Observations écrites du Nicaragua sur la recevabilité des demandes reconventionnelles de la Colombie

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155-20170420-WRI-01-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
14672
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
AFFAIRE RELATIVE À DES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE DROITS SOUVERAINS ET D’ESPACES MARITIMES DANS LA MER DES CARAÏBES (NICARAGUA c. COLOMBIE)
OBSERVATIONS ÉCRITES DU NICARAGUA SUR LA RECEVABILITÉ DES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA COLOMBIE
20 avril 2017
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
INTRODUCTION .............................................................................................................................. 1
PARTIE I. LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA COLOMBIE NE RELÈVENT PAS DE LA COMPÉTENCE DE LA COUR ........................................ 4
A. LE PACTE DE BOGOTÁ A CESSÉ D’ÊTRE EN VIGUEUR ENTRE LES PARTIES TROIS ANS AVANT QUE LA COLOMBIE NE PRÉSENTE SES DEMANDES RECONVENTIONNELLES ................. 4
B. LA COLOMBIE N’A PAS ÉTABLI L’EXISTENCE, ENTRE ELLE ET LE NICARAGUA, DE DIFFÉRENDS RELATIFS À L’OBJET DE SES DEMANDES RECONVENTIONNELLES ..................... 11
C. RIEN NE PERMET DE CONCLURE QUE, DE L’AVIS DES PARTIES, LES QUESTIONS SOULEVÉES PAR LA COLOMBIE NE POUVAIENT ÊTRE RÉGLÉES PAR VOIE DE NÉGOCIATION ......................................................................................................................... 12
PARTIE II. LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA COLOMBIE NE SONT PAS EN CONNEXITE DIRECTE AVEC L’OBJET DE LA DEMANDE DU NICARAGUA ............................................................................... 15
A. LES DEUX PREMIÈRES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA COLOMBIE NE SONT PAS EN CONNEXITÉ DIRECTE AVEC LES DEMANDES PRINCIPALES DU NICARAGUA ............... 18
B. LA TROISIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE LA COLOMBIE N’EST PAS NON PLUS EN CONNEXITÉ DIRECTE AVEC LA DEMANDE DU NICARAGUA ............................................... 21
C. LA QUATRIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE LA COLOMBIE N’EST PAS PLUS QUE LES AUTRES EN CONNEXITÉ DIRECTE AVEC LA DEMANDE DU NICARAGUA ................... 22
PARTIE III. CONCLUSION ......................................................................................................... 26
CONCLUSIONS .............................................................................................................................. 28
ATTESTATION .............................................................................................................................. 29
LISTE DES ANNEXES ................................................................................................................... 30
INTRODUCTION
1.1. Conformément à la décision dont la Cour a informé les Parties dans sa lettre du [20] janvier 2017, le Nicaragua soumet les présentes observations, établissant l’irrecevabilité des demandes reconventionnelles de la Colombie1.
1.2. Ces demandes sont exposées aux pages 233 à 349 du contre-mémoire de la Colombie. Au nombre de quatre, elles mettent en cause :
1) «le manquement d[u Nicaragua] à son obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger et de préserver l’environnement marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes»2 ;
2) «[le] manquement [du Nicaragua] à son obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger le droit des habitants de l’archipel de San Andrés, en particulier les Raizals, de bénéficier d’un environnement sain, viable et durable»3 ;
3) «la violation, par le Nicaragua, du droit des pêcheurs artisanaux d’accéder aux bancs de pêche traditionnels et de les exploiter»4 ;
4) «le décret du Nicaragua fixant des lignes de base droites» présenté comme «contraire au droit international [et] emport[ant] violation des droits souverains et des espaces maritimes de la Colombie»5.
1.3. Le paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement de la Cour dispose ce qui suit : «La Cour ne peut connaître d’une demande reconventionnelle que si celle-ci relève de sa compétence et est en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie adverse.»
1.4. Il est clairement établi que «deux conditions doivent être réunies pour que la Cour puisse connaître d’une demande reconventionnelle en même temps que de la demande principale : il faut que la demande reconventionnelle «relève de sa compétence» et qu’elle «[soit] en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie adverse»»6. Ces deux conditions sont en outre «cumulatives ; chacune d’[elles] doit être remplie pour qu’une demande reconventionnelle puisse être jugée recevable»7.
1 Le Nicaragua fait observer qu’il emploie ici la notion de «recevabilité» au sens large. Ainsi que la Colombie l’a elle-même relevé lorsqu’elle a présenté ses demandes reconventionnelles, «le terme «recevabilité», dans ce contexte, doit être compris au sens large, comme couvrant à la fois la condition de compétence et celle de connexité directe…», contre-mémoire de la Colombie (ci-après «CMC»), par. 7.7 (citant l’affaire des Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010, p. 315-316, par. 14).
2 Ibid., par. 8.2.
3 Ibid.
4 Ibid., chap. 9.
5 Ibid., chap. 10.
6 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 208, par. 20.
7 Ibid., p. 210, par. 27. Même si la demande reconventionnelle satisfait à ces deux conditions, il ressort clairement de l’emploi de la formule «peut connaître»  préférée à la forme «connaît»  au paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement que la Cour a toute discrétion pour décider d’admettre une demande reconventionnelle dans le cadre de l’instance initiale ; il lui demeure en effet loisible de refuser de l’examiner dans ce contexte.
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1.5. Or, les demandes reconventionnelles de la Colombie ne satisfont à aucune de ces deux conditions.
1.6. Elles ne «relève[nt pas] de [l]a compétence [de la Cour]» pour trois raisons :
 la jurisprudence de la Cour enseigne clairement qu’une demande reconventionnelle constitue un acte juridique autonome ayant pour objet de soumettre une prétention nouvelle au juge. La date critique aux fins d’établir la compétence à cet égard doit par conséquent être celle à laquelle la demande reconventionnelle a été présentée à la Cour. Or, en l’occurrence, le titre de compétence invoqué, le pacte de Bogotá, a cessé de produire ses effets entre les Parties près de trois ans avant que la Colombie ne présente ses demandes reconventionnelles ;
 la Colombie n’a pas établi l’existence d’un différend avec le Nicaragua s’agissant de ses première, deuxième et troisième demandes reconventionnelles ; et
 la Colombie n’a pas montré que les questions soumises ne pouvaient, de l’avis des Parties, être réglées au moyen de négociations, ce qui est pourtant la condition prévue à l’article II du pacte de Bogotá. Or, les éléments de preuve tendent à indiquer le contraire.
1.7. Par ailleurs, aucune des quatre demandes reconventionnelles de la Colombie n’est «en connexité directe», en fait ou en droit, avec l’objet de la demande principale du Nicaragua, pour les motifs suivants :
 les faits qu’invoque le Nicaragua concernent l’exercice illicite, par la Colombie, d’une juridiction et de droits souverains dans des zones reconnues à celui-ci ;
 le Nicaragua fonde sa prétention juridique sur l’arrêt de la Cour de 2012 et sur les règles de droit international coutumier reconnaissant la juridiction et les droits souverains exclusifs d’un Etat côtier dans la limite de ses zones maritimes, règles qui sont consacrées dans les parties V et VI de la convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982 (ci-après la «CNUDM») ;
 les deux premières demandes reconventionnelles de la Colombie portent sur de prétendus manquements du Nicaragua à son obligation de protéger et de préserver l’environnement marin :
 les actes allégués sur lesquels la Colombie entend se fonder, qui concernent le prétendu manquement du Nicaragua à son obligation de faire preuve de la diligence requise dans ses propres zones maritimes, ne sont pas de même nature que ceux mis en cause par le Nicaragua ;
 le but juridique que poursuit la Colombie, en cherchant à établir la responsabilité internationale du Nicaragua au titre des règles de droit international coutumier concernant la préservation et la protection de l’environnement, telles que consacrées dans la partie XII de la CNUDM, ainsi que de différentes dispositions de la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), de la convention de Cartagena et du code de conduite pour une pêche responsable de la FAO, est différent de celui du Nicaragua ;
 la troisième demande reconventionnelle de la Colombie concerne le refus prêté au Nicaragua de respecter les droits de pêche traditionnels des habitants colombiens de l’archipel de San Andrés :
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 les faits sur lesquels s’appuie la Colombie concernent des dommages qu’auraient subis à titre individuel des pêcheurs colombiens alors que le Nicaragua exerçait ses droits souverains et sa juridiction sur des espaces maritimes qui lui appartiennent en propre ; ils sont dès lors d’une toute autre nature que ceux invoqués par le Nicaragua ;
 le but juridique que poursuit la Colombie, en agissant en qualité de parens patriae pour faire valoir les prétendus droits de pêche traditionnels non exclusifs de ses ressortissants dans des zones appartenant au Nicaragua, est différent de celui du Nicaragua ;
 dans sa quatrième demande reconventionnelle, la Colombie soutient que les lignes de base droites fixées par le Nicaragua en 2013 violent le droit international :
 les faits invoqués par la Colombie, qui ne concernent que l’étendue de la mer territoriale du Nicaragua, sont d’une autre nature que ceux sur lesquels s’appuie le Nicaragua, qui procèdent quant à eux de la remise en cause, par la Colombie, de l’existence des droits du Nicaragua dans des espaces relevant de la zone économique exclusive8 qui lui a déjà été reconnue ;
 les buts juridiques poursuivis par les Parties diffèrent également, puisque la Colombie fonde ses prétentions sur les règles de droit international coutumier régissant le tracé de lignes de base droites, qui ne s’appliquent pas du tout à la demande principale du Nicaragua.
1.8. Pour ces raisons, considérées séparément et conjointement, les demandes reconventionnelles de la Colombie sont irrecevables.
8 La limite des 200 milles marins du Nicaragua est identique, qu’elle soit mesurée à partir de lignes de base normales ou à partir des lignes de base droites qu’il a proclamées. Voir infra, par. 3.49 et figure 1.
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PARTIE I LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA COLOMBIE NE RELÈVENT PAS DE LA COMPÉTENCE DE LA COUR
A. LE PACTE DE BOGOTÁ A CESSÉ D’ÊTRE EN VIGUEUR ENTRE LES PARTIES TROIS ANS AVANT QUE LA COLOMBIE NE PRÉSENTE SES DEMANDES RECONVENTIONNELLES
2.1. Pour qu’une demande reconventionnelle soit recevable conformément au paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement, il faut tout d’abord qu’elle «relève de [l]a compétence» de la Cour.
2.2. La Colombie affirme qu’il est satisfait à cette condition, puisque le pacte de Bogotá «était encore en vigueur et exprimait le consentement des Parties à la compétence de la Cour le 26 novembre 2013, date à laquelle le Nicaragua a déposé la requête qui a introduit la présente affaire»9. Elle se fourvoie : la date critique aux fins de déterminer si la Cour a compétence pour connaître de ses demandes reconventionnelles est celle à laquelle ces demandes ont été présentées, et non la date à laquelle le Nicaragua a déposé sa requête. Le pacte de Bogotá ayant cessé d’être en vigueur entre les Parties près de trois ans avant que la Colombie ne présente ses demandes reconventionnelles, celles-ci ne relèvent pas de la compétence de la Cour.
2.3. Dans les versions de cet article antérieures à la modification de 2001, la condition de compétence était énoncée après celle de la connexité directe. Dans la formulation actuelle, l’ordre est inversé.
