Traduction

Document Number
128-20030121-ORA-03-01-BI
Parent Document Number
128-20030121-ORA-03-00-BI
Bilingual Document File
Bilingual Content

MUS
CR 2003/4 (traduction)
CR 2003/4 (translation)
Mardi 21 janvier 2003 à 18 heures
Tuesday 21 January 2003 at 6 p.m.
- 2 -
Le PRESIDENT : Veuillez vous asseoir. La séance est ouverte pour le deuxième tour de
plaidoirie des Etats-Unis d’Amérique et je donne immédiatement la parole à M. William Taft,
conseiller juridique du département d’Etat et agent des Etats-Unis d’Amérique.
M. TAFT : Merci, Monsieur le président. J’ai le plaisir d’informer la Cour de la présence
parmi nous cet après-midi de S. Exc. M. Sobel, ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique auprès du
Royaume des Pays-Bas.
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, les Etats-Unis mettront à profit
l’audience de cet après-midi pour répondre à un certain nombre de points soulevés ce matin par le
Mexique. Plus particulièrement, Mme Brown, du département d’Etat, répondra sur le volet de la
mise en œuvre, par les Etats-Unis, d’un programme visant à assurer le respect de la convention de
Vienne et sur celui du fonctionnement des procédures de recours en grâce. M. Dan Collins, du
département de la justice, répondra sur les points concernant les diverses procédures judiciaires
auxquelles a fait référence le Mexique lors de sa présentation. M. Collins sera suivi par
sir Elihu Lauterpacht et je conclurai moi-même cette présentation. Je répondrai à la question du
juge Higgins au début de ma conclusion. Je vous prie de bien vouloir maintenant appeler à la barre
Mme Brown.
Le PRESIDENT : Je vous remercie beaucoup et je donne maintenant la parole à
Mme Catherine Brown.
Mme BROWN : Merci, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour. Je
voudrais ce soir aborder trois points qui ont été soulevés par le Gouvernement du Mexique, certains
ce matin lors du premier tour, l’un d’entre eux lors de la réplique du Mexique. Je répondrai tout
d’abord à l’allégation du Mexique selon laquelle les Etats-Unis violeraient de manière systématique
l’article 36. J’aborderai en second lieu l’allégation selon laquelle nous violerions les obligations
que nous impose la convention de Vienne en assurant le réexamen et la revision dans le cadre de
procédures de recours en grâce. Troisièmement, je traiterai brièvement la question de l’urgence.
- 3 -
Concernant les efforts déployés par les Etats-Unis pour assurer le respect de la convention de
Vienne, thème qui a été brièvement abordé par le Mexique dans sa tentative de replacer sa requête
dans son contexte, je dois dire que nous avons été particulièrement déçus de lire dans la requête du
Mexique, et d’entendre, à nouveau, aujourd’hui, cette affirmation selon laquelle nous violerions de
façon systématique l’article 36. Cette accusation est inexacte, et la Cour ne devrait pas s’y
attacher.
La Cour voudra bien se rappeler que, lors de l’affaire LaGrand, nous avions décrit de façon
détaillée les efforts déployés par les Etats-Unis en faveur d’un respect accru des obligations
énoncées à l’article 36. Nous avions alors fourni à la Cour des explications détaillées sur le
programme mis en place à cet effet et lui avions communiqué copie du matériel pédagogique
spécialement élaboré en réponse à nos préoccupations quant aux affaires susceptibles de déboucher
sur une condamnation à la peine capitale portées à notre attention; il s’agissait notamment d’un
manuel et d’un petit mémento de poche distribués aux agents des forces de l’ordre dans tous les
Etats-Unis. Ce programme avait fait l’objet des paragraphes 20 à 24 du contre-mémoire des
Etats-Unis ainsi que d’un certain nombre d’annexes. Nous avions fait observer lors de nos
plaidoiries qu’il s’agissait là d’une tâche de longue haleine. Il y a en effet aux Etats-Unis plus de
sept cent mille agents des forces de l’ordre, répartis en plusieurs dizaines de milliers de juridictions,
et il est extrêmement difficile pour eux d’être toujours certains que la personne qu’ils arrêtent est
bien un citoyen américain. Et de fait, vous voudrez bien vous rappeler que, dans l’affaire LaGrand,
les frères LaGrand s’étaient eux-mêmes présentés, au moment de leur arrestation, comme des
ressortissants américains.
La Cour, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire LaGrand, a pris acte de notre programme
ainsi que de notre attachement au bon déroulement de celui-ci, et elle l’a fait notamment dans son
dispositif, au paragraphe 128, alinéa 6. Elle a relevé que cet engagement devait être considéré
comme satisfaisant à la demande de la République fédérale d’Allemagne visant à obtenir une
assurance générale de non-répétition. La Cour a également relevé à cette occasion qu’elle ne
rechercherait pas des Etats-Unis une garantie absolue de non-répétition, garantie qu’aucun Etat ne
- 4 -
saurait fournir. Je me permettrais de suggérer à la Cour qu’elle reconnaisse à cet égard la nature de
cette obligation et les difficultés rencontrées par tous les Etats parties à la convention de Vienne
dans la mise en œuvre de cet instrument.
Vous vous rappellerez également que l’un des aspects de notre présentation concernait la
pratique des Etats telle qu’elle ressortait d’une enquête que nous avions conduite sur ce thème.
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je puis vous assurer que, depuis l’affaire
LaGrand, notre engagement en faveur d’un respect accru des obligations de l’article 36 n’a pas
faibli, et que nous continuons à œuvrer activement pour renforcer le respect de cette disposition
dans tous les Etats-Unis. Non seulement ce programme se poursuit-il mais encore a-t-il été étendu.
Le département d’Etat a ainsi créé un nouveau service spécifiquement chargé de la mise en œuvre
de ce programme, service qui organise des activités de formation dans tous les Etats-Unis. Celui-ci
collabore de manière quotidienne avec les agents des forces de l’ordre, qu’ils relèvent du niveau
des Etats ou du niveau fédéral, et ce dans tous les Etats-Unis, en répondant aux questions et en
dispensant des conseils. Nous avons ainsi distribué plus de quatre-vingt-dix mille exemplaires de
notre manuel et plus de six cent mille exemplaires de notre mémento de poche aux fonctionnaires
chargés d’assurer le respect de la convention. En outre, courant 2001, nous avons réalisé une vidéo
pédagogique destinée à être utilisée dans le cadre de la formation des agents des forces de l’ordre et
expliquant le rôle des fonctionnaires consulaires ainsi que l’importance du respect des obligations
en matière de notification consulaire. Nous avons diffusé cet enregistrement auprès des organes
des forces de l’ordre dans l’ensemble du pays, et serions heureux d’en fournir un exemplaire à la
Cour. Si vous deviez décider de visionner cet enregistrement, vous y verrez non seulement des
fonctionnaires consulaires américains, mais également des fonctionnaires consulaires mexicains et
canadiens qui ont coopéré à sa réalisation.
Nous sommes également en train de mettre à jour et de compléter notre manuel et
envisageons d’en assurer une vaste diffusion par la poste une fois achevée cette nouvelle édition.
D’ailleurs, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, le Mexique nous a plusieurs
fois indiqué, au cours de ces dernières années, ainsi que M. Lauterpacht l’a relevé ce matin, qu’il
avait pu constater d’importantes améliorations quant au respect de la convention par les Etats-Unis.
Il a ainsi relevé, non sans ironie, qu’avec ces améliorations que nous avions apportées, sa propre
- 5 -
charge de travail s’était sensiblement alourdie du fait de l’assistance consulaire qu’il était ainsi
amené à dispenser, et qu’il lui était de plus en plus difficile d’y répondre et d’opérer un tri entre les
affaires pour lesquelles il lui revenait de dispenser une assistance consulaire et les affaires à l’égard
desquelles il ne lui était pas possible de le faire.
