Exposé écrit de l'Arménie sur les exceptions préliminaires soulevées par l'Azerbaïdjan

Document Number
180-20230821-WRI-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
19226
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
APPLICATION DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE (ARMÉNIE c. AZERBAÏDJAN)
OBSERVATIONS ET CONCLUSIONS DE LA RÉPUBLIQUE D’ARMÉNIE SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DE LA RÉPUBLIQUE D’AZERBAÏDJAN
VOLUME I
21 août 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION .......................................................................................................................... 1
II. L’ARMÉNIE A SATISFAIT À LA CONDITION PRÉALABLE DE NÉGOCIATION ÉNONCÉE À L’ARTICLE 22 DE LA CIEDR ...................................................................................................... 6
III. LA COUR A COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE POUR CONNAÎTRE DE TOUTES LES DEMANDES DE L’ARMÉNIE ...................................................................................................... 11
A. Les demandes de l’Arménie relèvent de la CIEDR même si elles relèvent également du droit international humanitaire ..................................................................................... 13
B. Les demandes de l’Arménie concernant des faits discriminatoires de meurtre, de torture, de traitement inhumain, de détention arbitraire et de disparition forcée commis par l’Azerbaïdjan relèvent toutes de la CIEDR ................................................... 15
1. Les demandes de l’Arménie concernant des faits discriminatoires de meurtre, de torture et de traitement inhumain commis par l’Azerbaïdjan contre des personnes d’origine ethnique arménienne entrent dans le champ d’application de la CIEDR................................................................................................................. 16
2. Les demandes de l’Arménie concernant la détention arbitraire et discriminatoire de personnes d’origine ethnique arménienne par l’Azerbaïdjan entrent dans le champ d’application de la CIEDR ............................................................................... 24
3. Les demandes de l’Arménie concernant des faits discriminatoires de disparition forcée ayant visé des personnes d’origine ethnique arménienne aux mains de l’Azerbaïdjan entrent dans le champ d’application de la CIEDR ................................ 31
4. L’arménophobie générale cautionnée et encouragée par l’Azerbaïdjan est un facteur pertinent pour déterminer si des actes donnés étaient fondés sur des considérations raciales ................................................................................................. 33
C. À titre subsidiaire, l’Azerbaïdjan préjuge le fond par sa deuxième exception préliminaire et celle-ci ne peut donc pas faire l’objet d’une décision au stade préliminaire ....................................................................................................................... 39
IV. CONCLUSIONS .......................................................................................................................... 42
I. INTRODUCTION
1. Comme suite à l’ordonnance de la Cour en date du 25 avril 2023, la République d’Arménie (ci-après l’« Arménie ») soumet le présent exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires de la République d’Azerbaïdjan (ci-après l’« Azerbaïdjan »), qui vient compléter les moyens de droit et de preuve qu’elle a mis en avant dans son mémoire en date du 23 janvier 2023 (ci-après le « mémoire ») et dans sa requête en date du 16 septembre 2021 (ci-après la « requête »).
2. L’Azerbaïdjan demande à la Cour de « rejeter la requête de l’Arménie dans son intégralité » sous prétexte qu’« aucune des demandes qu’elle contient n’a été soumise à la Cour dans les règles », l’Arménie n’ayant prétendument « pas satisfait à la condition préalable de négociation énoncée à l’article 22 » de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la « CIEDR »)1. À titre cumulatif ou subsidiaire, l’Azerbaïdjan prie la Cour de rejeter les demandes de l’Arménie concernant les faits de meurtre, de torture, de traitement inhumain, de détention et de disparition forcée qu’il a commis sur des personnes d’origine ethnique arménienne, sous prétexte que la Cour n’aurait « pas compétence ratione materiae » pour en connaître car ces demandes n’entreraient « pas dans le champ d’application de la CIEDR »2. Les exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan sont sans fondement et doivent être rejetées.
3. La première exception préliminaire de l’Azerbaïdjan — à savoir que l’Arménie n’aurait pas satisfait à la condition préalable de négociation énoncée à l’article 22 — est vouée à l’échec pour la seule raison qu’après l’échange de plus de 40 pièces de correspondance et la tenue de non moins de sept séries de réunions bilatérales, les positions fondamentales des Parties n’ont pas du tout évolué. Dans la première réponse qu’il a faite à l’Arménie lorsque celle-ci lui a notifié l’existence d’un différend, l’Azerbaïdjan s’est borné à dire qu’il « rejet[ait] les allégations [de] l’Arménie »3. Et à la dernière réunion entre les Parties, près d’un an plus tard, il a de nouveau exprimé son « rejet[] catégorique[] » des demandes de l’Arménie4. Dans son ordonnance du 7 décembre 2021 sur la première demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie (ci-après l’« ordonnance du 7 décembre 2021 »), la Cour elle-même a constaté qu’« il sembl[ait] que [les] positions [des Parties] sur le manquement allégué de l’Azerbaïdjan aux obligations mises à sa charge par la convention soient restées inchangées et que les négociations aient abouti à une impasse »5. Dans ses exceptions préliminaires, l’Azerbaïdjan non seulement fait abstraction de ce fait, mais n’explique pas non plus pourquoi la Cour devrait maintenant conclure différemment.
1 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), exceptions préliminaires de la République d’Azerbaïdjan (21 avril 2023) (ci-après les « exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan »), par. 71.
2 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 71.
3 Lettre adressée le 8 décembre 2020 au ministre des affaires étrangères de l’Arménie par le ministre des affaires étrangères de l’Azerbaïdjan (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), requête et demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie (16 septembre 2021), ci-après « requête et demande de l’Arménie », annexe 14).
4 Note verbale no 2203/1415/2021 adressée le 10 septembre 2021 à la mission permanente de la République d’Azerbaïdjan auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève par la mission permanente de la République d’Arménie auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, p. 1 (requête et demande de l’Arménie, annexe 61).
5 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 361, par. 40-41.
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4. L’Azerbaïdjan laisse pourtant entendre que l’Arménie ne s’est pas vraiment efforcée de négocier un règlement du conflit, et qu’elle aurait dû continuer de négocier malgré le rejet catégorique que lui-même oppose systématiquement à ses demandes. Or, les dizaines d’échanges contenus dans le dossier de l’affaire ne laissent pas de doute sur le fait que l’Arménie a pris les négociations au sérieux. On ne pouvait s’attendre à ce qu’elle négocie ad infinitum avec l’Azerbaïdjan quand celui-ci continuait non seulement de nier tout méfait quel qu’il soit, mais aussi de prendre encore d’autres mesures — telle la création de son « parc des trophées militaires » manifestement arménophobe — qui étaient autant de nouvelles violations de la CIEDR et aggravaient le différend entre les Parties. On pouvait d’autant moins attendre de l’Arménie qu’elle continue de négocier alors que, comme l’a conclu la Cour dans son ordonnance du 7 décembre 2021, il y avait « urgence », c’est-à-dire qu’il existait « un risque réel et imminent » qu’un préjudice soit causé à des droits plausibles garantis par la CIEDR6. Dans ces circonstances, les allégations de l’Azerbaïdjan, qui reproche à l’Arménie d’avoir rompu « prématurément » les négociations ou tenté d’utiliser la Cour pour « lancer une campagne médiatique publique contre [lui] »7, ne sont pas défendables.
5. La deuxième exception préliminaire, par laquelle l’Azerbaïdjan affirme que la Cour n’a pas compétence ratione materiae pour connaître des demandes de l’Arménie concernant des faits de meurtre, de torture, de traitement inhumain, de détention et de disparition forcée qu’il a commis sur des personnes d’origine ethnique arménienne, est tout aussi dénuée de fondement que la première. En toute hypothèse, les actes en cause sont « susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale »8 et « entrent dans les prévisions » de la CIEDR9.
6. L’Azerbaïdjan reconnaît lui-même que les actes qui attentent au droit international humanitaire peuvent aussi porter atteinte à la CIEDR, mais affirme néanmoins que « le simple fait que les peuples de deux États en guerre soient, et c’est fréquent, majoritairement d’origines ethniques différentes ne transforme pas, sans autre facteur, chaque acte de guerre en une distinction “fondé[e] sur” l’origine ethnique »10. L’Arménie n’en disconvient pas. Elle réfute en revanche l’argument de l’Azerbaïdjan, qui affirme que les actes qu’elle dénonce « sont susceptibles de soulever des questions de droit international humanitaire, mais ne relèvent pas de la CIEDR »11. Il est d’ailleurs douteux que l’Azerbaïdjan le croie lui-même.
7. Tout d’abord, nombre des actes en cause s’accompagnaient de manifestations explicites de haine raciale (ce qui n’est pas la même chose que l’hostilité à l’égard de personnes d’une nationalité
6 Ibid., p. 361, par. 70, 80.
7 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 20.
8 Voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 71, par. 112.
9 Voir Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 7, par. 52 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), p. 558, par. 57.
10 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 8.
11 Ibid.
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donnée), telles que « je b*** ton peuple »12, « ce ne sont pas des humains »13 et « on va éliminer leur race »14. En outre, les auteurs des actes en cause traitaient de façon répétée leurs victimes de « chiens », une insulte visant les personnes d’origine ethnique arménienne qui a été popularisée par le président Aliyev et dont l’Azerbaïdjan admet lui-même la « possible dimension ethnique »15. Un militaire azerbaïdjanais s’est ouvertement vanté d’avoir commis des atrocités sur des personnes d’origine ethnique arménienne, clamant : « Arméniens du monde entier, aujourd’hui j’ai b*** votre mère. T*pettes ! »16 Il est impossible d’interpréter l’expression « Arméniens du monde entier » autrement que comme une référence aux Arméniens en tant que groupe ethnique. Ces propos n’ont pas de quoi surprendre : il a déjà été montré dans le mémoire comment l’Azerbaïdjan a systématiquement propagé la haine des personnes d’origine ethnique arménienne, qui sont présentées dans les manuels scolaires azerbaïdjanais comme des « ennemis génétiques »17 et des « vauriens » dans les veines desquels « coule le sang du diable »18. Rien ne permet de penser que ces propos visent uniquement les Arméniens en tant que ressortissants, et l’Azerbaïdjan n’a d’ailleurs pas réellement cherché à démontrer qu’il en allait ainsi.
8. Parmi les victimes des plus de 100 faits de discrimination raciale qui ont été filmés ou photographiés, certaines ont été assassinées, et d’autres ont simplement disparu19. Or, l’Azerbaïdjan nie encore et toujours avoir détenu ou tué un grand nombre de ces personnes, malgré les preuves, notamment des vidéos, des photos et des témoignages d’anciens détenus, qui montrent que la plupart d’entre elles, sinon toutes, se sont trouvées sous sa garde et que beaucoup ont alors été tuées en raison de leur appartenance ethnique20.
9. Les personnes d’origine ethnique arménienne qui ont eu la chance de survivre à leur captivité aux mains de l’Azerbaïdjan ont témoigné, entre autres, avoir été torturées dans des centres de détention, et contraintes d’écouter des discours racistes, de s’incriminer elles-mêmes et de signer
12 Vidéo montrant l’exécution d’un militaire arménien hors de combat (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) [attention : images choquantes] (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mémoire de l’Arménie (23 janvier 2023) (ci-après le « mémoire de l’Arménie »), annexe 131).
13 Vidéo montrant un soldat azerbaïdjanais faisant feu sur la dépouille d’un soldat arménien (avec annotations telles que des sous-titres anglais certifiés conformes à l’original) [attention : images choquantes] (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 169).
14 Vidéo no 1 montrant des soldats azerbaïdjanais en train de mutiler les dépouilles d’Arméniens (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) [attention : images choquantes] (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 134).
15 Voir exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 45 (« Même dans la petite poignée de cas où de supposés militaires azerbaïdjanais ont tenu des propos dénigrants ayant une possible dimension ethnique — parlant par exemple de “chiens arméniens” — en même temps que d’autres paroles insultantes, ces propos traduisent une hostilité entre des soldats en guerre de camps opposés, et non une discrimination fondée sur l’origine ethnique. »)
16 Vidéo de propagande dans laquelle sont compilées des images d’atrocités commises par des Azerbaïdjanais (septembre 2022), 00:55-01:01 (traduction anglaise certifiée conforme du russe) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 148).
17 “Armenophobia in the Textbooks Used in Azerbaijan: History, Grade 11”, Azerichild.info, accessible à l’adresse suivante : https://azerichild.education/en/class-11-tarix.html (dernière consultation le 1er décembre 2022), p. 2 (mémoire de l’Arménie, annexe 104).
18 A. Erogul, “Additional Reading Book for Secondary School Students” in HALA (2011), accessible à l’adresse suivante : http://azerichild.info/HALE.pdf, p. 3 (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) (mémoire de l’Arménie, annexe 107).
19 Voir mémoire de l’Arménie, parties III. 2. II, III. 3. I, IV. 1, IV. 2. I. A. Voir aussi Illustrative List of Videos and Photographs of War Crimes Committed by the Agents of Azerbaijan During and After the Second Nagorno-Karabakh War (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 290).
20 Voir mémoire de l’Arménie, partie IV. 3.
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des déclarations qu’elles ne comprenaient pas21. De nombreux détenus arméniens ont été condamnés à l’issue de « procès qui ne respectaient pas les droits de la défense » par un système dans lequel les procédures judiciaires engagées par des personnes d’origine ethnique arménienne pour protéger leurs droits sont réputées « échoue[r] systématiquement en raison du climat général négatif » d’animosité qui règne à l’égard de ces personnes22. Dans ces circonstances, il n’est guère surprenant que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (ci-après le « Comité de la CIEDR ») ait lui-même demandé à l’Azerbaïdjan de « men[er] des enquêtes efficaces, approfondies et impartiales sur les allégations de violations des droits humains des … personnes protégées d’origine ethnique ou nationale arménienne, y compris les informations concernant des exécutions sommaires, des disparitions forcées, des actes de torture et autres mauvais traitements et des détentions arbitraires »23.
10. L’Azerbaïdjan soutient cependant que l’Arménie s’est « content[ée] de présumer que tout acte répréhensible qui aurait été commis contre un ressortissant arménien » était fondé sur l’origine ethnique24, et que ceux qu’elle lui impute ont été commis, par exemple, « contre des membres de l’armée adverse ou même contre des civils de l’État ennemi »25. Or, nombre des atrocités de l’Azerbaïdjan ne visaient pas des militaires arméniens mais des civils d’origine ethnique arménienne résidant au Haut-Karabakh. C’est précisément la raison pour laquelle les forces de maintien de la paix de la Fédération de Russie ont été déployées, pour « prévenir la mort massive de la population civile » au Haut-Karabakh26 ; et c’est aussi pourquoi l’Azerbaïdjan parle de « nettoyage » du Haut-Karabakh, comme sur le timbre-poste qu’il a émis27. Étant donné que l’Azerbaïdjan considère
21 Voir mémoire de l’Arménie, parties III. 2. II, III. 3. I. A. 2, IV. 2. I. A.
22 Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), Second rapport sur l’Azerbaïdjan (second cycle de monitoring) (15 décembre 2006), par. 109, accessible en français à l’adresse suivante : https://rm.coe.int/second- rapport-sur-l-azerbaidjan/16808b557c (mémoire de l’Arménie, annexe 22).
23 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Observations finales concernant le rapport de l’Azerbaïdjan valant dixième à douzième rapports périodiques, Nations Unies, doc. CERD/C/AZE/CO/10-12 (22 septembre 2022), p. 2, accessible en français à l’adresse suivante : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybody external/Download.aspx?symbolno=CERD%2FC%2FAZE%2FCO%2F10-12&Lang=en (mémoire de l’Arménie, annexe 5).
24 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 68.
25 Ibid., par. 48.
26 The Federation Council of the Federal Assembly of the Russian Federation, On the use of a military unit of the Armed Forces of the Russian Federation in Nagorno-Karabakh (18 novembre 2020), accessible à l’adresse suivante : http:// council.gov.ru/activity/documents/121580/ (traduction anglaise certifiée conforme du russe) (Demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie en date du 27 décembre 2022, annexe 23).
27 Voir mémoire de l’Arménie, partie III. 3. II. C (citant “Postage stamps dedicated to Azerbaijani heroes issued”, AZTV (6 janvier 2023), accessible à l’adresse suivante : http://www.aztv.az/en/news/11015/postage-stamps-dedicated-to- azerbaijani-heroes-issued, p. 2 (annexe 47) ; A. Galitsky, “Azerbaijan’s Dehumanization of Armenians Echoes Horrors of Holocaust”, The Times of Israel (30 janvier 2021), accessible à l’adresse suivante : https://blogs.timesofisrael.com/ azerbaijans-dehumanization-of-armenians-echoes-horrors-of-holocaust/, p. 3 (mémoire de l’Arménie, annexe 114) ; “Azerbaijani postal stamps accused of spreading anti-Armenian propaganda”, The Calvert Journal (12 janvier 2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.calvertjournal.com/articles/show/12442/azerbaijan-stamps-nagorno- karabakhwar-anti-armenian-propaganda, p. 1 (annexe 41) ; N. Sahakyan, “The rhetorical face of enmity: the Nagorno-Karabakh conflict and the dehumanization of Armenians in the speeches by Ilham Aliyev”, Southeast European and Black Sea Studies (29 novembre 2022), accessible à l’adresse suivante : https://doi.org/10.1080/14683857.2022. 2153402, p. 2, 13 (annexe 35)).
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les personnes d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh comme ses propres citoyens
28, les actes dénoncés sont tous clairement « susceptibles » d’être constitutifs de discrimination raciale et entrent par conséquent dans les prévisions de la CIEDR. Rien ne permet de prétendre que les exactions commises par l’Azerbaïdjan ne sont que des « hostilités entre deux États engagés dans un conflit armé et ne soulèvent aucune question touchant l’interprétation ou l’application de la CIEDR »29.
11. Cela étant, même si elle ne pouvait pas être rejetée maintenant (quod non), la deuxième exception soulevée par l’Azerbaïdjan n’aurait toujours pas un caractère exclusivement préliminaire et ne se prêterait donc pas à une décision à ce stade préliminaire. Tout en affirmant que la Cour « n’a … pas besoin d’évaluer les éléments de preuve ou d’examiner d’autres aspects du fond pour rejeter [les] demandes de l’Arménie »30, l’Azerbaïdjan prétend que celles-ci ne sont pas suffisamment étayées31 et produit une annexe (annexe 46) supposée donner la liste des « preuves produites par l’Arménie à l’appui de sa demande »32. Outre que l’annexe 46 omet sélectivement des dizaines de pièces jointes et de pages d’argumentation soumises par l’Arménie33, et ne constitue donc pas une synthèse fiable des éléments de preuve et arguments appuyant ses demandes, le fait même que l’Azerbaïdjan utilise cette annexe 46 à des fins d’argutie contredit son argument que la Cour, pour retenir la deuxième exception préliminaire, n’aurait pas besoin « d’évaluer les éléments de preuve ou d’examiner d’autres aspects du fond » de l’affaire34. Les exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan doivent par conséquent être rejetées pour cette raison également.
12. Le reste du présent exposé écrit se décompose comme suit :
13. À la partie II, nous examinerons la première exception préliminaire de l’Azerbaïdjan et expliquerons que l’Arménie a bien satisfait à la condition préalable de négociation énoncée à l’article 22 de la CIEDR.
28 “Armenians living in Karabakh will have no status, no independence and no special privilege: President Ilham Aliyev”, APA (12 août 2022), accessible à l’adresse suivante : https://apa.az/en/official-news/armenians-living-in- karabakh-will-haveno-status-no-independence-and-no-special-privilege-president-ilham-aliyev-382715, p. 2 (où le président Aliyev déclare ce qui suit : « Parce que les Arméniens vivant au Karabakh n’auront aucun statut, aucune indépendance et aucun privilège particulier. Ce sont des citoyens azerbaïdjanais comme les autres ») (annexe 44) ; “Ilham Aliyev attended the international conference themed ‘South Caucasus: Development and Cooperation’ at ADA University”, President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (29 avril 2022), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/ en/articles/view/55909, p. 15 (« J’ai déjà dit que les Arméniens qui habitent au Karabakh, nous les considérons comme nos ressortissants ») (annexe 16) ; Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Rapport valant dixième à douzième rapports périodiques soumis par l’Azerbaïdjan en application de l’article 9 de la convention, attendu en 2019, Nations Unies, doc. CERD/C/AZE/10-12 (10 octobre 2019), par. 114 (« Les membres de toutes les minorités ethniques vivant en Azerbaïdjan, y compris les Arméniens de souche, sont des citoyens azerbaïdjanais »), accessible en français à l’adresse suivante : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CERD%2FC% 2FAZE%2F10-12&Lang=en (annexe 10). Voir aussi, par exemple, CR 2023/2, par. 6-7 (Mammadov) (« [L]es personnes d’origine arménienne sont les bienvenues en tant que citoyens de l’Azerbaïdjan »).
