16 NOVEMBRE 2023
ORDONNANCE
APPLICATION DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES
PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS
(CANADA ET PAYS-BAS c. RÉPUBLIQUE ARABE SYRIENNE)
___________
APPLICATION OF THE CONVENTION AGAINST TORTURE AND OTHER CRUEL,
INHUMAN OR DEGRADING TREATMENT OR PUNISHMENT
(CANADA AND THE NETHERLANDS v. SYRIAN ARAB REPUBLIC)
16 NOVEMBRE 2023
ORDER
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
QUALITÉS 1-19
I. COMPÉTENCE PRIMA FACIE 20-47
1. Observations générales 20-23
2. Existence d’un différend concernant l’interprétation ou
l’application de la convention contre la torture 24-33
3. Conditions procédurales préalables 34-46
4. Conclusion quant à la compétence prima facie 47
II. QUALITÉ POUR AGIR DU CANADA ET DES PAYS-BAS 48-51
III. DROITS DONT LA PROTECTION EST RECHERCHÉE ET LIEN
ENTRE CES DROITS ET LES MESURES DEMANDÉES 52-63
IV. RISQUE DE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE ET URGENCE 64-75
V. CONCLUSION ET MESURES À ADOPTER 76-82
DISPOSITIF 83
___________
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2023
2023
16 novembre
Rôle général
no 188
16 novembre 2023
APPLICATION DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE ET AUTRES
PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS, INHUMAINS OU DÉGRADANTS
(CANADA ET PAYS-BAS c. RÉPUBLIQUE ARABE SYRIENNE)
DEMANDE EN INDICATION DE MESURES CONSERVATOIRES
ORDONNANCE
Présents : MME DONOGHUE, présidente ; M. GEVORGIAN, vice-président ; MM. TOMKA,
ABRAHAM, BENNOUNA, YUSUF, MMES XUE, SEBUTINDE, MM. BHANDARI, ROBINSON,
SALAM, IWASAWA, NOLTE, MME CHARLESWORTH, M. BRANT, juges ; M. GAUTIER,
greffier.
La Cour internationale de Justice,
Ainsi composée,
Après délibéré en chambre du conseil,
Vu les articles 41 et 48 du Statut de la Cour et les articles 73, 74 et 75 de son Règlement,
Rend l’ordonnance suivante :
- 2 -
1. Le 8 juin 2023, le Canada et le Royaume des Pays-Bas (ci-après les « États demandeurs »
ou les « demandeurs ») ont déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre
la République arabe syrienne (ci-après la « Syrie ») concernant des violations alléguées de la
convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (ci-après
la « convention contre la torture » ou la « convention »).
2. Au terme de leur requête, les États demandeurs
« prient respectueusement la Cour de dire et juger que la Syrie :
a) a violé les obligations lui incombant au regard de la convention contre la torture, en
particulier celles énoncées aux articles 2, 7, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16 et 19, et
continue de le faire ;
b) doit accepter pleinement sa responsabilité pour ces faits internationalement illicites ;
c) doit cesser immédiatement ces violations continues et se conformer aux obligations
qui lui incombent au titre de la convention contre la torture ;
d) doit fournir des assurances et garanties appropriées de non-répétition des violations
de la convention contre la torture ;
e) doit enquêter sur les actes de torture et, lorsque cela est justifié, en poursuivre et en
punir les responsables, tout en garantissant à toute personne poursuivie un traitement
équitable à tous les stades de la procédure ; et
f) doit accorder à chaque victime réparation intégrale, y compris sous forme
d’indemnisation et de réadaptation, pour le préjudice subi en conséquence de ces
faits internationalement illicites.
Les demandeurs prient également respectueusement la Cour de dire et juger que
la Syrie a commis une violation grave d’une norme impérative du droit international en
raison de son manquement flagrant ou systématique à l’obligation qui lui incombe au
regard de l’article 2 de la convention contre la torture de ne pas commettre d’actes de
torture ainsi que d’empêcher ses agents et autres personnes agissant à titre officiel de
perpétrer de tels actes, et de déterminer les conséquences juridiques qui en découlent. »
3. Dans leur requête, les États demandeurs entendent fonder la compétence de la Cour sur le
paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci et le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention
contre la torture.
4. En même temps que la requête, les États demandeurs, se référant à l’article 41 du Statut de
la Cour et aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement, ont présenté une demande en indication de
mesures conservatoires.
5. Au terme de leur demande, les États demandeurs ont prié la Cour d’indiquer les mesures
conservatoires suivantes :
« a) la Syrie doit immédiatement prendre des mesures efficaces pour cesser et prévenir
tous les actes qui sont constitutifs de torture et d’autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ou y contribuent ;
- 3 -
b) compte tenu du risque fortement accru, pour les détenus, d’être soumis à la torture
et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Syrie doit
immédiatement :
i) cesser les détentions arbitraires et libérer toutes les personnes détenues
arbitrairement ou illégalement ;
ii) cesser toute forme de détention au secret ;
iii) permettre l’accès à tous ses lieux de détention officiels et non officiels aux
mécanismes de contrôle indépendants et au personnel médical, et autoriser les
contacts et les visites entre les détenus et leurs familles et avocats ;
iv) prendre des mesures urgentes pour améliorer les conditions de vie dans tous
ses centres de détention officiels et non officiels, afin de garantir que tous les
détenus sont traités avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à
la personne humaine, conformément aux normes internationales ;
c) la Syrie doit s’abstenir de détruire ou de rendre inaccessible tout élément de preuve
lié à la requête, notamment en détruisant ou en rendant inaccessibles des dossiers
médicaux ou d’autres documents concernant des blessures subies à la suite d’actes
de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou la
dépouille de toute personne ayant été victime d’actes de torture ou d’autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
d) la Syrie doit sauvegarder tout renseignement concernant la cause du décès d’un
détenu décédé pendant sa détention ou son hospitalisation, y compris toute
information relative à l’examen médico-légal de la dépouille et aux lieux
d’inhumation, et fournir aux proches de toute personne décédée à la suite d’actes de
torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants après son
arrestation, son hospitalisation ou sa détention un certificat de décès indiquant la
cause véritable du décès ;
e) la Syrie doit communiquer aux proches l’emplacement des lieux d’inhumation des
personnes décédées à la suite d’actes de torture ou d’autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants après leur arrestation, leur hospitalisation ou leur
détention ;
f) la Syrie ne doit prendre aucune mesure, et veiller à ce qu’aucune mesure ne soit
prise, susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend existant qui fait l’objet de la
requête, ou d’en rendre le règlement plus difficile ; et
g) la Syrie doit présenter à la Cour un rapport sur toutes les mesures qu’elle aura prises
pour donner effet à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires, en
commençant au plus tard six mois après le prononcé de celle-ci, et tous les six mois
par la suite jusqu’au règlement du différend. »
6. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement de la Syrie la requête,
conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de la Cour, et la demande en indication de
mesures conservatoires, conformément au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement. Il a également
informé le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt de cette requête et de
cette demande.
- 4 -
7. En attendant que la communication prévue au paragraphe 3 de l’article 40 du Statut ait été
effectuée, le greffier a, par lettre en date du 13 juin 2023, informé tous les États admis à ester devant
la Cour du dépôt de la requête et de la demande en indication de mesures conservatoires.
8. Par lettre en date du 8 juin 2023 accompagnant la requête, le Canada a informé la Cour de
la désignation de M. Alan H. Kessel, sous-ministre adjoint et conseiller juridique aux Affaires
mondiales Canada, en qualité d’agent aux fins de l’affaire. Il a par la suite, par lettre en date du
2 novembre 2023, informé la Cour de la désignation de M. Louis-Martin Aumais, directeur général
du bureau du Droit international public aux Affaires mondiales Canada, en qualité de coagent.
Par lettre en date du 8 juin 2023 accompagnant la requête, le Royaume des Pays-Bas a informé
la Cour de la désignation de M. René J.M. Lefeber, conseiller juridique au ministère des affaires
étrangères, en qualité d’agent aux fins de l’affaire, et de Mme Annemarieke Künzli, conseil juridique
au ministère des affaires étrangères, en qualité de coagente.
9. Par lettres en date du 9 juin 2023, le greffier a fait savoir aux Parties que la Cour,
conformément au paragraphe 3 de l’article 74 de son Règlement, avait fixé au 3 juillet 2023 la date
d’ouverture de la procédure orale sur la demande en indication de mesures conservatoires. Il les a
par la suite informées, par lettres en date du 23 juin 2023, que la Cour avait décidé de reporter
l’ouverture de la procédure orale au 19 juillet 2023. Par lettre en date du 13 juillet 2023, la Syrie a
prié la Cour de reporter de trois mois la tenue des audiences. Après avoir consulté les États
demandeurs, qui se sont opposés à cette demande, la Cour a reporté l’ouverture de la procédure orale
au 10 octobre 2023. Les Parties ont été informées de la décision de la Cour par lettres en date du
14 juillet 2023.
10. Conformément au paragraphe 1 de l’article 43 du Règlement, le greffier a adressé aux États
parties à la convention contre la torture la notification prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du
Statut. En outre, conformément au paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, il a adressé à
l’Organisation des Nations Unies, par l’entremise de son Secrétaire général, la notification prévue au
paragraphe 3 de l’article 34 du Statut.
11. Par lettre en date du 9 octobre 2023, le chargé d’affaires de l’ambassade de Syrie à
Bruxelles a informé la Cour que son gouvernement avait décidé de ne pas participer aux audiences
devant s’ouvrir le 10 octobre 2023, et que la Cour se verrait communiquer « les détails de la position
de [la Syrie] dans une autre lettre ».
12. À l’audience tenue dans la matinée du 10 octobre 2023, des observations orales sur la
demande en indication de mesures conservatoires ont été présentées par :
Au nom du Canada et des Pays-Bas : M. René J.M. Lefeber,
Mme Annemarieke Künzli,
Mme Teresa Crockett,
M. Alan H. Kessel.
13. Au terme de leurs plaidoiries, les États demandeurs ont prié la Cour d’indiquer les mesures
conservatoires suivantes :
- 5 -
« a) la Syrie doit immédiatement prendre des mesures efficaces pour cesser et prévenir
tous les actes qui sont constitutifs de torture et d’autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ou y contribuent ;
b) compte tenu du risque fortement accru, pour les détenus, d’être soumis à la torture
et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Syrie doit
immédiatement :
i) cesser les détentions arbitraires et libérer toutes les personnes détenues
arbitrairement ou illégalement ;
ii) cesser toute forme de détention au secret ;
iii) permettre l’accès à tous ses lieux de détention officiels et non officiels aux
mécanismes de contrôle indépendants et au personnel médical, et autoriser les
contacts et les visites entre les détenus et leurs familles et avocats ;
iv) prendre des mesures urgentes pour améliorer les conditions de vie dans tous
ses centres de détention officiels et non officiels, afin de garantir que tous les
détenus sont traités avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à
la personne humaine, conformément aux normes internationale ;
c) la Syrie doit s’abstenir de détruire ou de rendre inaccessible tout élément de preuve
lié à la requête, notamment en détruisant ou en rendant inaccessibles des dossiers
médicaux ou d’autres documents concernant des blessures subies à la suite d’actes
de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou la
dépouille de toute personne ayant été victime d’actes de torture ou d’autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
d) la Syrie doit sauvegarder tout renseignement concernant la cause du décès d’un
détenu décédé pendant sa détention ou son hospitalisation, y compris toute
information relative à l’examen médico-légal de la dépouille et aux lieux
d’inhumation, et fournir aux proches de toute personne décédée à la suite d’actes de
torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants après son
arrestation, son hospitalisation ou sa détention un certificat de décès indiquant la
cause véritable du décès ;
e) la Syrie doit communiquer aux proches l’emplacement des lieux d’inhumation des
personnes décédées à la suite d’actes de torture ou d’autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants après leur arrestation, leur hospitalisation ou leur
détention ;
f) la Syrie ne doit prendre aucune mesure, et veiller à ce qu’aucune mesure ne soit
prise, susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend existant qui fait l’objet de la
requête, ou d’en rendre le règlement plus difficile ;
g) la Syrie doit présenter à la Cour un rapport sur toutes les mesures qu’elle aura prises
pour donner effet à l’ordonnance en indication de mesures conservatoires, en
commençant au plus tard six mois après le prononcé de celle-ci, et tous les six mois
par la suite jusqu’au règlement du différend ; et
h) la Syrie doit prendre des mesures immédiates pour réduire le risque que des actes de
torture ne soient commis par ses agents et autres personnels, notamment en donnant
des instructions afin de garantir que les détenus sont traités dans le respect de la
- 6 -
dignité humaine, en suspendant, pendant la durée de l’enquête, tout personnel
soupçonné de s’être livré à la torture ou à d’autres mauvais traitements, en levant
l’immunité de fait pour ceux de ses agents qui commettent des actes de torture et en
veillant à ce que les déclarations obtenues par la torture ne puissent être utilisées
comme élément de preuve dans une procédure. »
14. Par lettre en date du 10 octobre 2023 et reçue au Greffe en début d’après-midi le même
jour, le chargé d’affaires de l’ambassade de Syrie à Bruxelles a communiqué à la Cour la position de
son gouvernement concernant la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le
Canada et les Pays-Bas. Cette lettre a immédiatement été transmise aux États demandeurs.
15. Par lettre en date du 13 octobre 2023, la Syrie a informé la Cour de la désignation de
M. Ammar Al-Arsan, chargé d’affaires de l’ambassade de la République arabe syrienne à Bruxelles,
et de M. Ihab Hamed, conseiller à la mission permanente de la République arabe syrienne auprès de
l’Office des Nations Unies à Genève, en qualité d’agents aux fins de l’affaire.
*
* *
16. La Cour regrette la décision prise par la Syrie de ne pas prendre part à la procédure orale
sur la demande en indication de mesures conservatoires.
17. La non-comparution d’une partie comporte des conséquences négatives pour une bonne
administration de la justice, en ce qu’elle prive la Cour de l’aide qu’une partie aurait pu lui apporter.
La Cour doit néanmoins continuer de s’acquitter de sa fonction judiciaire dans n’importe quelle phase
de l’affaire (voir Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du
16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 217, par. 21).
18. Bien qu’officiellement absentes lors d’une phase particulière de l’affaire, ou de toutes, les
parties non comparantes soumettent parfois des lettres et des documents à la Cour par des moyens
non prévus par son Règlement. Il est utile pour la Cour de connaître les vues des deux parties, quelle
que soit la forme sous laquelle elles ont été présentées (voir Allégations de génocide au titre de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de
Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 217,
par. 22).
19. Ainsi, la Cour prendra en considération la lettre communiquée par la Syrie le 10 octobre
2023 (voir ci-dessus le paragraphe 14) dans la mesure où elle estimera approprié de le faire pour
s’acquitter de ses obligations. Elle souligne que la non-comparution d’une partie à la procédure ou à
une phase quelconque de celle-ci ne saurait en aucun cas affecter la validité de sa décision
(Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022,
C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 217, par. 23).
- 7 -
I. COMPÉTENCE PRIMA FACIE
1. Observations générales
20. La Cour ne peut indiquer des mesures conservatoires que si les dispositions invoquées par
le demandeur semblent prima facie constituer une base sur laquelle sa compétence pourrait être
fondée, mais elle n’a pas besoin de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au
fond de l’affaire (voir Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires,
ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 217-218, par. 24).
21. En la présente espèce, les États demandeurs entendent fonder la compétence de la Cour
sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci et le paragraphe 1 de l’article 30 de la
convention contre la torture (voir ci-dessus le paragraphe 3). La Cour doit donc, en premier lieu,
déterminer si ces dispositions lui confèrent prima facie compétence pour statuer au fond de l’affaire,
ce qui lui permettrait sous réserve que les autres conditions nécessaires soient réunies
d’indiquer des mesures conservatoires.
22. Le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture est ainsi libellé :
« Tout différend entre deux ou plus des États parties concernant l’interprétation
ou l’application de la présente Convention qui ne peut pas être réglé par voie de
négociation est soumis à l’arbitrage à la demande de l’un d’entre eux. Si, dans les
six mois qui suivent la date de la demande d’arbitrage, les parties ne parviennent pas à
se mettre d’accord sur l’organisation de l’arbitrage, l’une quelconque d’entre elles peut
soumettre le différend à la Cour internationale de Justice en déposant une requête
conformément au Statut de la Cour. »
23. Le Canada, les Pays-Bas et la Syrie sont tous trois parties à la convention contre la
torture. Le Canada l’a ratifiée le 24 juin 1987 et les Pays-Bas, le 21 décembre 1988 ; la Syrie y a,
quant à elle, adhéré le 19 août 2004. Aucune des Parties n’a formulé de réserve à l’article 30 de la
convention.
2. Existence d’un différend concernant l’interprétation ou
l’application de la convention contre la torture
24. Le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture subordonne la
compétence de la Cour à l’existence d’un différend concernant l’interprétation ou l’application de
cet instrument. Selon la jurisprudence constante de la Cour, un différend est « un désaccord sur un
point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts » entre
des parties (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11).
Pour qu’un différend existe, « [i]l [doit être] démontr[é] que la réclamation de l’une des parties se
heurte à l’opposition manifeste de l’autre » (Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria
c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 328). Les « “points de vue
des deux parties, quant à l’exécution ou à la non-exécution” de certaines obligations internationales,
“[doivent être] nettement opposés” » (Violations alléguées de droits souverains et d’espaces
maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50, citant Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la
Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74). À l’effet
d’établir si un différend existe dans la présente affaire, la Cour ne peut se borner à constater que l’une
- 8 -
des Parties soutient que la convention s’applique alors que l’autre le nie (voir Allégations de génocide
au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine
c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J.
Recueil 2022 (I), p. 218-219, par. 28).
25. Les États demandeurs entendant fonder sa compétence sur la clause compromissoire d’une
convention internationale, la Cour doit rechercher, au présent stade de la procédure, si les actes dont
ils tirent grief semblent susceptibles d’entrer dans le champ d’application ratione materiae de cet
instrument (voir Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du
16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 219, par. 29).
* *
26. Les États demandeurs affirment que les échanges entre les Parties, qui s’étendent sur plus
de dix ans et comprennent des déclarations faites dans des enceintes multilatérales, des déclarations
publiques et des notes diplomatiques, montrent clairement qu’un différend les oppose à la Syrie
concernant l’interprétation et l’application de la convention contre la torture. Ils avancent que, depuis
2011 au moins, ils ont, de manière constante, exprimé leur profonde préoccupation au sujet de la
situation des droits de l’homme en Syrie, et appelé à maintes reprises cette dernière à s’acquitter des
obligations internationales qui lui incombent en la matière, en particulier celles énoncées par la
convention contre la torture. Ils soutiennent qu’ils ont, dans différentes enceintes multilatérales, et
notamment devant le Conseil de sécurité, l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme
des Nations Unies, expressément fait état de leur opposition et de leur préoccupation à l’égard de
pratiques persistantes de torture et d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en
Syrie, et que celle-ci a chaque fois gardé le silence ou exprimé son désaccord.
27. Les demandeurs indiquent également que, le 18 septembre 2020, les Pays-Bas ont
formellement notifié à la Syrie l’existence d’un différend entre eux et demandé que des négociations
soient menées, en application du paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture, au
sujet du non-respect par la Syrie de ses obligations au titre de cet instrument. Selon les demandeurs,
les Pays-Bas ont annoncé publiquement qu’ils avaient pris cette mesure, et la Syrie a, le lendemain,
fait à son tour une déclaration publique, dans laquelle elle dénonçait la démarche entreprise par les
Pays-Bas. Les demandeurs ajoutent que, le 3 mars 2021, le Canada a présenté à la Syrie une demande
similaire de négociations en application du paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la
torture, « à la lumière du différend de longue date entre le Gouvernement du Canada et la République
arabe syrienne ». Cette demande a elle aussi donné lieu à une annonce publique. Les demandeurs
relèvent qu’ils ont, dans une déclaration commune datée du 12 mars 2021, formulé leur intention
d’amener la Syrie à répondre des violations de ses obligations au regard de la convention contre la
torture. Ils se réfèrent en outre à deux documents, intitulés « Exposé des faits » et « Exposé de droit »,
qu’ils ont communiqués à la Syrie le 9 août 2021, et dans lesquels étaient formulés les remèdes
recherchés. Les demandeurs indiquent que, le 30 septembre 2021, la Syrie les a avisés qu’elle
« rejetait “in toto” la formulation utilisée pour qualifier le différend, renvoyant à sa “responsabilité
internationale pour les manquements récents à ses obligations au titre de la convention contre la
torture”, ainsi que l’exposé des faits et l’exposé de droit ».
*
- 9 -
28. Selon la position de la Syrie, telle que présentée dans la lettre du 10 octobre 2023 adressée
par son ambassade à Bruxelles, les demandeurs n’ont pas apporté la preuve des éléments requis,
conformément à la jurisprudence de la Cour, pour établir l’existence d’un différend. La Syrie soutient
qu’il ressort de la correspondance qu’elle a échangée avec les demandeurs et de deux réunions tenues
en personne entre leurs délégations respectives en avril et octobre 2022 que
« [s]es vues … n’étaient pas opposées à celles des demandeurs, et qu[’elle] a tenté de
comprendre les préoccupations et les positions de ces derniers et d’obtenir des
précisions supplémentaires en vue d’en vérifier le bien-fondé et de prendre les mesures
qui pourraient être nécessaires ou requises, ainsi que de parvenir à un accord avec eux ».
