Résumé de l'arrêt du 3 février 2021

Document Number
175-20210203-SUM-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2021/1
Date of the Document
Document File

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Résumé
Non officiel
Résumé 2021/1
Le 3 février 2021
Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique)
Historique de la procédure (par. 1-23)
La Cour commence par rappeler que, le 16 juillet 2018, la République islamique d’Iran (ci-après l’«Iran») a déposé une requête introductive d’instance contre les Etats-Unis d’Amérique (ci-après les «Etats-Unis») au sujet d’un différend concernant des violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires, signé par les deux Etats à Téhéran le 15 août 1955 et entré en vigueur le 16 juin 1957 (ci-après le «traité d’amitié» ou le «traité de 1955»).
Dans sa requête, l’Iran entendait fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci et sur le paragraphe 2 de l’article XXI du traité de 1955. Le même jour, l’Iran a présenté une demande en indication de mesures conservatoires.
Par ordonnance en date du 3 octobre 2018, la Cour a indiqué les mesures conservatoires suivantes :
«1) Les Etats-Unis d’Amérique, conformément à leurs obligations au titre du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires conclu en 1955, doivent, par les moyens de leur choix, supprimer toute entrave que les mesures annoncées le 8 mai 2018 mettent à la libre exportation vers le territoire de la République islamique d’Iran
i) de médicaments et de matériel médical ;
ii) de denrées alimentaires et de produits agricoles ; et
iii) des pièces détachées, des équipements et des services connexes (notamment le service après-vente, l’entretien, les réparations et les inspections) nécessaires à la sécurité de l’aviation civile ;
2) Les Etats-Unis d’Amérique doivent veiller à ce que les permis et autorisations nécessaires soient accordés et à ce que les paiements et autres transferts de fonds ne soient soumis à aucune restriction dès lors qu’il s’agit de l’un des biens et services visés au point 1) ;
3) Les deux Parties doivent s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre la solution plus difficile.»
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Le 23 août 2019, les Etats-Unis ont soulevé certaines exceptions préliminaires.
I. CONTEXTE FACTUEL (PAR. 24-38)
Dans la présente instance, l’Iran avance que les Etats-Unis ont violé le traité d’amitié, signé par les Parties le 15 août 1955 et entré en vigueur le 16 juin 1957. Il n’est pas contesté par les Parties que, à la date du dépôt de la requête, soit le 16 juillet 2018, le traité d’amitié était en vigueur. Aux termes du paragraphe 3 de l’article XXIII dudit traité, «[c]hacune des Hautes Parties contractantes pourra mettre fin [au] Traité à la fin de la période initiale de dix ans ou à tout moment après l’expiration de cette période, en donnant par écrit à l’autre Haute Partie contractante un préavis d’un an». Par une note diplomatique en date du 3 octobre 2018 adressée au ministère iranien des affaires étrangères par le département d’Etat américain, les Etats-Unis, conformément au paragraphe 3 de l’article XXIII du traité d’amitié, ont «notifi[ié] … qu’ils mett[aient] fin au traité».
En ce qui concerne les événements constituant le contexte factuel de l’affaire, la Cour rappelle que l’Iran est partie au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires du 1er juillet 1968. Aux termes de l’article III de ce traité, tout Etat partie non doté d’armes nucléaires s’engage à accepter des garanties, énoncées dans un accord qui doit être négocié et conclu avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (ci-après l’«AIEA» ou l’«Agence»), à seule fin de vérifier l’exécution des obligations assumées par ledit Etat au titre du traité, «en vue d’empêcher que l’énergie nucléaire ne soit détournée de ses utilisations pacifiques vers des armes nucléaires ou d’autres dispositifs explosifs nucléaires». L’accord entre l’Iran et l’Agence relatif à l’application de garanties dans le cadre du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires est en vigueur depuis le 15 mai 1974.
Dans un rapport en date du 6 juin 2003, le directeur général de l’AIEA déclarait que l’Iran ne s’était pas acquitté des obligations qui lui incombent en vertu de l’accord de garanties. En 2006, le conseil des gouverneurs de l’Agence a demandé au directeur général de faire rapport sur la question au Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Le 31 juillet 2006, le Conseil de sécurité, agissant en vertu de l’article 40 du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a adopté la résolution 1696 (2006), dans laquelle il notait avec une vive inquiétude que l’Iran avait décidé de reprendre ses activités liées à l’enrichissement, et exigeait que l’Iran suspende, sous vérification de l’AIEA, toutes ses activités liées à l’enrichissement et au retraitement.