29 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 30.
30 Ibid., par. 41.
31 Voir, par exemple, ibid., par. 60 (« Les “accusations mensongères” et les “chefs d’accusation spécieux” auxquels l’Arménie fait référence … ne sont corroborés par aucun élément factuel dans son mémoire »).
32 Voir Table of Armenia’s Claims and Factual Allegations That Do Not Fall Within CERD (exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, annexe 46).
33 Voir infra, par. 38, note 80. Voir aussi infra, par. 105.
34 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 41.
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14. À la partie III, nous examinerons la deuxième exception préliminaire de l’Azerbaïdjan et expliquerons pourquoi la Cour a compétence ratione materiae pour connaître de toutes les demandes de l’Arménie. Plus particulièrement, nous expliquerons à la partie III. A pourquoi ces demandes relèvent de la CIEDR même si elles soulèvent aussi des questions de droit international humanitaire ; à la partie III. B, pourquoi les demandes de l’Arménie concernant des faits discriminatoires de meurtre, de torture, de traitement inhumain, de détention et de disparition forcée commis par l’Azerbaïdjan relèvent toutes de la CIEDR ; et à la partie III. C, pourquoi la deuxième exception préliminaire de l’Azerbaïdjan, même à supposer qu’elle ne puisse être rejetée maintenant (elle peut l’être), n’aurait toujours pas un caractère exclusivement préliminaire et ne pourrait donc pas faire l’objet d’une décision au stade préliminaire.
15. Enfin, nous présenterons à la partie IV les conclusions de l’Arménie.
II. L’ARMÉNIE A SATISFAIT À LA CONDITION PRÉALABLE DE NÉGOCIATION ÉNONCÉE À L’ARTICLE 22 DE LA CIEDR
16. Par sa première exception préliminaire, l’Azerbaïdjan prétend que l’Arménie n’a « pas satisfait à la condition préalable de négociation énoncée à l’article 22 de la CIEDR ». Il se trompe.
17. Comme la Cour l’a relevé dans son ordonnance du 7 décembre 2021 :
« [L]es Parties ont entretenu une correspondance sous la forme d’une série de notes diplomatiques de novembre 2020 à septembre 2021 et ont tenu plusieurs séries de réunions bilatérales traitant des modalités procédurales ainsi que de l’étendue et des sujets de leurs négociations portant sur les manquements allégués à des obligations découlant de la CIEDR »35.
18. En effet, avant que l’Arménie n’introduise l’instance, les Parties avaient échangé plus de 40 pièces de correspondance36 et participé à non moins de sept séries de réunions bilatérales37, toutes dans le but de résoudre amiablement le différend qui les oppose.
19. Tous ces efforts ont cependant été vains. La Cour elle-même a constaté ce qui suit dans son ordonnance du 7 décembre 2021 :
« [D]u premier échange … jusqu’à la dernière réunion bilatérale …, les positions des Parties ne semblent pas avoir évolué. Bien que ces dernières aient réussi à s’entendre sur certaines modalités procédurales …, aucun progrès similaire n’a été fait sur les questions de fond relatives aux manquements aux obligations découlant de la CIEDR. Les éléments dont dispose la Cour au sujet des sessions bilatérales tenues les 15 et 16 juillet, 30 et 31 août, et 14 et 15 septembre 2021, montrent une absence de progrès dans la recherche d’un terrain d’entente sur les questions de fond. … Bien que l’Arménie, lors d’échanges bilatéraux, ait reproché à l’Azerbaïdjan d’avoir manqué à diverses obligations découlant de la CIEDR, et que les Parties aient, à maintes reprises
35 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 361, par. 39.
36 Voir mémoire de l’Arménie, note 1791 (citant requête et demande de l’Arménie, annexes 10, 14-15, 18-34, 36-46, 48-50, 52-55, 57-61).
37 Ces séries de réunions se sont tenues les 2 et 3 mars, 6 et 7 avril, 19 et 20 avril, 31 mai et 1er juin, 15 et 16 juillet, 30 et 31 août et 14 et 15 septembre 2021.
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sur une période de plusieurs mois, échangé des courriers et tenu des réunions, il semble que leurs positions sur le manquement allégué de l’Azerbaïdjan aux obligations mises à sa charge par la convention soient restées inchangées et que les négociations aient abouti à une impasse. »
38
20. Cela pris en compte, la Cour a conclu de la sorte : « Il apparaît donc … que le différend entre les Parties concernant l’interprétation et l’application de la CIEDR n’avait pas été réglé par voie de négociation à la date du dépôt de la requête. »39
21. L’Azerbaïdjan fait fi de tout cela dans ses exceptions préliminaires, préférant affirmer que l’Arménie n’a pas satisfait à l’exigence d’avoir « tent[é] vraiment … d’ouvrir le débat avec l’autre partie en vue de régler le différend », parce que ses tentatives n’étaient pas véritables40. Le dossier fait apparaître l’exact contraire. L’Arménie est entrée en négociation avec l’intention véritable de trouver un règlement amiable au différend. Elle a eu des échanges répétés avec l’Azerbaïdjan alors même que celui-ci persistait dans ses violations flagrantes de la convention. Par exemple, pendant que les négociations suivaient leur cours, l’Azerbaïdjan a ouvert son tristement célèbre « parc des trophées militaires », encourageant, défendant et soutenant ainsi des actes de discrimination raciale, en violation des articles 2 1) b), 4 c) et 5 b) de la CIEDR41.
22. D’entrée de jeu, l’Azerbaïdjan a catégoriquement rejeté les demandes de l’Arménie tout en se prétendant prêt à négocier. Sa position est restée inchangée d’un bout à l’autre des négociations. Avant que l’Arménie ne saisisse la Cour, les positions fondamentales des Parties n’avaient clairement pas évolué malgré de nombreux échanges et réunions — comme la Cour l’a justement relevé dans son ordonnance du 7 décembre 202142. Alors que l’Arménie a rappelé dans sa requête43 et dans son mémoire44 que telle est la position de longue date de la Cour, l’Azerbaïdjan, lui, n’essaie d’aucune manière d’entendre que la condition préalable de négociation est remplie « lorsque “les positions [des Parties] n’[on]t, pour l’essentiel, pas évolué” à la suite de plusieurs échanges de correspondance diplomatique ou de réunions »45.
23. Le dossier de l’affaire montre on ne peut plus clairement que les positions des Parties n’ont pas évolué au fil des négociations. Après que l’Arménie lui eut fait part de ses griefs en lien avec la
38 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 361, par. 40-41.
39 Ibid., par. 41.
40 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 5 et 14 (citant Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 70, par. 157).
41 Voir mémoire de l’Arménie, par. 3.384-3.393, 6.102-6.103.
42 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 361, par. 40-41.
43 Requête et demande de l’Arménie, par. 18.
44 Mémoire de l’Arménie, par. 5.9.
45 Appel concernant la compétence du conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale (Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte et Émirats arabes unis c. Qatar), arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 81, par. 93 (citant Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 422, par. 59, citant Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I), p. 292, par. 76).
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CIEDR dans sa lettre du 11 novembre 2020
46, l’Azerbaïdjan s’est contenté de dire, dans sa réponse du 8 décembre 2020, qu’il « rejet[ait] les allégations formulées dans ladite lettre »47. De fait, « “les points de vue des … [P]arties, quant à l’exécution ou à la non-exécution” de certaines obligations internationales, “[étaie]nt nettement opposés” »48. Ensuite, après que l’Arménie eut réitéré ses plaintes dans sa lettre du 22 décembre 202049, l’Azerbaïdjan a de nouveau répondu, dans sa lettre du 15 janvier 2021, qu’il « maint[enai]t son rejet des allégations de l’Arménie »50.
24. Les positions des Parties n’ont connu aucun changement au cours des mois suivants. Ainsi, dans sa lettre du 5 avril 2021, l’Azerbaïdjan a maintenu qu’il « contest[ait] les manquements à la convention allégués par l’Arménie »51. Et aux réunions entre les Parties tenues les 30 et 31 août 2021, il a de nouveau opposé un « rejet[] catégorique[] … aux allégations de l’Arménie »52.
25. L’Azerbaïdjan argue que certains des échanges entre les Parties portaient sur les modalités des négociations et non sur le fond du différend53. Certes, les Parties ont communiqué sur des questions de procédure pour tenter de faire avancer les négociations. Mais, comme le montre très clairement le dossier, leurs positions fondamentales n’ont pas évolué de novembre 2020 à décembre 2021.
26. L’Azerbaïdjan soutient également avoir fait, aux réunions des 30 et 31 août 2021, certaines « propositions » supposées « correspond[re] à certaines des exigences [que l’Arménie] avait elle-même présentées dans son argumentation au fond »54. L’Azerbaïdjan se trompe encore. Il ressort clairement des remèdes sollicités par l’Arménie sur le fond, tels qu’ils sont présentés à la fin de son mémoire, que ce qui est demandé à la Cour, c’est de déclarer que l’Azerbaïdjan a manqué à la CIEDR et d’ordonner qu’il mette fin à ces manquements et qu’il offre des assurances et des garanties de non-répétition, ainsi qu’une réparation par voie de restitution et d’indemnisation55. À l’inverse, dans ses « propositions », l’Azerbaïdjan réfutait tout manquement à la CIERD et n’offrait ni assurances ni garanties, et encore moins une quelconque forme de réparation56. En effet, comme il l’admet
46 Lettre adressée le 11 novembre 2020 au ministre des affaires étrangères de l’Azerbaïdjan par le ministre des affaires étrangères de l’Arménie (requête et demande de l’Arménie, annexe 10).
47 Lettre adressée le 8 décembre 2020 au ministre des affaires étrangères de l’Arménie par le ministre des affaires étrangères de l’Azerbaïdjan (requête et demande de l’Arménie, annexe 14).
48 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 3, par. 50 (citant Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74).
49 Lettre adressée le 22 décembre 2020 au ministre des affaires étrangères de l’Azerbaïdjan par le ministre des affaires étrangères de l’Arménie (requête et demande de l’Arménie, annexe 15).
50 Lettre adressée le 15 janvier 2021 au ministre des affaires étrangères de l’Arménie par le ministre des affaires étrangères de l’Azerbaïdjan (requête et demande de l’Arménie, annexe 18), p. 2.
51 Délégation de la République d’Azerbaïdjan, Proposed Draft Agenda for 6-7 April 2021 Meeting (5 avril 2021) (requête et demande de l’Arménie, annexe 31).
52 Note verbale no 2203/1415/2021 adressée le 10 septembre 2021 à la mission permanente de la République d’Azerbaïdjan auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève par la mission permanente de la République d’Arménie auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, p. 1 (requête et demande de l’Arménie, annexe 61).
53 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 16.
54 Ibid., par. 18.
55 Mémoire de l’Arménie, partie IX.
56 Letter from Vaqif Sadiqov, Head of Delegation of the Republic of Azerbaijan for negotiations under CERD, to Elnur Mammadov, Deputy Minister of Foreign Affairs (9 octobre 2021) (exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, annexe 45).
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lui-même
57, la totalité de ses « propositions » ne concernaient que des mesures qu’il pourrait « adopter conjointement » avec l’Arménie à l’avenir58. Aucune ne reconnaissait l’existence d’un quelconque acte répréhensible de sa part, ni ne prévoyait un quelconque remède pour les nombreuses violations de la CIEDR qu’il a commises59, ainsi qu’il l’a lui-même reconnu dans une note verbale ultérieure60.
27. De plus, les « propositions » de l’Azerbaïdjan ne tenaient tout simplement aucun compte de certains des remèdes les plus importants sollicités par l’Arménie. Par exemple, celle-ci a maintes fois demandé — tout au long des négociations, dans sa première demande en indication de mesures conservatoires et dans son mémoire — que l’Azerbaïdjan libère tous les prisonniers de guerre et détenus civils d’origine ethnique arménienne61. Le défendeur a rejeté cette demande et n’en a fait aucune mention dans ses « propositions ». Et même dans les cas où ses « propositions » traitaient bien de questions en litige entre les Parties, il tentait de justifier sa conduite illicite. Par exemple, dans l’une, il affirmait que « le parc des trophées militaires … commémor[ait] la libération du territoire de l’Azerbaïdjan … et [que sa création] n’a[vait] jamais visé à encourager la haine des Arméniens »62. Il est donc faux de dire, comme il le fait, que « [l]a comparaison des propositions de l’Azerbaïdjan et des exigences de l’Arménie montre qu’un accord restait possible »63.
28. Il faut également rappeler qu’aux réunions des 30 et 31 août 2021 l’Azerbaïdjan a réaffirmé ses « rejets catégoriques » des demandes de l’Arménie64. Conséquemment, les positions fondamentales des Parties sont restées inchangées durant les négociations.
29. Il convient de noter que la Cour a considéré la condition préalable de négociation comme étant remplie dans des situations où les échanges entre les parties avaient été nettement moins nombreux que dans la présente espèce. Par exemple, dans l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), bien que la Belgique et le Sénégal n’eussent échangé que quelques notes verbales, la Cour a conclu qu’il avait été satisfait à la condition préalable de négociation étant donné que « les Parties n’[avaie]nt pas modifié leurs
57 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 17.
58 Letter from Vaqif Sadiqov, Head of Delegation of the Republic of Azerbaijan for negotiations under CERD, to Elnur Mammadov, Deputy Minister of Foreign Affairs (9 octobre 2021) (exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, annexe 45).
59 Ibid.
60 Note verbale no 0432/27/21/25 adressée le 2 septembre 2021 à la mission permanente de la République d’Arménie auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève par la mission permanente de la République d’Azerbaïdjan auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, p. 1 (requête et demande de l’Arménie, annexe 60) (« L’Azerbaïdjan réaffirme, comme il l’a déjà dit à la session des 30 et 31 août 2021, que ces contre-propositions sont émises sous toutes réserves, comme moyen de règlement du différend actuel, et ne constituent pas un aveu ou une reconnaissance qu’une quelconque déclaration ou action passée emportait violation de la CIEDR »).
61 Mémoire de l’Arménie, conclusion 14 c) ; requête et demande de l’Arménie, par. 131.
62 Letter from Vaqif Sadiqov, Head of Delegation of the Republic of Azerbaijan for negotiations under CERD, to Elnur Mammadov, Deputy Minister of Foreign Affairs (9 octobre 2021) (exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, annexe 45).
63 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 18.
64 Note verbale no 2203/1415/2021 adressée le 10 septembre 2021 à la mission permanente de la République d’Azerbaïdjan auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève par la mission permanente de la République d’Arménie auprès de l’Office des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, p. 1 (requête et demande de l’Arménie, annexe 61).
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positions respectives »
65. De même, dans les affaires du Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), elle a conclu que la condition préalable de négociation avait été remplie alors qu’aucune négociation bilatérale directe n’avait eu lieu entre les parties, au motif, là aussi, que « les thèses respectives ne s[’étaie]nt aucunement modifiées »66. Et dans les affaires de l’Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI, la Cour a conclu que le Qatar avait satisfait à la condition préalable de négociation malgré une communication directe minime entre les parties, car « [r]ien n’indiqu[ait] que les Parties [eusse]nt changé leur position »67. Si la condition préalable de négociation était remplie dans ces affaires, elle l’est a fortiori également en la présente instance.
30. Il est incontestable, dès lors, qu’au moment où l’Arménie a déposé sa requête en septembre 2021 « il n’[étai]t pas raisonnablement permis d’espérer que de nouvelles négociations puissent aboutir à un règlement »68. Non seulement l’Azerbaïdjan refusait de changer sa position fondamentale concernant les griefs de l’Arménie, mais l’affaire avait en outre un caractère de grande urgence du fait des violations persistantes de la CIEDR par l’Azerbaïdjan. L’Arménie n’a donc eu d’autre choix que de déposer une demande en indication de mesures conservatoires en même temps que sa requête, et la Cour, sur cette base, a indiqué des mesures conservatoires.
31. L’Azerbaïdjan a clairement tort de dire que « l’Arménie a cherché à se servir de la Cour comme d’une tribune pour faire connaître ses revendications »69. L’Arménie n’a déposé une requête et une demande en indication de mesures conservatoires que pour une seule raison : remédier à la conduite illicite de l’Azerbaïdjan, ce que les négociations n’avaient pas permis d’obtenir. La Cour y a déjà partiellement remédié. Il est particulièrement ironique que l’Azerbaïdjan prétende « reste[r] disposé à engager un dialogue bilatéral sérieux sur toute question »70 alors qu’il refuse obstinément
65 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 422, par. 59.
66 Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 346.
67 Appel concernant la compétence du conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale (Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte et Émirats arabes unis c. Qatar), arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 81, par. 96 ; Appel concernant la compétence du conseil de l’OACI en vertu de l’article II, section 2, de l’accord de 1944 relatif au transit des services aériens internationaux (Bahreïn, Égypte et Émirats arabes unis c. Qatar), arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 172, par. 97.
68 Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 345 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 422, par. 57 ; Appel concernant la compétence du conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale (Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte et Émirats arabes unis c. Qatar), arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 81, par. 93 ; Appel concernant la compétence du conseil de l’OACI en vertu de l’article II, section 2, de l’accord de 1944 relatif au transit des services aériens internationaux (Bahreïn, Égypte et Émirats arabes unis c. Qatar), arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 172, par. 94.
69 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 20.
70 Ibid.
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de discuter des droits et de la sécurité des personnes d’origine ethnique arménienne au Haut-Karabakh
71.
32. En définitive, il n’était « pas raisonnablement permis d’espérer que de nouvelles négociations puissent aboutir à un règlement »72 entre les Parties. La situation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan reste extrêmement précaire73, notamment en raison du blocus imposé depuis huit mois par l’Azerbaïdjan aux 120 000 habitants d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh, au mépris de l’ordonnance que la Cour a rendue le 22 février 2023 sur la deuxième demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie, et de l’ordonnance qu’elle a rendue le 6 juillet 2023 sur la demande de l’Arménie tendant à la modification de ladite ordonnance. Compte tenu des circonstances, il n’est pas crédible d’affirmer que les Parties auraient pu régler leurs divergences au sujet de la CIEDR en poursuivant les négociations avant que l’Arménie n’introduise la présente instance. L’Arménie fait le même sombre constat s’agissant des demandes de l’Azerbaïdjan au titre de la CIEDR, déposées une semaine à peine après les siennes, et n’a donc pas cherché à faire croire que les négociations n’avaient pas été vaines dans cette procédure-là.
III. LA COUR A COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE POUR CONNAÎTRE DE TOUTES LES DEMANDES DE L’ARMÉNIE
33. La seconde exception préliminaire de l’Azerbaïdjan est tout aussi dénuée de fondement que la première.
34. En application de l’article 22 de la CIEDR, tout différend « touchant l’interprétation ou l’application de la … Convention » peut être porté devant la Cour. À ce stade de la procédure, et afin
71 “Opening Ceremony of Global Media Forum was held in Shusha”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (21 juillet 2023), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/view/60544, p. 28 (annexe 23) (« [I]ls disent qu’il faudrait inscrire la question de cette minorité arménienne du Karabakh [sur la liste des questions à négocier], ce qui n’est absolument pas possible ») ; A. Osborn & M. Collette-White, “Nagorno-Karabakh: Azerbaijan says extra guarantees for enclave’s ethnic Armenians not possible”, Reuters (23 juin 2023), accessible à l’adresse suivante : https://www.reuters.com/world/azerbaijan-rejects-demand-guarantees-nagorno-karabakhs-ethnic- armenians-2023-06-22/, p. 1 (annexe 49) (« Le ministre des affaires étrangères de l’Azerbaïdjan a rejeté une demande de l’Arménie qui voulait obtenir, avant de nouveaux pourparlers de paix, des garanties spéciales au sujet de la sécurité des quelque 120 000 habitants d’origine ethnique de l’enclave du Haut-Karabakh ; selon le ministre, ces habitants sont suffisamment protégés ») ; “Ilham Aliyev received delegation led by Special Envoy of European Union for Eastern Partnership”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (17 novembre 2022), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/view/57891, p. 5 (annexe 21) (« S’ils veulent parler des droits et de la sécurité des Arméniens au Karabakh, ça ne va pas marcher ») ; “Speech by Ilham Aliyev at the meeting of CIS’s councils of heads of state in Astana”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (14 octobre 2022), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/view/57748, p. 5 (annexe 20) (« Notre position est claire et précise. Le Karabakh fait partie de l’Azerbaïdjan. La sécurité de la population arménienne du Karabakh et l’exercice de ses droits seront assurés conformément à notre Constitution. Nous ne discuterons pas de nos affaires internes avec qui que ce soit ») ; “Azerbaijan Television interviewed Ilham Aliyev in Basgal settlement of Ismayilli district”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (12 août 2022), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/view/56906, p. 9 (annexe 19) (« Il n’est pas prévu d’aborder la question du Karabakh dans le processus de normalisation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Il y a eu des tentatives dans ce sens, mais je n’y ai jamais consenti. »).
