Certains actifs iraniens (République islamique d'Iran c. Etats-Unis d'Amérique) - Résumé de l'arrêt du 13 février 2019

Document Number
164-20190213-SUM-01-00-EN
Document Type
Incidental Proceedings
Number (Press Release, Order, etc)
2019/1
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
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Résumé
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Résumé 2019/1
Le 13 février 2019
Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) Résumé de l’arrêt du 13 février 2019
Chronologie de la procédure (par. 1-17)
La Cour rappelle que, le 14 juin 2016, le Gouvernement de la République islamique d’Iran (ci-après l’«Iran» ou le «demandeur») a déposé au Greffe de la Cour une requête introductive d’instance contre les Etats-Unis d’Amérique (ci-après les «Etats-Unis» ou le «défendeur») au sujet d’un différend concernant de prétendues violations par les Etats-Unis du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires signé par les deux Etats à Téhéran le 15 août 1955 et entré en vigueur le 16 juin 1957 (ci-après le «traité d’amitié» ou le «traité»). Elle précise que, dans sa requête, l’Iran entend fonder la compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de la Cour et le paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié.
La Cour rappelle en outre que, après que l’Iran a déposé son mémoire en l’espèce, les Etats-Unis ont soulevé des exceptions préliminaires d’irrecevabilité de la requête et d’incompétence de la Cour. En conséquence, par ordonnance du 2 mai 2017, le président de la Cour, constatant qu’en vertu des dispositions du paragraphe 5 de l’article 79 du Règlement la procédure sur le fond était suspendue, a fixé au 1er septembre 2017 la date d’expiration du délai dans lequel l’Iran pouvait présenter un exposé écrit contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par les Etats-Unis. L’Iran a déposé un tel exposé dans le délai ainsi fixé et l’affaire s’est trouvée en état pour ce qui est des exceptions préliminaires. Des audiences publiques ont été tenues du 8 au 12 octobre 2018.
I. CONTEXTE FACTUEL (PAR. 18-27)
La Cour commence par poser le contexte factuel de l’affaire. Elle rappelle à cet égard que l’Iran et les Etats-Unis ont cessé d’entretenir des relations diplomatiques en 1980, à la suite de la révolution iranienne du début 1979 et de la prise de l’ambassade américaine à Téhéran le 4 novembre de la même année. En octobre 1983, le casernement des fusiliers marins américains («Marines») à Beyrouth (Liban) a été la cible d’un attentat à la bombe qui a tué 241 militaires américains faisant partie d’une force multinationale de maintien de la paix. Les Etats-Unis soutiennent que l’Iran est responsable de cet attentat, ainsi que d’actes de terrorisme et de violations du droit international commis par la suite ; l’Iran rejette ces allégations.
La Cour relève que, en 1984, les Etats-Unis ont désigné l’Iran en tant qu’«Etat soutenant le terrorisme», désignation qui a été maintenue jusqu’à ce jour. En 1996, les Etats-Unis ont modifié leur loi sur l’immunité des Etats étrangers (Foreign Sovereign Immunities Act, ci-après la «FSIA») afin de priver les Etats désignés en tant qu’«Etats soutenant le terrorisme» d’immunité devant les
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juridictions américaines dans certaines affaires concernant des allégations de torture, d’exécution extrajudiciaire, de sabotage d’aéronef, de prise d’otages ou d’appui matériel en vue de la commission de tels actes ; la nouvelle loi créait en outre des exceptions à l’immunité d’exécution applicables dans ces situations. Plusieurs actions ont alors été engagées contre l’Iran devant des juridictions américaines en relation avec des dommages découlant de décès et de préjudices corporels causés par des actes auxquels cet Etat aurait apporté son soutien, y compris financier. Elles ont notamment donné lieu à l’affaire Peterson, qui concernait l’attentat susmentionné contre le casernement américain à Beyrouth. L’Iran a refusé de comparaître dans ces procès, au motif que la loi américaine constituait une violation du droit international sur les immunités de l’Etat.
La Cour note que, en 2002, les Etats-Unis ont adopté la loi sur l’assurance contre les risques associés au terrorisme (Terrorism Risk Insurance Act), qui a établi certaines mesures d’exécution des décisions de justice rendues à la suite de la modification de la FSIA intervenue en 1996. Les Etats-Unis ont de nouveau modifié la FSIA en 2008, en élargissant entre autres les catégories d’actifs disponibles pour désintéresser les créanciers ayant obtenu gain de cause par voie judiciaire. En 2012, le président des Etats-Unis a promulgué le décret présidentiel no 13599, qui a bloqué tous les actifs («property and interests in property») de l’Etat iranien, y compris ceux de la banque centrale iranienne (la banque Markazi) et des institutions financières appartenant à l’Iran ou contrôlées par celui-ci, dès lors que ces actifs se trouvent sur le territoire des Etats-Unis ou «en la possession ou sous le contrôle de toute personne des Etats-Unis, y compris toute succursale étrangère». En 2012 également, les Etats-Unis ont adopté la loi sur la réduction de la menace iranienne et les droits de l’homme en Syrie (Iran Threat Reduction and Syria Human Rights Act), dont l’article 502 a notamment assujetti les actifs de la banque Markazi aux mesures d’exécution ordonnées en application de décisions prononcées par défaut contre l’Iran en l’affaire Peterson. La banque Markazi a contesté la validité de cette disposition devant les juridictions américaines ; la Cour suprême des Etats-Unis en a finalement confirmé la constitutionnalité.
La Cour observe enfin que, à la suite des mesures prises par les Etats-Unis, les juridictions américaines ont prononcé de nombreux jugements par défaut condamnant l’Etat iranien et, dans certains cas, des entités détenues par lui, à d’importants dommages-intérêts. En outre, les actifs de l’Iran et d’entités propriété de l’Etat iranien, notamment la banque Markazi, font actuellement l’objet de procédures d’exécution dans diverses affaires, aux Etats-Unis ou ailleurs, ou ont d’ores et déjà été alloués à des créanciers ayant obtenu gain de cause par la voie judiciaire.