Le 23 décembre 2006, le Conseil de sécurité, agissant en vertu de l’article 41 du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a adopté la résolution 1737 (2006), dans laquelle il constatait avec une vive inquiétude que, notamment, l’Iran n’avait pas «suspendu intégralement et durablement toutes activités liées à l’enrichissement et au retraitement visées dans la résolution 1696 (2006)». Dans la résolution 1737 (2006), il a décidé que l’Iran devait suspendre toutes activités liées à l’enrichissement et au retraitement, y compris la recherche-développement, sous vérification de l’AIEA. Il a également décidé que tous les Etats devaient prendre les mesures nécessaires pour prévenir la fourniture, la vente ou le transfert de tous articles, matières, équipements, biens et technologies susceptibles de contribuer aux activités de l’Iran en matière nucléaire. Par la suite, le Conseil de sécurité a adopté d’autres résolutions sur la question nucléaire iranienne en 2007, 2008, 2010 et 2015.
Le 26 juillet 2010, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2010/413/PESC et, le 23 mars 2012, le règlement (UE) no 267/2012 concernant «l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran», liées au nucléaire, qui interdit l’exportation d’armes, restreint les opérations financières, impose le gel des avoirs et limite les déplacements de certaines personnes.
Les Etats-Unis, au moyen des décrets 13574 du 23 mai 2011, 13590 du 21 novembre 2011, 13622 du 30 juillet 2012, 13628 du 9 octobre 2012 (articles 5 à 7, et 15) et 13645 du 3 juin 2013, ont imposé un certain nombre de «sanctions supplémentaires» liées au nucléaire visant divers secteurs de l’économie iranienne.
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Le 14 juillet 2015, l’Allemagne, la Chine, les Etats-Unis, la Fédération de Russie, la France et le Royaume-Uni, avec le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ont conclu avec l’Iran le plan d’action global commun (ci-après le «plan d’action») concernant le programme nucléaire iranien. L’objectif déclaré de cet instrument était de garantir la nature exclusivement pacifique du programme nucléaire iranien et d’entraîner «la levée de toutes les sanctions imposées par le Conseil de sécurité des Nations Unies et des sanctions multilatérales ou nationales relatives [audit] programme». Le 20 juillet 2015, par sa résolution 2231 (2015), le Conseil de sécurité a approuvé le plan d’action et appelé instamment à son «application intégrale conformément au calendrier qu’il prévoit».
Le plan d’action décrit, en particulier, les dispositions à prendre par l’Iran, selon un calendrier arrêté, pour tenir compte des restrictions convenues concernant l’enrichissement de l’uranium et toutes les activités qui y sont liées, ainsi que les modalités de la coopération de l’Iran avec l’AIEA. Il prévoit que soient levées toutes les sanctions imposées respectivement par le Conseil de sécurité et l’Union européenne, et que cesse également l’application de certaines sanctions imposées par les Etats-Unis.
Le 16 janvier 2016, le président des Etats-Unis a promulgué le décret 13716 par lequel étaient abrogés ou modifiés plusieurs décrets antérieurs portant sur les «sanctions liées au nucléaire» qui avaient été imposées à l’Iran ou à ses ressortissants.
Le 8 mai 2018, le président des Etats-Unis a publié un mémorandum sur la sécurité nationale par lequel il mettait fin à la participation des Etats-Unis au plan d’action et ordonnait le rétablissement des «sanctions qui avaient été levées ou auxquelles il avait été renoncé dans le cadre [dudit] plan d’action». Dans ce mémorandum, le président faisait observer que des forces iraniennes ou appuyées par l’Iran se livraient à des activités militaires dans la région alentour, et que l’Iran continuait d’être un Etat soutenant le terrorisme.
Le 6 août 2018, le président des Etats-Unis a promulgué le décret 13846 qui rétablissait «certaines sanctions» contre l’Iran, ses ressortissants et sociétés. De précédents décrets par lesquels étaient mis en oeuvre les engagements pris par les Etats-Unis dans le cadre du plan d’action étaient abrogés.
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La Cour rappelle que les Etats-Unis ont soulevé cinq exceptions préliminaires. Les deux premières se rapportent à la compétence ratione materiae de la Cour pour connaître de l’affaire sur le fondement du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié. La troisième tend à contester la recevabilité de la requête de l’Iran en raison d’un abus de procédure allégué et pour des motifs d’«opportunité judiciaire». Les deux dernières sont fondées sur les alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié. Bien que, selon le défendeur, elles ne se rapportent ni à la compétence de la Cour ni à la recevabilité de la requête, celui-ci demande qu’il y soit statué avant toute poursuite de la procédure sur le fond.
La Cour commence par examiner les questions relatives à sa compétence.
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II. COMPÉTENCE RATIONE MATERIAE DE LA COUR EN VERTU DE L’ARTICLE XXI DU TRAITÉ D’AMITIÉ (PAR. 39-84)
La Cour note que les Etats-Unis contestent sa compétence pour connaître de la requête de l’Iran. Selon eux, le différend qui lui est soumis n’entre pas dans le champ d’application ratione materiae du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié, qui est la base de compétence invoquée par l’Iran, aux termes duquel :
«Tout différend qui pourrait s’élever entre les Hautes Parties contractantes quant à l’interprétation ou à l’application du présent Traité et qui ne pourrait pas être réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique sera porté devant la Cour internationale de Justice, à moins que les Hautes Parties contractantes ne conviennent de le régler par d’autres moyens pacifiques.»