2.4. Cette inversion met en évidence l’importance de la condition de compétence. C’est, d’après un ancien greffier de la Cour, précisément pour la souligner que l’ordre a été modifié dans le nouvel article 8010.
2.5. Si le paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement exige qu’une demande reconventionnelle «relève de la compétence» de la Cour, c’est parce que le pouvoir de celle-ci repose sur une base consensuelle ; la Cour «ne peut trancher un différend entre des Etats sans que ceux-ci aient consenti
9 CMC, par. 7.14.
10 Santiago Torres Bernardez, «La modification des articles du Règlement de la Cour internationale de Justice relatifs aux exceptions préliminaires et aux demandes reconventionnelles», Annuaire français de droit international (2003), vol. 49, p. 242, par. 132 : («La seule modification à cet égard du texte du paragraphe premier de l’article 80 concerne l’ordre dans lequel les conditions sont énoncées dans la disposition. Dans la version de 1978, la condition de la connexité directe précédait celle de la compétence de la Cour. L’ordre inverse des conditions ne modifie en rien le sens ou la portée de la règle car les deux conditions sont toujours, comme on vient de le dire, cumulatives, mais elle montre tout de même une sensibilité accrue pour les questions de compétence que peuvent poser les demandes présentées par voie reconventionnelle. D’autre part, l’inversion est logique du moment où la règle est formulée en termes de ce que la Cour ne peut pas faire et non plus, comme en 1978, en fonction des demandes que les parties peuvent présenter comme demandes reconventionnelles. Il est évident que si la Cour constate que la demande reconventionnelle ne relève pas de sa compétence dans l’affaire, on n’aura pas besoin d’examiner si la deuxième condition est remplie pour conclure à l’irrecevabilité de la demande en tant que demande reconventionnelle.)» (Les italiques sont de nous.)
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à sa juridiction»11. Comme il a été dit en l’affaire du Génocide, «le défendeur ne saurait tirer parti de l’action reconventionnelle pour porter devant le juge international des demandes qui excéderaient les limites dans lesquelles les parties ont reconnu sa compétence»12.
2.6. L’existence d’une condition de compétence s’explique également par la nature même d’une demande reconventionnelle ; cette dernière est «indépendante [de la demande principale] dans la mesure où elle constitue une «demande» distincte, c’est-à-dire un acte juridique autonome ayant pour objet de soumettre une prétention nouvelle au juge»13.
2.7. Le seul fait que la Cour ait compétence à l’égard de la demande principale du requérant ne suffit donc pas en soi à établir sa compétence pour connaître de la demande reconventionnelle. Mme la juge Higgins a estimé, dans une opinion individuelle en l’affaire des Plates-formes pétrolières, que c’était, dans le cas d’une demande reconventionnelle, «la compétence mutuellement reconnue par les parties en vertu du traité — et non pas la compétence établie par la Cour à l’égard de [la demande principale]»14 qui importait. En effet, si le fait que la Cour ait compétence pour connaître de la demande principale impliquait ipso facto sa compétence pour connaître de la demande reconventionnelle, la condition prévue en la matière au paragraphe 1 de l’article 80 n’aurait pas lieu d’être.
2.8. La question de savoir si une demande reconventionnelle «relève de la compétence» de la Cour s’appréciera à l’aune des principes usuels régissant l’établissement de la compétence, comme l’a indiqué on ne peut plus clairement le comité pour la revision du Règlement. Lorsqu’il s’est penché sur cette condition, celui-ci a en effet estimé que «l’auteur d’une demande reconventionnelle ne pouvait pas présenter une demande dont la Cour n’aurait pas eu compétence pour connaître, si elle avait fait l’objet d’une requête ordinaire devant elle»15.
11 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 101, par. 26. Voir également, par exemple, Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 25, par. 40 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 431, par. 88 ; Différend frontalier (Burkina Faso/République du Mali), arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 579, par. 49 ; Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El Salvador/Honduras), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 114-116, par. 54-56, et p. 122, par. 73 ; Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 259-262, par. 50-55 ; Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 18 et 19, par. 21, et p. 39, par. 88 ; Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 200, par. 48.
12 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 257, par. 31 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 203 et 204, par. 33 ; Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010, p. 316, par. 15.
13 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 256, par. 27 ; Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010, p. 315, par. 13 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 207 et 208, par. 19 (les italiques sont de nous).
14 Opinion individuelle de Mme la juge Higgins, Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 220 (les italiques sont dans l’original).
15 Ibid., p. 219 (les italiques sont dans l’original).
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2.9. En l’espèce, il est clair que la Cour n’aurait pas compétence pour connaître des demandes reconventionnelles de la Colombie si celles-ci avaient fait l’objet d’une requête ordinaire. Le titre de compétence sur lequel cet Etat fait fond — le pacte de Bogotá — a cessé d’être en vigueur entre les Parties le 27 novembre 2013. Les demandes reconventionnelles de la Colombie n’ayant toutefois été présentées que le 17 novembre 2016, soit près de trois ans plus tard, elles «exc[èdent] les limites dans lesquelles les parties ont reconnu [l]a compétence»16 de la Cour et doivent être rejetées.
2.10. La jurisprudence précise bien qu’il convient de déterminer si une demande reconventionnelle relève de la compétence de la Cour à la lumière des éventuelles limitations inhérentes au titre de compétence. En l’affaire relative aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), l’Italie a ainsi tenté de faire valoir une demande reconventionnelle sur la base de la convention européenne de 1957 pour le règlement pacifique des différends (ci-après la «convention européenne»), l’instrument qui avait conféré à la Cour compétence pour connaître des demandes principales de l’Allemagne. En son article 27 a), la convention européenne exclut cependant les «différends concernant des faits ou situations antérieurs à [son] entrée en vigueur»17. Or, la question soumise à la Cour était de savoir si la demande reconventionnelle de l’Italie portait sur un différend dont la source, ou la cause réelle, résidait dans des faits et situations antérieurs à avril 1961, mois au cours duquel la convention européenne était entrée en vigueur entre l’Allemagne et l’Italie.
2.11. Dans l’ordonnance qu’elle a rendue sur la demande reconventionnelle, la Cour a jugé que le différend dont l’Italie entendait la saisir concernait effectivement des «faits et situations antérieurs à l’entrée en vigueur de la convention européenne entre les Parties», et qu’il était dès lors «exclu du champ d’application temporel de la[dite] convention»18 ; elle n’avait donc pas compétence pour connaître de la demande reconventionnelle de l’Italie.
2.12. Le rejet par la Cour de cette demande de l’Italie montre que la compétence pour connaître des demandes reconventionnelles doit s’apprécier indépendamment de la compétence pour connaître des demandes principales, eu égard aux conditions — ainsi qu’aux limitations — prévues par le titre de compétence.
2.13. De même, en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), la Serbie avait présenté une demande reconventionnelle, faisant grief à la Croatie d’avoir manqué aux obligations que lui imposait la Convention sur le génocide en commettant, ou en ne punissant pas, certains actes contre la population serbe dans la région de Krajina en Croatie. Cette demande reconventionnelle se
16 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 257, par. 31 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 203 et 204, par. 33 ; Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010, p. 316, par. 15.
17 Convention européenne pour le règlement pacifique des différends, article 27 a), Nations Unies, Recueil des traités, vol. 320, p. 256 ; Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 118, par. 42.
18 Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010, p. 320 et 321, par. 30.
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rapportait exclusivement aux combats intervenus en 1995 dans le cadre de ce que la Croatie avait appelé l’opération «Tempête» et aux événements qui avaient suivi19.
2.14. En recherchant si elle avait compétence à l’égard de la demande reconventionnelle de la Serbie, la Cour a observé ceci :
«Au moment où ladite opération «Tempête» a eu lieu, la Croatie comme la RFY étaient parties à la Convention depuis plusieurs années. La Croatie ne conteste pas que la demande reconventionnelle relève de ce fait de la compétence de la Cour en vertu de l’article IX de la Convention.»20
A contrario, si cette convention n’avait pas été en vigueur entre les parties à l’époque pertinente, les demandes reconventionnelles de la Serbie n’auraient pas relevé de la compétence de la Cour.
2.15. La conclusion s’impose donc : la compétence à l’égard d’une demande reconventionnelle doit être appréciée eu égard à la date à laquelle cette demande a été présentée, et non à la date de la requête.
2.16. Dans son contre-mémoire, la Colombie fait valoir que ses demandes reconventionnelles relèvent de la compétence de la Cour sans examiner aucune de ces sources. De source, elle n’en invoque d’ailleurs aucune. Comme il a déjà été indiqué, elle se contente d’affirmer, sans autres précisions, que le pacte de Bogotá
«était encore en vigueur et exprimait le consentement des Parties à la compétence de la Cour le 26 novembre 2013, date à laquelle le Nicaragua a déposé la requête qui a introduit la présente affaire. Dès lors, les compétences ratione personae et ratione temporis de la Cour [pour connaître des demandes reconventionnelles] sont établies.»21
2.17. Cette approche repose tout entière sur une justification qui n’en est pas une, la Colombie prétendant que «la compétence de la Cour pour connaître des procédures incidentes doit s’apprécier au regard de la date à laquelle la procédure principale a été introduite»22.
2.18. Or, elle se fourvoie à tous égards.
2.19. Rien ne vient étayer l’affirmation de la Colombie selon laquelle la date critique aux fins d’établir la compétence de la Cour pour connaître d’une demande reconventionnelle serait la date du dépôt de la requête introductive d’instance contenant la demande principale ; et, ainsi qu’il vient d’être dit, la Colombie elle-même n’a avancé aucune justification à cet égard.
2.20. L’approche suivie par la Colombie est incompatible avec la jurisprudence constante de la Cour, qui considère la demande reconventionnelle comme «indépendante [de la demande
19 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt du 3 février 2015, par. 51, p. 443 et 444.
20 Ibid., par. 121.
21 CMC, par. 7.14.
22 Ibid., par. 7.15.
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principale] dans la mesure où elle constitue une «demande» distincte, c’est-à-dire un acte juridique autonome ayant pour objet de soumettre une prétention nouvelle au juge»23.
2.21. Accepter, comme nous y invite la Colombie, de considérer une demande reconventionnelle comme un acte juridique non pas indépendant, mais accessoire, dont la date serait à rapprocher de celle de la requête, reviendrait à prendre le contrepied de cette jurisprudence. Cela irait aussi directement à l’encontre de l’observation formulée par le comité pour la revision du Règlement, qui a estimé que la compétence pour connaître d’une demande reconventionnelle devait s’apprécier au même titre que si cette demande «avait fait l’objet d’une requête ordinaire devant [la Cour]»24.