II. COMPÉTENCE DE LA COUR (PAR. 29-99)
La Cour s’intéresse ensuite à la question de sa compétence. Rappelant que l’Iran entend se fonder sur le paragraphe 2 de l’article XXI du traité d’amitié, elle observe qu’il n’est pas contesté que ledit traité était en vigueur à la date de l’introduction de la requête de l’Iran, soit le 14 juin 2016, et que la dénonciation de cet instrument annoncée par les Etats-Unis le 3 octobre 2018 est sans effet sur sa compétence en la présente affaire. Elle note qu’il n’est pas non plus contesté que plusieurs conditions fixées par le paragraphe 2 de l’article XXI du traité sont remplies : un différend s’est élevé entre l’Iran et les Etats-Unis ; ce différend n’a pu être réglé par la voie diplomatique ; les deux Etats ne sont pas convenus de le régler par d’autres moyens pacifiques. La Cour relève que les Parties s’opposent en revanche sur la question de savoir si le différend concernant les mesures américaines dont l’Iran tire grief est un différend «quant à l’interprétation ou à l’application» du traité d’amitié. S’appuyant sur sa jurisprudence, la Cour observe qu’elle doit rechercher si les actes dont l’Iran se plaint entrent dans les prévisions du traité d’amitié et si, par suite, le différend est de ceux dont elle est compétente pour connaître ratione materiae par application du paragraphe 2 de son article XXI.
La Cour examine successivement les trois exceptions d’incompétence soulevées par les Etats-Unis.
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A. Première exception : les demandes de l’Iran découlant des mesures adoptées par les Etats-Unis en vue de bloquer les actifs iraniens (par. 38-47)
Par leur première exception d’incompétence, les Etats-Unis demandent que la Cour «rejette comme échappant à sa compétence toutes les demandes alléguant que les mesures adoptées par les Etats-Unis avec pour effet de bloquer les biens et les droits et intérêts afférents à des biens de l’Etat iranien ou des institutions financières iraniennes (telles que définies dans le décret présidentiel no 13599 et les dispositions réglementaires portant application de celui-ci) contreviennent aux dispositions du traité». D’après eux, ces demandes échappent au champ d’application du traité en vertu des alinéas c) et d) du paragraphe 1 de son article XX.
Après avoir résumé les arguments des Parties, la Cour rappelle qu’elle a déjà eu l’occasion d’observer dans son arrêt sur l’exception préliminaire en l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20) et plus récemment dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires en l’affaire des Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (mesures conservatoires, ordonnance du 3 octobre 2018, par. 41) que le traité d’amitié ne contient aucune disposition excluant expressément certaines matières de sa compétence. Elle a en outre estimé que l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX ne restreignait pas sa compétence mais offrait seulement aux Parties une défense au fond qu’il leur appartiendrait, le cas échéant, de faire valoir le moment venu (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811, par. 20). Ne voyant aucune raison en l’espèce de s’écarter de ses conclusions antérieures et étant d’avis que l’alinéa c) du paragraphe 1 de l’article XX du traité devait être interprété, à cet égard, de la même manière que l’alinéa d), la Cour conclut que ces dispositions ne restreignent pas sa compétence mais offrent seulement aux Parties une défense au fond. Elle rejette donc la première exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis.
B. Deuxième exception : les demandes de l’Iran concernant les immunités souveraines (par. 48-80)
Par leur deuxième exception d’incompétence, les Etats-Unis demandent à la Cour de rejeter «comme échappant à sa compétence toutes les demandes, quelle que soit la disposition du traité d’amitié sur laquelle elles sont fondées, reposant sur le refus allégué des Etats-Unis d’accorder à l’Etat iranien, à la banque Markazi ou à des entités propriété de l’Etat iranien, une immunité souveraine ou d’exécution».
La Cour examine donc chacune des dispositions dont l’Iran invoque la violation et qui permettraient selon lui de faire entrer dans le champ de sa compétence la question du respect par les Etats-Unis des immunités dont bénéficieraient certaines entités publiques iraniennes.
Le paragraphe 2 de l’article IV du traité d’amitié (par. 53-58)
La Cour note que l’Iran tire argument de la mention explicite que contient la première phrase du paragraphe 2 de l’article IV du traité aux «normes fixées par le droit international» pour prétendre que cette disposition incorpore par référence les normes du droit international coutumier relatives aux immunités souveraines à l’obligation qu’elle définit. Les Etats-Unis contestent cette interprétation. Selon eux, les «normes fixées par le droit international» auxquelles se réfère le paragraphe 2 de l’article IV concernent le standard minimum de traitement des biens étrangers dans l’Etat hôte, qui est une notion bien connue dans le domaine de la protection des investissements, et non de quelconques protections en matière d’immunités.
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La Cour indique à titre liminaire qu’elle fera abstraction de la question de savoir si la banque Markazi, au bénéfice de laquelle l’Iran revendique l’immunité souveraine, constitue une «société» au sens du paragraphe 2 de l’article IV. Abordant ce point plus loin dans sa décision (voir section II. C ci-dessous), elle considère que la question à laquelle elle doit répondre à ce stade est celle de savoir si, à supposer que cette entité constitue une «société» au sens du traité  ce que contestent les Etats-Unis  le paragraphe 2 de l’article IV fait obligation au défendeur de respecter l’immunité souveraine dont la banque Markazi ou les autres entités qui sont la propriété de l’Etat iranien, en cause dans la présente affaire, bénéficieraient en vertu du droit international coutumier.
La Cour constate, à cet égard, que l’interprétation proposée par l’Iran du membre de phrase qui se réfère, dans la disposition concernée, aux «normes fixées par le droit international», ne cadre pas avec l’objet et le but du traité d’amitié. Ainsi que cela ressort du préambule de ce traité, les parties ont entendu «encourager les échanges et les investissements mutuellement profitables et l’établissement de relations économiques plus étroites entre leurs peuples et … régler leurs relations consulaires». En outre, l’intitulé du traité ne suggère pas que les immunités souveraines entreraient dans l’objet et le but de l’instrument en cause. Ces immunités ne sauraient, par suite, être considérées comme incluses dans le paragraphe 2 de l’article IV. La Cour considère que le «droit international» dont il est question dans cette disposition est celui qui définit le standard minimum de protection des biens qui appartiennent aux «ressortissants» et aux «sociétés» de l’une des parties exerçant des activités économiques sur le territoire de l’autre, et non celui qui régit les protections dont bénéficient les entités étatiques en vertu du principe de l’égalité souveraine des Etats. En outre, la disposition invoquée par l’Iran figurant au paragraphe 2 de l’article IV doit être replacée dans le contexte de l’article IV dans son ensemble. Après avoir examiné tour à tour chacun des paragraphes de l’article IV, la Cour estime que l’ensemble de ces dispositions indique nettement que cet article vise à garantir certains droits et protections minimales au bénéfice des personnes physiques ou morales qui se livrent à des activités de nature commerciale. On ne saurait donc l’interpréter comme incorporant par référence les règles coutumières relatives aux immunités souveraines.