La Cour relève que d’après les Etats-Unis le différend dont l’Iran entend la saisir n’entre pas dans le champ d’application de la clause compromissoire pour deux raisons, qui ont, selon eux, un caractère alternatif.
En premier lieu, les Etats-Unis soutiennent que «l’objet véritable de la présente affaire est un différend relatif à l’application du plan d’action, instrument qui est totalement distinct [du traité d’amitié] et qui n’a aucun rapport avec lui». En conséquence, selon le défendeur, le différend que l’Iran cherche à faire trancher par la Cour n’a pas pour objet «l’interprétation ou … l’application du … Traité» au sens du paragraphe 2 de l’article XXI précité.
En second lieu, les Etats-Unis soutiennent que la grande majorité des mesures contestées par l’Iran ne relèvent pas ratione materiae du traité d’amitié, parce que les mesures en question concernent principalement le commerce et les transactions entre l’Iran et des pays tiers, ou leurs sociétés et ressortissants, et non entre l’Iran et les Etats-Unis, ou leurs sociétés et ressortissants.
La Cour commence par examiner la première de ces deux exceptions, qui, si elle était fondée, aurait pour résultat de faire échapper à sa compétence la totalité des demandes de l’Iran ; si besoin est, elle se penchera ensuite sur la seconde, qui ne vise que la majorité, et non la totalité, des demandes en cause.
1. Première exception préliminaire d’incompétence : l’objet du différend (par. 42-60)
La Cour relève que les Parties ne contestent pas qu’il existe entre elles un différend, mais elles divergent sur la question de savoir si ce différend porte sur l’interprétation et l’application du traité d’amitié, comme le soutient l’Iran, ou exclusivement sur le plan d’action, comme l’affirment les Etats-Unis. Dans ce dernier cas, le différend n’entrerait pas dans le champ d’application ratione materiae de la clause compromissoire du traité d’amitié.
Ainsi que la Cour l’a constamment rappelé, s’il est vrai que le demandeur doit, conformément au paragraphe 1 de l’article 40 du Statut, lui indiquer ce qui constitue selon lui «l’objet du différend», c’est à elle qu’il appartient de déterminer, compte tenu des conclusions des Parties, quel est l’objet du différend dont elle est saisie.
La détermination par la Cour de l’objet du différend se fait «sur une base objective», «en consacrant une attention particulière à la formulation du différend utilisée par le demandeur». Pour identifier l’objet du différend, la Cour se fonde sur la requête, ainsi que sur les exposés écrits et oraux des parties. Elle tient notamment compte des faits que le demandeur invoque à l’appui de sa demande.
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La Cour note que, dans la présente espèce, l’Iran cherche en substance, aux termes des conclusions présentées dans sa requête et son mémoire, à obtenir que la Cour déclare que les mesures remises en vigueur en vertu de la décision des Etats-Unis exprimée dans le mémorandum présidentiel du 8 mai 2018 sont contraires à diverses obligations incombant aux Etats-Unis au titre du traité d’amitié, et que soit rétablie en conséquence la situation antérieure à cette décision. Les Etats-Unis contestent que les mesures critiquées constituent des violations du traité d’amitié. Il en résulte une opposition de points de vue qui caractérise un différend portant sur le traité d’amitié.
Selon la Cour, il est vrai que ce différend a pris naissance dans un contexte politique particulier, celui de la décision des Etats-Unis de se retirer du plan d’action. La Cour rappelle toutefois que, comme elle a eu l’occasion de le souligner :
«[L]es différends juridiques entre Etats souverains ont, par leur nature même, toutes chances de surgir dans des contextes politiques et ne représentent souvent qu’un élément d’un différend politique plus vaste et existant de longue date entre les Etats concernés. Nul n’a cependant jamais prétendu que, parce qu’un différend juridique soumis à la Cour ne constitue qu’un aspect d’un différend politique, la Cour doit se refuser à résoudre dans l’intérêt des parties les questions juridiques qui les opposent.» (Personnel diplomatique et consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 20, par. 37.)
Le fait que le différend entre les Parties soit né à l’occasion et dans le contexte de la décision des Etats-Unis de se retirer du plan d’action n’exclut pas, par lui-même, que ce différend ait trait à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié. Certains actes peuvent entrer dans le champ de plusieurs instruments et un différend relatif à ces actes peut avoir trait «à l’interprétation ou à l’application» de plusieurs traités ou autres instruments. Pour autant qu’elles puissent constituer des manquements à certaines obligations découlant du traité d’amitié, les mesures que les Etats-Unis ont adoptées après leur décision de se retirer du plan d’action se rapportent à l’interprétation ou à l’application de ce traité.
