Observations écrites des Etats-Unis d'Amérique

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169-20180515-WRI-08-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
15237
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
OBSERVATIONS ÉCRITES DES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
15 mai 2018
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
Chapitre I Introduction ..................................................................................................................... 1
Chapitre II Pouvoir discrétionnaire de la Cour de ne pas répondre à la demande de
l’Assemblée générale .................................................................................................................. 4
A. Les questions mentionnées sont directement liées à un différend territorial bilatéral en
cours entre Maurice et le Royaume-Uni .................................................................................. 6
B. La jurisprudence de la Cour confirme les graves craintes inhérentes à tout avis
consultatif relatif à un différend territorial bilatéral qui serait rendu sans le
consentement des parties ...................................................................................................... 7
C. Aucun des autres facteurs recensés n’est de nature à apaiser les graves craintes
relatives à l’opportunité de l’exercice de la compétence de la Cour soulevées par la
demande ................................................................................................................................ 10
D. Le principe du consentement commande un respect particulier lorsque la demande
porte sur un conflit de souveraineté sur un territoire ............................................................. 13
Chapitre III Considérations relatives aux questions posées ......................................................... 15
A. La Cour devrait examiner les documents historiques à la lumière des sources établies
du droit international, telles qu’elles sont mentionnées dans son Statut et analysées en
détail dans sa jurisprudence ................................................................................................... 16
B. Les sources citées par les exposés écrits faisant état de l’émergence d’une règle de
droit international coutumier ne corroborent pas cette conclusion ........................................ 19
C. Aucune règle de droit international coutumier n’obligeait le Royaume-Uni à organiser
un référendum avant l’indépendance de Maurice .................................................................. 34
Chapitre IV Observations complémentaires ................................................................................ 38
Chapitre V Conclusion .................................................................................................................... 42
___________
CHAPITRE I
INTRODUCTION
1.1. Conformément aux ordonnances rendues par la Cour le 14 juillet 2017 et le
17 janvier 2018, les Etats-Unis formulent dans la présente leurs observations écrites en réponse aux
exposés écrits soumis par d’autres Etats et organisations le 1er mars 2018 ou avant cette date. Les
Etats-Unis remercient à nouveau la Cour de l’occasion qui leur a été donnée de présenter leurs
observations.
1.2. Dans leur exposé écrit du 1er mars 2018, les Etats-Unis ont énuméré les raisons décisives
pour lesquelles la Cour ne devrait pas rendre un avis consultatif en l’espèce. Après avoir
soigneusement examiné tous les exposés écrits soumis à la Cour, les Etats-Unis réaffirment leur
position selon laquelle la Cour devrait refuser d’exercer sa compétence consultative dans cette
affaire.
1.3. La présente affaire pose des défis fondamentaux pour l’intégrité de la fonction judiciaire
de la Cour en invitant celle-ci à examiner toute une série de questions juridiques liées à un
différend bilatéral en cours entre Maurice et le Royaume-Uni et à tirer des conclusions de cette
analyse.
1.4. Pour mémoire, dans sa résolution 71/292, l’Assemblée générale avait demandé à la Cour
de rendre un avis consultatif sur deux questions :
a) Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son
indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au
regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de
l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232
(XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?
b) Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées
dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne
l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses
nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ?
1.5. Le chapitre II commence par souligner les points importants faisant l’objet d’un
consensus dans les déclarations écrites, y compris au regard des circonstances qui pourraient inciter
la Cour à user de son pouvoir discrétionnaire pour refuser de répondre à la demande de
l’Assemblée générale. Lesdites circonstances sont évidentes en l’espèce, puisque les questions
posées portent sur un différend territorial bilatéral entre Maurice et le Royaume-Uni. À moins que
la Cour ne parvienne à éviter d’aborder ce différend  ce qui est difficile à imaginer , répondre
à la demande tournerait le principe fondamental selon lequel un Etat ne peut pas être obligé de
soumettre ses différends à un règlement judiciaire sans son consentement.
1.6. Le chapitre II explique ensuite pourquoi aucun des arguments en faveur d’une réponse
aux questions posées ne saurait apaiser de très graves craintes quant à l’opportunité de recourir à la
compétence consultative de la Cour dans une affaire portant essentiellement sur un différend
bilatéral de souveraineté en cours. Nul ne semble contester dans les exposés écrits que la présente
affaire porte directement sur un différend de ce type. De fait, bon nombre des exposés écrits
confirment cette réalité et certains vont même jusqu’à approuver le recours à la compétence
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consultative de la Cour dans le but de tenter de résoudre ledit différend de souveraineté. Les Etats-
Unis et un certain nombre d’autres Etats soulignent cependant que la Cour devrait procéder avec la
plus grande prudence face à un effort aussi manifeste visant à tourner le principe fondamental du
consentement au règlement judiciaire1. Certains Etats, dont les Etats-Unis ont également mis en
garde contre les effets d’une telle attitude en ce qui concerne le brouillage de la distinction
délibérée entre la compétence contentieuse, fondée sur le consentement, de la Cour et sa
compétence consultative2.
1.7. Pour ces raisons, comme les Etats-Unis l’ont fait observer dans leur exposé écrit, il
incombe à la Cour de déterminer si elle peut répondre à la question a)d’une manière compatible
avec le principe du consentement au règlement judiciaire.
1.8. Il ne fait aucun doute que répondre à la question a)aurait pour effet d’impliquer la Cour
dans un différend bilatéral que le Royaume-Uni n’a pas consenti à lui soumettre en vue d’un
règlement judiciaire. Il convient notamment de relever qu’un certain nombre d’exposés écrits
reconnaissent que le détachement de l’archipel des Chagos n’aurait pas revêtu un caractère illégal
s’il avait reflété le consentement librement exprimé de la population de ce territoire3. Pour sa part,
Maurice suggère que l’accord, confirmé par les deux parties après l’indépendance et considéré par
un tribunal arbitral comme énonçant des obligations contraignantes pour les deux Etats, ne reflétait
pas et ne pouvait pas refléter un tel consentement4.
Cependant, comme indiqué au chapitre II, il
serait inapproprié pour la Cour de procéder, dans le cadre de la présente procédure consultative, à
une évaluation de la validité d’un accord bilatéral5.
1.9. La position des Etats-Unis demeure donc inchangée : la Cour devrait refuser de répondre
aux questions posées. Cela étant, dans l’éventualité où la Cour déciderait de répondre à la
question a), la réponse devrait être que le processus de décolonisation de Maurice a pris fin
régulièrement en 1968. Dans leur exposé écrit, les Etats-Unis ont exposé leur analyse et les raisons
pour lesquelles l’analyse historique appelle cette conclusion6.
1.10. Dans le chapitre III, les Etats-Unis répondent aux arguments soulevés dans une partie
des exposés écrits, à savoir que le droit international interdisait à l’époque considérée
l’établissement du Territoire britannique de l’océan Indien (BIOT).
1.11. A supposer qu’elle réponde à la question a), la Cour devrait déterminer l’état du droit à
l’époque considérée7. Les exposés écrits ayant abordé cette question concluent généralement que
ladite époque devrait être l’année 1965 (au cours de laquelle le Royaume-Uni a établi le BIOT) ou,
1 Voir, plus bas, le par. 2.3.
2 Voir notamment l’exposé écrit de l’Australie, par. 40 à 44 ; l’exposé écrit de l’Allemagne, par. 37 ; et l’exposé
écrit des Etats-Unis, par. 5.1.
3 Voir, plus bas, le par. 3.49 et plus particulièrement la note de bas de page 137.
4 Exposé écrit de Maurice, par. 1.41(vi) et 6.3(6).
5 Voir, plus bas, le par. 2.10.
6 Exposé écrit des Etats-Unis, chapitre IV.
7 Idem, par. 4.23 et 4.24 ; voir aussi, plus bas, les par. 3.11 à 3.15.
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au plus tard, 1968 (année de l’accès de Maurice à l’indépendance)8 ; ils divergent cependant sur
l’état du droit applicable à l’époque et sur la manière dont la Cour pourrait le déterminer.
1.12. La plupart de ces arguments ne décrivent pas avec précision la manière dont la Cour
devrait déterminer une règle pertinente de droit international coutumier, ou bien tirent de l’analyse
historique de l’affaire des conclusions erronées sur la pratique et les conceptions des Etats sur ce
point. Par conséquent, lesdits arguments ne parviennent pas à démontrer l’existence à l’époque
considérée d’une obligation juridique spécifique qui aurait conféré un caractère illégal à la création
du BIOT.
1.13. La manière dont les différents exposés écrits abordent les questions posées est
implicite : la réponse à la question b) est liée à la question a)9.
Cette interprétation étaye la
conclusion, comme les Etats-Unis l’ont expliqué dans leur exposé écrit10, selon laquelle si la Cour
ne peut pas, pour des raisons d’opportunité ou autres, fournir une réponse à la question a), ou bien
si elle répond à la même question a) par l’affirmative (c’est-à-dire que la décolonisation de
Maurice a régulièrement pris fin en 1968), il devient superflu de répondre à la question b).
1.14. Les Etats-Unis estiment donc qu’il n’est pas nécessaire d’aborder la question b) en
détail. Ils préfèrent formuler au chapitre IV plusieurs observations sur d’autres exposés écrits et
notamment repérer plusieurs hypothèses reposant sur une vue simpliste ou incomplète de
l’ensemble complexe des questions en jeux.
1.15. Le chapitre V se termine en exhortant à nouveau la Cour, dans le but de préserver
l’intégrité de sa fonction judiciaire, à refuser de répondre à la demande d’avis consultatif. Les
exposés écrits soumis à la Cour divergent quant à la réponse appropriée à cette demande. Pourtant,
force est de constater l’absence de désaccord sur l’impact direct et important des questions posées
sur un différend bilatéral en cours portant sur la souveraineté sur un territoire. Les tentatives visant
à présenter les questions juridiques en jeu dans ce différend comme susceptibles de guider
l’Assemblée générale dans l’exercice de son mandat de décolonisation ne sauraient modifier cette
réalité ou supplanter le principe du consentement au règlement judiciaire en tant que limitation
majeure à la compétence consultative de la Cour.
8 Voir, plus bas, le par. 3.3.
9 Voir, par exemple, l’exposé écrit de Maurice, par. 1.40 (notant que la réponse à la seconde question «est
inextricablement liée à la première») ; l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 33 (décrivant les questions comme
«interdépendantes, complémentaires»).
10 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.17 et 4.75.
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CHAPITRE II
POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DE LA COUR DE NE PAS RÉPONDRE À LA DEMANDE DE
L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
2.1. Comme certains Etats l’ont reconnu dans leur exposé écrit, le pouvoir de la Cour de
donner un avis consultatif est purement discrétionnaire11, puisque celle-ci a «l’obligation de
s’assurer, chaque fois qu’elle est saisie d’une demande d’avis, de l’opportunité d’exercer sa
fonction judiciaire»12.
2.2. Il convient de relever que les exposés écrits analysant la manière dont la Cour exerce
son pouvoir discrétionnaire s’accordent sur trois points supplémentaires :
a) La Cour, tout en ayant conscience de ses obligations en qualité d’organe judiciaire principal des
Nations Unies, admet elle-même qu’elle devrait refuser de donner un avis consultatif en
présence de «raisons décisives»13.
b) L’une de ces raisons décisives vise les circonstances dans lesquelles «accepter de répondre
aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu de soumettre un
différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant»14.
c) Les questions mentionnées visent un différend de souveraineté en cours sur un territoire dans
lequel l’une des parties n’a pas consenti au règlement judiciaire par la Cour15.
11 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 50 ; l’exposé écrit de l’Allemagne, par. 22 ; l’exposé
écrit de l’Australie, par. 27 ; l’exposé écrit du Brésil, par. 9 ; l’exposé écrit de la Chine, par. 16 ; l’exposé écrit de
Djibouti, par. 19 ; l’exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 11 ;l’exposé écrit de la France, par. 4 et 5 ;l’exposé écrit
du Guatemala, par. 19 ; l’exposé écrit d’Israël, par. 2.1 ;l’exposé écrit du Liechtenstein, par. 14 ;l’exposé écrit de
Maurice, par. 5.18 ;l’exposé écrit de la République de Corée, par. 7 ; l’exposé écrit du Royaume-Uni, par. 7.1 ; l’exposé
écrit de la Serbie, par. 19.
12 Conséquences juridiques de 1’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif ;
C.I.J. Recueil 2004 (I) [ci-après «Edification d’un mur»], p. 136, par. 45.
13 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 54 ; l’exposé écrit de l’Australie, par. 28 ; l’exposé
écrit de Chypre, par. 19 ; l’exposé écrit de Djibouti, par. 19 ; l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 3.3 ; l’exposé écrit de la
France, par. 5 ; l’exposé écrit des Îles Marshall, par. 14 ; l’exposé écrit d’Israël, par. 2.3 ; l’exposé écrit du Liechtenstein,
par. 15 ; l’exposé écrit de Maurice, par. 5.19 ; l’exposé écrit de la République de Corée, par. 7 ; l’exposé écrit du
Royaume-Uni, par. 7 à 10 ; l’exposé écrit de la Serbie, par. 19 ; l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 37 et 53.
14 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 12 [ci-après «Sahara occidental»], par. 32 et 33.
Voir l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 205 et 206 ; l’exposé écrit de l’Argentine, par. 26 ; l’exposé écrit de
l’Australie, par. 35 et 36 ; l’exposé écrit du Brésil, par. 11 ; l’exposé écrit du Chili, par. 5 ; l’exposé écrit de la Chine,
par. 16 ; l’exposé écrit de Chypre, par. 24 ; l’exposé écrit de Djibouti, par. 23 ; l’exposé écrit de la France, par. 7 ;
l’exposé écrit de l’Allemagne, par. 34-36 ; l’exposé écrit du Guatemala, par. 26 ; l’exposé écrit d’Israël, par. 3.1 ;
l’exposé écrit de Maurice, par. 5.29 ; l’exposé écrit de la République de Corée, par. 12 ; l’exposé écrit de la Fédération de
Russie, par. 29 et 30 ; l’exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 43 ; l’exposé écrit du Royaume-Uni, par. 7.15 e) ; l’exposé
écrit des Etats-Unis, par. 3.3.
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2.3. Il est vrai que la présente Cour n’a pas encore usé de son pouvoir discrétionnaire pour
refuser de répondre à une demande d’avis consultatif émanant de l’Assemblée générale. Or, les
circonstances de l’espèce englobent justement les raisons précises et décisives qui, selon la Cour ellemême
au vu des avis consultatifs qu’elle a rendus, seraient de nature à l’inciter à refuser de répondre.
Il est difficile de voir comment la Cour pourrait répondre aux questions posées sans toucher
directement au coeur d’un différend bilatéral en cours sur la souveraineté territoriale. Un certain
nombre d’Etats  à savoir l’Allemagne, l’Australie, le Chili, la Chine, les Etats-Unis, la Fédération de
Russie, la France, Israël, la République de Corée et le Royaume-Uni  ont exhorté la Cour à faire
montre de prudence afin d’éviter de réagir d’une manière qui équivaudrait à statuer sur le différend de
souveraineté sous-jacent ou à porter atteinte aux positions juridiques des parties à ce différend.
2.4. Le présent chapitre commence par décrire, dans sa section A, dans quelle mesure les
exposés écrits confirment la relation directe entre la présente demande d’avis consultatif et le
différend territorial sous-jacent entre Maurice et le Royaume-Uni. La section B analyse ensuite la
jurisprudence de la Cour relative à l’application du principe fondamental du consentement au
règlement judiciaire dans le contexte d’un avis consultatif, en mettant l’accent sur le raisonnement
tenu par cette juridiction dans son avis sur le Sahara occidental. La section C explique qu’aucun
autre facteur mentionné dans les exposés écrits  en particulier le caractère erga omnes des
obligations découlant de l’autodétermination ou le prétendu intérêt de l’Assemblée générale dans le
différend bilatéral sur le statut de l’archipel des Chagos  ne saurait dissiper les sérieuses craintes
soulevées par la présente demande sous l’angle de l’opportunité judiciaire. Enfin, la section D
rappelle la nécessité de veiller tout particulièrement au respect du principe du consentement au
règlement judiciaire dès lors qu’une demande vise un différend relatif à la souveraineté territoriale.
15 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Argentine, par. 23 (reconnaissant que le différend porte « sur des sujets
liés directement aux questions posées par l’Assemblée générale à la Cour ») ; l’exposé écrit de l’Australie, par. 5 (« En
réalité, l’Assemblée générale demande à la Cour de statuer sur un différend bilatéral préexistant entre le Royaume-Uni et
Maurice…») ; l’exposé écrit du Chili, par. 5 (« [l]e Chili sait que la demande d’avis consultatif concerne un différend
territorial opposant actuellement Maurice et le Royaume-Uni, lequel ne reconnaît pas la compétence de la Cour à cet
égard…») ; l’exposé écrit de la Chine, par. 19 (« la Chine encourage et invite les Etats concernés à faire preuve de bonne
foi et à rechercher une solution adaptée aux questions qui les opposent par la négociation ou tous autres moyens
pacifiques convenus entre elles. ») ; l’exposé écrit de la France, par. 15 à 19 (notant que l’objet réel de la demande d’avis
est de parvenir au règlement d’un différend qui oppose les parties concernées) ; l’exposé écrit de l’Allemagne, par. 34
(notant que « la Cour ne peut trancher dans un cadre contentieux le différend bilatéral formant la toile de fond de la
demande d’avis consultatif parce que l’exercice de sa compétence à cet égard est régi par le principe prépondérant de
consentement ») ; l’exposé écrit de l’Inde, par. 8 (notant que Maurice a décidé de saisir la Cour internationale de Justice,
par l’intermédiaire de l’Assemblée générale des Nations Unies, afin d’obtenir un avis consultatif sur la question) ;
l’exposé écrit d’Israël, par. 3.8 (« Maurice a ouvertement reconnu que la présente procédure consultative a été déclenchée
précisément parce que les négociations bilatérales visant à régler son différend avec le Royaume-Uni ont, selon elle,
échoué » ; l’exposé écrit des Îles Marshall, par. 15 [«[m]ême si la question politique globale de la situation des Chagos
présente des aspects bilatéraux importants  si ce n’est essentiels , les points sur lesquels l’Assemblée générale a
sollicité l’avis de la Cour dépassent la dimension purement bilatérale »] ; l’exposé écrit de la Fédération de Russie,
par. 32 [notant que la Cour est appelée à examiner une requête pour avis consultatif qui, en réalité, la saisit non pas d’un
simple différend, mais d’un différend territorial bilatéral auquel doit s’appliquer «un critère supérieur» d’acceptation] ;
l’exposé écrit du Royaume-Uni, par. 7.16 [notant que répondre à la demande « nécessiterait que la Cour … aborde
d’autres questions qui sont depuis longtemps en litige dans un différend bilatéral»] ; l’exposé écrit des Etats-Unis,
par. 1.2 [« [l]es Etats-Unis ont voté contre la résolution de l’Assemblée générale demandant à la Cour de rendre un avis
consultatif, dans la mesure où ils considèrent que les questions soulevées concernent un différend territorial bilatéral entre
Maurice et le Royaume-Uni à propos de la souveraineté sur l’archipel des Chagos.»].
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A. Les questions mentionnées sont directement liées à un différend territorial
bilatéral en cours entre Maurice et le Royaume-Uni
2.5. Les conclusions des autres Etats  en particulier celles de Maurice et du Royaume-Uni
 indiquent clairement que les questions posées sont directement liées à des aspects essentiels du
différend bilatéral en cours relatif à la souveraineté sur l’archipel des Chagos16.
2.6. Les déclarations révèlent également la mesure dans laquelle les positions juridiques des
parties dans la présente procédure font écho à celles présentées précédemment par les mêmes
parties lors des procédures contentieuses menées dans le cadre de l’arbitrage concernant l’Aire
marine des Chagos17.
2.7. La relation directe entre les questions posées et le différend territorial bilatéral est
particulièrement évidente en ce qui concerne une question centrale sur laquelle Maurice et le
Royaume-Uni s’opposent  à savoir le statut juridique de l’accord bilatéral conclu en 1965
concernant l’archipel des Chagos  comme ils l’ont confirmé ensuite par une série de déclarations
et d’actions jusqu’en 1980 au moins.
2.8. L’une des principales pierres d’achoppement dans ce différend territorial en cours tient à
la question de savoir si l’accord de 1965 et des affirmations subséquentes peuvent s’interpréter
comme un consentement valide de Maurice à l’établissement du BIOT, sous réserve de certaines
conditions négociées sur la gestion et l’aliénation future de l’archipel des Chagos. Les déclarations
écrites de Maurice et du Royaume-Uni révèlent la profondeur de leur désaccord sur ce point et
d’autres questions connexes18.
2.9. La question du consentement à l’établissement du BIOT tient une place centrale dans la
mesure où, comme indiqué au chapitre III, bon nombre d’exposés écrits reconnaissent la possibilité
de procéder à des ajustements des limites administratives d’un territoire non autonome avec le
16 Voir notamment l’exposé écrit de Maurice, p. 285 (dans lequel celle-ci tente de trouver une conclusion de la
Cour pouvant être interprétée comme indiquant que le processus de décolonisation n’a pas été légalement mené à terme et
que, par conséquent, Maurice devrait pouvoir exercer sa souveraineté sur l’archipel des Chagos) ; l’exposé écrit du
Royaume-Uni, par. 1.2 (dans lequel le différend au sujet de l’archipel des Chagos est analysé comme constituant « la
question centrale à l’origine de la demande d’avis consultatif »).