Il a également pris acte de l’existence de notre programme dans des communiqués officiels
bilatéraux, et a demandé à certains de nos fonctionnaires participant au programme de formation de
venir parler de leurs activités à des agents consulaires. En outre, comme je viens de le préciser, le
Mexique a participé, à notre demande, à nos propres programmes de formation, et notamment à la
réalisation de l’enregistrement vidéo que je viens d’évoquer; il a également demandé, pour son
propre usage, à disposer d’exemplaires de manuels pédagogiques. La réaction favorable du
Mexique fait écho à ce que nous entendons de la part d’autres agents consulaires aux Etats-Unis,
qui ont pu eux aussi mesurer les améliorations apportées au respect, par les Etats-Unis, de la
convention grâce aux efforts déployés.
C’est dans ce contexte que la Cour devrait examiner les cinquante-quatre cas que le Mexique
a portés à notre attention, et concernant lesquels sont alléguées des violations de l’article 36. Je
peux vous dire dès à présent, sans avoir étudié trop en détail ces affaires, que nous refuserons de
reconnaître, pour un certain nombre d’entre elles, l’existence de violations de notre part, et ce
simplement à partir des propres représentations du Mexique. Je voudrais faire observer que toutes
ces arrestations sont antérieures à l’arrêt LaGrand, et que nombre d’entre elles sont antérieures à
l’intensification de nos efforts en matière de respect de la convention, efforts qui ont débuté au
début des années quatre-vingt-dix.
Je voudrais également relever que le Mexique a manqué de préciser que des milliers de
Mexicains sont arrêtés chaque semaine aux Etats-Unis, et que des centaines de milliers de
Mexicains vivent dans ce pays. Dans ce contexte, j’affirme que le Mexique a manqué de
démontrer qu’il y avait ne fût-ce qu’une chance qu’un Mexicain arrêté aujourd’hui aux Etats-Unis
ne soit pas notifié de ses droits au titre de l’article 36; dès lors, l’hypothèse même selon laquelle il y
aurait aux Etats-Unis une pratique de violation systématique de l’article 36 est erronée et contredite
par la contribution apportée par le Mexique lui-même à notre programme, sa participation à celui-ci
et l’évaluation qu’il en a donnée.
- 6 -
Je voudrais à présent aborder la question de la grâce. Permettez-moi tout d’abord de
répondre à certaines observations faites par Mme Babcock, auxquelles M. Donovan a fait écho cet
après-midi, et selon lesquelles notre position serait en contradiction avec l’arrêt rendu dans l’affaire
LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique) au motif qu’un recours en grâce était aussi ouvert
aux frères LaGrand. Cette idée ne tient pas. La procédure de recours en grâce dans
l’affaire LaGrand était radicalement différente de celle à laquelle recourent les Etats-Unis depuis
l’arrêt LaGrand, et ce à quatre égards. En premier lieu, vous vous souviendrez que, dans l’affaire
LaGrand, il n’y avait pas eu de violation confirmée de l’article 36, et ce même, dirais-je,
jusqu’après l’exécution du deuxième frère LaGrand. C’est entre l’exécution du premier frère et
celle du second que l’Allemagne a pour la première fois émis l’hypothèse que, du fait
d’événements intervenus au cours de l’instruction du recours en grâce de Karl LaGrand, il y avait
eu violation. Jusqu’à ce moment-là, pour autant que nous puissions le dire, l’Allemagne avait
supposé qu’il n’y avait pas eu violation, pour la raison que les agents des forces de l’ordre qui
avaient procédé à l’arrestation des LaGrand étaient convaincus que ceux-ci étaient de nationalité
américaine, et ce n’est que lors de la procédure de recours grâce de Karl LaGrand que l’Allemagne
obtint des informations qui lui donnèrent à penser qu’il pouvait y avoir eu violation du droit à la
notification consulaire. Si les Etats-Unis ne confirmèrent la violation que longtemps après la
seconde exécution, c’est parce que l’Allemagne ne souleva ce point auprès d’eux qu’à la toute
dernière minute. Ainsi, le second aspect qui distingue les cas aujourd’hui portés devant la Cour du
cas LaGrand réside dans le fait que la violation n’avait même pas été portée à notre attention avant
les exécutions. Intervient dès lors une troisième distinction : il n’y eut pas à l’époque
d’intervention de la part des Etats-Unis dans la procédure de recours en grâce en vue de demander
que soit prise en considération une quelconque violation. Enfin, et c’est là l’aspect le plus
important, il est clair que, au moment de l’instruction des recours en grâce des LaGrand, nous
ignorions que la convention de Vienne sur les relations consulaires énonce une obligation de
remède, de réexamen et de revision. Ainsi, on ne saurait en aucune manière affirmer que le recours
en grâce ouvert dans le cas de l’affaire LaGrand serait le même que les recours en grâce dont nous
faisons usage pour assurer un réexamen et une revision de la condamnation et de la peine
conformément à ce qu’a jugé la Cour en l’affaire LaGrand.
- 7 -
Le deuxième point que je voudrais aborder est que, toujours en ce qui concerne la procédure
de recours en grâce, les vues qu’a exprimées aujourd’hui le Mexique lorsqu’il a traité de
l’adéquation de la procédure de recours en grâce à l’obligation d’assurer un réexamen et une
revision sont entachées d’un certain nombre d’inexactitudes et d’incohérences. M. Donovan s’est
exprimé ce matin d’une façon positive sur la grâce, lorsqu’il a relevé que, dans le cadre de cette
procédure de recours en grâce, les exécutifs des Etats de l’Union disposent de pouvoirs quasiment
illimités pour assurer la mise en œuvre des obligations internationales des Etats-Unis. Nous avons
également compris que le Mexique voyait la grâce d’un œil favorable puisqu’elle avait permis de
commuer les peines prononcées à l’encontre de trois Mexicains dans l’Illinois. De même en ce qui
concerne la commission des grâces et des libérations conditionnelles de l’Oklahoma, qui a examiné
la demande de commutation de peine adressée au gouverneur de l’Oklahoma. Mais l’approche du
Mexique à l’égard de la grâce devient soudain négative lorsque, comme dans l’affaire Valdez, un
gouverneur conclut, après réexamen et revision, qu’il ne peut accorder la commutation de peine.
Le Mexique a de même formulé d’une appréciation négative de la grâce au vu du fait que, dans
l’affaire Suarez, la commission des grâces et des libérations conditionnelles du Texas avait conclu,
après réexamen et revision, de ne pas recommander la commutation de peine. Le Mexique ayant,
dans une certaine mesure, donné à entendre qu’il préférerait qu’une telle procédure de réexamen et
de revision se déroule dans un cadre judiciaire, nous constatons de fait la même incohérence
générale. Si le réexamen traditionnel a été bien accueilli par le Mexique dans l’affaire Valdez, c’est
parce qu’il a conduit à une nouvelle audience de fixation de peine. Mais, si vous étudiez de près la
description donnée par le Mexique des cinquante-quatre affaires, vous constaterez que, dans
nombre d’entre elles ¾ et j’en ai compté jusqu’à seize, que j’ai citées dans les notes en bas de page
de mon intervention de ce matin, si la Cour souhaite s’y référer ¾, dans nombre de ces cas, donc,
le Mexique a lui-même reconnu que la juridiction d’appel compétente avait examiné la question de
la violation de la notification consulaire et conclu qu’il n’y avait pas eu préjudice. Le Mexique est
donc dans ces cas également insatisfait, même s’il y a eu réexamen judiciaire. Ce qui apparaît
clairement à l’examen des conclusions du Mexique à cet égard, c’est que la seule solution qui lui
agréerait serait une obligation de résultat. Car le Mexique n’apparaît satisfait que lorsque le
- 8 -
recours en grâce débouche sur une commutation de la peine. Le Mexique n’est satisfait d’un
réexamen judiciaire que si celui-ci débouche sur un nouveau procès, ou une nouvelle peine ou,
selon lui, une décision ayant pour effet de déclarer irrecevable un élément de preuve.