72 Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 345 ; Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 422, par. 57 ; Appel concernant la compétence du conseil de l’OACI en vertu de l’article 84 de la convention relative à l’aviation civile internationale (Arabie saoudite, Bahreïn, Égypte et Émirats arabes unis c. Qatar), arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 81, par. 93 ; Appel concernant la compétence du conseil de l’OACI en vertu de l’article II, section 2, de l’accord de 1944 relatif au transit des services aériens internationaux (Bahreïn, Égypte et Émirats arabes unis c. Qatar), arrêt, C.I.J. Recueil 2020, p. 172, par. 94.
73 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 12 octobre 2022, par. 18 et 21 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 6 juillet 2023, par. 30.
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de décider si elle a compétence ratione materiae à l’égard du différend, la Cour doit déterminer si les actes dont il est tiré grief « entrent dans les prévisions » de la CIEDR
74, et donc s’ils « peuvent » être constitutifs de « discrimination raciale »75 au sens du paragraphe 1 de l’article premier76.
35. Dans son mémoire, l’Arménie a démontré que les actes à l’origine du présent différend, et qui engagent la responsabilité de l’Azerbaïdjan, étaient couverts par la définition figurant au paragraphe 1 de l’article premier de la convention. En particulier, tous les actes dont il est tiré grief constituent des
« distinction[s], exclusion[s], restriction[s] ou préférence[s] fondées sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui [avaient] pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique »77.
La Cour a donc compétence ratione materiae pour connaître de toutes les demandes de l’Arménie.
36. Il est à noter que par sa seconde exception préliminaire l’Azerbaïdjan ne conteste pas la compétence de la Cour à l’égard de la plupart des griefs de l’Arménie. Ces derniers concernent 1) les pratiques de nettoyage ethnique et de persécution des personnes d’origine ethnique arménienne auxquelles se livre l’Azerbaïdjan ; 2) sa glorification de la violence à caractère raciste contre les Arméniens ; 3) les discours haineux contre les personnes d’origine ethnique arménienne qu’il prononce, encourage, facilite et tolère ; 4) le manquement à son obligation de garantir aux personnes d’origine ethnique arménienne la liberté de circuler librement, le droit de se marier et d’avoir une vie de famille, le droit à la propriété, la liberté de religion, le droit de participer à la vie politique et les droits culturels, économiques et sociaux ; 5) le manquement à son obligation de prendre des mesures efficaces pour combattre la discrimination raciale contre les personnes d’origine ethnique arménienne et de favoriser d’autres moyens propres à éliminer les barrières entre les races ; et 6) le manquement à son obligation de garantir aux personnes d’origine ethnique arménienne des voies de recours effectives contre la discrimination raciale78.
37. L’Azerbaïdjan soutient cependant que certains actes que lui reproche l’Arménie, à savoir des comportements répréhensibles en temps de guerre et des mauvais traitements infligés à des personnes qui seraient entrées de manière illicite sur le territoire azerbaïdjanais, « sont régis par le droit international humanitaire » et « n’ont aucun rapport avec la CIEDR »79. Or, le fait que certaines
74 Voir Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 7, par. 36 et 52 ; Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), p. 558, par. 57.
75 Voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 71, par. 112. Voir également exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 28 (« Pour établir que la Cour a compétence pour connaître de ses demandes, l’Arménie doit prouver que les actes qu’elle allègue sont susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale au sens de la CIEDR. »).
76 Voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 71, par. 112.
77 Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, art. premier, par. 1.
78 Voir mémoire de l’Arménie, section VI. 5.
79 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 2, 24, 30 et 63. Voir également ibid., par. 10, 37, 53, 55 et 56.
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demandes relèvent du droit international humanitaire ne signifie pas qu’elles ne puissent pas également relever des dispositions de la CIEDR (section A).
38. De fait, l’écrasante majorité des éléments de preuve — notamment ceux qui sont cités dans le mémoire et dont l’Azerbaïdjan ne fait aucune mention80 — montre clairement que les actes dénoncés par l’Arménie peuvent tous être constitutifs de discrimination raciale au sens de la CIEDR et qu’ils relèvent par conséquent de la compétence ratione materiae de la Cour (section B). À titre subsidiaire, étant donné que par sa seconde exception préliminaire l’Azerbaïdjan demande en réalité à la Cour d’évaluer les éléments de preuve et donc de préjuger le fond, cette exception ne peut pas faire l’objet d’une décision au stade préliminaire de la procédure (section C).
A. Les demandes de l’Arménie relèvent de la CIEDR même si elles relèvent également du droit international humanitaire
39. L’Azerbaïdjan soutient que l’Arménie « n’a fourni aucun élément qui permettrait de conclure que ses allégations de comportements répréhensibles en temps de guerre ou de mauvais traitements infligés à des personnes entrées de manière illicite sur le territoire [azerbaïdjanais] pendant la période [de l’] occupation » ont un quelconque rapport avec la discrimination raciale au sens de la CIEDR81. D’après lui, ces allégations concernent plutôt exclusivement « des comportements susceptibles de soulever des questions [de] droit international humanitaire »82. Il renouvelle cette assertion à pas moins de 17 reprises83, comme si elle allait gagner en véracité en étant répétée ad nauseam. Or, il n’en est rien.
40. Il est certes vrai que toutes les violations du droit international humanitaire ne sont pas des actes de discrimination raciale. Il est cependant tout aussi vrai qu’un même acte peut relever à la fois de la CIEDR et du droit international humanitaire. Comme la Cour l’a précisé à maintes reprises, « certains actes ou omissions peuvent donner lieu à un différend entrant dans le champ de plusieurs instruments »84. L’Azerbaïdjan lui-même ne peut manquer de reconnaître que la CIEDR « s’applique aussi bien en cas de conflit armé qu’en temps de paix » et que « certains actes de guerre peuvent [la]
80 L’Arménie relève à cet égard que certains arguments sont totalement passés sous silence par l’Azerbaïdjan dans ses exceptions préliminaires (voir infra, par. 64). En outre, l’annexe 46 de ce document — censée présenter les « preuves produites par l’Arménie à l’appui de sa demande » — est incomplète. Par exemple, ni la pièce de procédure ni l’annexe 46 ne font état de la déclaration de M. Rafayel Vardanyan, membre du comité d’enquête de la République d’Arménie (voir Declaration by Dr. Rafayel Vardanyan, Investigative Committee of the Republic of Armenia (13 janvier 2023), mémoire de l’Arménie, annexe 294). L’Azerbaïdjan ne mentionne pas non plus dans l’annexe 46 ou dans ses exceptions préliminaires les rapports du médiateur pour les droits de l’homme de la République d’Artsakh et du défenseur des droits de l’homme de la République d’Arménie. Voir, par exemple, mémoire de l’Arménie, annexes 44, 48, 50, 51, 52, 53, 54, 55, 56, 61, 62, 63, 67, 68, 69 et 70. De même, il ne tient aucun compte de dizaines d’autres annexes citées dans le mémoire. Voir, par exemple, ECRI, Second rapport sur l’Azerbaïdjan (second cycle de monitoring) (15 décembre 2006), par. 109, accessible en français à l’adresse suivante : https://rm.coe.int/second-rapport-sur-l-azerbaidjan/16808b557c (mémoire de l’Arménie, annexe 22, citée aux paragraphes 3.108 et 6.122) ; T. Lokshina, “Survivors of unlawful detention in Nagorno-Karabakh speak out about war crimes”, Human Rights Watch (12 mars 2021) (mémoire de l’Arménie, annexe 86, citée aux paragraphes 3.244, 3.261, 3.305, 3.318-3.320, 3.329, 3.337 et 6.131). Ainsi, ni l’annexe 46 ni les exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan ne donnent un résumé fiable des éléments de preuve et des arguments présentés à l’appui des demandes de l’Arménie.
81 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 28.
82 Ibid.
83 Voir exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 2, 6, 8, 10, 24, 28, 30, 37, 44, 47, 48, 52, 53, 55, 56, 60 et 67.
84 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 211, par. 46, faisant référence à Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 9, par. 56.
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faire intervenir »
85. De fait, dans la procédure parallèle de l’affaire Azerbaïdjan c. Arménie, il a formulé lui-même des griefs, qui, s’ils étaient avérés, pourraient constituer des violations tant de la CIEDR que du droit international humanitaire86.
41. L’Azerbaïdjan affirme que « rien » en dehors de « simples affirmations » ne permet d’établir un lien entre les faits allégués par l’Arménie et une discrimination raciale87. Cet argument est déconcertant au vu des éléments de preuve accablants présentés dans le mémoire, qui seront examinés dans les sections ci-après. Il convient de souligner que l’Arménie ne prétend pas que les violations par l’Azerbaïdjan du jus ad bellum ou du droit international humanitaire constituent des violations de la CIEDR de manière générale. Elle tire grief de comportements répréhensibles précis des forces armées et d’autres organes officiels de l’Azerbaïdjan qui revêtent spécifiquement un caractère discriminatoire en étant motivés par des considérations raciales. De fait, le comportement de l’Azerbaïdjan en temps de guerre et dans le contexte de la guerre était en grande partie associé à des manifestations explicites de racisme88, et la totalité des actes qui lui sont reprochés doit être considérée à la lumière à la fois de cet état de fait et de la haine des Arméniens qu’il fomente depuis des dizaines d’années et qui imprègne tous les aspects de la vie sociale en Azerbaïdjan89.
42. L’Azerbaïdjan soutient également que le simple fait que
« la plupart, voire la totalité, des membres des forces armées arméniennes sont d’origine ethnique arménienne … ne transforme pas pour autant chaque acte commis dans une guerre avec l’Arménie en [une] violation de la CIEDR ou chaque grief tiré d’un tel acte en une question touchant l’interprétation ou l’application de la CIEDR »90.
Or, la conclusion de la Cour dans l’affaire Qatar c. Émirats arabes unis sur laquelle se fonde l’Azerbaïdjan91 — à savoir que les « effets collatéraux ou secondaires » que peuvent causer à des personnes d’une origine ethnique particulière des mesures fondées sur leur nationalité actuelle ne constituent pas « une discrimination raciale au sens de la convention »92 — n’est pas pertinente en l’espèce. Les effets des agissements de l’Azerbaïdjan sur des personnes d’origine ethnique arménienne, décrits dans le mémoire, ne sont pas des effets « collatéraux » ni « secondaires » de mesures fondées sur la nationalité actuelle de ces personnes. Comme l’Arménie l’a démontré dans le mémoire, les mesures en question n’étaient pas fondées sur la nationalité — de fait l’Azerbaïdjan a persécuté les habitants du Haut-Karabakh d’origine ethnique arménienne qu’il considère comme
85 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 8 (les italiques sont de nous). Voir également ibid., par. 49.
86 Ibid., par. 49.
87 Ibid., par. 40. Voir également ibid., par. 44.
88 Voir, par exemple, mémoire de l’Arménie, par. 3.246-3.248, 3.250-3.260 et 4.62.
89 Voir infra, section III. B. 4.
90 Voir exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 39.
91 Voir ibid.
92 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 71, par. 112.
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ses propres citoyens
93. Les actes de l’Azerbaïdjan constituaient au contraire des mesures délibérées dont le but était de supprimer, de déplacer et dans certains cas d’éliminer entièrement les personnes d’origine ethnique arménienne ainsi que leur identité, indépendamment de leur nationalité.
43. L’Azerbaïdjan avance enfin que « le simple fait que les peuples de deux États en guerre soient, et c’est fréquent, majoritairement d’origines ethniques différentes ne transforme pas, sans autre facteur, chaque acte de guerre » en une violation de la CIEDR94. L’Arménie en convient. Toutefois, comme elle l’a clairement exposé tout au long de son mémoire ainsi que dans les présentes observations, cela ne correspond manifestement pas à la situation en l’espèce. La prétendue inquiétude de l’Azerbaïdjan qui dit craindre de voir s’ouvrir la boîte de Pandore si les demandes de l’Arménie étaient jugées recevables n’a donc pas lieu d’être95.
B. Les demandes de l’Arménie concernant des faits discriminatoires de meurtre, de torture, de traitement inhumain, de détention arbitraire et de disparition forcée commis par l’Azerbaïdjan relèvent toutes de la CIEDR
44. L’Azerbaïdjan affirme que « rien dans la requête ou le mémoire de l’Arménie, en dehors de simples affirmations, ne permet d’établir un lien entre ces faits [illicites] présumés [de violences, de détentions arbitraires et de disparitions forcées] et une discrimination raciale »96. Selon lui, les actes dénoncés n’ont donc aucun rapport avec la CIEDR, mais concernent simplement des comportements répréhensibles en temps de guerre. Pour accueillir les exceptions soulevées par le défendeur au présent stade préliminaire, il faudrait par conséquent que la Cour conclue, sans « évaluer les éléments de preuve [ni] examiner d’autres aspects du fond »97, que les faits de meurtre, de torture, de traitement inhumain, de détention et de disparition forcée visant des personnes d’origine ethnique arménienne qui sont imputables à l’Azerbaïdjan étaient motivés uniquement par i) l’animosité ordinaire qui prévaut en plein conflit armé, et n’étaient donc pas même susceptibles d’être fondés sur ii) l’appartenance ethnique ou iii) l’appartenance ethnique conjuguée à d’autres considérations98.
93 “Armenians living in Karabakh will have no status, no independence and no special privilege: President Ilham Aliyev”, APA (12 août 2022), accessible à l’adresse suivante : https://apa.az/en/official-news/armenians-living-in-karabakh- will-haveno-status-no-independence-and-no-special-privilege-president-ilham-aliyev-382715, p. 2 (où le président Aliyev déclare ce qui suit : « Parce que les Arméniens vivant au Karabakh n’auront aucun statut, aucune indépendance et aucun privilège particulier. Ce sont des citoyens azerbaïdjanais comme les autres ») (annexe 44) ; “Ilham Aliyev attended the international conference themed ‘South Caucasus: Development and Cooperation’ at ADA University”, President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (29 avril 2022), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/ en/articles/view/55909, p. 15 (« J’ai déjà dit que les Arméniens qui habitent au Karabakh, nous les considérons comme nos ressortissants ») (annexe 16) ; Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Rapport valant dixième à douzième rapports périodiques soumis par l’Azerbaïdjan en application de l’article 9 de la Convention, attendu en 2019, Nations Unies, doc. CERD/C/AZE/10-12 (10 octobre 2019), par. 114 (« Les membres de toutes les minorités ethniques vivant en Azerbaïdjan, y compris les Arméniens de souche, sont des citoyens azerbaïdjanais »), accessible en français à l’adresse suivante : tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CERD%2FC%2FAZE% 2F10-12&Lang=en (annexe 10).
94 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 8.
95 Voir, par exemple, ibid. Voir également ibid., par. 37.
96 Ibid., par. 40.
97 Ibid., par. 41.
98 L’Arménie relève à cet égard que
« [l]a notion d’“intersectionnalité” permet au Comité, dans la pratique, d’élargir les motifs de discrimination interdite et de traiter des situations de discrimination double ou multiple — comme dans le cas de la discrimination fondée sur le sexe ou la religion lorsqu’elle se conjugue à une discrimination fondée sur un ou plusieurs motifs énumérés à l’article premier de la Convention ».
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45. L’Azerbaïdjan lui-même admet que les comportements répréhensibles en temps de guerre et la discrimination raciale ne s’excluent pas mutuellement99, mais selon lui il n’y a pas eu de discrimination raciale dans les circonstances de l’espèce. Cette affirmation n’est pas seulement fausse, elle est aussi abusive. Comme on le verra plus loin, les faits de meurtre, de torture et de traitement inhumain à caractère discriminatoire (section 1), les faits de détention arbitraire à caractère discriminatoire (section 2) et les faits de disparition forcée à caractère discriminatoire (section 3) visés dans les demandes de l’Arménie relèvent manifestement tous des dispositions de la CIEDR. Si les éléments de preuve directs suffisent à prouver les allégations de l’Arménie, l’arménophobie ambiante cautionnée et attisée par l’Azerbaïdjan constitue aussi, contrairement à ce que celui-ci prétend, un contexte dont il convient de tenir compte pour évaluer les actes spécifiques dénoncés (section 4).
1. Les demandes de l’Arménie concernant des faits discriminatoires de meurtre, de torture et de traitement inhumain commis par l’Azerbaïdjan contre des personnes d’origine ethnique arménienne entrent dans le champ d’application de la CIEDR
46. L’Azerbaïdjan conteste les demandes de l’Arménie relatives aux actes de violence discriminatoires qu’il aurait commis contre des personnes d’origine ethnique arménienne100. Ce faisant, il répartit artificiellement ces demandes en trois « catégories »101 : celles qui concernent des mauvais traitements infligés à des militaires d’origine ethnique arménienne (aussi bien des membres des forces armées de l’Arménie que des membres des forces armées des autorités locales du Haut-Karabakh102), celles qui concernent des mauvais traitements infligés à des civils d’origine ethnique arménienne, et celles qui concernent des mauvais traitements infligés des personnes d’origine ethnique arménienne qui auraient traversé illégalement la frontière ou la ligne de contact entre la première et la deuxième guerre du Haut-Karabakh103. L’Azerbaïdjan semble ainsi tenter d’isoler, et donc de minimiser, les preuves de discrimination raciale dans chaque « catégorie » de grief, mais il a beau s’efforcer de disséquer les demandes de l’Arménie, la discrimination raciale est établie de manière accablante dans toutes les « catégories » d’actes dénoncés.
47. Les éléments de preuve directs des actes de violence et autres sévices à caractère raciste commis par l’Azerbaïdjan sont trop abondants pour être passés en revue dans leur intégralité. L’Arménie renvoie donc la Cour aux sections suivantes de son mémoire : III. 1. II, III. 2. II, III. 3. I, IV. 1, IV. 2. I et IV. 2. IV. A et B. Il importe toutefois de noter que, comme il sera expliqué plus loin à la section 4, la totalité de la requête, du mémoire et des éléments de preuve qui y sont joints est pertinente et apporte l’éclairage contextuel nécessaire à l’évaluation des demandes de l’Arménie104. Ces éléments contextuels montrent à quel point la haine à l’égard des personnes d’origine ethnique arménienne imprègne la société azerbaïdjanaise et confirment qu’il y a lieu de rejeter l’exception soulevée par l’Azerbaïdjan.
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale XXXII : signification et portée des mesures spéciales dans la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, Nations Unies, doc. CERD/C/GC/32 (24 septembre 2009), par. 7, accessible en français à l’adresse suivante : tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/TreatyBodyExternal/Download.aspx?symbolno=CERD%2FC%2FGC%2F32&Lang=en (annexe 2).
99 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 8 et 49.
100 Ibid., par. 42-58.
101 Ibid., par. 42.
102 L’Arménie note que l’Azerbaïdjan semble faire à tort l’amalgame entre les forces armées des autorités locales du Haut-Karabakh et celles de la République d’Arménie.
103 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 42.
104 Voir infra, section III. B. 4.
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48. Aux fins du présent exposé, l’Arménie ne reviendra que sur une petite partie des éléments de preuve soumis à la Cour. Lesdites preuves consistent en plus d’une centaine de vidéos montrant des meurtres et des mauvais traitements dont les victimes ont été ciblées non parce qu’elles étaient de nationalité arménienne, mais parce qu’elles étaient d’origine ethnique arménienne105. Parmi nombre d’exemples, l’Arménie a produit :
 une vidéo montrant des soldats azerbaïdjanais en train de trancher les oreilles de deux Arméniens morts tout en disant qu’ils vont « éliminer leur race »106 ;
 une vidéo montrant un groupe de militaires azerbaïdjanais qui brutalisent un groupe de prisonniers de guerre d’origine ethnique arménienne ; alors que l’une des victimes supplie qu’on l’épargne, un des militaires azerbaïdjanais lui lance : « Il va falloir nous supplier longtemps. Vous êtes répugnants, espèces de maquereaux, espèces de pédés »107 ;
 une vidéo sur laquelle on voit un soldat tirer dans le dos d’un mort d’origine ethnique arménienne, en disant : « Ce ne sont pas des êtres humains »108 ;
 une vidéo montrant un homme d’origine ethnique arménienne, xxxxxxxxxxx, qui gît à terre, blessé et sans défense, et un soldat azerbaïdjanais qui lui tire à plusieurs reprises dans la tête, à moins d’un demi-mètre de distance, en hurlant « N*** ton peuple »109 ;
 une vidéo montrant un civil d’origine ethnique arménienne, xxxxxxxxxxxxx, couvert de sang et les mains liées derrière le dos, qu’un soldat azerbaïdjanais traite de « chacal galeux » en lui promettant de le « persécuter comme [un] chien »110 ; le soldat ajoute que les Azerbaïdjanais vont « persécuter comme des chiens » tous les Arméniens qui sont « tous des chacals, pas des êtres humains »111 (comme on le verra à la section 4, c’est le président Aliyev qui, au cours de la deuxième guerre du Haut-Karabakh, a popularisé l’appellation de « chiens » pour désigner les personnes d’origine ethnique arménienne112) ;
 une vidéo montrant un soldat azerbaïdjanais marchant sur des cadavres d’Arméniens en disant « Ce ne sont pas des êtres humains »113 ;
105 Voir mémoire de l’Arménie, par. 4.150, note 1758 (où il est fait référence notamment au document Illustrative List of Videos and Photographs of War Crimes Committed by the Agents of Azerbaijan During and After the Second Nagorno-Karabakh War (annexe 290)).