17 Comparer l’exposé écrit de Maurice, par. 6.63 («Ainsi, dans le cas de Maurice, l’entité d’autodétermination – à
laquelle la puissance administrante avait l’obligation d’accorder le droit à l’autodétermination  était la totalité du
territoire de Maurice avant l’indépendance. Ce territoire comprenait l’Archipel des Chagos.») à l’arbitrage concernant
l’aire marine protégée des Chagos (Maurice c. Royaume-Uni) [ci-après l’arbitrage concernant l’Aire marine des Chagos],
C.P.A., affaire n° 2011-03 (Cour permanente d’arbitrage 2015) à l’exposé écrit de Maurice, par. 6.63. («Ainsi, dans le cas
de Maurice, l’entité d’autodétermination – à laquelle la puissance administrante avait l’obligation d’accorder le droit à
l’autodétermination  était la totalité du territoire de Maurice avant l’indépendance. Ce territoire comprenait l’Archipel
des Chagos.») Comparer l’exposé écrit de Maurice, par. 6.68 («l’Assemblée générale a reconnu le territoire non divisé de
Maurice comme l’entité d’autodétermination dans sa résolution 2066 [XX] sur la question de Maurice.») à l’arbitrage
concernant l’Aire marine des Chagos, cité plus haut.»). Comparer l’exposé écrit de Maurice, par. 6.96 (2) («le prétendu
«consentement» qui fut donné fut obtenu par la contrainte dans des circonstances où l’accord était forcément vicié.») à
l’arbitrage concernant l’Aire marine des Chagos, cité plus haut, tel qu’il est cité dans l’exposé écrit de Maurice, par. 6.29
(«Il est clair que «la volonté librement exprimée» du peuple de Maurice n’a pas été obtenue. Le consentement des
ministres mauriciens a été arraché dans des circonstances s’apparentant à de la contrainte [traduction du Greffe]).
18 Comparer l’exposé écrit de Maurice, par. 6.3 6) (déclarant que la pression exercée sur les représentants
mauriciens en 1965 «viciait tout consentement supposé de la part de la population de Maurice ou de ses représentants») à
celui du Royaume-Uni, par. 8.13-8.15 (réfutant les arguments avancés par Maurice dans l’arbitrage concernant l’Aire
marine des Chagos selon lesquels l’établissement du BlOT n’avait pas fait l’objet d’un consentement valide) et par. 8.22
(«[c]e sont des choix informés et libres que Maurice a exercés volontairement en 1965, 1967 et 1968»).
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consentement de la population19. Le point de savoir si un consentement valide a bien été donné,
soit sous la forme de l’accord de 1965 soit en vertu de déclarations subséquentes, est donc
directement lié aux positions juridiques respectives des parties dans leur différend territorial.
2.10. En même temps, se prononcer sur le statut d’un accord bilatéral  en particulier
lorsqu’un tribunal arbitral l’a déjà interprété et appliqué dans une procédure contentieuse entre les
parties  relève d’une question échappant, par essence, au contrôle de la Cour en l’absence d’une
volonté commune des parties de soumettre leur différend à cette juridiction en vue d’un règlement
judiciaire20. Ce point est au centre du différend de souveraineté territoriale et conforte la position
adoptée dans leurs exposés écrits par les Etats-Unis et d’autres, selon laquelle répondre à la
demande de l’Assemblée générale «équivaudrait en substance à trancher un différend entre les
parties.» 21
B. La jurisprudence de la Cour confirme les graves craintes inhérentes
à tout avis consultatif relatif à un différend territorial bilatéral
qui serait rendu sans le consentement des parties
2.11. Nombreux sont les Etats ayant mentionné l’avis consultatif sur le Sahara occidental
dans le cadre de l’analyse du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’exercer ou pas sa compétence
consultative22.
Les Etats-Unis conviennent que les principes discutés dans cette instance sont au
coeur de la question soulevée dans la présente affaire. Cependant, l’analyse minutieuse de l’avis
consultatif sur le Sahara occidental révèle que l’application en l’espèce de l’approche adoptée dans
cette affaire par la Cour conduirait à ne pas donner suite à la demande au motif qu’une décision
contraire aurait pour effet de tourner le principe du consentement au règlement judiciaire.
2.12. Plus spécialement, la Cour, dans l’affaire du Sahara occidental, s’est appuyée sur
plusieurs éléments clés pour expliquer que le fait de rendre un avis dans cette affaire ne revenait
pas à tourner le principe du consentement au règlement judiciaire. Or, en l’espèce, lesdits éléments
sont notablement absents :
 Premièrement, la Cour avait souligné que répondre à la demande de l’Assemblée générale
«sera sans effet sur les droits que l’Espagne possède actuellement en tant que Puissance
administrante… et qu’«[i]l en résulte que la position juridique de l’Etat qui a refusé son
consentement à la présente instance «ne saurait à aucun degré être compromise par les réponses
que la Cour pourrait faire aux questions qui lui sont posées»»23. On ne saurait en dire autant à
19 Voir, plus bas, le par. 3.49.
20 Voir, plus bas, les par. 2.18-2.21 ; Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 90,
par. 35 (dans lequel la Cour conclut qu’elle ne saurait statuer sur les demandes du Portugal à l’encontre de l’Australie,
lesquelles se fondent sur un traité bilatéral conclu entre l’Australie et l’Indonésie, dans la mesure où, pour se prononcer,
elle devrait statuer sur la licéité du comportement de l’Indonésie en l’absence du consentement de cet Etat).
21 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B n 5 [ci-après «Carélie orientale»], p. 28
et 29. Comme indiqué par les Etats-Unis dans la note de bas de page 38 de leur exposé écrit, la Cour a fait remarquer
depuis que, même si l’affaire de la Carélie orientale présentait des caractéristiques uniques du fait que la Russie n’était
pas membre de la Société des Nations, cette distinction ne porte pas atteinte à l’application continue du principe en tant
que limite à la compétence consultative de la Cour. Voir aussi, plus bas, les par. 2.14 à 2.15.
22 Voir notamment l’exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 42 ; l’exposé écrit de l’Australie, par. 35 ; l’exposé écrit
du Chili, par. 5 ; l’exposé écrit de la Chine, par. 16 ; l’exposé écrit de Chypre, par. 27 ; l’exposé écrit de la Fédération de
Russie, par. 30 ; l’exposé écrit de la France, par. 7 ; l’exposé écrit d’Israël, para. 2.2 ; l’exposé écrit de Maurice, par. 5.26 ;
l’exposé écrit de la Namibie, p. 2 ; l’exposé écrit du Royaume-Uni, par. 7.5.
23 Sahara occidental, cité plus haut dans la note de bas de page 14, par. 42 (citant Interprétation des traités de paix
conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 65 [ci-après
«Interprétation des traités de paix»], p. 72).
- 8 -
propos de la demande formulée en l’espèce puisque répondre à celle-ci comme le voudrait
Maurice24 pourrait être perçu comme une atteinte aux droits actuels du Royaume-Uni.
Comme expliqué par les Etats-Unis dans leur exposé écrit, il serait difficile, voire impossible,
pour la Cour de répondre aux questions sans donner l’impression d’affecter les positions
juridiques des parties au différend territorial bilatéral sous-jacent25.
 Deuxièmement, dans l’affaire du Sahara occidental, la Cour n’avait pas rejeté l’affirmation de
l’Espagne selon laquelle le consentement de l’Etat revêt une importance particulière en présence
d’un différend portant sur l’attribution d’une souveraineté territoriale26. En fait, la Cour avait
conclu que le défaut de consentement de l’Espagne ne constituait pas un obstacle à l’acceptation
de la demande d’avis en l’espèce dans la mesure où «la requête pour avis consultatif n’appelle
pas de sa part un prononcé sur des droits territoriaux existants ni sur la souveraineté sur un
territoire»27. En revanche, comme son exposé écrit l’indique très clairement, l’objectif de
Maurice en formulant cette demande par l’intermédiaire de l’Assemblée générale est d’inviter la
Cour à statuer sur son différend territorial bilatéral en cours avec le Royaume-Uni, lequel porte
fondamentalement sur la question de savoir si la souveraineté sur l’archipel des Chagos revient à
l’une ou l’autre partie28.
 Troisièmement, l’Assemblée générale avait demandé un avis consultatif dans l’affaire du
Sahara occidental à une époque où cet organe (y compris sa Quatrième commission et son
Comité spécial de la décolonisation) examinait activement la situation de ce territoire depuis
plus de 10 ans29. La Cour avait reconnu la mobilisation longue et continue de l’Assemblée
générale sur cette question en décrivant la résolution contenant la demande de saisine [à savoir
la résolution 3292 (XXIX)]  comme «la dernière en date d’une longue série de résolutions
de l’Assemblée générale sur le Sahara occidental»30. On ne saurait en dire autant du différend
sous-tendant la présente demande. Il convient de noter à cet égard que la décolonisation de
Maurice n’a pas été débattue par l’Assemblée générale, sa Quatrième Commission ou le
Comité spécial de la décolonisation depuis des décennies. En fait, un nouveau point a même dû
être ajouté à l’ordre du jour de l’Assemblée générale pour que celle-ci puisse examiner la
présente demande31.
 Quatrièmement, en décidant d’accepter la demande d’avis, la Cour avait relevé dans l’affaire
du Sahara occidental que
«[l]’Assemblée générale n’a pas eu pour but de porter devant la Cour, sous la forme
d’une demande pour avis consultatif, un différend ou une controverse juridique, afin
24 Voir l’exposé écrit de Maurice, p. 285.
25 Voir l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 2.16, 3.30 et 5.3.
26 Sahara occidental, cité plus haut dans la note de bas de page 14, par. 43.
27 Idem.
28 Voir l’exposé écrit de Maurice, p. 285 («le droit international exige que : … le processus de décolonisation de
Maurice soit achevé immédiatement, y compris par la fin de l’administration de l’Archipel des Chagos par le Royaume-
Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, afin que Maurice puisse exercer sa souveraineté sur la totalité de son
territoire») ; voir aussi l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 3.25-3.28.
29 Voir Sahara occidental, exposé écrit et documents, volume I (1979), par. 11-55, disponible à l’adresse
http://www.icj-cij.org/files/case-related/61/9467.pdf.
30 Sahara occidental, cité plus haut dans la note de bas de page 14, par. 53.
31 Demande d’inscription d’une question à l’ordre du jour provisoire de la soixante et onzième session, Demande
d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de
Maurice en 1965, Lettre datée du 14 juillet 2016, adressée au Secrétaire général par le Représentant permanent de
Maurice auprès de l’Organisation des Nations Unies, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc.
A/71/142 (14 juillet 2016).
- 9 -
d’exercer plus tard, sur la base de l’avis rendu par la Cour, ses pouvoirs et ses
fonctions en vue de régler pacifiquement ce différend ou cette controverse»32.
En l’espèce, au contraire, l’objet de la demande de l’Assemblée générale – surtout lorsqu’on
l’analyse à la lumière de l’exposé écrit de Maurice – consiste précisément à essayer
d’impliquer la Cour dans un vieux différend de souveraineté territoriale, afin d’appuyer les
nouveaux efforts déployés au sein de l’Assemblée générale ou ailleurs, dans le but de faire
pression sur le Royaume-Uni pour que celui-ci permette à Maurice d’exercer immédiatement
sa souveraineté sur l’archipel des Chagos33.
2.13. De même, contrairement à ce que prétendent certains Etats34, la décision rendue par la
Cour dans l’affaire relative à l’Édification d’un mur n’appuie pas les arguments selon lesquels la
Cour pourrait, conformément à sa fonction judiciaire, répondre à la demande de l’Assemblée
générale. Dans cette affaire, la Cour avait reconnu que «la question du mur fai[sai]t partie d’un
ensemble»35 et décidé qu’elle pourrait répondre sans tourner le principe du consentement dans la
mesure où ladite question «s’inscri[vait]t dans un cadre bien plus large que celui d’un différend
bilatéral»36. En revanche, comme expliqué plus haut dans la section A, les conclusions énoncées en
l’espèce démontrent que les questions posées touchent au coeur du différend de souveraineté
bilatéral sous-jacent et qu’il est difficile de voir comment la Cour pourrait répondre à la demande
de l’Assemblée générale sans paraître départager les parties.
2.14. Par ailleurs, les efforts déployés par certains Etats dans leur exposé écrit pour réduire la
pertinence de l’avis consultatif rendu par la Cour permanente de Justice internationale en l’affaire
de la Carélie orientale passent à côté de l’essentiel. Selon ces conclusions, ledit avis s’articulait
uniquement autour du fait que la Russie n’était pas à l’époque membre de la Société des Nations37.
Pourtant, l’analyse de la décision révèle que le raisonnement de la Cour permanente n’était pas
aussi limité et vaut clairement également pour les différends en suspens présentés à cette Cour sous
le couvert d’une demande d’avis consultatif. Pour reprendre les termes de l’avis rendu par la Cour
permanente :
«La question posée à la Cour n’est pas de droit abstrait, mais concerne
directement le point essentiel du conflit entre la Finlande et la Russie, et il ne peut y
être répondu qu’à la suite d’une enquête sur les faits qui sont à la base de l’affaire.
Répondre à la question équivaudrait en substance à trancher un différend entre les
parties. La Cour, étant une Cour de Justice, ne peut pas se départir des règles
essentielles qui dirigent son activité de tribunal, même lorsqu’elle donne des avis
consultatifs.»38
2.15. L’application par cette Cour de la même analyse dans l’affaire relative à
l’Interprétation des traités de paix confirme la pertinence de la jurisprudence issue de l’affaire de
32 Sahara occidental, cité plus haut dans la note de bas de page 14, par. 39.
33 Voir l’exposé écrit de Maurice, p. 285.
34 Voir notamment l’exposé écrit de Djibouti, par. 22 ; l’exposé écrit du Guatemala, par. 26 ; l’exposé écrit de
l’Afrique du Sud, par. 35.
35 Edification d’un mur, avis cité plus haut dans la note de bas de page 12, par. 54.
36 Idem, par. 50.
37 Voir, par exemple, l’exposé écrit du Brésil, par. 10 (dans lequel celui-ci fait valoir que le précédent de la
Carélie orientale «ne trouve nullement à s’appliquer en l’espèce, puisque tous les Etats concernés sont parties à la Charte et
au Statut»).
38 Carélie orientale, cité plus haut dans la note de bas de page 21, p. 28 et 29.
- 10 -
la Carélie orientale. Dans cette affaire, en effet, la Cour, loin de s’éloigner du raisonnement tenu
par la CPJI dans Carélie orientale, a conclu que rendre un avis consultatif n’était pas interdit en
l’espèce parce que la demande «ne touch[ait] assurément pas [le fond même] de ces différends» et
qu’«[i]l en résult[ait] que la position juridique des parties à ces différends ne saurait à [aucun
degré] être compromise par les réponses que la Cour pourrait faire aux questions qui lui sont
posées»39.
2.16. En conclusion, aucun des précédents avis consultatifs de la Cour ne saurait être
interprété comme suggérant que celle-ci doit répondre à une demande d’avis consultatif lorsque
cela équivaudrait à trancher un différend. Au contraire, la jurisprudence de la Cour confirme que
répondre à une demande dans de telles circonstances aurait pour effet inacceptable de tourner le
principe fondamental du consentement au règlement judiciaire.
C. Aucun des autres facteurs recensés n’est de nature à apaiser les graves craintes
relatives à l’opportunité de l’exercice de la compétence de la Cour
soulevées par la demande
2.17. Plusieurs exposés écrits avancent que l’existence d’un différend bilatéral ne devrait pas
empêcher la Cour de donner suite à la demande de l’Assemblée générale40. À l’appui de leur thèse,
plusieurs d’entre eux relèvent que le différend ne devrait pas être considéré comme purement bilatéral
en raison 1) soit du caractère erga omnes de l’autodétermination41 ; 2) soit de l’intérêt présumé de
l’Assemblée générale pour le différend bilatéral relatif au statut de l’archipel des Chagos42. Aucun
de ces facteurs, pas plus que d’autres considérations mentionnées dans les exposés écrits, n’est de
nature à apaiser les graves craintes soulevées par la demande de l’Assemblée générale quant à
l’opportunité judiciaire, pour la Cour, d’exercer sa compétence.
1. Le principe interdisant de tourner le consentement s’applique toujours malgré
le caractère erga omnes de l’autodétermination
2.18. Pour étayer leur thèse selon laquelle les questions posées vont au-delà du différend
bilatéral en suspens, certains Etats citent dans leur exposé écrit l’arrêt sur le Timor oriental de
1995, dans lequel la Cour a estimé que l’autodétermination génère des obligations erga omnes43.
Cet argument semblerait impliquer que le principe du consentement au règlement judiciaire est en
quelque sorte moins pertinent  au regard de l’opportunité judiciaire  lorsque la demande d’avis
consultatif implique des obligations dont le respect importe à des membres de la communauté
internationale autres que les parties au différend.
2.19. Cette lecture de l’arrêt sur le Timor oriental est incorrecte. En réalité, dans cette affaire,
la Cour a estimé que le consentement au règlement judiciaire demeurait une condition
fondamentale même en présence d’obligations erga omnes :
«… l’opposabilité erga omnes d’une norme et la règle du consentement à la
juridiction sont deux choses différentes. Quelle que soit la nature des obligations
39 Interprétation des traités de paix, cité plus haut dans la note de bas de page 23, p. 72.
40 Voir notamment l’exposé écrit du Liechtenstein, par. 16 ; l’exposé écrit des Îles Marshall, par. 15 ; l’exposé
écrit de la Serbie, par. 25.
41 Voir, par exemple, l’exposé écrit de Djibouti, par. 22 ; l’exposé écrit de Maurice, par. 5.31.
42 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 62 ; l’exposé écrit de Maurice, par. 1.15.
43 Voir, par exemple, l’exposé écrit de Djibouti, par. 22.
- 11 -
invoquées, la Cour ne saurait statuer sur la licéité du comportement d’un Etat lorsque
la décision à prendre implique une appréciation de la licéité du comportement d’un
autre Etat qui n’est pas partie à l’instance. En pareil cas, la Cour ne saurait se
prononcer, même si le droit en cause est opposable erga omnes.»44
2.20. Le Portugal avait revendiqué dans cette affaire le droit de contester un traité conclu
entre l’Australie et l’Indonésie concernant le Timor oriental, en partie parce que
l’autodétermination est liée à des obligations erga omnes. Bien que la Cour ait reconnu que
l’autodétermination avait déjà acquis à l’époque considérée un caractère erga omnes, elle avait jugé
ne pas pouvoir se prononcer sur la question, car cela équivaudrait à «nécessairement statuer sur la
licéité du comportement de l’Indonésie»  laquelle n’était pas partie à la procédure  d’une
manière qui «irait directement à l’encontre du principe de droit international bien établi et incorporé
dans le Statut, à savoir que la Cour ne peut exercer sa juridiction à l’égard d’un Etat si ce n’est avec
le consentement de ce dernier»45.
2.21. Cette décision souligne qu’il convient de distinguer au niveau des concepts entre le
fondement matériel de la revendication d’un Etat  même lorsque celle-ci porte sur la violation
alléguée d’une obligation erga omnes  et la question de savoir si la Cour peut ou doit connaître
d’un différend bilatéral en l’absence du consentement d’une partie à celui-ci46. Par conséquent,
même si Maurice estime que sa revendication sur l’archipel des Chagos devrait prévaloir, dans la
mesure où la décolonisation de Maurice ne serait pas conforme aux prétendues obligations
juridiques découlant du caractère erga omnes de l’autodétermination, le principe du consentement
demeure un élément essentiel pour déterminer s’il serait opportun pour la Cour de trancher un
différend bilatéral. Le caractère erga omnes invoquant des obligations n’a tout simplement pas
d’incidence sur cette question. Et lorsque la validité même d’un accord bilatéral est mise en
cause  comme c’était le cas dans l’affaire Timor oriental  il serait particulièrement inapproprié
pour la Cour d’agir en l’absence du consentement des deux parties au dit accord.
2. Le prétendu intérêt de l’Assemblée générale pour le différend bilatéral relatif à l’archipel
des Chagos ne dispense pas de l’application du principe interdisant de tourner le
consentement
2.22. Nombre d’Etats ont mentionné dans leur exposé écrit que l’Assemblée générale a de
tout temps porté intérêt à la décolonisation et a aussi contribué activement à ce processus sans
44 Timor oriental, cité plus haut dans la note de bas de page 20, par. 29. La Cour a estimé dans Activités armées
sur le territoire du Congo qu’«[i]l en va de même quant aux rapports entre les normes impératives du droit international
général (jus cogens) et l’établissement de la compétence de la Cour : le fait qu’un différend porte sur le respect d’une
norme possédant un tel caractère … ne saurait en lui-même fonder la compétence de la Cour pour en connaître. En vertu
du Statut de la Cour, cette compétence est toujours fondée sur le consentement des parties.» ; Activités armées sur le
territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 6, par. 64.
45 Timor oriental, voir plus haut la note de bas de page 20, para. 33-35 (citant Or monétaire pris à Rome en 1943,
Question préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1954, p. 19, 32).
46 Voir aussi CHRISTIAN TAMS, ENFORCING OBLIGATIONS ERGA OMNES IN INTERNATIONAL
LAW 166 (2005).
- 12 -
ménager ses efforts47. Pourtant, les mêmes Etats divergent quant à la question de savoir s’il serait
opportun pour la Cour de répondre à la présente demande.