Le troisième point que je voudrais aborder concernant la procédure de recours en grâce est
que le Mexique a déprécié à tort ce mécanisme, en même temps que les efforts déployés par les
Etats-Unis pour l’utiliser à des fins de réexamen et de revision, bien que, là encore, le Mexique
fasse preuve d’incohérence dans sa façon de décrire ces efforts. Ainsi a-t-il tout d’abord laissé
entendre que nous ne rechercherions pas en fait sérieusement à assurer un réexamen et une revision
dans le cadre de la procédure de recours en grâce. Mme Babcock et M. Donovan critiquent ainsi
les lettres que le conseiller juridique a par exemple envoyées au gouverneur Keating et à la
commission des grâces du Texas, mais leur réaction ne concorde pas avec celles que nous avons
reçues à l’époque du Gouvernement mexicain, lequel nous avait remercié d’avoir envoyé ces lettres
et avait pris acte de leur importance. Cette réaction montre également que n’a pas été apprécié à sa
juste valeur le caractère extraordinaire, exceptionnel, du fait qu’un fonctionnaire de l’exécutif
fédéral ait écrit une lettre de cette nature à un fonctionnaire de l’exécutif d’un Etat des Etats-Unis.
Ces lettres sont sans précédent et constituent de notre part des interventions tout à fait
exceptionnelles.
Mme Babcock et M. Donovan supposent à tort que, parce que ces lettres auraient présenté
les demandes qu’elles contiennent de manière respectueuse, elles ne seraient dès lors ni fermes ni
efficaces. Nous pensons au contraire que ces lettres doivent être jugées à la lumière des résultats
obtenus et qu’il ne fait aucun doute qu’elles ont permis et provoqué, de la part des Etats de
l’Oklahoma et du Texas, un véritable réexamen, une véritable revision, et ce dans le cadre de la
procédure de recours en grâce.
Cette procédure a également été dénigrée, présentée comme un acte de grâce au sens où ce
terme impliquerait un caractère absolument discrétionnaire, comme s’il n’y avait là que caprice et
arbitraire. Ainsi avons-nous pu entendre l’argument selon lequel il ne s’agirait nullement là d’un
droit, et qu’il faudrait distinguer ce type de réexamen d’un réexamen obtenu dans le cadre d’une
procédure judiciaire. En réalité, dans tous les Etats concernés en la présente affaire, et, pour autant
que je le sache, dans tous les Etats des Etats-Unis, un droit de recours en grâce existe. Une
- 9 -
procédure existe pour ce faire. Cette procédure permet de présenter des documents, de demander
des entretiens, parfois des audiences, et autorise l’examen de toute information, de toute
information présentée dans ce cadre, sans avoir à surmonter les obstacles limitant le déroulement
d’une telle procédure devant un organe judiciaire, que ce soit pour une raison de compétence ou
toute autre raison inhérente à un recours juridictionnel.
Ainsi que l’a indiqué M. Donovan, il s’agit là d’une procédure qui offre des possibilités
quasiment illimitées de mettre en œuvre les obligations internationales des Etats-Unis. Il s’agit
d’une procédure qui requiert l’exercice de la faculté de jugement. Mais je pense qu’il importe de
ne pas oublier que le réexamen et la revision dans le cadre d’une procédure judiciaire exigent
également l’exercice de cette faculté de jugement. Et je dirai que ce sur quoi portent véritablement
les représentations du Mexique, c’est le réexamen et la revision ainsi que l’exercice de la faculté de
jugement, car ce que veut véritablement le Mexique, c’est que l’issue d’un procès puisse être
modifiée, et il ne sera pas satisfait à moins. Il ne peut accepter qu’un réexamen et une revision
puissent déboucher sur une décision qui soit sans incidence sur la peine prononcée.
Nous estimons au contraire que le gouverneur Ryan, en commuant les peines des
trois Mexicains condamnés dans l’Illinois, a agi après mûre réflexion, tout comme nous estimons
que le gouverneur Keating, en décidant de ne pas commuer la peine de M. Valdez, a également agi
après mûre réflexion, et que la commission des grâces du Texas, en décidant de ne pas
recommander la grâce de M. Suarez, a elle aussi agi après mûre réflexion. La Cour ne dispose
d’absolument aucune base pour conclure que les décisions rendues par le gouverneur Keating ou
par la commission des grâces du Texas n’ont pas été des décisions raisonnables, et n’ont pas
constitué le résultat raisonnable d’un réexamen et d’une revision, à la lumière des violations, des
condamnations et des peines prononcées dans ces affaires.
Ainsi que je l’ai indiqué plus haut, si, comme la Cour l’a dit dans l’arrêt LaGrand, le
réexamen et la revision constituent bien un remède, quelqu’un doit être appelé à exercer une faculté
de jugement. Or, le problème du Mexique concerne la manière dont s’exerce cette faculté de
jugement, et non la question de savoir qui l’exerce. Ce que veut le Mexique, c’est une obligation
de résultat, une modification à l’issue du procès, ce qui pose deux problèmes essentiels à l’égard de
la demande en indication de mesures conservatoires.
- 10 -
Tout d’abord, comme nous l’avons dit, cela va à l’encontre de l’arrêt LaGrand, qui, ainsi que
l’ambassadeur Székely l’a lui-même reconnu, donne une interprétation définitive des obligations
imposées par l’article 36. Cette façon de voir du Mexique va, je le répète, à l’encontre de l’arrêt
LaGrand parce que celui-ci demande qu’il y ait réexamen et revision, mais n’indique pas quelle
doit être précisément l’issue de ce réexamen et de cette revision.
En deuxième lieu, ce raisonnement, précisément parce qu’il va à l’encontre de l’arrêt
LaGrand, cherche nécessairement à préserver des droits qui n’existent pas, et, par conséquent,
accorder au Mexique les mesures conservatoires que demande celui-ci n’aurait nullement pour effet
de préserver ses droits existants en l’espèce, mais aurait en revanche, ainsi que M. Thessin l’a
indiqué ce matin, des conséquences graves et dommageables pour les droits des Etats-Unis.
Permettez-moi enfin de faire quelques observations concernant la question de l’urgence. Le
Mexique a cet après-midi assimilé à tort les circonstances qui prévalaient dans les affaires Breard
et LaGrand avec celles qui prévalent en l’espèce, et a tenté de faire croire que nous lui
reprocherions tantôt de présenter leur demande trop tard, tantôt de la présenter trop tôt. En réalité,
la présente espèce est fondamentalement différente des affaires Breard et LaGrand, pour
deux raisons importantes.
Premièrement, dans les deux affaires précédentes, une date avait déjà été fixée pour
l’exécution et était connue du Paraguay et de l’Allemagne bien avant que ceux-ci ne se présentent
devant la Cour. Vous vous rappellerez pourtant que, dans l’affaire LaGrand, l’Allemagne, bien
qu’elle eût connaissance de la date de l’exécution, avait attendu si longtemps que la Cour n’eut
même pas le temps de tenir une audience. En la présente espèce, tout au contraire, aucune date
d’exécution n’a été fixée, et si Mme Babcock a cru bon de dire qu’une date «pourrait» être fixée
aujourd’hui, une telle date n’a en réalité pas été fixée aujourd’hui, et il n’y a aucune raison de
penser qu’une date quelconque puisse être fixée dans des délais rapprochés, ainsi que je l’ai exposé
ce matin. Cela ne veut pas dire que des dates ne seront pas fixées, mais il n’y en a aujourd’hui
aucune de fixée, et nous ne pouvons dire quand une telle date le sera.
Mais, et c’est là un élément plus important, à l’époque des affaires Breard et LaGrand, la
Cour n’avait pas encore rendu de décision, en matière de remède pour violation de l’article 36.
Aujourd’hui, cette décision, nous l’avons; aujourd’hui nous savons que le remède consiste en un
- 11 -
réexamen et une revision. Dès lors, il ne suffit pas au Mexique de démontrer la probabilité qu’une
exécution intervienne entre la date d’aujourd’hui et le moment où la Cour se prononcera sur le fond
de l’affaire, il lui faut encore démontrer la probabilité qu’intervienne une exécution sans qu’il ait pu
être procédé à un réexamen et à une revision. Il doit également démontrer la probabilité qu’une
exécution sans réexamen et revision serait imminente; or, il a totalement manqué de le démontrer.