106 Vidéo no 1 montrant des soldats azerbaïdjanais en train de mutiler les dépouilles d’Arméniens (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) [attention : images choquantes] (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 134).
107 Vidéo montrant xxxxxxxxx et d’autres détenus arméniens soumis à un traitement inhumain et dégradant (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 128).
108 Vidéo montrant un soldat azerbaïdjanais faisant feu sur la dépouille d’un soldat arménien (avec annotations telles que des sous-titres anglais certifiés conformes à l’original) [attention : images choquantes] (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 169).
109 Vidéo montrant l’exécution d’un militaire arménien hors de combat (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) [attention : images choquantes] (mémoire de l’Arménie, annexe 131).
110 Vidéo où l’on voit xxxxxxxxxxxxx subir un traitement inhumain et dégradant (traduction anglaise certifiée conforme du russe) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 117).
111 Ibid.
112 Voir infra, par. 94.
113 Vidéo montrant un soldat azerbaïdjanais faisant feu sur la dépouille d’un soldat arménien (avec annotations telles que des sous-titres anglais certifiés conformes à l’original) [attention : images choquantes] (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 169).
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 une vidéo sur laquelle on voit un soldat azerbaïdjanais donner des coups de pied dans la tête d’un Arménien mort en disant : « Voilà qui [on] est, voilà comment on détruit les Arméniens » et « [N]ous, on fait les choses comme ça, c’est notre Azerbaïdjan. On peut le faire »114 ;
 une vidéo montrant un attroupement de soldats azerbaïdjanais écoutant leur chef les haranguer tandis qu’il coupe les oreilles d’un Arménien mort et déclare que les Arméniens sont des « fils de chiens » et qu’il est venu là pour « éliminer la progéniture de ces dépravés »115 ;
 une vidéo sur laquelle on voit un groupe de militaires azerbaïdjanais rouer de coups un homme d’origine ethnique arménienne, xxxxxxxxxxxxxxxx, en le traitant de « fils de chien » et en disant : « Comment il parle, ce fils de chien ? »116 Alors que la victime supplie les militaires en les appelant « frères », l’un d’eux répond : « [C]omment ça, frère ? Espèce de fils de chien dépravé »117 ;
 une vidéo montrant un prisonnier de guerre d’origine ethnique arménienne, xxxxxxxxxxxxxxx, au bord de l’évanouissement alors qu’il reçoit des coups répétés à la tête et se fait secouer violemment pendant qu’un soldat azerbaïdjanais hurle « Suka Millet » ce qui signifie « Nation de salopes »118 ;
 une vidéo sur laquelle on voit une excavatrice enterrer les cadavres de soldats arméniens dans une fosse commune tandis que le soldat azerbaïdjanais qui filme la scène dit : « Ce sont des chiens arméniens »119.
49. Une autre vidéo encore montre un militaire azerbaïdjanais se vanter d’avoir commis des atrocités à caractère raciste en proclamant : « Arméniens du monde entier, aujourd’hui j’ai b*** votre mère. P*dés. »120. À l’instar du président Aliyev, qui avait déclaré que les Arméniens « du monde » étaient les « principaux ennemis »121 de l’Azerbaïdjan, cette référence aux « Arméniens du monde entier » ne peut être écartée comme la simple expression d’« une animosité ou une hostilité à l’égard de l’État ennemi, des forces armées ennemies ou des ressortissants de l’État ennemi »122. Il s’agit incontestablement d’une référence aux membres du groupe ethnique arménien, où qu’ils résident, et
114 Vidéo no 2 montrant des soldats azerbaïdjanais mutilant les dépouilles d’Arméniens (avec annotations telles que des sous-titres anglais certifiés conformes à l’original) (mémoire de l’Arménie, annexe 168).
115 Vidéo où l’on voit un soldat azerbaïdjanais trancher l’oreille d’un Arménien mort (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) [attention : images choquantes] (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 124).
116 Vidéo où l’on voit xxxxxxxxxxxxxxxx subir un traitement inhumain et dégradant (avec annotations telles que des sous-titres anglais certifiés conformes à l’original) [attention : images choquantes] (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 167).
117 Ibid.
118 Vidéo où l’on voit xxxxxxxxxxxxxxxx subir un traitement inhumain et dégradant (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 132).
119 Vidéo montrant une pelleteuse enterrer en masse des corps de soldats arméniens tués (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) [attention : images choquantes] (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 137).
120 Vidéo de propagande dans laquelle sont compilées des images d’atrocités commises par des Azerbaïdjanais (septembre 2022), 00:55-01:01 (traduction anglaise certifiée conforme du russe) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 148).
121 “Closing Speech by Ilham Aliyev at the conference on the results of the third year into the ‘State Program on the socioeconomic development of districts for 2009-2013’”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (28 février 2012), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/view/4423, p. 10 (« En premier lieu, nos principaux ennemis sont les Arméniens du monde ainsi que les politiciens hypocrites et corrompus qui sont sous leur coupe. ») (cité dans l’annexe 292 du mémoire de l’Arménie) (annexe 7).
122 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 37.
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elle montre donc sans équivoque que les atrocités ont été perpétrées en raison de l’origine ethnique des victimes.
50. Toutes ces vidéos ont en outre été largement diffusées sur les réseaux sociaux par des internautes azerbaïdjanais et saluées en toute impunité123. À ce jour, les auteurs des actes filmés n’ont toujours pas été punis124.
51. Le timbre-poste officiel de l’Azerbaïdjan montrant une personne en combinaison de protection en train de « désinfecter » le Haut-Karabakh125 est une expression tout aussi manifeste d’arménophobie. Il en va de même des écussons arborés par des soldats azerbaïdjanais, représentant un génocidaire turc bien connu, avec l’inscription « Arméniens, rien ne sert de courir ! Vous mourrez de toute façon, d’épuisement »126. Dans les deux cas, le lien est clairement établi entre la violence et la haine ethnique, cette dernière étant la raison même de l’extrême cruauté qui caractérise la première.
52. Les photos et enregistrements vidéo produits par l’Arménie comme éléments de preuve à l’appui de sa requête et de son mémoire ne représentent que la partie émergée de l’iceberg que constitue l’ensemble des violences à caractère raciste commises par l’Azerbaïdjan. L’empressement avec lequel les militaires azerbaïdjanais se livrent ouvertement, devant une caméra, à des actes motivés par la haine raciale ne révèle pas seulement qu’ils ne craignent pas d’être arrêtés et poursuivis pour leurs crimes. Cela signifie aussi nécessairement qu’ils ont commis bien d’autres atrocités semblables quand ils n’étaient pas filmés.
53. Parmi les nombreux éléments de preuve joints au mémoire de l’Arménie pour démontrer cet état de choses figure l’annexe 291 qui regroupe les témoignages de plus de soixante anciens prisonniers de guerre et détenus civils arméniens. Chacun d’entre eux a subi des sévices pour des motifs raciaux. Par exemple :
123 Voir mémoire de l’Arménie, par. 3.63, 3.84-3.85, 3.246, 3.317, 3.326 et 4.61-4.65. Voir également A. Geybulla et B. Samadov, “How Azerbaijan’s Telegram Channels Fuel Intimidation”, Institute for War & Peace Reporting (25 octobre 2022), accessible à l’adresse suivante : https://iwpr.net/global-voices/how-azerbaijans-telegram-channels-fuel- intimidation (annexe 46) (où l’on parle d’un canal du réseau social Telegram qui a utilisé comme avatar une photo de la tête d’un soldat arménien décapité puis une image extraite d’une vidéo montrant de soldats arméniens exécutés sommairement, et qui diffuse fréquemment des vidéos et des photos de cadavres mutilés d’Arméniens, souvent accompagnés d’expressions explicites d’arménophobie).
124 Voir mémoire de l’Arménie, section IV. 3.
125 Voir mémoire de l’Arménie, section III. 3. II. C (citant “Postage stamps dedicated to Azerbaijani heroes issued”, AZTV (6 janvier 2023), accessible à l’adresse suivante : http://www.aztv.az/en/news/11015/postage-stamps-dedicated-to- azerbaijani-heroes-issued, p. 2 (annexe 47) ; A. Galitsky, “Azerbaijan’s Dehumanization of Armenians Echoes Horrors of Holocaust”, The Times of Israel (30 janvier 2021), accessible à l’adresse suivante : https://blogs.timesofisrael.com/ azerbaijansdehumanization-of-armenians-echoes-horrors-of-holocaust/, p. 3 (mémoire de l’Arménie, annexe 114) ; “Azerbaijani postal stamps accused of spreading anti-Armenian propaganda”, The Calvert Journal (12 janvier 2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.calvertjournal.com/articles/show/12442/azerbaijan-stamps-nagorno- karabakhwar-anti-armenian-propaganda, p. 1 (annexe 41) ; N. Sahakyan, “The rhetorical face of enmity: the Nagorno-Karabakh conflict and the dehumanization of Armenians in the speeches by Ilham Aliyev” in Southeast European and Black Sea Studies (29 novembre 2022), accessible à l’adresse suivante : https://doi.org/10.1080/14683857.2022. 2153402, p. 2, 13 (annexe 35)).
126 Voir mémoire de l’Arménie, section IV. 2. IV. A. 2 (citant Artyom Tonoyan, @ArtyomTonoyan,
« Alors que l’Azerbaïdjan reprend ses vieilles habitudes et attaque les positions arméniennes dans le Haut-Karabakh, voici la photo de l’écusson d’un uniforme militaire qui circule sur les réseaux sociaux azerbaïdjanais. Le portrait d’Enver Pasha, génocidaire ottoman notoire, avec l’inscription “Arméniens, rien ne sert de courir ! Vous mourrez de toute façon, d’épuisement” » : Twitter (3 août 2022), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/ArtyomTonoyan/status/1554843631705591816 (annexe 43)).
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 L’un raconte avoir été roué de coups, contraint de se tenir debout toute la nuit, et obligé à lire un livre où il était écrit que « l’Azerbaïdjan est une nation millénaire » et que « les Arméniens étaient des nomades qui n’avaient pas d’État » et qu’ils s’étaient « emparés des terres historiques [des Azerbaïdjanais] »127.
 Un deuxième raconte avoir été battu tandis que ceux qui le détenaient répétaient que « les Arméniens ne devraient pas exister »128.
 Un troisième raconte avoir été battu et contraint à dire que « les Arméniens sont des “fils de pute” et d’autres choses du même genre »129.
 Un quatrième raconte avoir été battu et électrocuté, précisant qu’on le frappait « pour la seule raison d’être arménien »130.
 Enfin, un cinquième raconte avoir été battu, traité d’« animal » et soumis à d’autres humiliations, notamment en étant forcé de « pousser différents cris d’animaux » et de « chanter des chansons arméniennes en dansant » pendant qu’on le filmait avec une caméra vidéo131.
54. D’autres éléments de preuve attestent les meurtres et les actes de torture odieux dont ont été victimes de nombreux civils d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh132 — y compris des femmes et des personnes âgées133 — dans des circonstances qui ne peuvent s’expliquer autrement que par la haine ethnique. Il est révélateur, comme il a été dit plus haut, que l’Azerbaïdjan lui-même affirme considérer les habitants du Haut-Karabakh comme ses propres citoyens134. D’ailleurs, il ne brandit pas au sujet de ces victimes-là l’explication qui lui sert habituellement pour les soldats d’origine ethnique arménienne, à savoir que les actes dénoncés ne traduisent rien de plus qu’« une hostilité entre des soldats en guerre de camps opposés »135.
55. Pour ne citer qu’un exemple, parmi beaucoup d’autres, de meurtres de civils motivés par l’appartenance ethnique arménienne des victimes, rappelons qu’en 2016, lorsqu’ils ont investi le village de Talish dans le Haut-Karabakh, les soldats azerbaïdjanais « ont tué au moins trois civils, des habitants âgés, avant de mutiler leurs corps en leur coupant les oreilles »136. On peut aussi mentionner le cas d’Ernest Harutunyan, civil d’origine ethnique arménienne de 84 ans atteint de
127 Excerpts from Sworn Testimonies of Repatriated Armenians Azerbaijan Captured and Detained in Various Periods from December 2014 until October 2022 (janvier 2023) (traduction anglaise certifiée conforme de l’arménien) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 291).
128 Excerpts from Sworn Testimonies of Repatriated Armenians Azerbaijan Captured and Detained in Various Periods from December 2014 until October 2022 (janvier 2023), Appendix 2 (traduction anglaise certifiée conforme de l’arménien) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 291).
129 Excerpts from Sworn Testimonies of Repatriated Armenians Azerbaijan Captured and Detained in Various Periods from December 2014 until October 2022 (janvier 2023), p. 1 (traduction anglaise certifiée conforme de l’arménien) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 291).
130 Ibid., p. 12.
131 Ibid., p. 5.
132 Voir mémoire de l’Arménie, par. 3.62-3.67, 3.244-3.275, 3.305 et 4.7.
133 Voir mémoire de l’Arménie, par. 3.265-3.268.
134 Voir supra par. 42, note 93.
135 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 45.
136 Mémoire de l’Arménie, par. 3.62. The Human Rights Ombudsman of Artsakh, Interim Report, Atrocities Committed by Azerbaijani Military Forces Against the Civilian Population of the Nagorno-Karabakh Republic and Servicemen of the Nagorno Karabakh Defence Army on 2-5 April 2016 (avril 2016), accessible à l’adresse suivante : https://artsakhombuds.am/en/document/560, p. 17-19 [attention : images choquantes] (mémoire de l’Arménie, annexe 45).
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démence dont le cadavre mutilé a été retrouvé à son domicile dans le Haut-Karabakh en 2020
137. Les circonstances de sa mort laissent penser qu’il s’agissait d’un « meurtre délibéré »138. Les forces armées azerbaïdjanaises ont en outre décapité au moins deux autres personnes d’origine ethnique arménienne, âgées respectivement de 69 et 82 ans, dans le Haut-Karabakh, en filmant la scène139. Là encore, on ne voit, pour de tels actes, d’autre explication plausible que la haine raciale.
56. L’Azerbaïdjan soutient que, par définition, une attaque contre des civils qui est considérée comme étant menée sans discrimination au regard du droit international humanitaire « ne saurait discriminer sur la base de l’origine ethnique ou de tout autre facteur »140. Au risque d’enfoncer une porte ouverte, on peut dire qu’une attaque est dite « sans discrimination » en droit international humanitaire parce qu’elle ne fait pas de distinction entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires141. Il ne fait aucun doute qu’une attaque visant des personnes, qu’elles soient civiles ou non, au seul motif de leur origine ethnique arménienne est susceptible de constituer une discrimination au sens de la CIEDR. Il s’ensuit donc qu’une attaque « sans discrimination » au regard du droit international humanitaire peut être constitutive de discrimination au regard de la CIEDR. Tel est précisément le cas en l’espèce : l’Azerbaïdjan a tué des personnes d’origine ethnique arménienne et ciblé des infrastructures civiles ne présentant aucun intérêt sur le plan militaire, y compris des écoles et des logements142, au simple motif que cela nuirait à des personnes d’origine ethnique arménienne143.
57. Le fait que des atrocités contre des civils aient régulièrement été commises au cours des périodes de paix de facto ne fait que confirmer qu’il ne s’agit pas d’incidents ordinaires inhérents à la guerre.
58. Par exemple, un civil arménien âgé, Mamikon Khojoyan, avait été « violemment frappé à la tête, dans les côtes, aux bras et sur d’autres parties du corps » et avait subi « des brûlures et des injections de drogue potentiellement mortelles » pendant sa détention en 2014 entre la première et la deuxième guerre du Haut-Karabakh144. Il a succombé à ses blessures. L’Azerbaïdjan n’apporte aucun élément prouvant que, comme il l’affirme, M. Khojoyan, qui avait 77 ans à l’époque, était l’un des « membres des forces armées arméniennes » qu’il soupçonnait « d’être entrés sur son territoire pour
137 Amnesty International, Last To Flee: Older People’s Experience Of War Crimes And Displacement In The Nagorno-Karabakh Conflict (2022), p. 16 (mémoire de l’Arménie, annexe 95).
138 Ibid.
139 Voir “Two men beheaded in videos from Nagorno-Karabakh war identified”, The Guardian (15 décembre 2020), accessible à l’adresse suivante : https://www.theguardian.com/world/2020/dec/15/two-men-beheaded-in-videos- from-nagorno-karabakh-war-identified (annexe 40).
140 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 55.
141 Voir Protocole additionnel I aux conventions de Genève, article 51 4) c)
(« L’expression “attaques sans discrimination” s’entend … des attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens de combat dont les effets ne peuvent pas être limités comme le prescrit le présent Protocole ; et qui sont, en conséquence, dans chacun de ces cas, propres à frapper indistinctement des objectifs militaires et des personnes civiles ou des biens de caractère civil »).
142 Mémoire de l’Arménie, par. 3.243.
143 Ibid., par. 3.243 (citant B. Cox, Continuing Impunity: Azerbaijani-Turkish Offensives Against Armenians In Nagorno Karabakh (24 avril 2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.hart-uk.org/baroness-cox- publishes-report-continuing-impunity-azerbaijani-turkish-offensives-against-armenians-in-nagorno-karabakh/, p. 4 (annexe 34) (où il est dit que l’on estime à 14 000 le nombre de structures civiles détruites par l’Azerbaïdjan, y compris « des habitations, des marchés et des infrastructures essentielles à la survie de la population locale, telles que des ponts, le réseau électrique, les télécommunications [et] les systèmes d’approvisionnement en gaz et en eau »).
144 Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Khojoyan and Vardazaryan v. Azerbaijan, requête no 62161/14, arrêt (4 novembre 2021), par. 10, 21, 28, 34, 46-49, p. 3, 6, 8-11, 13-14 (annexe 26).
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se livrer à des activités d’espionnage ou à d’autres activités illicites »
145. Il passe également sous silence que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), au vu des circonstances de la mort de M. Khojoyan, a jugé nécessaire la conduite d’une enquête pour déterminer si « la haine ethnique avait joué un rôle »146.
59. La CEDH est parvenue à la même conclusion dans de nombreuses autres affaires de meurtre et de mauvais traitements où les victimes étaient des personnes d’origine ethnique arménienne dont l’Azerbaïdjan prétend qu’elles avaient traversé illégalement la frontière ou la ligne de contact entre la première et la deuxième guerre du Haut-Karabakh.147 En voici quelques exemples :
 Affaire Manvel Saribekyan : ce civil d’origine ethnique arménienne avait été arrêté par l’Azerbaïdjan alors qu’il recherchait du bétail égaré et ramassait du bois de chauffage dans la forêt, et avait par la suite été retrouvé mort dans sa cellule. La CEDH a conclu que les mauvais traitements subis lui avaient « causé des souffrances d’une gravité et d’une cruauté extrêmes » et qu’ils avaient été « infligés délibérément à une personne détenue sous le contrôle exclusif des autorités »148. Elle a en outre estimé que de telles circonstances rendaient nécessaire la conduite d’une enquête pour déterminer si « la haine ethnique a[vait] été un facteur »149.
 Affaire Karen Petrosyan : ce civil d’origine ethnique arménienne avait été arrêté par l’Azerbaïdjan après avoir franchi accidentellement la frontière. La CEDH a conclu qu’« il avait été victime de violences physiques graves avant son décès » en détention, et s’est demandé si « la haine ethnique a[vait] joué un rôle dans le traitement infligé »150.
60. Ces exemples, il faut le répéter, ne représentent qu’une petite partie des éléments de preuve produits à l’appui des demandes de l’Arménie. C’est pourquoi il est difficile de comprendre comment l’Azerbaïdjan peut prétendre « qu’aucun des faits avancés ne démontre que des personnes aient subi spécifiquement un traitement différencié en raison de leur origine ethnique »151. L’Arménie comprend encore moins comment l’Azerbaïdjan peut penser que les actes dénoncés ne sont même
145 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 50.
146 CEDH, Khojoyan and Vardazaryan v. Azerbaijan, requête no 62161/14, arrêt (4 novembre 2021), par. 53, p. 15 (annexe 26).