2.22. Fait notable, la Colombie elle-même reconnaît qu’une question qui aurait été soumise dans le cadre d’une «demande distincte» après que le traité conférant compétence aurait cessé de produire ses effets échapperait à la compétence de la Cour. Plus précisément, lorsqu’elle développe l’argument — erroné — selon lequel la Cour ne serait pas compétente pour examiner les violations des droits du Nicaragua qu’elle a commises à un moment où, selon elle, le pacte de Bogotá n’était plus en vigueur entre les Parties, la Colombie fait valoir ce qui suit :
«Il en va toutefois différemment s’agissant des événements postérieurs à la date critique. La Colombie l’ayant dénoncé le 27 novembre 2012, le pacte de Bogotá  en particulier, ses dispositions relatives à la résolution des différends  a cessé d’être en vigueur pour elle dès cette date, soit le lendemain du dépôt de sa requête par le Nicaragua. L’acceptation par la Colombie de la juridiction de la Cour est dès lors devenue caduque, et toute violation alléguée postérieure à cette date échappe donc à la compétence de la Cour ratione temporis. Autrement dit, tous les faits invoqués par le Nicaragua à l’appui de ses demandes, qui sont postérieurs au 26 novembre 2013, sont dénués de pertinence ou non susceptibles d’être soumis à l’examen d’un organe judiciaire. Si ces faits avaient été présentés dans le cadre d’une demande distincte ou d’une nouvelle affaire introduite par le Nicaragua contre la Colombie après le 26 novembre 2013, ils auraient sans aucun doute échappé à la compétence de la Cour.»25
2.23. Ce faisant, la Colombie reconnaît un élément décisif. La Cour a souligné, à maintes reprises, que les demandes reconventionnelles visaient justement à soumettre des «demande[s] distincte[s]» et «nouvelle[s]»26 — de celles, précisément, dont la Colombie affirme ici qu’elles
23 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 256, par. 27 ; Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010, p. 315, par. 13 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 207-208, par. 19 (les italiques sont de nous).
24 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, opinion individuelle de Mme la juge Higgins, p. 219.
25 CMC, par. 4.21 (les italiques sont de nous).
26 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 256, par. 27 ; Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010, p. 315, par. 13 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 207-208, par. 19.
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«échapp[ent] à [s]a compétence»27. Le propre raisonnement de la Colombie commande donc de rejeter ses demandes reconventionnelles.
2.24. Sa tentative d’établir une analogie entre les demandes reconventionnelles et d’autres «procédures incidentes» n’est pas plus convaincante. L’objectif recherché dans le cas, par exemple, de mesures conservatoires ou d’exceptions préliminaires n’est pas la présentation d’une «nouvelle demande» ; au contraire, ces procédures constituent toutes des procédures accessoires, en rapport avec la demande principale. Elles sont donc soumises, comme il se doit, au principe du forum perpetuum.
2.25. Considérer que les demandes reconventionnelles sont soumises au principe du forum perpetuum au simple motif que les dispositions les régissant se trouvent être incluses dans la section D du Règlement de la Cour reviendrait à accorder une importance absurde à la forme au détriment du fond. Ces demandes sont fondamentalement différentes d’autres «procédures incidentes», et les règles applicables à celles-ci ne sauraient à bon droit être appliquées à celles-là pour la seule raison qu’elles présenteraient une «analogie».
2.26. L’historique du Règlement de la Cour le confirme. Dans le Règlement adopté en 1922 par la Cour permanente de Justice internationale, la disposition relative aux demandes reconventionnelles (à l’époque, l’article 40) figurait dans la partie concernant la «Procédure écrite»28. Lors de la revision de 1936, l’article 40 est devenu l’article 63, qui a été inclus dans la section intitulée «Règles particulières»29, une configuration que les revisions du Règlement de la Cour de 1946 et 1972 n’ont pas modifiée. Ce n’est qu’en 1978 que l’ancien intitulé, «Règles particulières», a été remplacé par celui de «Procédures incidentes»30.
2.27. Cet historique montre que la partie intitulée «Procédures incidentes» était une rubrique «fourre-tout», censée recouvrir toutes les procédures autres que la procédure sur le fond consacrée à la demande principale, et non des procédures ayant en commun des caractéristiques juridiques formelles. Aussi la Colombie a-t-elle tort d’affirmer que les principes régissant la compétence pour connaître d’autres procédures incidentes s’appliquent également aux demandes reconventionnelles. La jurisprudence de la Cour examinée plus haut est claire : les considérations applicables en la matière diffèrent.
2.28. Les demandes reconventionnelles de la Colombie ayant été soumises près de trois ans après que le pacte de Bogotá eut cessé de produire ses effets entre les Parties, elles ne relèvent pas de la compétence de la Cour et doivent être rejetées.
27 CMC, par. 4.21.
28 Cour permanente de Justice internationale, Règlement de la Cour (adopté le 24 mars 1922), Publications de la Cour permanente de Justice internationale (1922-1946), série D, no 1, 1926, p. 21.
29 Cour permanente de Justice internationale, Préparation du règlement du 11 mars 1936, Publications de la Cour permanente de Justice internationale (1922-1946), série D, quatrième addendum au n° 2, 1943, p. 261 ; Cour permanente de Justice internationale, Statut et Règlement de la Cour, Publications de la Cour permanente de Justice internationale, série D, n° 1, quatrième édition - avril 1940, p. 52-53.
30 Cour internationale de Justice, Règlement de la Cour (adopté le 14 avril 1978 et entré en vigueur le 1er juillet 1978), section D (Procédures incidentes), consultable à l’adresse suivante : http ://www.icj-cij.org/documents/ index.php?p1=4&p2=3&p3=0&lang=fr.
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2.29. Le texte du pacte lui-même en apporte également confirmation, en ce qu’il mène à la conclusion que la Cour n’est pas compétente pour connaître des demandes reconventionnelles de la Colombie.
2.30. L’article XXXI de cet instrument se lit comme suit :
«[L]es Hautes Parties Contractantes en ce qui concerne tout autre Etat américain déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et sans convention spéciale tant que le présent Traité restera en vigueur, la juridiction de la Cour sur tous les différends d’ordre juridique surgissant entre elles…»
2.31. Ainsi, ramenée à son essence, cette disposition prévoit que les Etats «reconna[issent] …, tant que le présent Traité restera en vigueur, la juridiction de la Cour sur tous les différends d’ordre juridique». Cette formulation sans équivoque implique qu’ils ne la reconnaissent plus à l’égard de différends surgissant après que le pacte a cessé de produire ses effets à leur égard. De tels cas «excéderaient les limites dans lesquelles les parties ont reconnu [l]a compétence» de la Cour31.
2.32. Ce constat est important parce que les différends que la Colombie tente de porter devant la Cour se distinguent clairement de celui que le Nicaragua a soumis dans sa requête. Autrement dit, il s’agit de différends nouveaux à l’égard desquels les Parties ne reconnaissent plus la juridiction de la Cour.
2.33. Si le différend soumis par le Nicaragua se rapporte aux violations, par la Colombie, de sa juridiction et de ses droits souverains exclusifs tels qu’ils ont été déterminés par la Cour en 2012, les différends soumis par la Colombie ont trait aux prétendues violations, par le Nicaragua : 1) de l’obligation qui lui incombe de protéger et de préserver l’environnement marin (première et deuxième demandes reconventionnelles) ; 2) des droits de pêche traditionnels des Raizals (troisième demande reconventionnelle) ; et 3) des règles du droit international coutumier régissant les lignes de base droites (quatrième demande reconventionnelle).
2.34. La Cour elle-même a déjà clairement constaté que ces questions sont distinctes de celles mises en cause dans la requête du Nicaragua. Elle se souviendra que la Colombie avait commencé par contester sa compétence à plusieurs titres. Dans sa troisième exception préliminaire, la Colombie avait soutenu que la volonté de dialoguer qu’elles avaient affichée à la suite de l’arrêt rendu par la Cour en 2012 attestait que les Parties n’étaient pas d’avis que le différend faisant l’objet de la demande principale du Nicaragua ne pouvait être résolu au moyen de négociations et ce qui était la condition prévue à l’article II du pacte de Bogotá32.
2.35. La Cour a écarté cet argument dans son arrêt du 17 mars 2016, où elle rejette les exceptions préliminaires de la Colombie dans leur intégralité. Elle y note que,
«[p]armi les questions au sujet desquelles les Parties envisageaient de dialoguer, figuraient notamment les activités de pêche des habitants de San Andrés, Providencia
31 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles. ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 257, par. 31.
32 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 80-83.
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et Santa Catalina dans des eaux dont la Cour a reconnu qu’elles appartenaient au Nicaragua, la protection de la réserve de biosphère marine Seaflower et la lutte contre le trafic de drogue dans la mer des Caraïbes.
… [T]outefois, … l’objet des négociations tel que susmentionné diffère de l’objet du différend qui oppose les Parties.»33
2.36. Le libellé de l’article XXXI du pacte de Bogotá mène à une conclusion claire : puisque, d’une part, les prétendus différends soumis par la Colombie se distinguent de celui dont le Nicaragua a saisi la Cour, et que, d’autre part, le pacte n’était depuis longtemps plus en vigueur entre les deux Parties, celles-ci ne reconnaissent pas la compétence de la Cour à l’égard des demandes reconventionnelles de la Colombie.
B. LA COLOMBIE N’A PAS ÉTABLI L’EXISTENCE, ENTRE ELLE ET LE NICARAGUA, DE DIFFÉRENDS RELATIFS À L’OBJET DE SES DEMANDES RECONVENTIONNELLES
2.37. Les trois premières demandes reconventionnelles de la Colombie échappent à la compétence de la Cour pour une autre raison : cet Etat n’a pas établi l’existence d’un différend relatif à l’objet de ces demandes34.
2.38. Au titre de l’article 38 de son Statut, la Cour a pour mission de régler conformément au droit international les différends qui lui sont soumis. L’article XXXI du pacte de Bogotá impose aux Etats parties d’accepter la juridiction obligatoire de la Cour sur «tous les différends d’ordre juridique surgissant entre e[ux]». L’existence d’un différend entre les Parties est donc une condition à la compétence de la Cour35.
2.39. Il est constant qu’un «différend» est «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux personnes»36. Il est tout aussi constant que «[l]’existence d’un différend international demande à être établie
33 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 97-98.
34 Il en va autrement de la quatrième demande reconventionnelle, qui porte sur le décret fixant les lignes de base droites du Nicaragua, contre lequel la Colombie a protesté en envoyant le 1er novembre 2013 une note diplomatique au Secrétaire général de l’ONU. «Note diplomatique S-GACIJ-13-044275 adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies par le ministre des affaires étrangères de la Colombie» (CMC, annexe 25). Il existe donc un «différend» à cet égard.
35 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 270 et 271, par. 55 («L’existence d’un différend est ... la condition première de l’exercice de [l]a fonction judiciaire de la Cour»).
36 Concessions Mavrommatis en Palestine (Grèce c. Royaume-Uni), arrêt (fond), 30 août 1924, C.P.J.I. série A n° 2, 1924, p. 11 ; voir également Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 84, par. 30.
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objectivement» par la Cour37. Celle-ci, «pour se prononcer, doit s’attacher aux faits. Il s’agit d’une question de fond, et non de forme»38.
2.40. Les faits doivent mener à la conclusion «que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre»39. Ce qui importe, c’est que «les points de vue des deux parties, quant à l’exécution ou à la non-exécution» de certaines obligations internationales, «so[ient] nettement opposés»40. Bien que l’existence d’un différend puisse parfois être déduite, il convient tout au moins de démontrer, «sur la base des éléments de preuve, que le défendeur avait connaissance, ou ne pouvait pas ne pas avoir connaissance, de ce que ses vues se heurtaient à l’«opposition manifeste» du demandeur»41.
2.41. Dans la section de son contre-mémoire consacrée à ses demandes reconventionnelles, la Colombie se garde de mentionner la condition relative à l’existence d’un «différend», et à plus forte raison de produire la moindre preuve qu’un différend oppose les Parties. Le dossier ne contient aucun élément — notes diplomatiques, déclarations publiques de hauts responsables ou autres — montrant que les demandes reconventionnelles de la Colombie se heurtent à l’opposition manifeste du Nicaragua.