Je vous remercie, Monsieur le président, et vous demande maintenant de bien vouloir appeler à la
barre mon confrère, M. Collins.
Le PRESIDENT : Je vous remercie Mme Brown. J’appelle maintenant à la barre
M. Daniel Collins.
M. COLLINS : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour. Le Mexique a
soutenu ce matin, dans sa plaidoirie, qu’aucun remède n’avait été accordé par les instances
judiciaires des Etats-Unis depuis le prononcé de l’arrêt LaGrand. Il a essentiellement invoqué, à
l’appui de cette assertion, vingt-deux décisions de justice rendues depuis l’affaire LaGrand,
décisions qui ont été consignées. Un examen de ces décisions nous éclairera, je pense, sur le rôle
joué par la justice des Etats-Unis en matière de réexamen et de revision, une question qui touche,
d’une part, à la crédibilité de l’argument du Mexique selon lequel, si aucun changement
n’intervient dans le fonctionnement du système judiciaire des Etats-Unis, un préjudice irréparable
sera porté aux droits qu’il tient de la convention de Vienne et, d’autre part, à la question de
l’urgence.
Pour apprécier ces vingt-deux décisions évoquées par le Mexique, il importe tout d’abord de
garder présentes à l’esprit certaines données élémentaires concernant le cadre de référence que
nous a fourni la Cour avec l’arrêt LaGrand. Celui-ci ¾ nous l’avons déjà relevé ¾ indiquait
expressément que le réexamen et la revision auxquels il faisait référence «[pouvaient] être [mis] en
œuvre de diverses façons» et que «[l]e choix des moyens [devait] revenir aux Etats-Unis».
Ainsi, la tâche de choisir les modalités de ce réexamen dans le cadre d’un système national
de justice pénale complexe, qui permet l’exercice de recours au niveau des Etats, de recours en
habeas corpus à différents échelons fédéraux, ainsi que du recours en grâce au niveau de
l’exécutif ¾ la tâche de décider, donc, comment il doit être procédé au réexamen dans le cadre
- 12 -
d’un tel système a été assignée par la Cour au Gouvernement des Etats-Unis et non à une institution
particulière : le système judiciaire des Etats-Unis. De sorte qu’on ne trouve, dans l’arrêt rendu par
la Cour en l’affaire LaGrand, rien qui vienne corroborer l’idée qu’il reviendrait aux tribunaux de
modifier une loi interne donnée.
Au contraire, la Cour a pris grand soin de souligner qu’elle n’avait pas trouvé de loi
américaine, de fond ou de procédure, qui, par nature, fût incompatible avec les obligations que la
convention de Vienne imposait aux Etats-Unis.
Or, c’est essentiellement au stade de la procédure de recours en grâce que les Etats-Unis,
comme ils l’ont expliqué dans leur exposé, se sont efforcés de mener à bien le réexamen et la
revision visés par la Cour dans l’arrêt LaGrand. Ils ont fait ce choix s’agissant des différends qui
ont surgi depuis l’affaire LaGrand, précisément parce que, dans leur système de droit interne, les
raisons pour lesquelles la grâce peut être accordée sont, pour ainsi dire, illimitées. Les obstacles
d’ordre procédural ou autres critères applicables susceptibles d’entraver l’action d’un tribunal
n’entrent pas en jeu dans le cadre de la procédure de recours en grâce, de sorte qu’il est loisible, à
ce stade, de procéder sans contrainte à l’examen de l’effet de la violation. C’est donc là le moyen
le plus sûr et le plus efficace de faire en sorte que la violation de droits garantis par la convention
de Vienne soit prise en compte.
Les instances judiciaires ont toutefois, et peuvent avoir, un rôle à jouer dans le processus de
réexamen et de revision des demandes fondées sur la convention de Vienne. Cela est fonction des
faits spécifiques à l’espèce et des lois de fond qu’elles devront appliquer. Le Mexique a affirmé
que, dans ces vingt-deux affaires, aucun remède n’a été apporté par les organes judiciaires, donnant
à entendre que ceux-ci se sont limités à appliquer le droit en vigueur avant l’arrêt LaGrand.
Toutefois, pour apprécier leur rôle effectif dans ces affaires, il convient de garder présents à l’esprit
deux points importants.
D’abord, comme je l’ai déjà relevé, l’arrêt LaGrand n’imposant aux tribunaux eux-mêmes
de modifier aucune loi interne, on ne saurait, en se fondant sur le fait que les tribunaux ont continué
d’appliquer les lois établies, et sur ce fait seulement, conclure au défaut de réexamen et de revision,
et à l’inobservation de l’arrêt dans un cas particulier. Si, en raison de certains obstacles en droit
- 13 -
interne, il n’a pas, dans le cadre de la procédure judiciaire, été procédé au réexamen et à la revision,
ceux-ci peuvent toujours intervenir au stade du recours en grâce, et c’est l’une des raisons pour
lesquelles nous y accordons une telle importance.
Toutefois ¾ et c’est là notre second point ¾, c’est également à tort que le Mexique postule
que la procédure judiciaire ne saurait assurer le réexamen et la revision requis s’il n’est pas, en
droit interne, prévu de voie de recours s’appliquant spécifiquement aux demandes formées au titre
de la convention de Vienne en tant que telles. Ce faisant, il omet de prendre en compte le fait que
la violation de la convention de Vienne peut être examinée de façon adéquate sous l’angle d’une
doctrine de droit interne distincte, mais qui produirait de mêmes effets. L’affaire Valdez, que ma
collègue, Mme Brown, a amplement évoquée ce matin en fournit une parfaite illustration. La
juridiction concernée a estimé qu’elle ne pouvait, en vertu d’une décision rendue par la Cour
suprême des Etats-Unis, spécifiquement examiner la violation de la convention de Vienne en tant
que telle. Toutefois, elle a ensuite invoqué les aspects du dossier, les lacunes mêmes mis en
lumière par le Mexique dans ses observations pour accorder satisfaction au titre d’un moyen
différent, relevant du droit de l’Etat concerné, celui tiré de l’incompétence de l’avocat en cette
affaire. Ce faisant, elle s’est livrée au réexamen et à la revision du fond de la demande, et a fait
droit à celle-ci. Ainsi, si la Cour a observé que le recours motivé par l’incompétence ne
garantissait pas nécessairement la prise en compte de la violation (effectivement omise dans
l’affaire LaGrand) de droits énoncés par la convention de Vienne ¾ je me réfère ici au
paragraphe 91 de l’arrêt ¾, il arrive néanmoins, comme ce fut le cas dans l’affaire Valdez, qu’il
permette d’aboutir à ce résultat. Mais prétendre, comme le fait le Mexique, que la décision prise
par la cour de l’Oklahoma d’autoriser, au vu des observations du Mexique, la tenue d’une nouvelle
audience sur le prononcé de la peine ¾, prétendre que ce n’est pas là procéder au réexamen et à la
revision, voilà qui est tout simplement démenti par la teneur même de la décision.
En ce qui concerne plus précisément les vingt-deux affaires évoquées, l’affirmation du
Mexique selon laquelle les Etats-Unis n’ont mis en œuvre aucune voie de recours, méconnaissant
ainsi les dispositions de l’arrêt LaGrand, est tout simplement infondée. Sur vingt-deux décisions
de justice ¾ et une fois de plus, je fais référence aux vingt-deux décisions accessibles, comme l’a
indiqué le Mexique, par une recherche informatique ¾, seules deux demandes basées sur la
- 14 -
convention de Vienne ont été rejetées au titre de la doctrine de la «carence procédurale». Les
vingt autres décisions traitent bel et bien le fond des griefs invoqués, et notamment de ceux fondés
sur la convention.
