Ordonnance du 24 mai 2024

Document Number
192-20240524-ORD-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
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24 MAY 2024
ORDER
APPLICATION OF THE CONVENTION ON THE PREVENTION AND PUNISHMENT OF THE CRIME OF GENOCIDE IN THE GAZA STRIP (SOUTH AFRICA v. ISRAEL)
___________
APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE DANS LA BANDE DE GAZA (AFRIQUE DU SUD c. ISRAËL)
24 MAI 2024
ORDONNANCE
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-19
I. OBSERVATIONS GÉNÉRALES 20-30
II. CONDITIONS REQUISES POUR L’INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES 31-47
III. CONCLUSION ET MESURES À ADOPTER 48-55
DISPOSITIF 57
___________
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2024
2024
24 mai
Rôle général
no 192
24 mai 2024
APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE DANS LA BANDE DE GAZA
(AFRIQUE DU SUD c. ISRAËL)
DEMANDE TENDANT À LA MODIFICATION DE L’ORDONNANCE DU 28 MARS 2024
ORDONNANCE
Présents : M. SALAM, président ; Mme SEBUTINDE, vice-présidente ; MM. ABRAHAM, YUSUF, Mme XUE, MM. BHANDARI, IWASAWA, NOLTE, Mme CHARLESWORTH, MM. BRANT, GÓMEZ ROBLEDO, Mme CLEVELAND, MM. AURESCU, TLADI, juges ; M. BARAK, juge ad hoc ; M. GAUTIER, greffier.
La Cour internationale de Justice,
Ainsi composée,
Après délibéré en chambre du conseil,
Vu l’article 41 du Statut de la Cour et l’article 76 de son Règlement,
Rend l’ordonnance suivante :
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1. Le 29 décembre 2023, la République sud-africaine (ci-après l’« Afrique du Sud ») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre l’État d’Israël (ci-après « Israël ») concernant des manquements allégués, dans la bande de Gaza, aux obligations découlant de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la « convention sur le génocide » ou la « convention »).
2. Dans sa requête, l’Afrique du Sud entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci et sur l’article IX de la convention sur le génocide.
3. La requête contenait une demande en indication de mesures conservatoires, présentée en vertu de l’article 41 du Statut de la Cour et conformément aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement.
4. La Cour ne comptant sur le siège, à la date du dépôt de la requête, aucun juge de la nationalité des Parties, chacune d’elles s’est prévalue du droit que lui confère l’article 31 du Statut de procéder à la désignation d’un juge ad hoc pour siéger en l’affaire. L’Afrique du Sud a désigné M. Dikgang Ernest Moseneke, et Israël M. Aharon Barak.
5. Après avoir entendu les Parties, la Cour, par ordonnance du 26 janvier 2024, a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
« 1) L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants :
a) meurtre de membres du groupe ;
b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ; et
d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
2) L’État d’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés au point 1 ci-dessus ;
3) L’État d’Israël doit prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide à l’encontre des membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;
4) L’État d’Israël doit prendre sans délai des mesures effectives pour permettre la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence afin de remédier aux difficiles conditions d’existence auxquelles sont soumis les Palestiniens de la bande de Gaza ;
5) L’État d’Israël doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide commis contre les membres du groupe des Palestiniens de la bande de Gaza ;
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6) L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente ordonnance dans un délai d’un mois à compter de la date de celle-ci. »
6. À la suite de l’élection à la Cour, avec effet à compter du 6 février 2024, de M. Dire Tladi, de nationalité sud-africaine, M. Moseneke a cessé de siéger en tant que juge ad hoc en l’affaire, conformément au paragraphe 6 de l’article 35 du Règlement de la Cour.
7. Par lettre datée du 12 février 2024, l’Afrique du Sud, se référant à « l’évolution de la situation à Rafah », a demandé à la Cour d’exercer d’urgence le pouvoir que lui confère le paragraphe 1 de l’article 75 de son Règlement. Par lettre datée du 15 février 2024, Israël a soumis ses observations sur la communication de l’Afrique du Sud.
8. Par lettres datées du 16 février 2024, le greffier a informé les Parties de la décision suivante, prise par la Cour en réponse à la communication de l’Afrique du Sud :
« La Cour note que les tout derniers développements dans la bande de Gaza, et en particulier à Rafah, “pourraient entraîner une aggravation exponentielle de ce qui est d’ores et déjà un cauchemar humanitaire aux conséquences régionales insondables”, ainsi que l’a indiqué le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies [ONU] (allocution du Secrétaire général sur ses priorités pour 2024, prononcée devant l’Assemblée générale des Nations Unies (7 février 2024)).
Cette situation alarmante exige la mise en oeuvre immédiate et effective des mesures conservatoires indiquées par la Cour dans son ordonnance du 26 janvier 2024, lesquelles sont applicables à l’ensemble de la bande de Gaza, y compris à Rafah ; elle ne nécessite pas l’indication de mesures additionnelles.
La Cour souligne que l’État d’Israël demeure tenu de se conformer pleinement aux obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide et à ladite ordonnance, notamment en assurant la sûreté et la sécurité des Palestiniens dans la bande de Gaza. »
9. Le 26 février 2024, Israël a, dans le délai prescrit, soumis un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il avait prises pour donner effet à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 26 janvier 2024, conformément au point 6 du dispositif de celle-ci (paragraphe 86). L’Afrique du Sud a dûment présenté ses observations sur ce rapport.