2.42. Il n’existe donc aucune base qui permette à la Cour ne serait-ce que de déduire l’existence d’un différend et, partant, d’exercer sa compétence à l’égard des demandes reconventionnelles de la Colombie. Celles-ci doivent donc également être rejetées pour cette autre raison.
C. RIEN NE PERMET DE CONCLURE QUE, DE L’AVIS DES PARTIES, LES QUESTIONS SOULEVÉES PAR LA COLOMBIE NE POUVAIENT ÊTRE RÉGLÉES PAR VOIE DE NÉGOCIATION
2.43. Même si la Cour devait juger à la fois que le pacte de Bogotá fournit une base de compétence et qu’il existe un différend, les demandes reconventionnelles de la Colombie échapperaient à sa compétence pour une autre raison encore : cet Etat n’a pas satisfait — et ne peut satisfaire — à la condition préalable de compétence énoncée dans le pacte de Bogotá.
37 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 442, par. 46 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 84, par. 30 ; Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 270-271, par. 55 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 476, par. 58).
38 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 84, par. 30.
39 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt du 21 décembre 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
40 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
41 Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt du 5 octobre 2016, par. 41 (citant les Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 73 ; Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 99, par. 6, p. 109 et 110, par. 87, et p. 117, par. 104.
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2.44. L’article II du pacte impose aux Etats parties de recourir aux mécanismes de règlement des différends prévus dans cet instrument dans le cas où un différend, «de l’avis de l’une des parties, ne pourrait être résolu au moyen de négociations directes suivant les voies diplomatiques ordinaires». La Cour a jugé à maintes reprises que cet article créait une condition préalable à l’exercice de sa compétence42. En effet, ainsi que relevé, la Colombie elle-même avait initialement tenté de se soustraire à sa compétence dans la présente affaire en invoquant — entre autres  précisément cette même disposition43.
2.45. Le fait que la Colombie ait présenté ses prétentions sous la forme de demandes reconventionnelles ne change rien. Pour les raisons exposées dans la section A de la première partie, la compétence à l’égard des demandes reconventionnelles doit s’apprécier à l’aune des principes usuels régissant l’établissement de la compétence, au même titre que si ces demandes avaient fait l’objet d’une requête ordinaire. Il y a toujours lieu de satisfaire aux conditions préalables énoncées dans le titre de compétence. Le précédent relatif aux Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)) est décisif à cet égard : en se prononçant eu égard à la condition préalable prévue dans la convention européenne, qui fondait sa compétence dans cette affaire, la Cour a clairement appliqué ce principe44.
2.46. De même que la question du «différend» traitée dans la section précédente, la Colombie se garde bien d’aborder la condition préalable prévue à l’article II. Elle n’avance aucun argument concernant l’avis des Parties au sujet des «différends» allégués qu’elle invoque, pas plus qu’elle ne produit le moindre élément attestant que les deux Etats, ou l’un d’eux, aient estimé que les questions soulevées par elle ne pouvaient être réglées par des négociations directes.
2.47. L’absence de moyens de preuve est en elle-même décisive. La Cour a précisé que les Etats étaient «censé[s] donner la preuve concrète qu’[ils] considéraient de bonne foi que leur différend pouvait, ou non, être résolu au moyen de négociations directes suivant les voies diplomatiques ordinaires»45. La Colombie n’ayant pas satisfait à cette exigence, ses demandes reconventionnelles doivent être rejetées.
2.48. Au-delà même de l’absence de preuves, le fait est que les Parties n’étaient pas d’avis que les questions soulevées par la Colombie ne pouvaient être réglées par des négociations directes. En effet, la Colombie l’a elle-même déjà admis devant la Cour, du moins s’agissant des questions faisant l’objet de ses première, deuxième et troisième demandes reconventionnelles.
2.49. Les trois premières demandes reconventionnelles de la Colombie ont trait à la protection de l’environnement marin et des droits de pêche traditionnels des Raizals. Dans les exceptions préliminaires d’incompétence qu’elle a soulevées en l’espèce, la Colombie a invité la Cour à décliner sa compétence au motif que les Parties s’étaient publiquement déclarées disposées à négocier sur ces mêmes questions. Elle a indiqué que sa «position ... consistait, et consiste encore,
42 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 94, par. 62 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 101.
43 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 80-83.
44 Voir ci-dessus, première partie, par. 2.10-2.12.
45 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 93.
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à chercher à résoudre tout différend qui pourrait découler de l’arrêt de la Cour de 2012 dans le cadre de «négociations directes»»46.
2.50. Dans un passage déjà cité plus haut, la Cour elle-même a pris note de ce fait, observant ceci :
«Parmi les questions au sujet desquelles les Parties envisageaient de dialoguer, figuraient notamment les activités de pêche des habitants de San Andrés, Providencia et Santa Catalina dans des eaux dont la Cour a reconnu qu’elles appartenaient au Nicaragua, la protection de la réserve de biosphère marine Seaflower et la lutte contre le trafic de drogue dans la mer des Caraïbes.»47
2.51. Même après que la Cour eut rendu en l’espèce son arrêt rejetant les exceptions préliminaires de la Colombie, celle-ci entendait encore négocier. Immédiatement après le prononcé de l’arrêt, son président a ainsi déclaré avec force que «[l]es questions bilatérales concernant le Nicaragua et la Colombie ... dev[aient] être traitées dans le cadre de négociations directes entre les Parties»48.
2.52. La Colombie ne peut pas jouer sur tous les tableaux. Elle ne saurait être autorisée à prétendre que ces questions pourraient être réglées par voie de négociation lorsque cela sert sa cause, et à écarter ensuite cette possibilité parce que ses intérêts ont changé. Ses demandes reconventionnelles échappent donc à la compétence de la Cour pour cette quatrième raison également.
46 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires de la République de Colombie, 19 décembre 2014 (vol. I), par. 4.61.
47 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt du 17 mars 2016, par. 97 (les italiques sont de nous).
48 «La Colombie rompt avec la Cour de La Haye à propos du différend avec le Nicaragua», El Heraldo, 18 mars 2016. («Los temas bilaterales entre Nicaragua y Colombia no van a seguir sujetos a la decisión de un tercero y deberán abordarse mediante negociaciones directas entre las partes, de conformidad con el derecho internacional.») (OEN, annexe 2.)
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PARTIE II LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA COLOMBIE NE SONT PAS EN CONNEXITE DIRECTE AVEC L’OBJET DE LA DEMANDE DU NICARAGUA
3.1. Le paragraphe 1 de l’article 80 du Règlement dispose par ailleurs que la demande reconventionnelle doit être «en connexité directe avec l’objet de la demande de la partie adverse».
3.2. Cette condition vise à éviter qu’un défendeur puisse «imposer par [la] voie [reconventionnelle] au demandeur n’importe quelle demande, au risque de porter atteinte aux droits de celui-ci et de compromettre la bonne administration de la justice»49.
3.3. Il s’agit d’une exigence stricte : la demande reconventionnelle doit avoir un lien de connexité directe avec la demande principale «tant en fait qu’en droit»50. Les faits sur lesquels elle est fondée doivent être «de même nature» que ceux sous-tendant la demande principale, et les parties doivent poursuivre le «même but juridique»51.
3.4. Pour ce qui est de la condition de connexité factuelle, l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda) offre un exemple éclairant. La Cour, dans cette affaire, a jugé recevable la demande reconventionnelle de l’Ouganda relative aux attaques menées par la RDC contre des locaux diplomatiques et ressortissants ougandais. Elle a estimé que les «demandes respectives [des parties] port[aient] sur des faits de même nature», c’est-à-dire que les deux Etats tiraient grief de comportements similaires, soit d’«exactions [ayant] accompagné un emploi illicite de la force»52.
3.5. En l’affaire relative à Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua), en revanche, la Cour a écarté la troisième demande reconventionnelle du Nicaragua au motif que les faits allégués par celui-ci étaient «de nature différente de ceux qui sous-tend[aient] les demandes du Costa Rica»53. Le Nicaragua, dans cette demande, mettait en cause des dommages liés aux «efforts déployés par le Costa Rica pour
49 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 257, par. 31 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 203-204, par. 33 ; Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie), demande reconventionnelle, ordonnance du 6 juillet 2010, C.I.J. Recueil 2010 (I), p. 316, par. 15.
50 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 212, par. 32.
51 Ibid. ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 258, par. 34-35 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 205, par. 38 ; Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), demandes reconventionnelles, ordonnance du 29 novembre 2001, C.I.J. Recueil 2001, p. 679, par. 38 et 40.
52 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), demandes reconventionnelles, ordonnance du 29 novembre 2001, C.I.J. Recueil 2001, p. 679, par. [38 et] 40.
53 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 214, par. 36.
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[l’]empêcher de draguer le fleuve San Juan», alors que, dans ses demandes principales, le Costa Rica reprochait au Nicaragua des violations de sa souveraineté territoriale et des manquements aux obligations internationales lui incombant en matière d’environnement, en rapport avec le dragage du fleuve San Juan54.
3.6. La Cour a conclu que «les faits invoqués par le Costa Rica dans ses demandes principales et ceux que le Nicaragua f[aisait] valoir à l’appui de sa troisième demande reconventionnelle» étaient de «nature différente»55. La condition de connexité directe n’était donc pas remplie, même si les demandes respectives des deux Etats se recoupaient (le Costa Rica invoquant le préjudice causé par les activités de dragage du Nicaragua et le Nicaragua, le préjudice causé par les efforts déployés par le Costa Rica pour l’empêcher d’y procéder).
3.7. La Cour recherche parfois, pour déterminer s’ils sont de «même nature», si les faits sous-tendant les demandes principales et les demandes reconventionnelles portent sur la même zone géographique et sur la même période56.
3.8. Ainsi, en l’affaire relative à Certaines activités, la Cour a jugé la deuxième demande reconventionnelle du Nicaragua irrecevable au motif que celle-ci ne se rapportait pas à la même zone géographique que la demande principale du Costa Rica. Elle en a décidé ainsi alors que la demande du Nicaragua concernait l’ancienne baie de San Juan del Norte, qui jouxte directement la zone sur laquelle portaient les demandes principales du Costa Rica, Isla Portillos. Voici ce qu’elle a exposé :
«Sur le plan géographique, la deuxième demande reconventionnelle du Nicaragua concerne globalement la même région que les demandes principales du Costa Rica, à savoir une zone située à proximité de l’embouchure du fleuve San Juan. Toutefois, les demandes des Parties n’ont pas le même point de référence géographique, en ce sens qu’elles ne se rapportent pas au même endroit.»57
3.9. Il ne suffit donc pas que les demandes concernent «globalement» le même territoire pour établir un lien de connexité factuelle directe ; la demande reconventionnelle doit porter sur la même zone, étroitement définie, que la demande principale.
3.10. Or, même en pareil cas, l’existence d’une identité géographique et temporelle n’est pas suffisante en soi. Là encore, l’affaire Congo c. Ouganda offre des clefs de lecture. Outre ses demandes reconventionnelles concernant les attaques menées par la RDC contre ses locaux
54 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 214, par. 36.
55 Ibid.
56 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), demandes reconventionnelles, ordonnance du 17 décembre 1997, C.I.J. Recueil 1997, p. 258, par. 34 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), demande reconventionnelle, ordonnance du 10 mars 1998, C.I.J. Recueil 1998, p. 205, par. 38 ; Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 212, par. 32.
57 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 213, par. 34 (les italiques sont de nous).