Les demandes présentées dans ces affaires s’inscrivent dans diverses catégories. La
première de ces catégories ¾ et la plus importante, puisqu’elle concerne douze des
vingt-deux affaires ¾ regroupe les demandes tendant à obtenir le retrait de déclarations faites à la
suite de l’arrestation, au motif qu’une violation de la convention de Vienne aurait été commise. Or
il peut s’avérer, dans nombre de ces cas, que le caractère très restreint de la demande formée ¾ une
demande de retrait ¾ reflète l’absence, dans le dossier, de toute autre forme de préjudice
susceptible d’être invoquée par l’accusé. En outre, en tant que les déclarations sont souvent
consignées peu de temps après l’arrestation, se pose également la question de savoir si de telles
affaires, compte tenu des circonstances particulières propres à chacune, peuvent effectivement
impliquer une violation de la convention de Vienne.
Toutefois, les juridictions compétentes ont toutes conclu que le retrait de déclarations n’était
pas un remède prévu par la convention de Vienne, et ce faisant, elles ont analysé assez longuement
les principes pertinents. Citons notamment l’affaire Minjares-Alvarez, dans le cadre de laquelle
l’organe judiciaire a traité au fond, sous différents aspects, la question de savoir si la voie de
recours expressément requise était ouverte aux termes de la convention de Vienne. Il a indiqué :
«rien n’atteste que les rédacteurs de la convention de Vienne aient prévu comme remède aux
violations de l’article 36 le recours à l’exclusion de preuves», puis
«en outre, rien ne permet de penser que les rédacteurs de la convention de Vienne
songeaient exclusivement aux droits prévus par les cinquième et
sixième amendements des Etats-Unis, étant donné que la Cour suprême américaine
elle-même n’a prescrit de procéder aux notifications postérieures à l’arrestation en
vertu des cinquième et sixième amendements que dans le cadre de l’arrêt Miranda,
en 1966, trois ans après l’élaboration du traité».
De fait, nul autre pays n’a interprété la convention de Vienne comme prévoyant l’obligation
d’écarter des éléments de preuve pour remédier à une violation de l’article 36. En note de bas de
page, le tribunal évoque ensuite explicitement la décision rendue par la Cour en l’affaire LaGrand
- 15 -
et indique que, selon lui, rien dans cet arrêt n’impose la création d’une voie de recours
spécifiquement fondée sur l’exclusion de preuves ¾ qui serait bien singulière en droit américain ¾
pour traiter les demandes soumises et statuer sur elles.
Dans un treizième cas, c’était l’abandon des poursuites qui était requis ¾ et là encore, ce
n’est pas peu demander que de requérir l’arrêt d’une procédure pénale en raison d’une violation de
la convention de Vienne ¾ de sorte que la Cour a dans cette affaire, l’affaire Flores, rejeté la
demande. Sept des vingt-deux affaires comportent expressément une référence à la question du
préjudice, ou une analyse de cette question. Nous pouvons ainsi citer l’affaire Passeano Flores,
dans le cadre de laquelle la juridiction compétente a énoncé, s’agissant de l’examen d’une demande
fondée sur la convention de Vienne, les critères suivants :
«pour établir qu’un préjudice lui a été porté, l’accusé doit montrer :
1) qu’il n’avait pas connaissance de son droit de prendre contact avec le consul ou
un fonctionnaire consulaire;
2) qu’il aurait fait usage de ce droit s’il en avait eu connaissance; et
3) qu’en conséquence, il aurait sans doute bénéficié d’une assistance».
Dans l’affaire Lopez, le tribunal de l’Iowa avait fait une analyse similaire et ajouté un
quatrième critère, à savoir que la violation établie doit avoir eu un effet quelconque sur l’issue du
procès. Dans ces sept affaires, où les tribunaux ont formulé des conclusions ou statué
expressément sur la question du préjudice, on ne peut affirmer qu’ils ne se sont pas ainsi prononcés
sur le fond des demandes basées sur la convention de Vienne. Ce n’est, peut-être, pas le résultat
que le Mexique aurait jugé approprié dans les circonstances de chaque espèce, mais néanmoins, les
tribunaux sont arrivés au fond dans ces sept affaires et ils ont conclu que le préjudice qui aurait
découlé de la prétendue violation n’avait simplement pas été démontré.
Dans l’affaire Ortiz Rodriguez, en revanche, le tribunal a conclu qu’il n’examinerait pas et
qu’il ne pouvait pas examiner la question parce que selon le dossier, le Mexique n’avait émis
aucune protestation au sujet de la violation. Enfin, deux affaires se sont conclues par un arrêt
favorable au défendeur, bien que pas nécessairement sur la demande relative à la convention de
- 16 -
Vienne : dans l’une, l’affaire Ruiz, le juge a prononcé l’annulation et ordonné que le défendeur soit
autorisé à retirer son aveu de culpabilité et puis, bien sûr, il y a l’affaire Valdez dont nous avons
déjà longuement discuté.
Loin de montrer ce qu’affirme le Mexique, à savoir le mépris et la violation systématique
dont ferait l’objet la convention de Vienne, ces vingt-deux cas prouvent que, souvent, les tribunaux
abordent le fond des demandes et les défendeurs font valoir ces demandes au moment et par des
moyens de procédure appropriés.
Maintenant que nous avons indiqué que les tribunaux ¾ et cette série d’affaires l’illustre
bien ¾ ont dans certains cas été en mesure d’examiner les demandes au fond, qu’ils se sont
engagés dans ce type d’analyse des types de remèdes, et se sont demandé ce que l’examen du
préjudice devrait permettre d’établir pour qu’une violation de la convention de Vienne donne droit
à un remède au vu des circonstances de l’espèce, il demeure important de noter que les contraintes
du droit interne peuvent limiter ¾ et c’est souvent le cas ¾ la capacité des tribunaux de modifier,
par exemple la doctrine de la carence procédurale. C’est pourquoi lorsque dans une affaire ¾ il en
a été mentionné une de la sorte, parmi les cinquante-quatre, dans l’exposé de ce matin ¾ le
Mexique est informé d’une violation avant le procès et ne fait cependant valoir sa réclamation à
aucun moment, ni pendant le procès ni pendant le premier appel, le droit interne peut tenir compte
du manquement du Mexique et de ce que le défendeur n’a pas fait valoir sa demande au moment
approprié pour qu’elle soit versée au dossier et utilisée au cours de l’instruction. Il y a ici des
valeurs en jeu.
Or, c’est précisément en raison de ce type d’obstacles ¾ et je rappellerai encore une fois que
la Cour n’a pas à s’intéresser à la nature de ces obstacles dans chaque affaire particulière ¾, en
raison de la complexité et de la nature des jugements qui doivent être rendus par les tribunaux dans
chaque affaire particulière, c’est précisément pour toutes ces raisons qu’en appliquant l’arrêt
LaGrand nous avons accordé un poids aussi important à la procédure de grâce : parce qu’elle est
libre de ces contraintes. Et loin d’être la procédure que le Mexique a évoquée avec mépris en
parlant de déposer une feuille de papier pour implorer la clémence, loin de justifier les
commentaires désobligeants adressés au pouvoir exécutif de certains des Etats de notre pays, la
procédure de grâce a été présentée sous un jour très différent par la Cour suprême des Etats-Unis.
- 17 -
Celle-ci a noté, dans l’affaire Herera c. Collins, que le pouvoir de grâce était profondément
enraciné dans le système de la common law et que ce mécanisme faisait partie intégrante de
l’administration de notre droit pénal. La Cour est allée jusqu’à expliquer que la grâce «a fourni à
notre système de justice pénale sa soupape de sécurité». C’est précisément le mécanisme dont nous
avons tiré profit pour mettre en œuvre la décision rendue en l’affaire LaGrand et c’est
naturellement ce qui a été illustré de manière spectaculaire par le gouverneur Ryan la semaine
dernière, lorsqu’il a accordé un remède fondé en partie sur des violations de la convention de
Vienne.
Je vous remercie, Monsieur le président, je vous demande maintenant de bien vouloir appeler
à la barre M. Elihu Lauterpacht.
Le PRESIDENT : Je vous remercie M. Collins. J’appelle maintenant à la barre
sir Elihu Lauterpacht.