29. La Syrie avance en outre que « [l]es déclarations et communiqués des
demandeurs … revêtaient un caractère purement général et ne portaient pas spécifiquement sur
l’“existence d’un différend” au regard de la convention contre la torture », précisant qu’ils « ont été
établis dans le contexte global de l’évolution de la situation en Syrie ». De même, elle indique que
« la correspondance échangée entre les Parties était de nature procédurale, et s’inscrivait dans le
contexte d’échanges visant à clarifier les points soulevés par les demandeurs ».
* *
30. La Cour rappelle que, aux fins de déterminer s’il existait un différend entre les parties au
moment du dépôt de la requête, elle tient notamment compte de l’ensemble des déclarations ou
documents échangés entre elles, ainsi que de tout échange ayant eu lieu dans des enceintes
multilatérales (voir Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires,
ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 220-221, par. 35). L’existence d’un
différend doit être établie objectivement par la Cour ; c’est une question de fond, et non de forme ou
de procédure (ibid.).
31. La Cour prend note de l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils ont, depuis 2011,
dénoncé les violations alléguées de la convention dans différentes enceintes multilatérales et
bilatérales. La Cour examinera tout d’abord les déclarations faites dans un cadre bilatéral. À cet
égard, les Pays-Bas et le Canada ont adressé à la Syrie deux notes diplomatiques individuelles,
respectivement datées du 18 septembre 2020 et du 3 mars 2021, lui reprochant de ne pas s’être
acquittée de ses obligations au titre de la convention contre la torture. Le 21 avril 2021, les
demandeurs ont envoyé une première note diplomatique conjointe, qui faisait notamment référence
à ces communications antérieures. Dans une note diplomatique datée du 30 septembre 2021, la Syrie
a reconnu que les demandeurs avaient envoyé l’« exposé des faits » et l’« exposé de droit » le 9 août
2021 et indiqué qu’elle rejetait « in toto » la « formulation » employée par ces derniers, qui évoquait
sa « responsabilité internationale pour les manquements à ses obligations au titre de la convention
contre la torture ». Dans une série de notes diplomatiques échangées par la suite entre les Parties pour
examiner la possibilité de poursuivre leurs échanges, la Syrie a exprimé son respect pour la
convention contre la torture et affirmé prêter attention aux obligations internationales lui incombant,
notamment au titre de cet instrument. La Cour estime que ces échanges intervenus entre les Parties
avant le dépôt de la requête indiquent que celles-ci ont des vues divergentes sur la question de savoir
si certains actes ou omissions reprochés à la Syrie emportent violation des obligations que lui impose
la convention contre la torture. Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire pour la Cour
d’examiner les arguments des demandeurs concernant les déclarations faites dans des enceintes
multilatérales.
- 10 -
32. Aux fins de la présente procédure, la Cour n’a pas à se prononcer sur la question de savoir
si la Syrie a, comme cela est allégué, manqué aux obligations lui incombant au titre de la convention
contre la torture, ce qu’elle ne pourrait faire que dans le cadre de l’examen de l’affaire au fond. Au
stade actuel, celui d’une ordonnance sur une demande en indication de mesures conservatoires, elle
doit établir si les actes et omissions dont les demandeurs tirent grief semblent susceptibles d’entrer
dans les prévisions de la convention (cf. Allégations de génocide au titre de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures
conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 222, par. 43). La Cour note
que, selon les États demandeurs, la Syrie a violé ses obligations au titre de la convention de
différentes manières, soit par des disparitions forcées, le traitement odieux des détenus, des
conditions inhumaines de détention, d’autres actes commis pour contraindre, punir ou terroriser la
population civile, ainsi que la violence sexuelle et fondée sur le genre. De l’avis de la Cour, les actes
et omissions que les demandeurs reprochent à la Syrie semblent susceptibles d’entrer dans les
prévisions de la convention.
33. En conséquence, la Cour conclut qu’il existe une base suffisante pour établir prima facie
qu’un différend oppose les Parties quant à l’interprétation ou à l’application de la convention contre
la torture.
3. Conditions procédurales préalables
34. Le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture énonce des conditions
procédurales préalables auxquelles il doit être satisfait pour qu’un différend puisse être porté devant
la Cour (voir Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal),
arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 445-448, par. 56-63). Il faut tout d’abord que les parties tentent de
régler le différend « par voie de négociation ». Ensuite, le différend, s’il ne peut être réglé par cette
voie, doit être « soumis à l’arbitrage à la demande de l’un[e des parties] ». Enfin, la disposition
prévoit que le différend ne peut être porté devant la Cour que si, « dans les six mois qui suivent la
date de la demande d’arbitrage, les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l’organisation
de l’arbitrage ».
35. Au stade actuel de la procédure, la Cour déterminera s’il apparaît, prima facie, que les
demandeurs ont véritablement cherché à mener des négociations avec la Syrie en vue de régler le
différend qui les oppose au sujet du respect, par cette dernière, des obligations matérielles lui
incombant au titre de la convention contre la torture, et si les demandeurs ont poursuivi ces
négociations autant qu’il était possible (voir Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures
conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 372, par. 33). Elle
examinera ensuite s’il apparaît, prima facie, qu’une tentative a été faite pour soumettre le différend
à l’arbitrage, et si, le cas échéant, un délai de six mois s’est écoulé depuis la demande d’arbitrage
formulée par les demandeurs, délai dans lequel les Parties ne sont pas parvenues à se mettre d’accord
sur l’organisation de l’arbitrage.
* *
36. Concernant la condition préalable de négociation prescrite au paragraphe 1 de l’article 30
de la convention contre la torture, les États demandeurs commencent par rappeler qu’ils ont, pendant
une période de trois ans, échangé 66 notes diplomatiques avec la Syrie, et qu’ils ont pris part à
- 11 -
deux réunions tenues en personne en avril et octobre 2022, en vue de trouver une issue négociée au
différend. Ils indiquent ensuite que, à la fin de la seconde réunion, tenue les 5 et 6 octobre 2022, il
était « clair que les positions des Parties restaient diamétralement opposées s’agissant des faits
présentés par le Canada et les Pays-Bas, de la portée du différend, de l’interprétation et de
l’application de la convention contre la torture, et du règlement éventuel du différend ». Les
demandeurs ajoutent que, après plus de deux ans « d’efforts concertés », les positions des Parties
n’avaient pas évolué et aucun progrès n’avait été réalisé dans la recherche d’une solution au
différend. Ayant conclu que la poursuite des négociations ne permettrait pas de parvenir à un
règlement du différend, ils ont, par note diplomatique en date du 17 octobre 2022, informé la Syrie
qu’ils considéraient que les négociations étaient devenues inutiles ou avaient abouti à une impasse.
37. S’agissant de la condition préalable relative à l’arbitrage prévue au paragraphe 1 de
l’article 30 de la convention contre la torture, les États demandeurs font valoir qu’ils ont, par une
note diplomatique en date du 7 novembre 2022, formellement demandé que le différend soit soumis
à l’arbitrage, en annexant à cette communication un ensemble de propositions présentées comme les
« éléments de base » d’un accord sur l’organisation de cette procédure. Selon les demandeurs, la
Syrie n’a pas accusé réception de cette demande, et n’y a pas davantage répondu de quelque autre
façon ; elle n’a en outre jamais, bien qu’ayant été plusieurs fois invitée à le faire, formulé aucun
commentaire sur les propositions soumises. Les demandeurs soulignent que plus de six mois se sont
écoulés depuis leur demande formelle d’arbitrage sans qu’un accord soit intervenu sur l’organisation
de cette procédure.
*
38. Concernant la condition préalable de négociation énoncée au paragraphe 1 de l’article 30
de la convention contre la torture, la Syrie fait valoir, dans sa lettre du 10 octobre 2023, que les notes
diplomatiques échangées entre les Parties ne traitaient pas « du fond … de la question », et que la
première réunion, tenue le 26 avril 2022, « ne portait que sur des aspects procéduraux ». Selon elle,
les Parties sont convenues qu’elles se réuniraient tous les trois mois, et ont en conséquence échangé
des communications pour arrêter la date de la réunion suivante. La Syrie affirme que cette seconde
réunion, tenue les 5 et 6 octobre 2022 entre les Parties, est la seule à avoir porté sur les questions de
fond et qu’elle ne permettait donc pas aux demandeurs de conclure que les Parties avaient atteint une
impasse ou que toute nouvelle négociation serait inutile. Elle soutient que, dans la correspondance
échangée par la suite, elle a régulièrement réaffirmé sa volonté d’avoir un dialogue sérieux et de
bonne foi avec les demandeurs sur le fondement de la convention contre la torture, en indiquant
qu’elle souhaitait soulever des points supplémentaires aux fins de la discussion et en proposant à
maintes reprises que les Parties se réunissent à nouveau dès que possible.
39. Pour ce qui est de la condition préalable d’arbitrage prévue au paragraphe 1 de l’article 30
de la convention contre la torture, la Syrie allègue, dans sa lettre du 10 octobre 2023, que la demande
d’arbitrage contenue dans la note diplomatique du 7 novembre 2022 adressée par les demandeurs
était contraire à l’esprit et à la lettre de l’article 30 de la convention au motif que les « éléments »
relatifs à la formation d’un tribunal arbitral contenus dans la note diplomatique constituaient « une
condition préalable excluant toute possibilité de discuter de la question de l’arbitrage ».
* *
- 12 -
40. S’agissant de la condition préalable de négociation énoncée au paragraphe 1 de l’article 30
de la convention contre la torture, la Cour relève que les négociations sont à distinguer des simples
protestations ou contestations, et supposent que l’une des parties ait véritablement cherché à engager
un dialogue avec l’autre en vue de régler le différend. Si les parties ont cherché à négocier ou ont
entamé des négociations, cette condition préalable n’est réputée remplie que lorsque la tentative de
négocier a été vaine ou que les négociations ont échoué, sont devenues inutiles ou ont abouti à une
impasse. Pour satisfaire à cette condition préalable, « ladite négociation doit … concerner l’objet du
différend, qui doit lui-même se rapporter aux obligations de fond prévues par l’instrument en
question » (voir Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 373-374, par. 38).
41. La Cour note que, depuis que la Syrie s’est vu formellement reprocher d’avoir manqué aux
obligations qui lui incombent en vertu de la convention contre la torture par les Pays-Bas, dans leur
note diplomatique du 18 septembre 2020 (dans laquelle était proposée la conduite de négociations à
cet égard), par le Canada, dans sa première note diplomatique envoyée le 3 mars 2021, puis par les
deux États demandeurs, dans leur première note diplomatique conjointe datée du 21 avril 2021, les
Parties ont échangé, pendant deux ans, une série de notes diplomatiques et tenu des réunions en
personne le 26 avril et les 5 et 6 octobre 2022 afin de tenter de parvenir à un règlement négocié du
différend. Or, il apparaît à la Cour, au vu de la teneur des notes diplomatiques et des informations
disponibles concernant les réunions tenues en personne, que les positions qui étaient celles des Parties
n’avaient pas évolué et qu’aucun progrès substantiel n’avait été fait aux fins de la résolution du
différend dans la période ayant précédé la note diplomatique conjointe du 7 novembre 2022 dans
laquelle le Canada et les Pays-Bas ont demandé que le différend soit soumis à l’arbitrage.
42. En conséquence, il apparaît à la Cour que la condition préalable de négociation prescrite
au paragraphe 1 de l’article 30 de la convention avait été remplie à la date de dépôt de la requête.
43. Concernant la condition préalable relative à l’arbitrage prévue au paragraphe 1 de
l’article 30 de la convention contre la torture, la Cour estime que, dans leur note diplomatique datée
du 7 novembre 2022, les États demandeurs ont expressément proposé à la Syrie de recourir à
l’arbitrage en vue de régler le différend concernant les violations de la convention qui lui étaient
reprochées. La Cour observe en outre que la Syrie ne semble pas avoir accusé réception de cette
proposition ni y avoir répondu d’une quelconque autre manière, et que plus de six mois se sont
écoulés depuis que celle-ci a été formulée. Il apparaît donc à la Cour que la condition procédurale
préalable relative à l’arbitrage, énoncée au paragraphe 1 de l’article 30 de la convention, avait été
remplie à la date de dépôt de la requête.
44. Rappelant que, à ce stade de la procédure, elle doit se prononcer uniquement sur sa
compétence prima facie, la Cour estime qu’il semble avoir été satisfait aux conditions procédurales
préalables prescrites par le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture.
*
45. La Cour note que la Syrie, dans sa lettre du 10 octobre 2023, affirme que la Cour n’a pas
compétence pour connaître de la requête. La Syrie soutient en particulier que, en cas de différend
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concernant l’interprétation ou l’application de la convention contre la torture, l’article 30 de celle-ci
ne trouve à s’appliquer qu’après la mise en oeuvre des procédures et dispositifs prévus aux articles 17
à 21, qui portent sur la constitution du Comité contre la torture et les fonctions qui lui sont confiées.
Les demandeurs ne peuvent, selon elle, introduire une instance devant la Cour sur le fondement de
l’article 30 de la convention sans avoir préalablement soumis une communication au Comité contre
la torture conformément à l’article 21, ce qu’ils n’ont pas fait. La Syrie ajoute que, en tout état de
cause, elle a fait une déclaration en vertu du paragraphe 1 de l’article 28 aux termes de laquelle elle
ne reconnaît pas la compétence du Comité pour agir conformément à l’article 20, et qu’elle n’a jamais
soumis de déclaration reconnaissant la compétence de celui-ci pour recevoir et examiner des
communications en vertu de l’article 21.
46. À cet égard, la Cour observe que le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la
torture ne semble pas indiquer que la compétence qu’il lui confère est subordonnée aux procédures
du Comité contre la torture. Il apparaît en outre à la Cour que la déclaration de la Syrie rejetant la
compétence de cet organe pour agir conformément à l’article 20 et le fait que celle-ci n’ait jamais
reconnu la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications en vertu de
l’article 21 sont sans incidence sur la compétence de la Cour au titre du paragraphe 1 de l’article 30
de la convention.
4. Conclusion quant à la compétence prima facie
47. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, prima facie, elle a compétence en
vertu du paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture pour connaître de l’affaire
dans la mesure où le différend entre les Parties concerne l’interprétation ou l’application de la
convention.
II. QUALITÉ POUR AGIR DU CANADA ET DES PAYS-BAS
48. Le Canada et les Pays-Bas soutiennent qu’ils demandent l’exécution, par la Syrie, des
obligations lui incombant au titre de la convention contre la torture, qui revêtent, de leur point de
vue, un caractère erga omnes partes et leur sont donc dues, comme elles sont dues à tous les autres
États parties à la convention.
49. Dans sa lettre du 10 octobre 2023, la Syrie soutient que les obligations découlant de la
convention contre la torture sont des obligations individuelles faites aux États, et que les demandeurs
ne sont pas en droit de mettre en cause sa responsabilité sur le fondement de la convention, parce
qu’ils n’ont pas établi avoir subi un quelconque préjudice.
* *
50. La Cour rappelle que, dans une affaire précédente dans laquelle le paragraphe 1 de
l’article 30 de la convention contre la torture était, comme en la présente espèce, invoqué pour fonder
sa compétence, elle a observé que, « [e]n raison des valeurs qu’ils partagent, les États parties à cet
instrument ont un intérêt commun à assurer la prévention des actes de torture et, si de tels actes sont
commis, à veiller à ce que leurs auteurs ne bénéficient pas de l’impunité ». Selon le raisonnement
exposé par la Cour, un tel intérêt commun
- 14 -
« implique que les obligations en question s’imposent à tout État partie à la convention
à l’égard de tous les autres États parties. L’ensemble des États parties ont “un intérêt
juridique” à ce que les droits en cause soient protégés (Barcelona Traction, Light and
Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J.
Recueil 1970, p. 32, par. 33). Les obligations correspondantes peuvent donc être
qualifiées d’“obligations erga omnes partes”, en ce sens que, quelle que soit l’affaire,
chaque État partie a un intérêt à ce qu’elles soient respectées. » (Questions concernant
l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil
2012 (II), p. 449, par. 68.)
Il s’ensuit que tout État partie à la convention contre la torture peut invoquer la responsabilité d’un
autre État partie en vue d’obtenir que la Cour détermine si celui-ci a manqué à ses obligations erga
omnes partes et de mettre fin à ce manquement.
51. La Cour conclut en conséquence que les demandeurs ont, prima facie, qualité pour lui
soumettre le différend qui les oppose à la Syrie au sujet de violations alléguées d’obligations
découlant de la convention contre la torture.
III. DROITS DONT LA PROTECTION EST RECHERCHÉE ET LIEN
ENTRE CES DROITS ET LES MESURES DEMANDÉES
52. Le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires que la Cour tient de l’article 41 de son
Statut a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa décision au fond, les droits revendiqués par
chacune des parties. Il s’ensuit que la Cour doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures
les droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait reconnaître à l’une ou à l’autre des
parties. Aussi ne peut-elle exercer ce pouvoir que si elle estime que les droits invoqués par le
demandeur sont au moins plausibles (voir, par exemple, Allégations de génocide au titre de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de
Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 223,
par. 50).
53. À ce stade de la procédure, cependant, la Cour n’est pas appelée à se prononcer
définitivement sur le point de savoir si les droits que les États demandeurs souhaitent voir protégés
existent ; il lui faut seulement déterminer si les droits que ceux-ci revendiquent au fond et dont ils
sollicitent la protection sont plausibles. En outre, un lien doit exister entre les droits dont la protection
est recherchée et les mesures conservatoires demandées (Allégations de génocide au titre de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de
Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 224,
par. 51).
* *
54. Les demandeurs soutiennent que, étant donné qu’ils sont parties à la convention contre la
torture et ont, à ce titre, un intérêt commun à ce que soient respectées les obligations en découlant,
les droits qu’ils revendiquent en la présente instance sont plausibles. Ils se réfèrent à leurs droits
d’exiger que la Syrie s’acquitte des obligations qui lui incombent au regard de la convention contre
la torture, notamment celles énoncées aux articles 2, 7, 10, 11, 12, 13, 15 et 16. En outre, ils font
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valoir que la protection de ces droits aura pour effet de protéger également les personnes qui, selon
eux, sont actuellement soumises à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants en Syrie ou risquent de l’être de manière imminente.
*
55. Dans sa lettre du 10 octobre 2023, la Syrie soutient que, pour que les droits qu’ils allèguent
au titre de la convention contre la torture soient plausibles, les demandeurs doivent présenter des
éléments de preuve précis établissant les actes de torture prétendument commis. Or ceux-ci n’ont,
selon elle, soumis aucun élément de la sorte.
* *
56. La convention impose aux États parties un certain nombre d’obligations en ce qui concerne
la prévention et la répression des actes de torture et autres actes constitutifs de peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. Le paragraphe 1 de l’article premier de la convention définit la
torture dans les termes suivants :
« [T]out acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou
mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment
d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir
d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis,
de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une
tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle
qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent
de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son
instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la
douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à
ces sanctions ou occasionnées par elles. »
D’autres dispositions de la convention imposent aux États parties, entre autres, de prendre des
mesures législatives, administratives et judiciaires ou d’autres mesures efficaces pour empêcher que
des actes de torture ne soient commis dans tout territoire sous leur juridiction (article 2), d’extrader
l’auteur présumé d’actes de torture ou de soumettre l’affaire à leurs autorités compétentes pour
l’exercice de l’action pénale (article 7), de veiller à ce que l’enseignement et l’information
concernant l’interdiction de la torture fassent partie intégrante de la formation du personnel
susceptible d’intervenir dans la garde, l’interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu
ou emprisonné de quelque façon que ce soit (article 10), de veiller à ce que les autorités compétentes
procèdent immédiatement à une enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de
croire qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous leur juridiction (article 12), d’assurer
à toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire sous leur juridiction le
droit de porter plainte devant leurs autorités compétentes et de voir sa cause immédiatement et
impartialement examinée (article 13), ou encore d’interdire dans tout territoire sous leur juridiction
d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas
des actes de torture (article 16).
- 16 -
57. La Cour note que les dispositions de la convention contre la torture visent à protéger les
personnes de la torture et d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants. Elle a estimé par le passé qu’il existe une corrélation entre le respect des droits des
personnes consacrés par la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, les obligations que celle-ci impose aux États parties et le droit qu’ont ces
derniers de demander l’exécution de ces obligations (Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures
conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 382, par. 57). De l’avis de
la Cour, cela vaut également pour la convention contre la torture. La Cour considère que les
demandeurs ont un droit plausible à ce que la Syrie s’acquitte de ses obligations au titre de la
convention qui ont un caractère erga omnes partes. L’affirmation de la Syrie selon laquelle les
demandeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve précis établissant les actes de torture
prétendument commis (voir ci-dessus le paragraphe 55) sera abordée ultérieurement par la Cour
(paragraphes 72 et suivants), dans le cadre de son analyse des conditions relatives au risque de
préjudice irréparable et à l’urgence.
58. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les droits que les États demandeurs
revendiquent et dont ils sollicitent la protection (voir ci-dessus le paragraphe 54) sont plausibles.