10. Le 6 mars 2024, l’Afrique du Sud, se référant à l’article 41 du Statut de la Cour, ainsi qu’aux paragraphes 1 et 3 de l’article 75 et à l’article 76 de son Règlement, a prié la Cour « d’indiquer de nouvelles mesures conservatoires ou de modifier celles qu’elle a[vait] indiquées le 26 janvier 2024 ». Le 15 mars 2024, Israël a soumis ses observations écrites sur cette demande.
11. Par ordonnance du 28 mars 2024, la Cour a réaffirmé les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 26 janvier 2024 et a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
« L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et au vu de la dégradation des conditions de vie auxquelles sont soumis les Palestiniens de Gaza, en particulier de la propagation de la famine et de l’inanition :
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a) Prendre toutes les mesures nécessaires et effectives pour veiller sans délai, en étroite coopération avec l’Organisation des Nations Unies, à ce que soit assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture par toutes les parties intéressées des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence, notamment la nourriture, l’eau, l’électricité, le combustible, les abris, les vêtements, les produits et installations d’hygiène et d’assainissement, ainsi que le matériel et les soins médicaux, aux Palestiniens de l’ensemble de la bande de Gaza, en particulier en accroissant la capacité et le nombre des points de passage terrestres et en maintenant ceux-ci ouverts aussi longtemps que nécessaire ;
b) Veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette pas d’actes constituant une violation de l’un quelconque des droits des Palestiniens de Gaza en tant que groupe protégé en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, y compris en empêchant, d’une quelconque façon, la livraison d’aide humanitaire requise de toute urgence ».
La Cour a également prescrit à Israël de lui soumettre, dans un délai d’un mois à compter de la date de l’ordonnance, un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aurait prises pour donner effet à celle-ci.
12. Le 29 avril 2024, Israël a, dans le délai prescrit, soumis un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il avait prises pour donner effet à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue par la Cour le 28 mars 2024, conformément au point 3 du dispositif de celle-ci (paragraphe 51). L’Afrique du Sud a dûment présenté ses observations sur ce rapport.
13. Le 10 mai 2024, l’Afrique du Sud a soumis à la Cour une « demande urgente tendant à la modification et à l’indication de mesures conservatoires », conformément à l’article 41 du Statut et aux articles 75 et 76 du Règlement de la Cour.
14. Dans sa demande, l’Afrique du Sud prie la Cour d’indiquer les mesures conservatoires suivantes :
« 1. L’État d’Israël doit immédiatement se retirer du gouvernorat de Rafah et y cesser son offensive militaire.
2. L’État d’Israël doit immédiatement prendre toutes mesures permettant effectivement de garantir et de faciliter l’accès sans entrave à Gaza des représentants de l’ONU et autres personnels chargés de la fourniture d’aide et d’assistance humanitaires à la population de Gaza, ainsi que des missions d’établissement des faits, des organismes ou agents mandatés par des organisations internationales, des enquêteurs et des journalistes, afin qu’ils puissent évaluer la situation sur le terrain à Gaza et en rendre compte, ainsi qu’assurer la préservation et la conservation effectives des éléments de preuve ; il doit en outre veiller à ce que son armée n’empêche pas cet accès, cette fourniture, cette préservation ou cette conservation.
3. L’État d’Israël doit soumettre à la Cour un rapport public : a) sur l’ensemble des dispositions qu’il aura prises pour donner effet à ces mesures conservatoires, dans un délai d’une semaine à compter de la date de l’ordonnance que la Cour aura rendue ; et b) sur l’ensemble des dispositions qu’il aura prises pour donner effet à toutes les mesures conservatoires précédemment indiquées par la Cour, dans un délai d’un mois à compter de la date de ladite ordonnance. »
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15. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement d’Israël, conformément au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement de la Cour, une copie de la demande de l’Afrique du Sud. Dans une communication distincte du même jour, Israël a été invité à présenter des observations écrites sur cette demande le 15 mai 2024 au plus tard. Par lettres datées du 13 mai 2024, le greffier a informé les Parties que, conformément au paragraphe 3 de l’article 74 de son Règlement, la Cour avait fixé aux 16 et 17 mai 2024 les dates de la procédure orale sur la demande. Par lettre également datée du 13 mai 2024, Israël a prié la Cour de reporter les audiences à la semaine suivante. Après avoir consulté la demanderesse, qui était opposée à cette demande, la Cour a décidé, au vu des circonstances, de ne pas reporter les audiences. Les Parties ont été informées de cette décision par lettres en date du 14 mai 2024.
16. Au cours des audiences publiques tenues les 16 et 17 mai 2024, des observations orales sur la demande ont été présentées par :
Au nom de l’Afrique du Sud : S. Exc. M. Vusimuzi Madonsela,
M. Vaughan Lowe,
M. John Dugard,
M. Max du Plessis,
Mme Adila Hassim,
M. Tembeka Ngcukaitobi,
Mme Blinne Ní Ghrálaigh.
Au nom d’Israël : M. Gilad Noam,
Mme Tamar Kaplan Tourgeman.