2.23. Plusieurs Etats, dont les Etats-Unis, font remarquer que l’Assemblée générale s’est
abstenue pendant plusieurs dizaines d’années d’aborder la question de la décolonisation de Maurice
ou des problèmes connexes liés à l’archipel des Chagos48. Comme indiqué plus haut, il a fallu
ajouter un point à l’ordre du jour pour permettre l’examen de la résolution relative à la saisine de la
Cour49.
2.24. Par conséquent, la présente affaire ne porte pas sur un cas dans lequel l’organe
requérant s’intéresse de manière active à une question et sollicite l’opinion de la Cour en recourant
à la procédure d’avis consultatif. Nous sommes plutôt en présence d’une situation dans laquelle
les auteurs de la demande d’avis exhortent la Cour à passer outre sa jurisprudence bien établie
interdisant de tourner le principe du consentement en vue d’un hypothétique futur examen de la
question par l’Assemblée générale.
2.25. A supposer toutefois qu’une telle approche soit adoptée, toute partie à un différend
bilatéral pourrait obtenir qu’il soit statué sur celui-ci au moyen d’un avis consultatif en
transformant simplement sa revendication en une question susceptible d’être examinée par
l’Assemblée générale. Ce procédé porterait gravement atteinte au principe interdisant de tourner le
consentement eu égard au mandat très large dont jouit l’Assemblée générale. La Cour n’a jamais
laissé entendre que le principe interdisant de tourner le consentement aurait perdu de sa pertinence
dans la mesure où l’Assemblée générale, même si elle ne s’est jamais engagée directement sur la
question pendant plusieurs dizaines d’années, pourrait remettre celle-ci à son ordre du jour.
2.26. Plusieurs Etats  dont ceux n’ayant pas pris position sur le fond du différend  ont
souligné l’importance du maintien du principe du consentement même si la Cour devait décider de
répondre à la demande de l’Assemblée générale. La Chine, par exemple, a déclaré que
«[t]out en donnant un avis juridique pour aider l’Assemblée générale à remplir sa
mission de décolonisation, la Cour doit continuer à appliquer et respecter le principe
du consentement dès lors que le différend est d’ordre purement bilatéral, pour veiller à
ce que son avis n’ait pas pour effet de tourner ce principe ou d’y porter atteinte.»50.
Le Chili, quant à lui, tout en exprimant son soutien à la décolonisation de Maurice, a également
formulé la mise en garde suivante : «[les questions juridiques] qui sont d’ordre purement bilatéral
47 Voir, par exemple, l’exposé écrit de la Chine, par. 5 («La décolonisation est, historiquement, une fonction
importante de l’ONU») ; l’exposé écrit de Chypre, par. 3 (reconnaissant le «rôle crucial joué par l’Assemblée générale
dans le processus de décolonisation») ; l’exposé écrit de l’Allemagne, par. 45 (notant que la décolonisation est «[un]
problème qui est au coeur du travail de l’Organisation depuis sa création») ; l’exposé écrit de l’Inde, par. 27 (décrivant
l’Organisation des Nations Unies comme la «[p]rincipale instance mondiale chargée d’appuyer la réalisation de l’objectif
de décolonisation») ; l’exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 23 à 25 (notant l’intérêt institutionnel de l’Assemblée
générale pour le processus de décolonisation).
48 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Australie, par. 54 [«ni le Conseil de sécurité ni l’Assemblée générale ne
sont actuellement saisis de questions relatives à l’archipel des Chagos (que ce soit dans le contexte de la décolonisation
ou autrement)»] ; et l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 3.23.
49 Voir, plus haut, la note de bas de page 31.
50 Exposé écrit de la Chine, par. 18.
- 13 -
entre des Etats souverains devraient être [traitées] par les moyens adéquats reflétant le
consentement des parties concernées»51.
L’Allemagne, pour sa part, a fait valoir que :
«Certains aspects des questions présentées à la Cour pourraient toutefois, s’ils
étaient interprétés trop libéralement, toucher à des domaines qui ne concernent que les
deux Etats impliqués, soit Maurice et le Royaume-Uni, ou le cas échéant, des Etats
tiers. Consciente de ce risque, l’Allemagne estime que l’interprétation d’une demande
d’avis consultatif ne devrait pas permettre de tourner le principe fondamental qui veut
que la compétence de la haute juridiction repose sur le consentement des deux
Etats.»52
2.27. Ces déclarations semblent envisager  ou du moins ne semblent pas exclure la
possibilité  que la Cour pourrait, d’une manière ou d’une autre, répondre à la demande sans
trancher le différend territorial bilatéral entre Maurice et le Royaume-Uni. Toutefois, elles ne
fournissent pas de détails matériels sur la manière dont la Cour pourrait limiter son avis consultatif
à des aspects spécifiques non bilatéraux de la demande présentant un intérêt pour les fonctions de
l’Assemblée générale liées à la décolonisation.
2.28. Effectivement, on voit mal comment les questions purement bilatérales au coeur de cette
demande en particulier le différend relatif au statut de l’accord de 1965 et les questions connexes
 pourraient être isolées de toute discussion sur la question de savoir si le processus de
décolonisation de Maurice a été «validement mené à terme» en 1968 ou dissociées des
conséquences juridiques possibles pour Maurice et le Royaume-Uni du statut actuel de l’archipel
des Chagos. De plus, lorsqu’on examine la demande à la lumière de la conclusion de Maurice, il
paraît évident que celle-ci a été abusivement conçue pour «porter devant la Cour, sous la forme
d’une requête pour avis consultatif, un différend ou une controverse juridique, afin d’exercer plus
tard, sur la base de l’avis rendu par la Cour, ses pouvoirs et ses fonctions en vue de régler
pacifiquement ce différend ou cette controverse»53.
2.29. Tout en reconnaissant l’importance de la fonction consultative de la Cour et en
particulier sa capacité «d’éclairer les Nations Unies dans leur action propre»54, les Etats-Unis
considèrent que celle-ci ne saurait conférer à la Cour le pouvoir d’ignorer son obligation de
maintenir le système de règlement des différends basé sur le consentement, lequel constitue le
fondement de sa compétence. En conséquence, à moins de pouvoir éviter d’aborder les questions
bilatérales opposant Maurice au Royaume-Uni, la Cour devrait refuser de rendre un avis
consultatif.
D. Le principe du consentement commande un respect particulier lorsque
la demande porte sur un conflit de souveraineté sur un territoire
2.30. Les Etats-Unis comptent parmi les Etats ayant souligné dans leur exposé écrit que le
principe du consentement s’imposait encore plus en présence d’un différend portant sur la
51 Exposé écrit du Chili, par. 9.
52 Exposé écrit de l’Allemagne, par. 151.
53 Sahara occidental, cité plus haut dans la note de bas de page 14, par. 39 (suggérant le caractère illégitime d’une
telle demande d’avis).
54 Idem, par. 41 (citant Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 15 et 19).
- 14 -
souveraineté d’un territoire55. Bien que ces Etats aient abordé la question de différentes manières,
tous ont souligné la nécessité d’un contrôle accru dans les affaires de souveraineté.
2.31. Pour la République de Corée, par exemple, rendre un avis consultatif présentant un lien
direct avec l’objet principal d’un différend relatif à une souveraineté territoriale «équivaudrait en
substance à trancher le différend entre les parties», dans la mesure où «la résolution des questions
[de ce type] ne devrait pas être le résultat d’un vote à la majorité des voix d’un organe politique tel
que l’Assemblée générale»56. Pour elle, cette situation constituerait une raison décisive de refuser
de donner un avis57.
2.32. La Fédération de Russie, pour sa part, fait valoir que lorsque la Cour est saisie  dans
le cadre de sa compétence consultative  «non pas simplement d’un différend, mais d’un différend
territorial bilatéral, elle doit appliquer un critère [d’opportunité d’exercer sa fonction consultative]
plus strict»58. Les Etats-Unis ont formulé une remarque similaire dans leur exposé écrit à propos de
l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire59, et ils persistent à considérer le caractère
territorial de ce différend comme un facteur méritant d’être soigneusement pesé par la Cour au
moment d’évaluer la question de savoir si répondre à une demande d’avis consultatif en l’espèce
est compatible avec l’exercice approprié de sa fonction judiciaire.
*
* *
2.33. Compte tenu de ce qui précède et des vues exprimées dans leur exposé écrit, les Etats-
Unis demeurent d’avis que la Cour devrait refuser de répondre à la demande de l’Assemblée générale
afin d’éviter de trancher un différend en l’absence du consentement des parties. Les Etats-Unis
continuent de considérer la présente demande d’avis consultatif comme un effort visant à tourner le
principe fondamental du consentement au règlement judiciaire dans ce qui est un différend bilatéral
entre Etats concernant la souveraineté sur un territoire et a été compris comme tel pendant des
décennies.
2.34. Les Etats-Unis prient donc de nouveau la Cour de refuser, conformément à sa
jurisprudence et au nom de l’intégrité de sa fonction judiciaire, d’exercer sa compétence dans cette
affaire.
55 Voir l’exposé écrit d’Israël, par. 3.17 à 3.20 ; l’exposé écrit de la République de Corée, par. 23 et 24 ; l’exposé
écrit de la Fédération de Russie, par. 29 à 32 ; l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 3.29 à 3.31.
56 Idem.
57 Idem.
58 Exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 32 (les italiques sont de nous).
59 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 3.29 à 3.31.
- 15 -
CHAPITRE III
CONSIDÉRATIONS RELATIVES AUX QUESTIONS POSÉES
3.1. Dans le présent chapitre, les Etats-Unis présentent quelques observations sur les exposés
écrits abordant le fond des questions posées dans la résolution relative à la saisine de la Cour. Les
Etats-Unis se concentreront principalement sur l’argument selon lequel une nouvelle règle de droit
international coutumier est apparue en 1965, ou au plus tard en 1968, laquelle interdisait au
Royaume-Uni d’établir le BIOT avant d’accorder l’indépendance à Maurice. La Cour devra de
toute évidence examiner ces arguments uniquement si elle détermine qu’elle peut rendre un avis sur
les questions posées sans contrevenir au principe du consentement au règlement judiciaire.
3.2. La majorité des exposés écrits s’abstiennent d’aborder, ou du moins d’aborder en détail,
la manière dont la Cour devrait répondre aux questions posées. Dans certains cas, cette attitude
s’explique parce que l’Etat concerné estime qu’il serait inapproprié pour la Cour de statuer sur
lesdites questions ou bien suggère à la Cour de faire preuve de prudence si elle le faisait60. Dans
d’autres cas, la même attitude s’explique par la brièveté des conclusions ou par l’expression en
termes généraux d’un appui à la position de Maurice. Pourtant, les exposés écrits présentant des
observations détaillées sur les questions posées s’accordent sur quelques points essentiels.
3.3. Ces exposés écrits semblent admettre que le droit applicable est celui en vigueur à
l’époque concernée  c’est-à-dire 1965 ou, au plus tard 1968  et non le droit tel qu’il a pu
évoluer par la suite61. Les mêmes exposés se concentrent généralement aussi sur la question de
savoir si une règle de droit international coutumier  et non pas un droit conventionnel  avait
émergé à l’époque. Bien que seuls quelques exposés abordent spécifiquement les changements aux
limites territoriales, ceux qui le font conviennent généralement que celles-ci peuvent être modifiées
avec le libre consentement de la population du territoire.
3.4. Les exposés écrits divergent sur la question de savoir si la Cour peut répondre à la
question a). Parmi les exposés écrits selon lesquels la décolonisation de Maurice n’a pas été menée
à terme ou bien l’a été de manière illicite, trois questions méritent l’attention et seront analysées
dans le présent chapitre.
3.5. La section A explique comment la Cour devrait évaluer la question de savoir si une règle
spécifique de droit international existait à l’époque. La plupart des exposés écrits s’abstiennent de
décrire en détail la manière dont la Cour devrait vérifier l’état de ce droit ou bien désapprouvent la
méthodologie prônée par le Statut et la jurisprudence de la Cour. Dans cette section, les Etats-Unis
rappellent par conséquent la jurisprudence de la Cour sur les sources du droit international, y compris
les éléments requis – à la fois au niveau de la pratique des Etats et de l’opinio juris – pour établir
l’existence d’une règle de droit international coutumier et le poids qu’il convient d’accorder aux
résolutions de l’Assemblée générale en matière de détermination d’une opinio juris.
60 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Australie, par. 3 à 6 ; l’exposé écrit du Chili, par. 4 et 5 ; l’exposé écrit de
la Chine, par. 14 à 18 ; l’exposé écrit de la France, par. 4 à 19 ; l’exposé écrit de l’Allemagne, par. 17, 30 à 48 ; l’exposé
écrit d’Israël, par. 1.2 à 1.5 ; l’exposé écrit de la Fédération de Russie, par. 29 à 35.
61 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 70. A propos de cette règle «intertemporelle», voir,
par exemple, Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), deuxième phase, arrêt, C.I.J.
Recueil 1966, p. 6, par. 16. Comme les Etats-Unis l’ont expliqué dans leur exposé écrit et contrairement à ce que suggère
l’Union africaine (notamment au par. 71 de son exposé écrit), il appartient à la Cour  et non à l’Assemblée générale dans
sa résolution relative à la saisine de la Cour – de déterminer le droit applicable. Voir l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.14
(citant Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 403 [ci-après «Kosovo»], par. 52).
- 16 -
3.6. La section B répond à plusieurs affirmations contenues dans des exposés écrits selon
lesquelles un droit à l’autodétermination avait émergé en droit international coutumier en 1965 (ou
en 1968). Une partie de ces exposés avance que ledit droit imposait l’obligation à la puissance
administrante de maintenir les limites territoriales dans l’Etat où elles se trouvaient avant
l’indépendance.
3.7. Pour évaluer ces arguments, les Etats-Unis ont examiné la nature des sources citées par
les Etats comme preuves de l’émergence d’une règle pertinente de droit international coutumier en
1965 (ou 1968), y compris : 1) les résolutions de l’Assemblée générale des années 1950 et 1960, en
particulier la résolution 1514 (XV) ; 2) les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies des
années 1960 qui font référence à la résolution 1514 ; 3) le nombre d’Etats ayant obtenu leur
indépendance dans les années 1950 et 1960 ; et 4) les travaux de doctrine de certains publicistes
concernant l’état du droit international dans les années 1960.
3.8. Comme indiqué ci-dessous, ces sources n’attestent pas l’établissement d’une obligation
légale en ce sens. Même si l’on pouvait conclure  sur la base des sources pertinentes  à
l’apparition d’un consensus croissant autour de l’existence d’un droit à l’autodétermination en droit
international à la fin des années 1960, force est de reconnaître l’absence de tout consensus sur les
obligations spécifiques des Etats administrants et a fortiori sur l’obligation de maintenir les limites
territoriales.
3.9. La section C analyse la poignée d’exposés écrits reconnaissant la possibilité de modifier
les limites territoriales avec le consentement libre de la population tout en précisant que ledit
consentement n’aurait pu être obtenu que dans le cadre d’un référendum/plébiscite. Cette section
explique l’absence de toute obligation légale pour les Etats administrants d’organiser un
référendum/plébiscite afin de déterminer la volonté librement exprimée de la population d’un
territoire.
3.10. Comme indiqué par les Etats-Unis dans leur exposé écrit et expliqué plus en détail au
présent chapitre, les documents historiques juridiquement pertinents n’attestent pas l’apparition à
l’époque concernée d’une nouvelle obligation légale interdisant l’établissement du BIOT. La
réponse à la question a)est donc que la décolonisation de Maurice a été validement menée à terme,
ce qui dispense d’avoir à répondre à la question b).
A. La Cour devrait examiner les documents historiques à la lumière des sources établies
du droit international, telles qu’elles sont mentionnées dans son Statut
et analysées en détail dans sa jurisprudence
3.11. Comme les Etats-Unis l’ont expliqué dans leur exposé écrit, la Cour devrait examiner
l’une et/ou l’autre des deux sources du droit mentionnées à l’article 38 de son Statut afin de
déterminer l’état du droit international au moment où le BIOT a été établi : 1) le droit
conventionnel et 2) le droit international coutumier62.
3.12. Pour les raisons décrites dans l’exposé écrit des Etats-Unis, l’analyse du texte et des
travaux préparatoires de la Charte des Nations Unies ne permet en aucune façon de soutenir l’idée
que cet instrument imposait à l’Etat administrant de déterminer les souhaits de la population d’un
62 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.24
- 17 -
territoire non autonome quant au statut politique ultime dudit territoire ou avant de procéder à des
ajustements des limites administratives63. Les seuls autres traités multilatéraux potentiellement
pertinents sont les pactes relatifs aux droits de l’homme, lesquels ne sont entrés en vigueur qu’une
dizaine d’années après la période concernée64.
3.13. En l’absence de toute disposition conventionnelle pertinente, les seules règles
éventuellement applicables auraient dû découler du droit international coutumier65. La Cour a
énoncé les deux conditions indispensables à la création d’une norme de droit international
coutumier dans son arrêt Plateau continental de la mer du Nord : 1) les actes de l’Etat en cause
doivent «représenter une pratique constante» et 2) «témoigner, par leur nature ou la manière dont
ils sont accomplis, de la conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l’existence d’une
règle de droit» (opinio juris)66. Selon la Cour toujours, il est
«indispensable que dans ce laps de temps, aussi bref qu’il ait été, la pratique des
Etats […] ait été fréquente et pratiquement uniforme dans le sens de la disposition
invoquée et se soit manifestée de manière à établir une reconnaissance générale du fait
qu’une règle de droit ou une obligation juridique est en jeu»67.
3.14. Plusieurs exposés écrits renvoient aux résolutions de l’Assemblée générale sur la
décolonisation des années 1950 et 1960 et énoncent divers arguments quant à leur pertinence en
tant que preuves de l’existence d’une règle spécifique de droit international coutumier68. Pourtant,
63 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.26, 4.33 et 4.34. Cette opinion se retrouve dans l’exposé écrit d’autres Etats.
Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 62 ; l’exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.1 et 3.2 (qui distingue
le droit découlant de la Charte des résolutions de l’Assemblée générale, lesquelles traduisent l’évolution de la politique
de l’Assemblée générale en faveur de l’indépendance des territoires non autonomes). Voir aussi ROSALYN HIGGINS,
PROBLEMS AND PROCESS. INTERNATIONAL LAW AND HOW WE USE IT 111 (1994) (pour qui, «en 1946, les
devoirs des Etats administrants n’incluaient pas clairement l’obligation d’accorder l’indépendance» et «l’hypothèse
commune selon laquelle la Charte des Nations Unies garantit l’autodétermination au sens actuel du terme s’analyse en
fait en une réécriture rétrospective de l’histoire»). Pour les auteurs de plusieurs exposés écrits, il est juridiquement
significatif que la version française de la Charte utilise le mot «droit» aux articles 1 2) et 55, pour évoquer le «principe de
l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes» : exposé écrit de l’Union africaine, par. 81 ;
exposé écrit du Belize, par. 2.3 ; exposé écrit du Brésil, par. 16 ; exposé écrit de Djibouti, par. 28 ; exposé écrit de
Maurice, par. 6.22. Cependant, en vertu de l’article 111 de la Charte, les versions chinoise, russe, anglaise et espagnole de
cet instrument font autant foi que la version française ; or, aucune de ces versions n’utilise le mot «droit» pour parler de
l’autodétermination. Il semble particulièrement difficile de conclure que la Charte a établi un droit légal à
l’autodétermination, même si l’on accepte de ne pas tenir compte de l’absence de preuves d’une telle intention dans les
travaux préparatoires, puisque le mot «droit» n’apparaît dans aucun des quatre autres textes également authentiques. Voir
la Convention de Vienne sur le droit des traités, 23 mai 1969, 1155 U.N.T.S. 331, article 33 3) («Les termes d’un traité
sont présumés avoir le même sens dans les divers textes authentiques.») ; idem, article 33 4) («[l]orsque la comparaison
des textes authentiques fait apparaître une différence de sens que l’application des articles 31 et 32 ne permet pas
d’éliminer, on adoptera le sens qui, compte tenu de l’objet et du but du traité, concilie le mieux ces textes.»).
64 Voir l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.26.
65 Aucun de ces exposés écrits ne suggère que le principe d’autodétermination constitue un principe général du
droit au sens de l’article 38 1) c) tel qu’il est interprété par la Cour et, d’ailleurs, les Etats-Unis aussi considèrent cette
source du droit comme non pertinente.
66 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark) (République fédérale
d’Allemagne/Pays-Bas), arrêt, C.I.J. Recueil 1969 [ci-après «Plateau continental de la mer du Nord»], p. 3, par. 77 (les
italiques sont de nous).
67 Idem, par. 74.
68 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Argentine, par. 48 et 49 ; l’exposé écrit de Cuba, p. 2 (le Royaume-Uni a
manqué aux «obligations contenues dans» plusieurs résolutions de l’Assemblée générale) ; l’exposé écrit de Djibouti,
par. 33 (les mentions répétées d’un «droit» à l’autodétermination dans une série de résolutions démontrent qu’un tel droit
«se dessinait déjà avant» 1965) ; l’exposé écrit du Guatemala, par. 34 ; l’exposé écrit de l’Inde, par. 62 (mentionnant des
actes illégaux prétendument commis par le Royaume-Uni «en violation des obligations découlant de la Résolution
[1514]» et affirmant que la Résolution 2066 [XX] «fai[sait] obligation au Royaume-Uni d’achever la décolonisation de
Maurice»).