* *
59. La Cour en vient maintenant à la condition du lien entre les droits revendiqués par les États
demandeurs et les mesures conservatoires sollicitées.
* *
60. Les États demandeurs avancent que les mesures conservatoires sollicitées sont directement
liées aux droits qui constituent l’objet du différend, en ce qu’elles visent à assurer le respect par la
Syrie des obligations qui lui incombent de prévenir la torture et les autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, à protéger l’intégrité de l’instance devant la Cour et à préserver le
droit des demandeurs de voir leur demande examinée équitablement. Ils ajoutent que certaines des
mesures conservatoires sollicitées visent plus particulièrement à remédier au « risque sensiblement
accru » d’être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
auquel sont exposés les détenus, qui, selon eux, sont victimes de détentions arbitraires et de
détentions au secret ou vivent dans des conditions abjectes de détention.
*
- 17 -
61. Dans sa lettre du 10 octobre 2023, la Syrie avance qu’il n’a pas été satisfait à la nécessité
qu’un lien existe entre les droits que les demandeurs cherchent à protéger et les mesures
conservatoires qu’ils sollicitent.
* *
62. La Cour considère que, par leur nature même, certaines des mesures conservatoires
sollicitées par les États demandeurs (voir ci-dessus le paragraphe 5) visent à sauvegarder les droits
qu’ils revendiquent sur le fondement de la convention contre la torture en la présente espèce. Tel est
le cas, en particulier, des mesures tendant à la prévention des actes de torture et autres actes
constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et à la conservation des
éléments de preuve se rapportant à de tels actes.
63. La Cour conclut de ce qui précède qu’un lien existe entre les droits revendiqués par les
États demandeurs et certaines des mesures conservatoires sollicitées.
IV. RISQUE DE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE ET URGENCE
64. La Cour tient de l’article 41 de son Statut le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires
lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire
ou lorsque la méconnaissance alléguée de ces droits risque d’entraîner des conséquences irréparables
(voir, par exemple, Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires,
ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 226, par. 65).
65. Le pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires n’est toutefois exercé que
s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit
causé aux droits revendiqués avant que la Cour ne rende sa décision définitive. La condition
d’urgence est remplie dès lors que les actes susceptibles de causer un préjudice irréparable peuvent
« intervenir à tout moment » avant que la Cour ne se prononce de manière définitive en l’affaire
(voir, par exemple, Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires,
ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 227, par. 66). La Cour doit donc rechercher
si pareil risque existe à ce stade de la procédure.
66. La Cour n’a pas, aux fins de sa décision sur la demande en indication de mesures
conservatoires, à établir l’existence de manquements aux obligations de la convention contre la
torture, mais doit déterminer si les circonstances exigent l’indication de telles mesures à l’effet de
protéger les droits découlant de cet instrument. Elle n’est pas habilitée, à ce stade, à conclure de façon
définitive sur les faits, et sa décision sur la demande en indication de mesures conservatoires laisse
intact le droit de chacune des Parties de faire valoir à cet égard ses moyens au fond.
* *
- 18 -
67. Les demandeurs affirment que la Syrie a commis des actes de torture et soumis les détenus
à d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants à très grande
échelle depuis au moins 2011, et qu’elle ne manifeste aucune intention de cesser ou de prévenir les
violations. Ils se réfèrent à cet égard à différents rapports émanant de la Commission d’enquête
internationale indépendante sur la République arabe syrienne, établie par une résolution du Conseil
des droits de l’homme en 2011 (ci-après la « Commission d’enquête » ou la « Commission »). Les
États demandeurs soutiennent que ces violations causent un préjudice irréparable à leur droit de
demander que la Syrie s’acquitte de ses obligations. Ils arguent en outre que chaque nouvel acte
constitutif de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants commis par
la Syrie entraîne un préjudice irréparable pour chacune des victimes. Ils soulignent que la Cour a
jugé opportun d’indiquer des mesures conservatoires lorsque des violations avaient déjà eu lieu et
qu’il n’était « pas inconcevable » qu’elles pussent se reproduire.
68. Les États demandeurs soutiennent en outre que, au vu des violations continues, l’urgence
des mesures conservatoires sollicitées n’a jamais cessé d’exister, depuis qu’ils ont invoqué la
responsabilité de la Syrie à raison de violations de la convention contre la torture et tenté de régler le
différend par voie de négociation et d’arbitrage, et persiste à ce jour.
*
69. Dans sa lettre du 10 octobre 2023, la Syrie affirme, pour sa part, qu’il n’y a pas urgence
dans la présente affaire, parce qu’il n’existe aucun risque réel et imminent « auquel il doit être
remédié immédiatement ». Elle soutient, en particulier, que l’« exposé des faits » présenté par les
demandeurs se rapporte à la période comprise entre 2011 et 2014, ce qui ne satisfait pas à la condition
d’urgence. Elle soutient également que le fait que les demandeurs n’aient pas donné suite à sa
demande tendant à se voir soumettre des cas concrets de torture susceptibles de faire l’objet d’une
enquête ni à sa proposition de tenir une nouvelle réunion sur le fond du différend atteste de l’absence
d’urgence.
* *
70. Ayant déjà conclu à la plausibilité des droits invoqués par les États demandeurs et à
l’existence d’un lien entre ces droits et certaines des mesures conservatoires sollicitées, la Cour
recherchera à présent si un préjudice irréparable pourrait être causé à ces droits et s’il y a urgence,
c’est-à-dire s’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé à ces droits
avant qu’elle ne rende sa décision définitive.
71. La Cour estime que les personnes soumises à la torture ou à d’autres actes constitutifs de
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui causent sévices et détresse psychologique,
sont exposées à un risque grave de préjudice irréparable (voir Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie
c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021,
p. 389, par. 82). Au vu de la relation entre les droits de telles personnes et les droits des États parties
à la convention (voir ci-dessus le paragraphe 57), il s’ensuit qu’un préjudice irréparable risque
également d’être causé aux droits invoqués par les demandeurs.
- 19 -
72. Dans la présente espèce, les éléments d’information versés au dossier comprennent
différents rapports établis par la Commission d’enquête. La Cour note que celle-ci, dans son rapport
en date du 11 mars 2021, a constaté que « [l]e recours à la détention arbitraire, à la torture et aux
mauvais traitements, y compris par la violence sexuelle, et la pratique des disparitions involontaires
ou forcées et des exécutions sommaires [avaie]nt été un trait saillant du conflit jusqu’[alors] », et que
« [l]a constance des violations et atteintes commises, en particulier par les autorités de
la République arabe syrienne, et la quantité d’informations communiquées par la
Commission … et par d’autres parties f[aisaie]nt qu’il [étai]t impossible de prétendre
que ces faits [avaie]nt été perpétrés à l’insu des chaînes de commandement
concernées ».
La Commission indiquait, en conclusion, que « [l]es rescapés décriv[ai]ent des exécutions et des
décès dus à la négligence et à des conditions de détention effroyables, ce qui laiss[ait] penser que les
personnes toujours détenues au secret risqu[ai]ent de mourir lentement si elles n[’étaie]nt pas libérées
rapidement ». La Commission a en outre souligné, dans plusieurs rapports, le caractère systématique
des actes de torture et autres actes constitutifs de peines et traitements cruels, inhumains ou
dégradants commis dans les lieux de détention administrés par les autorités syriennes, qui entraînent
la mort de nombreux détenus.
73. La Cour note que, dans sa résolution 77/230 du 15 décembre 2022, l’Assemblée générale
des Nations Unies a « [d]éplor[é] et condamn[é] dans les termes les plus énergiques la poursuite des
violations flagrantes généralisées et systématiques des droits humains et des libertés fondamentales »
en Syrie, et notamment « la torture, les violences sexuelles et fondées sur le genre systématiques,
dont les viols dans les centres de détention, les mauvais traitements, d’autres violations des droits
humains et atteintes à ces droits, y compris à l’égard des femmes et des enfants ». De même, la Cour
prend note du rapport daté du 7 février 2023, dans lequel la Commission d’enquête a indiqué qu’elle
« a[vait] des motifs raisonnables de croire que les … meurtres, [l]es actes de torture et
[l]es mauvais traitements contre des détenus, y compris le recours à des pratiques
donnant lieu à des décès en détention, ainsi que les détentions arbitraires et les
disparitions forcées, s[’étaie]nt poursuivis »,
et qu’elle « a[vait] continué de recueillir des informations sur les violations généralisées des droits
de l’homme et du droit humanitaire commises dans tout le pays ». Dans son rapport daté du 10 juillet
2023, la Commission d’enquête a établi que la torture et d’autres actes constitutifs de peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants perduraient dans les lieux de détention du
gouvernement, soulignant que
« l’implication continue de multiples acteurs étatiques, y compris les directions du
renseignement, la police, l’armée et les instances judiciaires, dans [les] actes [de torture,
viols et violences sexuelles, disparitions forcées, meurtres, actes d’extermination,
emprisonnements et autres actes inhumains commis dans le cadre de la détention],
conjuguée au fait que les membres des services de renseignement et de sécurité
n[’étaie]nt jamais appelés à rendre des comptes, indiqu[ait] que l’attaque dirigée contre
la population civile continu[ait] d’être généralisée et systématique, et menée en
exécution de la politique gouvernementale ».
Dans son tout récent rapport du 14 août 2023, la Commission d’enquête a indiqué qu’elle « a[vait]
des motifs raisonnables de croire que les … actes de torture et … mauvais traitements … s[’étaie]nt
poursuivis ».
- 20 -
74. La Cour relève en outre que, dans son rapport du 8 mars 2018, la Commission d’enquête
s’est penchée sur la question des violences sexuelles et fondées sur le genre, et a constaté que, en
détention comme ailleurs, ces violences dirigées contre les femmes, les filles, les hommes et les
garçons constituent un problème persistant en Syrie depuis le soulèvement de 2011. S’agissant des
violences hors détention, la Commission a établi que
« [l]es membres des forces gouvernementales et des milices associées soumett[ai]ent
les femmes et les filles, et occasionnellement les hommes, à des viols et sévices sexuels
lors des opérations sur le terrain et des descentes visant à arrêter des manifestants et des
sympathisants supposés de l’opposition, ainsi qu’aux postes de contrôle ».
La Commission a recueilli des preuves de viols de femmes et de filles, ainsi que d’hommes, en
détention. Ayant été priée, par le Conseil des droits de l’homme, de compléter les informations
fournies dans ce rapport de 2018, la Commission a, dans un nouveau rapport établi en février 2023,
constaté que les violences sexuelles infligées dans les centres de détention du gouvernement
« continu[ai]ent d’être commises dans tout le pays ».
75. La Cour est d’avis que, à la lumière de ce qui précède, il existe un risque réel et imminent
qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits invoqués par les États demandeurs avant qu’elle ne
rende sa décision définitive.
V. CONCLUSION ET MESURES À ADOPTER
76. La Cour conclut de l’ensemble des considérations qui précèdent que les conditions requises
pour l’indication de mesures conservatoires sont réunies. Il y a donc lieu pour elle d’indiquer, dans
l’attente de sa décision définitive, certaines mesures visant à protéger les droits revendiqués par les
États demandeurs, tels qu’ils sont exposés ci-dessus (voir le paragraphe 58).
77. La Cour rappelle que, lorsqu’une demande en indication de mesures conservatoires lui est
présentée, elle a le pouvoir, en vertu de son Statut, d’indiquer des mesures totalement ou
partiellement différentes de celles qui sont sollicitées. Le paragraphe 2 de l’article 75 de son
Règlement mentionne expressément ce pouvoir, qu’elle a déjà exercé en plusieurs occasions par le
passé (voir, par exemple, Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires,
ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 229, par. 79).
78. En la présente espèce, ayant examiné le libellé des mesures conservatoires sollicitées par
les États demandeurs ainsi que les circonstances de l’affaire, la Cour estime que les mesures à
indiquer n’ont pas à être identiques à celles qui sont sollicitées.
79. La Cour est d’avis que, dans l’attente de la décision définitive qu’elle rendra en l’affaire,
la Syrie doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention contre la torture,
prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir les actes de torture et autres actes
constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de veiller à ce qu’aucun de
ses représentants, ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle, son
autorité ou son influence ne commette d’actes de torture ou d’autres actes constitutifs de peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants.
- 21 -
80. La Cour est également d’avis que la Syrie doit prendre des mesures effectives pour prévenir
la destruction et assurer la conservation de tous les éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes
entrant dans le champ d’application de la convention contre la torture, notamment les dossiers
médicaux, examens médico-légaux et autres documents concernant des blessures et des décès.
*
* *
81. La Cour rappelle que ses ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de
l’article 41 du Statut ont un caractère obligatoire et créent donc des obligations juridiques
internationales pour toute partie à laquelle ces mesures sont adressées (Allégations de génocide au
titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine
c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil
2022 (I), p. 230, par. 84).
*
* *
82. La Cour réaffirme que la décision rendue en la présente procédure ne préjuge en rien la
question de sa compétence pour connaître du fond de l’affaire, ni aucune question relative à la
recevabilité de la requête ou au fond lui-même. Cette décision laisse intact le droit des
Gouvernements du Canada, des Pays-Bas et de la Syrie de faire valoir leurs moyens à cet égard.
*
* *
83. Par ces motifs,
LA COUR,
Indique les mesures conservatoires suivantes :
1) Par treize voix contre deux,
La République arabe syrienne doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la
convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, prendre
toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir les actes de torture et autres actes constitutifs de
- 22 -
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de veiller à ce qu’aucun de ses représentants,
ni aucune organisation ou personne qui pourrait se trouver sous son contrôle, son autorité ou son
influence ne commette d’actes de torture ou d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants ;
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf,
Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth,
M. Brant, juges ;
CONTRE : M. Gevorgian, vice-président ; Mme Xue, juge ;
2) Par treize voix contre deux,
La République arabe syrienne doit prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction
et assurer la conservation de tous les éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans
le champ d’application de la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants.
POUR : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf,
Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Mme Charlesworth,
M. Brant, juges ;
CONTRE : M. Gevorgian, vice-président ; Mme Xue, juge.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de la Paix, à La Haye, le
seize novembre deux mille vingt-trois, en quatre exemplaires, dont l’un restera déposé aux archives
de la Cour et les autres seront transmis respectivement au Gouvernement du Canada, au
Gouvernement du Royaume des Pays-Bas et au Gouvernement de la République arabe syrienne.
La présidente,
(Signé) Joan E. DONOGHUE.
Le greffier,
(Signé) Philippe GAUTIER.
- 23 -
M. le vice-président GEVORGIAN joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion dissidente ;
Mme la juge XUE joint une déclaration à l’ordonnance.
(Paraphé) J.E.D.
(Paraphé) Ph. G.
___________
2023
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
RECUEIL DES ARRÊTS,
AVIS CONSULTATIFS ET ORDONNANCES
APPLICATION
DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE
ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS,
INHUMAINS OU DÉGRADANTS
(CANADA ET PAYS-BAS
c. RÉPUBLIQUE ARABE SYRIENNE)
DEMANDE EN INDICATION
DE MESURES CONSERVATOIRES
ORDONNANCE DU 16 NOVEMBRE 2023
INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
REPORTS OF JUDGMENTS,
ADVISORY OPINIONS AND ORDERS
APPLICATION
OF THE CONVENTION AGAINST TORTURE
AND OTHER CRUEL, INHUMAN OR DEGRADING
TREATMENT OR PUNISHMENT
(CANADA AND NETHERLANDS
v. SYRIAN ARAB REPUBLIC)
REQUEST FOR THE INDICATION
OF PROVISIONAL MEASURES
ORDER OF 16 NOVEMBER 2023
No de vente :
Sales number
© 2024 CIJ/ICJ, Nations Unies/United Nations
Tous droits réservés/All rights reserved
imprimé en france/printed in france
1306 ISSN 0074-4441
ISBN 978-92-1-003217-9
e-ISBN 978-92-1-106625-8
Mode officiel de citation :
Application de la convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
(Canada et Pays-Bas c. République arabe syrienne), mesures conservatoires,
ordonnance du 16 novembre 2023, C.I.J. Recueil 2023, p. 587
Official citation:
Application of the Convention against Torture
and Other Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment
(Canada and Netherlands v. Syrian Arab Republic), Provisional Measures,
Order of 16 November 2023, I.C.J. Reports 2023, p. 587
APPLICATION
DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE
ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS,
INHUMAINS OU DÉGRADANTS
(CANADA ET PAYS-BAS
c. RÉPUBLIQUE ARABE SYRIENNE)
DEMANDE EN INDICATION
DE MESURES CONSERVATOIRES
APPLICATION
OF THE CONVENTION AGAINST TORTURE
AND OTHER CRUEL, INHUMAN OR DEGRADING
TREATMENT OR PUNISHMENT
(CANADA AND NETHERLANDS
v. SYRIAN ARAB REPUBLIC)
REQUEST FOR THE INDICATION
OF PROVISIONAL MEASURES
16 NOVEMBER 2023
ORDER
16 NOVEMBRE 2023
ORDONNANCE
587
TABLE DES MATIÈRES
Paragraphes
Qualités 1-19
I. Compétence prima facie 20-47
1. Observations générales 20-23
2. Existence d’un différend concernant l’interprétation ou l’application
de la convention contre la torture
24-33
3. Conditions procédurales préalables 34-46
4. Conclusion quant à la compétence prima facie 47
II. Qualité pour agir du Canada et des Pays-Bas 48-51
III. Droits dont la protection est recherchée et lien entre ces
droits et les mesures demandées
52-63
IV. Risque de préjudice irréparable et urgence 64-75
V. Conclusion et mesures à adopter 76-82
Dispositif 83
587
TABLE OF CONTENTS
Paragraphs
Chronology of the Procedure 1-19
I. Prima Facie Jurisdiction 20-47
1. General observations 20-23
2. Existence of a dispute relating to the interpretation or application
of the Convention against Torture
24-33
3. Procedural preconditions 34-46
4. Conclusion as to prima facie jurisdiction 47
II. Standing of Canada and the Netherlands 48-51
III. The Rights whose Protection Is Sought and the Link between
such Rights and the Measures Requested
52-63
IV. Risk of Irreparable Prejudice and Urgency 64-75
V. Conclusion and Measures to Be Adopted 76-82
Operative Clause 83
588
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ANNÉE 2023
16 novembre 2023
APPLICATION
DE LA CONVENTION CONTRE LA TORTURE
ET AUTRES PEINES OU TRAITEMENTS CRUELS,
INHUMAINS OU DÉGRADANTS
(CANADA ET PAYS-BAS
c. RÉPUBLIQUE ARABE SYRIENNE)
DEMANDE EN INDICATION
DE MESURES CONSERVATOIRES
ORDONNANCE
Présents : Mme Donoghue,
présidente ; M. Gevorgian, vice-président ;
MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Yusuf, Mmes Xue,
Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa,
Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ; M. Gautier,
greffier.
La Cour internationale de Justice,
Ainsi composée,
Après délibéré en chambre du conseil,
Vu les articles 41 et 48 du Statut de la Cour et les articles 73, 74 et 75 de
son Règlement,
Rend l’ordonnance suivante :
1. Le 8 juin 2023, le Canada et le Royaume des Pays-Bas (ci-après les
« États demandeurs » ou les « demandeurs ») ont déposé au Greffe de la Cour
une requête introductive d’instance contre la République arabe syrienne
2023
16 novembre
Rôle général
no 188
588
2023
16 November
General List
No. 188
INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE
YEAR 2023
16 November 2023
APPLICATION
OF THE CONVENTION AGAINST TORTURE
AND OTHER CRUEL, INHUMAN OR DEGRADING
TREATMENT OR PUNISHMENT
(CANADA AND NETHERLANDS
v. SYRIAN ARAB REPUBLIC)
REQUEST FOR THE INDICATION
OF PROVISIONAL MEASURES
ORDER
Present: President Donoghue; Vice-President Gevorgian; Judges Tomka,
Abraham, Bennouna, Yusuf, Xue, Sebutinde, Bhandari,
Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte, Charlesworth, Brant;
Registrar Gautier.
The International Court of Justice,
Composed as above,
After deliberation,
Having regard to Articles 41 and 48 of the Statute of the Court and
Articles 73, 74 and 75 of the Rules of Court,
Makes the following Order:
1. On 8 June 2023, Canada and the Kingdom of the Netherlands (hereinafter
the “Applicant States” or the “Applicants”) filed in the Registry
of the Court an Application instituting proceedings against the Syrian
589 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
(ci-après la « Syrie ») concernant des violations alléguées de la convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
(ci-après la « convention contre la torture » ou la « convention »).
2. Au terme de leur requête, les États demandeurs
« prient respectueusement la Cour de dire et juger que la Syrie :
a) a violé les obligations lui incombant au regard de la convention
contre la torture, en particulier celles énoncées aux articles 2, 7, 10,
11, 12, 13, 14, 15, 16 et 19, et continue de le faire ;
b) doit accepter pleinement sa responsabilité pour ces faits internationalement
illicites ;
c) doit cesser immédiatement ces violations continues et se conformer
aux obligations qui lui incombent au titre de la convention contre la
torture ;
d) doit fournir des assurances et garanties appropriées de non-répétition
des violations de la convention contre la torture ;
e) doit enquêter sur les actes de torture et, lorsque cela est justifié, en
poursuivre et en punir les responsables, tout en garantissant à toute
personne poursuivie un traitement équitable à tous les stades de la
procédure ; et
f ) doit accorder à chaque victime réparation intégrale, y compris sous
forme d’indemnisation et de réadaptation, pour le préjudice subi en
conséquence de ces faits internationalement illicites.