Le paragraphe 4 de l’article XI du traité d’amitié (par. 59-65)
En ce qui concerne le paragraphe 4 de l’article XI du traité, la Cour constate, en accord sur ce point avec l’argument de l’Iran, que cette disposition, qui se borne à exclure toute «exemption» («immunity») pour les entreprises publiques se livrant à des activités de nature commerciale ou industrielle, n’affecte pas les immunités dont bénéficient en vertu du droit international coutumier les entités publiques qui exercent des activités jure imperii. Elle note cependant que l’Iran va plus loin en soutenant que cette disposition impose l’obligation implicite de respecter de telles immunités. Le demandeur se livre, à cet égard, à une lecture a contrario du paragraphe 4 de l’article XI, selon laquelle en n’excluant l’immunité que pour les entreprises publiques exerçant des activités commerciales ou industrielles, cette disposition viserait implicitement à garantir l’immunité souveraine des entités publiques lorsqu’elles exercent des activités jure imperii.
Rappelant sa jurisprudence selon laquelle l’interprétation a contrario d’une disposition conventionnelle ne peut être retenue que si elle se justifie à la lumière du libellé de l’ensemble des dispositions pertinentes, de leur contexte ainsi que de l’objet et du but du traité, la Cour estime que l’interprétation soutenue par l’Iran ne saurait être suivie. Que le paragraphe 4 de l’article XI laisse intégralement subsister, en ne les excluant pas, les immunités dont bénéficient, en vertu du droit coutumier, les entités étatiques quand elles exercent des activités jure imperii, est une chose. Qu’il ait pour effet de transformer le respect de telles immunités en une obligation conventionnelle, comme le prétend l’Iran, est une tout autre idée, que ni le texte ni le contexte de cette disposition ne vient corroborer. De l’avis de la Cour, si le paragraphe 4 de l’article XI ne mentionne que les entreprises publiques qui exercent «une activité commerciale ou industrielle de quelque nature que ce soit, y compris le transport des marchandises», c’est parce que, conformément à l’objet et au but
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du traité, il ne s’intéresse qu’aux activités économiques, et cherche à préserver une concurrence équitable entre des agents économiques qui interviennent sur le même marché. La question des activités jure imperii est tout simplement étrangère aux préoccupations sous-jacentes à la rédaction du paragraphe 4 de l’article XI. Il n’est donc pas possible d’accueillir la thèse selon laquelle cette disposition incorpore les immunités souveraines au traité.
Le paragraphe 2 de l’article III du traité d’amitié (par. 66-70)
Pour ce qui est du paragraphe 2 de l’article III du traité, la Cour estime — en supposant une nouvelle fois, pour les besoins du raisonnement, que la banque Markazi constitue une «société» — qu’elle doit rechercher si la violation alléguée des immunités dont cette banque et les entités publiques iraniennes en cause bénéficieraient en vertu du droit international coutumier emporterait, si elle était établie, une violation du droit au «libre accès aux tribunaux» garanti par cette disposition. Elle précise que c’est seulement si cette question devait recevoir une réponse affirmative qu’il pourrait être conclu que l’application du paragraphe 2 de l’article III implique un examen par la Cour de la question des immunités souveraines, et qu’un tel examen relève donc, dans cette mesure, de sa compétence telle que définie par la clause compromissoire du traité d’amitié.
La Cour n’est pas convaincue qu’il existe entre la question des immunités souveraines et le droit garanti par le paragraphe 2 de l’article III un lien de la nature de celui qu’allègue l’Iran. Il est vrai, dit-elle, que le simple fait que le paragraphe 2 de l’article III ne mentionne pas les immunités souveraines, et qu’il ne comporte pas non plus de renvoi aux règles du droit international général, ne suffit pas à exclure la question des immunités du champ d’application ratione materiae de la disposition en cause. Mais encore faudrait-il, pour que la question soit pertinente, que la méconnaissance du droit international en matière d’immunités soit susceptible d’avoir quelque incidence sur le respect du droit garanti par le paragraphe 2 de l’article III. Tel n’est, selon la Cour, pas le cas. La disposition en cause ne vise pas à garantir des droits substantiels, ni même des droits procéduraux qu’une société d’une partie contractante entendrait faire valoir devant les tribunaux et autorités de l’autre partie, mais seulement à protéger la possibilité pour une telle société d’accéder à ces tribunaux ou autorités en vue de faire valoir les droits (substantiels ou procéduraux) qu’elle prétend posséder. Le libellé du paragraphe 2 de l’article III n’oriente pas vers l’interprétation extensive suggérée par l’Iran. Les droits qui y sont garantis le sont «[e]n vue d’assurer une administration rapide et impartiale de la justice». L’accès aux tribunaux d’une partie contractante doit être assuré «dans des conditions non moins favorables» que celles qui sont applicables aux ressortissants et sociétés de cette partie elle-même, «ou à ceux de tout pays tiers». Rien dans les termes du paragraphe 2 de l’article III, suivant leur sens ordinaire dans leur contexte et à la lumière de l’objet et du but du traité d’amitié, ne suggère ni n’indique que l’obligation de garantir aux «sociétés» iraniennes le libre accès aux tribunaux américains impliquerait celle de respecter les immunités que le droit international coutumier accorderait  si tel était le cas  à certaines de ces entités. Les deux questions sont nettement distinctes.
Le paragraphe 1 de l’article IV du traité d’amitié (par. 71-74)
Concernant le paragraphe 1 de l’article IV du traité, la Cour indique que, pour des raisons analogues à celles qu’elle a exposées à propos de l’invocation par l’Iran du paragraphe 2 de l’article IV du traité d’amitié, elle ne considère pas que les exigences du paragraphe 1 de l’article IV englobent une obligation de respecter les immunités souveraines de l’Etat et de celles de ses entités qui peuvent prétendre à de telles immunités en vertu du droit international coutumier. Elle ne saurait donc accueillir sur ce point l’argumentation de l’Iran selon laquelle la question des immunités souveraines relève du champ d’application ratione materiae de cette disposition, et par suite de la compétence de la Cour en vertu de la clause compromissoire du traité d’amitié.