- 18 -
les résolutions de l’Assemblée générale, même celles qui portent le titre de «déclaration», ne sont
pas juridiquement contraignantes, sauf dans de rares cas non pertinents en l’espèce69. De telles
résolutions ne pourraient être pertinentes pour l’enquête de la Cour que dans la mesure où elles
reflètent une opinio juris et s’accompagnent d’une pratique fréquente et pratiquement uniforme des
Etats70.
3.15. Selon la Cour, pour déterminer si une résolution spécifique de l’Assemblée générale peut
«fournir des éléments de preuve importants pour établir l’existence d’une opinio juris […] il
faut en examiner le contenu ainsi que les conditions d’adoption»71. La Cour a en outre souligné
que si «[c]ette opinio juris peut se déduire entre autres […] de l’attitude des Parties et des Etats à
l’égard de certaines résolutions de l’Assemblée générale», il convient cependant d’observer «la
prudence nécessaire»72. Les déclarations faites par les Etats au cours de la négociation d’une
69 Voir les articles 10, 11, 13 et 14 de la Charte des Nations Unies (Fonctions et pouvoirs de l’Assemblée
générale). Voir aussi, par exemple, la lettre adressée à l’observateur permanent d’une organisation intergouvernementale
auprès de l’Organisation des Nations Unies par le Bureau des affaires juridiques de l’ONU (9 mai 1986), in 1986 U.N.
Jurid. Y.B. 274, 275, Nations Unies. doc. ST/LEG/SER.C/ 28 [les résolutions de l’Assemblée générale «autres que celles
visant le cadre institutionnel ou la gestion administrative et financière de l’Organisation sont par nature des
recommandations et ne sont donc pas juridiquement contraignantes, même pour les membres ayant voté en leur faveur»
(Traduction non officielle)].
70 Plateau continental de la mer du Nord, cité plus haut dans la note de bas de page 66, par. 77. Voir également,
entre autres, Robert Rosenstock, représentant des Etats-Unis, allocution prononcée devant la Sixième Commission
(affaires juridiques) de l’Assemblée générale des Nations Unies (11 novembre 1977), in DIGEST OF UNITED STATES
PRACTICE IN INTERNATIONAL LAW 1977 53, 54 (John A. Boyd éditeur, 1979) [«Une résolution de l’Assemblée
générale ne peut contribuer au développement du droit international … que si elle bénéficie d’un soutien quasi universel,
si les membres de l’Assemblée générale partagent l’intention de légiférer ou d’énoncer une norme juridique - et si son
contenu se reflète dans la pratique générale des Etats.» (les italiques sont de nous)] ; Nations Unies, Documents officiels
de l’Assemblée générale, doc. A/C.6/32/SR.44 (15 novembre 1977), par. 19 (partie du compte-rendu de la session du
11 novembre 1977 résumant l’allocution de Rosenstock) (traduction non officielle) ; lettre adressée par Stephen M.
Schwebel, conseiller juridique adjoint, ministère des Affaires étrangères des Etats-Unis, à Marcus G. Raskin, directeur
adjoint, Institute for Policy Studies (25 avril 1975), in DIGEST OF UNITED STATES PRACTICE
INNTERNATIONAL LAW 1975 85, 85 (Eleanor C. McDowell, éditeur, 1976) [«Dans la mesure où, ce qui est
exceptionnel, les résolutions de l’Assemblée générale sont censées être déclaratoires du droit international, sont adoptées
avec l’appui de tous les membres et sont observées par la pratique des Etats, elles constituent la preuve du droit
international coutumier sur une question particulière.» (les italiques sont de nous)] ; S. Prakash Sinha, Self-Determination
in International Law and Its Application to the Baltic Peoples, in RES BALTICA.A COLLECTION OF ESSAYS IN
HONOR OF THE MEMORY OF DR. ALFRED BILMANIS 256, 266 (Adolf Sprudzs & Armins Rusis, éditeurs, 1968) [
«même s’il est admis que les normes spécifiques énoncées par les organes politiques [des Nations Unies] peuvent faire
juridiquement autorité à condition d’être acceptées et valides en tant qu’interprétation(s) de la Charte … elles doivent
influencer le comportement réel des Etats pour acquérir un caractère obligatoire et non purement déclaratif.» (les points
d’interrogation figurant dans l’original ont été omis).Contrairement à ce que prétend l’Union africaine, il ne suffit pas que
la résolution en question jouisse d’un soutien «quasi unanime» des Etats Membres ou même que l’Assemblée générale ait
eu «clairement l’intention […] d’établir un principe de droit international coutumier» (exposé écrit de l’Union africaine,
par. 76). De telles considérations ne sauraient se substituer à une pratique réelle que les Etats observent parce qu’ils sont
convaincus que le droit l’exige. Voir, par exemple, le Rapport de la commission du droit international, 68e session,
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/71/10 (2016), chapitre V «Identification du droit
international coutumier» [ci-après «Conclusions de 2016 de la CDI sur le droit international coutumier»], p. 107, par. 4.
Même si les Etats-Unis nourrissent certaines craintes concernant des aspects spécifiques de ces projets de conclusions –
voir Comments from the United States on the International Law Commission’s Draft Conclusions on the Identification of
Customary International Law as Adopted by the Commission in 2016 on First Reading, Jan. 5, 2018 [ci-après
«Commentaires CDI 2018 des Etats-Unis»], disponible à l’adresse http://www.ejiltalk.org/wp-content/uploads/
2019/021US-Views-on-ILC-Draft-Conclusions-on-CIL.pdf , ils estiment que ceux-ci décrivent correctement de
nombreux aspects de la détermination du droit international coutumier.
71 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 226
[ci-après «Armes nucléaires»], par. 70.
72 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 14, par. 188.
- 19 -
résolution spécifique et avant ou après son adoption constituent autant de preuves importantes de
leur attitude à l’égard de ladite résolution ou de l’état du droit international à l’époque concernée73.
B. Les sources citées par les exposés écrits faisant état de l’émergence d’une règle de droit
international coutumier ne corroborent pas cette conclusion
1. Les résolutions de l’Assemblée générale des années 1950 et 1960, y compris la
résolution 1514, n’avaient pas établi et ne reflétaient pas non plus une règle pertinente du
droit international coutumier
3.16. Il est avancé dans plusieurs exposés écrits que certaines résolutions votées par
l’Assemblée générale dans les années 1960, ou des dispositions spécifiques d’icelles, reflétaient un
droit international coutumier déjà apparu au moment de leur adoption74, ou bien que lesdites
résolutions avaient elles-mêmes créé un droit international coutumier75. Il est incontestable que la
quasi-totalité des Etats à l’époque apportait un soutien moral et politique très ferme au principe
d’autodétermination et se félicitait de l’influence de celui-ci sur la vague de décolonisation ayant
suivi la deuxième guerre mondiale76. Pourtant, l’indication d’un soutien moral et politique ne suffit
pas à établir une opinio juris, laquelle ne peut naître que de la conviction des Etats que le droit
international impose le comportement en question.
3.17. De ce point de vue, comme expliqué dans l’exposé écrit des Etats-Unis77, un groupe
important d’Etats n’avait pas accepté à l’époque l’idée que l’autodétermination s’était muée en une
règle de droit international. Les Etats avaient également fait preuve de divergences profondes sur la
définition et la portée de l’autodétermination dans le cadre des négociations ayant précédé la
rédaction et l’adoption de la résolution 1514 et d’autres résolutions portant sur la décolonisation.
3.18. Les exposés écrits faisant état de l’existence d’une règle de droit international
coutumier au début et au milieu des années 1960 omettent également de tenir compte des preuves
de la persistance de ce désaccord jusqu’à la fin de cette décennie. Ainsi, un jour seulement après
avoir adopté la résolution 1514, l’Assemblée générale a adopté la résolution 1541 (XV) qui
contient des dispositions contredisant matériellement celle-ci78. Les négociations ayant précédé la
73 Voir plus haut la note de bas de page 70, Conclusions de 2016 de la CDI sur le droit international coutumier,
p. 108, par. 6.
74 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 77 ; l’exposé écrit du Belize, par. 2.5 à 2.15 ;
l’exposé écrit de Maurice, par. 6.23 à 6.33 ; l’exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.7 à 3.8.
75 Exposé écrit de l’Union africaine, par. 76.
76 Voir par exemple, plus bas, les notes de bas de page 116 et 117.
77 Voir l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.35 à 4.60.
78 Voir idem, le par. 4.52 (qui explique la différence d’approche entre la résolution 1541, qui énumère les diverses
options dont dispose la population d’un territoire, et la résolution 1514, qui met l’accent sur l’indépendance).
- 20 -
création du Comité spécial de la décolonisation l’année suivante traduisent également la persistance
d’un désaccord sur des éléments clés de la résolution 151479.
3.19. L’historique des négociations  menées du milieu des années 1960 au milieu des
années 1970  ayant précédé l’adoption de la Déclaration sur les relations amicales constitue peutêtre
la meilleure preuve de l’absence persistante d’un consensus. En 1962, lors de la première
réunion des Etats censés formuler une liste des principes de la Charte des Nations Unies méritant
d’être développés dans la Déclaration sur les relations amicales, certains pays avaient déjà affirmé
que l’autodétermination faisait partie du droit international80. D’autres comme la Thaïlande avaient
adopté une position inverse : «Le principe [de l’autodétermination], malgré les efforts déployés par
l’Organisation [des Nations Unies], est encore loin d’être devenu un principe de droit
international.»81.
3.20. Lors des discussions ultérieures de 1965 consacrées à la Déclaration sur les relations
amicales, les Etats ont continué à se poser la question de savoir si l’autodétermination constituait un
droit légal82.
3.21. Les Etats membres du comité spécial constitué aux fins de rédiger la Déclaration sur
les relations amicales ont continué de débattre de l’autodétermination pendant cinq sessions
annuelles consécutives, de 1966 à 1970. Un certain nombre d’entre eux voyaient dans
79 Par exemple, dans le contexte de l’adoption par l’Assemblée générale de la résolution 1654 (XVI) établissant le
Comité spécial, plusieurs Etats ont souligné que l’octroi «immédiat» de l’indépendance serait inapproprié dans tous les cas
de figure et qu’il conviendrait d’examiner la situation particulière de chaque territoire (voir l’exposé écrit des Etats-Unis,
par. 4.53, note de bas de page 148). La majorité des Etats ont également rejeté un amendement soviétique à la
résolution 1654 visant à faire de 1962 l’année de la liquidation du colonialisme [Nations Unies, Documents officiels de
l’Assemblée générale, doc. A/PV.1066 (27 novembre 1961), par. 59 à 71 (dans lequel le délégué de l’Union soviétique
explique l’amendement)] ; idem, par. 147 (faisant état du rejet de l’amendement par 46 voix contre, 19 pour et
36 abstentions) ; voir aussi, par exemple, idem, par. 137 (Salvador : «J’estime qu’il y aurait peut-être une certaine
exagération à proclamer que l’année 1962 sera l’année de la liquidation du colonialisme … Il est indéniable en effet que
les populations de ces territoires ne sont pas toutes en état d’accéder à la pleine autonomie, encore moins à la pleine
indépendance.»).
80 Voir, par exemple, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/C.6/SR.769
(29 novembre 1962), par. 34 [Yougoslavie : «l’Assemblée générale a statué… une fois pour toutes par sa
Résolution 1514 sur la question de savoir si le principe d’autodétermination … est un principe juridique.» (Traduction
non officielle)] ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/C.6/SR.766
(28 novembre 1962), par. 8 [Chypre : «[l’autodétermination] pourrait équitablement être qualifiée de norme établie de
droit international» (Traduction non officielle)] ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale,
doc. A/C.6/SR.765 (23 novembre 1962), par. 4 [Tunisie : «Depuis 1945, le principe d’autodétermination … s’est mué
en une obligation pesant sur tous les pays coloniaux de libérer les populations encore placées sous leur
administration.» (Traduction non officielle)].
81 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/C.6/SR.763 (20 novembre 1962), par. 12.
Voir également, entre autres, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/C.6/SR.769, voir plus
haut la note de bas de page 80, par. 3 [Royaume-Uni : «[L]e droit à l’autodétermination … était incertain et nulle part
reconnu dans la Charte.» (Traduction non officielle)) ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc.
A/C.6/SR.759 (14 novembre 1962), par. 21 [dans lequel la Suède souligne que, même si le principe d’autodétermination
«revêt une importance fondamentale», «il serait extrêmement difficile, voire impossible, de définir ce principe dans des
termes juridiques précis.» (Traduction non officielle)].
82 Voir, par exemple, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/C.6/SR.891
(6 décembre 1965), par. 37 [dans lequel Ceylan relève la persistance «d’un désaccord profond sur la question de savoir
s’il existe un droit légal à l’autodétermination ou bien si les dispositions de la Charte ne sont que l’expression d’un espoir
dépourvue de toute substance juridique» (Traduction non officielle)] ; idem, par. 13 (dans lequel la France se pose la
question de savoir, à propos du principe d’autodétermination s’il constitue et a toujours constitué depuis l’adoption de la
Charte une règle positive de droit international ou s’il s’agit plutôt d’une règle philosophique ou politique ou bien d’un
précepte de morale international).
- 21 -
l’autodétermination une norme du droit international83. En revanche, un groupe important d’Etats
soutenaient que le principe d’autodétermination n’était pas encore un droit en vertu du droit
international ou que, s’il en faisait partie, ses éléments constitutifs et les obligations connexes
restaient à définir84.
3.22. Il était de notoriété publique que les membres du Comité spécial différaient sur la question
de l’autodétermination. Comme le Venezuela le faisait observer en 1967, «il semble qu’aucun
accord n’ait pu être trouvé sur la question de savoir si l’égalité des droits et l’autodétermination
des peuples constituent un principe reconnu et universel du droit international contemporain» ni
sur les éléments constitutifs, la portée ou les effets concrets potentiels de ce principe85.
3.23. Les Etats participant aux négociations relatives à la Déclaration sur les relations
amicales différaient également sur la question de savoir si la résolution 1514 pouvait être
considérée comme reflétant le droit international. Comme le Comité spécial l’a relevé en 1967,
83 Voir, par exemple, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.92
(21 octobre 1968) (négociations du 24 septembre 1968), p. 122 (Madagascar) ; Nations Unies, Documents officiels de
l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.68 (4 décembre 1967) (négociations du 3 août 1967), p. 17 (Ghana) ;
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.41 (27 juillet 1966) (négociations du 11
avril 1966), par. 3 (Kenya) ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.40
(27 juillet 1966) (négociations du 7 avril 1966), par. 2 (Tchécoslovaquie) ; idem, par. 17 (Yougoslavie).
84 Voir, par exemple, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.93
(21 octobre 1968) (négociations du 25 septembre 1968), p. 145 et 146 [dans lequel le Canada relève «des divergences
d’opinions importantes sur l’interprétation du principe d’autodétermination» de sorte que «le but» du Comité spécial sur
l’autodétermination «doit consister à définir les éléments juridiques du principe et, si possible, d’établir des lignes
directrices relatives aux situations auxquelles la formule doit s’appliquer» (citations extraites, respectivement, des p. 145
et 146) (Traduction non officielle)] ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.92,
voir plus haut la note de bas de page 83, p. 121 (Royaume-Uni : «[L]e Royaume-Uni a toujours estimé que, dans la
mesure où l’autodétermination serait un concept juridique et non pas uniquement politique, il conviendrait de l’exprimer
comme un principe et non comme un droit. Toutefois, … [il] a été élaboré … pour participer à des tentatives de
formulation du principe d’autodétermination en tant que «droit»» [Traduction non officielle] ; Nations Unies, Documents
officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.70 [4 décembre 1967] [négociations du 7 août 1967], p. 5
[Australie : «Dans le cadre de ses efforts visant à élaborer plus en détail le contenu du principe [d’égalité des droits et
d’autodétermination], le Comité ne trouve que peu d’aide dans la Charte elle-même, car ledit contenu n’y est nulle part
précisé. … En ce qui concerne le principe, le Comité s’est engagé dans une véritable tâche de développement progressif
du droit international.» [Traduction non officielle]] ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc.
A/AC.125/SR.69 [4 décembre 1967] [négociations du 4 août 1967], p. 17 (Japon. «Malgré la déclaration claire dans la
Charte du principe d’égalité des droits et d’autodétermination des peuples, la délégation [japonaise] n’est pas pleinement
convaincue que ces droits pouvaient être qualifiés de droits en vertu du droit international au même titre que le droit à
l’égalité souveraine ou d’autres droits des Etats.» (Traduction non officielle)] ; Nations Unies, Documents officiels de
l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.68, voir plus haut la note de bas de page 83, p. 3 et 4 (les Etats-Unis affirment
que le principe d’égalité des droits et d’autodétermination constitue «un principe établi du droit international moderne»
tout en appelant le Comité à «prescrire les conditions et les conséquences juridiques dudit principe et à ne pas se limiter à
rappeler son existence d’une manière qui éclaire peu sur son contenu» (Traduction non officielle) (citations extraites
respectivement des p. 3 et 4) ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.44
(27 juillet 1966) (négociations du 13 avril 1966), par. 18 (dans lequel les Pays-Bas, s’agissant d’énoncer les éléments
juridiques de l’autodétermination, relèvent qu’«il n’a pas toujours été facile de traduire ces concepts fondamentaux en un
ensemble de règles juridiques») (Traduction non officielle) ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale,
doc. A/AC.125/SR.41 (27 juillet 1966) (négociations du 11 avril 1966), par. 15 (dans lequel la France fait valoir qu’à
supposer que le Comité en arrive à la conclusion que le principe d’autodétermination est un principe du droit
international, il serait semble-t-il tenu d’étudier et de définir ledit principe en tant que tel. Avant de pouvoir définir les
obligations particulières des Etats en application du principe, il paraît important de définir le principe lui-même.).
85 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.70 (Traduction non officielle),
voir plus haut la note de bas de page 84, p. 19 et 20 (citation p. 19). Voir également, entre autres, le document
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.93, cité plus haut dans la note de bas de
page 84, p 142 (dans lequel le Venezuela fait de nouveau part de ses craintes en 1968) ; idem, p. 139 [dans lequel la Syrie
reconnaît que «la divergence de vues [entre les membres du Comité] concernant la nature des droits appliqués dans le
concept d’autodétermination a débouché sur des divergences supplémentaires quant aux autres aspects du principe»
(Traduction non officielle)] ; idem, p. 143 et 149 (dans lequel l’Inde et la France relèvent l’incapacité persistante du
Comité à parvenir à un consensus sur l’autodétermination).
- 22 -
certaines délégations considéraient que les résolutions de l’Assemblée générale «ne devaient pas
être considérées comme ayant un effet juridiquement contraignant sur le Comité spécial en ce qui
concerne la formulation du contenu juridique du principe» d’autodétermination» (Traduction non
officielle)86. Ces Etats rappelaient que la résolution 1514 (de même qu’une autre résolution relative
à l’usage de la force) n’avait pas été «unanimement adoptée ou acceptée comme étant le droit par
l’Assemblée générale» et «ne pouvait pas être considérée comme reflétant une pratique générale
acceptée comme étant le droit»87.
3.24. Les autres délégations considéraient la résolution 1514 comme «la déclaration la plus
autorisée sur le principe [d’autodétermination] depuis l’adoption de la Charte et une source
obligatoire en ce qui concerne la formulation du principe par le Comité spécial» (Traduction non
officielle)88. Pourtant, plusieurs Etats  estimant par ailleurs que l’autodétermination est un droit
86 Rapport 1967 du Comité spécial sur les relations amicales, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée
générale, doc. A/6799 (26 septembre 1967) [ci-après le «Rapport de 1967 sur les relations amicales»], par. 185. Voir
également, entre autres, le Rapport 1968 du Comité spécial sur les relations amicales, Nations Unies, Documents officiels
de l’Assemblée générale, doc. A/7326 (1968) [«le Rapport de 1968 sur les relations amicales»], par. 147 (faisant part d’un
désaccord persistant sur la résolution 1514) ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc.
A/AC.125/SR.69, voir plus haut la note de bas de page 84, p. 10 [dans lequel le Canada déclare que la résolution 1514
«constitue un document politique important», mais «ne considère pas la déclaration comme une source obligatoire»
(Traduction non officielle)] ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/ISR.70, voir
plus haut la note de bas de page 84, p. 8 [dans lequel l’Australie estime «inacceptable» l’idée que la résolution 1514
produise des effets juridiquement contraignants tout en « reconnaissant [son] importance historique … en tant que jalon
dans les efforts déployés par l’Assemblée générale pour accélérer l’autodétermination» (Traduction non officielle)].
87 Rapport de 1967 sur les relations amicales, voir plus haut la note de bas de page 86, par. 185. Voir également,
entre autres, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.92, voir plus haut la note de bas de
page 83, p. 122 [dans lequel le Royaume-Uni rappelle «ses réserves concernant certaines dispositions de la
résolution 1514» (Traduction non officielle)] ; Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc.
A/AC.125/SR.44, voir plus haut la note de bas de page 84, par. 31 (dans lequel l’Australie déclare qu’en s’abstenant lors
du vote de la résolution 1514, elle désirait «indiquer clairement qu’elle ne considère pas cette résolution dans son ensemble
comme une formulation du droit international» [Traduction non officielle]] ; idem, par. 34 [dans lequel le Canada déclare
que la résolution 1514 est «un document politique pouvant tout au plus avoir un effet persuasif dans le cadre des
discussions du Comité relatives à l’élément juridique du principe en question» [Traduction non officielle]]. Voir aussi
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.107 [5 novembre 1969] [négociations du
4 septembre 1969], p. 78 [dans lequel la Yougoslavie déclare «être consciente de l’existence d’une certaine divergence
d’opinions quant à savoir si [la résolution 1514] impose des obligations aux Etats Membres ou si [elle] exprime
principalement les intentions politiques des Etats ayant voté pour son adoption.» [Traduction non officielle]».