Les demandeurs prient également respectueusement la Cour de dire et
juger que la Syrie a commis une violation grave d’une norme impérative
du droit international en raison de son manquement flagrant ou systématique
à l’obligation qui lui incombe au regard de l’article 2 de la
convention contre la torture de ne pas commettre d’actes de torture ainsi
que d’empêcher ses agents et autres personnes agissant à titre officiel de
perpétrer de tels actes, et de déterminer les conséquences juridiques qui
en découlent. »
3. Dans leur requête, les États demandeurs entendent fonder la compétence
de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci et le
paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture.
4. En même temps que la requête, les États demandeurs, se référant à
l’article 41 du Statut de la Cour et aux articles 73, 74 et 75 de son Règlement,
ont présenté une demande en indication de mesures conservatoires.
5. Au terme de leur demande, les États demandeurs ont prié la Cour d’indiquer
les mesures conservatoires suivantes :
« a) la Syrie doit immédiatement prendre des mesures efficaces pour
cesser et prévenir tous les actes qui sont constitutifs de torture et
d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ou y
contribuent ;
convention against torture (ord. 16 XI 23) 589
Arab Republic (hereinafter “Syria”) concerning alleged violations of the
Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading
Treatment or Punishment (hereinafter the “Convention against Torture” or
the “Convention”).
2. At the end of their Application, the Applicant States
“respectfully request the Court to adjudge and declare that Syria:
(a) has breached, and continues to breach, its obligations under the
Convention against Torture, in particular those in Articles 2, 7, 10,
11, 12, 13, 14, 15, 16, and 19;
(b) must fully accept its responsibility for those internationally wrongful
acts;
(c) must cease any such ongoing violations forthwith and comply with
its obligations under the Convention against Torture;
(d) must provide appropriate assurances and guarantees of nonrepetition
of violations of the Convention against Torture;
(e) must investigate and where warranted, prosecute and punish those
responsible for acts of torture, while also guaranteeing fair treatment
at all stages of the proceedings for any person against whom
proceedings are brought; and
(f ) must provide individual victims full reparation, including compensation
and rehabilitation, for the injury they have suffered as a
consequence of those internationally wrongful acts.
The applicants further respectfully request the Court to adjudge and
declare that Syria has committed a serious breach of a peremptory norm
of international law, due to its gross or systematic failure to fulfill its
obligation under Article 2 of the Convention against Torture not to
commit torture as well as to prevent its officials and other persons acting
in an official capacity from perpetrating acts of torture, and determine
the legal consequences thereof.”
3. In their Application, the Applicant States seek to found the Court’s
jurisdiction on Article 36, paragraph 1, of the Statute of the Court and on
Article 30, paragraph 1, of the Convention against Torture.
4. Together with the Application, the Applicant States submitted a Request
for the indication of provisional measures with reference to Article 41 of the
Statute and to Articles 73, 74 and 75 of the Rules of Court.
5. At the end of their Request, the Applicant States asked the Court to
indicate the following provisional measures:
“(a) Syria shall immediately take effective measures to cease and
prevent all acts that amount to or contribute to torture and other
cruel, inhuman or degrading treatment or punishment;
590 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
b) compte tenu du risque fortement accru, pour les détenus, d’être
soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, la Syrie doit immédiatement :
i) cesser les détentions arbitraires et libérer toutes les personnes
détenues arbitrairement ou illégalement ;
ii) cesser toute forme de détention au secret ;
iii) permettre l’accès à tous ses lieux de détention officiels et non
officiels aux mécanismes de contrôle indépendants et au personnel
médical, et autoriser les contacts et les visites entre les
détenus et leurs familles et avocats ;
iv) prendre des mesures urgentes pour améliorer les conditions de
vie dans tous ses centres de détention officiels et non officiels,
afin de garantir que tous les détenus sont traités avec humanité
et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine,
conformément aux normes internationales ;
c) la Syrie doit s’abstenir de détruire ou de rendre inaccessible tout
élément de preuve lié à la requête, notamment en détruisant ou
en rendant inaccessibles des dossiers médicaux ou d’autres documents
concernant des blessures subies à la suite d’actes de torture
ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
ou la dépouille de toute personne ayant été victime d’actes de
torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants ;
d) la Syrie doit sauvegarder tout renseignement concernant la cause du
décès d’un détenu décédé pendant sa détention ou son hospitalisation,
y compris toute information relative à l’examen médico-légal
de la dépouille et aux lieux d’inhumation, et fournir aux proches de
toute personne décédée à la suite d’actes de torture ou d’autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants après son arrestation,
son hospitalisation ou sa détention un certificat de décès
indiquant la cause véritable du décès ;
e) la Syrie doit communiquer aux proches l’emplacement des lieux
d’inhumation des personnes décédées à la suite d’actes de torture ou
d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants après
leur arrestation, leur hospitalisation ou leur détention ;
f ) la Syrie ne doit prendre aucune mesure, et veiller à ce qu’aucune
mesure ne soit prise, susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend
existant qui fait l’objet de la requête, ou d’en rendre le règlement plus
difficile ; et
g) la Syrie doit présenter à la Cour un rapport sur toutes les mesures
qu’elle aura prises pour donner effet à l’ordonnance en indication de
mesures conservatoires, en commençant au plus tard six mois après
le prononcé de celle-ci, et tous les six mois par la suite jusqu’au
règlement du différend. »
convention against torture (ord. 16 XI 23) 590
(b) In light of the greatly enhanced risk for detainees of being subjected
to torture and other cruel, inhuman or degrading treatment or
punishment, Syria shall immediately:
(i) cease arbitrary detention, and release all persons who are arbitrarily
or unlawfully detained;
(ii) cease all forms of incommunicado detention;
(iii) allow access to all of its official and unofficial places of detention
by independent monitoring mechanisms and medical
personnel, and allow contact and visitations between detainees
and their families and legal counsel; and
(iv) take urgent measures to improve the conditions of all of its
official and unofficial detention facilities to ensure all detainees
are treated with humanity and with respect for the inherent
dignity of the human person in accordance with international
standards;
(c) Syria shall not destroy or render inaccessible any evidence related
to the Application, including, without limitation, by destroying or
rendering inaccessible medical or other records of injuries sustained
as a result of torture or other cruel, inhuman or degrading treatment
or punishment or the remains of any person who was a victim of
torture or other cruel, inhuman or degrading treatment or punishment;
(d) Syria shall safeguard any information concerning the cause of
death of any detainee who died while in detention or while hospitalised,
including forensic examination of the human remains and
places of burial, as well as afford the next of kin of any person who
died as a result of torture or other cruel, inhuman or degrading
treatment or punishment, following arrest, hospitalisation or detention
with a death certificate, stating the true cause of death;
(e) Syria shall disclose the location of the burial sites of persons who
died as a result of torture or other cruel, inhuman or degrading
treatment or punishment following arrest, hospitalisation or detention,
to the next of kin;
(f ) Syria shall not take any action, and shall ensure that no action is
taken, which may aggravate or extend the existing dispute that is
the subject of the Application, or render it more difficult to resolve;
and
(g) Syria shall provide a report to the Court on all measures taken to
give effect to its Order for provisional measures, beginning no later
than six months from its issuance and every six months thereafter
pending the resolution of the dispute.”
591 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
6. Le greffier a immédiatement communiqué au Gouvernement de la
Syrie la requête, conformément au paragraphe 2 de l’article 40 du Statut de
la Cour, et la demande en indication de mesures conservatoires, conformément
au paragraphe 2 de l’article 73 du Règlement. Il a également informé le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies du dépôt de cette
requête et de cette demande.
7. En attendant que la communication prévue au paragraphe 3 de
l’article 40 du Statut ait été effectuée, le greffier a, par lettre en date du
13 juin 2023, informé tous les États admis à ester devant la Cour du dépôt de
la requête et de la demande en indication de mesures conservatoires.
8. Par lettre en date du 8 juin 2023 accompagnant la requête, le Canada a
informé la Cour de la désignation de M. Alan H. Kessel, sous-ministre
adjoint et conseiller juridique aux affaires mondiales Canada, en qualité
d’agent aux fins de l’affaire. Il a par la suite, par lettre en date du 2 novembre
2023, informé la Cour de la désignation de M. Louis-Martin Aumais, directeur
général du bureau du droit international public aux affaires mondiales
Canada, en qualité de coagent.
Par lettre en date du 8 juin 2023 accompagnant la requête, le Royaume des
Pays-Bas a informé la Cour de la désignation de M. René J. M. Lefeber,
conseiller juridique au ministère des affaires étrangères, en qualité d’agent
aux fins de l’affaire, et de Mme Annemarieke Künzli, conseil juridique au
ministère des affaires étrangères, en qualité de coagente.
9. Par lettres en date du 9 juin 2023, le greffier a fait savoir aux Parties que
la Cour, conformément au paragraphe 3 de l’article 74 de son Règlement,
avait fixé au 3 juillet 2023 la date d’ouverture de la procédure orale sur la
demande en indication de mesures conservatoires. Il les a par la suite informées,
par lettres en date du 23 juin 2023, que la Cour avait décidé de reporter
l’ouverture de la procédure orale au 19 juillet 2023. Par lettre en date du
13 juillet 2023, la Syrie a prié la Cour de reporter de trois mois la tenue des
audiences. Après avoir consulté les États demandeurs, qui se sont opposés à
cette demande, la Cour a reporté l’ouverture de la procédure orale au
10 octobre 2023. Les Parties ont été informées de la décision de la Cour par
lettres en date du 14 juillet 2023.
10. Conformément au paragraphe 1 de l’article 43 du Règlement, le greffier
a adressé aux États parties à la convention contre la torture la notification
prévue au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut. En outre, conformément au
paragraphe 3 de l’article 69 du Règlement, il a adressé à l’Organisation des
Nations Unies, par l’entremise de son Secrétaire général, la notification
prévue au paragraphe 3 de l’article 34 du Statut.
11. Par lettre en date du 9 octobre 2023, le chargé d’affaires de l’ambassade
de Syrie à Bruxelles a informé la Cour que son gouvernement avait
décidé de ne pas participer aux audiences devant s’ouvrir le 10 octobre 2023,
et que la Cour se verrait communiquer « les détails de la position de [la Syrie]
dans une autre lettre ».
convention against torture (ord. 16 XI 23) 591
6. The Registrar immediately communicated to the Government of Syria
the Application, in accordance with Article 40, paragraph 2, of the Statute of
the Court, and the Request for the indication of provisional measures,
in accordance with Article 73, paragraph 2, of the Rules of Court. He also
notified the Secretary-General of the United Nations of the filing of the
Application and the Request for the indication of provisional measures.
7. Pending the notification provided for by Article 40, paragraph 3, of the
Statute, the Registrar informed all States entitled to appear before the Court
of the filing of the Application and the Request for the indication of provisional
measures by a letter dated 13 June 2023.
8. By a letter dated 8 June 2023 accompanying the Application, Canada
informed the Court of the appointment of Mr Alan H. Kessel, Assistant
Deputy Minister and Legal Adviser at Global Affairs Canada, as Agent for
the purposes of the case. By a letter dated 2 November 2023, Canada subsequently
informed the Court of the appointment of Mr Louis-Martin Aumais,
Director General of the Public International Law Bureau at Global Affairs
Canada, as Co-Agent.
By a letter dated 8 June 2023 accompanying the Application, the Kingdom
of the Netherlands informed the Court of the appointment of Mr René J. M.
Lefeber, Legal Adviser at the Ministry of Foreign Affairs, as Agent for the
purposes of the case, and of Ms Annemarieke Künzli, Legal Counsel at the
Ministry of Foreign Affairs, as Co-Agent.
9. By letters dated 9 June 2023, the Registrar informed the Parties that,
pursuant to Article 74, paragraph 3, of its Rules, the Court had fixed 3 July
2023 as the date for the opening of the oral proceedings on the request for the
indication of provisional measures. Subsequently, by letters dated 23 June
2023, the Registrar informed the Parties that the Court had decided to postpone
the opening of the oral proceedings until 19 July 2023. By a letter dated
13 July 2023, Syria asked the Court to postpone the hearings by three
months. After having ascertained the views of the Applicant States, which
opposed this request, the Court postponed the opening of the hearings until
10 October 2023. The Parties were informed of the Court’s decision by
letters dated 14 July 2023.
10. In accordance with Article 43, paragraph 1, of the Rules of Court,
the Registrar addressed to States parties to the Convention against Torture
the notifications provided for in Article 63, paragraph 1, of the Statute of the
Court. In addition, in accordance with Article 69, paragraph 3, of the Rules
of Court, the Registrar addressed to the United Nations, through its
Secretary-General, the notification provided for in Article 34, paragraph 3,
of the Statute of the Court.
11. By a letter dated 9 October 2023, the chargé d’affaires of the Embassy
of Syria in Brussels informed the Court that his Government had decided not
to participate in the hearings due to open on 10 October 2023 and that the
Court would be provided with “the details of [Syria’s] position in a separate
letter”.
592 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
12. À l’audience tenue dans la matinée du 10 octobre 2023, des observations
orales sur la demande en indication de mesures conservatoires ont été
présentées par :
Au nom du Canada et des Pays-Bas : M. René J. M. Lefeber,
Mme Annemarieke Künzli,
Mme Teresa Crockett,
M. Alan H. Kessel.
13. Au terme de leurs plaidoiries, les États demandeurs ont prié la Cour
d’indiquer les mesures conservatoires suivantes :
« a) la Syrie doit immédiatement prendre des mesures efficaces pour
cesser et prévenir tous les actes qui sont constitutifs de torture et
d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ou y
contribuent ;
b) compte tenu du risque fortement accru, pour les détenus, d’être
soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, la Syrie doit immédiatement :
i) cesser les détentions arbitraires et libérer toutes les personnes
détenues arbitrairement ou illégalement ;
ii) cesser toute forme de détention au secret ;
iii) permettre l’accès à tous ses lieux de détention officiels et non
officiels aux mécanismes de contrôle indépendants et au personnel
médical, et autoriser les contacts et les visites entre les
détenus et leurs familles et avocats ;
iv) prendre des mesures urgentes pour améliorer les conditions de
vie dans tous ses centres de détention officiels et non officiels,
afin de garantir que tous les détenus sont traités avec humanité
et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine,
conformément aux normes internationales ;
c) la Syrie doit s’abstenir de détruire ou de rendre inaccessible tout
élément de preuve lié à la requête, notamment en détruisant ou en
rendant inaccessibles des dossiers médicaux ou d’autres documents
concernant des blessures subies à la suite d’actes de torture ou
d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou
la dépouille de toute personne ayant été victime d’actes de torture ou
d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
d) la Syrie doit sauvegarder tout renseignement concernant la cause du
décès d’un détenu décédé pendant sa détention ou son hospitalisation,
y compris toute information relative à l’examen médico-légal
de la dépouille et aux lieux d’inhumation, et fournir aux proches de
toute personne décédée à la suite d’actes de torture ou d’autres peines
ou traitements cruels, inhumains ou dégradants après son arrestation,
son hospitalisation ou sa détention un certificat de décès
indiquant la cause véritable du décès ;
convention against torture (ord. 16 XI 23) 592
12. At the public hearing held on the morning of 10 October 2023, oral
observations on the request for the indication of provisional measures were
presented by:
On behalf of Canada and the Netherlands: Mr René J. M. Lefeber,
Ms Annemarieke Künzli,
Ms Teresa Crockett,
Mr Alan H. Kessel.
13. At the end of their oral observations, the Applicant States asked the
Court to indicate the following provisional measures:
“(a) Syria shall immediately take effective measures to cease and
prevent all acts that amount to or contribute to torture and other
cruel, inhuman or degrading treatment or punishment;
(b) In light of the greatly enhanced risk for detainees of being subjected
to torture and other cruel, inhuman or degrading treatment or
punishment, Syria shall immediately:
(i) cease arbitrary detention, and release all persons who are arbitrarily
or unlawfully detained;
(ii) cease all forms of incommunicado detention;
(iii) allow access to all of its official and unofficial places of detention
by independent monitoring mechanisms and medical
personnel, and allow contact and visitations between detainees
and their families and legal counsel; and
(iv) take urgent measures to improve the conditions of all of its
official and unofficial detention facilities to ensure all detainees
are treated with humanity and with respect for the inherent
dignity of the human person in accordance with international
standards;
(c) Syria shall not destroy or render inaccessible any evidence related
to the Application, including, without limitation, by destroying or
rendering inaccessible medical or other records of injuries sustained
as a result of torture or other cruel, inhuman or degrading treatment
or punishment or the remains of any person who was a victim of
torture or other cruel, inhuman or degrading treatment or punishment;
(d) Syria shall safeguard any information concerning the cause of
death of any detainee who died while in detention or while hospitalised,
including forensic examination of the human remains and
places of burial, as well as afford the next of kin of any person who
died as a result of torture or other cruel, inhuman or degrading
treatment or punishment, following arrest, hospitalisation or detention
with a death certificate, stating the true cause of death;
593 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
e) la Syrie doit communiquer aux proches l’emplacement des lieux
d’inhumation des personnes décédées à la suite d’actes de torture ou
d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants après
leur arrestation, leur hospitalisation ou leur détention ;
f ) la Syrie ne doit prendre aucune mesure, et veiller à ce qu’aucune
mesure ne soit prise, susceptible d’aggraver ou d’étendre le différend
existant qui fait l’objet de la requête, ou d’en rendre le règlement plus
difficile ;
g) la Syrie doit présenter à la Cour un rapport sur toutes les mesures
qu’elle aura prises pour donner effet à l’ordonnance en indication de
mesures conservatoires, en commençant au plus tard six mois après
le prononcé de celle-ci, et tous les six mois par la suite jusqu’au
règlement du différend ; et
h) la Syrie doit prendre des mesures immédiates pour réduire le risque
que des actes de torture ne soient commis par ses agents et autres
personnels, notamment en donnant des instructions afin de garantir
que les détenus sont traités dans le respect de la dignité humaine, en
suspendant, pendant la durée de l’enquête, tout personnel soupçonné
de s’être livré à la torture ou à d’autres mauvais traitements, en levant
l’immunité de fait pour ceux de ses agents qui commettent des actes
de torture et en veillant à ce que les déclarations obtenues par la
torture ne puissent être utilisées comme élément de preuve dans une
procédure. »
14. Par lettre en date du 10 octobre 2023 et reçue au Greffe en début
d’après-midi le même jour, le chargé d’affaires de l’ambassade de Syrie à
Bruxelles a communiqué à la Cour la position de son gouvernement concernant
la demande en indication de mesures conservatoires présentée par le
Canada et les Pays-Bas. Cette lettre a immédiatement été transmise aux
États demandeurs.
15. Par lettre en date du 13 octobre 2023, la Syrie a informé la Cour de la
désignation de M. Ammar Al-Arsan, chargé d’affaires de l’ambassade de
la République arabe syrienne à Bruxelles, et de M. Ihab Hamed, conseiller à
la mission permanente de la République arabe syrienne auprès de l’Office
des Nations Unies à Genève, en qualité d’agents aux fins de l’affaire.
* * *
16. La Cour regrette la décision prise par la Syrie de ne pas prendre part à
la procédure orale sur la demande en indication de mesures conservatoires.
17. La non-comparution d’une partie comporte des conséquences négatives
pour une bonne administration de la justice, en ce qu’elle prive la Cour
de l’aide qu’une partie aurait pu lui apporter. La Cour doit néanmoins continuer
de s’acquitter de sa fonction judiciaire dans n’importe quelle phase
de l’affaire (voir Allégations de génocide au titre de la convention pour
convention against torture (ord. 16 XI 23) 593
(e) Syria shall disclose the location of the burial sites of persons who
died as a result of torture or other cruel, inhuman or degrading
treatment or punishment following arrest, hospitalisation or detention,
to the next of kin;
(f ) Syria shall not take any action, and shall ensure that no action is
taken, which may aggravate or extend the existing dispute that
is the subject of the Application, or render it more difficult to
resolve;
(g) Syria shall provide a report to the Court on all measures taken to
give effect to its Order for provisional measures, beginning no later
than six months from its issuance and every six months thereafter
pending the resolution of the dispute; and
(h) Syria shall take immediate actions to reduce the risk of torture
being committed by its officials and other personnel, including by
issuing instructions to ensure that detainees are treated in accordance
with their human dignity, suspending all personnel suspected
of having committed torture or other ill-treatment pending investigation,
lifting de facto immunity for those of its officials who
commit torture, and ensuring that statements obtained under torture
are not used as evidence in any proceedings.”
14. By a letter dated 10 October 2023 and received in the Registry early in
the afternoon on the same day, the chargé d’affaires of the Embassy of Syria
in Brussels communicated to the Court the position of his Government
regarding the request for the indication of provisional measures submitted
by Canada and the Netherlands. This letter was immediately transmitted to
the Applicant States.