La Cour estime que, même s’il était exact, comme l’affirme le défendeur, qu’un arrêt faisant droit aux demandes présentées par l’Iran sur le fondement du traité d’amitié aboutirait à rétablir la situation qui existait à l’époque où les Etats-Unis participaient encore au plan d’action, il n’en résulterait pas pour autant que le différend soumis à la Cour par l’Iran porte sur le plan d’action et non sur le traité d’amitié.
La Cour prend note de ce que les Etats-Unis ont précisé qu’ils ne prétendent pas que l’existence d’un rapport entre le différend et leur décision de se retirer du plan d’action suffit en elle-même à empêcher la Cour de se déclarer compétente pour connaître des demandes de l’Iran fondées sur le traité d’amitié, ni que la compétence prévue par le traité est exclue pour la seule raison que le différend s’inscrit dans un contexte plus large englobant le plan d’action. L’argument du défendeur est que l’objet précis des demandes de l’Iran en l’espèce a exclusivement trait au plan d’action et non au traité d’amitié. La Cour ne voit pas comment elle pourrait adhérer à une telle analyse sans dénaturer les demandes de l’Iran, telles que le demandeur les a formulées. Le «devoir de la Cour de circonscrire le véritable problème en cause et de préciser l’objet de la demande», ne lui permet pas de modifier l’objet des conclusions, surtout lorsque celles-ci ont été formulées de manière claire et précise. En particulier, la Cour ne peut pas déduire l’objet du différend du contexte politique dans lequel l’instance a été introduite, plutôt que de se fonder sur ce que le requérant lui demande.
Pour les motifs qui précèdent, la Cour ne saurait accueillir la première exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis.
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2. Seconde exception préliminaire d’incompétence : les «mesures concernant les pays tiers» (par. 61-83)
La Cour note que, selon les Etats-Unis, elle n’aurait pas compétence pour connaître de la grande majorité des demandes de l’Iran, car celles-ci se rapportent à des mesures qui concernent principalement le commerce ou les transactions entre l’Iran et des pays tiers, ou leurs ressortissants et sociétés, mesures que le défendeur qualifie de «mesures concernant les pays tiers», alors que le traité d’amitié n’est applicable qu’aux échanges commerciaux entre les Parties. A cet égard, la Cour rappelle que, selon une jurisprudence bien établie, pour déterminer si elle a compétence ratione materiae au titre d’une clause compromissoire visant les différends concernant l’interprétation ou l’application d’un traité, elle ne peut se borner à constater que l’une des parties soutient qu’il existe un tel différend et que l’autre le nie. Elle doit rechercher si les actes dont le demandeur tire grief entrent dans les prévisions du traité contenant la clause compromissoire. Il peut ainsi se révéler nécessaire d’interpréter les dispositions qui définissent le champ d’application du traité.
La Cour constate que l’exception préliminaire relative aux «mesures concernant les pays tiers» ne vise pas l’ensemble des demandes de l’Iran, mais seulement la majorité d’entre elles. En effet, le défendeur a précisé que l’une des quatre catégories entre lesquelles on peut classer, selon lui, les mesures mises en vigueur ou rétablies en vertu du mémorandum présidentiel du 8 mai 2018 échappe à la qualification de «mesures concernant les pays tiers» et n’est donc pas couverte par la seconde exception préliminaire d’incompétence. Il s’agit de la quatrième catégorie, qui est constituée par la révocation de certaines mesures d’autorisation qui, pendant la période de mise en oeuvre du plan d’action, permettaient d’effectuer certaines transactions commerciales ou financières avec l’Iran. Les autorisations en cause, qui ont été supprimées en application du mémorandum du 8 mai 2018, bénéficiaient à des «personnes relevant de la juridiction des Etats-Unis», selon le défendeur, et leur retrait n’est pas couvert par l’exception présentement examinée.
Il en résulte que même si la Cour devait faire droit à la seconde exception d’incompétence  et à supposer qu’elle n’accueille aucune des autres exceptions préliminaires, dont chacune vise la totalité des demandes de l’Iran  l’instance ne prendrait pas fin. Elle devrait de toute façon se poursuivre sur le fond en ce qui concerne la catégorie de mesures contestées par l’Iran qui n’ont pas, selon les Etats-Unis, le caractère de «mesures concernant les pays tiers». La Cour note, toutefois, qu’en ce qui concerne cette catégorie les Etats-Unis ont déclaré «se réserver le droit de faire valoir que tout ou partie des demandes de l’Iran ayant pour objet la révocation de certaines mesures d’autorisation ne relèvent pas du champ d’application du traité», au stade ultérieur de la procédure, si la présente instance devait atteindre un tel stade.