88 Rapport de 1967 sur les relations amicales, voir plus haut la note de bas de page 86, par. 184. Voir également,
entre autres, le document UN Doc. A/AC.125/SR.93 (21 octobre 1968) (négociations du 25 septembre 1968), p. 140 [dans
lequel la Pologne considère la résolution 1514 comme «l’expression la plus valide, depuis l’adoption de la Charte, du
principe faisant l’objet des discussions» et assimile celui-ci «à un principe de droit international universellement
reconnu» (Traduction non officielle)] ; voir aussi le document Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée
générale, doc. A/AC.125/SR.69, voir plus haut la note de bas de page 84, p. 8 [dans lequel la Tchécoslovaquie considère
la résolution 1514 comme «la déclaration la plus autorisée sur le principe ... depuis l’adoption de la Charte elle-même»
et «une source obligatoire pour les besoins des travaux en cours» (Traduction non officielle)].
- 23 -
international  continuaient à exprimer des opinions différentes sur la portée du paragraphe 6 de la
résolution 1514, relatif à l’intégrité territoriale89.
3.25. Il a fallu attendre 1969 pour que le Comité spécial commence à s’atteler à la résolution
d’une partie de ces nombreuses divergences90. Le Cameroun avait fait remarquer que, même à ce stade
tardif, «alors qu’il semble y avoir une acceptation générale du principe selon lequel tous les peuples
doivent jouir de droits égaux et du droit inaliénable à l’autodétermination, il existe toujours des
divergences de vues quant à la méthode d’application dudit droit»91 (Traduction non officielle). Le
Japon, pour sa part, avait déclaré qu’«il pourrait s’avérer impossible de concilier les points de vue,
parfois radicalement différents, de toutes les délégations»92 (Traduction non officielle).
3.26. La plupart des aspects de la disposition relative à l’autodétermination n’ont pas été
élucidés avant avril 197093. Par conséquent, le Comité n’a pas été en mesure de parvenir à un
consensus sur le principe de l’égalité des droits et de l’autodétermination des peuples jusqu’à la
finalisation du texte de la Déclaration sur les relations amicales le 1er mai 197094. Au moment de la
finalisation, les Etats membres du Comité avaient exprimé leur soutien général à l’inclusion de la
disposition relative à l’autodétermination95, alors même que celle-ci s’écartait matériellement de la
89 Comparer, par exemple, avec Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc.
A/AC.125/SR.91 (21octobre 1968) (négociations du 23 septembre 1968), p. 114 [dans lequel le Ghana affirme que «le
sens du paragraphe 6» semble être «que le principe d’autodétermination se limite aux unités politiques déjà définies
comme des pays ou des colonies ou bien des subdivisions d’iceux» (Traduction non officielle)] ; Nations Unies,
Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.68, voir plus haut la note de bas de page 83, p. 10 [Inde.
«Certaines puissances coloniales et autres ont tenté de déformer le véritable sens du principe d’autodétermination et de le
détourner afin de menacer l’indépendance et l’intégrité territoriale d’Etats souverains établis. C’est la raison pour laquelle
l’Assemblée générale, au paragraphe 6 du dispositif … a tenu à souligner que le principe d’autodétermination ne saurait
être invoqué pour justifier «la rupture partielle ou totale de l’unité nationale et de l’intégrité territoriale’ d’un Etat
souverain» (Traduction non officielle)] ; voir le document Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale,
doc. A/AC.125/SR.44, voir plus haut la note de bas de page 84, par. 40 [dans lequel le Guatemala rappelle son
interprétation du paragraphe 6, à savoir que «le principe d’autodétermination ne saurait affecter le droit à l’intégrité
territoriale ou à la récupération d’un territoire» (Traduction non officielle)] ; voir aussi le document Nations Unies,
Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/AC.125/SR.43 (27 juillet 1966) (négociations du 12 avril 1966),
par. 19 [dans lequel l’Argentine indique que l’autodétermination inclut «le droit d’un peuple de déterminer la filiation
nationale de l’espace qui l’habite et, par conséquent, d’exiger des modifications territoriales et de s’opposer à toute cession
d’un territoire à laquelle ledit peuple n’aurait pas expressément consenti» (Traduction non officielle)].
90 Comparer, par exemple, le Rapport de 1968 sur les relations amicales, voir plus haut la note de bas de page 86,
par. 192 (le comité de rédaction n’enregistre aucun progrès en ce qui concerne l’autodétermination) au Rapport de 1969 du
Comité spécial sur les relations amicales, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/7619
(1969), par. 180 (énonçant quelques paragraphes du texte faisant l’objet d’un consensus et aussi plusieurs projets de
paragraphes sur lesquels aucun accord n’a encore été trouvé).
91 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/C.6/SR.1160 (26 novembre 1969), par. 14
(remarques formulées dans le cadre de réunions de la Sixième Commission en vue de discuter des progrès réalisés par le
Comité spécial sur les relations amicales en 1969).
92 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/C.6/SR.1162 (28 novembre 1969), par. 13.
93 Voir le Rapport de 1970 du Comité spécial sur les relations amicales, Nations Unies, Documents officiels de
l’Assemblée générale, doc. A/8018 (1970) [ci-après le «Rapport de 1970 sur les relations amicales»], par. 68 (résumé d’un
rapport oral daté du 10 avril 1970 du président du comité de rédaction dans lequel l’intéressé fait état d’un désaccord
persistant sur des aspects essentiels du projet de résolution au cours des négociations informelles).
94 Idem, par. 84 et 85 [notant que «le projet de déclaration contenu dans le rapport du comité de rédaction
approuvé par le Comité spécial» le 1er mai 1970 «représente le consensus atteint par les délégations» et doit être lu
conjointement avec les déclarations consignées dans le procès-verbal tel qu’elles sont reproduites dans le rapport et les
comptes-rendus analytiques (citation extraite du par. 85)].
95 Voir par exemple, idem, par. 115 et 118 (Venezuela) ; idem, par. 123 (Roumanie) ; idem, par. 140 (Italie) ;
idem, par. 150 (France) ; idem, par. 161 et 162 (Yougoslavie) ; idem, par. 173 et 177 (Canada) ; idem, par 202 et 203
(Australie) ; idem, par 206 (Syrie) ; idem, par 218 et 219 (Inde) ; idem, par. 232 à 235 (Royaume-Uni) ; idem, par. 243
(République arabe unie) ; idem, par. 265 à 270 (Etats-Unis).
- 24 -
résolution 151496. En fait, la Déclaration sur les relations amicales ne mentionnait même pas ladite
résolution 1514. L’Assemblée générale a finalement adopté la Déclaration sur les relations
amicales le 24 octobre 1970, sans qu’aucun Etat ne s’y oppose ou, surtout, ne s’abstienne97.
3.27. Cette analyse historique contredit les affirmations selon lesquelles il existait en 1965 ou
1968 une opinio juris relative à l’existence en droit international d’une norme d’autodétermination
qui aurait interdit la création du BIOT. Même si l’existence d’un droit à l’autodétermination en
droit international semblait faire l’objet d’un consensus croissant, aucun consensus n’avait
manifestement pu être atteint concernant les éléments d’une règle juridique ou de ses
conséquences, y compris des obligations spécifiques à la charge des Etats administrants. Ces faits
permettent de rejeter la conclusion selon laquelle il existait à l’époque une règle spécifique de droit
international coutumier qui aurait interdit au Royaume-Uni d’établir le BIOT98.
3.28. A la lumière des arguments avancés dans certaines déclarations écrites, deux autres
considérations concernant l’opinio juris méritent d’être clarifiées. Premièrement, malgré les
96 En ce qui concerne certaines différences fondamentales entre la Déclaration sur les relations amicales et la
résolution 1514, voir l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.62 à 4.64. Ces différences comprennent, par exemple, le
remplacement de l’appel inconditionnel à l’indépendance par une formulation reconnaissant d’autres choix de statut
politique valables ; l’élimination de l’appel au transfert immédiat de tous les pouvoirs aux territoires non
autonomes ; et la détermination que les territoires non autonomes ont un statut distinct de celui du territoire des Etats
administrants. Idem, par. 4.62 et 4.63.
97 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/PV.1883 (24 octobre 1970), par. 8.
Maurice suggère que la résolution 1514 était si universellement acceptée et corroborée par la pratique contemporaine
qu’elle constituait une norme impérative (exposé écrit de Maurice, par. 6.31 et 6.32). Pourtant, à supposer qu’une
résolution de l’Assemblée générale puisse être considérée comme reflétant le droit établi à l’autodétermination, il
s’agirait de la Déclaration sur les relations amicales. Contrairement à la résolution 1514, la section sur
l’autodétermination de la Déclaration sur les relations amicales a été élaborée par des délégations composées de juristes
internationaux (Edward McWhinney, The "New" Countries and the "New" International Law: The United Nations’
Special Conference on Friendly Relations and Co-operation Among States, 60 AM. J. INT’L L. 1,4 [1966]] dans le cadre
de débats étalés sur cinq ans. Les Etats qui négociaient la Déclaration sur les relations amicales s’étaient efforcés de
parvenir à un consensus, dans l’espoir que cet instrument puisse ainsi être considéré «comme un énoncé faisant autorité
des principes clés de la Charte», Robert Rosenstock, The Declaration of Principles of International Law Concerning
Friendly Relations: A Survey, 65 AM. J. INT’L L. 713, 714 n. 2 [1971] ; Rosenstock, cité plus haut dans la note de bas de
page 70, p. 54 [affirmant que la Déclaration sur les relations amicales «peut s’analyser comme une interprétation faisant
autorité du droit international, tel qu’il a été adopté à l’unanimité et tel qu’il est interprété par de nombreux Membres - en
tout cas, si elle est soutenue par la pratique des Etats»] ; exposé écrit de la Chine, par. 8 [la Déclaration sur les relations
amicales «reconnaît clairement le principe de liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes comme un principe important
du droit international.»]. Certains commentateurs l’ont plus tard qualifiée d’interprétation faisant autorité. Voir, par
exemple, OSCAR SCHACHTER, INTERNATIONAL LAW IN THEORY AND PRACTICE 119 (1991) ; Guyora
Binder, The Case for Self-Determination, 29 STAN. J. INT’L L. 223, 236 (1993). Voir aussi, par exemple, Robert
Rosenstock, représentant des Etats-Unis s’adressant à la Sixième Commission [affaires juridiques] de l’Assemblée
générale des Nations Unies le 5 décembre 1974 in DIGEST OF UNITED STATES PRACTICE IN INTERNATIONAL
LAW 1974 17, 18 [Arthur W. Rovine éditeur, 1974] («Certaines des dispositions les plus importantes de la Charte ont
évolué. Par exemple, si, en 1945 ou 1950, nous avions affirmé que la Charte accorde aux peuples le droit à
l’autodétermination, la plupart des membres auraient été en désaccord. Si, en 1960, nous avions fait la même affirmation,
beaucoup auraient fait remarquer que tout ce qui existe de plein droit est un principe et non un droit. Aujourd’hui [en
1974], si quelqu’un remettait en question l’interprétation selon laquelle il existe un droit à l’autodétermination garanti par
la Charte, ce point de vue serait considéré comme absurde ou, à tout le moins, anachronique et erroné) ; Nations Unies,
Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/C.6/SR.1517 (9 décembre 1974), p. 16 à 20 (résumant
l’allocution de Rosenstock).
98 Armes nucléaires, cité plus haut dans la note de bas de page 71, par. 64 à 73 (dans lequel la Cour n’a pas
conclu à l’existence d’une règle de droit international coutumier interdisant tout usage des armes nucléaires, malgré
l’adoption par l’Assemblée générale d’un grand nombre de résolutions «révélatrices du désir d’une très grande partie de
la communauté internationale» d’interdire lesdites armes, même si «certains autres Etats» continuent à «affirme[r] la
licéité de la menace et de l’emploi d’armes nucléaires dans certaines circonstances … [et] rappellent qu’ils se sont
toujours réservé, de concert avec certains autres Etats, le droit d’utiliser ces armes dans l’exercice du droit de légitime
défense contre une agression armée mettant en danger leurs intérêts vitaux en matière de sécurité» en dépit du fait
qu’aucun Etat n’ait eut réellement recours à ces armes depuis 1945 [citation extraite, respectivement, des paragraphes 73
et 66)].
- 25 -
suggestions de certains Etats99, l’absence de votes négatifs sur la résolution 1514 ou d’autres
résolutions ne démontre pas en soi l’acceptation générale par l’ensemble des Etats de l’idée que la
résolution ou des paragraphes particuliers d’icelle reflétaient le droit international100. Ainsi, comme
les Etats-Unis ont eu l’occasion de l’expliquer dans leur exposé écrit, plusieurs Etats ayant voté la
résolution 1514 nourrissaient malgré tout certaines craintes concernant ce texte, tandis que des
Etats ayant choisi de s’abstenir avaient tenu à exprimer leur soutien aux idéaux portés par le texte
tout en refusant de lui reconnaître la qualité de document juridique ; de plus, même les auteurs de la
résolution avaient souligné son caractère ambitieux101. Cette analyse révèle que nombre de votes en
faveur de la résolution reflétaient une décision politique et non une position juridique.
3.29. Deuxièmement, certains exposés écrits suggèrent que l’utilisation par l’Assemblée
générale du terme «droit» prouve la consécration d’un droit légal assorti d’obligations102. Pourtant,
l’utilisation par l’Assemblée générale de mots comme «droit» et «doivent» dans la résolution 1514
et d’autres ne saurait s’analyser comme générant des obligations contraignantes. En fait, ces mots
émaillent plusieurs résolutions et déclarations de l’Assemblée générale incontestablement
dépourvues de tout effet contraignant et ne reflétant par ailleurs aucune obligation légale. Il
convient notamment de citer dans ce contexte la Déclaration universelle des droits de l’homme
(DUDH)103
et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DDPA)104.
99 Voir l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 9 ; l’exposé écrit du Belize, par. 2.12 ; l’exposé écrit de Djibouti,
par. 31 ; l’exposé écrit des Îles Marshall, par. 18 ; l’exposé écrit de Maurice, par. 1.3 et 6.27.
100 Comme les Etats-Unis l’ont déjà noté ailleurs, «les Etats peuvent soutenir une résolution spécifique ou décider
de ne pas briser le consensus entourant une telle résolution, pour des raisons n’ayant rien à voir avec la conviction que les
propositions énoncées dans cet instrument reflètent le droit international coutumier», John B. Bellinger III & William J.
Haynes II, A U.S. Government Response to the International Committee of the Red Cross Study Customary International
Humanitarian Law, 89 INT’L REVIEW RED CROSS 443, 445 (2007). Voir également, entre autres, U.S. 2018 ILC
Comments, cité plus haut dans la note de bas de page 70, p. 17 [«Le choix de soutenir ou de combattre une résolution peut
reposer sur des considérations politiques ou autres étrangères à l’analyse juridique de son contenu ou en dépit d’un
désaccord avec l’articulation ou l’évaluation d’une prétendue règle de droit international coutumier qui y est abordée.»
(Traduction non officielle)]) ; Conclusions 2016 de la CDI sur le droit international coutumier, voir plus haut la note de bas
de page 70, p. 107, par. 5 [«les votes négatifs, les abstentions ou la dissociation d’un consensus, ainsi que les déclarations
générales et les explications d’une position, peuvent être la preuve de la non-acceptation comme loi et donc de l’absence de
règle.» (Traduction non officielle)] ; Stephen M. Schwebel, The Effect of Resolutions of the U.N. General Assembly on
Customary International Law, 73 AM. SOC’Y INT’L L. PROC. 301, 302 (1979) («Les membres de l’Assemblée générale
votent généralement en réponse à des considérations politiques et non juridiques. Ils ne se conçoivent pas comme créant ou
modifiant le droit international. ... Il s’agit souvent d’une question d’image plutôt que de droit international. Les Etats
voteront d’une manière donnée à plusieurs reprises non pas parce qu’ils considèrent que leurs votes réitérés sont la preuve
d’une pratique acceptée comme loi, mais parce qu’il serait politiquement impopulaire de voter autrement.») ; Gaetano
Arangio-Ruiz, The Normative Role of the General Assembly of the United Nations and the Declaration of Principles of
Friendly Relations, in 137 COLLECTED COURSES OF THE HAGUE ACADEMY OF INT’L LAW 419, 457 (1972)
(expliquant l’importance «du facteur de l’image» comme «force motrice de la prolifération … des résolutions» et
soulignant que la question de savoir «si les membres de l’Assemblée générale «sont sincères ou pas revêt une importance
cruciale au point de faire toute la différence»).
101 Voir l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.42 à 4.44 et les sources citées dans ce document.
102 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 82 à 93, 102 ; l’exposé écrit de Djibouti, par. 31 ;
l’exposé écrit de Maurice, par. 6.22.
103 Résolution 217 (III)-A de l’Assemblée générale, Déclaration universelle des droits de l’homme, Nations Unies,
Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/RES/217(III) (10 décembre 1948).
104 Résolution 61/295 de l’Assemblée générale, Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples
autochtones, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/RES/61/295 (2 octobre 2007), annexe.
- 26 -
Bon nombre d’Etats ont en effet déclaré interpréter ces deux instruments comme des textes non
contraignants énonçant des objectifs ambitieux105.
2. Les résolutions du Conseil de sécurité mentionnant la résolution 1514 ne sauraient être
interprétées comme indiquant que les membres de cet organe considèrent cet instrument
comme reflétant une règle pertinente du droit international coutumier
3.30. Dans son exposé écrit, Maurice cite des résolutions du Conseil de sécurité – adoptées
entre 1963 et 1968 – mentionnant la résolution 1514 pour suggérer que cet organe avait approuvé
un droit légal à l’autodétermination106.
105 En ce qui concerne la DUDH, voir par exemple, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale,
doc. A/PV.182 (10 décembre 1948), p. 904 (Pologne. La DUDH «n’est qu’une expression de principes dépourvue de
valeur juridique … et dont la seule portée se situe sur le terrain moral.») ; idem, p. 905 (Pologne. La DUDH n’est pas
un traité et «ne comporte, par conséquent, aucune obligation d’ordre juridique») ; Nations Unies, Documents officiels de
l’Assemblée générale, doc. A/PV.181 (10 décembre 1948), p. 876 (Australie. «La déclaration se présente comme un idéal
commun que devront atteindre tous les peuples du monde ; du point de vue juridique, elle n’a pas un caractère
obligatoire.») ; idem, p. 885 (le Mexique reprenant le même argument) ; idem, p. 888 (Nouvelle-Zélande. La DUDH «n’a
qu’une force morale» et «n’impose aucune obligation juridique») ; Eleanor Roosevelt, allocution prononcée devant
l’Assemblée générale des Nations Unies sur le thème de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme
(9 décembre 1948), réimprimé dans U.S. DEPARTMENT OF STATE, HUMAN RIGHTS AND GENOCIDE.
SELECTED STATEMENTS 24, 25 (1949) [ «La DUDH n’est pas un traité ; elle n’est pas un accord international. Cet
instrument n’est pas et ne prétend pas être un énoncé de droits ou d’obligations juridiques. Il s’agit d’une déclaration de
principes fondamentaux sur les droits de l’homme et les libertés …» (Traduction non officielle)] ; Nations Unies,
Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/PV.180 (9 décembre 1948), p. 860 à 863 (résumé de l’allocution
prononcée par Madame Roosevelt). En ce qui concerne la DDPA, voir par exemple, Nations Unies, Documents officiels
de l’Assemblée générale, doc. A/61/PV.108 (13 septembre 2007), p. 3 (le Népal exprimant son intention de voter pour la
Déclaration : les principes mentionnés dans la DDPA «ne créent donc aucune obligation juridique ou politique
contraignante.») ; idem, p. 5 (la Turquie exprimant son intention de voter pour la déclaration : «La Déclaration n’est pas
juridiquement contraignante. Elle peut cependant constituer un important outil politique …») ; UN. Doc. A/61/PV.107
(13 septembre 2007), p. 22 (le Royaume-Uni exprimant son intention de voter pour la Déclaration : «cette
Déclaration n’est pas juridiquement contraignante … Toutefois, elle constituera pour les Etats qui reconnaissent des
populations autochtones sur leur territoire national un outil politique important …» ; idem, p. 26 [la Guyane
exprimant son intention de voter pour la Déclaration : «[L]a Déclaration revêt un caractère politique et ne constitue pas
un document juridiquement contraignant …» [Traduction non officielle]] ; idem, p. 17 (la Colombie exprimant son
intention de s’abstenir : «la Déclaration n’est pas une norme juridiquement contraignante» ; idem, p. 22 (le Bangladesh
exprimant son intention de s’abstenir et qualifiant la DDPA de «déclaration politique» ) ; idem, p. 12 [l’Australie
exprimant son intention de voter contre : «tous les Etats s’accordent à voir dans la DDPA expression d’une aspiration dotée
d’une force politique et morale, mais dépourvue de force juridique» (Traduction non officielle)] ; idem, p. 13 [le Canada
exprimant son intention de voter contre : la DDPA «n’est pas un instrument juridiquement contraignant … et ses
dispositions ne reflètent pas le droit international coutumier» (Traduction non officielle)]. Les quatre Etats ayant
voté contre l’adoption de la DDPA ont fait part ultérieurement de leur soutien à ce texte tout en précisant qu’il n’est pas
juridiquement contraignant. Voir U.S. Announcement of Support for the United Nations Declaration on the Rights of
Indigenous Peoples (16 décembre 2010), réimprimé dans DIGEST OF UNITED STATES PRACTICE IN
INTERNATIONAL LAW 2010 262, 264 (Elizabeth R. Wilcox éditeur, 2011) [ «Les Etats-Unis appuient la Déclaration,
qui, sans être juridiquement contraignante ni constituer une déclaration de droit international en vigueur, a une force
morale et politique.» (Traduction non officielle) ; Énoncé du Canada appuyant la Déclaration des Nations Unies sur le
droit des peuples autochtones (12 novembre 2010) : la DDPA «n’est pas juridiquement contraignante [et] ne constitue
pas une expression du droit international coutumier»)] ; Pita Sharples, ministre néo-zélandais des Affaires māories,
Announcement of New Zealand’s Support for the Declaration on the Rights of Indigenous Peoples, Statement Delivered
at the Ninth Session of the U.N. Permanent Forum on Indigenous Issues (19 avril 2010), par. 7, disponible à l’adresse
http://www.beehive.govt.nz/sites/default/files/100420_UNDRIP.pdf [la DDPA «exprime des aspirations nouvelles et non
contraignantes» (Traduction non officielle)] ; Jenny Macklin, ministre australien de la Famille, du Logement, des Services
communautaires et des Affaires autochtones, Statement on the United Nations Declaration on the Rights of Indigenous
Peoples (3 avril 2009), disponible à l’adresse http://parlinfo.aph.gov.au/parlInfo/search/display/display.w3p;query
=Id%3A%22media%2Fpressrel%2F418T6%22 (idem).