15. By a letter dated 13 October 2023, Syria informed the Court of the
appointment of Mr Ammar Al-Arsan, chargé d’affaires of the Embasssy of
the Syrian Arab Republic in Brussels, and of Mr Ihab Hamed, Counselor at
the Permanent Mission of the Syrian Arab Republic to the United Nations
Office in Geneva, as Agents for the purposes of the case.
* * *
16. The Court regrets the decision taken by Syria not to participate in the
oral proceedings on the request for the indication of provisional measures.
17. The non-appearance of a party has a negative impact on the sound
administration of justice, as it deprives the Court of assistance that a party
could have provided to it. Nevertheless, the Court must proceed to discharge
its judicial function at any phase of the case (see Allegations of Genocide
under the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
594 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération
de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022,
C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 217, par. 21).
18. Bien qu’officiellement absentes lors d’une phase particulière de
l’affaire, ou de toutes, les parties non comparantes soumettent parfois des
lettres et des documents à la Cour par des moyens non prévus par son
Règlement. Il est utile pour la Cour de connaître les vues des deux parties,
quelle que soit la forme sous laquelle elles ont été présentées (voir Allégations
de génocide au titre de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures
conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 217,
par. 22).
19. Ainsi, la Cour prendra en considération la lettre communiquée par la
Syrie le 10 octobre 2023 (voir ci-dessus le paragraphe 14) dans la mesure où
elle estimera approprié de le faire pour s’acquitter de ses obligations.
Elle souligne que la non-comparution d’une partie à la procédure ou à une
phase quelconque de celle-ci ne saurait en aucun cas affecter la validité
de sa décision (Allégations de génocide au titre de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération
de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J.
Recueil 2022 (I), p. 217, par. 23).
I. Compétence prima facie
1. Observations générales
20. La Cour ne peut indiquer des mesures conservatoires que si les dispositions
invoquées par le demandeur semblent prima facie constituer une base
sur laquelle sa compétence pourrait être fondée, mais elle n’a pas besoin
de s’assurer de manière définitive qu’elle a compétence quant au fond de
l’affaire (voir Allégations de génocide au titre de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération
de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022,
C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 217-218, par. 24).
21. En la présente espèce, les États demandeurs entendent fonder la
compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci
et le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture (voir
ci-dessus le paragraphe 3). La Cour doit donc, en premier lieu, déterminer si
ces dispositions lui confèrent prima facie compétence pour statuer au fond
de l’affaire, ce qui lui permettrait sous réserve que les autres conditions
nécessaires soient réunies d’indiquer des mesures conservatoires.
22. Le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture est
ainsi libellé :
« Tout différend entre deux ou plus des États parties concernant l’interprétation
ou l’application de la présente Convention qui ne peut pas
convention against torture (ord. 16 XI 23) 594
Genocide (Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures, Order
of 16 March 2022, I.C.J. Reports 2022 (I), p. 217, para. 21).
18. Though formally absent from the proceedings at a particular or all
stages of the case, non-appearing parties sometimes submit to the Court
letters and documents by means not contemplated by its Rules. It is valuable
for the Court to know the views of both parties in whatever form those views
may have been expressed (see Allegations of Genocide under the Convention
on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Ukraine
v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 16 March 2022,
I.C.J. Reports 2022 (I), p. 217, para. 22).
19. The Court will therefore take account of the letter communicated by
Syria on 10 October 2023 (see paragraph 14 above) to the extent that the
Court finds this appropriate in discharging its duties. It emphasizes that the
non-appearance of a party in the proceedings at any stage of the case cannot,
in any circumstances, affect the validity of its decision (Allegations of
Genocide under the Convention on the Prevention and Punishment of the
Crime of Genocide (Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures,
Order of 16 March 2022, I.C.J. Reports 2022 (I), p. 217, para. 23).
I. Prima Facie Jurisdiction
1. General Observations
20. The Court may indicate provisional measures only if the provisions
relied on by the applicant appear, prima facie, to afford a basis on which its
jurisdiction could be founded, but need not satisfy itself in a definitive
manner that it has jurisdiction as regards the merits of the case (see
Allegations of Genocide under the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide (Ukraine v. Russian Federation),
Provisional Measures, Order of 16 March 2022, I.C.J. Reports 2022 (I),
pp. 217-218, para. 24).
21. In the present case, the Applicant States seek to found the jurisdiction
of the Court on Article 36, paragraph 1, of the Statute of the Court and on
Article 30, paragraph 1, of the Convention against Torture (see paragraph 3
above). The Court must therefore first determine whether those provisions
prima facie confer upon it jurisdiction to rule on the merits of the case,
enabling it — if the other necessary conditions are fulfilled — to indicate
provisional measures.
22. Article 30, paragraph 1, of the Convention against Torture reads as
follows:
“Any dispute between two or more States Parties concerning the
interpretation or application of this Convention which cannot be settled
595 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
être réglé par voie de négociation est soumis à l’arbitrage à la demande
de l’un d’entre eux. Si, dans les six mois qui suivent la date de la demande
d’arbitrage, les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur
l’organisation de l’arbitrage, l’une quelconque d’entre elles peut
soumettre le différend à la Cour internationale de Justice en déposant
une requête conformément au Statut de la Cour. »
23. Le Canada, les Pays-Bas et la Syrie sont tous trois parties à la convention
contre la torture. Le Canada l’a ratifiée le 24 juin 1987 et les Pays-Bas,
le 21 décembre 1988 ; la Syrie y a, quant à elle, adhéré le 19 août 2004.
Aucune des Parties n’a formulé de réserve à l’article 30 de la convention.
2. Existence d’un différend concernant
l’interprétation ou l’application de la convention
contre la torture
24. Le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture
subordonne la compétence de la Cour à l’existence d’un différend concernant
l’interprétation ou l’application de cet instrument. Selon la jurisprudence
constante de la Cour, un différend est « un désaccord sur un point de droit ou
de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts »
entre des parties (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924,
C.P.J.I. série A no 2, p. 11). Pour qu’un différend existe, « [i]l [doit être]
démontr[é] que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition
manifeste de l’autre » (Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ;
Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1962, p. 328). Les « “points de vue des deux parties, quant à l’exécution
ou à la non-exécution” de certaines obligations internationales, “[doivent
être] nettement opposés” » (Violations alléguées de droits souverains et
d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50, citant
Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la
Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74).
À l’effet d’établir si un différend existe dans la présente affaire, la Cour
ne peut se borner à constater que l’une des Parties soutient que la convention
s’applique alors que l’autre le nie (voir Allégations de génocide au titre de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du
16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 218-219, par. 28).
25. Les États demandeurs entendant fonder sa compétence sur la clause
compromissoire d’une convention internationale, la Cour doit rechercher, au
présent stade de la procédure, si les actes dont ils tirent grief semblent
susceptibles d’entrer dans le champ d’application ratione materiae de
cet instrument (voir Allégations de génocide au titre de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédéconvention
against torture (ord. 16 XI 23) 595
through negotiation shall, at the request of one of them, be submitted to
arbitration. If within six months from the date of the request for arbitration
the Parties are unable to agree on the organization of the arbitration,
any one of those Parties may refer the dispute to the International Court
of Justice by request in conformity with the Statute of the Court.”
23. Canada, the Netherlands and Syria are all parties to the Convention
against Torture; Canada ratified the Convention on 24 June 1987, the
Netherlands ratified it on 21 December 1988, and Syria acceded to it on
19 August 2004. None of the Parties has entered a reservation to Article 30
of the Convention.
2. Existence of a Dispute relating to
the Interpretation or Application of the Convention
against Torture
24. Article 30, paragraph 1, of the Convention against Torture makes the
Court’s jurisdiction conditional on the existence of a dispute relating to the
interpretation or application of the Convention. According to the established
case law of the Court, a dispute is “a disagreement on a point of law or fact,
a conflict of legal views or of interests” between parties (Mavrommatis
Palestine Concessions, Judgment No. 2, 1924, P.C.I.J., Series A, No. 2,
p. 11). In order for a dispute to exist, “[i]t must be shown that the claim of one
party is positively opposed by the other” (South West Africa (Ethiopia v.
South Africa; Liberia v. South Africa), Preliminary Objections, Judgment,
I.C.J. Reports 1962, p. 328). The two sides must “‘hold clearly opposite views
concerning the question of the performance or non-performance of certain’
international obligations” (Alleged Violations of Sovereign Rights and
Maritime Spaces in the Caribbean Sea (Nicaragua v. Colombia), Preliminary
Objections, Judgment, I.C.J. Reports 2016 (I), p. 26, para. 50, citing
Interpretation of Peace Treaties with Bulgaria, Hungary and Romania,
First Phase, Advisory Opinion, I.C.J. Reports 1950, p. 74). To determine
whether a dispute exists in the present case, the Court cannot limit itself to
noting that one of the Parties maintains that the Convention applies, while
the other denies it (see Allegations of Genocide under the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Ukraine v. Russian
Federation), Provisional Measures, Order of 16 March 2022, I.C.J. Reports
2022 (I), pp. 218-219, para. 28).
25. Since the Applicant States have invoked as the basis of the Court’s
jurisdiction the compromissory clause in an international convention, the
Court must ascertain, at the present stage of the proceedings, whether it
appears that the acts complained of are capable of falling within the scope of
that convention ratione materiae (see Allegations of Genocide under the
Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide
596 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
ration de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022,
C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 219, par. 29).
* *
26. Les États demandeurs affirment que les échanges entre les Parties, qui
s’étendent sur plus de dix ans et comprennent des déclarations faites dans
des enceintes multilatérales, des déclarations publiques et des notes diplomatiques,
montrent clairement qu’un différend les oppose à la Syrie
concernant l’interprétation et l’application de la convention contre la torture.
Ils avancent que, depuis 2011 au moins, ils ont, de manière constante,
exprimé leur profonde préoccupation au sujet de la situation des droits de
l’homme en Syrie, et appelé à maintes reprises cette dernière à s’acquitter
des obligations internationales qui lui incombent en la matière, en particulier
celles énoncées par la convention contre la torture. Ils soutiennent qu’ils ont,
dans différentes enceintes multilatérales, et notamment devant le Conseil de
sécurité, l’Assemblée générale et le Conseil des droits de l’homme des
Nations Unies, expressément fait état de leur opposition et de leur préoccupation
à l’égard de pratiques persistantes de torture et d’autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants en Syrie, et que celle-ci a
chaque fois gardé le silence ou exprimé son désaccord.
27. Les demandeurs indiquent également que, le 18 septembre 2020, les
Pays-Bas ont formellement notifié à la Syrie l’existence d’un différend entre
eux et demandé que des négociations soient menées, en application du paragraphe
1 de l’article 30 de la convention contre la torture, au sujet du
non-respect par la Syrie de ses obligations au titre de cet instrument. Selon
les demandeurs, les Pays-Bas ont annoncé publiquement qu’ils avaient pris
cette mesure, et la Syrie a, le lendemain, fait à son tour une déclaration
publique, dans laquelle elle dénonçait la démarche entreprise par les Pays-
Bas. Les demandeurs ajoutent que, le 3 mars 2021, le Canada a présenté à la
Syrie une demande similaire de négociations en application du paragraphe 1
de l’article 30 de la convention contre la torture, « à la lumière du différend
de longue date entre le Gouvernement du Canada et la République arabe
syrienne ». Cette demande a elle aussi donné lieu à une annonce publique.
Les demandeurs relèvent qu’ils ont, dans une déclaration commune datée du
12 mars 2021, formulé leur intention d’amener la Syrie à répondre des violations
de ses obligations au regard de la convention contre la torture. Ils se
réfèrent en outre à deux documents, intitulés « Exposé des faits » et « Exposé
de droit », qu’ils ont communiqués à la Syrie le 9 août 2021, et dans lesquels
étaient formulés les remèdes recherchés. Les demandeurs indiquent que, le
30 septembre 2021, la Syrie les a avisés qu’elle
« rejetait “in toto” la formulation utilisée pour qualifier le différend,
renvoyant à sa “responsabilité internationale pour les manquements
récents à ses obligations au titre de la convention contre la torture”, ainsi
que l’exposé des faits et l’exposé de droit ».
*
convention against torture (ord. 16 XI 23) 596
(Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of 16 March
2022, I.C.J. Reports 2022 (I), p. 219, para. 29).
* *
26. The Applicant States contend that the exchanges between the Parties,
extending over more than a decade and including statements made in multilateral
fora, public statements and diplomatic Notes, clearly show that there
is a dispute between the Applicants and Syria relating to the interpretation
and application of the Convention against Torture. According to the
Applicants, since at least 2011, they have consistently expressed their profound
concern regarding the human rights situation in Syria and have
repeatedly called on Syria to meet its international human rights obligations,
including those set out in the Convention against Torture. They maintain that
in various multilateral settings, including the United Nations Security
Council, General Assembly and Human Rights Council, they have specifically
made known their disagreement and concern with regard to ongoing
practices of torture and other cruel, inhuman or degrading punishment or
treatment in Syria and that, each time, Syria has either remained silent or
expressed disagreement.
27. The Applicants further state that, on 18 September 2020, the
Netherlands formally notified Syria of the dispute between them and
requested that negotiations be held pursuant to Article 30, paragraph 1, of the
Convention against Torture, with regard to Syria’s failure to comply with its
obligations under that Convention. According to the Applicants, the
Netherlands publicly announced that it had taken this step and, the next day,
Syria publicly denounced the Netherlands’ actions. The Applicants add that,
on 3 March 2021, Canada made a similar request for negotiations with Syria
pursuant to Article 30, paragraph 1, of the Convention against Torture,
“[i]n light of the longstanding dispute between the Government of Canada
and the Syrian Arab Republic”. This request was also accompanied by a
public announcement. The Applicants note that, on 12 March 2021, they
made a joint statement regarding their intention to hold Syria accountable
for the violations of its obligations under the Convention against Torture.
The Applicants also refer to a “Statement of Facts” and a “Statement of
Law”, which they presented to Syria in writing on 9 August 2021. These
documents included a description of the relief sought by the Applicants. The
Applicants state that, on 30 September 2021, they were informed by Syria
that it
“rejected ‘in toto’ the characterisation of the dispute as its ‘international
responsibility for the recent breaches of its obligations under the Convention
against Torture’, along with the Statement of Facts and Statement of
Law”.
*
597 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
28. Selon la position de la Syrie, telle que présentée dans la lettre du
10 octobre 2023 adressée par son ambassade à Bruxelles, les demandeurs
n’ont pas apporté la preuve des éléments requis, conformément à la jurisprudence
de la Cour, pour établir l’existence d’un différend. La Syrie soutient
qu’il ressort de la correspondance qu’elle a échangée avec les demandeurs et
de deux réunions tenues en personne entre leurs délégations respectives en
avril et octobre 2022 que
« [s]es vues … n’étaient pas opposées à celles des demandeurs, et
qu[’elle] a tenté de comprendre les préoccupations et les positions de ces
derniers et d’obtenir des précisions supplémentaires en vue d’en vérifier
le bien-fondé et de prendre les mesures qui pourraient être nécessaires
ou requises, ainsi que de parvenir à un accord avec eux ».
29. La Syrie avance en outre que « [l]es déclarations et communiqués des
demandeurs … revêtaient un caractère purement général et ne portaient pas
spécifiquement sur l’“existence d’un différend” au regard de la convention
contre la torture », précisant qu’ils « ont été établis dans le contexte global de
l’évolution de la situation en Syrie ». De même, elle indique que « la correspondance
échangée entre les Parties était de nature procédurale, et s’inscrivait
dans le contexte d’échanges visant à clarifier les points soulevés par les
demandeurs ».
* *
30. La Cour rappelle que, aux fins de déterminer s’il existait un différend
entre les parties au moment du dépôt de la requête, elle tient notamment
compte de l’ensemble des déclarations ou documents échangés entre elles,
ainsi que de tout échange ayant eu lieu dans des enceintes multilatérales
(voir Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de
Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J.
Recueil 2022 (I), p. 220-221, par. 35). L’existence d’un différend doit être
établie objectivement par la Cour ; c’est une question de fond, et non de forme
ou de procédure (ibid.).
31. La Cour prend note de l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils
ont, depuis 2011, dénoncé les violations alléguées de la convention dans
différentes enceintes multilatérales et bilatérales. La Cour examinera tout
d’abord les déclarations faites dans un cadre bilatéral. À cet égard, les Pays-
Bas et le Canada ont adressé à la Syrie deux notes diplomatiques individuelles,
respectivement datées du 18 septembre 2020 et du 3 mars 2021, lui reprochant
de ne pas s’être acquittée de ses obligations au titre de la convention
contre la torture. Le 21 avril 2021, les demandeurs ont envoyé une première
note diplomatique conjointe, qui faisait notamment référence à ces communications
antérieures. Dans une note diplomatique datée du 30 septembre
2021, la Syrie a reconnu que les demandeurs avaient envoyé l’« exposé
des faits » et l’« exposé de droit » le 9 août 2021 et indiqué qu’elle rejetait
convention against torture (ord. 16 XI 23) 597
28. The position of Syria, as set out in the letter of 10 October 2023 from
the Embassy of Syria in Brussels, is that the Applicants have failed to prove
the elements required according to the Court’s jurisprudence to establish the
existence of a dispute. According to Syria, the correspondence exchanged
between Syria and the Applicant States and two in-person meetings of their
delegations held in April and October 2022 show that
“Syria did not hold contradictory opinions to those of the applicants, and
was trying to understand the concerns raised by them, find out their
points of view, and obtain more information about them, with the aim of
verifying and dealing with them if necessary or required, and reaching
an agreement with the applicants”.
29. Syria further contends that “the statements and releases issued by the
applicants . . . were merely general and not specifically related to the ‘existence
of [a] dispute’ according to the Convention against Torture” and that
“they came in the context of the general framework of the developments of
the situation in Syria”. In addition, Syria states that “the correspondence that
took place between the Parties was of a procedural nature, and in the context
of an attempt to understand the aspects raised by the applicants”.
* *
30. The Court recalls that, for the purposes of determining whether there
was a dispute between the parties at the time of filing an application, it takes
into account in particular any statements or documents exchanged between
them, as well as any exchanges made in multilateral settings (see Allegations
of Genocide under the Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide (Ukraine v. Russian Federation), Provisional
Measures, Order of 16 March 2022, I.C.J. Reports 2022 (I), pp. 220-221,
para. 35). The existence of a dispute is a matter for objective determination
by the Court; it is a matter of substance, and not a question of form or procedure
(ibid.).
31. The Court takes note of the Applicants’ assertion that they have raised
allegations of violations of the Convention since 2011 in various multilateral
fora as well as in bilateral settings. The Court will first turn to the statements
made on a bilateral basis. In this respect, the Netherlands and Canada each
sent a diplomatic Note to Syria, dated 18 September 2020 and 3 March 2021
respectively, in which they alleged that Syria had failed to fulfil its obligations
under the Convention against Torture. The Applicants sent their first
joint diplomatic Note on 21 April 2021, in which they recalled, inter alia,
these individual diplomatic Notes. In a diplomatic Note dated 30 September
2021, Syria acknowledged that the Applicants had sent the “Statement
of Facts” and “Statement of Law” on 9 August 2021 and stated that it
rejected “in toto” the “formulation” by the Applicants which referred to its
598 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
« in toto » la « formulation » employée par ces derniers, qui évoquait sa
« responsabilité internationale pour les manquements à ses obligations au
titre de la convention contre la torture ». Dans une série de notes diplomatiques
échangées par la suite entre les Parties pour examiner la possibilité de
poursuivre leurs échanges, la Syrie a exprimé son respect pour la convention
contre la torture et affirmé prêter attention aux obligations internationales
lui incombant, notamment au titre de cet instrument. La Cour estime que
ces échanges intervenus entre les Parties avant le dépôt de la requête
indiquent que celles-ci ont des vues divergentes sur la question de savoir si
certains actes ou omissions reprochés à la Syrie emportent violation des
obligations que lui impose la convention contre la torture. Compte tenu de ce
qui précède, il n’est pas nécessaire pour la Cour d’examiner les arguments
des demandeurs concernant les déclarations faites dans des enceintes
multilatérales.
32. Aux fins de la présente procédure, la Cour n’a pas à se prononcer sur
la question de savoir si la Syrie a, comme cela est allégué, manqué aux obligations
lui incombant au titre de la convention contre la torture, ce qu’elle ne
pourrait faire que dans le cadre de l’examen de l’affaire au fond. Au stade
actuel, celui d’une ordonnance sur une demande en indication de mesures
conservatoires, elle doit établir si les actes et omissions dont les demandeurs
tirent grief semblent susceptibles d’entrer dans les prévisions de la convention
(cf. Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention
et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie),
mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I),
p. 222, par. 43). La Cour note que, selon les États demandeurs, la Syrie a
violé ses obligations au titre de la convention de différentes manières, soit
par des disparitions forcées, le traitement odieux des détenus, des conditions
inhumaines de détention, d’autres actes commis pour contraindre, punir ou
terroriser la population civile, ainsi que la violence sexuelle et fondée sur le
genre. De l’avis de la Cour, les actes et omissions que les demandeurs
reprochent à la Syrie semblent susceptibles d’entrer dans les prévisions de la
convention.
33. En conséquence, la Cour conclut qu’il existe une base suffisante pour
établir prima facie qu’un différend oppose les Parties quant à l’interprétation
ou à l’application de la convention contre la torture.