147 L’Azerbaïdjan affirme que « [d]ans les arrêts sur lesquels s’appuie l’Arménie en ce qui concerne quatre des Arméniens placés en détention, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas constaté de violation de l’article 14 de la CIEDR, qui interdit la discrimination » mais c’est fallacieux. Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 50 et note 91. Comme l’Azerbaïdjan ne peut l’ignorer, la CEDH a conclu au contraire qu’elle n’avait pas à statuer au titre de l’article 14 étant donné qu’elle « avait déjà tenu compte du contexte général marqué par l’hostilité et la tension prévalant entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, et conclu qu’un tel contexte indiquait qu’une enquête [visant à déterminer si la haine ethnique avait contribué aux violations des articles 2 et 3 de la Convention] aurait dû être menée ». Voir CEDH, Saribekyan and Balayan v. Azerbaijan, requête no 35746/11, arrêt (30 janvier 2020), par. 102-103 (annexe 24). Voir également CEDH, Khojoyan and Vardazaryan v. Azerbaijan, requête no 62161/14, arrêt (4 novembre 2021), par. 85 (annexe 26) ; CEDH, Petrosyan v. Azerbaijan, requête no 32427/16, arrêt (4 novembre 2021), par. 84 (annexe 27).
148 Voir mémoire de l’Arménie, par. 3.39-3.43 (citant CEDH, Saribekyan and Balayan v. Azerbaijan, requête no 35746/11, arrêt (30 janvier 2020), par. 87 (annexe 24)).
149 Ibid.
150 Voir mémoire de l’Arménie, par. 3.50-3.53 (citant CEDH, Petrosyan v. Azerbaijan, requête no 32427/16, arrêt (4 novembre 2021), par. 60 et 71 (annexe 27)).
151 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 45.
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pas susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale
152. Même à supposer que l’Azerbaïdjan soit fondé à démolir sélectivement les preuves individuelles présentées par l’Arménie comme il le fait — quod non153 —, il n’en reste pas moins que les atrocités accompagnées de propos tels que « nous allons éliminer leur race » ont incontestablement, de par les termes employés, une motivation raciale.
61. D’ailleurs, tant le procureur militaire adjoint que le bureau du procureur de la République de l’Azerbaïdjan ont implicitement reconnu que les forces armées azerbaïdjanaises avaient commis des atrocités motivées par des considérations racistes154. De fait, au paragraphe 43 de ses exceptions préliminaires, l’Azerbaïdjan admet expressément que l’Arménie a fourni des exemples de cas où « de supposés militaires azerbaïdjanais ont tenu des propos dénigrants ayant une possible dimension ethnique », notamment en parlant de « chiens arméniens »155. Mais il n’explique pas en quoi ces propos traduiraient simplement, comme il l’affirme, « une hostilité entre des soldats en guerre de camps opposés, et non une discrimination fondée sur l’origine ethnique »156. Pas plus qu’il n’explique comment des actes associés à des propos dénigrants ayant une « possible dimension ethnique » peuvent ne pas être même susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale.
62. En résumé, les faits dont l’Arménie tire grief en lien avec des meurtres, des actes de torture et des traitements inhumains commis de manière discriminatoire par l’Azerbaïdjan contre des personnes d’origine ethnique arménienne, en violation du paragraphe 1 de l’article 2, de l’alinéa a) de l’article 4 et de l’alinéa b) de l’article 5 de la CIEDR, sont à l’évidence susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale. Ils relèvent donc tous de la CIEDR et de la compétence ratione materiae de la Cour. C’est pourquoi la Cour devrait rejeter l’exception préliminaire de l’Azerbaïdjan à cet égard.
152 Voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 2021, p. 71, par. 112. Voir également exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 28 (« Pour établir que la Cour a compétence pour connaître de ses demandes, l’Arménie doit prouver que les actes qu’elle allègue sont susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale au sens de la CIEDR. »)
153 Les éléments de preuve présentés de manière fallacieuse par l’Azerbaïdjan sont trop nombreux pour être passés tous en revue à ce stade de la procédure. Pour ne prendre qu’un seul exemple, le défendeur avance, contre toute vraisemblance et sans aucune explication, que la vidéo évoquée plus haut sur laquelle on voit un soldat tirer dans le dos d’un mort d’origine ethnique arménienne en déclarant « ce ne sont pas des êtres humains » fait référence aux seuls « membres des forces armées arméniennes ». Voir exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, note 71. Pour l’Arménie, ce type de propos se passe de commentaire.
154 Voir, par exemple, Letter from Fuad Mammadov, Deputy Military Prosecutor of the Republic of Azerbaijan, to Chingiz Asgarov, Agent of the Republic of Azerbaijan before the European Court of Human Rights, Regarding Criminal Cases Allegedly Investigated by the Military Prosecutor’s Office (27 janvier 2022), p. 20 à 23 (les italiques sont de nous) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 65) (reconnaissant que l’enregistrement vidéo d’atrocités commises contre des militaires d’origine ethnique arménienne témoignait d’un « traitement cruel et inhumain à l’égard de civils et de militaires d’origine ethnique arménienne faits prisonniers pendant la guerre patriotique et [d’]actes de mutilation de cadavres par les membres des forces armées de la République d’Azerbaïdjan », montrant notamment « une personne décapitée avec un couteau, une deuxième égorgée et trois autres abattues au fusil automatique ou au pistolet » ; Office of the Prosecutor General of the Republic of Azerbaijan, Detained Four Servicemen Accused of Insulting Bodies of Armenian Servicemen and Tombstones Belonging to Armenians (14 décembre 2020), accessible à l’adresse suivante : https:// genprosecutor.gov.az/az/post/3272, p. 2-3 (annexe 11) (déclarant que les faits criminels des militaires azerbaïdjanais « sont contraires à la mentalité du peuple azerbaïdjanais, qui fait preuve de tolérance, est fortement attaché aux valeurs multiculturelles et s’est distingué dans l’histoire par son humanisme »).
155 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 45.
156 Ibid.
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2. Les demandes de l’Arménie concernant la détention arbitraire et discriminatoire de personnes d’origine ethnique arménienne par l’Azerbaïdjan entrent dans le champ d’application de la CIEDR
63. L’Azerbaïdjan affirme que l’Arménie « ne produit aucun élément de preuve attestant qu’un quelconque Arménien ait été détenu en raison de son origine ethnique »157. Il affirme également avoir détenu des individus, et en détenir encore certains, non pas en raison de leur origine ethnique arménienne mais parce qu’ils auraient prétendument été « soit capturés pendant les hostilités actives soit placés en détention du fait des activités illégales dont ils étaient soupçonnés »158.
64. L’Arménie précise d’entrée de jeu que, même si l’Azerbaïdjan semble dire le contraire, les détentions discriminatoires qu’elle dénonce vont au-delà des supposées « deux catégories » de personnes d’origine ethnique arménienne, à savoir celles qui auraient « traversé illégalement la frontière pour pénétrer en Azerbaïdjan » et celles qui étaient des « prisonniers de guerre capturés pendant la deuxième guerre du Garabagh [Haut-Karabakh] »159. Comme il a été expliqué dans le mémoire, les détentions discriminatoires que dénonce l’Arménie concernent également les nombreuses personnes d’origine ethnique arménienne qui n’avaient pas la nationalité arménienne et qui ont été arrêtées à des points d’entrée en Azerbaïdjan pour la simple raison qu’elles portaient des noms de famille arméniens (autrement dit, pour des motifs ethniques manifestes)160. On ne peut dire d’aucune de ces personnes qu’elles « combattaient pour l’Arménie ou bafouaient le droit [ou étaient perçues comme agissant ainsi] »161. L’Azerbaïdjan ne fait aucun cas de ces griefs ni des éléments de preuve qui s’y rapportent, que ce soit dans ses exceptions préliminaires ou dans son annexe 46. Cela ne l’empêche pourtant pas de demander à la Cour de rejeter la totalité des demandes de l’Arménie concernant les détentions discriminatoires162.
65. Pour ce qui concerne les catégories de détenus arméniens spécifiquement désignées par l’Azerbaïdjan, l’Arménie soutient respectueusement qu’elle a présenté de nombreux éléments démontrant que ses demandes à cet égard font intervenir des droits garantis par la CIEDR.
66. Ces éléments de preuve montrent clairement deux choses, à savoir 1) que l’Azerbaïdjan a détenu arbitrairement les personnes en question et 2) que celles-ci ont été ainsi détenues en raison de leur origine ethnique.
67. S’agissant du premier point — le caractère arbitraire des détentions —, l’Azerbaïdjan se trompe quand il affirme qu’« il apparaît, au vu du mémoire de l’Arménie, que les détentions en
157 Ibid., par. 59.
158 Ibid., par. 64.
159 Ibid., par. 60.
160 Voir mémoire de l’Arménie, par. 3.118 et 6.124. En 2017, le ministère russe des affaires étrangères a exigé qu’il soit mis fin à la discrimination dont étaient victimes ses ressortissants portant des noms de famille arméniens à leur arrivée en Azerbaïdjan. Nombre d’entre eux étaient en effet placés en détention pendant des heures, parfois sans pouvoir boire ni manger, et sans soins médicaux, avant d’être renvoyés chez eux à leurs propres frais. Il est aussi arrivé que l’on interroge des personnes portant un nom de famille russe pour rechercher si elles avaient des « ancêtres arméniens ». Voir Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation, Comment of the Information and Press Department on the ban on Russian citizens entering Azerbaijan (6 juillet 2017) (traduction anglaise certifiée conforme du russe) (mémoire de l’Arménie, annexe 47).
161 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 65.
162 Voir ibid., par. 66.
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cause … ont … un lien très fort avec le fait, réel ou perçu, que les détenus combattaient pour l’Arménie ou bafouaient le droit »
163. En réalité, c’est l’inverse qui est vrai.
68. Pour parler d’abord des personnes qui auraient « traversé illégalement la frontière pour pénétrer en Azerbaïdjan », force est de constater que l’Azerbaïdjan ne prend pas sérieusement en considération les affaires analysées aux paragraphes 3.36 à 3.53 du mémoire de l’Arménie, dans lesquelles la CEDH a conclu qu’il avait violé l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme, qui protège contre les détentions arbitraires164. De fait, dans certains cas, l’Azerbaïdjan n’avait même pas prétendu que la détention des personnes en question fût conforme à l’article 5165 — contrairement à ce qu’il soutient aujourd’hui devant la Cour au sujet des mêmes personnes, affirmant que « [l]es “accusations mensongères” et les “chefs d’accusation spécieux” auxquels l’Arménie fait référence, quoique répétés à l’envi, ne sont corroborés par [rien] »166.
69. Pour ce qui est des personnes détenues pendant ou au lendemain de la seconde guerre du Haut-Karabakh, on se bornera à dire qu’aucun tiers indépendant n’acceptera l’excuse avancée par l’Azerbaïdjan, à savoir que ces personnes « ont été placé[e]s en détention du fait des activités illégales dont [elles] étaient soupçonné[e]s »167. Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (ci-après, le « Comité de la CIEDR ») s’est lui-même dit « profondément préoccupé » par des informations faisant état de « prisonniers de guerre et d’autres personnes protégées d’origine nationale ou ethnique arménienne » qui avaient fait l’objet de « détentions arbitraires » en Azerbaïdjan pendant et après les hostilités de 2020168. Comme l’a fait observer le département d’État des États-Unis d’Amérique, les tribunaux azerbaïdjanais ont rendu des jugements « décidés d’avance » qui étaient « juridiquement injustifiables et sans grand rapport avec les éléments de
163 Voir ibid., par. 65.
164 Voir CEDH, Badalyan v. Azerbaijan, requête no 51295/11, arrêt (22 juillet 2021), par. 56-57, p. 16 (annexe 25) ; CEDH, Khojoyan and Vardazaryan v. Azerbaijan, requête no 62161/14, arrêt (4 novembre 2021), par. 82-83, p. 25 (annexe 26). Voir également Guide sur l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme (31 août 2022), par. 47, 152 et 182, accessible en français à l’adresse suivante : https://www.echr.coe.int/documents/d/echr/guide_art_5_fra (annexe 33).
165 Voir CEDH, Badalyan v. Azerbaijan, requête no 51295/11, arrêt (22 juillet 2021), par. 57 (annexe 25) ; CEDH, Khojoyan and Vardazaryan v. Azerbaijan, requête no 62161/14, arrêt (4 novembre 2021), par. 83 (annexe 26).
166 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 60.
167 Ibid., par. 64. Le Parlement européen, par exemple, s’est dit profondément préoccupé « par les informations crédibles selon lesquelles des prisonniers de guerre et d’autres détenus arméniens ont été et continuent d’être détenus dans des conditions dégradantes et soumis à des traitements inhumains et à la torture pendant leur capture ou leur détention » et a « demand[é] la libération immédiate et inconditionnelle de tous les [prisonniers] arméniens … [et] à l’Azerbaïdjan de s’abstenir à l’avenir de procéder à des détentions arbitraires ». Parlement européen, résolution du Parlement européen du 20 mai 2021 sur les prisonniers de guerre à la suite du dernier conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan (2021/2693(RSP)), accessible en français à l’adresse suivante : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0251_FR.pdf (mémoire de l’Arménie, annexe 35). De la même manière, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a exprimé sa « préoccup[ation] … [au sujet d’]Arméniens capturés après la déclaration tripartite, qui sont toujours en captivité et dont la plupart se sont vu ou se voient intenter un procès pénal rapide, ce qui peut poser un problème sous l’angle des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme … relatives à l’équité des procédures judiciaires ». Voir Conseil de l’Europe, Assemblée parlementaire, résolution 2391 (2021) : Conséquences humanitaires du conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan / le conflit du Haut-Karabakh (27 septembre 2021), par. 6.6, accessible en français à l’adresse suivante : https://pace.coe.int/fr/files/29483/html, (mémoire de l’Arménie, annexe 37). Voir également mémoire de l’Arménie, par. 3.366 et 4.160.
168 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Observations finales concernant le rapport de l’Azerbaïdjan valant dixième à douzième rapports périodiques, Nations Unies, doc. CERD/C/AZE/CO/10-12 (22 septembre 2022), par. C.4-4 a) (les italiques sont de nous), accessible en français à l’adresse suivante : https:// tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CERD%2FC%2FAZE%2FCO%2F10-12&Lang=en (mémoire de l’Arménie, annexe 5).
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preuve présentés »
169. Il s’ensuit que l’Azerbaïdjan a traduit en justice « des civils et des militaires arméniens qu’il avait placés en détention aussi bien pendant les hostilités de l’automne 2020 que pendant le cessez-le-feu de novembre 2020, au cours de procès qui ne respectaient pas les garanties d’une procédure régulière »170.
70. Dans sa seconde exception préliminaire, l’Azerbaïdjan ne revient à aucun moment sur les conclusions de ces tiers indépendants, parmi lesquelles figure le Comité de la CIEDR lui-même.
71. S’agissant du deuxième point mis en évidence par les éléments de preuve — à savoir que ces détentions arbitraires sont fondées sur l’origine ethnique —, force est de constater que l’Azerbaïdjan a éhontément bafoué son obligation de permettre aux détenus appartenant à un groupe racial ou ethnique donné d’avoir accès à des « organes judiciaires indépendants, impartiaux et avertis »171, afin que les affaires les concernant soient « apprécié[e]s d’une manière conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme »172 et garantir ainsi que le groupe ethnique en question ne soit pas délibérément ciblé et victime d’abus. Le constat que des personnes d’origine ethnique arménienne sont prises pour cible par le système judiciaire azerbaïdjanais a été confirmé par de nombreux observateurs indépendants173. La Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) a par exemple noté que « [l]es procédures judiciaires entamées par des Arméniens cherchant à protéger leurs droits [sont réputées] échoue[r] systématiquement en raison du climat général négatif »174 qui vise ces personnes, que les minorités ont une « expérience du système judiciaire … globalement négative »175, et que « [s]elon de nombreuses sources, de fausses accusations seraient portées notamment contre des personnes appartenant à des groupes ethniques ou religieux minoritaires »176. Dans ses rapports sur la « discrimination à l’encontre de personnes d’origine arménienne vivant en Azerbaïdjan », l’ECRI a également relevé que « [d]e nombreux acteurs soulignent … un manque de confiance très répandu dans le système judiciaire » et que « le système judiciaire est souvent perçu par les individus comme ne présentant pas de garanties suffisantes d’impartialité et d’indépendance »177. Dans ses exceptions préliminaires, l’Azerbaïdjan ne parle pas de cette réalité et explique encore moins en quoi elle ne serait pas un élément contextuel essentiel permettant de comprendre la détention des deux catégories de personnes qu’il désigne spécifiquement.
169 United States Department of State, 2021 Country Reports on Human Rights Practices: Azerbaijan (2021) (extrait) (mémoire de l’Arménie, annexe 57).
170 Ibid.
171 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale no 35 : lutte contre les discours de haine raciale, Nations Unies, doc. CERD/C/GC/35 (26 septembre 2013), par. 18, accessible en français à l’adresse suivante : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/TreatyBodyExternal/Download.aspx?symbolno=CERD% 2FC%2FGC%2F35&Lang=en (annexe 3).
172 Ibid.
173 Voir, par exemple, mémoire de l’Arménie, par. 6.116-6.117.
174 ECRI, Second rapport sur l’Azerbaïdjan (second cycle de monitoring) (15 décembre 2006), par. 109, accessible en français à l’adresse suivante : https://rm.coe.int/second-rapport-sur-l-azerbaidjan/16808b557c (mémoire de l’Arménie, annexe 22).
175 ECRI, Rapport de l’ECRI sur l’Azerbaïdjan (quatrième cycle de monitoring) (23 mars 2011), par. 127, accessible en français à l’adresse suivante : https://rm.coe.int/troisieme-rapport-sur-l-azerbaidjan/16808b557f (mémoire de l’Arménie, annexe 24).
176 Ibid., par. 130.
177 Ibid., par. 27-28. Voir également Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Observations finales concernant les cinquième et sixième rapports périodiques de l’Azerbaïdjan présentés en un seul document, Nations Unies, doc. CERD/C/AZE/CO/6 (7 septembre 2009), par. 9 (dans lequel le comité se dit préoccupé par « le manque de confiance [des minorités] dans les autorités policières »), accessible en français à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un. org/doc/UNDOC/GEN/G09/448/42/PDF/G0944842.pdf?OpenElement (mémoire de l’Arménie, annexe 3).
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72. En outre, la manière dont ces personnes ont été traitées, et dans bien des cas continuent de l’être, confirme l’existence d’une hostilité raciale dans l’administration de la justice pénale et le fonctionnement du système judiciaire en l’Azerbaïdjan178. Chacune des personnes d’origine ethnique arménienne détenues dans ce pays — qu’il s’agisse ou non d’habitants du Haut-Karabakh que l’Azerbaïdjan considère comme ses propres ressortissants, et indépendamment de leur statut civil ou militaire179 — a subi des actes de torture ou d’autres mauvais traitements pendant sa détention, que ce soit pendant les hostilités armées ou en temps de paix, y compris après la signature de la déclaration trilatérale180. L’annexe 291 du mémoire de l’Arménie regroupe des extraits des témoignages de plusieurs dizaines de ces détenus — qui décrivent tous sans exception des sévices choquants — tandis que l’annexe 290 donne plus de 125 exemples d’atrocités subies par des personnes d’origine ethnique arménienne pendant qu’on les filmait. Sans surprise, les sévices recensés dans ces deux annexes sont infligés aux prisonniers d’origine ethnique arménienne pour des motifs manifestement racistes.
73. Un ancien prisonnier donne par exemple le témoignage suivant de son passage dans un centre de détention : « Ils nous ont demandé si nous étions Arméniens. Quand nous avons répondu
178 Dans sa recommandation générale XXXI, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a mis en évidence des « indicateurs factuels » de l’existence d’une motivation raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale de l’Azerbaïdjan, qui incluent « [l]e nombre et le pourcentage de personnes appartenant [à un] groupe [ethnique] … qui sont victimes d’agressions ou d’autres infractions, notamment lorsqu’elles sont commises par des agents de la police ou d’autres agents de l’État » et « [l]e prononcé par les tribunaux de peines plus sévères ou inadaptées à l’égard des personnes appartenant à ces groupes ». Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale XXXI sur la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale, Nations Unies, doc. A/60/18 (2005), accessible en français à l’adresse suivante : https://tbinternet.ohchr. org/_layouts/15/TreatyBodyExternal/Download.aspx?symbolno=A%2F60%2F18(SUPP)&Lang=en (annexe 1).
179 Voir, par exemple, Excerpts from Sworn Testimonies of Repatriated Armenians Azerbaijan Captured and Detained in Various Periods from December 2014 until October 2022 (janvier 2023) (traduction anglaise certifiée conforme de l’arménien) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 291) ; The Human Rights Defender of the Republic of Armenia, Ad Hoc Public Report on the Responsibility of Azerbaijan for Torture and Inhuman Treatment of Armenian Captives: Evidence-Based Analysis (The 2020 Nagorno Karabakh War) (septembre 2021), accessible à l’adresse suivante : https://ombuds.am/images/files/5c7485fdc225adfd8a35d583830dcd17.pdf?fbclid=IwAR2OAjo6B%20xmRFaBSrt XFqv SyXeM3M-5vZRFGpgCRCo4urVPVE2NPL_VO4g, p. 28 (mémoire de l’Arménie, annexe 61) ; T. Lokshina, “Survivors of unlawful detention in Nagorno-Karabakh speak out about war crimes”, Human Rights Watch (12 mars 2021) (mémoire de l’Arménie, annexe 86). Voir également supra, par. 42, note 93.