106 Exposé écrit de Maurice, par. 6.34 à 6.37 (citant les résolutions 180, 183, 217, 232, 246 et 253 du Conseil de
sécurité des Nations Unies). Maurice a également cité plusieurs résolutions du Conseil de sécurité adoptées après 1968.
Idem, par. 6.35, 6.37 & n. 640. Ces résolutions n’étant pas pertinentes pour la détermination du droit applicable à la
période pertinente – soit l’année 1965 ou, au plus tard, l’année 1968 –, les Etats-Unis n’y font pas référence dans les
présentes observations écrites.
- 27 -
3.31. L’examen attentif du contenu desdites résolutions et des conditions de leur adoption
révèlent cependant qu’elles non plus n’attestent pas l’existence d’une opinio juris. En outre, aucune
des résolutions du Conseil de sécurité ne corrobore l’interprétation particulière par Maurice de la
résolution 1514 selon laquelle le paragraphe 6 de cet instrument énonce un droit à l’intégrité
territoriale  en tant qu’élément constitutif du droit à l’autodétermination107  générant
l’obligation spécifique d’approuver par référendum toute modification des limites du territoire
avant l’indépendance108. Aucune des résolutions du Conseil de sécurité ne mentionne l’intégrité
territoriale ou l’obligation de référendum et, pour autant que les Etats-Unis le sachent, ces sujets
n’ont été soulevés par aucun Etat dans le cadre des discussions consacrées à ces textes.
3.32. En réalité, avec ses résolutions relatives à la situation dans les territoires portugais
d’Afrique, en Rhodésie du Sud et dans le Sud-Ouest africain, le Conseil de sécurité s’est efforcé de
promouvoir des solutions pacifiques aux conflits politiques générés par les actes antidémocratiques
des autorités gouvernementales. Les résolutions mentionnent la résolution 1514 pour faire
référence au principe général selon lequel les populations de ces territoires devraient pouvoir
décider de leur statut politique.
3.33. Ainsi, la résolution 183 (1963) du Conseil de sécurité rappelle le paragraphe 2 de la
résolution 1514 de l’Assemblée générale afin d’établir des conditions communes au règlement
pacifique de la situation dans les territoires portugais109.
3.34. De même, les autres résolutions du Conseil de sécurité citées par Maurice reflètent le
soutien au principe général selon lequel l’intégralité de la population de la Rhodésie du Sud et la
population du Sud-Ouest africain devraient être à même de choisir librement leur statut politique110
107 Idem, par. 6.50 (3).
108 Voir idem, par. 6.58. La section III. C ci-dessous analyse en détail l’argument de Maurice relatif au
référendum.
109 Le Portugal affirmait que ses territoires en Afrique faisaient partie intégrante du pays et avait rejeté les
appels en faveur de l’autonomie gouvernementale ou de la possibilité pour les populations concernées de choisir leur
statut politique. Voir S.C. Res. 180, Nations Unies, doc. S/RES/180 (31 juillet 1963), par. 2 ; Nations Unies, doc.
S/PV.1045 (26 juillet 1963), par. 11 (résumé de la position portugaise par la Chine). Plus spécialement, dans le contexte de
ses discussions avec les pays africains sur l’avenir de ces territoires, le Portugal prétendait que les populations concernées
avaient déjà obtenu «l’autodétermination» «définie comme la participation à l’administration et à la vie politique. Voir le
rapport du Secrétaire général présenté en, application de la résolution adoptée par le Conseil de sécurité à sa 1049e séance,
le 31 juillet 1963 (S/5380), Nations Unies, doc. S/5448 (31 octobre 1963), p. 4 et 5 (citant le ministre portugais des
affaires étrangères pour qui «le mot autodétermination signifie le consentement ou l’adhésion de la population … à une
certaine forme et à une certaine structure de l’Etat et du gouvernement» et pour qui la participation du peuple
autochtone aux élections et aux discussions politiques «représente l’expression libre des désirs et de la volonté de la
population, ainsi que de sa participation à l’administration et à la vie politique du territoire» [Traduction non
officielle]. Les pays africains avaient répondu pouvoir accepter uniquement un concept de l’autodétermination qui
engloberait le droit de la population des territoires à déterminer l’avenir desdits territoires et à se séparer du Portugal.
Idem, p. 5. Plusieurs membres du Conseil de sécurité espéraient que la mention de la formulation de la résolution 1514
inciterait à d’autres discussions entre le Portugal et les pays africains. Nations Unies, doc. S/PV.1082
[10 décembre 1963], par. 98 [Ghana : «le refus du Portugal d’accepter l’interprétation donnée par les Nations Unies de la
libre détermination [a] entraîné la rupture des entretiens»] ; Nations Unies, doc. S/PV.1083 & Corr. 1 [11 décembre 1963],
par. 95 [dans lequel le Brésil exprime son soutien à l’idée d’examiner plus avant diverses questions, dont le concept
d’autodétermination] ; idem, par. 105 [Chine : «Le noeud du différend … semble être l’interprétation et l’application du
droit à l’autodétermination.»] ; idem, par. 147 [dans lequel les Etats-Unis expriment l’espoir que, sur la base de
l’interprétation de la libre détermination confirmée par la résolution 183 du Conseil de sécurité, «nous pourrons avancer
rapidement vers un accord qui permettra bientôt l’exercice pacifique de l’autodétermination, avec pleine liberté de choix,
dans les territoires portugais.»].
- 28 -
3.35. De plus, plusieurs membres du Conseil de sécurité se sont abstenus lors du vote de ces
résolutions ou bien les ont approuvés avec des réserves, ce qui incite d’autant plus à éviter de
conclure que les Etats avaient l’intention d’énoncer une règle de droit. Ainsi, trois des membres
permanents du Conseil de sécurité se sont abstenus pendant le vote de la résolution 180 (1963)111.
En outre, une partie des Etats ayant voté en faveur de cette résolution ont déclaré que celle-ci, à
leurs yeux, énonçait des recommandations politiques et non des obligations juridiques112.
110 Les résolutions relatives à la Rhodésie du Sud constituaient une réaction à la déclaration d’indépendance
adoptée par la minorité européenne, laquelle avait été suivie de l’établissement d’un gouvernemen t. Voir S.C. Res.
217, Nations Unies, doc. S/RES/217 (20 novembre 1965), par. 1. Les résolutions invoquaient la résolution 1514 de
diverses manières en vue de promouvoir un exercice de l’autodétermination reflétant les souhaits librement exprimés de
l’ensemble de la population de Rhodésie du Sud. Aucune de ces références ne suggère que le Conseil de sécurité avait
l’intention d’invoquer un droit légal à l’autodétermination. Voir, par exemple, idem, par. 7 (priant le gouvernement du
Royaume-Uni «de prendre des mesures immédiates pour permettre au peuple de Rhodésie du Sud de décider de son
propre avenir conformément aux objectifs de la résolution 1514 [XV] de l’Assemblée générale» [les italiques sont de
nous] ; S.C. Res. 232, Nations Unies, doc. S/RES/232 [16 décembre 1966], par. 4 (dans lequel le Conseil de sécurité
«réaffirme les droits inaliénables du peuple de la Rhodésie du Sud à la liberté et à l’indépendance conformément à … la
résolution 1514 (XV)» (les italiques sont de nous) ; S.C. Res. 253, Nations Unies, doc. S/RES/253 (29 mai 1968),
préambule, par. 8 [reconnaissant «la légitimité de la lutte que mène le peuple de la Rhodésie du Sud pour obtenir la
jouissance de ses droits tels qu’ils sont énoncés dans la charte des Nations Unies et conformément aux objectifs de la
résolution 1514 (XV)» (les italiques sont de nous)]. Plusieurs Etats ont également souligné l’importance de la
participation de toute la population du territoire et non pas uniquement de la minorité européenne. Voir, par exemple,
Nations Unies, doc. S/PV.1340 (16 décembre 1966), par. 46 (Uruguay : «il n’y aura pas de démocratie en Rhodésie du Sud
tant que la population autochtone n’exercera pas son droit inaliénable de libre détermination …») ; idem, par. 74 (dans
lequel l’Argentine se déclare en faveur de moyens énergiques «pour mettre fin … à la rébellion actuelle en Rhodésie du
Sud ; cela permettra au peuple de ce territoire d’exercer, dans un avenir très proche, son droit à la libre détermination
sans distinction raciale …») ; Nations Unies, doc. S/PV.1265 (20 novembre 1965), par. 57 (dans lequel les Etats-Unis
expriment leur intention de mettre en oeuvre les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité «pour ouvrir la voie à une
solution qui permettra à la population de la Rhodésie du Sud de décider de son propre avenir, conformément au principe
de la libre détermination consacrée par les Nations Unies.»). La résolution 246 portait sur les activités continues du
Gouvernement sud-africain sur le Territoire du Sud-Ouest, y compris la détention et le procès de plusieurs ressortissants
dans ce Territoire. Voir S.C. Res. 246, Nations Unies, doc. S/RES/246 (14 mars 1968). Ce document mentionne dans son
préambule la résolution 1514 sous l’angle du «droit inaliénable du peuple et du territoire du Sud-Ouest africain à la liberté
et à l’indépendance», idem, préambule, par. 3 (les italiques sont de nous). Plusieurs Etats avaient condamné les
tentatives sud-africaines successives d’ingérence dans l’évolution politique du Sud-Ouest africain vers l’indépendance.
Voir, par exemple, Nations Unies, doc. S/PV.1397 (14 mars 1968), par. 9 (dans lequel le Royaume-Uni préconise de
«permettre à toute la population du Sud-Ouest africain de s’acheminer vers la libre et complète autodétermination et
l’indépendance») ; idem, par. 28 (dans lequel l’Union soviétique explique que le débat porte sur «le sort d’un groupe de
patriotes du Sud-Ouest africain qui ont combattu pour libérer leur patrie du joug colonial et raciste et que les autorités de
Pretoria ont soumis à une justice sommaire») ; idem, par. 51 (dans lequel la Hongrie critique les «crimes» du
Gouvernement sud-africain dans la mesure où celui-ci cherche «à réprimer brutalement la lutte pour l’indépendance
nationale»).
111 Nations Unies, doc. S/PV.1049 (31 juillet 1963), par. 17 (dans lequel les Etats-Unis, la France, et le Royaume-
Uni s’abstiennent) ; idem, par 27 (dans lequel les Etats-Unis soutiennent une résolution pacifique de la situation dans les
territoires portugais, tout en expliquant qu’ils se sont abstenus «parce [qu’ils ne croient pas] que la résolution ait été
conçue en des termes ou sous une forme propre à … permettre d’obtenir aussi rapidement et harmonieusement que
possible les résultats que nous souhaitons tous») ; idem, par. 44 (dans lequel le Royaume-Uni explique qu’il n’a pas pu
voter pour le paragraphe 1, citant la résolution 1514 de l’Assemblée générale) ; idem, par. 52 (dans lequel la France, tout
en soutenant les objectifs politiques de la résolution, explique que celle-ci «est rédigée de telle sorte qu’elle dépasse, à
notre avis, la compétence dévolue par la Charte à l’Organisation»). Ces Etats se sont également abstenus, dans un vote
séparé, d’ajouter le paragraphe 4, mentionnant la résolution 1514, à la résolution 232 du Conseil de sécurité (Nations
Unies, doc. S/PV.1340, voir plus haut la note de bas de page 110, par. 93).
112 Voir Nations Unies, doc. S/PV.1080 (6 décembre 1963), par. 14 (dans lequel Madagascar encourage le
Portugal à mettre en oeuvre les «recommandations» contenues dans la résolution 180) ; Nations Unies, doc. S/PV.1083 &
Corr. 1, voir plus haut la note de bas de page 109, par. 76 (Royaume-Uni : «Nous pensons aussi que la libre
détermination relève, dans son essence, de la politique, et non d’une obligation de droit.») ; voir aussi idem, par. 150
(dans lequel les Etats-Unis déclarent maintenir leurs réserves relatives à la résolution 180 et expriment l’espoir que «le
Portugal continuera à coopérer sur les principales dispositions de cet instrument et notamment à l’atteinte de son objectif
essentiel, à savoir la résolution pacifique de la situation prévalant dans les territoires portugais, grâce à l’application du
principe d’autodétermination»).
- 29 -
3.36. En outre, plusieurs membres du Conseil de sécurité étaient favorables à une approche
souple de l’autodétermination, reconnaissant que les procédures spécifiques pour atteindre cet
objectif dépendaient de chaque Etat administrant et que la population d’un territoire était libre de
choisir n’importe quelle forme de statut politique113. Par conséquent, même les Etats reconnaissant
l’existence d’un principe général d’autodétermination n’étaient pas forcément d’accord sur les
modalités spécifiques de son application.
3. L’octroi de l’indépendance à de nombreux territoires ne prouve pas l’existence d’une
règle de droit international coutumier en l’absence de toute opinio juris
3.37. Même si la plupart des exposés écrits ne traitent pas de la question de la pratique des
Etats, certains d’entre eux suggèrent que l’accès à l’indépendance de nombreux Etats dans les
années 1950 et 1960 attesterait ipso facto l’existence à l’époque d’obligations juridiques114. Comme
les Etats-Unis ont eu l’occasion de l’expliquer dans leur exposé écrit, l’analyse historique de la
question n’apporte pas la preuve d’une pratique courante et pratiquement uniforme pendant cette
période115. De plus, il faudrait démontrer que les Etats administrants, en accordant l’indépendance
au territoire, ont agi parce qu’ils croyaient y être contraints par une règle de droit international
coutumier.
3.38. Certes, plusieurs Etats administrants avaient décidé dès la fin des années 1950 et le
début des années 1960 d’intégrer l’appui à la décolonisation dans leur politique nationale116. Ces
Etats ont fréquemment mentionné ce choix politique dans le cadre des discussions ayant entouré la
113 Voir Nations Unies, doc. S/PV.1083 & Corr. 1, cité plus haut dans la note de bas de page 109, par. 52 (dans le
contexte de la résolution 183, «[L]a délégation des Philippines comprend bien que seul le Portugal peut fixer la procédure
et les étapes qui conduiront à l’autodétermination de ses territoires.») ; idem, par. 66 (Royaume-Uni : «… le soin de
décider quand et comment s’exercera la libre détermination incombe sans aucun doute à la Puissance administrante»).
Voir aussi Nations Unies, doc. S/PV.1080, cité plus haut dans la note de bas de page 112, par. 31 (Sierra Leone : «Ce que
les Etats africains tiennent à souligner et ce qu’ils demandent au Conseil de sécurité de préciser dans toute résolution
qu’il adoptera, c’est que, dans l’exercice de l’autodétermination, aucun choix ne doit être exclu …»).
114 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 96 à 98 ; l’exposé écrit du Belize, par. 2.13 ;
l’exposé écrit du Brésil, par. 18 ; l’exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.7.
115 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.65 à 4.72.
116 Voir, par exemple, John F. Kennedy, Président des Etats-Unis, allocution prononcée à New York devant
l’Assemblée générale des Nations Unies (25 septembre 1961), disponible en anglais à l’adresse
http://www.presidency.ucsb.edu/ws/?pid=8352 (dans lequel l’intéressé déclare son soutien à la marée continue
d’autodétermination et déclare l’intention des Etats-Unis de participer pleinement et non pas d’assister uniquement au
passage pacifique et rapide des nations du statut de colonies au partenariat entre égaux) ; Nations Unies, Documents
officiels de l’Assemblée générale, doc. A/PV.945 (13 décembre 1960), par. 134 (dans lequel le délégué de la France
évoque la politique de son pays en faveur de la décolonisation et cite les paroles proférées par le président Charles de
Gaulle en septembre 1960 : «sur l’ensemble du mouvement de décolonisation qui existe d’un bout à l’autre du
monde, … l’émancipation des peuples … est conforme à la fois au génie de notre pays … et au mouvement irrésistible
qui s’est déclenché dans le monde à l’occasion de la guerre mondiale et de ce qui s’en est suivi. J’ai engagé dans
cette voie-là … la politique de la France. Naguère et depuis deux ans elle est orientée dans le même sens. » ; Harold
Macmillan, Premier ministre du Royaume-Uni, allocution prononcée devant le Parlement sud-africain (3 février 1960),
réimprimé dans HAROLD MACMILLAN, POINTING THE WAY 473, 475 (1972) ( «Le vent du changement souffle à
travers ce continent ... Nous devons l’accepter comme un fait et nos politiques nationales doivent en tenir compte .»).
- 30 -
préparation de la résolution 1514 et d’autres résolutions des Nations Unies117. L’analyse historique
révèle cependant que les Etats ayant accordé l’indépendance au cours de cette période étaient
motivés par des considérations extra juridiques et poursuivaient des objectifs politiques, financiers
ou humanitaires118.
3.39. Ainsi, au début des années 1960, les Pays-Bas ont exprimé à maintes reprises le désir
de permettre à la population de l’Irian occidental, un territoire néerlandais non autonome, de choisir
entre la fusion avec l’Indonésie ou un autre statut119. Pourtant, en 1962, les Pays-Bas ont conclu
avec l’Indonésie un accord en vertu duquel le territoire a été cédé à ce pays après moins d’un an
d’administration par les Nations Unies et sans que la population de l’Irian occidental ait été
consultée au préalable120. S’exprimant devant l’Assemblée générale, les Pays-Bas ont expliqué
«avoir dû se résoudre à transférer le territoire à l’Indonésie sans permettre auparavant à la
population d’exprimer son choix» dans la mesure où «la guerre aurait exposé les Papouans et leur
pays à la mort et à la destruction…»121 (Traduction non officielle).
3.40. De telles motivations non juridiques ne constituent pas une opinio juris, une conviction
par «[l]es Etats concernés» c’est-à-dire le sentiment de «se conformer à ce qui équivaut à une
117 Voir, par exemple, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/PV.1065
(27 novembre 1961), par. 203 (dans lequel, en ce qui concerne le Ruanda-Urundi, la Belgique déclare que «le but ultime
était la réalisation des aspirations librement exprimées des populations intéressées» et exprime le souhait que le territoire
devienne indépendant en 1962) ; idem, par. 29 (France : «Nous n’avons pas attendu [la résolution 1514] pour savoir où
nous voulions aller, ce que nous voulions faire, et pour le faire. Qu’il s’agisse des territoires sous tutelle ou des territoires
non autonomes, nous avons préparé l’autodétermination par l’autogestion, …») ; Nations Unies, Documents officiels de
l’Assemblée générale, doc. A/PV.937 (6 décembre 1960), par. 10 (Etats-Unis : «Aucun peuple n’appuie avec plus de
vigueur et plus de fierté que le peuple des Etats-Unis les notions de liberté et d’indépendance nationale.») ;
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/PV.933 (2 décembre 1960), par. 66 (dans lequel
l’Australie discute de la politique qu’elle mène dans deux territoires placés sous son administration : «notre politique est
la même dans les deux cas : nous voulons amener les peuples de ces deux territoires jusqu’à l’autonomie») ;
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/PV.925 (28 novembre 1960), par. 47 (Royaume-
Uni : «Chacun des actes du Royaume-Uni à l’égard de ces territoires [sous administration britannique] a pour objet la
formation de nations nouvelles, de nations qui seront unies et libres et qui donneront aux populations éprises de paix,
d’indépendance, de prospérité et de liberté individuelle la possibilité de satisfaire ces aspirations.»).