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Le paragraphe 1 de l’article X du traité d’amitié (par. 75-79)
La Cour en vient ensuite au paragraphe 1 de l’article X du traité. Elle rappelle à cet égard que, dans son arrêt sur l’exception préliminaire en l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) (exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 803), elle a eu à se prononcer sur la portée de la notion de «liberté de commerce» au sens dudit paragraphe. Elle a indiqué à cette occasion que le mot «commerce» au sens de la disposition en cause ne vise pas seulement le commerce maritime, mais les échanges commerciaux en général ; qu’au surplus, le mot «commerce», tant dans son acception usuelle que dans son sens juridique, ne se limite pas aux seules activités d’achat et de vente ; que les traités de commerce règlent une grande variété de questions accessoires liées au commerce, telles que le droit de fonder et d’exploiter des entreprises, la protection contre les voies de fait, l’acquisition et la jouissance des biens, etc. La Cour a conclu qu’«il serait naturel d’interpréter le mot «commerce» au paragraphe 1 de l’article X du traité de 1955 comme incluant des activités commerciales en général  non seulement les activités mêmes d’achat et de vente, mais également les activités accessoires qui sont intrinsèquement liées au commerce».
La Cour ne voit aucune raison de s’écarter de l’interprétation de la notion de «liberté de commerce» qu’elle avait retenue dans l’affaire précitée. Elle observe néanmoins que, même ainsi comprise, la liberté de commerce ne saurait couvrir des questions qui ne présentent aucun lien, ou qui présentent un lien trop ténu, avec les relations commerciales entre les Etats parties au traité. A cet égard, la Cour n’est pas convaincue que la violation des immunités souveraines dont certaines entités publiques bénéficieraient en vertu du droit international dans l’exercice de leurs activités jure imperii soit susceptible d’entraver la liberté de commerce, qui concerne par définition des activités d’une nature différente. Par suite, les violations des immunités souveraines alléguées par l’Iran n’entrent pas dans le champ du paragraphe 1 de l’article X du traité.
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La Cour conclut de son analyse qu’aucune des dispositions dont l’Iran invoque la violation et qui permettraient selon lui de faire entrer dans le champ de la compétence de la Cour la question du respect par les Etats-Unis des immunités dont bénéficieraient certaines entités publiques iraniennes n’est de nature à fonder une telle conclusion. Par suite, elle constate que les demandes de l’Iran qui sont fondées sur la violation alléguée des immunités souveraines garanties par le droit international coutumier ne se rapportent pas à l’interprétation ou à l’application du traité d’amitié et, en conséquence, ne se trouvent pas dans le champ de la clause compromissoire du paragraphe 2 de l’article XXI. Il en résulte que la Cour n’a pas compétence pour examiner les demandes de l’Iran en ce qu’elles concernent la prétendue violation des règles de droit international en matière d’immunités souveraines. Elle estime qu’il y a donc lieu d’accueillir la deuxième exception d’incompétence soulevée par les Etats˗Unis.
C. Troisième exception : les demandes de l’Iran se rapportant à des violations alléguées des articles III, IV ou V du traité en ce qui concerne la banque Markazi (par. 81-97)
Par leur troisième exception, les Etats-Unis demandent à la Cour de rejeter «comme échappant à sa compétence toute demande se rapportant à des violations alléguées des articles III, IV et V du traité d’amitié reposant sur le traitement réservé à l’Etat iranien ou à la banque Markazi».
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Après avoir rappelé les arguments des Parties, la Cour relève que, bien que le libellé de cette exception mentionne «le traitement réservé à l’Etat iranien ou à la banque Markazi», la question qui lui est soumise porte seulement sur le point de savoir si la banque Markazi constitue une «société» au sens du traité d’amitié, fondée à ce titre à revendiquer les droits et les protections que confèrent aux «sociétés» les articles III, IV et V. En conséquence, la Cour s’attache seulement à rechercher si la qualification de «société» au sens du traité d’amitié peut s’appliquer à la banque Markazi.
La Cour relève que les articles III, IV et V du traité d’amitié garantissent certains droits et protections aux «ressortissants» et «sociétés» d’une partie contractante, qui doivent être respectés par l’autre partie. Elle note que le terme «ressortissant» se rapporte aux personnes physiques, dont le statut n’est pas en cause dans la controverse qui oppose les Parties à propos de la troisième exception préliminaire. Le terme «société» est ainsi défini au paragraphe 1 de l’article III : «Au sens du présent [t]raité, le terme «sociétés» doit s’entendre des sociétés de capitaux ou de personnes, des compagnies et de toutes associations, qu’elles soient ou non à responsabilité limitée et à but lucratif.» Sur la base de cette définition, la Cour estime que deux points ne sont pas douteux, et ne donnent d’ailleurs pas lieu à divergence entre les Parties. D’une part, une entité ne peut être qualifiée de «société» au sens du traité que si elle possède une personnalité juridique propre que lui confère le droit de l’Etat où elle a été créée, lequel détermine son statut juridique. A cet égard, le paragraphe 1 de l’article III précise à son début que «[l]e statut juridique des sociétés constituées sous le régime des lois et règlements de l’une des Hautes Parties contractantes applicables en la matière sera reconnu dans les territoires de l’autre Haute Partie contractante». D’autre part, une entité qui est en tout ou en partie la propriété d’un Etat peut constituer une «société» au sens du traité. La définition de la «société» que donne le paragraphe 1 de l’article III ne fait aucune différence entre entreprises privées et entreprises publiques. La possibilité pour une entreprise publique de constituer une «société» au sens du traité est confirmée par le paragraphe 4 de l’article XI, qui exclut toute immunité pour une entreprise de l’une des parties contractantes «qui est propriété publique ou sous contrôle public» lorsqu’elle exerce sur le territoire de l’autre partie une activité commerciale ou industrielle, et ce, afin d’éviter de placer une telle entreprise en position avantageuse par rapport aux entreprises privées avec lesquelles elle peut se trouver en concurrence.