180 Voir, par exemple, mémoire de l’Arménie, par. 3.270 (citant Human Rights Watch, Azerbaijan: Armenia POWs Abused in Custody (19 mars 2021), accessible à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/news/2021/03/19/azerbaijan- armenian-pows-abused-custody (faisant état de « conditions [de détention] dégradantes » et de « passages à tabac prolongés et répétés », certains détenus étant « brutalisés avec des barres métalliques acérées », « brûlés de manière répétée au moyen de briquets » et « torturés à l’électricité » à de multiples reprises) (mémoire de l’Arménie, annexe 87). Voir également ibid., par. 3.271 (citant The Human Rights Defender of the Republic of Armenia, Ad Hoc Public Report on the Responsibility of Azerbaijan for Torture and Inhuman Treatment of Armenian Captives: Evidence-Based Analysis (The 2020 Nagorno Karabakh War) (septembre 2021), accessible à l’adresse suivante : https://ombuds.am/images/files/5c7485fdc225adfd 8a35d583830dcd17.pdf?fbclid=IwAR2OAjo6B%20xmRFaBSrtXFqvSyXeM3M-5vZRFGpgCRCo4urVPVE2NPL_VO4g, p. 2, qui conclut, sur la base du témoignage de 50 anciens détenus, que les prisonniers étaient souvent « passés à tabac, torturés et humiliés par le personnel militaire qui les avait faits prisonniers », que les mauvais traitements infligés par les Azerbaïdjanais « commençaient dès le début de la captivité » et qu’ils « se poursuivaient tout au long de la détention ») (mémoire de l’Arménie, annexe 61). Voir en outre Declaration by Dr. Rafayel Vardanyan, Investigative Committee of the Republic of Armenia (13 janvier 2023), par. 15-16 (mémoire de l’Arménie, annexe 294) ; Amnesty International, Last To Flee: Older People’s Experience Of War Crimes And Displacement In The Nagorno-Karabakh Conflict (2022), p. 28 (mémoire de l’Arménie, annexe 95) ; The Human Rights Ombudsman of the Republic of Artsakh, Second Ad Hoc Report On Inhuman Treatment Of Members Of Nagorno-Karabakh (Artsakh) Defense Army And Captured Armenians By Azerbaijani Armed Forces (From October 17-25, 2020) (octobre 2020), p. 4-9 (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 50) ; The Human Rights Ombudsman of the Republic of Artsakh, Third Ad Hoc Report On Inhuman Treatment Of Members Of Artsakh Defense Army And Captured Armenians By Azerbaijani Armed Forces (From October 26 To November 3, 2020) (novembre 2020), p. 4-9 (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 53) ; The Human Rights Defender of Armenia & The Human Rights Ombudsman of Artsakh, Fourth Ad Hoc Report on Torture and Inhuman Treatment of Members of Artsakh Defense Army and Captured Armenians by Azerbaijani Armed Forces (from November 4-18, 2020) (novembre 2020), p. 4-10 (requête et demande de l’Arménie, annexe 13) ; mémoire de l’Arménie, sections III.2.III et III.3.I.
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par l’affirmative … ils se sont mis à nous frapper … avec des haches »
181. Un autre détenu raconte avoir été soumis à des traitements humiliants en détention « pour la seule raison d’être arménien »182. D’autres rapportent que leurs gardiens disaient que « les Arméniens sont des fils de p*te » et qu’ils « ne devraient pas exister »183. D’autres exemples de propos racistes adressés aux détenus d’origine ethnique arménienne ont déjà été donnés plus haut184. Rappelons que parmi les victimes de l’Azerbaïdjan, on trouve non seulement des membres des forces armées de l’Arménie et de l’Artsakh, mais aussi des civils d’origine ethnique arménienne habitant au Haut-Karabakh185 — que l’Azerbaïdjan dit lui-même considérer comme ses propres ressortissants186. Il convient également de noter que, même avant la deuxième guerre du Haut-Karabakh, la CEDH avait conclu à plusieurs reprises que des Arméniens en détention avaient été victimes de sévices infligés par l’Azerbaïdjan, et souvent conclu également que les circonstances entourant leur traitement en détention amenaient à se demander si la « haine ethnique » n’avait pas été « un facteur » ou si elle n’avait pas « joué un rôle »187.
74. Outre les sévices physiques, chacune des personnes d’origine ethnique arménienne qui a été détenue et poursuivie en justice a été privée de manière flagrante des garanties d’une procédure régulière et d’un traitement égal devant la loi. Sur la base de témoignages d’anciens détenus, le défenseur des droits de l’homme de la République d’Artsakh a conclu que nombre d’entre eux avaient été « humiliés, harcelés, torturés et battus, avant, pendant et après les interrogatoires »188. De même, dans un rapport d’octobre 2022 établi à l’intention de la rapporteuse spéciale sur la torture de l’Organisation des Nations Unies (ONU), le Center for Truth and Justice constatait que la torture était « employée comme moyen d’intimidation et de contrainte pour obtenir de faux aveux destinés à être utilisés dans des simulacres de procès »189. Sur cette base, le rapport soulignait l’absence de recours et de justice pour les « personnes d’origine arménienne » auxquelles l’Azerbaïdjan a fait subir « des simulacres de procès fondés sur de fausses accusations et des aveux obtenus sous la contrainte »190. Les détenus étaient en outre systématiquement privés du droit de choisir leur avocat, de citer ou d’interroger des témoins, d’avoir accès aux documents ou éléments de preuve pertinents,
181 Excerpts from Sworn Testimonies of Repatriated Armenians Azerbaijan Captured and Detained in Various Periods from December 2014 until October 2022 (janvier 2023) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 291).
182 Ibid.
183 Ibid.
184 Voir supra, par. 48 et 53.
185 Voir supra, par. 54, 55 et 72.
186 Voir supra, par. 42, note 93.
187 CEDH, Khojoyan and Vardazaryan v. Azerbaijan, requête no 62161/14, arrêt (4 novembre 2021), par. 53 (annexe 26) ; CEDH, Saribekyan and Balayan v. Azerbaijan, requête no 35746/11, arrêt (30 janvier 2020), par. 72 (annexe 24).
188 The Human Rights Defender of the Republic of Artsakh, Malicious Prosecution by Azerbaijan of Captured Armenian Servicemen and Civilians (2021), p. 7 (mémoire de l’Arménie, annexe 56).
189 Center for Truth and Justice, Submission by the Center for Truth and Justice to the UN Special Rapporteur on torture and other cruel, inhuman or degrading treatment and punishment pertaining to the mistreatment of Armenian POWs by the State of Azerbaijan (28 octobre 2022) (extrait), p. 6 (mémoire de l’Arménie, annexe 102).
190 Ibid. Voir également Excerpts from Sworn Testimonies of Repatriated Armenians Azerbaijan Captured and Detained in Various Periods from December 2014 until October 2022 (janvier 2023) (traduction anglaise certifiée conforme de l’arménien) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 291).
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de s’entretenir avec un conseil ou de bénéficier de services d’interprétation ou de traduction
191. On ne peut sérieusement plaider l’absence de motivation ethnique quand chaque personne d’origine ethnique arménienne sans exception, y compris celles dont l’Azerbaïdjan affirme qu’elles sont ses ressortissants, est soumise à ce type de traitement.
75. Moins d’un an après la fin de la deuxième guerre du Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan avait condamné pas moins de 55 civils et prisonniers de guerre d’origine ethnique arménienne pour diverses infractions pénales192. Les membres d’origine ethnique arménienne d’une unité militaire qui tenaient leur position conformément à la déclaration trilatérale193 — à laquelle l’Azerbaïdjan lui-même a adhéré — ont été inculpés de « franchissement illicite de la frontière d’[un] État avec [un] groupe organisé » et d’« achat, transfert, vente, stockage, transport et port illicites d’armes à feu par un groupe organisé »194. Les membres d’origine ethnique arménienne d’une unité miliaire enlevés sur le territoire souverain de l’Arménie ont été inculpés d’infractions analogues195. Une personne d’origine ethnique arménienne possédant la double nationalité — dont l’arménienne — a été inculpée de « participation [en tant que] mercenaire à un affrontement ou à des opérations militaires »196. Dans nombre de cas, des personnes d’origine ethnique arménienne se trouvant dans une même situation ont été condamnées à des peines allant de six mois à six ans d’emprisonnement pour une infraction identique qu’elles étaient accusées d’avoir commis ensemble197. Bien que condamnés, nombre de ces détenus d’origine ethnique arménienne ont été libérés par la suite, souvent en échange de concessions de la part de l’Arménie, ce qui témoigne du caractère factice de leurs détention et condamnation initiales198. Ceux qui sont toujours en détention purgent de longues peines
191 Voir, par exemple, mémoire de l’Arménie, section III. 3. I. B ; United States Department of State, 2021 Country Reports on Human Rights Practices: Azerbaijan (2021) (extrait) (mémoire de l’Arménie, annexe 57) ; The Human Rights Defender of the Republic of Artsakh, Malicious Prosecution by Azerbaijan of Captured Armenian Servicemen and Civilians (2021) (mémoire de l’Arménie, annexe 56) ; Excerpts from Sworn Testimonies of Repatriated Armenians Azerbaijan Captured and Detained in Various Periods from December 2014 until October 2022 (janvier 2023) (traduction anglaise certifiée conforme de l’arménien) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 291) ; Center for Truth and Justice, Submission by the Center for Truth and Justice to the UN Special Rapporteur on torture and other cruel, inhuman or degrading treatment and punishment pertaining to the mistreatment of Armenian POWs by the State of Azerbaijan (28 octobre 2022) (extrait) (mémoire de l’Arménie, annexe 102).
192 Mémoire de l’Arménie, par. 3.357 et 4.154.
193 Ibid., par. 3.361.
194 Ibid., citant Letter from Elchin Mammadov, First Deputy Prosecutor General, to Elnur Mammadov, Deputy Minister of Foreign Affairs, regarding Armenian detainees, No. 14/cix65-21 (with enclosure) (8 octobre 2021), cas nos 1, 3, 14-16, 31, 40-43, 45 (« annexes d’éléments de preuve documentaires » présentées par l’Azerbaïdjan en réponse à la demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie en date du 16 septembre 2021, annexe 21).
195 “Azerbaijani Armed Group Kidnaps 2 Armenian Soldiers; Baku Charges Them with Terrorism”, Asbarez (27 mai 2023), accessible à l’adresse suivante : https://asbarez.com/azerbaijani-armed-group-kidnaps-2-armenian-soldiers- baku-charges-them-with-terrorism/ (annexe 48).
196 Mémoire de l’Arménie, par. 3.362 (citant Letter from Elchin Mammadov, First Deputy Prosecutor General, to Elnur Mammadov, Deputy Minister of Foreign Affairs, regarding Armenian detainees, No. 14/cix65-21 (with enclosure) (8 octobre 2021), cas no 1 (« annexes d’éléments de preuve documentaires » présentées par l’Azerbaïdjan en réponse à la demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie en date du 16 septembre 2021, annexe 21).
197 Mémoire de l’Arménie, par. 3.361 (citant Letter from Yeghishe Kirakosyan, Representative of the Republic of Armenia before the European Court of Human Rights, to Philippe Gautier, Registrar, International Court of Justice, attaching Table of 45 POWs and Civilians Acknowledged by Azerbaijan as of 6 October 2021) (6 octobre 2021) (requête et demande de l’Arménie, annexe 68 (déposée avant les audiences sur la première demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie)) ; Baku Military Court, Judgment on Behalf of the Republic of Azerbaijan, Case No. 1(101)-1204/2021 (2 juillet 2021) (« annexes d’éléments de preuve documentaires » présentées par l’Azerbaïdjan en réponse à la demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie en date du 16 septembre 2021, annexe 6) ; Letter from Elchin Mammadov, First Deputy Prosecutor General, to Elnur Mammadov, Deputy Minister of Foreign Affairs, regarding Armenian detainees, No. 14/cix65-21 (with enclosure) (8 octobre 2021) (« annexes d’éléments de preuve documentaires » présentées par l’Azerbaïdjan en réponse à la demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie en date du 16 septembre 2021, annexe 21).
198 Mémoire de l’Arménie, par. 3.372 et 4.36.
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comprises entre quatre et 20 ans d’emprisonnement
199. Comme on l’a souligné précédemment, aucun tiers indépendant ne considère comme légitimes les chefs d’accusation ou les peines très lourdes prononcées contre les personnes détenues.
76. Sans surprise, dans les 40 cas dont l’Arménie a connaissance, les appels interjetés par des détenus d’origine ethnique arménienne contre leur condamnation ont tous été rejetés par les tribunaux azerbaïdjanais200.
77. Il est également révélateur que l’Azerbaïdjan ne conteste pas le reproche connexe que lui fait l’Arménie, à savoir qu’il a manqué à « garanti[r] l’égalité de traitement au sein de son système judiciaire »201. Or, si les demandes de l’Arménie concernant l’inégalité de traitement dans le système judiciaire azerbaïdjanais relèvent de la CIEDR, comme l’Azerbaïdjan semble le reconnaître, il en va forcément de même pour ses demandes concernant les détentions discriminatoires fondées sur ladite inégalité de traitement.
78. Le « climat général négatif » à l’égard des Arméniens qui prévaut depuis toujours dans le système judiciaire azerbaïdjanais202 et les particularités du traitement réservé aux deux catégories de détenus d’origine ethnique arménienne spécifiquement désignées par l’Azerbaïdjan — sévices cruels, insultes racistes, inégalité de traitement devant la loi et autres violations flagrantes des droits de la défense — suffisent pour réfuter les assertions du défendeur. S’il subsistait toutefois le moindre doute quant à la motivation raciale de son comportement, il ne pourrait manquer de se dissiper face à la manière dont l’Azerbaïdjan présente ouvertement la détention des prisonniers d’origine ethnique arménienne en termes raciaux. Il est fait référence ici au tristement célèbre « parc des trophées militaires », où figurent des mannequins représentant des prisonniers de guerre d’origine ethnique arménienne203 — dont l’Azerbaïdjan a affirmé à la Cour, à la veille de l’audience sur la première demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie, qu’ils ne seraient plus exposés à l’avenir204.
79. Le caractère indéniablement raciste de la représentation des Arméniens par ces mannequins a été confirmé par ceux-là mêmes qui furent chargés par l’Azerbaïdjan de les créer : « En général, nous essayons de produire une oeuvre qui soit la plus belle possible. Cette fois, c’était le contraire. Le processus a été long et difficile. Nous les avons dotés de nez crochus et de nuques
199 Letter from Yeghishe Kirakosyan, Representative of the Republic of Armenia before the European Court of Human Rights to Philippe Gautier, Registrar, International Court of Justice, attaching Table of POWs and Civilians Acknowledged by Azerbaijan as of January 2023 (janvier 2023) (mémoire de l’Arménie, annexe 295).
200 Mémoire de l’Arménie, par. 3.356 (citant Baku Court of Appeal, Appeal Decision No. 1(103)-1768/2021 (30 novembre 2021), p. 8 (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) (annexe 29) ; Baku Court of Appeal, Appeal Decision No. 1(103)-1641/2021 (26 novembre 2021), p. 9 (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) (annexe 28) ; Baku Court of Appeal, Appeal Decision No. 1(103)-1526/2021 (2 décembre 2021), p. 14 (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) (annexe 31) ; Baku Court of Appeal, Appeal Decision No. 1(103)-1656/2021 (1er décembre 2021), p. 10 (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) (annexe 30) ; Baku Court of Appeal, Appeal Decision No. 1(103)-1600/2021 (2 décembre 2021), p. 10 (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri)) (annexe 32).
201 Voir mémoire de l’Arménie, par. 6.210-6.214.
202 ECRI, Second rapport sur l’Azerbaïdjan (second cycle de monitoring) (15 décembre 2006), par. 109, accessible en français à l’adresse suivante : https://rm.coe.int/second-rapport-sur-l-azerbaidjan/16808b557c (mémoire de l’Arménie, annexe 22).
203 Voir mémoire de l’Arménie, par. 3.384-3.393 et figures 66-69.
204 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 361, par. 25.
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épaisses, entre autres »
205. Le parc, défendu par l’Azerbaïdjan comme « un lieu d’éducation pour les générations actuelles et futures206, a été condamné par la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, qui estime qu’il « enseigne la haine aux jeunes générations », soulignant qu’« une politique de haine présentant un tel degré d’organisation risque d’entraîner de nouveaux crimes »207.
80. En résumé, la détention par l’Azerbaïdjan de personnes d’origine ethnique arménienne peut être constitutive de discrimination raciale au sens du paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR et emporte manquement à l’obligation, énoncée au paragraphe 1 de l’article 2 et à l’alinéa a) de l’article 5 de la convention, de respecter le droit de ces personnes à « l’égalité devant la loi » et à « un traitement égal devant … [les] organe[s] administrant la justice »208. La Cour devrait donc rejeter l’exception soulevée par l’Azerbaïdjan et conclure qu’elle a compétence ratione materiae à l’égard de la totalité des demandes de l’Arménie en rapport avec la détention.
3. Les demandes de l’Arménie concernant des faits discriminatoires de disparition forcée ayant visé des personnes d’origine ethnique arménienne aux mains de l’Azerbaïdjan entrent dans le champ d’application de la CIEDR
81. L’Azerbaïdjan soutient enfin que les disparitions forcées de personnes d’origine ethnique arménienne dont l’Arménie lui fait grief ne font pas non plus apparaître de « différence de traitement fondée sur l’origine ethnique »209. Réaffirmant une position désormais familière, il soutient que, « dans le contexte d’une occupation de près de 30 ans et d’épisodes d’hostilités actives entre les deux États »210, on « ne saurait se contenter de présumer que tout acte répréhensible qui aurait été commis contre un ressortissant arménien » était fondé sur l’origine ethnique ou nationale211. Ce volet de l’exception soulevée par l’Azerbaïdjan relativement à la compétence ratione materiae est tout aussi dénué de fondement que les autres.
82. Premièrement, l’Arménie a fourni en abondance des éléments démontrant que des personnes d’origine ethnique arménienne détenues par l’Azerbaïdjan — y compris celles qu’il prétend considérer comme ses ressortissants — avaient été victimes de meurtre ou d’autres violences pour des motifs raciaux212. Nombre de ces personnes ont en outre été victimes de disparition forcée213, l’Azerbaïdjan niant les avoir jamais détenues ou tuées malgré les preuves disponibles,
205 Mémoire de l’Arménie, par. 3.384-3.385, figure 66.
206 Ministry of Foreign Affairs of the Republic of Azerbaijan, No:147/21, Commentary of the Press Service Department of the Ministry of Foreign Affairs of the Republic of Azerbaijan to the letter of the Council of Europe Commissioner for human rights, Dunja Mijatović addressed to the President of the Republic of Azerbaijan (28 avril 2021), accessible à l’adresse suivante : https://mfa.gov.az/en/news/no14721-commentary-of-the-press-service-department-of-the- ministry-of-foreign-affairs-of-the-republic-of-azerbaijan-to-the-letter-of-the-council-of-europe-commissioner-for-human-rights-dunja-mijatovic-addressed-to-the-president-of-the-republic-of-azerbaijan (annexe 12).
207 “Kristinne Grigoryan held meetings in Paris with representatives of the International Federation for Human Rights (FIDH) and the International League against Racism and AntiSemitism (LICRA) and the Ambassador of Armenia to France Hasmik Tolmajyan”, Human Rights Defender of Armenia (28 avril 2022), accessible à l’adresse suivante : https://ombuds.am/en_us/site/ViewNews/2212 (annexe 42).
208 Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, art. 5 5) a).
209 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 67.
210 Ibid., par. 68.
211 Ibid., par. 68.
212 Voir supra, par. 48, 49, 53, 54, 55, 58. 59, 72 et 73.
213 Voir “Hundreds of Armenians Still Missing After 2020 Karabakh War”, Radio Free Europe/Radio Liberty (Azatutyun) (30 août 2022), accessible à l’adresse suivante : https://www.azatutyun.am/a/32010809.html#:~:text=%E2% 80%9CAccording%20to%20data%20presented%20by,International%20Day%20of%20the%20Disappeared (annexe 45)
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notamment des vidéos ou des photos et des témoignages d’anciens détenus qui montrent que la plupart voire la totalité de ces personnes sont passées entre ses mains et que beaucoup ont été tuées
214. L’Azerbaïdjan refuse en particulier de reconnaître la détention d’au moins 57 personnes d’origine ethnique arménienne qui seraient (ou auraient été) sous sa garde mais dont on ignore le sort, ainsi que les circonstances du décès de pas moins de 20 autres personnes d’origine ethnique arménienne dont il est avéré qu’elles ont été tuées en détention215. Pour ne donner qu’un seul exemple, déjà évoqué plus haut, une vidéo montre Artur Manvelyan gisant à terre, blessé et sans défense, alors qu’un soldat azerbaïdjanais lui tire à plusieurs reprises dans la tête en hurlant « Nation de salopes ! » et « N*** ton peuple ! »216. En dépit de ces preuves, l’Azerbaïdjan a refusé pendant des mois de révéler où se trouvait cet homme ou de rendre sa dépouille et s’obstine encore à ne pas reconnaître les circonstances de son décès.