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diplomatiques et ses ressortissants, l’Ouganda en avait présenté une autre, relative à des violations alléguées de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka58. La Cour a écarté cette autre demande au motif que les faits invoqués dans ce cadre n’étaient pas de même nature que ceux visés par la demande principale de la RDC et ce, alors même qu’ils se rapportaient à la même zone géographique et s’étaient produits pendant la même période.
3.11. La Cour a considéré
«que la demande de l’Ouganda concern[ait] des faits d’une nature toute particulière ; que ladite demande se réf[érait] … au dialogue national congolais, au déploiement de la Mission de l’Organisation des Nations Unies en République démocratique du Congo (MONUC) ainsi qu’au désarmement et à la démobilisation de groupes armés ; que ces questions, afférentes à des modes de solution du conflit dans la région convenus, sur un plan plurilatéral … concern[aient] des faits de nature différente de ceux dont se préval[aient] les demandes congolaises, qui [avaient] trait aux actes dont l’Ouganda se serait rendu responsable au cours de ce conflit»59.
3.12. Ainsi, l’existence d’une certaine identité géographique et temporelle peut tendre à indiquer un lien de connexité factuelle directe entre une demande et une demande reconventionnelle, mais il n’est pas déterminant. Les faits allégués doivent, en tout état de cause, être de même nature.
3.13. La condition de connexité directe en droit est tout aussi stricte. Il faut que la demande reconventionnelle soit en «connexité directe avec les demandes principales de la partie adverse au regard des principes ou instruments juridiques invoqués, ou [que] le demandeur et le défendeur puissent être réputés poursuivre le même but juridique à travers leurs demandes respectives»60.
3.14. L’affaire Congo c. Ouganda fournit, une fois encore, des enseignements utiles. La Cour a jugé irrecevable la demande reconventionnelle de l’Ouganda relative aux violations de l’accord de Lusaka imputées à la RDC non seulement parce que les faits allégués étaient de nature différente, mais également parce que le lien de connexité juridique directe requis était absent. La Cour a estimé que la RDC cherchait à établir la responsabilité de l’Ouganda en se fondant sur la violation des règles régissant le recours à la force, alors que l’Ouganda entendait établir la responsabilité de la RDC sur le fondement de la violation de certaines dispositions de l’accord de Lusaka qui prévoyaient des mécanismes de résolution du conflit61.
3.15. De même, en l’affaire relative à Certaines activités, la Cour a conclu à l’absence de connexité juridique directe entre la troisième demande reconventionnelle du Nicaragua (par laquelle il priait la Cour de lui reconnaître des droits de navigation sur le fleuve Colorado) et la demande principale du Costa Rica, alors même qu’elles étaient toutes deux fondées sur des dispositions du même traité de limites de 1858. Voici ce qu’elle a énoncé :
58 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), demandes reconventionnelles, ordonnance du 29 novembre 2001, C.I.J. Recueil 2001, p. 678, par. 37, p. 680, par. 42.
59 Ibid., p. 680, par. 42 (les italiques sont dans l’original).
60 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 212, par. 32 (les italiques sont de nous).
61 Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), demandes reconventionnelles, ordonnance du 29 novembre 2001, C.I.J. Recueil 2001, p. 678, par. 37, p. 680, par. 42.
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«Le Nicaragua n’a pas davantage démontré l’existence d’une connexité juridique directe entre sa troisième demande reconventionnelle et les demandes principales du Costa Rica. Le Costa Rica et le Nicaragua ne poursuivent pas les mêmes buts juridiques à travers ces demandes respectives. Dans ses demandes, le Costa Rica allègue des violations de sa souveraineté territoriale et de ses droits de navigation sur le fleuve San Juan, ainsi que des dommages environnementaux causés à son territoire. Le Nicaragua, pour sa part, cherche à affirmer les droits de navigation qu’il estime détenir sur le fleuve Colorado. A cet effet, il invoque l’article V du traité de limites de 1858, aux termes duquel, tant que le Nicaragua n’aurait pas recouvré la pleine possession du port de San Juan del Norte  ce qu’il fit en 1860 , l’usage et la possession de Punta Castilla devaient provisoirement être partagés et le fleuve Colorado tenir lieu de limite.»62
3.16. Il ne suffit donc pas que le droit conventionnel et coutumier en cause dans la demande et la demande reconventionnelle soit, globalement, le même. Les fondements juridiques des demandes respectives doivent se recouper suffisamment pour qu’il puisse être affirmé que les parties poursuivent «le même but juridique».
A. LES DEUX PREMIÈRES DEMANDES RECONVENTIONNELLES DE LA COLOMBIE NE SONT PAS EN CONNEXITÉ DIRECTE AVEC LES DEMANDES PRINCIPALES DU NICARAGUA
3.17. Les deux premières demandes reconventionnelles de la Colombie sont irrecevables, puisqu’elles ne présentent, ni en fait ni en droit, de connexité directe avec les demandes principales du Nicaragua.
3.18. Les demandes du Nicaragua à l’égard desquelles la Cour s’est déclarée compétente portent sur :
3.19. l’obligation qui incombe à la Colombie de ne pas violer les espaces maritimes du Nicaragua tels que délimités au paragraphe 251 de l’arrêt de 2012 de la Cour, ainsi que les droits souverains et la juridiction du Nicaragua sur lesdits espaces ;
3.20. l’obligation qui incombe à la Colombie de ne pas violer les droits du Nicaragua en vertu du droit international coutumier tel que reflété dans les parties V et VI de la CNUDM ; et
3.21. l’obligation qui incombe à la Colombie de se conformer à l’arrêt de 2012, d’effacer les conséquences juridiques et matérielles de ses actes internationalement illicites, et de réparer intégralement le préjudice causé par lesdits actes63.
3.22. La Colombie expose que sa première demande reconventionnelle est «fondée sur le manquement d[u Nicaragua] à son obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger et
62 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 214, par. 37.
63 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), requête, p. 24.
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de préserver l’environnement marin du sud-ouest de la mer des Caraïbes»64 ; et que sa deuxième demande reconventionnelle, qui «découle logiquement de la première, porte sur [le] manquement [du Nicaragua] à son obligation d’exercer la diligence requise aux fins de protéger le droit des habitants de l’archipel de San Andrés, en particulier les Raizals, de bénéficier d’un environnement sain, viable et durable»65.
3.23. La Colombie affirme que ces deux demandes reconventionnelles présentent une connexité directe en fait avec les demandes principales du Nicaragua en ce qu’elles portent sur «la même zone géographique» et «la même période»66.
3.24. Le Nicaragua observe que, dans le premier cas, la Colombie se méprend d’un point de vue factuel ; certains des faits allégués qu’elle invoque ne portent pas sur la même zone géographique que ses demandes. En particulier, les prétendus incidents de pêche déprédatrice et de pollution par des pêcheurs nicaraguayens auxquels elle se réfère aux paragraphes 8.13–8.16 et 8.42–8.44 de son contre-mémoire se sont produits soit dans la mer territoriale entourant la caye de Serrana, qui appartient à la Colombie, soit dans la zone de régime commun entre elle et la Jamaïque67. La portée ratione loci des demandes du Nicaragua, en revanche, se limite à la zone économique exclusive incontestée de celui-ci. Dans cette mesure, «les demandes des Parties n’ont pas le même point de référence géographique, en ce sens qu’elles ne se rapportent pas au même endroit»68.
3.25. Au surplus, qu’ils se rapportent ou non à la même zone géographique, les faits allégués qui sous-tendent les deux premières demandes reconventionnelles de la Colombie renvoient tous à des types de comportement différents de ceux dont relèvent les faits qui fondent les demandes principales du Nicaragua.
3.26. Les faits pertinents invoqués par le Nicaragua dans ses demandes se rapportent à l’ingérence de la Colombie dans sa juridiction et ses droits souverains exclusifs sur des espaces maritimes que la Cour lui a attribués en 2012, ainsi qu’aux violations, par cet Etat, de cette juridiction et de ces droits. En revanche, les prétendus faits que la Colombie invoque dans ses deux premières demandes reconventionnelles se rapportent au manquement allégué du Nicaragua à ses obligations souveraines, en particulier son devoir de faire preuve de la diligence requise afin de protéger et de préserver l’environnement marin dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes.
3.27. La Colombie elle-même reconnaît cette différence cruciale, lorsqu’elle argue que le «Nicaragua [lui] reproche ... d’avoir violé ses droits souverains et ses espaces maritimes, mais ces accusations ne tiennent pas compte du fait que son propre comportement dans les mêmes zones est soumis à des obligations juridiques»69. Elle n’en prétend pas moins qu’il est satisfait à la condition de connexité directe, au motif que les «demandes reconventionnelles colombiennes
64 CMC, par. 8.2.
65 Ibid.
66 Ibid., par. 8.5 et 8.7.
67 Voir ibid., par. 8.13-8.16 et 8.42-8.44.
68 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 213, par. 34.
69 CMC, par. 8.6 (les italiques sont de nous).
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constitue[raient] le pendant des demandes nicaraguayennes et, partant, s[eraient] de même nature que celles-ci»70.
3.28. Or, l’«argument des demandes se faisant pendant» ne saurait être retenu. En l’affaire relative à Certaines activités, l’on aurait tout aussi bien pu dire que la demande reconventionnelle du Nicaragua concernant les dommages qu’il associait aux «efforts déployés par le Costa Rica pour [l’]empêcher ... de draguer le fleuve San Juan»71 constituait le pendant de la demande principale du Costa Rica portant sur les manquements aux obligations internationales en matière de protection de l’environnement que celui-ci associait au dragage de ce même fleuve par le Nicaragua. La Cour n’en a pas moins rejeté la demande reconventionnelle nicaraguayenne faute de connexité factuelle directe.
3.29. L’on aurait également pu dire, en l’affaire RDC c. Ouganda, que la demande reconventionnelle ougandaise relative à des violations de l’accord de cessez-le-feu de Lusaka constituait «le pendant» des demandes principales congolaises. Celles-ci avaient rapport à un conflit armé et la demande reconventionnelle de l’Ouganda, aux modes de règlement de ce conflit. Et pourtant, la Cour n’a eu aucune difficulté à rejeter la demande reconventionnelle en raison de l’absence de connexité factuelle directe.
3.30. Plus concrètement, les faits sur lesquels s’appuient respectivement le Nicaragua et la Colombie en l’espèce revêtent un caractère fondamentalement différent. Les demandes du premier ont trait à l’affirmation active, par la seconde (que soit sous la forme du harcèlement de navires nicaraguayens par ses forces armées ou de l’affirmation unilatérale de droits sur des zones que la Cour a attribuées au Nicaragua), de ses prétendus droits et juridiction sur des zones qui ne lui appartiennent pas. Les demandes de la Colombie, quant à elles, sont fondées sur l’inactivité alléguée du Nicaragua face aux pratiques destructrices pour l’environnement auxquelles s’adonneraient ses propres ressortissants. Les demandes des Parties ne portent donc manifestement pas sur des faits de même nature.
3.31. Les deux premières demandes reconventionnelles de la Colombie sont également irrecevables parce qu’elles ne présentent pas de connexité directe en droit avec les demandes principales du Nicaragua. Les demandes respectives des Parties sont fondées sur des principes et des instruments juridiques différents, et elles ne poursuivent dès lors pas le même but juridique.