17. Au terme de ses plaidoiries, l’Afrique du Sud a demandé à la Cour d’indiquer les mesures conservatoires suivantes :
« L’Afrique du Sud prie respectueusement la Cour de prescrire à l’État d’Israël, en sa qualité d’État partie à la convention sur le génocide et de Partie à l’instance :
1) de cesser immédiatement, et conformément aux obligations auxquelles il est tenu au titre des ordonnances rendues par la Cour les 26 janvier et 28 mars 2024, ses opérations militaires dans la bande de Gaza, notamment dans le gouvernorat de Rafah, d’évacuer le point de passage de Rafah, et de retirer immédiatement, entièrement et inconditionnellement son armée de l’ensemble de la bande de Gaza ;
2) de prendre immédiatement, et conformément aux obligations auxquelles il est tenu au titre de la mesure conservatoire prescrite au point 4 du dispositif de l’ordonnance du 26 janvier 2024 et des mesures indiquées aux alinéas a) et b) du point 2 du dispositif de l’ordonnance du 28 mars 2024, toutes mesures permettant effectivement de garantir et de faciliter l’accès sans entrave à Gaza des représentants de l’ONU et autres personnels chargés de la fourniture d’aide et d’assistance humanitaires à la population de Gaza, ainsi que des missions d’établissement des faits, des organismes ou agents mandatés par des organisations internationales,
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des enquêteurs et des journalistes, afin qu’ils puissent évaluer la situation sur le terrain à Gaza et en rendre compte, ainsi que de garantir la préservation et la conservation effectives des éléments de preuve ; et de veiller à ce que son armée n’empêche pas cet accès, cette fourniture, cette préservation ou cette conservation ;
3) de soumettre à la Cour un rapport public : a) sur l’ensemble des dispositions qu’il aura prises pour donner effet à ces mesures conservatoires, dans un délai d’une semaine à compter de la date de l’ordonnance que la Cour aura rendue ; et b) sur l’ensemble des dispositions qu’il aura prises pour donner effet à toutes les mesures conservatoires précédemment indiquées par la Cour, dans un délai d’un mois à compter de la date de ladite ordonnance. »
18. Au terme de ses plaidoiries, Israël a prié la Cour de « rejeter la demande tendant à la modification et à l’indication de mesures conservatoires soumise par la République sud-africaine ».
19. Au terme des audiences, un membre de la Cour a posé une question à Israël, qui y a répondu par écrit le 18 mai 2024. L’Afrique du Sud a soumis des observations écrites sur la réponse fournie par Israël le 20 mai 2024.
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I. OBSERVATIONS GÉNÉRALES
20. La Cour estime que la présente demande de l’Afrique du Sud est une demande en modification de l’ordonnance du 28 mars 2024. Pour cette raison, elle doit déterminer si les conditions énoncées au paragraphe 1 de l’article 76 de son Règlement sont réunies. Ce paragraphe se lit comme suit :
« À la demande d’une partie ou d’office, la Cour peut, à tout moment avant l’arrêt définitif en l’affaire, rapporter ou modifier toute décision concernant des mesures conservatoires si un changement dans la situation lui paraît justifier que cette décision soit rapportée ou modifiée. »
21. La Cour doit, dans un premier temps, rechercher si, compte tenu des informations que lui ont fournies les Parties au sujet de la situation actuelle, il y a lieu de conclure que la situation qui avait motivé la décision énoncée dans son ordonnance du 28 mars 2024 a depuis lors changé. Si elle constate qu’il y a eu un changement dans cette situation depuis qu’elle a rendu sa dernière ordonnance, elle devra, dans un second temps, se demander si un tel changement justifie une modification de sa décision précédente concernant les mesures conservatoires. Procéder à une telle modification ne serait approprié que s’il était satisfait, dans ce cas également, aux conditions générales énoncées à l’article 41 du Statut de la Cour (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), demande tendant à la modification de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires du 7 décembre 2021, ordonnance du 12 octobre 2022, C.I.J. Recueil 2022 (II), p. 581, par. 12).
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22. La Cour commencera donc par déterminer si un changement s’est produit dans la situation ayant motivé la décision énoncée dans son ordonnance du 28 mars 2024.
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23. L’Afrique du Sud affirme que c’est l’incursion terrestre lancée par les forces armées israéliennes le 7 mai 2024 à Rafah qui l’a amenée à présenter sa demande : Rafah était en effet le « dernier refuge » à Gaza pour un 1,5 million de Palestiniens, en majorité des personnes déplacées ayant fui le nord et le centre du territoire, et le dernier endroit, à Gaza, où il fût encore possible de se loger et avoir accès à l’administration publique, à des services publics de base et à des soins médicaux. L’Afrique du Sud soutient qu’Israël a pris le contrôle des points de passage de Rafah et de Kerem Shalom (Karem Abu Salem), s’assurant ainsi un contrôle intégral et direct sur tous les points d’entrée et de sortie de personnes et de biens vers et depuis Gaza, et qu’il a fermé le premier de ces points de passage et « rendu essentiellement inopérant » le second d’entre eux. Elle allègue que les installations médicales de Rafah sont également menacées, le principal établissement de soins du gouvernorat de Rafah n’étant plus opérationnel, et le fonctionnement des autres étant fortement compromis. L’Afrique du Sud fait valoir qu’Israël a donné aux Palestiniens de la partie est de Rafah l’ordre de rejoindre « la prétendue “zone humanitaire” d’Al-Mawasi dans le gouvernorat de Khan Younès » ; or, il s’agirait d’une zone déjà surpeuplée, où la sécurité et les services essentiels ne seraient pas garantis. Selon l’Afrique du Sud, il est « impossible » de mener une opération d’évacuation massive de cette ampleur « dans de bonnes conditions de sécurité ». La demanderesse ajoute que, quoi qu’il en soit, « les Palestiniens de Rafah n’ont nulle part où aller », puisque environ 76 % du territoire de Gaza est actuellement soumis à des ordres d’évacuation et que, « selon les estimations, les deux tiers des habitations sont endommagés ou détruits ».