Sir Elihu LAUTERPACHT : Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, vous
aurez remarqué qu’en indiquant quelle serait vraisemblablement en substance la contribution de
chaque conseil dans cette réponse, l’éminent agent des Etats-Unis ne m’a attribué aucun sujet en
particulier. C’est parce que la part qui m’échoit couvre divers points.
Le premier point que je traiterai est la question du degré de certitude requis pour le dommage
qui, estime-t-on, risquerait d’être irréparable. Pour examiner cette question, il est manifestement
essentiel de circonscrire ledit danger potentiel. Doit-il s’agir du danger certain ou probable d’une
exécution quelconque ? Ou alors du danger d’une exécution sans qu’il y ait eu réexamen et
revision, le remède procédural en cas de violation de l’article 36 de la convention de Vienne ?
Pour les Etats-Unis, c’est du second cas qu’il s’agit. Le danger contre lequel le Mexique est
en droit d’être protégé est celui de l’exécution d’une personne qui n’a pu bénéficier d’un réexamen
et d’une revision de son cas. Or, le Mexique n’a même pas établi la probabilité de ce danger.
Chacune des trois personnes qui, au dire du Mexique, courent un danger imminent aura pu
bénéficier dans une certaine mesure d’un réexamen et d’une revision de son cas avant qu’elle ne
puisse éventuellement être exécutée. Si la procédure de réexamen et de revision aboutit à la
commutation de la peine, alors il n’y aura pas d’exécution. Les Etats-Unis ont déjà donné à la Cour
- 18 -
l’assurance que leur pratique actuelle à cet égard restera la même. Le Mexique ne saurait
demander davantage. Le sens de l’arrêt LaGrand n’est pas qu’il ne peut plus y avoir d’exécutions,
mais seulement qu’elles ne pourront avoir lieu qu’à l’issue de procédures appropriées.
Ensuite, je dirai juste un mot d’un aspect de la demande que le Mexique n’a absolument pas
approfondi. A l’alinéa d), le Mexique prie la Cour d’exiger des Etats-Unis qu’ils fassent en sorte
qu’il ne soit pris aucune mesure qui puisse porter atteinte aux droits du Mexique ou de leurs
ressortissants en ce qui concerne toute décision que la Cour pourrait prendre sur le fond de
l’affaire.
Peut-être ma mémoire me fait-elle défaut, mais je n’ai aujourd’hui aucun souvenir d’une
affaire où la Cour a exigé d’un Etat souverain qu’il garantisse la bonne exécution des obligations
qui sont les siennes. En fait, j’ai quelques bribes de souvenirs d’affaires où la Cour a dit sans
détour que l’on ne saurait présumer d’un Etat qu’il ne se conforme pas à ses obligations juridiques
internationales.
A cet égard, rappelons qu’au paragraphe 120 de l’arrêt LaGrand, la Cour a relevé que
l’Allemagne, dans sa quatrième conclusion, avait demandé plusieurs assurances. L’une d’elles
était l’assurance que les Etats-Unis fassent en sorte en droit et en pratique que les droits découlant
de l’article 36 puissent être exercés plus efficacement. La Cour a constaté que, contrairement à la
demande de l’Allemagne tendant à ce que la non-répétition des violations de la convention
consulaire soit garantie, tout en ne précisant pas les moyens par lesquels la non-répétition doit être
assurée, la demande susvisée allait plus loin car, «en se référant au droit des Etats-Unis, elle paraît
appeler l’adoption de mesures spécifiques visant à empêcher que de tels actes illicites se
reproduisent». Tels sont les mots employés par la Cour.
La Cour est revenue sur cette question au paragraphe 125 de sa décision. Elle a constaté que
«elle n’a pas trouvé de loi américaine, de fond ou de procédure, qui, par nature, soit
incompatible avec les obligations que la convention de Vienne impose aux Etats-Unis.
[L]a violation du paragraphe 2 de l’article 36 a découlé des circonstances dans
lesquelles a été appliquée la règle de la carence procédurale, et non de la règle
elle-même.»
La Cour n’a pas fait sienne la formulation de l’Allemagne. Certes, elle a convenu avec
l’Allemagne que dans certains cas des excuses ne suffisent pas, mais elle n’a pas fait droit à la
demande de celle-ci tendant à ce que les Etats-Unis «assure[nt], en droit et en pratique, l’exercice
- 19 -
effectif des droits visés à l’article 36». Comme il vient d’être constaté, la préoccupation principale
de la Cour était que les mesures demandées par l’Allemagne allaient trop loin et que cette demande
d’assurance visait à ce que la Cour prescrive des moyens ou mesures spécifiques pour parvenir à un
résultat. La Cour a clairement conclu qu’il n’y avait pas lieu de ce faire et, au lieu de cela, elle a dit
que
«dans le cas d’une telle condamnation, les Etats-Unis devraient permettre le réexamen
et la revision du verdict de culpabilité et de la peine en tenant compte de la violation
des droits prévus par la convention. Cette obligation peut être mise en œuvre de
diverses façons. Le choix des moyens doit revenir aux Etats-Unis.»
Il est important de noter que cette décision de laisser le choix des moyens aux Etats-Unis
n’était pas un acte de générosité de la Cour envers les Etats-Unis. Au contraire, la Cour a reconnu
ainsi que, compte tenu des différences entre les circonstances entourant les diverses affaires qui
pourraient survenir et de la complexité des voies d’appel direct, des requêtes en habeas corpus ou
des recours administratifs du système de justice pénale américain, ce sont les Etats-Unis qui sont
les mieux placés pour déterminer quels sont les moyens appropriés qui sont à mettre en oeuvre pour
un réexamen et une revision dans tous les cas où cela s’impose. Par ailleurs, la Cour a reconnu
ainsi que son rôle est d’indiquer non pas les mécanismes par lesquels doit s’appliquer le droit
interne, mais plutôt uniquement quelles sont les exigences du droit international.
Mon prochain point, Monsieur le président, sera bref. La Cour aura sûrement remarqué que
le Mexique n’a pas du tout traité la question de l’extension du champ d’application de sa demande,
telle qu’exposée au paragraphe 31, alinéas a) et b), de la protection des cinquante-quatre Mexicains
énumérés à celle de tous les ressortissants mexicains. Le Mexique n’a aucunement indiqué dans sa
demande en quoi cette extension était justifiée. Les Etats-Unis concluent qu’il y a lieu de la rejeter
totalement.
La nature de l’obligation que la Cour pourrait imposer aux Etats-Unis est un autre point qui
se rapporte à l’étendue des mesures conservatoires demandées. Le Mexique a lui-même admis
devant la Cour aujourd’hui qu’il veut une obligation de résultat et que cette obligation de résultat
va à l’encontre des ordonnances rendues dans les affaires Breard et LaGrand. Le Mexique veut
que la Cour ordonne qu’il n’y ait aucune exécution ou qu’aucune date d’exécution ne soit fixée
pendant les mois ou les années que durera la présente instance devant la Cour et ce, quelle que soit
- 20 -
l’issue des cas individuels, et qu’il y ait eu ou non réexamen et revision au sens de l’arrêt LaGrand.
Le contraste avec les mesures conservatoires indiquées par la Cour en l’affaire LaGrand est
saisissant : en ladite espèce, la Cour avait expressément refusé de créer une obligation de résultat.
De la même manière, en l’affaire Breard, quand le Paraguay l’avait priée de prendre toutes les
mesures nécessaires pour faire en sorte qu’aucune exécution n’ait lieu, la Cour n’était pas allée
dans son ordonnance jusqu’à imposer un tel fardeau. Au lieu de cela, elle s’était contentée
d’indiquer que les Etats-Unis devaient prendre toutes les mesures dont ils disposaient pour qu’il n’y
eût pas d’exécution tant que la décision définitive de la Cour n’aurait pas été rendue. Le Mexique
n’a pas établi pour quels motifs la Cour devrait s’écarter de cette position.