3. Conditions procédurales préalables
34. Le paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture
énonce des conditions procédurales préalables auxquelles il doit être satisfait
pour qu’un différend puisse être porté devant la Cour (voir Questions concernant
l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt,
C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 445-448, par. 56-63). Il faut tout d’abord que les
parties tentent de régler le différend « par voie de négociation ». Ensuite, le
différend, s’il ne peut être réglé par cette voie, doit être « soumis à l’arbitrage
à la demande de l’un[e des parties] ». Enfin, la disposition prévoit que le
convention against torture (ord. 16 XI 23) 598
“international responsibility for breaches of its obligations under the
Convention against Torture”. In a series of subsequent diplomatic Notes in
which the Parties discussed the possibility of further exchanges, Syria
expressed its respect for the Convention against Torture and asserted that it
paid attention to its international obligations, including under the Convention.
The Court considers that these exchanges between the Parties prior to the
filing of the Application indicate that they differ as to whether certain acts or
omissions allegedly committed by Syria gave rise to violations of the latter’s
obligations under the Convention against Torture. In view of the above, it is
not necessary for the Court to consider the Applicants’ contentions with
respect to exchanges made in multilateral fora.
32. For the purposes of the present proceedings, the Court is not required
to ascertain whether any alleged violations of Syria’s obligations under the
Convention against Torture have occurred, a finding that could only be made
as part of the examination of the merits of the case. At the stage of making
an order on a request for the indication of provisional measures, the Court’s
task is to establish whether the acts and omissions complained of by the
Applicants appear to be capable of falling within the provisions of
the Convention (cf. Allegations of Genocide under the Convention on
the Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Ukraine v.
Russian Federation), Provisional Measures, Order of 16 March 2022, I.C.J.
Reports 2022 (I), p. 222, para. 43). The Court notes that, according to the
Applicant States, Syria has violated its obligations under the Convention in
various ways, namely through enforced disappearances, abhorrent treatment
of detainees, inhumane conditions of detention, other acts committed in
order to coerce, punish or terrorize the civilian population, and sexual and
gender-based violence. In the Court’s view, the acts and omissions alleged
by the Applicants to have been committed by Syria appear to be capable of
falling within the provisions of the Convention.
33. The Court therefore finds that there is a sufficient basis to establish
prima facie the existence of a dispute between the Parties relating to the
interpretation or application of the Convention against Torture.
3. Procedural Preconditions
34. Article 30, paragraph 1, of the Convention against Torture sets out
procedural preconditions which must be met before a dispute may be referred
to the Court (see Questions relating to the Obligation to Prosecute or
Extradite (Belgium v. Senegal), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II),
pp. 445-448, paras. 56-63). First, the parties must attempt to settle any
dispute “through negotiation”. Secondly, any such dispute, if it cannot
be settled through negotiation, “shall, at the request of one of [the parties], be
submitted to arbitration”. That provision stipulates that the dispute may
599 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
différend ne peut être porté devant la Cour que si, « dans les six mois qui
suivent la date de la demande d’arbitrage, les parties ne parviennent pas à se
mettre d’accord sur l’organisation de l’arbitrage ».
35. Au stade actuel de la procédure, la Cour déterminera s’il apparaît,
prima facie, que les demandeurs ont véritablement cherché à mener des
négociations avec la Syrie en vue de régler le différend qui les oppose au
sujet du respect, par cette dernière, des obligations matérielles lui incombant
au titre de la convention contre la torture, et si les demandeurs ont poursuivi
ces négociations autant qu’il était possible (voir Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance
du 7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 372, par. 33). Elle examinera
ensuite s’il apparaît, prima facie, qu’une tentative a été faite pour soumettre
le différend à l’arbitrage, et si, le cas échéant, un délai de six mois s’est écoulé
depuis la demande d’arbitrage formulée par les demandeurs, délai dans
lequel les Parties ne sont pas parvenues à se mettre d’accord sur l’organisation
de l’arbitrage.
* *
36. Concernant la condition préalable de négociation prescrite au paragraphe
1 de l’article 30 de la convention contre la torture, les États
demandeurs commencent par rappeler qu’ils ont, pendant une période de
trois ans, échangé 66 notes diplomatiques avec la Syrie, et qu’ils ont pris part
à deux réunions tenues en personne en avril et octobre 2022, en vue de trouver
une issue négociée au différend. Ils indiquent ensuite que, à la fin de la
seconde réunion, tenue les 5 et 6 octobre 2022, il était
« clair que les positions des Parties restaient diamétralement opposées
s’agissant des faits présentés par le Canada et les Pays-Bas, de la portée
du différend, de l’interprétation et de l’application de la convention
contre la torture, et du règlement éventuel du différend ».
Les demandeurs ajoutent que, après plus de deux ans d’« efforts concertés »,
les positions des Parties n’avaient pas évolué et aucun progrès n’avait été
réalisé dans la recherche d’une solution au différend. Ayant conclu que la
poursuite des négociations ne permettrait pas de parvenir à un règlement du
différend, ils ont, par note diplomatique en date du 17 octobre 2022, informé
la Syrie qu’ils considéraient que les négociations étaient devenues inutiles
ou avaient abouti à une impasse.
37. S’agissant de la condition préalable relative à l’arbitrage prévue au
paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture, les États
demandeurs font valoir qu’ils ont, par note diplomatique en date du
7 novembre 2022, formellement demandé que le différend soit soumis à l’arbitrage,
en annexant à cette communication un ensemble de propositions
présentées comme les « éléments de base » d’un accord sur l’organisation de
cette procédure. Selon les demandeurs, la Syrie n’a pas accusé réception
convention against torture (ord. 16 XI 23) 599
be submitted to the Court only if “within six months from the date of the
request for arbitration the Parties are unable to agree on the organization of
the arbitration”.
35. At this stage of the proceedings, the Court will examine whether it
appears, prima facie, that the Applicant States genuinely attempted to engage
in negotiations with Syria, with a view to resolving their dispute concerning
the latter’s compliance with its substantive obligations under the Convention
against Torture, and whether they pursued these negotiations as far as possible
(see Application of the International Convention on the Elimination
of All Forms of Racial Discrimination (Armenia v. Azerbaijan), Provisional
Measures, Order of 7 December 2021, I.C.J. Reports 2021, p. 372, para. 33).
It will then examine whether it appears, prima facie, that an attempt was
made to submit the dispute to arbitration and, if so, whether six months have
passed since the Applicants’ request for arbitration, during which period the
Parties were unable to agree on the organization of the arbitration.
* *
36. Regarding the precondition of negotiation contained in Article 30,
paragraph 1, of the Convention against Torture, the Applicant States begin
by asserting that over a three-year period they exchanged 66 diplomatic
Notes with Syria and held two in-person meetings in April and October
2022 seeking to find a negotiated resolution to the dispute. They further state
that by the close of the second in-person meeting held on 5 and 6 October
2022, it was
“evident that the positions of the Parties remained diametrically opposed
with regard to the facts presented by Canada and the Netherlands, the
scope of the dispute, the interpretation and application of the Convention
against Torture, and the possible settlement of the dispute”.
The Applicants add that, after more than two years of “concerted efforts”,
the position of the Parties had not evolved and no progress had been made
towards resolution of the dispute. The Applicants state that, having concluded
that further negotiations could not lead to the settlement of the dispute, they
informed Syria by a diplomatic Note dated 17 October 2022 that they considered
that negotiations had become deadlocked or futile.
37. With respect to the arbitration precondition contained in Article 30,
paragraph 1, of the Convention against Torture, the Applicant States submit
that, by a diplomatic Note dated 7 November 2022, they formally requested
that the dispute be submitted to arbitration and enclosed proposed “foundational
elements” to form the basis for an agreement on the organization of
the arbitration. According to the Applicants, Syria did not acknowledge or
otherwise respond to this request. They add that, notwithstanding subse600
convention contre torture (ord. 16 XI 23)
de cette demande, et n’y a pas davantage répondu de quelque autre façon ;
elle n’a en outre jamais, bien qu’ayant été plusieurs fois invitée à le faire,
formulé aucun commentaire sur les propositions soumises. Les demandeurs
soulignent que plus de six mois se sont écoulés depuis leur demande formelle
d’arbitrage sans qu’un accord soit intervenu sur l’organisation de cette
procédure.
*
38. Concernant la condition préalable de négociation énoncée au paragraphe
1 de l’article 30 de la convention contre la torture, la Syrie fait valoir,
dans sa lettre du 10 octobre 2023, que les notes diplomatiques échangées
entre les Parties ne traitaient pas « du fond … de la question », et que la
première réunion, tenue le 26 avril 2022, « ne portait que sur des aspects
procéduraux ». Selon elle, les Parties sont convenues qu’elles se réuniraient
tous les trois mois, et ont en conséquence échangé des communications pour
arrêter la date de la réunion suivante. La Syrie affirme que cette seconde
réunion, tenue les 5 et 6 octobre 2022 entre les Parties, est la seule à avoir
porté sur les questions de fond et qu’elle ne permettait donc pas aux demandeurs
de conclure que les Parties avaient atteint une impasse ou que toute
nouvelle négociation serait inutile. Elle soutient que, dans la correspondance
échangée par la suite, elle a régulièrement réaffirmé sa volonté d’avoir un
dialogue sérieux et de bonne foi avec les demandeurs sur le fondement de la
convention contre la torture, en indiquant qu’elle souhaitait soulever des
points supplémentaires aux fins de la discussion et en proposant à maintes
reprises que les Parties se réunissent à nouveau dès que possible.
39. Pour ce qui est de la condition préalable d’arbitrage prévue au paragraphe
1 de l’article 30 de la convention contre la torture, la Syrie allègue,
dans sa lettre du 10 octobre 2023, que la demande d’arbitrage contenue dans
la note diplomatique du 7 novembre 2022 adressée par les demandeurs était
contraire à l’esprit et à la lettre de l’article 30 de la convention au motif que
les « éléments » relatifs à la formation d’un tribunal arbitral contenus dans la
note diplomatique constituaient « une condition préalable excluant toute
possibilité de discuter de la question de l’arbitrage ».
* *
40. S’agissant de la condition préalable de négociation énoncée au paragraphe
1 de l’article 30 de la convention contre la torture, la Cour relève que
les négociations sont à distinguer des simples protestations ou contestations,
et supposent que l’une des parties ait véritablement cherché à engager un
dialogue avec l’autre en vue de régler le différend. Si les parties ont cherché
à négocier ou ont entamé des négociations, cette condition préalable n’est
réputée remplie que lorsque la tentative de négocier a été vaine ou que les
négociations ont échoué, sont devenues inutiles ou ont abouti à une impasse.
Pour satisfaire à cette condition préalable, « ladite négociation doit … concerner
l’objet du différend, qui doit lui-même se rapporter aux obligations de
convention against torture (ord. 16 XI 23) 600
quent invitations for Syria to provide comments on the arbitration proposal,
no response has been received on the matter. The Applicants point out that
more than six months have passed from the time they formally requested
arbitration without agreement on the organization of that arbitration.
*
38. With regard to the precondition of negotiation contained in Article 30,
paragraph 1, of the Convention against Torture, Syria asserts in its letter of
10 October 2023 that the diplomatic Notes exchanged between the Parties
did not address “the substance of the issue” and that the first meeting, held
on 26 April 2022, “was devoted to agreeing on procedural aspects only”.
According to Syria, it was agreed to continue holding meetings every three
months and, consequently, the Parties exchanged correspondence to set a
date for a second meeting. Syria contends that the second meeting, held on
5 and 6 October 2022, was the only substantive meeting held between the
Parties and that, as such, it was not sufficient for the Applicants to conclude
that a deadlock had been reached or that future negotiations were futile.
Syria submits that, in correspondence after that meeting, it consistently
confirmed its readiness to engage seriously and in good faith with the
Applicants on the basis of the Convention against Torture, indicating that it
had more points to raise and discuss and repeatedly proposing that another
meeting be held as soon as possible.
39. With respect to the arbitration precondition in Article 30, paragraph 1,
of the Convention against Torture, Syria argues in its letter of 10 October
2023 that the request for arbitration contained in the diplomatic Note from
the Applicants dated 7 November 2022 was not consistent with the spirit and
letter of Article 30 of the Convention because the “elements” regarding the
organization of an arbitral tribunal contained in the diplomatic Note constituted
“a precondition that impede[d] any possibility of discussing the issue
of arbitration”.
* *
40. Regarding the precondition of negotiation contained in Article 30,
paragraph 1, of the Convention against Torture, the Court observes that
negotiations are distinct from mere protests or disputations and require a
genuine attempt by one of the parties to engage in discussions with the other
party, with a view to resolving the dispute. Where negotiations are attempted
or have commenced, the precondition of negotiation is met only when the
attempt to negotiate has been unsuccessful or where negotiations have failed,
become futile or are deadlocked. In order to meet this precondition, “the
subject-matter of the negotiations must relate to the subject-matter of the
dispute which, in turn, must concern the substantive obligations contained in
601 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
fond prévues par l’instrument en question » (voir Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du
7 décembre 2021, C.I.J. Recueil 2021, p. 373-374, par. 38).
41. La Cour note que, depuis que la Syrie s’est vu formellement reprocher
d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la convention
contre la torture par les Pays-Bas, dans leur note diplomatique du
18 septembre 2020 (dans laquelle était proposée la conduite de négociations
à cet égard), par le Canada, dans sa première note diplomatique envoyée le
3 mars 2021, puis par les deux États demandeurs, dans leur première note
diplomatique conjointe datée du 21 avril 2021, les Parties ont échangé,
pendant deux ans, une série de notes diplomatiques et tenu des réunions en
personne le 26 avril et les 5 et 6 octobre 2022 afin de tenter de parvenir à un
règlement négocié du différend. Or, il apparaît à la Cour, au vu de la teneur
des notes diplomatiques et des informations disponibles concernant les
réunions tenues en personne, que les positions qui étaient celles des Parties
n’avaient pas évolué et qu’aucun progrès substantiel n’avait été fait aux fins
de la résolution du différend dans la période ayant précédé la note diplomatique
conjointe du 7 novembre 2022, dans laquelle le Canada et les Pays-Bas
ont demandé que le différend soit soumis à l’arbitrage.
42. En conséquence, il apparaît à la Cour que la condition préalable de
négociation prescrite au paragraphe 1 de l’article 30 de la convention avait
été remplie à la date de dépôt de la requête.
43. Concernant la condition préalable relative à l’arbitrage prévue au
paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture, la Cour estime
que, dans leur note diplomatique datée du 7 novembre 2022, les États
demandeurs ont expressément proposé à la Syrie de recourir à l’arbitrage en
vue de régler le différend concernant les violations de la convention qui lui
étaient reprochées. La Cour observe en outre que la Syrie ne semble pas
avoir accusé réception de cette proposition ni y avoir répondu d’une quelconque
autre manière, et que plus de six mois se sont écoulés depuis que
celle-ci a été formulée. Il apparaît donc à la Cour que la condition procédurale
préalable relative à l’arbitrage, énoncée au paragraphe 1 de l’article 30 de
la convention, avait été remplie à la date de dépôt de la requête.
44. Rappelant que, à ce stade de la procédure, elle doit se prononcer
uniquement sur sa compétence prima facie, la Cour estime qu’il semble
avoir été satisfait aux conditions procédurales préalables prescrites par le
paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture.
*
45. La Cour note que la Syrie, dans sa lettre du 10 octobre 2023, affirme
que la Cour n’a pas compétence pour connaître de la requête. La Syrie
soutient en particulier que, en cas de différend concernant l’interprétation ou
l’application de la convention contre la torture, l’article 30 de celle-ci ne
trouve à s’appliquer qu’après la mise en oeuvre des procédures et dispositifs
convention against torture (ord. 16 XI 23) 601
the treaty in question” (see Application of the International Convention on
the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (Armenia v.
Azerbaijan), Provisional Measures, Order of 7 December 2021, I.C.J.
Reports 2021, pp. 373-374, para. 38).
41. The Court notes that, since the allegations that Syria violated its obligations
under the Convention against Torture were formally raised by the
Netherlands in its diplomatic Note of 18 September 2020 (in which it
proposed negotiations in relation to these allegations), the first diplomatic
Note sent by Canada on 3 March 2021, and the Applicants’ first joint diplomatic
Note to Syria of 21 April 2021, the Parties have exchanged a series of
diplomatic Notes over two years, and held in-person meetings on 26 April
2022 and on 5 and 6 October 2022 in an effort to negotiate a resolution of the
dispute. However, it appears to the Court, from the content of the diplomatic
Notes and the available information regarding the in-person meetings, that
the positions of the Parties had not evolved and no substantive progress had
been made in resolving their dispute during the period before the joint diplomatic
Note of 7 November 2022, in which Canada and the Netherlands
requested that the dispute be submitted to arbitration.
42. It therefore appears to the Court that the negotiation precondition set
forth in Article 30, paragraph 1, of the Convention had been met as of the
date of the filing of the Application.
43. Regarding the arbitration precondition contained in Article 30, paragraph
1, of the Convention against Torture, the Court considers that the
diplomatic Note dated 7 November 2022 contains an explicit offer by the
Applicant States to Syria to have recourse to arbitration in order to settle the
dispute over alleged violations by Syria of that Convention. The Court
further observes that Syria does not appear to have acknowledged or otherwise
responded to this offer, and that more than six months have passed since
it was made. It therefore appears to the Court that the procedural precondition
relating to arbitration in Article 30, paragraph 1, of the Convention had
been met as of the date of the filing of the Application.
44. Recalling that, at this stage of the proceedings, the Court need only
decide whether, prima facie, it has jurisdiction, the Court finds that the
procedural preconditions under Article 30, paragraph 1, of the Convention
against Torture appear to have been met.
*
45. The Court notes that Syria, in its letter of 10 October 2023, states that
the Court has no jurisdiction to entertain the Application. In particular, Syria
argues that Article 30 of the Convention against Torture is applicable only
after the mechanisms and procedures stipulated in Articles 17 to 21 thereof,
which relate to the establishment and functions of the Committee against
602 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
prévus aux articles 17 à 21, qui portent sur la constitution du Comité contre
la torture et les fonctions qui lui sont confiées. Les demandeurs ne peuvent,
selon elle, introduire une instance devant la Cour sur le fondement de
l’article 30 de la convention sans avoir préalablement soumis une communication
au Comité contre la torture conformément à l’article 21, ce qu’ils n’ont
pas fait. La Syrie ajoute que, en tout état de cause, elle a fait une déclaration
en vertu du paragraphe 1 de l’article 28 aux termes de laquelle elle
ne reconnaît pas la compétence du Comité pour agir conformément à
l’article 20, et qu’elle n’a jamais soumis de déclaration reconnaissant la
compétence de celui-ci pour recevoir et examiner des communications en
vertu de l’article 21.
46. À cet égard, la Cour observe que le paragraphe 1 de l’article 30 de la
convention contre la torture ne semble pas indiquer que la compétence qu’il
lui confère est subordonnée aux procédures du Comité contre la torture.
Il apparaît en outre à la Cour que la déclaration de la Syrie rejetant la compétence
de cet organe pour agir conformément à l’article 20 et le fait que
celle-ci n’ait jamais reconnu la compétence du Comité pour recevoir et
examiner des communications en vertu de l’article 21 sont sans incidence
sur la compétence de la Cour au titre du paragraphe 1 de l’article 30 de la
convention.
4. Conclusion quant à la compétence prima facie
47. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que, prima facie, elle
a compétence en vertu du paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre
la torture pour connaître de l’affaire dans la mesure où le différend entre les
Parties concerne l’interprétation ou l’application de la convention.
II. Qualité pour agir du Canada et des Pays-Bas
48. Le Canada et les Pays-Bas soutiennent qu’ils demandent l’exécution,
par la Syrie, des obligations lui incombant au titre de la convention contre la
torture, qui revêtent, de leur point de vue, un caractère erga omnes partes et
leur sont donc dues, comme elles sont dues à tous les autres États parties à la
convention.
49. Dans sa lettre du 10 octobre 2023, la Syrie soutient que les obligations
découlant de la convention contre la torture sont des obligations individuelles
faites aux États, et que les demandeurs ne sont pas en droit de mettre
en cause sa responsabilité sur le fondement de la convention, parce qu’ils
n’ont pas établi avoir subi un quelconque préjudice.
* *
50. La Cour rappelle que, dans une affaire précédente dans laquelle le
paragraphe 1 de l’article 30 de la convention contre la torture était, comme
convention against torture (ord. 16 XI 23) 602
Torture, have been met in the event of a dispute concerning the interpretation
or application of the Convention. Syria contends that the Applicants
cannot institute proceedings before the Court on the basis of Article 30 of
the Convention without first having submitted a communication to the
Committee against Torture under Article 21, which they have not done.
Syria adds that, in any case, it has made a declaration under Article 28, paragraph
1, that it does not recognize the competence of the Committee to take
action under Article 20 and has never recognized the competence of the
Committee to receive and consider communications under Article 21 of the
Convention.
46. In this regard, the Court observes that Article 30, paragraph 1, of the
Convention against Torture does not appear to indicate that the Court’s jurisdiction
under this provision is subject to the procedures of the Committee
against Torture. It moreover appears to the Court that the fact that Syria has
declared that it does not recognize the competence of the Committee to act
under Article 20 and has never recognized the Committee’s competence to
receive and consider communications under Article 21, has no bearing on
the Court’s jurisdiction under Article 30, paragraph 1, of the Convention.