24. Selon la demanderesse, l’incursion militaire israélienne à Rafah, au vu du risque extrême qu’elle fait peser sur la fourniture de l’aide humanitaire et des services de base à Gaza, le système médical palestinien et la survie même des Palestiniens de Gaza en tant que groupe, « ne représente pas seulement une aggravation de la situation existante, mais est en outre à l’origine de faits nouveaux qui causent un préjudice irréparable aux droits du peuple palestinien de Gaza ». L’Afrique du Sud soutient qu’« [i]l y a donc eu un changement dans la situation à Gaza, au sens du paragraphe 3 de l’article 75 et du paragraphe 2 de l’article 76 du Règlement de la Cour, depuis que celle-ci a rendu son ordonnance le 28 mars 2024 ».
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25. Israël conteste l’allégation de l’Afrique du Sud selon laquelle la situation aurait changé depuis que la Cour a rendu son ordonnance du 28 mars 2024. Il soutient que « [d]e nombreux civils ont certes dû rejoindre Rafah ces derniers mois mais [que], de fait, la ville de Rafah sert également de bastion au Hamas, lequel continue de représenter une grave menace pour l’État d’Israël et ses citoyens ». Il dément avoir fermé d’importants postes-frontières à Gaza ou ne pas avoir facilité l’approvisionnement en combustible nécessaire aux opérations et installations humanitaires, comme l’en accuse l’Afrique du Sud. Il prétend n’avoir, au contraire, ménagé aucun effort pour atténuer la crise humanitaire dans la bande de Gaza, ayant notamment, à cet effet, ouvert un nouveau point de passage terrestre à Erez-Ouest le 12 mai 2024, facilité l’installation d’une jetée flottante  opérationnelle depuis le 17 mai 2024  au large de la bande de Gaza, et aidé à la « remise en état des hôpitaux » à Rafah et dans le reste du territoire.
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26. Israël soutient qu’il « continue de prendre des mesures extraordinaires pour réduire autant que possible les souffrances infligées aux civils palestiniens à Gaza », notamment en informant ceux-ci des opérations planifiées par les forces de défense israéliennes dans des secteurs donnés, en adoptant des procédures claires et précises en matière de choix des objectifs, de manière à répondre comme il se doit aux exigences militaires tout en réduisant au minimum les dommages causés aux civils, en prenant encore d’autres mesures pour s’assurer que ses forces de défense soient informées de la présence de sites sensibles, tels que les installations médicales et les abris, et en veillant à ce que la fourniture de l’aide humanitaire continue d’être assurée pendant les hostilités.
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27. La Cour rappelle que, dans son ordonnance du 26 janvier 2024, elle a noté que l’opération militaire conduite par Israël à la suite de l’attaque du 7 octobre 2023 avait fait « de très nombreux morts et blessés et causé la destruction massive d’habitations, le déplacement forcé de l’écrasante majorité de la population et des dommages considérables aux infrastructures civiles » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 46). Dans la décision qu’elle a communiquée aux Parties par lettres du 16 février 2024, elle a relevé, en citant le Secrétaire général de l’ONU, que l’évolution de la situation dans la bande de Gaza, et en particulier à Rafah, « pourrai[]t entraîner une aggravation exponentielle de ce qui [étai]t d’ores et déjà un cauchemar humanitaire aux conséquences régionales insondables » (voir ci-dessus, paragraphe 8). La Cour rappelle également que, dans son ordonnance du 28 mars 2024, elle a observé avec regret que les conditions désastreuses dans lesquelles vivaient les Palestiniens de la bande de Gaza s’étaient, depuis janvier 2024, encore détériorées, en particulier au vu de la privation prolongée et généralisée de nourriture et d’autres produits de première nécessité à laquelle ceux-ci étaient soumis (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), demande tendant à la modification de l’ordonnance du 26 janvier 2024 indiquant des mesures conservatoires, ordonnance du 28 mars 2024, par. 18).