La Cour estime que deux conclusions peuvent être tirées de ce qui précède. En premier lieu, les Etats-Unis ne sauraient contester la personnalité juridique propre que confère à la banque Markazi l’alinéa c) de l’article 10 de la loi monétaire et bancaire iranienne de 1960, telle qu’elle a été amendée  ils ne le font d’ailleurs pas. En second lieu, le fait que la banque Markazi soit intégralement la propriété de l’Etat iranien, et que l’Etat exerce un pouvoir de direction et un contrôle étroit sur les activités de la banque  ce que relèvent les Etats-Unis et que l’Iran ne conteste pas  ne permet pas, à lui seul, d’exclure cette entité de la catégorie des «sociétés» au sens du traité.
Cela précisé, il reste à la Cour à déterminer si par la nature de ses activités la banque Markazi peut être qualifiée de «société» selon la définition que donne le paragraphe 1 de l’article III lue dans le contexte de cette disposition et à la lumière de l’objet et du but du traité d’amitié.
A cet égard, la Cour estime qu’elle ne saurait suivre l’interprétation que soutient l’Iran dans la branche principale de son argumentation, selon laquelle la nature des activités exercées par une entité déterminée est indifférente en vue de la qualification de ladite entité comme une «société». Selon l’Iran, qu’une entité exerce des fonctions de caractère régalien, c’est-à-dire de souveraineté ou de puissance publique, ou qu’elle exerce des activités de nature commerciale ou industrielle, ou encore une combinaison des deux types d’activités, est sans pertinence quant à sa qualification de «société». Il en résulterait que la possession d’une personnalité juridique propre selon le droit
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interne d’une partie contractante serait une condition suffisante pour qualifier une entité donnée de «société» au sens du traité d’amitié.
De l’avis de la Cour, une telle interprétation manquerait de prendre en compte le contexte de la définition donnée au paragraphe 1 de l’article III, ainsi que l’objet et le but du traité d’amitié. Comme il a été dit plus haut à propos de la seconde exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis, l’analyse de l’ensemble des dispositions du traité qui constituent le contexte du paragraphe 1 de l’article III oriente nettement vers la conclusion que le traité vise à garantir des droits et à accorder des protections aux personnes physiques et morales qui exercent des activités de nature commerciale, même si ce dernier terme doit être compris dans un sens large. Il en va de même de l’objet et du but du traité, tels qu’ils ressortent du préambule, et dont on peut aussi trouver une indication dans l’intitulé du traité (traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires). La Cour en déduit qu’une entité qui exercerait exclusivement des activités de souveraineté, liées aux fonctions régaliennes de l’Etat, ne saurait se voir attribuer la qualification de «société» au sens du traité, et ne saurait par suite prétendre au bénéfice des droits et protections prévus aux articles III, IV et V.
La Cour note cependant que rien ne permet d’exclure a priori qu’une même entité exerce à la fois des activités de nature commerciale (ou plus largement, des activités d’affaires) et des activités souveraines. En pareil cas, puisque c’est la nature de l’activité effectivement exercée qui détermine la qualification de l’entité qui l’exerce, la personne morale dont il s’agit devrait être regardée comme une «société» au sens du traité dans la mesure où elle exerce des activités de nature commerciale, même si ce n’est pas à titre principal.
La Cour observe donc qu’elle doit se pencher sur la question de la nature des activités qu’exerce la banque Markazi. Plus précisément, elle doit examiner les activités que cette dernière exerçait sur le territoire des Etats-Unis lorsqu’ont été prises les mesures dont l’Iran allègue qu’elles ont violé les droits dont, selon lui, la banque Markazi bénéficierait en vertu des articles III, IV et V du traité.
Après avoir passé en revue les arguments présentés par les Parties à cet égard, la Cour considère qu’elle ne dispose pas de tous les éléments nécessaires pour déterminer si la banque Markazi exerçait, à l’époque pertinente, des activités de la nature de celles qui permettent de caractériser une «société» au sens du traité d’amitié, lesquelles auraient été susceptibles d’être affectées par les mesures dont l’Iran tire grief au regard des articles III, IV et V du traité. Ces éléments étant en grande partie de nature factuelle et étant par ailleurs étroitement liés au fond de l’affaire, la Cour estime qu’il ne pourra être statué sur la troisième exception qu’après que les Parties auront présenté leurs arguments dans la phase suivante de la procédure, dans le cas où elle déclarerait la requête recevable. Elle conclut donc que la troisième exception ne présente pas dans les circonstances de l’espèce un caractère exclusivement préliminaire.
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Etant compétente pour connaître d’une partie des demandes de l’Iran, lesquelles, d’ailleurs, n’étaient pas dans leur intégralité visées par les trois exceptions d’incompétence soulevées par les Etats-Unis, la Cour en vient à l’examen des exceptions d’irrecevabilité soulevées par le défendeur et qui visent à obtenir le rejet de la requête dans son ensemble.
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III. RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE (PAR. 100-125)
La Cour note que les Etats-Unis ont initialement soulevé deux exceptions d’irrecevabilité de la requête, à savoir premièrement qu’en s’appuyant sur le traité pour fonder la compétence de la Cour en cette affaire, l’Iran aurait commis un abus de droit et deuxièmement que, l’Iran n’ayant pas les «mains propres», la Cour ne saurait poursuivre la procédure. Elle observe toutefois que, à l’audience, les Etats-Unis ont précisé que leur première exception d’irrecevabilité était une exception fondée sur l’«abus de procédure» et non sur l’«abus de droit».
La Cour rappelle que, dans l’affaire des Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), elle a estimé que «[s]i la notion fondamentale d’abus est peut-être la même, les conséquences qu’emportent, d’une part, l’abus de droit, et de l’autre, l’abus de procédure, peuvent varier» (exceptions préliminaires, arrêt du 6 juin 2018, par. 146). Elle y a précisé qu’«[u]n abus de procédure se rapporte à la procédure engagée devant une cour ou un tribunal et peut être examiné au stade préliminaire de ladite procédure» (ibid., par. 150) et que «l’abus de droit ne peut être invoqué comme cause d’irrecevabilité alors que l’établissement du droit en question relève du fond de l’affaire» (ibid., par. 151).
La Cour relève que, dans leurs plaidoiries, les Etats-Unis ont soutenu que le différend ne relevait pas du traité d’amitié et que l’Iran ne pouvait dès lors pas entendre fonder la compétence de la Cour sur cet instrument. De son avis, l’exception fondée sur l’abus de procédure ne constitue pas une nouvelle exception mais une simple requalification d’une position déjà défendue par les Etats-Unis dans leurs exceptions préliminaires.