3.32. La Colombie affirme qu’il est satisfait à la condition de connexité directe, en tant que ses demandes reconventionnelles reposeraient sur le même ensemble de règles de droit international que les demandes du Nicaragua, à savoir le «droit international coutumier»72. Un tel niveau de généralisation est inacceptable. Il convient d’être autrement plus spécifique, sans quoi force serait de conclure que la condition de connexité directe en droit, telle qu’elle a été interprétée dans la jurisprudence de la Cour, n’a aucune application pratique.
3.33. L’examen, fût-ce le plus sommaire, des demandes des Parties permet de constater que celles-ci ne poursuivent pas le même but juridique. Avec ses deux premières demandes
70 CMC, par. 8.6.
71 Certaines activités menées par le Nicaragua dans la région frontalière (Costa Rica c. Nicaragua) ; Construction d’une route au Costa Rica le long du fleuve San Juan (Nicaragua c. Costa Rica), demandes reconventionnelles, ordonnance du 18 avril 2013, C.I.J. Recueil 2013, p. 214, par. 36.
72 CMC, par. 8.8.
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reconventionnelles, la Colombie cherche à établir la responsabilité internationale du Nicaragua à raison de violations alléguées des règles du droit international coutumier relatives à la préservation et à la protection de l’environnement ainsi qu’à l’exercice de la diligence requise73, et des dispositions de divers instruments internationaux, dont la CITES, la convention de Cartagena et le code de conduite pour une pêche responsable de la FAO74.
3.34. Aucun de ces instruments ou de ces règles n’est pertinent en ce qui concerne les demandes du Nicaragua. En réalité, celui-ci s’appuie sur l’arrêt de 2012 de la Cour et sur les règles du droit international coutumier tel que reflété dans les parties V et VI de la CNUDM, qui reconnaissent la juridiction et les droits souverains exclusifs d’un Etat côtier sur ses espaces maritimes.
3.35. Les Parties ne poursuivent donc pas les mêmes buts juridiques.
B. LA TROISIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE LA COLOMBIE N’EST PAS NON PLUS EN CONNEXITÉ DIRECTE AVEC LA DEMANDE DU NICARAGUA
3.36. La troisième demande reconventionnelle de la Colombie, qui porte sur de prétendues violations par le Nicaragua, dans sa ZEE, des droits de pêche traditionnels des habitants de l’archipel de San Andrés, ne remplit pas davantage la condition de connexité directe et elle est donc irrecevable.
3.37. Les faits sous-tendant cette troisième demande reconventionnelle concernent, globalement, la même zone géographique et la même période que ceux invoqués dans la demande du Nicaragua. Ils sont toutefois de nature différente.
3.38. La Colombie soutient le contraire, en affirmant :
«[I]l suffit de dire que la demande reconventionnelle de la Colombie porte sur le harcèlement des pêcheurs artisanaux de l’archipel par les forces navales nicaraguayennes. En conséquence, il existe un parallèle entre le comportement allégué des forces navales colombiennes à l’égard des pêcheurs nicaraguayens et la manière dont les forces navales nicaraguayennes traitent les pêcheurs artisanaux de l’archipel.»75
3.39. Ce faisant, elle passe néanmoins à côté d’un élément essentiel. Les faits pertinents aux fins de la demande du Nicaragua concernent des violations, par la Colombie, des droits souverains et de la juridiction du Nicaragua tels que reconnus par la Cour en 2012. Les faits sur lesquels est fondée la troisième demande reconventionnelle de la Colombie concernent, quant à eux, des dommages qu’auraient subis individuellement des pêcheurs colombiens en conséquence des efforts déployés par le Nicaragua pour exercer les droits souverains et la juridiction qui lui reviennent incontestablement dans ses espaces maritimes propres.
73 CMC, par. 8.6.
74 Ibid., par. 8.38 et 8.40.
75 Ibid., par. 9.7.
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3.40. Autrement dit, s’il se pourrait effectivement qu’ils se soient produits dans un même cadre géographique, les faits invoqués de part et d’autre s’inscrivent en tout état de cause dans des cadres juridiques bien distincts. Le harcèlement que dénonce le Nicaragua a eu lieu dans ses propres espaces maritimes et il est le fait d’un autre Etat qui n’y jouit d’aucune juridiction ou aucun droit souverain. Le harcèlement dont fait état la Colombie, en revanche, a eu lieu hors de ses espaces maritimes, dans des zones soumises à la juridiction et aux droits souverains exclusifs du Nicaragua. C’est là une différence décisive. Les faits qu’invoque la Colombie ne sont pas de même nature.
3.41. C’est également à tort que la Colombie laisse entendre que sa troisième demande reconventionnelle repose sur les mêmes principes et instruments juridiques que les demandes principales du Nicaragua76. Le Nicaragua cherche à faire valoir ses droits souverains exclusifs tels qu’énoncés par la Cour dans son arrêt de 2012, alors que la troisième demande reconventionnelle de la Colombie concerne les prétendus droits privés non exclusifs de ses ressortissants de poursuivre leurs activités de pêche traditionnelles dans la ZEE du Nicaragua malgré l’arrêt de 2012. A la différence du Nicaragua, qui entend voir confirmer ses droits et sa juridiction en tant que souverain, la Colombie agit en tant que parens patriae au nom de son peuple pour faire valoir d’hypothétiques droits privés.
3.42. La Colombie admet elle-même l’importance de cette différence. Pour tenter d’expliquer pourquoi elle n’a jamais soulevé la question de ces prétendus droits de pêche traditionnels dans l’affaire précédente, relative à la délimitation, elle affirme : «Les droits de pêche traditionnels sont souvent invoqués indépendamment du tracé de la frontière afin de permettre à certains ressortissants de pêcher là où ils ont coutume de le faire.»77
3.43. Elle reconnaît, ce faisant, la distinction juridique essentielle entre, d’une part, les droits de pêche traditionnels et, d’autre part, la délimitation de frontières maritimes et l’attribution  qui en découle — des droits souverains et de la juridiction.
3.44. Etant donné que leurs demandes respectives n’ont pas les mêmes fondements en droit, le Nicaragua et la Colombie poursuivent des buts juridiques différents. La troisième demande reconventionnelle de la Colombie est donc irrecevable.
C. LA QUATRIÈME DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE LA COLOMBIE N’EST PAS PLUS QUE LES AUTRES EN CONNEXITÉ DIRECTE AVEC LA DEMANDE DU NICARAGUA
3.45. Dans sa quatrième demande reconventionnelle, la Colombie soutient que le décret de 2013 par lequel le Nicaragua a établi ses lignes de base est contraire au droit international et emporte violation de ses droits souverains et de ses espaces maritimes. Cette quatrième demande n’est pas davantage que les précédentes en connexité directe avec les demandes principales du Nicaragua et doit donc être écartée.
3.46. Pour étayer son allégation selon laquelle la condition de connexité directe est remplie, la Colombie affirme en substance que ce qu’elle conteste, s’agissant du décret du Nicaragua établissant ses lignes de base, c’est «un acte de droit interne fixant … l’étendue de l’ensemble des
76 CMC, par. 9.8.
77 Ibid., par. 9.13.
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espaces maritimes de celui-ci en mer des Caraïbes»78, et que la proclamation de sa zone contiguë unique, dont il lui est fait grief, est elle aussi un «acte de droit interne fixant l’étendue d’une zone maritime, à savoir la zone contiguë de la Colombie»79. Elle prétend, sur la base de cet élément, que «[l]e lien de connexité entre [la demande reconventionnelle et la demande] est … manifeste en droit comme en fait»80.
3.47. Or, il ne suffit pas que la Colombie qualifie la connexité de «manifeste» pour qu’elle le devienne effectivement. De fait, le lien de connexité requis n’existe pas.
3.48. S’agissant de la condition de connexité factuelle, les faits sur lesquels se fonde la Colombie ne sont pas de même nature que ceux sous-tendant la demande du Nicaragua. Premièrement, ils ne concernent pas la même zone géographique. Tous les éléments factuels invoqués par le Nicaragua, notamment la proclamation par la Colombie de sa zone contiguë unique, relèvent de violations par la Colombie des droits et de la juridiction du Nicaragua. Les faits intéressant la demande reconventionnelle de la Colombie ne concernent, quant à eux, que les eaux intérieures et la mer territoriale du Nicaragua. La Colombie ne prétend nullement que le Nicaragua aurait empiété sur l’un quelconque de ses espaces maritimes, que ce soit à l’ouest ou à l’est de San Andrés et de Providencia.
3.49. Le Nicaragua fait observer à cet égard que sa limite des 200 milles marins demeure exactement la même, qu’elle soit mesurée à partir des lignes de base droites qu’il a fixées ou de lignes de base normales, ainsi que l’illustre la figure 1. Il en est ainsi parce que cette limite est intégralement déterminée par les formations terrestres s’avançant le plus vers la mer, utilisées pour définir ses lignes de base droites.
3.50. Par ailleurs, ainsi qu’elle le reconnaît elle-même, ce que la Colombie conteste dans le décret de 2013 relatif aux lignes de base du Nicaragua, c’est «l’étendue de l’ensemble des espaces maritimes de celui-ci … en mer des Caraïbes»81. Or, les faits sur lesquels repose la demande du Nicaragua concernant la zone contiguë unique de la Colombie intéressent la contestation par celle-ci de l’existence de la juridiction et des droits souverains exclusifs du Nicaragua dans les zones maritimes délimitées par l’arrêt de 2012 et attribuées conformément au droit international coutumier, tel que consacré dans les parties V et VI de la CNUDM.
78 CMC, par. 10.9.
79 Ibid., par. 10.6.
80 Ibid., par. 10.12.
81 Ibid., par. 10.9 (les italiques sont de nous).
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Figure 1
Limites des 200 milles marins du Nicaragua
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3.51. Sans objet.
3.52. Autrement dit, les demandes du Nicaragua concernent des questions qui ont été expressément réglées par la Cour en 2012. La demande de la Colombie, en revanche, porte sur un point que la Cour n’avait pas été amenée à examiner alors : les lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale du Nicaragua82.
3.53. La Colombie ne démontre pas davantage de lien de connexité directe en droit entre sa demande reconventionnelle et les demandes principales du Nicaragua.
3.54. Le Nicaragua fonde sa demande sur l’arrêt de 2012 établissant la frontière maritime entre les Parties en deçà de 200 milles marins, ainsi que sur les règles du droit international coutumier codifiées dans les parties V et VI de la CNUDM, qui établissent sa juridiction et ses droits souverains exclusifs dans les zones maritimes qui lui ont été attribuées. La demande de la Colombie repose, quant à elle, sur l’affirmation selon laquelle le décret fixant les lignes de base du Nicaragua n’est pas conforme aux règles du droit international coutumier relatives aux lignes de base droites, telles qu’énoncées à l’article 7 de la CNUDM. Or, ces règles manquent totalement de pertinence pour ce qui est de la demande du Nicaragua.
3.55. Pourtant, la Colombie tente d’établir une analogie entre sa demande reconventionnelle et la demande principale du Nicaragua en soutenant que les lignes de base droites tracées par celui-ci emportent violation «de la juridiction et des droits de la Colombie, en tant qu’[elles] revien[nent] à proclamer une souveraineté inconditionnelle, ou une souveraineté ménageant la possibilité d’un passage inoffensif, dans des zones sur lesquelles le Nicaragua ne détient pas de souveraineté absolue, ou dans lesquelles la liberté de navigation et de survol doit être respectée»83. Cet argument fait abstraction d’une différence essentielle entre les prétentions juridiques respectives des Parties. Le Nicaragua fonde sa demande sur la violation par la Colombie de la juridiction et des droits souverains exclusifs dont il jouit en tant qu’Etat côtier au regard du droit international coutumier. La Colombie invoque, pour sa part, la prétendue violation par le Nicaragua des droits de navigation non exclusifs reconnus aux navires de tous les Etats.