118 Voir, par exemple, Anthony Low, The End of the British Empire in Africa, in DECOLONIZATION AND
AFRICAN INDEPENDENCE. THE TRANSFERS OF POWER, 1960-1980 33, 43-51, 70-72 (Prosser Gifford &
Wm. Roger Louis éditeurs, 1988) [ci-après «Gifford & Louis»] (décrivant les motifs incitant le Royaume-Uni à accorder
l’indépendance aux colonies africaines comme découlant de nombreux facteurs, dont la pression politique intérieure, les
protestations dans les colonies, le désir d’éviter une autre crise comme celle de Suez en 1956 et, surtout, la pression des
mouvements nationalistes africains propulsés par un «effet domino» d’autres Etats en train d’obtenir leur indépendance) ;
idem p. 42 (dans lequel l’auteur analyse les raisons ayant incité la Belgique à accorder l’indépendance au Congo, au
nombre desquels le désir de s’épargner «le coût effroyable» de la suppression du mouvement indépendantiste par la
force et les pressions politiques intérieures hostiles à l’envoi de troupes belges ) ; Keith Panter-Brick, Independence,
French Style, in Gifford & Louis, voir plus haut, p. 73, 101 (dans lequel l’auteur décrit la décolonisation de l’Afrique
française comme l’action conjuguée de forces politiques s’exerçant en France et à l’étranger).
119 Voir, par exemple, la lettre envoyée le 7 octobre 1961 par le Représentant permanent des Pays-Bas au Président
de l’Assemblée générale, Memorandum on the Future and the Development of Netherlands New Guinea, Nations Unies,
Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/4915 (9 octobre 1961), par. IV (dans laquelle l’intéressé définit la
politique néerlandaise comme visant à atteindre le plus rapidement possible l’autodétermination du peuple papouan) ; The
Question Of West Irian (West New Guinea), 1957 U.N.Y.B. 76, 78 (1958) (analogue).
120 Accord (avec annexe) concernant l’ouest de la Nouvelle-Guinée (Irian occidental), 15 août 1962, 437
U.N.T.S. 292. L’Assemblée générale a pris acte de la résolution du différend entre les Pays-Bas et l’Indonésie dans sa
résolution 1752 (XVII), «Accord entre la République d’Indonésie et le Royaume des Pays-Bas concernant la Nouvelle-
Guinée occidentale (Irian occidental)», Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc.
A/RES/1752(XVII) (21 septembre 1962).
121 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/PV.1127 (21 septembre 1962), par. 188.
Comme indiqué dans l’exposé écrit des Etats-Unis, au paragraphe 4.71 (note de bas de page 180), les souhaits de la
population de l’Irian ne seront exaucés que des années plus tard dans le cadre d’un processus critiqué pour ses éléments
antidémocratiques.
- 31 -
obligation juridique».122 Les Etats affirmant que l’indépendance accordée à de nombreux peuples
était elle-même la preuve d’obligations juridiques alors en vigueur n’ont pas fourni les éléments de
preuve nécessaires pour établir que les Puissances administrantes ont accordé l’indépendance à des
territoires non autonomes en général, ou à des territoires spécifiques, en ayant la conviction que le
droit international les y contraignait123.
4. Les écrits des publicistes, notamment à l’époque, n’apportent pas la preuve de
l’émergence d’une règle pertinente de droit international coutumier
3.41. Une partie des exposés écrits mentionne les travaux de certains auteurs à l’appui de
l’argument selon lequel le droit à l’autodétermination était devenu une norme du droit international
coutumier au cours de la période pertinente124. L’invocation de ces sources est vaine pour au moins
deux raisons.
3.42. Premièrement, les opinions des publicistes ne sauraient se substituer à la nécessité de
trouver une justification dans les sources directes pertinentes du droit prévues par le Statut de la
Cour et le droit international coutumier125. En vertu dudit statut, la doctrine des publicistes les plus
qualifiés des différentes nations constitue «un moyen auxiliaire de détermination des règles du
droit»126. Les partisans de l’émergence d’une nouvelle règle de droit international coutumier
devraient recenser les preuves directes adéquates de la pratique des Etats et des convictions des
gouvernements sur ce que le droit international exigeait à l’époque, et l’invocation de tel ou tel
ouvrage de doctrine ne saurait servir ce but à moins de fournir des preuves directes de ce type.
3.43. Deuxièmement, les opinions des universitaires relatives à l’existence d’un droit à
l’autodétermination étaient beaucoup plus variées dans les années 1960 et même dans les
années 1970 que certains des exposés écrits ne voudraient le laisser entendre. Au cours de la
période concernée, de nombreux publicistes avaient fait valoir que les éléments nécessaires à la
122 Plateau continental de la mer du Nord, cité plus haut dans la note de bas de page 66, par. 77. La Cour a tenu à
introduire la mise en garde suivante : «Ni la fréquence ni même le caractère habituel des actes ne suffisent.». Idem.
123 Voir notamment Droit d’asile (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 266, 277 (dans lequel la Cour
reconnaît ne pas avoir établi de règles coutumières sur l’asile diplomatique, notamment parce que la pratique des Etats «a
été influencée à tel point par des considérations d’opportunité politique … qu’il n’est pas possible de dégager de tout cela
une coutume constante et uniforme acceptée comme étant le droit …»).
124 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 117 à 127 ; l’exposé écrit du Belize, par. 2.15 ;
l’exposé écrit de Djibouti, par. 32 ; l’exposé écrit de Maurice, par. 6.29.
125 Voir THE STATUTE OF THE INTERNATIONAL COURT OF JUSTICE 854 (Andreas Zimmerman et al.
éditeurs, 2e édition 2012) [ «Contrairement aux sources énumérées dans les alinéas précédents, la jurisprudence et la
doctrine ne sont pas des sources du droit - ou, d’ailleurs, de droits et d’obligations pour les Etats contestataires ; ce sont
des «sources» documentaires indiquées dans les circonstances où la Cour peut trouver des preuves de l’existence des
règles qu’elle est tenue d’appliquer en vertu des trois autres alinéas.») ; OPPENHEIM’S INTERNATIONAL LAW 42-
43 (Robert Jennings & Arthur Watts éditeurs, 9e édition 1992) (dans lequel l’auteur note que le recours à l’autorité des
écrivains comme preuve du droit international a diminué en partie en raison de «la pratique des Etats dont témoignent des
documents et rapports facilement accessibles»).
126 Statut de la Cour internationale de Justice, art. 38 1) d) (les italiques sont de nous).
- 32 -
création d’un droit international coutumier n’avaient pas encore vu le jour dans les années 1970127.
Ces divergences entre les auteurs de doctrine reflétaient celle exprimée par les Etats dans le cadre
des négociations relatives à la Déclaration des relations amicales et d’autres forums128.
3.44. Bon nombre d’auteurs, beaucoup plus proches des événements d’alors que nous ne le
sommes un demi-siècle après les faits, ont contesté sans équivoque l’établissement d’un nouveau
principe de droit international coutumier. Par exemple, Sir Robert Jennings écrivait en 1963 que,
même si l’autodétermination
«… possède des connotations juridiques, il s’agit essentiellement d’un principe
politique pouvant utilement guider la prise de décisions politiques. Elle ne fait pas
l’objet d’une définition suffisamment précise par rapport à des situations spécifiques
pour équivaloir à une doctrine juridique il est donc inexact de parler d’un «droit» à
l’autodétermination si l’on entend par là un droit légal.»129
3.45. Surya Prakash Sinha concluait en 1968 : «on ne saurait prétendre qu’une pratique des
Etats consistant à accorder l’autodétermination est généralement reconnue par les Etats comme
obligatoire en vertu du droit international»130. De même, Sir James Fawcett reconnaissait en 1968
127 Voir, par exemple, GEORG SCHWARZENBERGER, 1 A MANUAL OF INTERNATIONAL LAW 74
(5e édition 1967) (dans lequel l’auteur indique que l’autodétermination «est un principe formateur extrêmement puissant
qui ne fait cependant pas partie intégrante du droit international coutumier») ; GERALD VON GLAHN, LAW AMONG
NATIONS. AN INTRODUCTION TO PUBLIC INTERNATIONAL LAW 485 (1re édition 1965) (dans lequel l’auteur
indique qu’«aucune décision déterminante ne semble avoir été rendue sur la base de l’autodétermination») ; J.H.W. VERZIJL,1
INTERNATIONAL LAW IN HISTORICAL PERSPECTIVE 323 (1968) (dans lequel l’auteur fait observer que «non
seulement le droit revendiqué [à l’autodétermination] n’a pas de détenteur spécifié ou même spécifiable, mais son contenu
matériel et sa portée potentielle pèchent également par leur imprécision.»).
128 Voir, par exemple, plus haut la section III.B.1.
129 R.Y. JENNINGS, THE ACQUISITION OF TERRITORY IN INTERNATIONAL LAW 78 (1963) ; voir aussi
idem, p. 83 («La résolution 1514 est essentiellement un document politique … et les droits dont elle parle ne sont pas des
droits juridiques pouvant être invoqués devant un tribunal.») ; J.A. de Yturriaga, Non-Self-Governing Territories: The
Law and Practice of the United Nations, 18 Y.B. OF WORLD AFFAIRS 178, 209-10 (1964) [dans lequel l’auteur insiste
sur le fait que la plus grande partie de la doctrine est parvenue à la conclusion que les résolutions de l’Assemblée
générale comme la résolution 1514 «ne sont pas juridiquement contraignantes, mais ont une simple valeur morale ou
politique» (citation extraite de la p. 210)] ; Gerald Fitzmaurice, The Future of Public International Law and of the
International Legal System in the Circumstances of Today, in INSTITUT DE DROIT INTERNATIONAL, LIVRE DU
CENTENAIRE 1873-1973. ÉVOLUTION ET PERSPECTIVES DU DROIT INTERNATIONAL 232 à 235 (1973) (dans
lequel l’auteur reconnaît que l’autodétermination est un principe politique, mais rejette son existence en tant que droit
légal) ; Hollis W. Barber, Decolonization: The Committee of Twenty-Four, 138 WORLD AFFAIRS 128, 129 (1975)
(dans lequel l’auteur fait observer que «le terme «autodétermination», bien que sur toutes les lèvres depuis plusieurs
années, n’a toujours pas fait l’objet d’une définition précise.»).
130 Sinha, cité plus haut dans la note de bas de page 70, p. 267 ; voir aussi S. Prakash Sinha, Has Self-
Determination Become a Principle of International Law Today?, 14 INDIAN J. INT’L L. 332, 361 (1974) (dans lequel
l’auteur conclut qu’«on ne saurait affirmer que le principe d’autodétermination est généralement reconnu par les Etats
comme étant obligatoire») ; L.C. Green, Self-Determination and Settlement of the Arab-Israeli Conflict, 65 AM. SOC’Y
INT’L L. PROC. 40, 46 (1971) (dans lequel l’auteur relève qu’«il n’y a toujours pas de droit à l’autodétermination en droit
international positif» et qu’«il ne suffit pas qu’un document non contraignant déclare que le droit est inhérent lorsque la
pratique montre qu’il n’a jamais été pris en compte comme c’est le cas en l’espèce») ; M.C. Bassiouni, «Self-
Determination» and the Palestinians, 65 AM. SOC’Y INT’L L. PROC. 31, 32-33 (1971) («La pratique actuelle des Etats,
en particulier des Etats coloniaux et néocoloniaux, ne démontre pas que le droit [à l’autodétermination], bien que reconnu
en principe, a été appliqué de façon volontaire ou cohérente. Il est certainement admis que l’«autodétermination» ne fait
pas partie du droit international coutumier, puisque la coutume et l’usage des Etats membres de la communauté mondiale
n’attestent pas une telle pratique.»).
- 33 -
l’importance du débat en cours au sein des Nations Unies concernant la question de savoir si
l’autodétermination est un principe politique ou un droit légal131.
3.46. Il est vrai, comme certains exposés écrits ne manquent pas de le signaler132, que Dame
Rosalyn Higgins avait caractérisé l’autodétermination comme un «droit légal international» dès
1963133. Mais cette caractérisation doit être replacée dans son contexte ; Dame Higgins a
notamment assorti cette affirmation d’une reconnaissance contemporaine du fait que «l’étendue et
la portée du droit ont suscité un certain débat»134. Pour reprendre le commentaire du professeur
D.J. Devine relatif à l’observation de Dame Higgins,
«l’autodétermination constitue certainement un sujet de préoccupation internationale
dans la mesure où l’Organisation des Nations Unies et ses organes peuvent demander
instamment son respect. Pourtant, l’affirmation du devoir d’accorder
l’autodétermination et la reconnaissance d’un droit corrélatif à l’autodétermination de
certaines entités sont deux choses très différentes»135.
3.47. De plus, quelque 40 ans après sa première remarque, Dame Higgins elle-même a
reconnu que «lorsque la Cour s’est intéressée à ce concept dans les affaires Sud-Ouest africain,
Namibie et Sahara occidental, nombreux étaient encore les membres des Nations Unies insistant
sur le fait que l’autodétermination n’était qu’une aspiration politique»136.
3.48. En bref, les opinions des universitaires sur un droit à l’autodétermination dans les
années 1960 ne sauraient remplacer le type de preuve indispensable à l’établissement d’une nouvelle
règle de droit international coutumier. De toute façon, de nombreux publicistes distingués avaient
conclu, après l’examen des preuves disponibles, à l’absence d’émergence d’une telle règle. Dans ce
contexte, on ne saurait invoquer cette source auxiliaire pour démontrer l’existence d’une pratique
établie assortie d’une opinio juris.
131 J.E.S. Fawcett, The Protection Of Human Rights on a universal Basis: Recent Experience and Proposals, in
HUMAN RIGHTS IN NATIONAL AND INTERNATIONAL LAW 289, 291 (A. H. Robertson éditeur, 1968) (dans
lequel l’auteur examine l’expérience du Comité spécial de la décolonisation et relève que «même la mise en oeuvre
politique [de l’autodétermination] ne va pas sans mal») ; voir aussi IAN BROWNLIE, PRINCIPLES OF PUBLIC
INTERNATIONAL LAW 484 (1966) («un certain nombre de gouvernements continuent à nier l’existence [de
l’autodétermination] en tant que principe juridique.»).
132 Voir l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 117 ; l’exposé écrit du Belize, par. 2.15 ; l’exposé écrit de
Djibouti, par. 32 ; l’exposé écrit de Maurice, par. 6.29.
133 ROSALYN HIGGINS, THE DEVELOPMENT OF INTERNATIONAL LAW THROUGH THE POLITICAL
ORGANS OF THE UNITED NATIONS 103 (1963).
134 Idem. Voir HANS KELSEN, PRINCIPLES OF INTERNATIONAL LAW 79 (Robert W. Tucker éditeur, 2e
édition 1967) («Qu’un droit ... se soit mué d’un principe de moralité politique en un principe de droit n’est pas très
significatif si les ambiguïtés affectant le premier principe continuent à entourer le second principe également .»).
135 D.J. Devine, The Status of Rhodesia in International Law, 1974 ACTA JURIDICA 109, 194 n. 88 (1974) ;
voir aussi idem, 195-196 (dans lequel l’auteur conclut, après avoir examiné les travaux de nombreux publicistes, que la
majorité était opposée à l’existence d’un droit à l’autodétermination) ; idem, 187 (à propos de l’article 1 commun aux
deux pactes internationaux dans lequel l’auteur déclare «le fait qu’il ait fallu conclure une convention pour établir
l’existence du droit [à l’autodétermination], que ladite convention soit soumise à ratification et que le nombre d’Etats
l’ayant déjà ratifiée est minime sont autant de facteurs incitant à écarter la thèse selon laquelle les pactes internationaux
relatifs aux droits de l’homme posséderaient une valeur de preuve déclaratoire de l’existence d’un tel droit et à nier
l’existence dudit droit en droit coutumier.») ; Robert A. Friedlander, Self-Determination: A Legal-Political Enquiry,
DETROIT COLLEGEOF LAW REV. 71, 81 (1975) ( «La question de savoir si l’autodétermination s’est muée grâce au
«droit» élaboré par l’ONU en un droit légal international demeure jusqu’à aujourd’hui extrêmement controversée.».
136 Rosalyn Higgins, Human Rights in the International Court of Justice, 20 LEIDEN J. INT’L L.745, 747 (2007).
- 34 -
C. Aucune règle de droit international coutumier n’obligeait le Royaume-Uni
à organiser un référendum avant l’indépendance de Maurice
3.49. Tous les Etats ayant abordé la question de leur exposé écrit s’accordent à penser que
les limites d’un territoire pouvaient être modifiées avant l’indépendance avec le consentement de la
population. En d’autres termes, dans le cas de l’exercice de son droit à l’autodétermination, une
population pouvait choisir un statut impliquant une modification préalable de ses limites
territoriales137.
3.50. Quelques Etats affirmaient que le consentement de la population d’un territoire non
autonome aux modifications des limites territoriales ne pouvait être établi que par le biais d’un
référendum138. À supposer même que le droit international coutumier en vigueur au milieu des
années 1960 imposât de déterminer la volonté de la population concernant la modification
éventuelle des limites du territoire, il n’existait aucune obligation de procéder en organisant un
référendum.
3.51. Comme la Cour l’a déjà indiqué, l’une des caractéristiques essentielles des décisions
relatives à l’autodétermination tient à ce qu’elles prennent en considération la volonté librement
exprimée des populations concernées139. Les déclarations de l’ONU sur le sujet, ainsi que la
pratique, démontrent une variété de méthodes acceptables pour déterminer le consentement
137 Voir, par exemple, l’exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.22 ; l’exposé écrit de Maurice, par. 6.58 ; l’exposé
écrit du Belize, par. 3.9 ; l’exposé écrit des Pays-Bas, par. 3.18 ; voir aussi l’exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 76
(faisant valoir que l’uti possidetis s’applique avant l’indépendance pour fixer les limites d’un territoire, mais admettant
une exception dans les cas où les parties en conviennent autrement).
138 Voir, par exemple, l’exposé écrit de Maurice, par. 6.58 (relevant que les seules circonstances dans lesquelles
un Etat nouvellement indépendant n’est pas formé à partir de la totalité du territoire non autonome antérieur sont des
situations dans lesquelles «le maintien de l’intégrité de l’entité s’avérait impossible en raison de troubles internes ou à la
suite d’une expression du libre consentement de la part du peuple à travers un plébiscite») ; l’exposé écrit de Djibouti,
par. 35 (avançant que le consentement à l’établissement du BIOT en tant que territoire séparé aurait nécessité
l’organisation d’un référendum supervisé par l’ONU).
139 Sahara occidental, cité plus haut dans la note de bas de page 14, par. 55 à 59.
- 35 -
librement exprimé de la population140. Les plébiscites et les référendums sont des mécanismes
couramment employés pour déterminer le consentement librement exprimé d’une population, mais
ils ne constituent pas les seuls procédés acceptables. L’Assemblée générale elle-même a admis que
«des référendums, des élections libres et régulières et autres formes de consultation populaire sont
importants pour connaître ces voeux et aspirations»141.
3.52. En ce qui concerne la pratique des Etats, des élections générales et d’autres formes de
négociations ou accords entre les organes représentatifs des peuples142 ont permis de procéder à
140 Les textes de l’Assemblée générale sur l’autodétermination soulignent à maintes reprises que ce droit doit être
exercé «librement» et au moyen de «processus informés et démocratiques» sans imposer de méthode spécifique. Voir la
résolution 637 (VII) de l’Assemblée générale, «Droit des peuples et des nations à disposer d’eux-mêmes», Nations Unies,
Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/RES/637(VII) (16 décembre 1952), par. 2 ; la résolution 742 (VIII)
de l’Assemblée générale, «Facteurs dont il convient de tenir compte pour décider si un territoire est, ou n’est pas, un
territoire dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes», Nations Unies, Documents
officiels de l’Assemblée générale, doc. A/RES/742 (VIII) (27 novembre 1953), par. 5 et 6 ; la résolution 1514 (XV) de
l’Assemblée générale, «Déclaration sur l’octroi de l’Indépendance aux pays et aux peuples coloniaux», Nations Unies,
Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/RES/1514(XV) (14 décembre 1960), par. 2 ; la résolution 1541
(XV) de l’Assemblée générale, «Principes qui doivent guider les Etats membres pour déterminer si l’obligation de
communiquer des renseignements, prévue à l’alinéa e de l’article 73 de la Charte, leur est applicable ou non»,
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/RES/1541(XV) (15 décembre 1960), principes VIIIX
; la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, «Déclaration relative aux principes du droit international
touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies»,
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/RES/25/2625 (24 octobre 1970), annexe, «Le
Principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes», par. 4. De plus, comme l’a expliqué
le Bureau des affaires juridiques de l’ONU, l’histoire de la pratique de l’Organisation «révèle que l’Assemblée générale a
agi au cas par cas pour déterminer si les modalités d’accession des peuples concernés à l’autonomie gouvernementale
répondaient aux exigences de la Charte et des résolutions pertinentes de l’Assemblée» (Traduction non officielle), lettre
au Président du Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi
de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux (11 février 1997), in 1997 U.N. Jurid. Y.B. 448, 450,
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. ST/LEG/SER.C/ 41 [ci-après la «Lettre sur la mise en
oeuvre de la résolution 1514»]. Voir aussi ANTONIO CASSESE, SELF-DETERMINATION OF PEOPLES.A LEGAL
REAPPRAISAL 73-74 (1995) («On tenait pour acquis que chaque fois qu’il apparaissait que le peuple d’un territoire
colonial souhaitait opter pour l’indépendance, il n’était pas nécessaire d’établir ce souhait par le biais d’un plébiscite ou
d’un référendum.») ; MICHLA POMERANCE, SELF-DETERMINATION IN LAW AND PRACTICE 32 (1982)
(relevant que, dans la pratique de l’ONU, «l’indépendance, quel que soit le procédé ayant permis d’y parvenir, n’est
généralement pas sujette à caution»).