La Cour relève que les Parties sont en désaccord sur la pertinence de la notion de «mesures concernant les pays tiers», et sur les effets qui devraient résulter de l’application d’une telle notion au cas d’espèce. Alors que selon les Etats-Unis la Cour devrait se déclarer incompétente pour connaître de la plus grande partie des demandes de l’Iran, puisque la grande majorité des mesures critiquées par le demandeur sont dirigées contre des personnes, entreprises ou entités «ne relevant pas de la juridiction des Etats-Unis», l’Iran soutient au contraire que la notion de «mesures concernant les pays tiers» est dépourvue de pertinence. Il faudrait seulement, selon le demandeur, examiner chacune des catégories de mesures en cause afin de déterminer si elles entrent dans le champ d’application des diverses dispositions du traité d’amitié dont il allègue la violation.
Au surplus, la Cour note que les Parties sont en désaccord sur l’interprétation des dispositions du traité dont l’Iran invoque la méconnaissance par les Etats-Unis, en ce qui concerne leur champ d’application territorial et leur portée. Selon l’Iran, les dispositions qui ne comportent pas de limitation expresse quant à leur champ d’application territorial doivent être généralement interprétées comme applicables aux activités exercées en tout lieu, tandis que selon les Etats-Unis il résulte de l’objet et du but du traité d’amitié que celui-ci ne se rapporte qu’à la protection des activités de commerce et d’investissement d’une Partie, ou de ses ressortissants ou sociétés, sur le territoire de l’autre, ou dans le cadre des échanges entre l’une et l’autre. Par ailleurs, l’Iran soutient que le traité
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interdit aux Etats-Unis de porter atteinte aux droits qu’il garantit à l’Iran et aux sociétés ou ressortissants iraniens non seulement par des mesures s’appliquant directement à ces ressortissants ou sociétés, ou à des personnes américaines dans leurs relations avec l’Iran, mais aussi par des mesures dirigées en premier lieu contre une tierce partie mais dont la finalité réelle est d’empêcher l’Iran, ses sociétés et ses ressortissants, de bénéficier des droits que le traité leur garantit. Les Etats-Unis contestent ce point de vue.
La Cour constate que l’ensemble des mesures dont se plaint l’Iran  celles qui ont été mises en vigueur ou rétablies en conséquence du mémorandum présidentiel du 8 mai 2018  visent à affaiblir l’économie iranienne. En effet, sur la base des déclarations officielles des autorités américaines elles-mêmes, l’Iran, ses ressortissants et ses sociétés sont la cible des mesures que le défendeur qualifie de «mesures concernant les pays tiers», tout autant que de celles qui visent directement des entités iraniennes ou des «personnes relevant de la juridiction des Etats-Unis» en vue de leur interdire d’effectuer des transactions avec l’Iran, ses ressortissants ou sociétés.
On ne saurait pour autant en déduire que toutes les mesures en cause sont susceptibles de constituer des manquements aux obligations des Etats-Unis en vertu du traité d’amitié. Ce qui est déterminant à cet égard, c’est de savoir si chacune des mesures  ou catégorie de mesures  considérées est de nature à porter atteinte aux droits garantis à l’Iran par les diverses dispositions du traité d’amitié dont le demandeur invoque la violation.
Inversement, le fait que certaines mesures contestées  qu’elles soient ou non «la grande majorité», comme le soutiennent les Etats-Unis  visent directement les Etats tiers, ou des ressortissants ou sociétés d’Etats tiers, ne suffit pas à les faire échapper automatiquement au champ d’application du traité d’amitié. Seul un examen détaillé de chacune des mesures en question, de sa portée et de ses effets concrets peut permettre à la Cour de déterminer si elle affecte l’exécution des obligations des Etats-Unis résultant des dispositions du traité d’amitié invoquées par l’Iran, compte tenu du sens et de la portée de ces diverses dispositions.
En somme, la Cour considère que la seconde exception préliminaire des Etats-Unis se rapporte à la portée de certaines obligations dont se prévaut le demandeur dans la présente espèce et soulève des questions de droit et de fait qui relèvent du fond. Si l’affaire devait se poursuivre au fond, c’est à ce stade que de telles questions seraient tranchées par la Cour sur la base des arguments avancés par les Parties.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la seconde exception préliminaire d’incompétence soulevée par les Etats-Unis ne saurait être accueillie.
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La Cour conclut de l’ensemble des motifs précédents qu’elle a compétence ratione materiae pour connaître de la requête de l’Iran sur le fondement du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié de 1955.
III. RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE DE L’IRAN (PAR. 85-96)
L’exception d’irrecevabilité soulevée par les Etats-Unis repose sur l’argument que «les demandes de l’Iran procèdent d’un abus de procédure et engendreraient, s’il y était donné suite, une injustice soulevant de graves questions d’«opportunité judiciaire»», et ce parce que «[l]’Iran invoque le traité [d’amitié] dans une affaire relative à un différend qui concerne exclusivement l’application
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du plan d’action». La Cour note que les Etats-Unis n’ont pas traité leur exception d’irrecevabilité de la requête de l’Iran lors de la procédure orale, mais qu’ils l’ont néanmoins expressément maintenue.