28. La Cour relève que la situation humanitaire catastrophique dans la bande de Gaza, dont elle avait, dans son ordonnance du 26 janvier 2024, noté qu’elle risquait fort de se détériorer, s’est entre-temps dégradée, et ce même davantage encore depuis qu’elle a rendu son ordonnance du 28 mars 2024. À cet égard, elle observe que les craintes qu’elle avait exprimées dans sa décision communiquée aux Parties le 16 février 2024 au sujet de l’évolution de la situation à Rafah se sont concrétisées, et que la situation humanitaire peut aujourd’hui être qualifiée de désastreuse. Le 6 mai 2024, après des semaines d’intensification des bombardements militaires contre Rafah, où plus d’un million de Palestiniens, soumis à des ordres d’évacuation d’Israël couvrant plus des trois quarts du territoire de Gaza, avaient trouvé refuge, Israël a sommé près de 100 000 Palestiniens d’évacuer la partie est de Rafah, et de rejoindre les zones d’Al-Mawasi et de Khan Younès en prévision d’une offensive militaire. L’offensive militaire terrestre à Rafah, lancée par Israël le 7 mai 2024, se poursuit à ce jour et a donné lieu à de nouveaux ordres d’évacuation. En conséquence, selon des informations recueillies par l’ONU, près de 800 000 personnes avaient été déplacées de Rafah au 18 mai 2024.
29. La Cour considère que les développements mentionnés ci-dessus, qui sont d’une gravité exceptionnelle, en particulier l’offensive militaire à Rafah et les déplacements successifs de grande ampleur de la population palestinienne de la bande de Gaza, déjà extrêmement vulnérable, qui en ont résulté, constituent un changement dans la situation au sens de l’article 76 du Règlement.
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30. La Cour est en outre d’avis que les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 28 mars 2024, ainsi que celles qui y ont été réaffirmées, ne couvrent pas intégralement les conséquences découlant du changement dans la situation qui est exposé ci-dessus, ce qui justifie une modification de ces mesures. Toutefois, pour pouvoir modifier sa précédente décision concernant des mesures conservatoires, elle doit encore s’assurer qu’il est, dans la situation actuelle, satisfait aux conditions générales prévues à l’article 41 de son Statut.
II. CONDITIONS REQUISES POUR L’INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES
31. La Cour rappelle que, dans l’ordonnance en indication de mesures conservatoires qu’elle a rendue le 26 janvier 2024 en la présente espèce, elle a conclu que, « prima facie, elle a[vait] compétence en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide pour connaître de l’affaire » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 31). Dans son ordonnance du 28 mars 2024 concernant la demande de l’Afrique du Sud du 6 mars 2024 tendant à la modification de l’ordonnance du 26 janvier 2024, elle a déclaré qu’elle ne voyait aucune raison de revenir sur cette conclusion (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), demande tendant à la modification de l’ordonnance du 26 janvier 2024 indiquant des mesures conservatoires, ordonnance du 28 mars 2024, par. 24). Elle ne voit pas davantage de raison de ce faire aux fins de sa décision sur la présente demande.
32. Dans son ordonnance du 26 janvier 2024, la Cour a également conclu à la plausibilité de certains au moins des droits que l’Afrique du Sud revendiquait au titre de la convention sur le génocide et souhaitait voir préservés, à savoir le droit des Palestiniens de Gaza d’être protégés contre les actes de génocide et les actes prohibés connexes visés à l’article III, et le droit de l’Afrique du Sud de demander qu’Israël s’acquitte des obligations lui incombant au regard de la convention (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du 26 janvier 2024, par. 54). La Cour n’a vu aucune raison de revenir sur cette conclusion dans son ordonnance du 28 mars 2024 (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), demande tendant à la modification de l’ordonnance du 26 janvier 2024 indiquant des mesures conservatoires, ordonnance du 28 mars 2024, par. 25). Elle ne voit pas davantage de raison de ce faire aux fins de sa décision sur la présente demande. Elle considère en outre que, par leur nature même, certaines au moins des mesures conservatoires sollicitées dans le cadre de ladite demande (voir ci-dessus, paragraphe 17) visent à préserver les droits revendiqués par la demanderesse qu’elle a jugés plausibles.
33. La Cour doit à présent examiner si la situation actuelle entraîne le risque qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits plausibles revendiqués par l’Afrique du Sud, et s’il existe une urgence.
34. La Cour rappelle à cet égard qu’elle est déjà parvenue, compte tenu des valeurs fondamentales que la convention sur le génocide entend protéger, à la conclusion que les droits plausibles en cause en l’espèce étaient de nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait être irréparable (voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), mesures conservatoires, ordonnance du
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26 janvier 2024, par. 66 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël), demande tendant à la modification de l’ordonnance du 26 janvier 2024 indiquant des mesures conservatoires, ordonnance du 28 mars 2024, par. 27).
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35. La demanderesse affirme que la situation à Gaza « ne saurait être plus urgente », et sollicite en conséquence l’indication de mesures conservatoires additionnelles ou la modification de celles déjà prescrites. L’Afrique du Sud évoque, en particulier, le risque généralisé d’être tué ou blessé auquel sont exposés les Palestiniens déplacés, ainsi que les restrictions accrues à la fourniture d’aide humanitaire et l’incapacité dans laquelle seront mis les Gazaouis d’accéder aux soins de santé si les hôpitaux de Rafah sont rendus inopérants.
36. La demanderesse estime que « l’effondrement [est déjà] total pour ce qui est des infrastructures, des systèmes d’assainissement et de l’approvisionnement en eau et en nourriture  en bref, des éléments indispensables à la survie des quelque 2,3 millions de Palestiniens à Gaza ». Selon elle, « [l]e degré de destruction infligé par Israël dans l’ensemble de la bande de Gaza, et maintenant à Rafah, menace la survie même de générations futures de Palestiniens à Gaza ».
