 66. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires
étrangères français, 25 février 1908
Annexe 67. Lettre n° 206 de l’ambassadeur de France en Espagne au
ministre des Affaires étrangères français, 11 juillet 1908
Annexe 68. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires
étrangères français, 15 mars 1909
Annexe 69. Rapport du chef de la station Ekododo, 30 novembre 1912
Annexe 70. Arrêté du gouverneur impérial portant création de
circonscriptions administratives au Nouveau-Cameroun,
6 mars 1913
Annexe 71. Rapport n° 1380 du gouvernement impérial du Cameroun
concernant l’expédition Muni, 16 juillet 1914
Annexe 72. Lettre du ministre des Colonies français au ministre des Affaires
étrangères français, 24 novembre 1919
Annexe 73. Lettre n° 639 du gouverneur général de l’Afrique équatoriale
française au ministre des Colonies français, 24 décembre 1920
Annexe 74. Lettre n° 507 du gouverneur général de l’Afrique équatoriale
française au ministre des Colonies français, 15 septembre 1927
Annexe 75. Lettre n° 594 du ministre des Colonies français au ministre des
Affaires étrangères français, 3 novembre 1927
Annexe 76. Lettre n° 1396 du ministre des Affaires étrangères français au
ministre des Colonies français, 14 novembre 1927
Annexe 77. Lettre n° 712 du lieutenant-gouverneur du Gabon au gouverneur
général de l’Afrique équatoriale française, 24 décembre 1927
Annexe 78. Lettre n° 497 du gouverneur général de l’Afrique équatoriale
française au lieutenant-gouverneur du Gabon, 3 novembre 1928
Annexe 79. Lettre du ministre des Colonies français au chef du service
hydrographique de la Marine, 4 juillet 1931
Annexe 80. Décret portant statut organique, 22 juillet 1931
305
Annexe 81. Lettre n° 407 de l’ambassadeur de France en Espagne au
ministre des Affaires étrangères français, 25 juillet 1931
Annexe 82. Lettre n° 349 du lieutenant-gouverneur du Gabon au ministre
des Colonies français, 29 septembre 1932
Annexe 83. Lettre de l’inspecteur général des travaux publics des Colonies
au chef du service central des phares et balises,
10 novembre 1932
Annexe 84. Lettre du directeur du service des phares et balises à l’inspecteur
général des travaux publics des Colonies, 18 novembre 1932
Annexe 85. Décret portant statut organique, 13 avril 1935
Annexe 86. Décret portant statut organique, 14 novembre 1935
Annexe 87. Arrêté du gouverneur général de l’Afrique équatoriale française,
5 novembre 1936
Annexe 88. Lettre n° 439 du ministre des Colonies français au gouverneur
général de l’Afrique équatoriale française, 3 mai 1937
Annexe 89. Télégramme-lettre n° 1222 du gouverneur délégué au
gouverneur général de l’Afrique équatoriale française,
19 juin 1937
Annexe 90. Lettre n° 18 du chef de la subdivision de Cocobeach au chef du
département de l’estuaire, 9 mars 1940
Annexe 91. Lettre du commissaire national aux Affaires étrangères au
commissaire national aux Colonies, 27 février 1943
Annexe 92. Note de la section de coordination de l’Afrique équatoriale
française relative à la délimitation de la frontière entre le Gabon
et la Guinée espagnole, 15 septembre 1952
Annexe 93. Note du gouvernement général de l’Afrique équatoriale
française au sujet de la délimitation de la frontière entre le
Gabon et la Guinée espagnole, 16 septembre 1952
Annexe 94. Note n° 378 de l’Institut géographique national pour la direction
des affaires politiques, 9 janvier 1953
306
Annexe 95. Note du service géographique de l’Afrique équatoriale française
et du Cameroun sur la Guinée Équatoriale, 9 février 1953
Annexe 96. Lettre n° 242 du ministre de la France d’Outre-mer au ministre
des Affaires étrangères français, 8 mars 1953