83. Au vu du caractère accablant des éléments de preuve, le Comité de la CIEDR lui-même a exhorté l’Azerbaïdjan à « men[er] des enquêtes efficaces, approfondies et impartiales sur les allégations de violations des droits humains … [de] personnes protégées d’origine ethnique ou nationale arménienne, y compris … des disparitions forcées … perpétrées par les forces militaires azerbaïdjanaises »217. Dans ces conditions, l’argument que « [l]’Arménie ne présente aucun élément permettant d’affirmer d’une façon ou d’une autre qu’un quelconque Arménien ait été tué, placé en détention ou ait été victime de disparition forcée en raison de son origine ethnique »218 ne résiste pas à l’examen. De fait, l’Azerbaïdjan ne peut fournir aucune explication plausible à ces disparitions forcées autre que la motivation raciale.
84. Deuxièmement, l’Azerbaïdjan a refusé de faciliter les recherches et le rapatriement des dépouilles mortelles de personnes d’origine ethnique arménienne219. Comme on l’a vu, il reconnaît lui-même qu’un comportement contraire au droit international humanitaire peut faire jouer la CIEDR, et il admet avoir présenté une plainte sur le fondement de cet instrument, dans l’affaire Azerbaïdjan c. Arménie, au motif que l’Arménie aurait refusé de divulguer l’emplacement de fosses communes où étaient enterrées des personnes d’origine ethnique azerbaïdjanaise220. L’Azerbaïdjan n’est toutefois pas en mesure d’expliquer raisonnablement en quoi ses demandes seraient
(« D’après les données présentées par le Comité international de la Croix-Rouge en août 2022, 303 personnes sont toujours portées disparues après les 44 jours de guerre de 2020 … Près d’une trentaine de civils locaux étaient portés disparus à la fin septembre 2021. D’après les autorités de Stepanakert, la plupart résidaient dans des villes et villages du Karabakh pris par les forces azerbaïdjanaises pendant les six semaines d’hostilités qui ont pris fin avec le cessez-le-feu négocié par l’intermédiaire de la Russie en novembre 2020 ») ;
List of Armenians Detained During and After the Second Nagorno-Karabakh War (as of January 2023) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 297) ; T. Lokshina, “Survivors of unlawful detention in Nagorno-Karabakh speak out about war crimes”, Human Rights Watch (12 mars 2021) (mémoire de l’Arménie, annexe 86).
214 Voir mémoire de l’Arménie, sections III. 3. I et IV. 2. I. A. 2.
215 Mémoire de l’Arménie, par. 3.304 (citant List of Armenians Detained During and After the Second Nagorno-Karabakh War (as of January 2023), Section B (confidentiel) (annexe 297). Voir également ibid., par. 6.149-6.151.
216 Vidéo montrant l’exécution d’un militaire arménien hors de combat (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) [attention : images choquantes] (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 131).
217 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Observations finales concernant le rapport de l’Azerbaïdjan valant dixième à douzième rapports périodiques, Nations Unies, doc. CERD/C/AZE/CO/10-12 (22 septembre 2022) (les italiques sont de nous), accessible en français à l’adresse suivante : https://tbinternet.ohchr.org/_ layouts/15/treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CERD%2FC%2FAZE%2FCO%2F10-12&Lang=en (mémoire de l’Arménie, annexe 5).
218 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 68.
219 Mémoire de l’Arménie, par. 6.152-6.153.
220 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 69.
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objectivement différentes de celles que présente l’Arménie au sujet des centaines de personnes d’origine ethnique arménienne toujours portées disparues en conséquence de la deuxième guerre du Haut-Karabakh et de ses retombées
221. À l’évidence, il ne suffit pas d’affirmer, comme il le fait, que les actes que l’Arménie lui reproche
« se sont produits dans le contexte de la deuxième guerre du Garabagh [Haut-Karabakh], pendant laquelle l’Azerbaïdjan a exercé le droit naturel de légitime défense que lui reconnaît le droit international et libéré un territoire internationalement reconnu comme lui appartenant qui était occupé de manière illicite par l’Arménie »222.
Les faits dont les Parties tirent grief sont tous supposés avoir eu lieu pendant le conflit armé, sont tous supposés avoir ciblé les membres d’un groupe ethnique ou national, et sont tous liés au refus d’un État de faciliter les recherches et le rapatriement des morts et des personnes disparues223. Dans de telles circonstances, il est absurde de prétendre que les actes dont se plaint l’Azerbaïdjan seraient, d’une manière ou d’une autre, fondés sur l’origine ethnique ou nationale, mais pas ceux dont se plaint l’Arménie224.
85. En conclusion, il est manifeste que les disparitions forcées de personnes d’origine ethnique arménienne dont l’Azerbaïdjan s’est rendu responsable en violation du paragraphe 1 de l’article 2 et de l’alinéa a) de l’article 5 de la CIEDR peuvent être constitutives de discrimination raciale. La Cour devrait donc rejeter l’exception soulevée à cet égard par l’Azerbaïdjan et conclure qu’elle a compétence ratione materiae également pour connaître des demandes de l’Arménie relatives aux disparitions forcées.
4. L’arménophobie générale cautionnée et encouragée par l’Azerbaïdjan est un facteur pertinent pour déterminer si des actes donnés étaient fondés sur des considérations raciales
86. Les éléments de preuve mentionnés ci-dessus, qui sont décrits plus en détail dans le mémoire de l’Arménie, suffisent à démontrer que les faits dénoncés peuvent être constitutifs de discrimination raciale au sens de la CIEDR.
87. L’Arménie souhaite cependant faire un certain nombre d’observations au sujet de l’argument avancé par l’Azerbaïdjan, lequel prétend que « nombre » de ses demandes « ne contiennent aucune allégation spécifique ou ne renvoient à aucun élément de preuve attestant que les actes [qu’elle dénonce] ont été commis sur la base de l’origine ethnique »225 et qu’elle essaie plutôt de s’appuyer « de manière générale [sur] ce qu’elle appelle le “sentiment arménophobe” »226.
88. Premièrement, il n’y a pas lieu pour la Cour de statuer individuellement sur chacun des « actes allégués », « demande par demande »227, pour accorder les remèdes sollicités par l’Arménie
221 Voir mémoire de l’Arménie, par. 6.149-6.152.
222 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 69.
223 Voir mémoire de l’Arménie, par. 6.149-6.152 ; exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 69.
224 Il est en outre manifestement erroné de faire valoir des moyens de défense relevant du jus ad bellum pour justifier des violations flagrantes de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale — même si l’on pouvait dire que la deuxième guerre du Haut-Karabakh constituait un exercice légitime du droit à la légitime défense, ce qui n’est pas le cas.
225 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 32.
226 Ibid.
227 Ibid.
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dans la présente espèce. Comme l’a dit la Cour dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo, pour statuer sur une demande, « point n’est besoin pour [elle] de parvenir à un prononcé sur les faits s’agissant de chacun des incidents allégués »
228. Cela est d’autant plus vrai au stade actuel de la procédure229. Comme il a été détaillé plus haut ainsi que dans le mémoire230, l’Arménie a déjà fourni de nombreux exemples d’actes répréhensibles commis en temps de guerre par l’Azerbaïdjan vis-à-vis des Arméniens, qui étaient incontestablement fondés sur l’origine ethnique.
89. Deuxièmement, et c’est tout aussi important, il est simplement malvenu d’affirmer — comme le fait l’Azerbaïdjan — que l’arménophobie omniprésente dans la société azerbaïdjanaise est dénuée de pertinence231, ne serait-ce que parce que cela revient à dire que le comportement en cause en l’espèce n’est ni exclusivement dirigé contre des nationaux arméniens ni exclusivement associé aux hostilités du temps de guerre. L’Azerbaïdjan reconnaît en outre qu’une partie de sa population éprouve des « sentiments profondément négatifs » et de « l’animosité » envers les Arméniens232. Dans la présente affaire, ce n’est qu’au travers du prisme de cette animosité — systémiquement cultivée par le système éducatif233, les médias234 et les dirigeants et institutions politiques235 de l’Azerbaïdjan — que l’on peut comprendre les innombrables cas de mauvais traitements infligés à des personnes d’origine ethnique arménienne dans ce pays.
90. Dans son mémoire, l’Arménie donne de nombreux exemples de manuels scolaires employant des expressions ouvertement racistes pour désigner les personnes d’origine ethnique arménienne, ainsi que de contenus pédagogiques conçus pour enseigner aux enfants azerbaïdjanais que « les Arméniens » sont les ennemis du pays236. Dans ces manuels, les Arméniens sont notamment désignés comme les « infidèles vêtus de noir »237, « la cause de la plupart des calamités qui ont frappé les Azerbaïdjanais tout au long de l’histoire »238, des « vauriens » dans les veines desquels « coule le
228 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 168, par. 205.
229 Voir Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), p. 558, par. 63 (notant que les questions de fait « relèvent du fond »).
230 Voir supra, sections III. B (1-3) ; mémoire de l’Arménie, section VI. 3. I (démontrant que « l’Azerbaïdjan a violé et continue de violer la CIEDR en commettant des actes de violence contre les personnes d’origine ethnique arménienne et en s’abstenant de prévenir de tels actes ») ; ibid., section VI. 3. III (démontrant que « l’Azerbaïdjan a violé et continue de violer la CIEDR en plaçant de manière discriminatoire des personnes d’origine ethnique arménienne en détention arbitraire ») ; ibid., section VI. 3. IV (démontrant que « l’Azerbaïdjan a violé et continue de violer la CIEDR en provoquant la disparition forcée de personnes d’origine ethnique arménienne »).
231 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, section III. A.
232 Ibid., par. 34.
233 Voir mémoire de l’Arménie, sections III. 1. I. C, III. 3. II. D et IV. 2. II. B.
234 Voir mémoire de l’Arménie, sections III. 1. I. B, III. 2. I, III. 3. II. D et IV. 2. II. B.
235 Voir mémoire de l’Arménie, sections III. 1. I. A, III. 2. I, III. 3. II. A, IV. 2. II. A et VII. 2.
236 “Five Minutes of Hate in Azerbaijani School”, YouTube (4 mars 2018), accessible à l’adresse suivante : https:// www.youtube.com/watch?v=7g56wAbY-fg&feature=emb_logo (traduction anglaise certifiée conforme du russe) (mémoire de l’Arménie, annexe 138).
237 International Crisis Group, Nagorno-Karabakh: Viewing the Conflict from the Ground (14 September 2005), accessible à l’adresse suivante : https://reliefweb.int/report/armenia/nagorno-karabakh-viewingconflict-ground, p. 27 (citant Motherland (Baku, 2004), un manuel de sixième approuvé par le ministère azerbaïdjanais de l’éducation) (mémoire de l’Arménie, annexe 73).
238 Ibid.
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sang du diable »
239 et des « ennemis génétiques »240. Les médias azerbaïdjanais sont tout aussi actifs dans la diffusion de l’arménophobie241.
91. Dans son mémoire, l’Arménie cite en outre de nombreux exemples de discours dans lesquels de hauts responsables politiques ciblent les personnes d’origine ethnique arménienne242. Comme elle l’a déjà dit, le président Aliyev en personne a qualifié à maintes reprises ces personnes de « bandits et … vandales »243, « fascistes »244, « bêtes sauvages », « prédateurs », « chacals » ainsi que de « tribu primitive » et « sauvage »245. Comme il a été relevé plus haut, le président Aliyev a en outre déclaré, dans une référence sans équivoque à l’ethnicité, que les Arméniens « du monde » étaient les « principaux ennemis » de l’Azerbaïdjan246. Il a expressément ordonné aux personnes d’origine ethnique arménienne de « s’en aller »247. Il a également dit ce qui suit : « [notre] mission première [est] de chasser les Arméniens de nos terres »248, « on n’entendra plus aucun chant » dans
239 A. Erogul, “Additional Reading Book for Secondary School Students” in HALA (2011), accessible à l’adresse suivante : http://azerichild.info/HALE.pdf, p. 3 (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) (mémoire de l’Arménie, annexe 107).
240 “Armenophobia in the Textbooks Used in Azerbaijan: History, Grade 11”, Azerichild.info, accessible à l’adresse suivante : https://azerichild.education/en/class-11-tarix.html (dernière consultation le 1er décembre 2022), p. 2 (mémoire de l’Arménie, annexe 104).
241 Voir, par exemple, “The true face of Armenian fascism in cartoons”, Trend (13 octobre 2020), accessible à l’adresse suivante : https://www.trend.az/azerbaijan/karabakh/3315938.html (traduction anglaise certifiée conforme du russe) (annexe 36) ; mémoire de l’Arménie, sections III. 1. I. B, III. 3. II. D et IV. 2. II. B.
242 Voir mémoire de l’Arménie, sections III. 1. I. A, III. 2. I, III. 3. II. A et IV. 2. II. A ; Compilation of Illustrative Racist Hate Speech by Azerbaijani Government Institutions, Government Officials, and High-Level Political Leaders (janvier 2023) (extrait) (mémoire de l’Arménie, annexe 292).
243 “Speech by Ilham Aliyev at the opening of a new block for 1440 IDP families in Mushfigabad”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (27 décembre 2012), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/ articles/view/7026 (« Comme vous le savez, tout a été détruit dans les terres occupées. Tous nos monuments historiques ont été détruits par des bandits et des vandales arméniens ») (les italiques sont de nous) (annexe 9). Voir également “Ilham Aliyev and First Lady Mehriban Aliyeva attended opening of Vagif Poetry Days in Shusha”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (30 août 2021), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/view/52881, p. 2 (annexe 13).
244 “Speech by Ilham Aliyev at the opening of the Fuzuli Hydroelectric Power Station”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (15 décembre 2012), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/ view/6854 (« Nous allons restaurer nos sites religieux et historiques, effacer les traces des crimes commis par les fascistes et les vandales arméniens ») (les italiques sont de nous) (annexe 8).
245 “President Ilham Aliyev addresses the nation”, Azernews (17 octobre 2020), accessible à l’adresse suivante : https://www.azernews.az/nation/184462.html, p. 3 (annexe 37). Voir également “Ilham Aliyev chaired meeting on results of first quarter of 2022”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (12 avril 2022), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/view/55780 (annexe 14).
246 “Closing Speech by Ilham Aliyev at the conference on the results of the third year into the ‘State Program on the socioeconomic development of districts for 2009-2013’”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (28 février 2012), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/view/4423, p. 10 (« En premier lieu nos principaux ennemis sont les Arméniens du monde ainsi que les politiciens hypocrites et corrompus qui sont sous leur coupe ») (les italiques sont de nous) (annexe 7).
247 “Azerbaijan Television interviewed Ilham Aliyev in Basgal settlement of Ismayilli district”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (12 août 2022), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/ view/56906, p. 7-10 (annexe 19).
248 “Ilham Aliyev and First Lady Mehriban Aliyeva have attended the opening of a new residential complex for families of martyrs and war disabled in the Sabunchu district, Baku”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (2 mai 2022), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/view/55929, p. 6 (annexe 18).
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cette « langue étrangère » qu’est l’arménien
249 et « dorénavant, c’est la langue azérie qui dominera sur ces terres »250.
92. D’autres hommes politiques ont suivi l’exemple du président Aliyev en adoptant le même discours raciste. Pour n’en citer qu’un, un ancien premier ministre adjoint, alors maire de Bakou, a expliqué ce qui suit à une délégation allemande : « Notre objectif est l’élimination complète des Arméniens. Vous, les Nazis, vous avez bien éliminé les Juifs dans les années 1930 et 1940, n’est-ce pas ? Vous devriez nous comprendre. »251 Même avec beaucoup d’imagination, il est impossible de qualifier de tels propos de simples « déclarations dont la teneur vise … l’Arménie en tant que puissance occupante »252 ou de « critique d’un État étranger »253. De fait, l’ECRI a déclaré sans ambages que « [l]es responsables politiques, les établissements d’enseignement et les médias tiennent toujours des discours haineux à l’égard des Arméniens » et que « toute une génération d’Azerbaïdjanais a grandi au son de ces discours »254.
93. La Cour elle-même a jugé que « la propagande encourageant la haine raciale ainsi que l’incitation à la discrimination raciale ou aux actes de violence visant tout groupe de personnes en raison de leur origine nationale ou ethnique » peut « propager dans la société un climat imprégné de racisme »255. Le Comité de la CIEDR a quant à lui confirmé que les discours de haine raciale jouent un rôle important dans les « situations de conflit » et « conduisent à des violations massives des droits de l’homme et à des génocides »256.
94. On a pu voir les conséquences de cette dynamique au cours de la deuxième guerre du Haut-Karabakh, lorsque le président Aliyev a promis publiquement que l’armée azerbaïdjanaise chasserait les Arméniens du Haut-Karabakh comme des « chiens »257. Quelques jours plus tard, le ministère de la défense a annoncé la production de drones militaires officiellement baptisés « Iti
249 “President, Commander-in-Chief of Armed Forces Ilham Aliyev made a speech in front of servicemen in Shusha”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (8 novembre 2021), accessible à l’adresse suivante : https://en.president.az/articles/54047 (cité dans le mémoire de l’Arménie, annexe 292).
250 “President, Commander-in-Chief of Armed Forces Ilham Aliyev made a speech in front of servicemen in Shusha”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (8 novembre 2021), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/view/54046 (cité dans le mémoire de l’Arménie, annexe 292).
251 Committee on Foreign Affairs, House of Representatives, The Caucasus: Frozen Conflicts and Closed Borders (18 juin 2008), accessible à l’adresse suivante : https://www.govinfo.gov/content/pkg/CHRG110hhrg43066/pdf/CHRG- 110hhrg43066.pdf (cité dans le mémoire de l’Arménie, annexe 292).
252 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 35.
253 Ibid., par. 33.
254 Voir ECRI, Rapport de l’ECRI sur l’Azerbaïdjan (cinquième cycle de monitoring) (17 mars 2016), p. 9, 17, accessible en français à l’adresse suivante : https://rm.coe.int/quatrieme-rapport-sur-l-azerbaidjan/16808b5582 (mémoire de l’Arménie, annexe 29).
255 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 361, par. 83.
256 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale no 35 : lutte contre les discours de haine raciale, Nations Unies, doc. CERD/C/GC/35 (26 septembre 2013), par. 3, accessible en français à l’adresse suivante : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/TreatyBodyExternal/Download.aspx?symbolno=CERD% 2FC%2FGC%2F35&Lang=en (annexe 3).
257 Voir, par exemple, “President Ilham Aliyev addresses the nation”, Azernews (17 octobre 2020), accessible à l’adresse suivante : https://www.azernews.az/nation/200905.html (annexe 37).
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Qovan », ce qui signifie « chasseur de chiens » en azéri
258, et a diffusé des vidéos célébrant la destruction des Arméniens grâce à ces appareils259. Tout au long de la guerre — comme il est clairement démontré plus haut à la section II. B. 1 —, des soldats azerbaïdjanais ont commis à maintes reprises des atrocités contre des victimes d’origine ethnique arménienne en reprenant exactement les mêmes propos haineux que le chef de l’État azerbaïdjanais avait été le premier à employer260.
95. Il est donc difficile de comprendre comment l’Azerbaïdjan peut raisonnablement prétendre que les auteurs de ces actes n’aient pas « eu connaissance de ces propos discriminatoires allégués, et encore moins que ceux-ci [ne] les aient [pas] influencés »261. Il est au contraire notoire que la
258 “Azerbaijan starts production of ‘Iti qovan’ UAVs”, Defence.Az (22 octobre 2020), accessible à l’adresse suivante : https://defence.az/en/news/147499/azerbaijan-starts-production-of%E2%80%9Citi-qovan%E2%80%9D-uavs photos?__cf_chl_jschl_tk__=pmd_Mg2Vf1zmQDNKqhw6edW7KcVkYXV.wFP7p.3IEeYFCi4-1629830372-0-gqNtZGzNAnujcnBszQh9 (annexe 38).
259 R. Dixon, “Azerbaijan’s drones owned the battlefield in Nagorno-Karabakh — and showed future of warfare”, The Washington Post (11 novembre 2020), accessible à l’adresse suivante : https://www.washingtonpost.com/world/ europe/nagorno-karabkah-drones-azerbaijan-aremenia/2020/11/11/441bcbd2-193d-11eb-8bda-814ca56e138b_story.html (annexe 39).