37. L’Afrique du Sud soutient encore que la manière même dont Israël mène ses opérations militaires à Rafah, et ailleurs à Gaza, est intrinsèquement génocidaire. Partant, il est nécessaire, selon elle, pour « protéger ce qu’il reste de vie palestinienne à Gaza », qu’Israël « reçoive l’ordre exprès de “cesser ses activités militaires” ». L’Afrique du Sud souligne qu’il n’y a aucune zone d’évacuation à Gaza où soit assurée la fourniture d’aide et d’assistance humanitaires. Elle soutient, en particulier, qu’Al-Mawasi ne peut être considérée comme une zone humanitaire capable d’accueillir les Palestiniens sommés de quitter Rafah, car
« elle est tout sauf sûre : la surpopulation, les monceaux d’ordures, et le manque d’eau et d’installations sanitaires entraînent la propagation de maladies, et en parallèle, les attaques militaires menées par Israël dans cette zone — bombardements aériens, tirs d’artillerie, coups de feu de tireurs isolés — ont fait et continuent de faire des morts et des blessés graves ».
Selon l’Afrique du Sud, Israël « n’a rien mis en place pour accueillir les centaines de milliers de Palestiniens ayant reçu l’ordre de fuir Rafah ou d’autres parties du territoire au début du mois de mai 2024 — de même qu’il n’avait rien mis en place pour accueillir ceux contraints de fuir à la suite de précédents ordres d’évacuation ».
38. Enfin, la demanderesse affirme que, du fait du « refus complet [d’Israël] de permettre à des enquêteurs indépendants d’entrer » dans Gaza, le risque existe que le véritable nombre de victimes palestiniennes demeure ignoré, et que des éléments de preuve disparaissent à jamais en conséquence de l’opération militaire israélienne en cours. Selon l’Afrique du Sud, cet état de fait justifie l’indication d’une mesure prescrivant à Israël d’accorder un accès sans entrave à Gaza aux « personnes capables d’enquêter sur les atrocités qui sont en train d’être commises », et ce tout
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particulièrement eu égard à la découverte récente de multiples fosses communes à l’hôpital Nasser, à Khan Younès, et à l’hôpital Al-Shifa, dans la ville de Gaza avec des corps « qui présenteraient des signes de torture et d’exécution sommaire ».
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39. Israël soutient que les allégations portées contre lui sont « à l’évidence fausses » et que nombre des assertions formulées par l’Afrique du Sud n’ont de fondement ni en fait ni en droit. Le défendeur argue que les mesures conservatoires indiquées par la Cour qui sont actuellement en vigueur suffisent amplement, et prétend que l’Afrique du Sud n’a pas établi que les « mesures extrêmes » qu’elle sollicite à présent seraient justifiées.
40. Israël soutient qu’il n’a jamais lancé d’« attaque de grande envergure » contre Rafah, mais a mené des opérations spécifiques, limitées et localisées, précédées d’évacuations graduelles et localisées et accompagnées de mesures d’appui aux activités humanitaires. Il affirme que, soucieux de faciliter l’évacuation de civils de parties de la région de Rafah où il était prévu que se déroulent d’intenses hostilités, il avait « initialement défini, dans la région d’Al-Mawasi, une zone humanitaire » éloignée du théâtre prévu de celles-ci. Le défendeur ajoute que cette zone a « été considérablement étendue » depuis le début de l’offensive militaire.
41. Selon le défendeur, les forces de défense israéliennes ont établi des « [z]ones de tir restreint » et instaurent des « suspensions tactiques des combats le long des voies d’évacuation », afin d’assurer une meilleure protection aux Palestiniens quittant les lieux. Israël ajoute que deux grandes routes permettent de rejoindre cette « zone humanitaire », de sorte qu’il est possible d’acheminer l’aide, y compris celle arrivant par la jetée flottante installée au large de la côte de Gaza, laquelle est opérationnelle depuis le 17 mai 2024. Il prétend également qu’il facilite activement la fourniture de nourriture, d’eau et d’abris, et que six des huit hôpitaux de campagne de Gaza se trouvent dans cette zone. Israël soutient avoir acheté 40 000 tentes permettant d’abriter 320 000 personnes dans la zone humanitaire, 7 000 d’entre elles étant déjà parvenues à Gaza. Selon ses estimations, quelque 800 000 civils ont évacué la zone de Rafah à ce jour, par suite des avertissements concernant certains secteurs émis par les forces de défense israéliennes, ou de leur propre initiative.
42. Israël soutient qu’une ordonnance de la Cour lui imposant de cesser les hostilités « reviendrait à abandonner, livrés à leur sinistre sort, les 132 otages qui croupissent dans les tunnels du Hamas [et] laisserait à celui-ci les mains libres pour poursuivre ses attaques contre le territoire et les civils israéliens ». Israël soutient également que son opération militaire à Rafah a pour objectif de protéger ses civils et de sauver les otages israéliens encore aux mains du Hamas et d’autres groupes armés. Le défendeur ajoute que l’État israélien dispose des mécanismes nécessaires pour examiner et instruire les plaintes mettant en cause ses forces militaires et pour garantir que les auteurs d’actes répréhensibles en rendront compte.