Annexe 97. Lettre du ministre de la France d’Outre-mer au gouverneur
général de l’Afrique équatoriale française, 9 mars 1953
Annexe 98. Note n° 545 de l’Institut géographique national pour la direction
des affaires politiques, 8 juillet 1953
Annexe 99. Note sur la frontière commune entre l’Afrique équatoriale
française et le Cameroun, d’une part, la Guinée espagnole,
d’autre part, 22 décembre 1953
Annexe 100. Lettre n° 308/AL du ministre des Affaires étrangères français au
ministre de la France d’Outre-mer, 15 février 1954
Annexe 101. Lettre n° 247 du capitaine du « Beautemps-Beaupré » et de la
mission hydrographique de la côte ouest d’Afrique au
gouverneur de la France d’Outre-Mer, 8 octobre 1955
Annexe 102. Lettre du directeur du service des phares et balises au directeur
général des travaux publics de l’Afrique équatoriale française,
26 janvier 1956
Annexe 103. Décret espagnol n° 977/1959, 12 juin 1959
Annexe 104. Loi n° 46/1959 sur l’organisation et le régime juridique des
provinces africaines, 30 juillet 1959
Annexe 105. Note n° 555 du service juridique pour le service des affaires de
la Communauté, 23 septembre 1960
Annexe 106. Loi n° 10/63 portant Code de la Marine marchande gabonaise,
12 janvier 1963
Annexe 107. Dépêche n° 3/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au
ministre des Affaires étrangères français, 7 janvier 1965
Annexe 108. Dépêche n° 28/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au
ministre des Affaires étrangères français, 4 février 1965
307
Annexe 109. Décret n° 1043/1968 portant publication de la carte officielle
des blocs sur les zones marines de la zone II (Rio Muni),
2 mai 1968
VOLUME V
Annexe 110. Lettre du président de la Guinée Équatoriale au secrétaire
général des Nations Unies, 21 janvier 1969
Annexe 111. Lettre du président de la Guinée Équatoriale au secrétaire
général des Nations Unies, 30 août 1969
Annexe 112. Note verbale n° 1966/MAE-C/DAAP du ministère des Affaires
étrangères gabonais à l’ambassade de Guinée Équatoriale au
Gabon, 4 juin 1970
Annexe 113. Note n° 1524 du ministère des Affaires étrangères équatoguinéen
à l’ambassadeur de Guinée Équatoriale au Gabon,
15 juin 1970
Annexe 114. Traduction de la note verbale n° 558 de la mission permanente
de la Guinée Équatoriale auprès des Nations Unies au secrétaire
général des Nations Unies, 8 octobre 1970
Annexe 115. Dépêche n° 57/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au
ministre des Affaires étrangères français, 23 mars 1971
Annexe 116. Lettre du ministre des Affaires étrangères et de la coopération
gabonais à l’ambassadeur de Guinée Équatoriale au Gabon,
21 février 1972
Annexe 117. Télégramme n° 145 de l’ambassade de France au Gabon au
ministère des Affaires étrangères français, 29 mars 1972
Annexe 118. Lettre de l’ambassade de France au Gabon au ministère des
Affaires étrangères français, 6 juillet 1972
Annexe 119. Lettre du président de la Guinée Équatoriale au président du
Gabon, 20 juillet 1972
308
Annexe 120. Lettre du président du Gabon au président de la Guinée
Équatoriale, 30 août 1972
Annexe 121. Note verbale n° 2581 du ministère des Affaires étrangères
équato-guinéen à l’ambassade du Gabon en Guinée Équatoriale,
1er septembre 1972
Annexe 122. Dépêche n° 162/DAM de l’ambassadeur de France en Guinée
Équatoriale au ministre des Affaires étrangères français,
9 septembre 1972
Annexe 123. Note verbale du ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération gabonais, 12 septembre 1972
Annexe 124. Note n° 301/AMF du ministère des travaux publics, de l’habitat
et de l’urbanisme gabonais au sujet de la construction d’une
balise sur l’îlot Cocotier en baie de la Mondah,