A. Exception fondée sur l’abus de procédure (par. 107-115)
S’agissant de la première exception, après avoir présenté les arguments des Parties, la Cour rappelle qu’elle a énoncé dans l’affaire des Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France) que seules des circonstances exceptionnelles peuvent justifier qu’elle rejette pour abus de procédure une demande fondée sur une base de compétence valable. Il doit exister, à cet égard, des éléments attestant clairement que le comportement du demandeur procède d’un abus de procédure (exceptions préliminaires, arrêt du 6 juin 2018, par. 150) (voir aussi Certaines terres à phosphates à Nauru (Nauru c. Australie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1992, p. 255, par. 38). La Cour fait observer qu’elle a déjà relevé que le traité d’amitié était en vigueur entre les Parties à la date de l’introduction de la requête iranienne, soit le 14 juin 2016, et qu’il contient en son article XXI une clause compromissoire visant sa compétence. Elle n’estime pas qu’il existe, en l’espèce, des circonstances exceptionnelles qui justifieraient qu’elle rejette la demande de l’Iran pour abus de procédure. La Cour conclut donc que la première exception d’irrecevabilité soulevée par les Etats-Unis doit être rejetée.
B. Exception fondée sur l’absence de «mains propres» (par. 116-124)
En ce qui concerne la deuxième exception, la Cour relève que les Etats-Unis n’ont pas soutenu que, par son comportement, l’Iran aurait violé le traité d’amitié sur lequel il fonde sa requête. Sans avoir à prendre position sur la doctrine des «mains propres», la Cour considère que, même s’il était démontré que le comportement du demandeur n’était pas exempt de critique, cela ne suffirait pas pour accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par le défendeur sur le fondement de la doctrine des «mains propres» (Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 38, par. 47 ; Délimitation maritime dans l’océan Indien (Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2017, p. 52, par. 142). Elle fait observer qu’une telle conclusion ne préjuge toutefois pas la question de savoir si les allégations des Etats-Unis, concernant notamment le parrainage et le soutien que l’Iran apporterait au terrorisme international ainsi que ses activités présumées en matière de
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non-prolifération nucléaire et de trafic d’armes, pourraient servir, le cas échéant, de défense au fond. La Cour conclut que la deuxième exception d’irrecevabilité soulevée par les Etats-Unis ne saurait être accueillie.
DISPOSITIF (PAR. 126)
LA COUR,
1) A l’unanimité,
Rejette la première exception préliminaire d’incompétence soulevée par les Etats-Unis d’Amérique ;
2) Par onze voix contre quatre,
Retient la deuxième exception préliminaire d’incompétence soulevée par les Etats-Unis d’Amérique ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Tomka, Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Gaja, Crawford, Salam, Iwasawa, juges ; M. Brower, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Bhandari, Robinson, Gevorgian, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
3) Par onze voix contre quatre,
Déclare que la troisième exception préliminaire d’incompétence soulevée par les Etats-Unis d’Amérique n’a pas dans les circonstances de l’espèce un caractère exclusivement préliminaire ;
POUR : M. Yusuf, président ; Mme Xue, vice-présidente ; MM. Abraham, Bennouna, Cançado Trindade, Bhandari, Robinson, Gevorgian, Salam, Iwasawa, juges ; M. Momtaz, juge ad hoc ;
CONTRE : MM. Tomka, Gaja, Crawford, juges ; M. Brower, juge ad hoc ;
4) A l’unanimité,
Rejette les exceptions préliminaires d’irrecevabilité soulevées par les Etats-Unis d’Amérique ;
5) A l’unanimité,
Dit qu’elle a compétence, sous réserve des points 2) et 3) du présent dispositif, pour se prononcer sur la requête déposée par la République islamique d’Iran le 14 juin 2016, et que ladite requête est recevable.
MM. les juges TOMKA et CRAWFORD joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion individuelle commune ; M. le juge GAJA joint une déclaration à l’arrêt ; MM. les juges ROBINSON et GEVORGIAN joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle ; MM. les juges ad hoc BROWER et MOMTAZ joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion individuelle.
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Annexe au résumé 2019/1
Opinion individuelle commune de MM. les juges Tomka et Crawford
Les juges Tomka et Crawford sont en désaccord avec la décision de la Cour de joindre au fond la troisième exception préliminaire des Etats-Unis. Selon eux, la question de savoir si la banque Markazi est une «société» au sens du traité d’amitié est une question d’ordre exclusivement préliminaire, sur laquelle la Cour aurait dû se prononcer à ce stade de l’instance.
La disposition qui a précédé l’article 79 du Règlement de la Cour conférait à celle-ci une plus grande latitude pour reporter l’examen des exceptions au stade du fond. Depuis les amendements apportés au Règlement en 1972, les exceptions ne peuvent être jointes au fond que si elles n’ont pas un caractère exclusivement préliminaire.
Selon les juges Tomka et Crawford, la question de savoir si la banque Markazi est une «société» au sens du traité d’amitié a fait l’objet d’une discussion exhaustive et les faits pertinents étaient connus de la Cour. En particulier, il n’était pas nécessaire que celle-ci détermine la nature des activités que la banque Markazi exerçait à l’époque où ses actifs ont été saisis en exécution de décisions rendues par des tribunaux fédéraux américains contre le Gouvernement de l’Iran. En conséquence, la troisième exception préliminaire revêtait un caractère exclusivement préliminaire et la Cour aurait dû se prononcer sur cette question à ce stade de l’instance.
Déclaration de M. le juge Gaja
La Cour aurait dû rejeter la troisième exception préliminaire d’incompétence. Le critère requis à cet égard était de déterminer s’il était plausible que la banque Markazi, en tant que société constituée conformément au droit iranien, jouisse des droits énoncés aux articles III, IV et V du traité d’amitié, en particulier celui que soit reconnu son statut juridique, et qu’il ait pu être porté atteinte à ces droits. Certaines activités d’une banque centrale ne diffèrent pas de celles d’une banque commerciale ; lorsqu’elle les exerce, la banque Markazi devrait se voir accorder la même protection au titre du traité d’amitié. Le paragraphe 4 de l’article XI confirme que les sociétés, associations, administrations et agences publiques sont régies par le traité d’amitié d’une manière générale, et pas seulement lorsqu’elles exercent des activités d’affaires.