3.56. En désespoir de cause, la Colombie tente un dernier argument : elle allègue que les Parties poursuivent les mêmes buts juridiques puisque le décret du Nicaragua établissant ses lignes de base droites emporterait «violation de la ZEE et du plateau continental de la Colombie»84 de la même façon, prétend-elle, qu’il est reproché à sa zone contiguë unique d’empiéter sur la ZEE et le plateau continental du Nicaragua. Or, ainsi que cela a été dit, il n’en est rien. La limite de 200 milles marins du Nicaragua est exactement la même, qu’elle soit mesurée à partir de ses lignes de base droites ou de lignes de base normales. Le décret établissant ces lignes de base droites n’emporte donc en aucune façon violation de la ZEE ou du plateau continental de la Colombie.
3.57. Etant donné que les Parties ne poursuivent pas les mêmes buts juridiques, la quatrième demande reconventionnelle de la Colombie doit être écartée.
82 Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 683, par. 159 : «La côte du Nicaragua ainsi que les îles nicaraguayennes adjacentes à celle-ci génèrent des droits potentiels sur les fonds marins et la colonne d’eau surjacente, sur une distance de 200 milles marins, y compris à l’est des îles colombiennes où, évidemment, ils empiètent sur les droits potentiels concurrents générés par ces dernières. En conséquence, la zone pertinente s’étend vers l’est de la côte nicaraguayenne jusqu’à une ligne située à 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale du Nicaragua. Ce dernier n’ayant pas encore notifié au Secrétaire général l’emplacement de ces lignes de base, en application du paragraphe 2 de l’article 16 de la CNUDM, la limite orientale de la zone pertinente ne peut être tracée que de manière approximative.» (Les italiques sont de nous.)
83 CMC, par. 10.10.
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PARTIE III CONCLUSION
4.1. Les demandes reconventionnelles de la Colombie doivent toutes être rejetées, car aucune ne relève de la compétence de la Cour ni n’est en connexité directe avec l’objet de la demande principale du Nicaragua.
4.2. De l’avis du Nicaragua, ces demandes reconventionnelles infondées, loin de témoigner d’une volonté sincère de porter devant la Cour un différend international grave, relèvent à l’évidence d’une tentative de détourner l’attention de cette dernière des actes lourds de conséquence que la Colombie a commis au mépris de l’arrêt de 2012. La Colombie espère, en donnant l’impression que le Nicaragua manque lui aussi à ses obligations internationales dans la mer des Caraïbes, obtenir sur son propre comportement un jugement moins sévère. La Cour ne doit pas cautionner un stratagème aussi grossier en acceptant de connaître des demandes reconventionnelles de la Colombie.
4.3. Le Nicaragua ne peut en effet que constater que les demandes reconventionnelles de la Colombie sont le fruit d’une stratégie qui vise à l’évidence à brouiller les véritables enjeux ; elles procèdent en outre d’une démarche qui est pour le moins fort de café. Dès le prononcé de l’arrêt de 2012, le président colombien avait catégoriquement rejeté celui-ci en raison, selon ses termes, «d’omissions, d’erreurs, d’exagérations et d’incohérences que [la Colombie] ne pouv[ait] accepter»85. La ministre des affaires étrangères avait été plus loin encore, taxant la Cour d’«ennemie» de la Colombie86. Peu de temps après, le 26 novembre 2013, la Colombie avait dénoncé le pacte de Bogotá.
4.4. Le Nicaragua ayant déposé la requête introductive de la présente instance, la Colombie a ensuite cherché à lui dénier la possibilité d’être entendu devant la Cour en soumettant pas moins de cinq exceptions préliminaires d’incompétence, avant de réaffirmer son hostilité envers la Cour et sa juridiction lorsque ses exceptions ont été rejetées dans leur intégralité. Au cours d’une conférence de presse qu’il a donnée immédiatement après le prononcé de l’arrêt sur les exceptions préliminaires, le président Santos a ainsi déclaré que la Colombie «ne participera[it] pas à la suite de la procédure» devant la Cour, dont elle dénonçait les «contradictions»87. Et d’ajouter : «La Colombie est respectueuse du droit, mais exige également que le droit soit respecté ; or, ce n’est pas ce qui s’est produit aujourd’hui.»88
4.5. Dans ces circonstances, en affirmant que le pacte de Bogotá «exprimait [encore] le consentement des Parties à la compétence de la Cour» près de trois ans après qu’il eut cessé de
84 CMC, par. 10.10.
85 Requête en l’affaire relative à des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), p. 8.
86 Ibid.
87 «La Colombie rompt avec la Cour de La Haye à propos du différend avec le Nicaragua», El Heraldo, 18 mars 2016 («El presidente Juan Manuel Santos anunció que el país «no seguirá compareciendo» ante la Corte Internacional de Justicia, CIJ, de La Haya para tratar el litigio marítimo con Nicaragua porque considera que ese tribunal incurrió en ‘contradicciones’ en los fallos emitidos ayer.») (Annexe 2.)
88 Déclaration du président colombien, Juan Manuel Santos, sur les décisions de la Cour internationale de Justice de La Haye, 17 mars 2016 («Colombia respeta el derecho, pero exige también respeto al derecho, y eso es lo que NO ha ocurrido hoy.») (Annexe 1.)
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produire ses effets entre celles-ci, et en sollicitant l’examen de demandes reconventionnelles, la Colombie défie effrontément la Cour et le système de justice internationale que cette dernière incarne.
4.6. Pour les motifs exposés dans la partie I des présentes observations, les travaux préparatoires du Règlement de la Cour et la jurisprudence constante de celle-ci commandent de conclure que, si le titre de compétence devient caduc entre le moment où est déposée une requête et celui où sont présentées des demandes reconventionnelles, ces dernières échappent à la compétence de la Cour.
4.7. Cette règle a d’autant plus lieu de s’appliquer en l’espèce que c’est la Colombie, qui se pique d’agir à titre reconventionnel, qui a rompu entre les Parties le lien consensuel qui fondait la reconnaissance de la compétence de la Cour. L’ayant fait, elle ne saurait affirmer  ni la Cour la laisser dire  que ses demandes reconventionnelles, au demeurant totalement dénuées de fondement, peuvent néanmoins être examinées par la Cour. Ces demandes doivent être rejetées.
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CONCLUSIONS
Pour les motifs exposés dans les présentes observations, la République du Nicaragua prie la Cour de dire et juger que :
 les première, deuxième, troisième et quatrième demandes reconventionnelles présentées par la Colombie dans son contre-mémoire du 17 novembre 2016 sont irrecevables.
La Haye, le 20 avril 2017.
L’agent de la République du Nicaragua,
Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ.
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ATTESTATION
J’ai l’honneur de certifier que les présentes observations écrites et les documents y annexés sont des copies exactes et conformes des documents originaux et que leur traduction anglaise établie par la République du Nicaragua est exacte.
La Haye, le 20 avril 2017.
L’agent de la République du Nicaragua,
Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ.
___________
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LISTE DES ANNEXES
No Document Page
Annexe 1 Déclaration du président colombien, Juan Manuel Santos, sur les décisions de la Cour internationale de Justice de La Haye (17 mars 2016) .................................. 31
Annexe 2 «La Colombie rompt avec la Cour de La Haye à propos du différend avec le Nicaragua» El Heraldo (18 mars 2016) .................................................................... 33
Annexe 3 Décret no 33-2013 - Lignes de base des espaces maritimes de la République du Nicaragua dans la mer des Caraïbes (19 août 2013) ................................................. 37
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ANNEXE 1 DÉCLARATION DU PRÉSIDENT COLOMBIEN, JUAN MANUEL SANTOS, SUR LES DÉCISIONS DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE DE LA HAYE (17 MARS 2016)
[Original espagnol non reproduit]
Bogotá, jeudi 17 mars 2016
La Cour internationale de Justice vient de rendre publiques les décisions par lesquelles elle affirme sa compétence pour connaître de deux nouvelles affaires introduites en 2013 par le Nicaragua contre la Colombie, alors même que celle-ci s’était définitivement affranchie de cette compétence en novembre 2012.
Dans une première requête, le Nicaragua demandait à la Cour de La Haye de déclarer la responsabilité de notre pays engagée pour non-respect de l’arrêt de 2012 et menace d’emploi de la force.
La Cour s’est déclarée compétente pour déterminer, NON PAS si la Colombie viole la décision de 2012, comme le prétend le Nicaragua, mais seulement si elle a méconnu les droits de celui-ci au regard du droit coutumier.
La Cour a d’ailleurs reconnu que la présence de la Colombie dans les eaux internationales ne constituait PAS une menace d’emploi de la force.
Dans sa seconde requête, le Nicaragua demandait à ce que son plateau continental soit étendu au-delà de la limite des 200 milles marins, au point d’arriver à proximité de notre côte continentale dans la mer des Caraïbes.
Il s’agit là d’une demande qu’il avait déjà présentée à la Cour et que celle-ci avait rejetée dans sa décision de 2012.
En d’autres termes, la question était revêtue de l’autorité de la chose jugée.
Dès lors, la Colombie s’est clairement opposée à cette demande, puisque la Cour ne peut se prononcer une seconde fois sur une question qu’elle a déjà tranchée.
Or, la Cour internationale, divisée en deux camps égaux comme elle l’a rarement été, s’est déclarée compétente pour connaître de cette demande.
Dans cette décision, qui porte sur la forme, la Cour de La Haye multiplie les contradictions.
Premièrement, elle n’a pas respecté son propre arrêt de 2012.
Deuxièmement, elle a fait fi de son propre Statut, qui prévoit qu’elle ne peut rouvrir une affaire déjà jugée.
Troisièmement, enfin, elle entend appliquer à la Colombie un traité auquel nous ne sommes PAS partie, à savoir la convention de la mer.
En conséquence et au vu de ces contradictions, j’ai décidé que la Colombie ne participerait PAS à la suite de la procédure devant la Cour internationale de Justice.
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J’ai pris cette décision après m’être entretenu et avoir longuement analysé la situation avec les experts qui constituent l’équipe chargée d’assurer la défense de la Colombie et avoir sollicité l’avis de la commission consultative sur les relations extérieures, ainsi que de plusieurs acteurs politiques.
Il est clair que, quel que soit le résultat final, les frontières maritimes de notre pays ne peuvent être établies ou modifiées que par un traité international, ainsi que le prévoit l’article 101 de notre constitution et que l’a dit à plusieurs reprises notre Cour constitutionnelle.
Les questions d’ordre bilatéral entre le Nicaragua et la Colombie ne resteront PAS subordonnées à la décision d’une tierce partie et doivent faire l’objet de négociations directes entre les parties, conformément au droit international.
La Colombie est respectueuse du droit, mais exige également que le droit soit respecté ; or, c’est ce qui ne s’est PAS produit aujourd’hui.
Que nos concitoyens sachent que la Colombie protégera son territoire national jusqu’au dernier pouce.
J’invite tous les Colombiens, sans exception, de tous les secteurs de la société et de toutes obédiences politiques, à s’unir pour former un front soudé, solide et inébranlable afin de préserver les intérêts suprêmes qui sont les nôtres dans notre mer des Caraïbes.
Je vous remercie.