16 septembre 1972
Annexe 125. Communiqué final de mission, Kinshasa, 17 septembre 1972
Annexe 126. Télégramme n° 670/672 de l’ambassade de France à Kinshasa
au ministère des Affaires étrangères français,
19 septembre 1972
Annexe 127. Note du ministère des travaux publics, de l’habitat et de
l’urbanisme gabonais au sujet de la construction d’une balise
sur l’îlot Cocotier en baie de la Mondah, 25 septembre 1972
Annexe 128. Télégramme n° 304/12 du ministère des Affaires étrangères
français à l’ambassade de France à Kinshasa,
27 septembre 1972
Annexe 129. Lettre n° 302/SMF du ministère des travaux publics, de l’habitat
et de l’urbanisme gabonais au chargé de mission auprès de la
présidence française, 10 octobre 1972
Annexe 130. Mémorandum espagnol sur la souveraineté sur les îles Mbanié,
Conga et Cocotiers et leur administration, 16 octobre 1972
Annexe 131. Télégramme n° 4/5 de l’ambassadeur de France en Guinée
Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français,
8 janvier 1974
309
Annexe 132. Dépêche d’actualité n° 30/DA/DAM de l’ambassadeur de
France en Guinée Équatoriale au ministère des Affaires
étrangères français, 8 avril 1974
Annexe 133. Fiche n° 497/4.GEND.CAB.S.G. du commandant en chef de la
gendarmerie au président gabonais, 21 juin 1974
Annexe 134. Télégramme n° 65/66/67 de l’ambassade de France en Guinée
Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français,
25 juin 1974
Annexe 135. Télégramme n° 556/557 de l’ambassade de France au Gabon au
ministère des Affaires étrangères français, 12 juillet 1974
Annexe 136. Télégramme n° 76 de l’ambassade de France en Guinée
Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français,
14 juillet 1974
Annexe 137. « Fin du malentendu frontalier entre le Gabon et la Guinée
Équatoriale », Cameroun Tribune, 15 juillet 1974
Annexe 138. Télégramme n° 561/563 de l’ambassade de France au Gabon au
ministère des Affaires étrangères français, 15 juillet 1974
Annexe 139. Télégramme n° 78/79 de l’ambassade de France en Guinée
Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français,
15 juillet 1974
Annexe 140. Bulletin de renseignements n° 82/GAB/AFA/CD de l’attaché
des forces armées auprès de l’ambassade de France au Gabon,
18 juillet 1974
Annexe 141. Télégramme n° 85 de l’ambassade de France en Guinée
Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français,
20 juillet 1974
Annexe 142. Télégramme de l’ambassade de France en Guinée Équatoriale
au ministère des Affaires étrangères français, 24 juillet 1974
Annexe 143. « Gabon – Guinée Équatoriale : Négociation éclaire », Jeune
Afrique, 27 juillet 1974
310
Annexe 144. Dépêche n° 101/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au
ministre des Affaires étrangères français, 1er août 1974
Annexe 145. Note du conseiller technique sur les frontières maritimes entre
la Guinée Équatoriale et le Gabon, 6 août 1974
Annexe 146. Télégramme n° 2676 de l’ambassade des États-Unis au
Cameroun au secrétaire d’État américain, 15 août 1974
Annexe 147. Lettre n° 200/DAM/1 du ministre des Affaires étrangères
français au secrétaire d’État à la Culture, 26 août 1974
Annexe 148. Télégramme n° 691/692 de l’ambassade de France au Gabon au
ministère des Affaires étrangères français, 13 septembre 1974
Annexe 149. Télégramme n° 1139 de l’ambassade des États-Unis au
Cameroun au secrétaire d’État américain, 14 septembre 1974
Annexe 150. « ‘Tout est réglé !’ avec la Guinée Équatoriale », L’Union,
20 septembre 1974
Annexe 151. Dépêche d’actualité n° 39/DA/DAM de l’ambassadeur de
France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires
africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères
français, 23 septembre 1974