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43. La Cour rappelle que, le 7 mai 2024, après des semaines d’intensification de ses bombardements, Israël a lancé une offensive militaire à Rafah, et que, en conséquence, au 18 mai 2024, le nombre de Palestiniens déplacés de Rafah s’élevait à environ 800 000 (voir ci-dessus, paragraphe 28).
44. La Cour note que de hauts responsables de l’ONU n’ont cessé de souligner les risques immenses qu’entraînerait une offensive militaire à Rafah. Ainsi, le 3 mai 2024, le porte-parole du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a mis en garde contre le « danger de mort immédiat » qu’une offensive contre Rafah ferait peser sur des « centaines de milliers de personnes » et les graves incidences qu’elle aurait sur l’opération humanitaire dans l’ensemble de la bande de Gaza, laquelle est essentiellement dirigée depuis Rafah (OCHA, « Hostilities in the Gaza Strip and Israël — Flash Update #162 », 6 mai 2024). Le 6 mai 2024, le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) a rapporté que la moitié environ des quelque 1,2 million de Palestiniens réfugiés à Rafah étaient des enfants, et averti que le déploiement d’opérations militaires à Rafah provoquerait « la destruction totale des rares services de base et infrastructures essentielles encore en fonctionnement dont [c]es enfants dépendent pour survivre » (UNICEF, « Les 600 000 enfants présents à Rafah n’ont “aucun endroit sûr où aller”, avertit l’UNICEF », communiqué de presse, 6 mai 2024).
45. Des sources de l’ONU indiquent que les risques susmentionnés ont commencé à devenir réalité, et augmenteront encore si l’opération se poursuit. Ainsi, le 8 mai 2024, le directeur général de l’Organisation mondiale de la Santé a rapporté que l’hôpital Al-Najjar, l’un des derniers établissements de soins du gouvernorat de Rafah, n’était plus en état de fonctionner en raison des hostilités en cours dans ses environs. Le 17 mai 2024, le Programme alimentaire mondial (PAM) a indiqué qu’il n’avait pu accéder à son entrepôt à Rafah depuis plus d’une semaine et observé que « [l]’incursion à Rafah constitu[ait] un revers important par rapport aux modestes progrès récents en matière d’accès » (PAM, « Mises à jour sur Gaza : le PAM répond à la crise de la faim alors que l’incursion de Rafah coupe l’accès à l’entrepôt », communiqué de presse, 17 mai 2024).
46. D’après les informations dont elle dispose, la Cour n’est pas convaincue que les mesures d’évacuation et dispositions connexes qu’Israël affirme avoir prises en vue de renforcer la protection des civils de la bande de Gaza, et en particulier des personnes récemment contraintes de fuir le gouvernorat de Rafah, soient suffisantes pour atténuer le risque immense auquel l’offensive militaire à Rafah expose la population palestinienne. La Cour observe ainsi que, selon une déclaration faite le 18 mai 2024 par le commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), M. Philippe Lazzarini,
« [l]es zones vers lesquelles fuit la population sont dépourvues d’approvisionnement en eau salubre et de services d’assainissement. Al-Mawasi — à titre d’exemple — est une terre agricole sablonneuse de 14 kilomètres carrés qui ne compte que peu, voire pas, de bâtiments et de routes, et où les gens n’ont nulle part où s’abriter. Les conditions minimales requises pour pouvoir fournir une aide humanitaire d’urgence en toute sécurité et dans la dignité n’y sont pas présentes. »
La Cour relève qu’Israël n’a pas fourni d’informations suffisantes concernant la sécurité de la population pendant l’évacuation, ou la présence dans la région d’Al-Mawasi des quantités d’eau, d’installations sanitaires, de nourriture, de médicaments et d’abris nécessaires aux 800 000 Palestiniens ayant dû fuir à ce jour. Par conséquent, elle estime qu’Israël n’a pas suffisamment répondu aux préoccupations que soulève son offensive militaire à Rafah, ni dissipé les inquiétudes à ce sujet.
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47. Au vu de ce qui précède, et compte tenu des mesures conservatoires indiquées dans ses ordonnances des 26 janvier et 28 mars 2024, la Cour estime que la situation actuelle découlant de l’offensive militaire d’Israël à Rafah entraîne un risque accru qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits plausibles revendiqués par l’Afrique du Sud et qu’il y a urgence, c’est-à-dire qu’il existe un risque réel et imminent qu’un tel préjudice soit causé avant que la Cour ne se prononce de manière définitive.
III. CONCLUSION ET MESURES À ADOPTER
48. La Cour conclut, à la lumière des considérations qui précèdent, que les circonstances de l’espèce exigent qu’elle modifie la décision énoncée dans son ordonnance du 28 mars 2024.
49. La Cour rappelle que, conformément au paragraphe 2 de l’article 75 de son Règlement, lorsqu’une demande en indication de mesures conservatoires lui est présentée, elle a le pouvoir, en vertu de son Statut, d’indiquer des mesures totalement ou partiellement différentes de celles qui sont sollicitées. En la présente espèce, ayant examiné le libellé des mesures conservatoires demandées par l’Afrique du Sud, ainsi que les circonstances de l’affaire, la Cour estime que les mesures à indiquer n’ont pas à être identiques à celles qui sont sollicitées.