Ainsi que la Cour l’a fait observer par le passé, «[s]eules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier que la Cour rejette pour abus de procédure une demande fondée sur une base de compétence valable». La Cour a précisé qu’il devait y avoir des «éléments attestant clairement» que le comportement du demandeur procède d’un abus de procédure.
En l’espèce, la Cour note qu’elle a déjà établi que le différend soumis par le demandeur porte sur des manquements allégués aux obligations découlant du traité d’amitié et non sur l’application du plan d’action. La Cour a également conclu que la clause compromissoire contenue dans le traité d’amitié permet d’établir valablement sa compétence à l’égard des prétentions du demandeur. Si, au stade du fond, elle en venait à conclure qu’il y a effectivement eu manquement à certaines obligations découlant du traité d’amitié, cela n’impliquerait pas d’accorder à l’Iran un quelconque «avantage illégitime» relativement à son programme nucléaire, comme l’affirment les Etats-Unis. Une telle conclusion reposerait sur l’examen, par la Cour, des dispositions conventionnelles qui relèvent de sa compétence.
De l’avis de la Cour, il n’existe pas de circonstances exceptionnelles pouvant justifier de conclure à l’irrecevabilité de la requête de l’Iran pour abus de procédure. En particulier, le fait que le demandeur ait seulement contesté la conformité avec le traité d’amitié des mesures qui avaient été levées dans le cadre du plan d’action puis rétablies en mai 2018, sans invoquer d’autres mesures ayant une incidence sur ses ressortissants et sociétés et lui-même, peut traduire un choix de politique. Cependant, la Cour, pour se prononcer, «n’a pas à s’interroger sur les motivations d’ordre politique qui peuvent amener un Etat, à un moment donné ou dans des circonstances déterminées, à choisir le règlement judiciaire». En tout état de cause, si la plupart des demandes de l’Iran concernent les mesures qui avaient été levées dans le cadre du plan d’action puis rétablies par la suite, cela n’indique pas pour autant que la présentation desdites demandes constitue un abus de procédure.
Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l’exception d’irrecevabilité de la requête soulevée par les Etats-Unis doit être rejetée.
IV. EXCEPTIONS FONDÉES SUR LES ALINÉAS B) ET D) DU PARAGRAPHE 1 DE L’ARTICLE XX DU TRAITÉ D’AMITIÉ (PAR. 97-113)
La Cour en vient ensuite aux exceptions fondées sur le paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, qui est ainsi libellé :
«1. Le présent Traité ne fera pas obstacle à l’application de mesures :
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
b) Concernant les substances fissiles, les sous-produits radioactifs desdites substances et les matières qui sont la source de substances fissiles ;
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
d) Ou nécessaires à l’exécution des obligations de l’une ou l’autre des Hautes Parties contractantes relatives au maintien ou au rétablissement de la paix et de la sécurité internationales ou à la protection des intérêts vitaux de cette Haute Partie contractante sur le plan de la sécurité.»
La Cour rappelle que, en l’affaire des Plates-formes pétrolières, elle a conclu que «le paragraphe 1 d) de l’article XX [du traité d’amitié] ne restrei[gnait] pas sa compétence dans [ladite] affaire, mais offr[ait] seulement aux Parties une défense au fond … le cas échéant». Elle a exprimé
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un point de vue analogue en l’affaire relative à Certains actifs iraniens, dans laquelle elle a dit que l’interprétation qu’elle donnait du paragraphe 1 de l’article XX, s’agissant de l’alinéa d), s’appliquait également à l’alinéa c), lequel concerne les mesures «[r]églementant la production ou le commerce des armes, des munitions et du matériel de guerre». Elle a fait observer qu’il n’existait à cet égard «aucune raison pertinente pour … distinguer [l’alinéa c)] de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX». La Cour estime qu’il n’existe pas davantage de raison pertinente pour distinguer l’alinéa b), lequel offre seulement une éventuelle défense au fond.
La Cour constate que les Parties ne contestent pas que les moyens tirés de l’article XX du traité d’amitié n’ont pas d’incidence sur sa compétence ou sur la recevabilité de la requête. Le défendeur avance cependant que les exceptions qu’il fonde sur les alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX peuvent être tenues pour préliminaires au sens de l’article 79 du Règlement de la Cour, en ce qu’elles constituent chacune une «autre exception sur laquelle [il] demande une décision avant que la procédure sur le fond se poursuive». Pour les raisons exposées ci-après, les deux exceptions soulevées par les Etats-Unis sur le fondement des alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX ne peuvent être considérées comme préliminaires. Pour statuer sur ces points, il est nécessaire de procéder à une analyse des questions de droit et de fait qu’il convient d’effectuer au stade de l’examen au fond.