Annexe 152. Dépêche d’actualité n° 40/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de
France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires
africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères
français, 2 octobre 1974
Annexe 153. Dépêche d’actualité n° 43/DA/DAM-2 de l’ambassadeur de
France en Guinée Équatoriale à la direction des Affaires
africaines et malgaches du ministère des Affaires étrangères
français, 14 octobre 1974
Annexe 154. Télégramme n° 3385 de l’ambassade des États-Unis au
Cameroun au secrétaire d’État américain, 16 octobre 1974
Annexe 155. Lettre du président du Gabon à l’ambassadeur de France au
Gabon, 28 octobre 1974
311
Annexe 156. Dépêche n° 141/DAM de l’ambassadeur de France au Gabon au
ministre des Affaires étrangères français, 7 novembre 1974
Annexe 157. Télégramme n° 134 de l’ambassade de France en Guinée
Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français, 23
décembre 1974
Annexe 158. Dépêche n° 92/DAM/2 de l’ambassadeur de France en Guinée
Équatoriale au ministre des Affaires étrangères français,
11 avril 1975
Annexe 159. Télégramme n° 621 de l’ambassade des États-Unis au Gabon,
29 avril 1975
Annexe 160. Dépêche n° 255/DAM/2 de l’ambassadeur de France en Guinée
Équatoriale au ministre des Affaires étrangères français,
28 novembre 1976
Annexe 161. D. Ndongo Bidyogo, Historia y tragedia de Guinea Ecuatorial
(Editorial Cambio 16) (1977)
Annexe 162. P. Barnès, « Près de la moitié de la population a fui l[a]
dictature du président Ma[c]ias Nguéma », Le Monde,
14 juin 1978
Annexe 163. Accord de coopération pétrolière entre la République de Guinée
Équatoriale et la République Gabonaise, Libreville,
13 novembre 1979
Annexe 164. Accord général de coopération entre le gouvernement de la
République Gabonaise et le gouvernement de la République de
Guinée Équatoriale, Libreville, 13 novembre 1979
Annexe 165. M. Liniger-Goumaz, La Guinée Équatoriale, un pays méconnu
(1980) (extraits)
Annexe 166. Encyclopédie juridique de l’Afrique (1982) (extraits)
Annexe 167. Procès-verbal de la commission ad hoc portant révision de
l’Accord de coopération pétrolière entre la République de
Guinée Équatoriale et la République Gabonaise, Libreville,
18 mars 1982
312
Annexe 168. Télégramme n° 254 de l’ambassade de France en Guinée
Équatoriale au ministère des Affaires étrangères français,
3 septembre 1984
Annexe 169. Procès-verbal de la deuxième réunion de la commission ad hoc
portant révision de l’accord de coopération pétrolière entre la
République de Guinée Équatoriale et la République Gabonaise,
Libreville, 13 septembre 1984
Annexe 170. Lettre n° 2162/MAECF/DF du ministre des Affaires étrangères
gabonais au secrétaire général des Nations Unies,
23 septembre 1999
Annexe 171. Procès-verbal de la commission ad hoc des frontières Gabon-
Guinée Équatoriale, Malabo, 23 mai 2003
Annexe 172. Lettre n° 12/AL de l’ambassadeur de France au Gabon au
ministre des Affaires étrangères, de la Coopération et de la
Francophonie gabonais, 6 janvier 2004
Annexe 173. Communiqué conjoint de la République Gabonaise et la
République de Guinée Équatoriale au sujet du processus de
médiation relatif à leur différend territorial, 19 janvier 2004
Annexe 174. Lettre du ministre d’État gabonais au secrétaire général des
Nations Unies, 5 février 2004
Annexe 175. Protocole d’Addis-Abeba, 6 juillet 2004
Annexe 176. Accord entre le Gabon et la Guinée Équatoriale relatif à la
construction d’un pont frontalier et d’un tronçon de route
bitumée avec des ouvrages entre les deux pays, 3 août 2007
Annexe 177. Document cadre de la médiation, Genève, 19 janvier 2009
313
Contre-mémoire du Gabon