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ANNEXE 2 «LA COLOMBIE ROMPT AVEC LA COUR DE LA HAYE À PROPOS DU DIFFÉREND AVEC LE NICARAGUA» EL HERALDO (18 MARS 2016)
[Original espagnol non reproduit]
El Heraldo
Colombie, le 18 mars 2016
Reprochant à la Cour internationale de Justice ses «contradictions», le président a déclaré que le règlement des questions d’ordre bilatéral ne dépendrait pas d’une «tierce partie» et que la voie à suivre était celle de la «négociation directe».
Le président Juan Manuel Santos a annoncé que le pays «ne participerait pas à la suite de la procédure» relative au différend maritime qui l’oppose au Nicaragua, qui se déroule devant la Cour internationale de Justice (CIJ), à La Haye, en dénonçant les «contradictions» que révèleraient les décisions rendues publiques hier.
«Les questions d’ordre bilatéral entre le Nicaragua et la Colombie ne resteront pas subordonnées à la décision d’une tierce partie et doivent faire l’objet de négociations directes entre les parties, conformément au droit international», a-t-il encore affirmé.
Hier, la CIJ s’est déclarée compétente pour connaître de deux requêtes que le Nicaragua avait introduites en 2013 contre la Colombie au sujet de la délimitation maritime dans la mer des Caraïbes. Le Gouvernement national a catégoriquement rejeté cette décision, au motif que la question, qui portait sur la forme et non sur le fond, «était revêtue de l’autorité de la chose jugée».
Dans la première requête, introduite le 16 septembre 2013, le Nicaragua demandait à la CIJ de lui reconnaître le droit à un plateau continental s’étendant au-delà de la limite des 200 milles marins à partir de ses côtes dans la mer des Caraïbes, demande à laquelle s’oppose Bogotá.
«Il s’agit là d’une demande que [le Nicaragua] avait déjà présentée à la Cour et que celle-ci avait rejetée dans sa décision de 2012», a rappelé M. Santos.
Dans la seconde requête, introduite le 26 novembre de la même année, Managua accusait la Colombie de ne pas se conformer à la décision du 19 novembre 2012, par laquelle la Cour de La Haye a redéfini les frontières maritimes entre les deux pays.
La Colombie a affirmé que la décision de 2012 était «inapplicable», car les frontières nationales ne pouvaient être modifiées par de tierces parties, et s’est peu après retirée du pacte de Bogotá, échappant ainsi à la juridiction de la CIJ.
D’après M. Santos, la CIJ, premièrement, «n’a pas respecté son propre arrêt de 2012», deuxièmement, «a fait fi de son propre Statut, qui prévoit qu’elle ne peut rouvrir une affaire déjà jugée» et, troisièmement, «entend appliquer à la Colombie» la convention de la mer, traité auquel celle-ci n’est pas partie.
Dans une allocution ultérieure donnée conjointement avec des représentants des partis politiques qui forment l’«Unidad para la Paz», ainsi que des ministres de son Gouvernement, M. Santos a assimilé la décision de la CIJ à une «injure».
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«Permettre cette action [du Nicaragua], c’est faire injure à l’Etat défendeur, et litière du mécanisme judiciaire de règlement des différends internationaux», a-t-il soutenu.
M. Santos prévoit de se rendre aujourd’hui dans l’archipel de San Andrés et Providencia pour réaffirmer la souveraineté de la Colombie sur les eaux environnantes, qui font l’objet du litige avec le Nicaragua.
Ce qu’a dit la CIJ. Dans la grande salle de justice de la haute cour de l’ONU à La Haye, le président de la CIJ, M. Ronny Abraham, a donné lecture des deux arrêts relatifs aux affaires respectivement introduites par Managua contre Bogotá à quelques mois d’intervalle.
La Cour a rejeté tour à tour les cinq exceptions préliminaires présentées par la Colombie, avant de se déclarer compétente, par quatorze voix contre deux, pour connaître de la requête introduite par le Nicaragua le 26 novembre 2013.
Dans cette requête, Managua demandait à la CIJ de dire que Bogotá manquait à son obligation de ne pas recourir à la menace ou à l’emploi de la force, ainsi qu’à celle de ne pas violer les espaces maritimes nicaraguayens délimités par la Cour le 19 novembre 2012 ou la juridiction et les droits souverains du Nicaragua sur ces zones.
Cette année-là, la CIJ avait défini le tracé de la frontière maritime unique entre le plateau continental et les zones économiques exclusives nicaraguayenne et colombienne en deçà de 200 milles marins des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale du Nicaragua.
Les juges avaient affirmé la souveraineté de la Colombie sur sept cayes de l’archipel de San Andrés et octroyé au Nicaragua, dans cette zone, une bande maritime d’une superficie que la Colombie évalue à quelque 75 000 kilomètres carrés.
Le président Abraham a aussi clairement exposé que la CIJ avait compétence pour connaître de la seconde instance, introduite le 16 septembre 2013, dans le cadre de laquelle le Nicaragua la priait de lui reconnaître des droits sur un plateau continental s’étendant au-delà de 200 milles marins.
Dans sa requête, le Nicaragua demandait également à la CIJ d’énoncer, dans l’attente d’une délimitation précise de la frontière, les droits et obligations des deux Etats concernant la zone où leurs revendications se chevauchent et l’utilisation des ressources qui s’y trouvent.
La CIJ a donc rejeté l’argument de Bogotá qui, ayant dénoncé le 27 novembre 2012 le pacte éponyme par lequel la Colombie avait consenti à la juridiction de la CIJ, affirmait que cette dénonciation avait «un effet immédiat» en ce qui concerne l’introduction de nouvelles procédures à son encontre.
L’article 56 prévoit que le pacte de Bogotá peut être dénoncé moyennant un préavis d’un an, au terme duquel il cessera de s’appliquer à la partie l’ayant dénoncé. Le Nicaragua avait introduit sa requête le 16 septembre 2013, soit avant l’expiration de ce préavis.
Réactions. Pour la ministre des affaires étrangères de la Colombie, Mme Maria Angela Holguín, les décisions rendues hier ne constituent pas «une défaite pour la Colombie».
S’agissant de l’allégation de non-respect, la Cour, a-t-elle relevé, a déclaré qu’elle vérifierait «si les droits du Nicaragua dans la zone concernée [avaient] été respectés». Le Nicaragua est ainsi débouté de «l’une de ses revendications essentielles», celle concernant l’«emploi de la force».
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A propos de la revendication d’un plateau continental étendu, Mme Holguín a affirmé que la Cour se pencherait sur cette question «pour la première fois», et ce, «sous un angle très complexe et technique».
L’agent de Bogotá devant la CIJ, Carlos Gustavo Arrieta, s’est quant à lui déclaré surpris par les deux arrêts, qu’il juge «complètement injustifié[s]».
«Je suis absolument stupéfait par une décision que je considère comme complètement injustifiée et dépourvue de toute validité», a-t-il déclaré aux journalistes à La Haye.
Selon lui, «sans aucune base juridique, la Cour a pris une décision qui porte atteinte aux intérêts de la Colombie».
L’ancien président, Alvaro Uribe, a jugé la perspective d’«endurer un siècle de difficultés diplomatiques préférable à celle de céder un millimètre de territoire national» et a appuyé la décision du président Santos d’interrompre la participation du pays aux audiences sur la question nicaraguayenne ; «la Colombie ne saurait en aucun cas accepter la compétence» de la CIJ, a-t-il expliqué lors d’une conférence de presse.
La sénatrice libérale Viviane Morales a déclaré que «les visées du Nicaragua sur [le] plateau continental [colombien] méconnaissent le droit international et témoignent de son appétit vorace dans la mer des Caraïbes», et le sénateur du même bord Juan Manuel Galán a affirmé que «quiconque ne sout[enait] pas Juan Manuel Santos en tant que chef du Gouvernement se d[evait] de le soutenir en tant que chef de l’Etat dans le cadre de l’affaire contre le Nicaragua devant la CIJ».
La sénatrice de l’Alliance verte, Claudia López , a estimé quant à elle que la Colombie avait «perdu le différend sur la question de la compétence de la Cour, mais [devait] l’emporter sur le fond, concernant le plateau continental».
Et le sénateur Antonio Navarro, du même parti, d’affirmer : «Avec tout le respect dû à la Cour de La Haye, nous devons maintenir notre position : nous ne pouvons accepter que cet organe continue de décider de nos frontières.»
Satisfaction au Nicaragua. La décision de la CIJ prouve que ses arrêts «doivent être respectés», a souligné l’agent du Nicaragua, M. Carlos Argüello.
«Le message est clair : les arrêts de la CIJ doivent être exécutés, un point c’est tout», a-t-il déclaré de La Haye par les organes de communication du Gouvernement nicaraguayen.
Les experts et responsables politiques au Nicaragua se sont félicités de la décision de la Cour : «La CIJ confirme ainsi le droit historique du Nicaragua à défendre sa souveraineté sur son plateau continental. La Colombie n’était pas fondée à se soustraire à sa compétence», a fait observer M. Víctor Hugo Tinoco, député du parti d’opposition Movimiento Renovador Sandinista et vice-ministre des affaires étrangères du Nicaragua de 1981 à 1990.
Manuel Madriz, expert en droit, a quant à lui estimé que «la CIJ a[vait] rendu une décision conforme au droit : le pacte de Bogotá dispose que, en cas de dénonciation, celle-ci prend effet au terme d’un délai d’un an ; or, le Nicaragua a introduit l’affaire avant l’expiration de ce délai».
Apparition publique. S’il avait déjà tenu différentes réunions politiques dans son bureau, le vice-président Germán Vargas Lleras a fait hier sa première apparition publique depuis son opération, le 30 janvier, pour un méningiome bénin du cerveau. Il était présent lors du discours que le président Santos a prononcé hier soir sur le rejet de la décision rendue par la Cour de La Haye.
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Analyse : «Ne pas comparaître devant la Cour de La Haye pourrait porter tort à la Colombie».
Auteur de l’article : Juan Ramón Martínez (expert en droit international et professeur à l’Universidad del Rosario).
La CIJ a rendu sa décision sur la recevabilité de deux demandes soumises par le Nicaragua, outre celle déjà tranchée en 2012. L’une porte sur le plateau continental étendu et l’autre, sur le non-respect de l’arrêt de 2012 imputé à la Colombie, le Nicaragua invoquant de surcroît l’emploi et la menace d’emploi de la force. La Cour s’est déclarée compétente pour connaître de ces deux affaires au fond. La décision de la Colombie de ne pas se présenter devant la Cour de La Haye risque de porter tort à ses intérêts nationaux, car la procédure se poursuivra en tout état de cause. La Cour n’entendra que les arguments du Nicaragua, sans que la Colombie puisse les réfuter. Le risque d’un arrêt qui soit défavorable à la Colombie s’en trouvera accru.
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ANNEXE 3 DÉCRET NO 33-2013 - LIGNES DE BASE DES ESPACES MARITIMES DE LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA DANS LA MER DES CARAÏBES (19 AOÛT 2013)
Source : Division des affaires maritimes et du droit de la mer, Bureau des affaires juridiques, Droit de la mer, Bulletin no 83, Nations Unies, New York, 2015, pages 39 à 41.
http://www.un.org/Depts/los/doalos_publications/LOSBulletins/bulletinfr…
[Original espagnol non reproduit]
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Observations écrites du Nicaragua sur la recevabilité des demandes reconventionnelles de la Colombie

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