260 Voir, par exemple, « President Ilham Aliyev addresses the nation », Azernews (17 octobre 2020), accessible à l’adresse suivante : https://www.azernews.az/nation/184462.html (cité dans le mémoire de l’Arménie, annexe 292) (où le président promet que l’armée azerbaïdjanaise chassera les Arméniens du Haut-Karabakh comme des « chiens ») (annexe 37) ; vidéo où l’on voit xxxxxxxxxxxxxxxx subir un traitement inhumain et dégradant (traduction anglaise certifiée conforme du russe) (un soldat azerbaïdjanais lance « [o]n va tous vous persécuter comme des chiens » à un civil d’origine ethnique arménienne couvert de sang et les mains liées derrière le dos, dont il a été établi ultérieurement qu’il s’appelait xxxxxxxxxxxxxx) (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 117) ; vidéo où l’on voit un soldat azerbaïdjanais trancher l’oreille d’un Arménien mort (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) [attention : images choquantes] (un large groupe de soldats azerbaïdjanais écoutent leur chef les haranguer tandis qu’il coupe les oreilles d’un Arménien mort en déclarant que les Arméniens sont des « fils de chiens » et qu’il est « venu … éliminer la progéniture de ces dépravés ») (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 124) ; vidéo où l’on voit xxxxxxxxxxxxxxxx subir un traitement inhumain et dégradant (avec annotations telles que des sous-titres anglais certifiés conformes à l’original) [attention : images choquantes] (un groupe de militaires azerbaïdjanais roue de coups un homme d’origine ethnique arménienne, xxxxx xxxxxxxxx, en le traitant de « fils de chien » et en demandant : « Comment il parle, ce fils de chien ? ») (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 167) ; vidéo montrant une pelleteuse enterrer en masse des soldats arméniens tués (traduction anglaise certifiée conforme de l’azéri) [attention : images choquantes] (un soldat azerbaïdjanais filme une excavatrice en train d’enterrer des soldats arméniens dans une fosse commune, en disant : « Ce sont des chiens arméniens ») (confidentiel) (mémoire de l’Arménie, annexe 137). Voir également supra, par. 48.
261 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 36.
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population azerbaïdjanaise continue encore aujourd’hui à reproduire les discours de haine cautionnés par ses dirigeants
262.
96. Le Comité de la CIEDR a explicitement jugé « particulièrement préoccupantes »263 les manifestations de racisme émanant d’autorités ou d’institutions publiques, notamment les déclarations attribuées à de hauts responsables, et n’a cessé d’appeler l’attention sur « le rôle joué par les personnalités politiques et autres décideurs dans l’apparition d’un climat négatif envers les groupes protégés par la Convention »264. Il a par exemple noté que « l’emploi d’un discours politique raciste par des agents de l’État attise[] la discrimination et les stéréotypes de la part des représentants
262 Par exemple, pendant le blocus prolongé et dévastateur du Haut-Karabakh par l’Azerbaïdjan, des responsables ont commencé à utiliser l’expression « Game over » (fin de partie) pour décrire la situation désespérée que les habitants d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh subissaient à cause de la fermeture du corridor de Latchine par l’Azerbaïdjan. Notamment, Hikmet Hajiyev, assistant du président Aliyev et directeur du département des affaires étrangères de l’administration présidentielle, a déclaré que les habitants d’origine ethnique arménienne du Haut-Karabakh devaient être « réintegrés » à l’Azerbaïdjan et accepter d’être approvisionnés par une autre voie que le corridor de Latchine. Voir Hikmet Hajiyev, @HikmetHajiyev, “(5) - International community should send a clear signal about usage of Agdam-Khankandi road and reintegration of armenian inhabitants of Karabakh to Azerbaijan. There is no other way! Game is over!”, Twitter (26 July 2023), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/HikmetHajiyev/status/ 1684217028280827908 (les italiques sont de nous) (annexe 50). Deux jours plus tard, le vice-recteur de l’Azerbaijan Diplomatic Academy, université publique de diplomatie, a partagé un tweet — supprimé depuis — montrant une partie de Tetris faisant apparaître le drapeau azerbaïdjanais au fil du jeu. Voir Dr. Fariz Ismailzade @fismailzade, Twitter (28 juillet 2023) (annexe 52). Dans le même temps, sur le côté, un compteur avec le nombre d’habitants arméniens passait à zéro, tandis qu’apparaissait dans un coin de l’écran une image du génocidaire tristement célèbre, Enver Pasha, avec le sourire aux lèvres. Ibid. À la fin de la partie, les mots « Game over » clignotaient à côté du Tetris aux couleurs du drapeau azerbaïdjanais. Ibid. D’autres Azerbaïdjanais ont repris comme des perroquets l’expression « Game over » sur les réseaux sociaux. Voir, par exemple, Heydar Naghiyev, @HeydarNaghiyev, “Game over. Go home!”, Twitter (27 juillet 2023), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/HeydarNaghiyev/status/1684663115495903232 (annexe 51) ; Asāsīyūn, @ScourgeOfTengri, “Glory to the sons of #Azerbaijan, that protect #LachinRoad from Armenian terrorist state, which used the road to place mines and deploy terrorists into Azerbaijan. Whole #Azerbaijan is with you. The enemy will be defeated. [emoji of a fist] [emoji of flag of Azerbaijan] [emoji of hashtag] #Karabakh #GameOver ‘#LachinCorridor’”, Twitter (28 juillet 2023), accessible à l’adresse suivante : https://twitter.com/ScourgeOfTengri/status/168489558107481 7024 (annexe 53).
263 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale no 35 : lutte contre les discours de haine raciale, Nations Unies, doc. CERD/C/GC/35 (26 septembre 2013), par. 22, accessible en français à l’adresse suivante : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/TreatyBodyExternal/Download.aspx?symbolno=CERD%2FC %2FGC%2F35&Lang=en (annexe 3).
264 Ibid., par. 15. Voir également Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Observations finales concernant le rapport de la Fédération de Russie valant vingt-cinquième et vingt-sixième rapports périodiques, Nations Unies, doc. CERD/C/RUS/CO/25-26 (1er juin 2023), par. 4 b), 14 c), accessible en français à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G23/098/14/PDF/G2309814.pdf?OpenElement (annexe 6) (où le comité se déclare profondément préoccupé par, notamment, « [l]’incitation à la haine raciale et la diffusion de stéréotypes racistes à l’égard des Ukrainiens, notamment sur les stations de radio et chaînes de télévision d’État, sur Internet et dans les médias sociaux, ainsi que par des personnalités et des hauts responsables » et par
« [l]e fait que des responsables politiques, dont des parlementaires, et des personnalités, dont des chefs religieux, tiennent des discours de haine raciale, aux niveaux fédéral et local, et l’absence d’informations sur les enquêtes, les poursuites et les déclarations de culpabilité dont ont fait l’objet des personnalités et des responsables politiques pour des discours de haine ») ;
Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Observations finales concernant le rapport de la Bosnie-Herzégovine valant douzième et treizième rapports périodiques, Nations Unies, doc. CERD/C/BIH/CO/12-13 (10 septembre 2018), par. 19 (où le comité se déclare préoccupé par
« les informations selon lesquelles des personnalités publiques et politiques tiendraient des discours haineux à caractère raciste et des propos discriminatoires et dénigrants sur la scène publique » et par le fait que « les discours inspirés par la haine raciale sont devenus courants dans les médias, y compris sur Internet, et se caractérisent notamment par une rhétorique nationaliste ou ethnoreligieuse visant les rapatriés »),
accessible en français à l’adresse suivante : https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G18/272/19/PDF/ G1827219.pdf?OpenElement (annexe 4).
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de la loi »
265. La Cour elle-même s’est déclarée préoccupée par des situations dans lesquelles « une rhétorique fomentant la discrimination raciale est employée par de hauts responsables de l’État »266.
97. Or, l’Azerbaïdjan ne s’est pas contenté d’inciter à la haine contre les Arméniens. Il a également glorifié les actes de violence commis contre eux, notamment en graciant et en récompensant Ramil Safarov, reconnu coupable d’avoir tué un homme d’origine ethnique arménienne en raison de son appartenance ethnique267, et en inaugurant le tristement célèbre « parc des trophées militaires »268. Le président Aliyev a explicitement reconnu que l’Azerbaïdjan avait « élevé la jeune génération » dans un « esprit » de « haine de l’ennemi »269. Dans ces conditions, il est tout simplement absurde de la part de l’Azerbaïdjan d’affirmer que « la commission par les forces azerbaïdjanaises [d’un nombre incalculable] de meurtres, d’actes de torture et d’autres violations alléguées du droit » est « sans rapport »270 avec le discours arménophobe raciste qu’il a concocté et qui irrigue la société azerbaïdjanaise. Dans une guerre ordinaire, il n’aurait pas été nécessaire de déployer des forces de maintien de la paix pour « prévenir la mort massive de la population civile »271.
C. À titre subsidiaire, l’Azerbaïdjan préjuge le fond par sa deuxième exception préliminaire et celle-ci ne peut donc pas faire l’objet d’une décision au stade préliminaire
98. L’Azerbaïdjan soutient, au sujet des catégories de demandes susmentionnées, qu’« il ressort manifestement du mémoire de la demanderesse que la CIEDR n’est pas applicable » et que, par conséquent, « [l]’incompétence de la Cour à l’égard [desdites demandes] se prête tout particulièrement à une décision au stade des exceptions préliminaires »272. Il affirme également que la Cour « n’a … pas besoin d’évaluer les éléments de preuve ou d’examiner d’autres aspects du fond pour rejeter cette série de demandes de l’Arménie »273.
99. Comme il a été démontré précédemment, cela est faux. Rien en droit ni en fait, dans la présente espèce, n’accrédite l’idée que les faits de meurtre, de torture, de traitement inhumain, de détentions et de disparition forcée commis par l’Azerbaïdjan contre des personnes d’origine ethnique arménienne ne soient pas susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale au sens du
265 Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Recommandation générale no 36 (2020) sur la prévention et l’élimination du recours au profilage racial par les représentants de la loi, Nations Unies, doc. CERD/C/GC/36 (17 décembre 2020), par. 27, accessible en français à l’adresse suivante : https://tbinternet.ohchr.org/_layouts/15/ treatybodyexternal/Download.aspx?symbolno=CERD/C/GC/36&Lang=en (annexe 5).
266 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 361, par. 83.
267 Voir mémoire de l’Arménie, par. 3.69-3.83.
268 Voir mémoire de l’Arménie, par. 3.383-3.393.
269 “Ilham Aliyev visited military unit of Defense Ministry’s Special Forces”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (30 avril 2022), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/view/55917, p. 3 (annexe 17). Voir également “Ilham Aliyev gave a speech at 5th Congress of World Azerbaijanis in Shusha”, The President of the Republic of Azerbaijan Ilham Aliyev (22 avril 2022), accessible à l’adresse suivante : https://president.az/en/articles/ view/55859, p. 3 (« c’est pourquoi la jeune génération a été élevée dans un esprit de patriotisme, de haine de l’ennemi et de loyauté envers la Patrie ») (annexe 15).
270 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 32.
271 The Federation Council of the Federal Assembly of the Russian Federation, On the use of a military unit of the Armed Forces of the Russian Federation in Nagorno-Karabakh (18 novembre 2020), accessible à l’adresse suivante : http:// council.gov.ru/activity/documents/121580/ (traduction anglaise certifiée conforme au russe) (demande en indication de mesures conservatoires de l’Arménie en date du 27 décembre 2022, annexe 23).
272 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 41.
273 Ibid.
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paragraphe 1 de l’article premier de la CIEDR. L’Azerbaïdjan a parfaitement conscience de tout cela et c’est la raison pour laquelle, nonobstant ses injonctions à la Cour, il cherche quand même à contester les éléments de preuve versés au dossier ainsi que le fond des demandes de l’Arménie
274. C’est pourquoi, même s’il n’était pas possible de la rejeter dès maintenant (quod non), la deuxième exception qu’il soulève n’a pas un caractère exclusivement préliminaire et ne pourrait donc pas faire l’objet d’une décision au stade préliminaire.
100. Aux termes du paragraphe 4 de l’article 79ter de son Règlement, la Cour peut déclarer qu’une exception préliminaire, « dans les circonstances de l’espèce, … n’a pas un caractère exclusivement préliminaire » et que par conséquent elle « doit … réserver sa décision [à ce sujet] pour la suite de la procédure »275.
101. Une exception n’a pas un « caractère exclusivement préliminaire » si, notamment, « le fait d’[y] répondre … équivaudrait à trancher le différend, ou certains de ses éléments, au fond »276. S’il peut arriver que la Cour, en se prononçant sur une exception préliminaire, soit amenée « à effleurer certains aspects du fond de l’affaire »277, sa décision ne peut préjuger le différend278.
102. Dans l’affaire Lockerbie, par exemple, la Cour a considéré qu’une décision sur l’exception soulevée par le Royaume-Uni — au motif que les demandes de la Libye pouvaient se trouver privées d’objet par suite de deux résolutions du Conseil de sécurité relatives aux faits à l’origine du différend — « constituerai[t], à maints égards, l’objet même de [la] décision [sur les droits de la Libye au fond] »279. Pour la Cour, une exception de cette sorte « a le caractère d’une défense au fond » et ne revêt pas un « caractère exclusivement préliminaire »280.
103. Dans l’affaire relative à Certains actifs iraniens, la Cour a conclu qu’elle ne pouvait déterminer, à titre préliminaire, si la banque centrale iranienne « exerçait, à l’époque pertinente, des
274 Voir, par exemple, exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 21 (« L’Arménie a ensuite invoqué ces déclarations comme “preuves” devant la Cour, même quand elles n’étaient assorties d’aucun examen sérieux des faits sous-jacents ou qu’aucune possibilité n’avait été donnée à l’Azerbaïdjan de présenter sa position. ») ; par. 45 (où l’Azerbaïdjan affirme que l’Arménie déforme les éléments de preuve) ; par. 53
(« Si tant est que les éléments avancés par l’Arménie laissent entrevoir un motif sous-tendant les actes illicites allégués, ils montrent que lesdits actes, à supposer qu’ils soient avérés, étaient fondés sur l’idée que les personnes visées étaient associées à celles qui avaient occupé le territoire de l’Azerbaïdjan et commis des atrocités contre les Azerbaïdjanais — et non sur leur origine ethnique. »).
275 Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 592, par. 53.
276 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 832, par. 51.
277 Ibid. ; Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, compétence, arrêt no 6, 1925, C.P.J.I. série A no 6, p. 15.
278 Voir, par exemple, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 425-26, par. 76 ; Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 28-29, par. 50 ; Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 324-25, par. 116-117 ; Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 850, par. 46.
279 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 9, par. 50.
280 Ibid.
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activités de la nature de celles qui permettent de caractériser une “société” au sens du traité d’amitié » et qui bénéficient donc de la protection du traité
281. Selon elle, cette question était « en grande partie de nature factuelle » et « étroitement lié[e] au fond de l’affaire » et ne pouvait donc être tranchée « qu’après que les Parties aur[aie]nt présenté leurs arguments dans la phase suivante de la procédure »282.
104. Dans la présente espèce, en admettant la véracité des faits exposés par l’Arménie, la Cour dispose de toutes les informations nécessaires pour décider, à ce stade préliminaire, que les actes dénoncés sont susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale et entrent dans le champ d’application de la CIEDR. Mais, même si un critère différent devait être appliqué, pour pouvoir conclure que les actes dénoncés ne sont pas susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale à ce stade de la procédure, la Cour devrait évaluer et apprécier les éléments de preuve produits devant elle et, de fait, se prononcer sur le fond de chacune des demandes de l’Arménie. Par exemple :
 Il lui faudrait établir qu’aucun discours de haine n’accompagnait les mauvais traitements, les détentions et les disparitions forcées dont ont été victimes des personnes d’origine ethnique arménienne. Plus généralement, il lui faudrait conclure que le meurtre et la torture de nombreux civils d’origine ethnique arménienne — parmi lesquels des femmes et des personnes âgées — ne sont même pas susceptibles d’avoir été motivés en tout ou partie par des considérations raciales.
 La Cour devrait également procéder à une évaluation du système judiciaire de l’Azerbaïdjan et conclure que, nonobstant les nombreux rapports indépendants établis par des tiers, ce système n’est même pas susceptible d’être partial à l’égard des personnes d’origine ethnique arménienne et que celles-ci n’ont donc pas été privées de manière discriminatoire des garanties d’une procédure régulière pendant leur détention.
 Enfin, la Cour devrait conclure que l’arménophobie générale cautionnée et cultivée par l’Azerbaïdjan n’a joué aucun rôle dans les actes dénoncés par l’Arménie. Pour parvenir à cette seule conclusion, la Cour devrait apprécier la totalité des éléments de preuve produits à l’appui de chacune des demandes de l’Arménie, y compris celles que l’Azerbaïdjan ne conteste pas par sa deuxième exception préliminaire.
105. Bien qu’il affirme ne pas demander à la Cour « d’apprécier, au fond, la force ou la faiblesse de l’argumentation de l’Arménie »283, l’Azerbaïdjan fait exactement cela dans son annexe 46, où il recense — de manière incomplète — les « preuves produites par l’Arménie à l’appui de sa demande »284. C’est également ce qu’il fait quand il affirme par exemple que « [l]es “accusations mensongères” et les “chefs d’accusation spécieux” auxquels l’Arménie fait référence … ne sont corroborés par aucun élément factuel dans son mémoire »285. Il est impossible de comprendre comment l’Azerbaïdjan peut affirmer cela tout en soutenant par ailleurs que la Cour, pour retenir son exception, n’a « pas besoin d’évaluer les éléments de preuve ou d’examiner d’autres
281 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 7, par. 97.
282 Ibid.
283 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 65.
284 Table of Armenia’s Claims and Factual Allegations That Do Not Fall Within CERD (exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, annexe 46). Comme il a été dit plus haut, l’annexe 46 est incomplète et ne donne pas un résumé fiable des éléments de preuve et des arguments présentés à l’appui des demandes de l’Arménie. Voir supra, par. 38, note 80. Voir également supra, par. 105.
285 Exceptions préliminaires de l’Azerbaïdjan, par. 60.
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aspects du fond » de l’affaire
286, d’autant qu’il est bien obligé de reconnaître que « certains actes de guerre peuvent faire intervenir la CIEDR »287.
106. La Cour n’ignore pas que l’Arménie a elle aussi contesté sa compétence ratione materiae à l’égard des demandes présentées par l’Azerbaïdjan, dans la procédure parallèle Azerbaïdjan c. Arménie, au sujet de la pose de mines et de pièges, et de prétendus dommages environnementaux. Cependant, dans cette affaire-là, l’Arménie a prié la Cour de conclure que les faits dont il est tiré grief ne relèvent pas de la CIEDR même à supposer que les allégations factuelles de l’Azerbaïdjan soient véridiques288. L’application de ce même critère dans la présente procédure doit conduire au rejet de la deuxième exception préliminaire de l’Azerbaïdjan dans sa totalité.
107. En conclusion, si l’on admet la véracité des faits allégués, tous les faits dont l’Arménie tire grief sont susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale et entrent donc dans le champ d’application de la CIEDR. Cependant, même si elle devait appliquer un critère différent à ce stade, pour pouvoir conclure que les faits dénoncés ne sont pas susceptibles d’être constitutifs de discrimination raciale, la Cour serait amenée à se prononcer sur le fond du différend et, dans ces conditions, elle ne pourrait pas statuer sur les exceptions de l’Azerbaïdjan au présent stade préliminaire.
IV. CONCLUSIONS
108. Pour les motifs qui précèdent, l’Arménie prie respectueusement la Cour de :
a) rejeter la première exception préliminaire soulevée par l’Azerbaïdjan ;
b) rejeter la deuxième exception préliminaire soulevée par Azerbaïdjan ; à titre subsidiaire, déclarer que cette deuxième exception n’a pas un caractère exclusivement préliminaire.
Respectueusement,
Le 21 août 2023.
L’agent de la République d’Arménie,
Yeghishe KIRAKOSYAN.
___________
286 Ibid., par. 41.
287 Ibid., par. 8.
288 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Azerbaïdjan c. Arménie), exceptions préliminaires de la République d’Arménie (23 avril 2023), par. 10 (annexe 22). Voir également Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 71, par. 112 (« En conséquence, la Cour conclut que, quand bien même les mesures dont le Qatar tire grief dans le cadre de son allégation de “discrimination indirecte” seraient avérées, elles ne peuvent être constitutives de discrimination raciale au sens de la convention. »).
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CERTIFICATION
Je certifie que toutes les annexes jointes sont des copies conformes des documents cités en référence et que les traductions fournies sont exactes.
Le 21 août 2023.
L’agent de la République d’Arménie,
Yeghishe KIRAKOSYAN.
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Exposé écrit de l'Arménie sur les exceptions préliminaires soulevées par l'Azerbaïdjan

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