Ensuite, je dirai seulement quelques mots sur la question des assurances données en l’affaire
du Grand-Belt que Me
Donovan a soulevée un peu plus tôt aujourd’hui. Comme il l’a précisé
devant la Cour, le Danemark avait donné à la Cour des assurances qu’il ne ferait pas ce pourquoi la
Finlande demandait que fussent indiquées des mesures conservatoires. Toutefois, cela n’est pas
tout à fait exact. C’est pour plusieurs raisons que la Finlande avait demandé l’indication de
mesures conservatoires. D’abord, elle avait demandé que le Danemark ne construisît pas de pont
sur le Grand-Belt au motif que ce pont allait porter atteinte à ses droits de navigation et à ses
privilèges portuaires. Ensuite, elle avait demandé que l’ordonnance allât jusqu’à imposer
l’interruption de la construction du pont elle-même au motif que la Finlande allait avoir, à cause de
ladite construction, plus de mal à obtenir des contrats pour son secteur maritime et ses ports. Or,
l’assurance donnée par le Danemark et acceptée par la Cour se limitait à une promesse qu’il
n’achèverait la construction d’aucun pont ¾ ce qui obstruerait le passage par le
Grand-Belt ¾ pendente lite. Le Danemark n’avait pas assuré la Cour qu’il allait arrêter la
construction, et la Cour n’avait pas indiqué qu’il devait le faire. En concluant que l’assurance du
Danemark était suffisante, la Cour a constaté que la Finlande n’avait pas établi que le simple fait de
construire le pont allait porter atteinte à ses droits.
Les Etats-Unis estiment qu’il y a lieu pour la Cour d’adopter un point de vue similaire en
l’espèce, vu les assurances qu’ils ont données dans le sens défini dans l’arrêt LaGrand.
J’en viens à présent, Monsieur le président, à mes deux derniers points, qui seront
tous deux brefs.
- 21 -
En premier lieu, je rappellerai que les mesures conservatoires sont une procédure
exceptionnelle et obligatoire. Elles empiètent lourdement sur les droits normaux de l’Etat
défendeur. L’indication de mesures conservatoires doit donc être abordée avec réserve. La charge
de persuader la Cour qu’il y a lieu de prendre de telles mesures incombe à l’Etat demandeur, et non
à l’Etat défendeur. Il n’y a lieu d’indiquer des mesures conservatoires que si l’Etat demandeur a
établi que ces mesures sont manifestement nécessaires pour répondre à un besoin clairement défini,
réel et immédiat. Il n’y a pas lieu de les indiquer quand l’Etat défendeur a bien montré, comme les
Etats-Unis l’ont fait en la présente instance, que des mesures appropriées sont déjà prises dans son
ordre juridique interne.
En second lieu ¾ et c’est mon dernier point, Monsieur le président ¾ je me hasarde à dire
que la procédure en cours, qui se déroule sous une pression extrême, ne constitue pas le cadre
indiqué pour introduire un changement majeur dans les termes minutieusement pesés et choisis de
l’arrêt au fond rendu par la Cour en l’affaire LaGrand. Je voudrais respectueusement soutenir que
les termes de la décision en question se rapportant au réexamen et à la revision doivent être
respectés dans leur intégralité.
Pour conclure, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, je ne peux
m’empêcher de constater que cela fait cinquante ans depuis que j’ai eu l’honneur pour la
première fois de plaider devant la Cour, fût-ce dans un rôle relativement modeste. Pour bien des
raisons, la Cour a toujours occupé une place importante dans ma vie. Je la tiens en la même haute
estime que le premier jour où j’ai pénétré dans cette enceinte. Monsieur le président, Madame et
Messieurs de la Cour, je vous remercie.
Le PRESIDENT : Je vous remercie, sir Elihu et je donne maintenant la parole à
M. William Taft, agent des Etats-Unis d’Amérique.
M. TAFT : Merci, Monsieur le président.
La question posée par le juge Higgins était la suivante :
«Dans quelles circonstances le conseiller juridique du département d’Etat
notifiera-t-il une cour d’appel plutôt que, à un stade ultérieur, une commission des
grâces, des obligations des Etats-Unis faisant suite à une violation reconnue de
l’article 36 de la convention de Vienne ? Est-ce simplement une question de
calendrier ?»
- 22 -
La réponse est que, dans certains cas, c’est effectivement une question de calendrier.
Lorsque les procédures judiciaires sont terminées, les commissions des grâces sont le seul for
disponible. Nous avons également délibérément choisi de concentrer nos efforts sur des recours
devant les commissions des grâces pour le réexamen et la revision demandés par la Cour
internationale de Justice en l’affaire LaGrand. La décision rendue dans cette affaire a
expressément laissé aux Etats-Unis le choix des moyens destinés à réexaminer et à reviser les
procédures et, pour des raisons que mon collègue M. Collins a expliquées, les recours portés devant
les commissions des grâces constituent un moyen souple, qui est le mieux adapté pour effectuer le
réexamen et la revision demandés par la Cour, sans que ne se posent des obstacles à la procédure.
Cela dit, le gouvernement informerait bien évidemment une juridiction, à sa demande et à
n’importe quel moment, des obligations juridiques internationales des Etats-Unis, et lui indiquerait
comment, pour le cas particulier dont il s’agit, celles-ci peuvent ou non s’appliquer; il indiquerait
également à cette juridiction si et comment lesdites obligations peuvent être appliquées
conformément au droit interne applicable devant elle. Je voudrais toutefois être sûr de ne pas
donner une fausse impression à la Cour : comme l’a dit M. Collins, une juridiction peut toujours
décider que des principes de droit interne interdisent un recours judiciaire spécifique au titre d’un
défaut de notification consulaire.
Il n’est pas dans notre habitude de communiquer avec les juridictions si celles-ci ne nous
demandent pas notre point de vue. Bien entendu, le Mexique, comme tout autre Etat se souciant du
sort de l’un de ses ressortissants dans le cadre d’une procédure pénale aux Etats-Unis, peut
soumettre à la juridiction un mémoire en qualité d’amicus curiae, en y exposant sa position à
l’égard des obligations juridiques internationales des Etats-Unis et de leurs répercussions sur
l’affaire. Si la juridiction est convaincue par cet exposé, elle pourrait alors être amenée à nous
demander notre point de vue; et, comme je l’ai dit, nous lui répondrions.
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, la demande en indication de
mesures conservatoires du Mexique, dans ses conclusions, soulève un certain nombre de questions
importantes sur lesquelles la Cour devra se pencher. En voici quelques-unes : est-il vraiment
urgent que la Cour ordonne aux Etats-Unis de veiller à ce qu’aucun ressortissant mexicain ne soit
exécuté, alors qu’aucune exécution n’est prévue ? La Cour devrait-elle ordonner aux Etats-Unis de
- 23 -
d’accorder, pour les violations de la convention commises au détriment de ressortissants mexicains,
des remèdes différents de ceux qu’ils leur accordent déjà (ainsi qu’aux ressortissants d’autres pays),
conformément à la décision rendue par la Cour en l’affaire LaGrand ? La Cour devrait-elle
appliquer une règle unique et rigide à un grand nombre d’affaires pénales dont l’on connaît peu de
choses, si ce n’est que les circonstances et les faits qui sont d’une très grande diversité ?
Les Etats-Unis ont montré à la Cour qu’ils permettent le réexamen et la revision des
déclarations de culpabilité et des peines prononcées dans les affaires où l’on constate des violations
de l’article 36. Ils ont garanti à la Cour que cette pratique serait maintenue. Le Mexique demande
à la Cour d’aller au-delà de cette procédure, dont elle a déclaré que les Etats-Unis doivent la mettre
en œuvre par les moyens de leur choix. Où la Cour va-t-elle pouvoir s’arrêter ? Plus précisément,
si la Cour doit faire plus que d’ordonner aux Etats-Unis de prévoir une possibilité de réexamen et
de revision en cas de violation de l’article 36, comment pourra-t-elle alors éviter d’avoir à examiner
elle-même chaque affaire, comme le ferait une cour d’appel pénale, pour déterminer si le résultat
du réexamen était juste ? Est-ce là bien un rôle que la Cour peut, ou devrait, jouer ? Enfin, la Cour
devrait-elle indiquer des mesures conservatoires visant à sauvegarder des droits qui vont au-delà de
ceux créés par la convention, telle que l’a interprétée la Cour après un examen des plus attentifs, il
y a tout juste un an et demi ?