Le demandeur soutient que l’alinéa b), qui fait référence aux mesures «[c]oncernant les substances fissiles, les sous-produits radioactifs desdites substances et les matières qui sont la source de substances fissiles», doit être interprété comme se rapportant uniquement à des mesures telles que celles concernant spécifiquement l’exportation ou l’importation des substances fissiles. Toutefois, selon le défendeur, l’alinéa b) s’applique à toutes les mesures, quelle qu’en soit la teneur, qui visent le programme nucléaire de l’Iran, dès lors qu’elles peuvent toutes être considérées comme visant l’utilisation de substances fissiles. La question de l’interprétation à donner de l’alinéa b) et celle des effets qu’il produit en l’espèce n’ont pas un caractère préliminaire et devront être examinées au stade du fond.
Il en va de même des mesures que les Etats-Unis disent avoir prises parce qu’ils les jugeaient «nécessaires … à la protection [de leurs] intérêts vitaux … sur le plan de la sécurité» et dont ils affirment qu’elles entrent par conséquent dans la catégorie énoncée à l’alinéa d). L’examen de l’exception fondée sur ce motif soulèverait la question de l’existence de tels intérêts vitaux sur le plan de la sécurité et pourrait requérir une évaluation du caractère raisonnable et nécessaire des mesures en ce qu’elles ont une incidence sur les obligations découlant du traité d’amitié. Une telle évaluation ne peut être effectuée qu’au stade de l’examen au fond.
Pour les raisons qui précèdent, les moyens que le défendeur tire des alinéas b) et d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié ne sauraient fonder des exceptions préliminaires, mais peuvent être présentés au stade du fond. Par conséquent, les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis sur la base de ces dispositions doivent être rejetées.
DISPOSITIF (PAR. 114)
114. Par ces motifs,
LA COUR,
1) A l’unanimité,
Rejette l’exception préliminaire d’incompétence soulevée par les Etats-Unis d’Amérique selon laquelle l’objet du différend ne concerne pas l’interprétation ou l’application du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 ;
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2) A l’unanimité,
Rejette l’exception préliminaire d’incompétence soulevée par les Etats-Unis d’Amérique relative aux mesures qui concernent le commerce ou les transactions entre la République islamique d’Iran (ou ses ressortissants et sociétés) et des pays tiers (ou leurs ressortissants et sociétés) ;
3) Par quinze voix contre une,
Rejette l’exception préliminaire d’irrecevabilité de la requête soulevée par les Etats-Unis d’Amérique ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Brower, juge ad hoc ;
4) Par quinze voix contre une,
Rejette l’exception préliminaire soulevée par les Etats-Unis d’Amérique sur le fondement de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Brower, juge ad hoc ;
5) A l’unanimité,
Rejette l’exception préliminaire soulevée par les Etats-Unis d’Amérique sur le fondement de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 ;
6) Par quinze voix contre une,
Dit, en conséquence, qu’elle a compétence, en vertu du paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955, pour connaître de la requête introduite par la République islamique d’Iran le 16 juillet 2018, et que ladite requête est recevable.
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson, Crawford, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : M. Brower, juge ad hoc.
M. le juge TOMKA joint une déclaration à l’arrêt ; M. le juge ad hoc BROWER joint à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle en partie concordante et en partie dissidente.
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Annexe au résumé 2021/1
Déclaration de M. le juge Tomka
Le juge Tomka a voté en faveur des conclusions auxquelles la Cour est parvenue en l’espèce, mais souhaite faire quelques observations sur la manière dont a été traitée la deuxième exception préliminaire soulevée par les Etats-Unis. D’après cette exception, la grande majorité des demandes de l’Iran échapperaient à la compétence de la Cour parce qu’elles concernent des mesures visant principalement le commerce ou les transactions entre l’Iran et des pays tiers, ou entre leurs ressortissants ou sociétés, alors que le traité d’amitié de 1955 ne serait applicable qu’au commerce entre les deux Parties, ou entre leurs sociétés ou ressortissants.
Bien que les Parties aient consacré une grande attention à l’examen des dispositions invoquées par l’Iran, tant dans leurs exposés écrits qu’à l’audience, la Cour s’abstient d’analyser ou d’interpréter ces dispositions. Elle se contente de rejeter la deuxième exception préliminaire des Etats-Unis, tout en laissant aux Parties la possibilité de débattre «des questions de droit et de fait» que soulève cette exception au stade du fond.
Le juge Tomka est d’avis que la démarche suivie en l’espèce n’est pas satisfaisante en ce qu’elle n’est pas cohérente avec celle que la Cour avait suivie dans des affaires antérieures portant sur le même traité. La question juridique que la Cour aurait dû trancher à ce stade de la procédure était celle de savoir si le traité d’amitié de 1955 confère à l’Iran (et à ses ressortissants ou sociétés) un droit de conduire des relations économiques, commerciales ou financières avec des Etats tiers (et avec leurs ressortissants ou sociétés) sans ingérence, sous la forme de mesures, de la part des Etats-Unis.