50. La Cour considère qu’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide, arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique totale ou partielle.
51. La Cour rappelle que, dans son ordonnance du 26 janvier 2024, elle a, entre autres, prescrit à Israël de « prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention » sur le génocide (voir ci-dessus, paragraphe 5). Dans ces circonstances, la Cour est également d’avis que, afin de préserver les éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention, Israël doit prendre des mesures permettant effectivement de garantir l’accès sans entrave à la bande de Gaza à toute commission d’enquête, toute mission d’établissement des faits ou tout autre organisme chargé par les organes compétents de l’ONU d’enquêter sur des allégations de génocide.
52. La Cour considère également que la situation catastrophique à Gaza confirme la nécessité que soient immédiatement et effectivement mises en oeuvre les mesures indiquées dans ses ordonnances des 26 janvier et 28 mars 2024, qui sont applicables à l’ensemble de la bande de Gaza, y compris Rafah. Dans ces circonstances, elle juge nécessaire de réaffirmer les mesures indiquées dans ces ordonnances. Ce faisant, la Cour tient à souligner que la mesure figurant à l’alinéa a) du point 2 du dispositif (paragraphe 51) de son ordonnance du 28 mars 2024, prescrivant que soit assurée, « sans restriction et à grande échelle, la fourniture par toutes les parties intéressées des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence », impose au défendeur de maintenir ouvert tout point de passage terrestre, et en particulier celui de Rafah.
53. Au vu des mesures conservatoires spécifiques qu’elle a décidé d’indiquer, la Cour considère qu’Israël doit, dans un délai d’un mois à compter de la date de la présente ordonnance, lui soumettre un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à cette ordonnance. Le rapport ainsi soumis sera ensuite communiqué à l’Afrique du Sud, qui aura la possibilité de faire part à la Cour de ses observations à son sujet.
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54. La Cour rappelle que ses ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de l’article 41 du Statut ont un caractère obligatoire et créent donc des obligations juridiques internationales pour toute partie à laquelle ces mesures sont adressées (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 22 février 2023, C.I.J. Recueil 2023, p. 29, par. 65).
55. La Cour souligne que la présente ordonnance est sans préjudice de toute décision concernant le respect par le défendeur de ses ordonnances des 26 janvier et 28 mars 2024.
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56. Dans ses ordonnances des 26 janvier et 28 mars 2024, la Cour s’est dite gravement préoccupée par le sort des personnes enlevées pendant l’attaque en Israël le 7 octobre 2023 et détenues depuis lors par le Hamas et d’autres groupes armés, et a appelé à la libération immédiate et inconditionnelle de ces otages. Elle estime qu’il est profondément inquiétant que nombre de ces otages demeurent en captivité et réitère son appel en faveur de leur libération immédiate et inconditionnelle.
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57. Par ces motifs,
La COUR,
1) Par treize voix contre deux,
Réaffirme les mesures conservatoires indiquées dans ses ordonnances des 26 janvier et 28 mars 2024, qui doivent être immédiatement et effectivement mises en oeuvre ;
POUR : M. Salam, président ; MM. Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ; M. Barak, juge ad hoc ;
2) Indique les mesures conservatoires suivantes :
L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et au vu de la dégradation des conditions d’existence auxquels sont soumis les civils dans le gouvernorat de Rafah :
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a) Par treize voix contre deux,
Arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
POUR : M. Salam, président ; MM. Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ; M. Barak, juge ad hoc ;
b) Par treize voix contre deux,
Maintenir ouvert le point de passage de Rafah pour que puisse être assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence ;
POUR : M. Salam, président ; MM. Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ; M. Barak, juge ad hoc ;
c) Par treize voix contre deux,
Prendre des mesures permettant effectivement de garantir l’accès sans entrave à la bande de Gaza à toute commission d’enquête, toute mission d’établissement des faits ou tout autre organisme chargé par les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies d’enquêter sur des allégations de génocide ;
POUR : M. Salam, président ; MM. Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ; M. Barak, juge ad hoc ;
3) Par treize voix contre deux,
Décide que l’État d’Israël devra, dans un délai d’un mois à compter de la date de la présente ordonnance, soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à cette ordonnance.
POUR : M. Salam, président ; MM. Abraham, Yusuf, Mme Xue, MM. Bhandari, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth, MM. Brant, Gómez Robledo, Mme Cleveland, MM. Aurescu, Tladi, juges ;
CONTRE : Mme Sebutinde, vice-présidente ; M. Barak, juge ad hoc.
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Fait en anglais et en français, le texte anglais faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le vingt-quatre mai deux mille vingt-quatre, en trois exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement de la République sud-africaine et au Gouvernement de l’État d’Israël.
Le président,
(Signé) Nawaf SALAM.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
Mme SEBUTINDE, vice-présidente, joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente ; MM. les juges NOLTE, AURESCU et TLADI joignent des déclarations à l’ordonnance ; M. le juge ad hoc BARAK joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente.
(Paraphé) N.S.
(Paraphé) Ph.G.
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Demande tendant à la modification de l'ordonnance du 28 mars 2024 indiquant des mesures conservatoires

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Ordonnance du 24 mai 2024

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