La requête en indication de mesures conservatoires du Mexique a soulevé ¾ entre autres ¾
ces questions. Nous nous attendions donc à ce que les plaidoiries faites par le Mexique aujourd’hui
répondent au moins à certaines d’entre elles, mais ce n’a pas été le cas. Le Mexique a au lieu de
cela accusé les Etats-Unis d’enfreindre systématiquement la convention de Vienne et de ne faire
aucun effort pour se plier à leurs obligations juridiques internationales. Mme Brown a décrit les
mesures que nous avons prises à cet égard. Je doute qu’un quelconque Etat ait fait plus pour
respecter les obligations qui sont les siennes en vertu de l’article 36.
Ensuite, le Mexique a accusé les Etats-Unis de ne pas proposer de remède aux violations de
la convention de Vienne, lorsqu’elles ont lieu, en dehors de remèdes inadaptés dans le cadre d’un
recours devant une commission des grâces. Mme Brown a également expliqué comment se déroule
un recours en grâce. Lorsqu’il aboutit à une commutation de la peine, comme dans l’Illinois, le
Mexique semble estimer la procédure plutôt satisfaisante. Lorsqu’elle n’aboutit pas à ce résultat, le
- 24 -
Mexique la juge inefficace. M. Donovan reconnaît néanmoins que le recours en grâce a un
caractère plénier, et nous avons montré comment il prévoit le réexamen et la revision. En aucun
cas les moyens n’escamotent le résultat, contrairement à ce que dit M. Donovan. Les moyens
employés ont déjà abouti à des résultats différents dans l’Illinois et au Texas. C’est le Mexique qui
voudrait un seul résultat, indépendamment des moyens choisis pour le réexamen et la revision.
Le Mexique a fait l’exégèse des mesures conservatoires indiquées dans les affaires Breard et
LaGrand, mais il ne donne pas à l’arrêt LaGrand l’attention qui convient. Il présume que cet arrêt
établit un droit à ne pas être exécuté, alors qu’il établit en vérité que l’exécution ne peut avoir lieu
qu’une fois l’affaire réexaminée et revisée à la lumière d’une éventuelle violation de l’article 36.
Selon le Mexique, tout porte à croire que les Mexicains seront exécutés à moins que des
mesures conservatoires ne soient indiquées par la Cour. Mais il n’établit nullement qu’il y ait
quelque raison que ce soit de penser qu’il n’y aura pas réexamen et revision ¾ il y a toujours eu
réexamen et revision depuis l’arrêt LaGrand. Le Mexique a dit que de telles revisions devraient
intervenir dans le cadre d’une procédure judiciaire, mais la Cour a dit qu’elles devraient intervenir
selon des moyens dont le choix appartient aux Etats-Unis. Si les Etats-Unis mettent l’accent sur ce
propos de l’arrêt LaGrand, ce n’est pas parce que, comme l’insinue le Mexique, il permet aux
Etats-Unis d’exécuter leur obligation de manière fantaisiste et arbitraire, de s’y soustraire par l’un
ou l’autre moyen, ni parce qu’ils considèrent que ce remède relèverait d’une grâce arbitraire. En
laissant ce choix aux Etats-Unis, la Cour leur a donné la possibilité de déterminer les moyens les
mieux adaptés à un grand nombre d’affaires, toutes très dissemblables les unes des autres au niveau
des faits et de leur contexte procédural. Le Mexique voudrait substituer à cette flexibilité une règle
uniforme.
Enfin, le Mexique a longuement insisté sur le fait que la structure fédérale des Etats-Unis
était sans rapport avec la détermination des obligations internationales d’un Etat. Monsieur le
président, nous sommes d’accord sur ce point ¾ pourtant, les difficultés soulevées par la requête
du Mexique demeurent. Et même si le Mexique ne les prend pas en considération, la Cour doit le
faire. Permettez-moi de vous exposer mon point de vue à cet égard :
- 25 -
Aucune mesure conservatoire interdisant les exécutions n’est nécessaire ou justifiée
lorsqu’aucune exécution n’a été programmée. La Cour ne devrait pas indiquer de mesures
conservatoires enjoignant aux Etats-Unis, en cas de violation de la convention, d’appliquer des
remèdes différents de ceux qu’ils offrent déjà à tous les ressortissants étrangers, conformément à la
décision de la Cour en l’affaire LaGrand. La Cour ne devrait pas, en indiquant des mesures
conservatoires, appliquer une règle uniforme à un grand nombre d’affaires pénales dont peu de
choses sont connues si ce n’est que leurs circonstances et leurs faits diffèrent considérablement de
l’une à l’autre. La Cour ne devrait pas devenir une juridiction d’appel universelle en matière
pénale pour toutes les affaires de défaut de notification consulaire dans lesquelles a été prononcée
la peine de mort. Enfin, la Cour ne devrait pas indiquer de mesures conservatoires pour préserver
d’autres droits que ceux énoncés dans la convention de Vienne, telle que la Cour l’a interprétée il y
a tout juste dix-huit mois après un examen des plus minutieux.
Avant de clore ce deuxième tour, permettez-moi de renouveler les assurances que j’ai
données à la Cour ce matin. Les Etats-Unis y attachent de l’importance, car, selon nous, ces
assurances sont véritablement les garantes des droits du Mexique dans chaque cas où il y a eu
violation de l’article 36. Les Etats-Unis ont, conformément à l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire
LaGrand, réexaminé et revisé les affaires dans lesquelles il y avait eu violation de l’article 36 et où
avaient été prononcées des peines sévères. Ils l’ont fait conformément à ce qu’avait indiqué la
Cour, par des moyens de leur choix, adaptés aux circonstances et au contexte procédural propres à
chacune de ces affaires, et ils continueront de le faire.
Compte tenu de ces assurances, les Etats-Unis estiment qu’aucune mesure conservatoire ne
devrait être indiquée en l’espèce. Le Mexique a invité la Cour à assumer elle-même la tâche dont
celle-ci avait investi les Etats-Unis par son arrêt rendu en l’affaire LaGrand, mais ce sont les
Etats-Unis qui remplissent ces fonctions, comme nous l’avons démontré aujourd’hui. La Cour
devrait par conséquent décliner l’invitation du Mexique.
- 26 -
Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, Samuel Johnson, le grand
lexicographe de la langue anglaise, était un fervent admirateur du poète John Milton. Pourtant, à
propos du Paradis perdu de Milton, magnifique mais long poème épique, il écrivit «rares sont ceux
qui l’auraient souhaité plus long». Cette journée fut fructueuse, mais longue. Il est donc temps de
conclure.
La conclusion des Etats-Unis d’Amérique est la suivante : nous prions la Cour de rejeter la
demande en indication de mesures conservatoires des Etats-Unis du Mexique et de ne pas indiquer
pareilles mesures.
Au nom de mes collègues, je remercie la Cour de l’intérêt et de la bienveillance dont elle a
fait preuve tout au long de notre journée de plaidoiries et de l’attention qu’elle voudra bien porter à
nos arguments. Je vous remercie, Monsieur le président.
The PRESIDENT: Thank you, Sir. This concludes the second round of oral argument of the
United States of America and the oral proceedings as a whole. I should like to thank the
representatives of the two Parties for their kind assistance to the Court with their oral observations.
I wish them a safe return to their respective countries and, in accordance with practice, I will ask
the two Agents to remain available to the Court. With this proviso, I now declare the oral
proceedings closed.
The Court will give its Order on the request for provisional measures as soon as possible.
The Agents of the Parties will be notified in due course of the date on which the Court will render
its Order.
As the Court has no other business before it today, the sitting is closed.
The Court rose at 7.10 p.m.
___________

Document Long Title

Traduction

Links