4. Conclusion as to Prima Facie Jurisdiction
47. In light of the foregoing, the Court concludes that, prima facie, it has
jurisdiction pursuant to Article 30, paragraph 1, of the Convention against
Torture to entertain the case to the extent that the dispute between the Parties
relates to the interpretation or application of the Convention.
II. Standing of Canada and the Netherlands
48. The Applicants argue that they seek compliance by Syria with its obligations
under the Convention against Torture, which they characterize as
possessing an erga omnes partes nature, and are thus owed to the Applicants,
and indeed to all States parties to the Convention.
49. In its letter of 10 October 2023, Syria argues that the obligations arising
from the Convention against Torture are individual obligations of States
and that the Applicants do not have the right to raise allegations about its
responsibility under the Convention because they have not established that
they have suffered any damage.
* *
50. The Court recalls that, in a previous case where Article 30, paragraph
1, of the Convention against Torture was also invoked as the basis of
603 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
en la présente espèce, invoqué pour fonder sa compétence, elle a observé
que, « [e]n raison des valeurs qu’ils partagent, les États parties à cet instrument
ont un intérêt commun à assurer la prévention des actes de torture et,
si de tels actes sont commis, à veiller à ce que leurs auteurs ne bénéficient
pas de l’impunité ». Selon le raisonnement exposé par la Cour, un tel intérêt
commun
« implique que les obligations en question s’imposent à tout État partie à
la convention à l’égard de tous les autres États parties. L’ensemble des
États parties ont “un intérêt juridique” à ce que les droits en cause soient
protégés (Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited
(Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, p. 32,
par. 33). Les obligations correspondantes peuvent donc être qualifiées
d’“obligations erga omnes partes”, en ce sens que, quelle que soit l’affaire,
chaque État partie a un intérêt à ce qu’elles soient respectées. » (Questions
concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal),
arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 449, par. 68.)
Il s’ensuit que tout État partie à la convention contre la torture peut invoquer
la responsabilité d’un autre État partie en vue d’obtenir que la Cour détermine
si celui-ci a manqué à ses obligations erga omnes partes et de mettre
fin à ce manquement.
51. La Cour conclut en conséquence que les demandeurs ont, prima facie,
qualité pour lui soumettre le différend qui les oppose à la Syrie au sujet
de violations alléguées d’obligations découlant de la convention contre la
torture.
III. Droits dont la protection est recherchée et lien
entre ces droits et les mesures demandées
52. Le pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires que la Cour tient de
l’article 41 de son Statut a pour objet de sauvegarder, dans l’attente de sa
décision au fond, les droits revendiqués par chacune des parties. Il s’ensuit
que la Cour doit se préoccuper de sauvegarder par de telles mesures les
droits que l’arrêt qu’elle aura ultérieurement à rendre pourrait reconnaître à
l’une ou à l’autre des parties. Aussi ne peut-elle exercer ce pouvoir que si elle
estime que les droits invoqués par le demandeur sont au moins plausibles
(voir, par exemple, Allégations de génocide au titre de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de
Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J.
Recueil 2022 (I), p. 223, par. 50).
53. À ce stade de la procédure, cependant, la Cour n’est pas appelée à se
prononcer définitivement sur le point de savoir si les droits que les États
demandeurs souhaitent voir protégés existent ; il lui faut seulement déterminer
si les droits que ceux-ci revendiquent au fond et dont ils sollicitent la
protection sont plausibles. En outre, un lien doit exister entre les droits dont
convention against torture (ord. 16 XI 23) 603
jurisdiction, it observed that “[t]he States parties to the Convention have a
common interest to ensure, in view of their shared values, that acts of torture
are prevented and that, if they occur, their authors do not enjoy impunity”.
According to the reasoning expounded by the Court, such a common
interest
“implies that the obligations in question are owed by any State party to
all the other States parties to the Convention. All the States parties ‘have
a legal interest’ in the protection of the rights involved (Barcelona Traction,
Light and Power Company, Limited (Belgium v. Spain), Second
Phase, Judgment, I.C.J. Reports 1970, p. 32, para. 33). These obligations
may be defined as ‘obligations erga omnes partes’ in the sense that
each State party has an interest in compliance with them in any given
case.” (Questions relating to the Obligation to Prosecute or Extradite
(Belgium v. Senegal), Judgment, I.C.J. Reports 2012 (II), p. 449, para. 68.)
It follows that any State party to the Convention against Torture may invoke
the responsibility of another State party with a view to having the Court
determine whether the State failed to comply with its obligations erga omnes
partes, and to bring that failure to an end.
51. The Court thus concludes that the Applicants have, prima facie, standing
to submit to it the dispute with Syria concerning alleged violations of
obligations under the Convention against Torture.
III. The Rights whose Protection Is Sought and the Link
between such Rights and the Measures Requested
52. The power of the Court to indicate provisional measures under
Article 41 of the Statute has as its object the preservation of the respective
rights claimed by the parties in a case, pending its decision on the merits. It
follows that the Court must be concerned to preserve by such measures the
rights which may subsequently be adjudged by it to belong to either party.
Therefore, the Court may exercise this power only if it is satisfied that the
rights asserted by the party requesting such measures are at least plausible
(see, for example, Allegations of Genocide under the Convention on the
Prevention and Punishment of the Crime of Genocide (Ukraine v. Russian
Federation), Provisional Measures, Order of 16 March 2022, I.C.J. Reports
2022 (I), p. 223, para. 50).
53. At this stage of the proceedings, however, the Court is not called upon
to determine definitively whether the rights which the Applicant States wish
to see protected exist; it need only decide whether the rights claimed by them
on the merits, and for which they are seeking protection, are plausible.
Moreover, a link must exist between the rights whose protection is sought
604 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
la protection est recherchée et les mesures conservatoires demandées
(Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures
conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 224,
par. 51).
* *
54. Les demandeurs soutiennent que, étant donné qu’ils sont parties à la
convention contre la torture et ont, à ce titre, un intérêt commun à ce que
soient respectées les obligations en découlant, les droits qu’ils revendiquent
en la présente instance sont plausibles. Ils se réfèrent à leurs droits d’exiger
que la Syrie s’acquitte des obligations qui lui incombent au regard de la
convention contre la torture, notamment celles énoncées aux articles 2, 7, 10,
11, 12, 13, 15 et 16. En outre, ils font valoir que la protection de ces droits
aura pour effet de protéger également les personnes qui, selon eux, sont
actuellement soumises à la torture et à d’autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants en Syrie ou risquent de l’être de manière
imminente.
*
55. Dans sa lettre du 10 octobre 2023, la Syrie soutient que, pour que les
droits qu’ils allèguent au titre de la convention contre la torture soient plausibles,
les demandeurs doivent présenter des éléments de preuve précis
établissant les actes de torture prétendument commis. Or ceux-ci n’ont, selon
elle, soumis aucun élément de la sorte.
* *
56. La convention impose aux États parties un certain nombre d’obligations
en ce qui concerne la prévention et la répression des actes de torture et
autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants. Le paragraphe 1 de l’article premier de la convention définit la
torture dans les termes suivants :
« [T]out acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës,
physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne
aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements
ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce
personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou
de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce
personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination
quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont
infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne
agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement
exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances
résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions
ou occasionnées par elles. »
convention against torture (ord. 16 XI 23) 604
and the provisional measures being requested (Allegations of Genocide
under the Convention on the Prevention and Punishment of the Crime of
Genocide (Ukraine v. Russian Federation), Provisional Measures, Order of
16 March 2022, I.C.J. Reports 2022 (I), p. 224, para. 51).
* *
54. The Applicants contend that, as they are States parties to the
Convention against Torture with a common interest to seek compliance with
its obligations, the rights that they assert in the present case are plausible.
The Applicants refer to their rights to secure compliance by Syria with its
obligations under the Convention against Torture, in particular the obligations
under Articles 2, 7, 10, 11, 12, 13, 15 and 16. They further submit that
protecting their rights to seek Syria’s compliance will also protect persons in
Syria who, they argue, are currently, or are at imminent risk of, being
subjected to torture and other cruel, inhuman or degrading treatment or
punishment.
*
55. In its letter dated 10 October 2023, Syria contends that for the alleged
rights under the Convention against Torture to be plausible, specific evidence
of alleged acts of torture must be presented by the Applicants. It states that
no such evidence, however, was provided by the Applicants.
* *
56. The Convention imposes a number of obligations on States parties
with regard to the prevention and punishment of acts of torture and other
acts of cruel, inhuman or degrading treatment or punishment. Article 1,
paragraph 1, of the Convention defines torture in the following terms:
“[A]ny act by which severe pain or suffering, whether physical or
mental, is intentionally inflicted on a person for such purposes as obtaining
from him or a third person information or a confession, punishing
him for an act he or a third person has committed or is suspected of
having committed, or intimidating or coercing him or a third person, or
for any reason based on discrimination of any kind, when such pain or
suffering is inflicted by or at the instigation of or with the consent or
acquiescence of a public official or other person acting in an official
capacity. It does not include pain or suffering arising only from, inherent
in or incidental to lawful sanctions.”
605 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
D’autres dispositions de la convention imposent aux États parties, entre
autres, de prendre des mesures législatives, administratives et judiciaires ou
d’autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture ne soient
commis dans tout territoire sous leur juridiction (art. 2), d’extrader l’auteur
présumé d’actes de torture ou de soumettre l’affaire à leurs autorités compétentes
pour l’exercice de l’action pénale (art. 7), de veiller à ce que
l’enseignement et l’information concernant l’interdiction de la torture fassent
partie intégrante de la formation du personnel susceptible d’intervenir dans
la garde, l’interrogatoire ou le traitement de tout individu arrêté, détenu ou
emprisonné de quelque façon que ce soit (art. 10), de veiller à ce que les
autorités compétentes procèdent immédiatement à une enquête impartiale
chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’un acte de torture
a été commis sur tout territoire sous leur juridiction (art. 12), d’assurer à
toute personne qui prétend avoir été soumise à la torture sur tout territoire
sous leur juridiction le droit de porter plainte devant leurs autorités compétentes
et de voir sa cause immédiatement et impartialement examinée
(art. 13), ou encore d’interdire dans tout territoire sous leur juridiction
d’autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou
dégradants qui ne sont pas des actes de torture (art. 16).
57. La Cour note que les dispositions de la convention contre la torture
visent à protéger les personnes de la torture et d’autres actes constitutifs de
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle a estimé par le
passé qu’il existe une corrélation entre le respect des droits des personnes
consacrés par la convention internationale sur l’élimination de toutes les
formes de discrimination raciale, les obligations que celle-ci impose aux
États parties et le droit qu’ont ces derniers de demander l’exécution de
ces obligations (Application de la convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan),
mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021, C.I.J.
Recueil 2021, p. 382, par. 57). De l’avis de la Cour, cela vaut également pour
la convention contre la torture. La Cour considère que les demandeurs ont un
droit plausible à ce que la Syrie s’acquitte de ses obligations au titre de la
convention qui ont un caractère erga omnes partes. L’affirmation de la Syrie
selon laquelle les demandeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve précis
établissant les actes de torture prétendument commis (voir ci-dessus le paragraphe
55) sera abordée ultérieurement par la Cour (paragraphes 72 et
suivants), dans le cadre de son analyse des conditions relatives au risque de
préjudice irréparable et à l’urgence.
58. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que les droits que les
États demandeurs revendiquent et dont ils sollicitent la protection (voir
ci-dessus le paragraphe 54) sont plausibles.
* *
59. La Cour en vient maintenant à la condition du lien entre les droits
revendiqués par les États demandeurs et les mesures conservatoires sollicitées.
convention against torture (ord. 16 XI 23) 605
Other provisions of the Convention require States parties, inter alia, to take
effective legislative, administrative, judicial or other measures to prevent
acts of torture in any territory under their jurisdiction (Art. 2); to extradite
persons alleged to have committed acts of torture or to submit the case to
their competent authorities for the purpose of prosecution (Art. 7); to ensure
that education and information regarding the prohibition against torture are
fully included in the training of personnel who may be involved in the
custody, interrogation or treatment of any individual subjected to any form
of arrest, detention or imprisonment (Art. 10); to ensure that their competent
authorities proceed to a prompt and impartial investigation, wherever there
is reasonable ground to believe that an act of torture has been committed in
any territory under their jurisdiction (Art. 12); to ensure that any individual
who alleges having been subjected to torture in any territory under their
jurisdiction has the right to complain to, and to have the case promptly and
impartially examined by, their competent authorities (Art. 13); and to prevent
in any territory under their jurisdiction other acts of cruel, inhuman or
degrading treatment or punishment which do not amount to torture (Art. 16).
57. The Court notes that the provisions of the Convention against Torture
are intended to protect individuals from torture and other acts of cruel, inhuman
or degrading treatment or punishment. The Court has previously held
that there is a correlation between respect for individual rights enshrined in
the International Convention on the Elimination of All Forms of Racial
Discrimination, the obligations of States parties thereto and the right of
States parties to seek compliance therewith (Application of the International
Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination
(Armenia v. Azerbaijan), Provisional Measures, Order of 7 December 2021,
I.C.J. Reports 2021, p. 382, para. 57). In the view of the Court, the same
applies to the Convention against Torture. The Court considers that the
Applicants have a plausible right to compliance by Syria with those obligations
under the Convention which have an erga omnes partes character.
The assertion by Syria that the Applicants have not presented specific
evidence of alleged acts of torture (see paragraph 55 above) will be considered
below (paragraphs 72 and following), in the context of the Court’s
examination of the conditions of a risk of irreparable prejudice and urgency.
58. In light of the above, the Court considers that the rights claimed by the
Applicant States and for which they are seeking protection (see paragraph 54
above) are plausible.
* *
59. The Court now turns to the condition of the link between the rights
claimed by the Applicant States and the provisional measures requested.
606 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
* *
60. Les États demandeurs avancent que les mesures conservatoires sollicitées
sont directement liées aux droits qui constituent l’objet du différend,
en ce qu’elles visent à assurer le respect par la Syrie des obligations qui lui
incombent de prévenir la torture et les autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, à protéger l’intégrité de l’instance devant la Cour
et à préserver le droit des demandeurs de voir leur demande examinée équitablement.
Ils ajoutent que certaines des mesures conservatoires sollicitées
visent plus particulièrement à remédier au « risque sensiblement accru »
d’être soumis à la torture et à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants, auquel sont exposés les détenus, qui, selon eux, sont
victimes de détentions arbitraires et de détentions au secret ou vivent dans
des conditions abjectes de détention.
*
61. Dans sa lettre du 10 octobre 2023, la Syrie avance qu’il n’a pas été
satisfait à la nécessité qu’un lien existe entre les droits que les demandeurs
cherchent à protéger et les mesures conservatoires qu’ils sollicitent.
* *
62. La Cour considère que, par leur nature même, certaines des mesures
conservatoires sollicitées par les États demandeurs (voir ci-dessus le paragraphe
5) visent à sauvegarder les droits qu’ils revendiquent sur le fondement
de la convention contre la torture en la présente espèce. Tel est le cas, en
particulier, des mesures tendant à la prévention des actes de torture et autres
actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
et à la conservation des éléments de preuve se rapportant à de tels actes.
63. La Cour conclut de ce qui précède qu’un lien existe entre les droits
revendiqués par les États demandeurs et certaines des mesures conservatoires
sollicitées.
IV. Risque de préjudice irréparable et urgence
64. La Cour tient de l’article 41 de son Statut le pouvoir d’indiquer des
mesures conservatoires lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé
aux droits en litige dans une procédure judiciaire ou lorsque la méconnaissance
alléguée de ces droits risque d’entraîner des conséquences irréparables
(voir, par exemple, Allégations de génocide au titre de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération
de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J.
Recueil 2022 (I), p. 226, par. 65).
65. Le pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires n’est
toutefois exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il existe un risque réel et
convention against torture (ord. 16 XI 23) 606
* *
60. The Applicant States submit that the provisional measures requested
are directly linked to the rights which form the subject-matter of the dispute,
in that they are aimed at ensuring compliance by Syria with its obligations to
prevent torture and other cruel, inhuman or degrading treatment or punishment,
protecting the integrity of the proceedings before the Court and
safeguarding the right of the Applicants to have their claim fairly adjudicated.
They add that certain provisional measures requested aim to address
specifically the “substantially enhanced risk” of being subjected to torture
and other cruel, inhuman or degrading treatment or punishment for detainees
who, they claim, are being arbitrarily detained, held incommunicado or
living in abhorrent detention conditions.
*
61. In its letter dated 10 October 2023, Syria argues that the requirement
that a link must exist between the rights whose protection is sought and the
provisional measures being requested has not been satisfied.
* *
62. The Court considers that, by their very nature, some of the provisional
measures sought by the Applicant States (see paragraph 5 above) are aimed
at preserving the rights they assert on the basis of the Convention against
Torture in the present proceedings. This is the case, in particular, with regard
to the requested measures requiring Syria to prevent acts of torture and other
cruel, inhuman or degrading treatment or punishment and to preserve
evidence relating to any such acts.
63. The Court concludes, therefore, that a link exists between the rights
claimed by the Applicant States and some of the requested provisional measures.
IV. Risk of Irreparable Prejudice and Urgency
64. The Court, pursuant to Article 41 of its Statute, has the power to indicate
provisional measures when irreparable prejudice could be caused to
rights which are the subject of judicial proceedings or when the alleged
disregard of such rights may entail irreparable consequences (see, for example,
Allegations of Genocide under the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide (Ukraine v. Russian Federation),
Provisional Measures, Order of 16 March 2022, I.C.J. Reports 2022 (I),
p. 226, para. 65).
65. However, the power of the Court to indicate provisional measures will
be exercised only if there is urgency, in the sense that there is a real and
607 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits revendiqués
avant que la Cour ne rende sa décision définitive. La condition d’urgence est
remplie dès lors que les actes susceptibles de causer un préjudice irréparable
peuvent « intervenir à tout moment » avant que la Cour ne se prononce de
manière définitive en l’affaire (voir, par exemple, Allégations de génocide au
titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance
du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 227, par. 66). La Cour doit donc
rechercher si pareil risque existe à ce stade de la procédure.
66. La Cour n’a pas, aux fins de sa décision sur la demande en indication
de mesures conservatoires, à établir l’existence de manquements aux obligations
de la convention contre la torture, mais doit déterminer si les
circonstances exigent l’indication de telles mesures à l’effet de protéger les
droits découlant de cet instrument. Elle n’est pas habilitée, à ce stade, à
conclure de façon définitive sur les faits, et sa décision sur la demande en
indication de mesures conservatoires laisse intact le droit de chacune des
Parties de faire valoir à cet égard ses moyens au fond.
* *
67. Les demandeurs affirment que la Syrie a commis des actes de torture
et soumis les détenus à d’autres actes constitutifs de peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants à très grande échelle depuis au moins 2011,
et qu’elle ne manifeste aucune intention de cesser ou de prévenir les violations.
Ils se réfèrent à cet égard à différents rapports émanant de la
Commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe
syrienne, établie par une résolution du Conseil des droits de l’homme en
2011 (ci-après la « Commission d’enquête » ou la « Commission »). Les États
demandeurs soutiennent que ces violations causent un préjudice irréparable
à leur droit de demander que la Syrie s’acquitte de ses obligations. Ils arguent
en outre que chaque nouvel acte constitutif de torture ou d’autres peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants commis par la Syrie entraîne
un préjudice irréparable pour chacune des victimes. Ils soulignent que la
Cour a jugé opportun d’indiquer des mesures conservatoires lorsque des
violations avaient déjà eu lieu et qu’il n’était « pas inconcevable » qu’elles
pussent se reproduire.
68. Les États demandeurs soutiennent en outre que, au vu des violations
continues, l’urgence des mesures conservatoires sollicitées n’a jamais cessé
d’exister, depuis qu’ils ont invoqué la responsabilité de la Syrie à raison de
violations de la convention contre la torture et tenté de régler le différend par
voie de négociation et d’arbitrage, et persiste à ce jour.
*
69. Dans sa lettre du 10 octobre 2023, la Syrie affirme, pour sa part, qu’il
n’y a pas urgence dans la présente affaire, parce qu’il n’existe aucun risque
convention against torture (ord. 16 XI 23) 607
imminent risk that irreparable prejudice will be caused to the rights claimed
before the Court gives its final decision. The condition of urgency is met
when the acts susceptible of causing irreparable prejudice can “occur at any
moment” before the Court makes a final decision on the case (see, for example,
Allegations of Genocide under the Convention on the Prevention and
Punishment of the Crime of Genocide (Ukraine v. Russian Federation),
Provisional Measures, Order of 16 March 2022, I.C.J. Reports 2022 (I),
p. 227, para. 66). The Court must therefore consider whether such a risk
exists at this stage of the proceedings.
66. The Court is not called upon, for the purposes of its decision on the
request for the indication of provisional measures, to establish the existence
of breaches of obligations under the Convention against Torture, but to
determine whether the circumstances require the indication of provisional
measures for the protection of rights under this instrument. It cannot at this
stage make definitive findings of fact, and the right of each Party to submit
arguments in respect of the merits remains unaffected by the Court’s decision
on the request for the indication of provisional measures.