Opinion individuelle de M. le juge Robinson
1. Dans l’exposé de son opinion individuelle, le juge Robinson explique les raisons pour lesquelles il ne souscrit pas à la conclusion énoncée au point 2 du dispositif de l’arrêt, par lequel la Cour a retenu la deuxième exception préliminaire d’incompétence soulevée par les Etats-Unis d’Amérique. Selon lui, la question d’une violation de l’obligation d’accorder une immunité souveraine ou d’exécution aux entités publiques exerçant des activités jure imperii se posait au regard du paragraphe 4 de l’article XI du traité d’amitié.
2. Le juge Robinson est d’avis que, en excluant les seules entreprises publiques se livrant à des activités commerciales de toute exemption en matière de poursuites judiciaires ou d’obligations d’un autre ordre applicables aux sociétés privées, le paragraphe 4 de l’article XI du traité d’amitié ne dispose pas expressément, ni ne laisse entendre, que les entreprises publiques exerçant des activités jure imperii seraient également privées de l’immunité dont elles bénéficieraient par ailleurs en vertu du droit international coutumier. Cette disposition implique au contraire clairement que ces entreprises jouissent alors d’une immunité souveraine en vertu du traité.
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3. Le juge Robinson estime que la question est de savoir si une interprétation du traité conforme au paragraphe 1 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités porte à conclure qu’une violation alléguée de l’immunité des entreprises publiques exerçant des activités jure imperii entre dans les prévisions de cet instrument. Il s’agit en effet de rechercher s’il existe un «rapport raisonnable» entre celui-ci et la demande d’immunité souveraine.
4. Selon le juge Robinson, il existe un lien intrinsèque et organique entre les activités jure imperii et jure gestionis qui est propre au traité, prévu et couvert par celui-ci et, partant, qui y est régi dans tous ses aspects, y compris par le recours aux règles coutumières en matière d’immunités. C’est en raison de ce lien que lesdites règles se trouvent incorporées dans le régime conventionnel du traité pour une entité publique exerçant des activités jure imperii, et qu’il y a lieu de raisonner par déduction.
5. Cette conclusion est, selon le juge Robinson, tout à fait conforme à l’objet et au but du traité, à savoir développer au maximum le commerce, les investissements et les relations économiques entre les peuples des deux pays. L’octroi de l’immunité aux sociétés publiques qui exercent des activités souveraines ou gouvernementales est tout aussi important et nécessaire pour la réalisation de ces objet et but que le refus de l’immunité à ces mêmes sociétés lorsqu’elles se livrent à des activités commerciales. Dans le cadre de l’exercice régulier de ses fonctions, une entité publique telle que la banque centrale d’une Partie doit exercer sur le territoire de l’autre un ensemble d’activités souveraines ou gouvernementales ; ces activités sont tout aussi essentielles à la réalisation de l’objet et du but susmentionnés que celles d’une société privée.
6. Le juge Robinson conclut que la troisième exception préliminaire aurait dû être rejetée au motif que, après examen attentif du traité, la question des immunités souveraines et de la violation alléguée de celles-ci peut être considérée comme étant couverte par cet instrument, et lesdites immunités, comme faisant partie de l’objet et du but de celui-ci. Selon lui, il existe un lien raisonnable entre la question des immunités souveraines accordées aux entités publiques et le traité, et ce lien, opéré par l’objet et le but dudit instrument, était suffisant pour conférer compétence à la Cour. Le refus allégué d’accorder à la banque Markazi une immunité souveraine ou d’exécution relevait du champ d’application du paragraphe 4 de l’article XI. En conséquence, la Cour aurait dû conclure à l’existence d’un différend entre les Parties quant à l’interprétation ou à l’application du traité, ce qui lui conférait compétence en vertu du paragraphe 2 de l’article XXI.
Opinion individuelle de M. le juge Gevorgian
Dans l’exposé de son opinion individuelle, le juge Gevorgian explique les raisons pour lesquelles il est en désaccord avec le fait que la Cour se soit déclarée incompétente pour connaître des demandes de l’Iran relatives aux immunités de la banque Markazi, au motif que le traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires signé par l’Iran et les Etats-Unis en 1955 n’incorporerait pas la norme de droit international coutumier concernant les immunités dont bénéficient les actifs de la banque centrale d’un pays. Selon lui, les mesures législatives et exécutives prises par les Etats-Unis à l’encontre de l’Iran, qui ont conduit à la saisie des actifs de la banque Markazi (la banque centrale iranienne), entrent dans les prévisions d’au moins deux dispositions du traité de 1955.
Premièrement, les restrictions imposées par les Etats-Unis aux immunités de la banque Markazi sont susceptibles d’avoir porté atteinte au droit d’accès de celle-ci aux tribunaux, droit protégé par le paragraphe 2 de l’article III du traité. Deuxièmement, compte tenu du rôle essentiel que joue la banque centrale de l’Iran dans les activités commerciales des sociétés iraniennes aux Etats-Unis, il est possible que la saisie des actifs de cette banque ait rendu illusoire la liberté de
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commerce de l’Iran avec les Etats-Unis, telle que protégée par le paragraphe 1 de l’article X du traité.
Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Brower
Le juge ad hoc Brower est d’avis que, en exposant ses arguments concernant la doctrine des «mains propres», le défendeur s’est référé de manière incomplète aux écrits du juge Schwebel, ancien président de la Cour, et de M. John Dugard. Il ressort en effet d’une lecture approfondie de ces textes que leurs auteurs n’étaient pas convaincus que cette doctrine s’appliquait au règlement des différends interétatiques. Les Etats-Unis se sont en outre référés à l’exposé de l’opinion individuelle du juge Hudson en l’affaire des Prises d’eau à la Meuse, dans lequel étaient examinés les principes d’équité au regard du droit international ; selon le défendeur lui-même, il n’était cependant pas satisfait à l’une des conditions requises pour l’application de ces principes, auxquels la doctrine des «mains propres» serait assimilable.
Le juge ad hoc Brower estime qu’il est une autre raison pour laquelle l’article XX du traité d’amitié ne constitue pas une limitation de compétence, à savoir qu’il ne s’agit pas d’une clause discrétionnaire. De telles clauses ont été insérées dans un certain nombre de traités de commerce ; si les Parties avaient souhaité que l’article XX soit d’application discrétionnaire, elles l’auraient indiqué explicitement dans son libellé.