Opinion individuelle, en partie concordante et en partie dissidente, de M. le juge ad hoc Brower
Le juge ad hoc Brower partage la décision unanime de la Cour de rejeter les deux exceptions préliminaires d’incompétence du défendeur, ainsi que l’exception fondée sur l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié. Il est toutefois en désaccord avec la Cour en ce qu’elle conclut à la recevabilité de la requête de l’Iran et ne retient pas l’exception que les Etats-Unis fondent sur l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX.
Le juge ad hoc Brower estime que la requête de l’Iran aurait dû être déclarée irrecevable pour abus de procédure, car elle tend à obtenir de la Cour un jugement juridiquement contraignant qui obligerait les Etats-Unis à tenir leurs engagements au titre du plan d’action alors que celui-ci n’est pas juridiquement contraignant, tandis que l’Iran resterait libre de ne pas respecter cet instrument (ce qu’il admet déjà ne pas faire). Cela reviendrait à conférer à l’Iran un avantage illégitime.
Le juge ad hoc Brower relève que la Cour a accordé peu d’attention à la question de l’abus de procédure dans son arrêt. En particulier, en écartant rapidement comme étant dépourvu de pertinence le fait que l’Iran ait choisi de contester seulement les sanctions qui avaient été levées dans le cadre du plan d’action (et non les nombreuses autres sanctions applicables dans ses relations avec les Etats-Unis), ce qu’elle qualifie de simple «choix de politique», la Cour a évité d’analyser vraiment l’importance de la stratégie iranienne.
La Cour a suivi en l’espèce une approche qui s’inscrit dans le droit fil de sa pratique de longue date consistant à omettre de définir la notion d’abus de procédure ou d’en préciser les critères d’application. Au cours des 95 années qui se sont écoulées depuis que sa devancière s’est penchée pour la première fois sur la notion voisine d’abus de droit, la Cour s’est continuellement abstenue de contribuer au développement matériel de ce principe ou de celui de l’abus de procédure, bien qu’elle ait eu maintes occasions de le faire. Plus récemment, la Cour a adopté et souvent invoqué les critères des «circonstances exceptionnelles» et des «éléments attestant clairement» mais sans livrer aucun
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éclairage sur le sens obscur de ces expressions. Le juge ad hoc Brower est d’avis que la Cour ferait bien de préciser ce qu’est un abus de procédure et comment il convient d’en établir l’existence.
Le juge ad hoc Brower craint que la Cour, par son refus de conclure en l’espèce à l’irrecevabilité de la requête de l’Iran, conjugué au profond désintérêt que sa devancière et elle-même manifestent à l’égard du concept d’abus de procédure depuis 95 ans, ne décourage les Etats de chercher pacifiquement à régler leurs différends par des moyens juridiquement non contraignants, lesquels sont parfois, comme dans le cas du plan d’action, les seuls moyens disponibles.
Quant à l’exception que les Etats-Unis fondent sur l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article XX du traité d’amitié, le juge ad hoc Brower estime qu’elle aurait dû être traitée comme une exception préliminaire légitime, et aurait dû conduire au rejet des demandes de l’Iran.
Le juge ad hoc Brower convient avec la majorité, dans la présente affaire comme dans celle relative à Certains actifs iraniens, que les moyens que les Etats-Unis tirent de l’alinéa d) doivent être examinés à la phase du fond. Il estime cependant que le libellé de l’alinéa b), qui s’applique aux mesures «[c]oncernant les substances fissiles», est beaucoup plus large que celui des autres alinéas du paragraphe 1 de l’article XX. Selon lui, vu la définition que donnent les dictionnaires des termes «concerner» et «fissile», il est clair que des mesures concernant des armes nucléaires et la prolifération nucléaire sont des mesures «[c]oncernant les substances fissiles». En outre, des déclarations officielles de hauts représentants des deux Parties, dont certaines ont été faites dans le contexte du plan d’action et même de la présente procédure, confirment que les sanctions qui sont en cause en l’espèce sont «liées au nucléaire».
Le juge ad hoc Brower fait observer que la Cour n’a pas analysé l’alinéa b) conformément aux dispositions de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, se limitant à le traiter de la même manière qu’elle avait précédemment traité les autres alinéas du paragraphe 1 de l’article XX. Le juge ad hoc Brower estime qu’il y avait lieu d’appliquer les articles 31 et 32 de la convention de Vienne à l’alinéa b), et, selon lui, cela aurait conduit la Cour à conclure que l’exception des Etats-Unis fondée sur cette disposition devait être retenue et les demandes de l’Iran, rejetées.
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Résumé de l'arrêt du 3 février 2021

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