* *
67. The Applicants allege that Syria has committed acts of torture and
subjected detainees to other acts of cruel, inhuman or degrading treatment
or punishment on a mass scale since at least 2011 and that it demonstrates no
intention of preventing ongoing or future violations. In this regard, the
Applicants refer to various reports by the Independent International
Commission of Inquiry on the Syrian Arab Republic, which was established
by a resolution of the Human Rights Council in 2011 (hereinafter the
“Commission of Inquiry” or the “Commission”). The Applicant States claim
that these violations are causing irreparable prejudice to their right to seek
Syria’s compliance with its obligations. They also argue that each new act of
torture or other acts of cruel, inhuman or degrading treatment or punishment
by Syria constitute irreparable harm with respect to each victim. They point
out that, where past violations have occurred, the Court has found provisional
measures appropriate when it is “not inconceivable” that they might
occur again.
68. The Applicant States further contend that, in view of the continuing
violations, the urgency to indicate provisional measures has persisted over
the entire length of time since they invoked Syria’s responsibility for violations
of the Convention against Torture and attempted to settle the dispute
through negotiation and arbitration, and still exists to date.
*
69. Syria, for its part, in its letter dated 10 October 2023, states that, in the
current proceedings, there is no urgency as there is no real and imminent
608 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
réel et imminent « auquel il doit être remédié immédiatement ». Elle soutient,
en particulier, que l’« exposé des faits » présenté par les demandeurs se
rapporte à la période comprise entre 2011 et 2014, ce qui ne satisfait pas à la
condition d’urgence. Elle soutient également que le fait que les demandeurs
n’aient pas donné suite à sa demande tendant à se voir soumettre des cas
concrets de torture susceptibles de faire l’objet d’une enquête ni à sa proposition
de tenir une nouvelle réunion sur le fond du différend atteste de
l’absence d’urgence.
* *
70. Ayant déjà conclu à la plausibilité des droits invoqués par les États
demandeurs et à l’existence d’un lien entre ces droits et certaines des mesures
conservatoires sollicitées, la Cour recherchera à présent si un préjudice irréparable
pourrait être causé à ces droits et s’il y a urgence, c’est-à-dire s’il
existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé à ces
droits avant qu’elle ne rende sa décision définitive.
71. La Cour estime que les personnes soumises à la torture ou à d’autres
actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,
qui causent sévices et détresse psychologique, sont exposées à un risque
grave de préjudice irréparable (voir Application de la convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie
c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 7 décembre 2021,
C.I.J. Recueil 2021, p. 389, par. 82). Au vu de la relation entre les droits de
telles personnes et les droits des États parties à la convention (voir ci-dessus
le paragraphe 57), il s’ensuit qu’un préjudice irréparable risque également
d’être causé aux droits invoqués par les demandeurs.
72. Dans la présente espèce, les éléments d’information versés au dossier
comprennent différents rapports établis par la Commission d’enquête. La
Cour note que celle-ci, dans son rapport en date du 11 mars 2021, a constaté
que « [l]e recours à la détention arbitraire, à la torture et aux mauvais traitements,
y compris par la violence sexuelle, et la pratique des disparitions
involontaires ou forcées et des exécutions sommaires [avaie]nt été un trait
saillant du conflit jusqu’[alors] », et que
« [l]a constance des violations et atteintes commises, en particulier par
les autorités de la République arabe syrienne, et la quantité d’informations
communiquées par la Commission … et par d’autres parties
f[aisaie]nt qu’il [étai]t impossible de prétendre que ces faits [avaie]nt été
perpétrés à l’insu des chaînes de commandement concernées ».
La Commission indiquait, en conclusion, que
« [l]es rescapés décriv[ai]ent des exécutions et des décès dus à la négligence
et à des conditions de détention effroyables, ce qui laiss[ait] penser
que les personnes toujours détenues au secret risqu[ai]ent de mourir
lentement si elles n[’étaie]nt pas libérées rapidement ».
convention against torture (ord. 16 XI 23) 608
risk that “needs to be addressed immediately”. In particular, according to
Syria, the “Statement of Facts” presented by the Applicants relates to the
period between 2011 and 2014, which is not consistent with the condition of
urgency. In addition, Syria argues that the fact that the Applicants did not
respond to its request to provide specific cases of torture to be investigated
or its request to hold another substantive meeting on the issue shows a lack
of urgency.
* *
70. Having previously determined that the rights asserted by the Applicant
States are plausible and that there is a link between those rights and some
of the provisional measures requested, the Court turns to the questions of
whether irreparable prejudice could be caused to those rights and whether
there is urgency, in the sense that there is a real and imminent risk that irreparable
prejudice will be caused to those rights before the Court gives its final
decision.
71. The Court considers that individuals subject to torture and other acts
of cruel, inhuman or degrading treatment or punishment, which entail bodily
harm and psychological distress, are at serious risk of irreparable prejudice
(see Application of the International Convention on the Elimination of All
Forms of Racial Discrimination (Armenia v. Azerbaijan), Provisional
Measures, Order of 7 December 2021, I.C.J. Reports 2021, p. 389, para. 82).
In view of the relationship between the rights of such individuals and the
rights of States parties to the Convention (see paragraph 57 above), it follows
that there is also a risk of irreparable prejudice to the rights asserted by the
Applicants.
72. In the present proceedings, the information placed before the Court
includes various reports drawn up by the Commission of Inquiry. The Court
notes that the report of the Commission of Inquiry dated 11 March 2021
indicated that “[t]he use of arbitrary detention, torture and ill-treatment,
including through sexual violence, involuntary or enforced disappearance
and summary executions, has been a hallmark of the conflict”, and that
“[v]iolations and abuses have been perpetrated with such consistency,
particularly by the Government of the Syrian Arab Republic, and have
been reported so widely by the Commission of Inquiry and others that it
is impossible to claim that they were committed without the knowledge
of the relevant chains of command”.
The Commission concluded that
“[t]hose who have survived describe executions and deaths from neglect
and appalling prison conditions, suggesting that those still in incommunicado
custody may slowly die unless released expeditiously”.
609 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
La Commission a en outre souligné, dans plusieurs rapports, le caractère
systématique des actes de torture et autres actes constitutifs de peines et
traitements cruels, inhumains ou dégradants commis dans les lieux de
détention administrés par les autorités syriennes, qui entraînent la mort de
nombreux détenus.
73. La Cour note que, dans sa résolution 77/230 du 15 décembre 2022,
l’Assemblée générale des Nations Unies a « [d]éplor[é] et condamn[é] dans
les termes les plus énergiques la poursuite des violations flagrantes généralisées
et systématiques des droits humains et des libertés fondamentales » en
Syrie, et notamment « la torture, les violences sexuelles et fondées sur le
genre systématiques, dont les viols dans les centres de détention, les mauvais
traitements, d’autres violations des droits humains et atteintes à ces droits, y
compris à l’égard des femmes et des enfants ». De même, la Cour prend note
du rapport daté du 7 février 2023, dans lequel la Commission d’enquête a
indiqué qu’elle
« a[vait] des motifs raisonnables de croire que les … meurtres, [l]es actes
de torture et [l]es mauvais traitements contre des détenus, y compris le
recours à des pratiques donnant lieu à des décès en détention, ainsi que
les détentions arbitraires et les disparitions forcées, s[’étaie]nt
poursuivis »,
et qu’elle « a[vait] continué de recueillir des informations sur les violations
généralisées des droits de l’homme et du droit humanitaire commises dans
tout le pays ». Dans son rapport daté du 10 juillet 2023, la Commission d’enquête
a établi que la torture et d’autres actes constitutifs de peines ou
traitements cruels, inhumains ou dégradants perduraient dans les lieux de
détention du gouvernement, soulignant que
« l’implication continue de multiples acteurs étatiques, y compris les
directions du renseignement, la police, l’armée et les instances judiciaires,
dans [les] actes [de torture, viols et violences sexuelles, disparitions
forcées, meurtres, actes d’extermination, emprisonnements et
autres actes inhumains commis dans le cadre de la détention], conjuguée
au fait que les membres des services de renseignement et de
sécurité n[’étaie]nt jamais appelés à rendre des comptes, indiqu[ait]
que l’attaque dirigée contre la population civile continu[ait] d’être généralisée
et systématique, et menée en exécution de la politique
gouvernementale ».
Dans son tout récent rapport du 14 août 2023, la Commission d’enquête a
indiqué qu’elle « a[vait] des motifs raisonnables de croire que les … actes de
torture et … mauvais traitements … s[’étaie]nt poursuivis ».
74. La Cour relève en outre que, dans son rapport du 8 mars 2018, la
Commission d’enquête s’est penchée sur la question des violences sexuelles
et fondées sur le genre, et a constaté que, en détention comme ailleurs, ces
violences dirigées contre les femmes, les filles, les hommes et les garçons
convention against torture (ord. 16 XI 23) 609
Moreover, the Commission has drawn attention in several reports to the
systematic aspect of torture and other acts of cruel, inhuman or degrading
treatment or punishment in detention facilities operated by the Syrian
authorities, leading to extensive deaths in detention.
73. The Court notes that, in resolution 77/230 of 15 December 2022, the
General Assembly “[d]eplore[d] and condemn[ed] in the strongest terms the
continued widespread and systematic gross violations and abuses of human
rights and fundamental freedoms” in Syria, including “torture, systematic
sexual and gender-based violence, including rape in detention, and illtreatment,
other violations and abuses of human rights, including those of
women and children”. The Court also takes note of the report of the Commission
of Inquiry dated 7 February 2023, in which it pointed out that it
“ha[d] reasonable grounds to believe that the Government continued to
commit acts of murder, torture and ill-treatment against persons in
detention, including practices causing death in detention, as well as arbitrary
imprisonment and enforced disappearances”,
and that it “continued to document pervasive violations of human rights and
humanitarian law across the country”. In its report dated 10 July 2023, the
Commission of Inquiry documented continuing torture and other acts of
cruel, inhuman or degrading treatment or punishment in government detention
facilities and emphasized that
“continuing involvement of multiple State actors, including intelligence
directorates, police, military and the judiciary, in . . . acts [of torture,
rape and sexual violence, enforced disappearance, murder, extermination,
imprisonment, and other inhumane acts in the context of detention],
coupled with the complete lack of accountability among the intelligence
or security apparatus, indicates that the attack against the civilian population
remains ongoing, widespread, systematic, and carried out in furtherance
of Government policy”.
In its most recent report of 14 August 2023, the Commission of Inquiry indicated
that it “has reasonable grounds to believe that the Government
continued to commit acts of torture and ill-treatment”.
74. The Court also notes that the Commission of Inquiry addressed sexual
and gender-based violence in its report of 8 March 2018. In that report,
the Commission found that, both inside and outside of detention, sexual
and gender-based violence against women, girls, men and boys has been a
610 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
constituent un problème persistant en Syrie depuis le soulèvement de 2011.
S’agissant des violences hors détention, la Commission a établi que
« [l]es membres des forces gouvernementales et des milices associées
soumett[ai]ent les femmes et les filles, et occasionnellement les hommes,
à des viols et sévices sexuels lors des opérations sur le terrain et des
descentes visant à arrêter des manifestants et des sympathisants supposés
de l’opposition, ainsi qu’aux postes de contrôle ».
La Commission a recueilli des preuves de viols de femmes et de filles, ainsi
que d’hommes, en détention. Ayant été priée, par le Conseil des droits de
l’homme, de compléter les informations fournies dans ce rapport de 2018, la
Commission a, dans un nouveau rapport établi en février 2023, constaté que
les violences sexuelles infligées dans les centres de détention du gouvernement
« continu[ai]ent d’être commises dans tout le pays ».
75. La Cour est d’avis que, à la lumière de ce qui précède, il existe un
risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé aux droits
invoqués par les États demandeurs avant qu’elle ne rende sa décision définitive.
V. Conclusion et mesures à adopter
76. La Cour conclut de l’ensemble des considérations qui précèdent que
les conditions requises pour l’indication de mesures conservatoires sont
réunies. Il y a donc lieu pour elle d’indiquer, dans l’attente de sa décision
définitive, certaines mesures visant à protéger les droits revendiqués par les
États demandeurs, tels qu’ils sont exposés ci-dessus (voir le paragraphe 58).
77. La Cour rappelle que, lorsqu’une demande en indication de mesures
conservatoires lui est présentée, elle a le pouvoir, en vertu de son Statut,
d’indiquer des mesures totalement ou partiellement différentes de celles qui
sont sollicitées. Le paragraphe 2 de l’article 75 de son Règlement mentionne
expressément ce pouvoir, qu’elle a déjà exercé en plusieurs occasions par le
passé (voir, par exemple, Allégations de génocide au titre de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine
c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars
2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 229, par. 79).
78. En la présente espèce, ayant examiné le libellé des mesures conservatoires
sollicitées par les États demandeurs ainsi que les circonstances de
l’affaire, la Cour estime que les mesures à indiquer n’ont pas à être identiques
à celles qui sont sollicitées.
79. La Cour est d’avis que, dans l’attente de la décision définitive qu’elle
rendra en l’affaire, la Syrie doit, conformément aux obligations lui incombant
au titre de la convention contre la torture, prendre toutes les mesures en
son pouvoir afin de prévenir les actes de torture et autres actes constitutifs de
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de veiller à ce
qu’aucun de ses représentants, ni aucune organisation ou personne qui pourconvention
against torture (ord. 16 XI 23) 610
persistent issue in Syria since the uprising in 2011. Outside of detention, the
Commission has found that
“[g]overnment forces and associated militias have perpetrated rape and
sexual abuse of women and girls and occasionally men during ground
operations, house raids to arrest protestors and perceived opposition
supporters, and at checkpoints”.
The Commission documented rape of women and girls in detention, as well
as male detainees. After the Human Rights Council requested the
Commission to consider updating this 2018 report, the Commission found in
its February 2023 report that sexual violence in government-controlled
detention facilities “continues to occur countrywide”.
75. The Court is of the opinion that, in light of the above, there is a real
and imminent risk of irreparable prejudice to the rights invoked by the
Applicant States before the Court gives its final decision.
V. Conclusion and Measures to Be Adopted
76. The Court concludes from all of the above considerations that the
conditions for the indication of provisional measures are met. It is therefore
necessary, pending its final decision, for the Court to indicate certain measures
in order to protect the rights claimed by the Applicant States, as
identified above (see paragraph 58).
77. The Court recalls that it has the power, under its Statute, when a
request for provisional measures has been made, to indicate measures that
are, in whole or in part, other than those requested. Article 75, paragraph 2,
of the Rules of Court specifically refers to this power of the Court. The Court
has already exercised this power on several occasions in the past (see, for
example, Allegations of Genocide under the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide (Ukraine v. Russian Federation),
Provisional Measures, Order of 16 March 2022, I.C.J. Reports 2022 (I),
p. 229, para. 79).
78. In the present case, having considered the terms of the provisional
measures requested by the Applicant States and the circumstances of the
case, the Court finds that the measures to be indicated need not be identical
to those requested.
79. The Court considers that, pending the final decision in the case, Syria
must, in accordance with its obligations under the Convention against
Torture, take all measures within its power to prevent acts of torture
and other cruel, inhuman or degrading treatment or punishment and
ensure that its officials, as well as any organizations or persons which may
be subject to its control, direction or influence, do not commit any acts of
611 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
rait se trouver sous son contrôle, son autorité ou son influence ne commette
d’actes de torture ou d’autres actes constitutifs de peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants.
80. La Cour est également d’avis que la Syrie doit prendre des mesures
effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation de tous les
éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ
d’application de la convention contre la torture, notamment les dossiers
médicaux, examens médico-légaux et autres documents concernant des
blessures et des décès.
* * *
81. La Cour rappelle que ses ordonnances indiquant des mesures conservatoires
au titre de l’article 41 du Statut ont un caractère obligatoire et créent
donc des obligations juridiques internationales pour toute partie à laquelle
ces mesures sont adressées (Allégations de génocide au titre de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine
c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars
2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 230, par. 84).
* * *
82. La Cour réaffirme que la décision rendue en la présente procédure ne
préjuge en rien la question de sa compétence pour connaître du fond de l’affaire,
ni aucune question relative à la recevabilité de la requête ou au fond
lui-même. Cette décision laisse intact le droit des Gouvernements du Canada,
des Pays-Bas et de la Syrie de faire valoir leurs moyens à cet égard.
* * *
83. Par ces motifs,
La Cour,
Indique les mesures conservatoires suivantes :
1) Par treize voix contre deux,
La République arabe syrienne doit, conformément aux obligations lui
incombant au titre de la convention contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants, prendre toutes les mesures en son
pouvoir afin de prévenir les actes de torture et autres actes constitutifs de
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et de veiller à ce
convention against torture (ord. 16 XI 23) 611
torture or other acts of cruel, inhuman or degrading treatment or punishment.
80. The Court is further of the view that Syria must take effective measures
to prevent the destruction and ensure the preservation of any evidence
related to allegations of acts within the scope of the Convention against
Torture, including medical and forensic reports or other records of injuries
and deaths.
* * *
81. The Court recalls that its orders on provisional measures under
Article 41 of the Statute have binding effect and thus create international
legal obligations for any party to whom the provisional measures are
addressed (Allegations of Genocide under the Convention on the Prevention
and Punishment of the Crime of Genocide (Ukraine v. Russian Federation),
Provisional Measures, Order of 16 March 2022, I.C.J. Reports 2022 (I),
p. 230, para. 84).
* * *
82. The Court reaffirms that the decision given in the present proceedings
in no way prejudges the question of the jurisdiction of the Court to deal with
the merits of the case or any questions relating to the admissibility of the
Application or to the merits themselves. It leaves unaffected the right of the
Governments of Canada, the Netherlands and Syria to submit arguments in
respect of those questions.
* * *
83. For these reasons,
The Court,
Indicates the following provisional measures:
(1) By thirteen votes to two,
The Syrian Arab Republic shall, in accordance with its obligations under
the Convention against Torture and Other Cruel, Inhuman or Degrading
Treatment or Punishment, take all measures within its power to prevent acts
of torture and other cruel, inhuman or degrading treatment or punishment
and ensure that its officials, as well as any organizations or persons which
612 convention contre torture (ord. 16 XI 23)
qu’aucun de ses représentants, ni aucune organisation ou personne qui pourrait
se trouver sous son contrôle, son autorité ou son influence ne commette
d’actes de torture ou d’autres actes constitutifs de peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants ;
pour : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna,
Yusuf, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa,
Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ;
contre : M. Gevorgian, vice-président ; Mme Xue, juge ;
2) Par treize voix contre deux,
La République arabe syrienne doit prendre des mesures effectives pour
prévenir la destruction et assurer la conservation de tous les éléments de
preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application de
la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants.
pour : Mme Donoghue, présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna,
Yusuf, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa,
Nolte, Mme Charlesworth, M. Brant, juges ;
contre : M. Gevorgian, vice-président ; Mme Xue, juge.
Fait en français et en anglais, le texte français faisant foi, au Palais de la
Paix, à La Haye, le seize novembre deux mille vingt-trois, en quatre exemplaires,
dont l’un restera déposé aux archives de la Cour et les autres seront
transmis respectivement au Gouvernement du Canada, au Gouvernement
du Royaume des Pays-Bas et au Gouvernement de la République arabe
syrienne.
La présidente,
(Signé) Joan E. Donoghue.
Le greffier,
(Signé) Philippe Gautier.
M. le juge Gevorgian, vice-président, joint à l’ordonnance l’exposé de son
opinion dissidente ; Mme la juge Xue joint une déclaration à l’ordonnance.
(Paraphé) J.E.D.
(Paraphé) Ph.G.
convention against torture (ord. 16 XI 23) 612
may be subject to its control, direction or influence, do not commit any acts
of torture or other acts of cruel, inhuman or degrading treatment or
punishment;
in favour: President Donoghue; Judges Tomka, Abraham, Bennouna,
Yusuf, Sebutinde, Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte,
Charlesworth, Brant;
against: Vice-President Gevorgian; Judge Xue;
(2) By thirteen votes to two,
The Syrian Arab Republic shall take effective measures to prevent the
destruction and ensure the preservation of any evidence related to allegations
of acts within the scope of the Convention against Torture and Other
Cruel, Inhuman or Degrading Treatment or Punishment.
in favour: President Donoghue; Judges Tomka, Abraham, Bennouna,
Yusuf, Sebutinde, Bhandari, Robinson, Salam, Iwasawa, Nolte,
Charlesworth, Brant;
against: Vice-President Gevorgian; Judge Xue.
Done in French and in English, the French text being authoritative, at the
Peace Palace, The Hague, this sixteenth day of November, two thousand and
twenty-three, in four copies, one of which will be placed in the archives of
the Court and the others transmitted to the Government of Canada, the
Government of the Kingdom of the Netherlands and the Government of the
Syrian Arab Republic, respectively.
(Signed) Joan E. Donoghue,
President.
(Signed) Philippe Gautier,
Registrar.
Vice-President Gevorgian appends a dissenting opinion to the Order of
the Court; Judge Xue appends a declaration to the Order of the Court.
(Initialled) J.E.D.
(Initialled) Ph.G.
Demande en indication de mesures conservatoires
Ordonnance du 16 novembre 2023