Le juge ad hoc Brower est d’avis que, étant donné que le traité d’amitié contient des dispositions prévoyant expressément l’immunité dans le domaine des relations consulaires et diplomatiques, l’on ne saurait considérer que l’immunité des Etats et des entités étatiques y est implicitement prévue. Cette conclusion découle de l’application de la règle d’interprétation expressio unius est exclusio alterius. De plus, le juge ad hoc Brower estime que le fait d’interpréter le traité d’amitié comme prévoyant l’immunité étatique par référence à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 13 de la convention de Vienne sur le droit des traités reviendrait à récrire le traité lui-même. Il relève en outre que les termes employés de manière répétée dans cet instrument confirment que celui-ci a un caractère purement commercial. Le juge ad hoc Brower considère également que les sources sur lesquelles le demandeur s’est fondé pour étayer son interprétation a contrario du paragraphe 4 de l’article XI du traité d’amitié ne lui sont d’aucun secours, puisqu’elles démontrent, à l’inverse, qu’une interprétation a contrario d’une disposition ne saurait l’emporter sur le sens ordinaire de celle-ci.
Le juge ad hoc Brower est en désaccord avec la conclusion de la Cour concernant la troisième exception d’incompétence. Selon lui, cette question avait un caractère exclusivement préliminaire et, partant, aurait dû être tranchée à ce stade de la procédure. L’Iran n’a présenté aucun élément de preuve attestant que la banque Markazi aurait effectivement mené des activités commerciales, ce qui est nécessaire pour qu’elle soit considérée comme une «société» au sens du traité d’amitié. La loi monétaire et bancaire iranienne de 1972, telle qu’amendée, confirme que la banque Markazi ne peut mener aucune activité autre que souveraine. De surcroît, l’Iran a toujours soutenu devant les tribunaux américains que, à l’époque pertinente, la banque menait des activités souveraines. Le juge ad hoc Brower estime que le demandeur ne peut «souffler en même temps le chaud et le froid». Il conclut que la Cour disposait de tous les éléments pertinents ; au vu de ceux qui lui ont été présentés par les Parties à ce stade de la procédure, il ne voit pas comment la Cour aurait pu ne pas juger que la banque Markazi n’est pas une «société» au sens du traité d’amitié.
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Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Momtaz
Introduction
Les Parties, tant par leurs écritures qu’au cours de leurs plaidoiries, se sont opposées sur le sens et la portée du paragraphe 4 de l’article XI du traité d’amitié. Le différend qui en résulte n’ayant pu être réglé d’une manière satisfaisante par la voie diplomatique, il relève incontestablement de la compétence de la Cour, en vertu de la clause compromissoire du paragraphe 2 de l’article XXI du traité. Elle aurait donc dû rejeter la deuxième exception d’incompétence soulevée par les Etats-Unis et trancher ledit différend au stade du fond, en interprétant le paragraphe 4 de l’article XI à la lumière des règles du droit international.
I. L’interprétation à la lumière de l’objet et du but du traité
Selon le préambule du traité, les parties ont entendu «encourager les échanges et les investissements mutuellement profitables et l’établissement de relations économiques plus étroites entre leurs peuples». La Cour en a tiré comme conséquence que l’objet et le but de ce traité n’étaient pas d’organiser des relations pacifiques et amicales entre les deux Etats. Dès lors, l’article premier du traité affirmant qu’il y aura paix stable et durable et amitié sincère entre les parties et qui, selon la Cour, inspire l’ensemble du traité doit, en cas de doute, «inciter la Cour à adopter l’interprétation qui semble la plus conforme à l’objectif général d’établir des relations amicales dans tous les domaines d’activité couverts par le traité» (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique, exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 820, par. 52). Dans la mesure où la violation de l’immunité souveraine de la banque centrale de l’Iran, pour ce qui est de ses activités à titre souverain (jure imperii), est susceptible d’entraver la liberté de commerce entre les parties, le paragraphe 4 de l’article XI devait, à mon avis, être interprété à la lumière de l’objectif général du traité.
II. L’interprétation du paragraphe 4 de l’article XI à la lumière de l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités (CVDT)
Selon cette disposition de la CVDT, l’interprétation se fera aussi en tenant compte «de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties». Dans l’affaire des Plates-formes pétrolières, la Cour n’avait pas hésité à se fonder sur les règles relatives à l’emploi de la force pour interpréter l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article XX du traité et mettre en cause la licéité des mesures prises par les Etats-Unis pour protéger ses intérêts vitaux sur le plan de la sécurité (Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2003, p. 182, par. 41). Il n’y a aucune raison, dans le différend qui oppose les Parties dans la présente affaire, pour que la Cour ne se fonde pas sur les règles relatives à l’immunité pour interpréter le paragraphe 4 de l’article XI du traité.
III. L’interprétation a contrario du paragraphe 4 de l’article XI
Selon la Cour, une telle interprétation ne peut «être retenue que si elle se justifie à la lumière du libellé de l’ensemble des dispositions pertinentes, de leur contexte ainsi que de l’objet et du but du traité» (Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 116, par. 35). Dans le cas d’espèce, l’interprétation a contrario du paragraphe 4 de l’article XI serait susceptible d’amener la Cour à conclure que le champ d’application du traité, et notamment la portée du terme «société», n’exclut pas les entités qui exercent des activités jure imperii. Il s’agit d’une interprétation par ailleurs conforme au
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paragraphe 1 de l’article III du traité qui donne une définition large et évolutive de ce terme. Dans un passé récent, la Cour a relevé que les termes génériques contenus dans les traités peuvent avoir «un sens ou un contenu évolutif et non pas intangible, pour tenir compte notamment de l’évolution du droit international» (Différend relatif à des droits de navigation et des droits connexes (Costa Rica c. Nicaragua), arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 242, par. 64).
Conclusion
Il convient de souligner que le fondement des mesures d’exécution prises à l’encontre de la banque centrale, à savoir l’amendement de 1996 à la loi fédérale américaine sur l’immunité des Etats étrangers (FSIA), privant un Etat de son immunité en raison de la gravité de l’acte commis, est contraire au droit international. Selon la Cour, «en l’état actuel du droit international coutumier, un Etat n’est pas privé de l’immunité pour la seule raison qu’il est accusé de violations graves du droit international des droits de l’homme ou du droit international des conflits armés» (Immunités juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 139, par. 91).
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Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. Etats-Unis d’Amérique) - Résumé de l’arrêt du 13 février 2019

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