141 Résolution de l’Assemblée générale 54/90, «Questions d’Anguilla, des Bermudes, de Guam, des îles
Caïmanes, des îles Turques et Caïques, des îles Vierges américaines, des îles Vierges britanniques, de Montserrat, de
Pitcairn, de Sainte-Hélène et des Samoa américaines», Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale,
doc. A/RES/54/90 (4 février 2000), préambule, par. 15.
142 Lettre de mise en oeuvre de la résolution 1514, citée plus haut dans la note de bas de page 140, p. 449.
- 36 -
l’autodétermination pendant la vague de décolonisation de l’après-guerre143. À l’époque, les Etats
Membres de l’Organisation des Nations Unies ne semblent pas avoir considéré que ces moyens de
détermination de la volonté de la population étaient contraires au droit international.
3.53. Ainsi, pendant toute cette période, «la pratique constante» du Royaume-Uni a consisté
«à veiller à ce que l’indépendance bénéficie de l’appui de la population d’un territoire,
soit par le biais d’un référendum, soit par celui d’une élection générale au cours de
laquelle l’indépendance constitue le coeur du programme du parti vainqueur. En pareil
cas, le principe d’autodétermination était considéré comme respecté.»144
En particulier, les Etats membres du Comité spécial de la décolonisation, ainsi que le Comité luimême,
appuyaient le recours à des élections et à des conférences constitutionnelles en vue
d’assurer la transition des colonies britanniques vers l’indépendance145.
3.54. Les exposés écrits respectifs du Royaume-Uni et de Maurice décrivent en détail le
processus ayant mené à l’indépendance de cette dernière146. L’indépendance n’a pas été obtenue à
143 Par exemple, en ce qui concerne la Gambie, le Kenya, la Zambie et Zanzibar, le droit à l’autodétermination a
été exercé par le biais d’une combinaison d’élections générales (sans participation de l’ONU) et de négociations
suivies d’accords entre les élus et l’Etat administrant. Voir Rapport du Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce
qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux,
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/5238 (1962), p. 164, 167 à 168 (analysant le progrès
des conférences constitutionnelles organisées au Kenya) ; Rapport du Comité spécial chargé d’étudier la situation en ce
qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux,
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/5446/Rev.1 (1963) [ci-après le «Rapport 1963 du
Comité de la décolonisation», p. 206 à 208 (décrivant les élections générales tenues au Kenya, ainsi qu’une conférence
constitutionnelle et des élections générales organisées à Zanzibar) ; Rapport du Comité spécial chargé d’étudier la
situation en ce qui concerne l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples
coloniaux, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/5800/Rev.1 (1965) [ci-après le
«Rapport 1964-1965 du Comité de la décolonisation], p. 10 (indiquant que le Kenya et Zanzibar sont parvenus à
l’indépendance) ; idem, p. 320, 323 [analysant le processus devant mener à l’indépendance, y compris des élections
générales et des conférences sur l’indépendance en Gambie et en Rhodésie du Nord (Zambie)]. En ce qui concerne
l’Afrique française, bien que la Guinée ait obtenu son indépendance par référendum, d’autres territoires français sont
devenus indépendants à la suite d’élections générales, de déclarations d’indépendance et de négociations entre les élus et
le gouvernement français. Voir, par exemple, RUPERT EMERSON, FROM EMPIRE TO NATION. THE RISE TO
SELF-ASSERTION OF ASIAN AND AFRICAN PEOPLES 74-76 (1960) ; Yves Person, French West Africa and
Decolonization, in THE TRANSFER OF POWER IN AFRICA. DECOLONIZATION 1940-1960 141, 168-170 (Prosser
Gifford & Wm. Roger Louis éditeurs, 1982).
144 IAN HENDRY & SUSAN DICKSON, BRITISH OVERSEAS TERRITORIES LAW 280 (2011).
145 Voir, par exemple, le Rapport 1964-1965 du Comité spécial de la décolonisation, cité plus haut dans la note de
bas de page 143, p. 324, par. 67 (le Mali, parlant au nom de plusieurs membres du Comité spécial, «a félicité le
Gouvernement du Royaume-Uni d’avoir pris les mesures qui ont culminé avec l’octroi de l’indépendance à la
Zambie et bientôt à la Gambie») ; idem, p. 324, par. 72 (Cambodge : «Le chemin [vers l’indépendance] que la Rhodésie
du Nord, future Zambie, avait parcouru été conforme aux recommandations du Comité spécial et de l’Assemblée
générale. … Un hommage était dû également au Gouvernement du Royaume-Uni et il fallait souhaiter que l’exemple de
la Zambie serait suivi pour d’autres territoires encore sous administration britannique.») ; idem, p. 325, par. 77 (dans
lequel le représentant de l’Éthiopie «se félicite de la prochaine accession à l’indépendance de la Gambie dont, à son avis,
l’évolution politique était conforme aux aspirations du peuple gambien») ; Rapport 1963 du Comité de la décolonisation,
cité plus haut dans la note de bas de page 143, p. 214, par. 154 (dans lequel l’Inde déclare que le Royaume-Uni en sa
qualité de puissance administrante «avait fait preuve, en l’occurrence, d’une grande sagesse» et exprimé l’espoir que «le
Gouvernement du Royaume-Uni s’inspirerait du modèle kenyan pour régler des problèmes analogues dans d’autres
territoires coloniaux») ; idem, p. 214, par. 161 (dans lequel l’Iraq déclarait qu’«[i]l convenait de se féliciter de ce que des
élections à la suite desquelles avait été formé un gouvernement réellement représentatif eussent finalement eu lieu au
Kenya et de ce que ce territoire dût accéder à l’indépendance.») ; idem, p. 215, par. 163 (dans lequel la délégation
iraquienne «avait noté avec satisfaction que des élections avaient eu lieu à Zanzibar» et ajouté que «[l’]exemple de
Zanzibar pourrait être suivi utilement par d’autres territoires coloniaux …»).
146 Voir l’exposé écrit de Maurice, chapitre 3 ; l’exposé écrit du Royaume-Uni, chapitre III.
- 37 -
l’issue d’un référendum, mais de décisions prises par les représentants élus de Maurice à l’issue
d’une élection générale au cours de laquelle les partis indépendantistes avaient obtenu une majorité
claire147. Après avoir obtenu son indépendance, Maurice a été admis sans problèmes comme Etat
membre de l’Organisation des Nations Unies148. Aucun Etat n’a prétendu à l’époque que
l’indépendance était quelque peu incomplète ou bien que la décision de devenir indépendant ne
reflétait pas la volonté de la population. Il serait donc tout à fait inhabituel pour la Cour d’affirmer
aujourd’hui, 50 ans après les faits, qu’il aurait fallu recourir à un processus différent. Une telle
conclusion n’aurait pas de fondement en droit.
*
* *
3.55. Il est incontestable que le processus de décolonisation s’est déroulé rapidement et avec
succès dans les années 1950 et 1960 et a considérablement enrichi la communauté internationale.
Cependant, seule la production de preuves suffisantes de l’existence à l’époque d’une pratique
des Etats corroborée par une opinio juris permettrait de conclure qu’une règle de droit
international coutumier pertinente en l’espèce s’était cristallisée à l’époque.
3.56. La résolution 1514, ainsi que les autres résolutions de l’Assemblée générale citées par
les tenants de l’existence d’une règle de droit international coutumier, n’a pas établi un nouveau
droit et ces instruments ne reflètent pas la pratique établie réelle des Etats ou l’opinio juris
concernant le respect d’obligations juridiques. De plus, la mention de ces instruments par le
Conseil de sécurité n’atteste pas non plus l’existence d’une opinio juris.
3.57. En outre, l’obtention par de nombreux Etats de leur indépendance pendant cette
période ne constitue pas une preuve en soit, car il faudrait également démontrer que les Etats
administrants se sentaient tenus, en vertu du droit international coutumier, d’octroyer
l’indépendance aux territoires non autonomes en manifestant le désir. Les écrits des publicistes de
l’époque ne corroborent pas la conclusion selon laquelle il existait alors une règle spécifique de
droit international coutumier interdisant l’établissement du BIOT. Enfin, l’analyse historique
n’appuie pas l’affirmation selon laquelle un référendum s’imposait pour pouvoir accorder
l’indépendance alors qu’il était fréquemment recouru à d’autres procédures pour déterminer la
volonté de la population.
3.58. Ayant examiné l’opinion exprimée par les autres Etats dans leur exposé écrit, les Etats-
Unis persistent à croire à l’absence de toute obligation légale internationale  fondée sur un traité
ou le droit international coutumier  de nature à interdire l’établissement du BIOT. Par
conséquent, à supposer que la Cour décide de répondre aux questions énoncées dans la résolution
de l’Assemblée générale relative à la saisine de la Cour, sa réponse à la question a) devrait être que
le processus de décolonisation de Maurice a été validement mené à terme. Cette conclusion, à son
tour, la dispenserait d’avoir à répondre à la question b).
147 Voir l’exposé écrit de Maurice, par. 4.2 ; l’exposé écrit du Royaume-Uni, par. 3.8(f).
148 Voir Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. S/PV.1414 (18 avril 1968) ;
Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/PV.1643 (24 avril 1968).
- 38 -
CHAPITRE IV
OBSERVATIONS COMPLÉMENTAIRES
4.1. Pour les raisons mentionnées dans les présentes observations écrites et dans leur exposé
écrit, les Etats-Unis estiment superflu de répondre en détail à la question b)149. Ils se proposent
plutôt, dans le présent chapitre, de formuler plusieurs observations sur certains exposés écrits abordant
ce point.
4.2. Il convient de noter en particulier que Maurice a demandé à la Cour de donner son avis
sur les réparations auxquelles elle pourrait prétendre dans l’éventualité où sa demande serait jugée
recevable150. Cette attitude prouve une fois de plus que Maurice voit dans la saisine un moyen
d’amener la Cour à statuer sur sa revendication de souveraineté sur l’archipel des Chagos dans le
cadre du différend l’opposant au Royaume-Uni.
4.3. Les affirmations spécifiques proférées par Maurice à propos de sa demande de réparation
reposant sur des hypothèses douteuses ou erronées, les Etats-Unis désirent attirer l’attention de la
Cour sur plusieurs points. Plus spécialement, le présent chapitre examine trois griefs formulés par
Maurice et d’autres : 1) la population mauricienne actuelle détient jusqu’aujourd’hui un droit à
l’autodétermination qu’il n’a pas encore exercé ; 2) le transfert de l’archipel des Chagos à Maurice
doit avoir lieu immédiatement ; et 3) les arrangements en vigueur concernant les installations
militaires de Diego Garcia pourraient facilement être maintenus sous souveraineté mauricienne.
4.4. Premièrement, plusieurs exposés écrits avancent que tout droit non encore exercé en
matière d’autodétermination de l’archipel des Chagos appartient à la population actuelle de
Maurice151. À supposer toutefois que la Cour conclue à l’existence dans ce contexte d’un droit
quelconque d’autodétermination n’ayant pas été encore exercé, le titulaire dudit droit pourrait ne
pas être le peuple mauricien d’aujourd’hui152. Comme la République des Seychelles l’a souligné
dans sa communication, une importante communauté de Chagossiens vit aujourd’hui sur son
territoire153. Des Chagossiens vivent également au Royaume-Uni154. Définir qui est actuellement
détenteur du droit à l’autodétermination de l’archipel des Chagos serait donc une entreprise
extrêmement compliquée.
149 Voir plus haut le par. 1.13 ; l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.17, 4.75. Bon nombre d’autres Etats n’ont pas
abordé la question b)dans leurs déclarations écrites, y compris ceux qui estimaient qu’il serait inapproprié pour la Cour
d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’émettre un avis consultatif, ou ont exhorté la Cour à faire preuve de prudence si
elle le faisait. Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Australie ; l’exposé écrit du Chili ; l’exposé écrit de la Chine ;
l’exposé écrit de la France ; l’exposé écrit de l’Allemagne ; l’exposé écrit d’Israël ; l’exposé écrit de la République de
Corée ; l’exposé écrit de la Fédération de Russie.
150 Voir, par exemple, l’exposé écrit de Maurice, par. 7.42 à 7.61.
151 Voir, par exemple, l’exposé écrit de l’Union africaine, par. 66, 224 ; l’exposé écrit de l’Argentine, par. 51 ;
l’exposé écrit de Belize, par. 4.2 ; l’exposé écrit de Djibouti, par. 42 ; l’exposé écrit de Maurice, par. 6.3 5) ; l’exposé
écrit de la Namibie, p. 3 et 4 ; l’exposé écrit de la Serbie, par. 50 ; l’exposé écrit de l’Afrique du Sud, par. 85.
152 Voir, par exemple, Stephen Allen, The Chagos Islanders and International Law 286 (2004) («Les
Chagossiens … doivent être considérés comme les bénéficiaires du droit à l’autodétermination en ce qui concerne
BIOT».).
153 Voir l’exposé écrit des Seychelles, par. 4, 6 (notant que «bon nombre de Chagossiens ont été transportés aux
Seychelles» et demandant «que le point de vue singulier et les inquiétudes légitimes de cette communauté soient pris en
considération».
154 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 1.5, note de bas de page 7 ; idem, par. 4.38.
- 39 -
4.5. Deuxièmement, Maurice prétend que, si le processus de décolonisation n’a pas été
validement mené à terme, il devrait être immédiatement mis en oeuvre en lui transférant la
souveraineté sur l’archipel des Chagos155. Cet argument présume, à tort, non seulement que la
décolonisation de Maurice n’a pas été menée à terme en 1968, mais également que le droit
international énonce des normes juridiques relatives au calendrier de ce processus156. Cette
proposition est douteuse à la lumière de la pratique actuelle des Etats. Le problème relève plutôt
des relations bilatérales entre Maurice et le Royaume-Uni et ne constitue pas un sujet qu’il
conviendrait à la Cour d’aborder en l’instance.
4.6. Troisièmement, Maurice donne l’assurance détaillée sur plusieurs pages qu’elle
reconnaît l’existence des installations militaires de Diego Garcia et n’a pas l’intention de s’opposer
à la poursuite de l’exploitation de cette base157. Ce faisant, Maurice néglige pourtant de mentionner
la manière dont les Etats-Unis ont accueilli ces assurances. Dans la période ayant précédé le débat de
l’Assemblée générale consacrée à la résolution relative à la saisine de la Cour, par exemple, la
Représentante permanente des Etats-Unis auprès de l’ONU a envoyé une lettre à tous ses
homologues pour les informer que les Etats-Unis ne sont nullement intéressés par la conclusion d’un
arrangement à cette fin avec Maurice158. Au cas où cette information paraîtrait pertinente à la Cour,
les Etats-Unis se proposent de replacer quelque peu leur position dans son contexte.
4.7. L’arrangement spécifique impliquant les installations sur Diego Garcia fonctionne
comme un partenariat entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis, deux alliés proches de longue date.
Cette circonstance se traduit par l’absence de tout «bail» ou paiement par les Etats-Unis au
Royaume-Uni159, par le fait que les deux pays contribuent à la gestion des installations communes
et par le fait qu’ils mènent aussi chaque année des consultations sur tous les sujets intéressant les
installations, y compris leurs objectifs et politiques communs dans la région160.
4.8. Les relations entre les Etats-Unis et Maurice ont beau être cordiales, elles ne sauraient
égaler les relations particulières entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Ces deux Etats sont en
effet des pays amis et alliés entretenant des liens particulièrement profonds et solides, fondés sur
une longue histoire de coopération et cimentés par des objectifs et des valeurs communs. Les
militaires des deux pays, et en particulier leurs marines, travaillent en étroite collaboration.
Comme le ministre de la Défense des Etats-Unis, James Mattis, l’a déclaré récemment :
155 Exposé écrit de Maurice, par. 7.10 à 7.41.
156 Voir, par exemple, le Rapport de 1970 sur les relations amicales (voir plus haut la note de bas de page 93),
par. 266 (Etats-Unis faisant observer à propos de l’appel contenu dans la Déclaration sur les relations amicales pour une
fin «rapide» du colonialisme : «des hommes raisonnables pourraient différer quant au rythme de l’évolution et à
l’interprétation de l’adjectif «rapide»») ; voir aussi plus haut la note de bas de page 79 et les sources qu’elle cite.
157 Exposé écrit de Maurice, par. 7.22.
158 Lettre adressée par Nikki Haley, représentante permanente des Etats-Unis auprès de l’Organisation des
Nations Unies, à tous ses homologues (16 juin 2017), disponible à l’adresse https://usun.state.gov/sites/default/
files/organization_pdf/letter_to_prs_.pdf.
159 Agreement Concerning the Availability of Certain Indian Ocean Islands for the Defense Purposes of Both
Governments [ci-après l’«accord de 1966»], United States-United Kingdom, 30 décembre 1966, 18 U.S.T. 28, T.I.A.S.
6196, 603 U.N.T.S. 273, par. 4.
160 Voir, par exemple, U.S. Department of State, Military Exercises and Operational Coordination, disponible à
l’adresse https://www.state.gov/t/pm/iso/c21539.htm. Voir également Agreement Concerning a United States Naval
Support Facility on Diego Garcia, British Indian Ocean Territory, 15 février 1976, 27 U.S.T. 315, T.I.A.S. 8230, 1018
U.N.T.S. 372 (lequel remplace l'accord de 1966 mentionnés plus haut à la note de bas de page 159 et énonce, dans son
par. 3, une exigence de consultation à intervalles réguliers).
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«Le Royaume-Uni et les Etats-Unis entretiennent une relation spéciale inégalée
et durable qui n’est pas un artefact artificiel ou historique, mais plutôt une garantie
pour l’avenir … nos deux pays partagent plus de 200 ans d’histoire commune,
d’expériences partagées sur le champ de bataille et de coopération diplomatique à toute
épreuve en vue de soutenir nos intérêts en matière de sécurité»161.
4.9. Le statut du BIOT en tant que territoire britannique constitue par conséquent aux yeux
des Etats-Unis une caractéristique essentielle des installations communes en cause. Le Royaume-
Uni et les Etats-Unis exploitent conjointement ces installations depuis des décennies162. Ces
dernières jouent un rôle critique dans le maintien de la paix et de la sécurité à la fois dans la
région du littoral de l’océan Indien et au-delà ; elles constituent la clé de voûte de la coopération
anglo-américaine en matière de défense. Au cours du débat tenu par l’Assemblée générale en
juin 2017 concernant la proposition de résolution relative à la saisine de la Cour, plusieurs Etats
autres que les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont insisté sur les problèmes de sécurité et
explicitement mentionné le rôle des installations dans la région. Il s’agit des Etats riverains de
l’océan Indien que sont l’Australie, l’Inde et Maurice163.
4.10. Les installations communes permettent aux Etats-Unis et au Royaume-Uni de relever
ensemble divers défis en matière de sécurité dans l’océan Indien. Les préoccupations pertinentes
dans la région incluent non seulement les menaces traditionnelles de conflits régionaux, mais aussi
d’autres menaces telles que le terrorisme et la piraterie, les catastrophes naturelles et divers types
de criminalité maritime, y compris la traite d’êtres humains et le trafic de stupéfiants, ainsi que la
pêche illégale, non déclarée et non réglementée164. La base commune est idéalement située pour
appuyer les efforts visant à contrer de telles menaces. Les aéronefs et les navires prépositionnés
permettent une réaction rapide et souple en cas de crise ou de conflit dans la région. La base permet
un soutien logistique aux forces navales respectives du Royaume-Uni et des Etats-Unis ainsi
161 James Mattis, ministre de la défense des Etats-Unis, et Gavin Williamson, ministre de la défense du Royaume-
Uni, remarques faites à Londres le 10 novembre 2017 (https://www.defense.gov/News/Transcripts/Transcript-
View/Article/1369834/remarks-by-secretary-mattis-and-secretary-williamson-in-london-uk/). Lors d'une rencontre
ultérieure entre les deux ministres en février 2018, le ministre Mattis a de nouveau insisté sur la valeur de la relation
spéciale entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni et confirmé l'importance de capacités de défense crédibles. Dana W.
White, porte-parole principale, ministère de la défense des Etats-Unis, lecture du communiqué publié à l'issue de la
réunion bilatérale entre le ministre James Mattis et son homologue britannique Gavin Williamson (1er février 2018),
disponible à l'adresse https://www.defense.gov/News/News-Releases/News-Release-View/Article/14…-
secretary-james-mattis-bilateral-meeting-with-uk-secretary-of-state.
162 Voir l’exposé écrit des Etats-Unis, par. 2.7 (dans lequel il est fait remarquer que les installations militaires
communes sont exploitées conformément à une série d’accords internationaux ayant été enregistrées auprès du Bureau
des traités des Nations Unies).
163 Voir, par exemple, Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/71/PV.88
(6 juin 2017), p. 12 (Royaume-Uni : «[Les installations] apportent une contribution essentielle à la sécurité et à la stabilité
régionales et mondiales. En outre, elles contribuent à garantir la sécurité de l’océan Indien, dont bénéficient tous les Etats
voisins, y compris Maurice. Ces installations jouent un rôle essentiel dans la lutte contre certains des problèmes les plus
difficiles et les plus urgents du XXIe siècle, tels que le terrorisme, la criminalité internationale, la piraterie et l’instabilité
dans ses multiples formes.») ; idem, p. 13 (Etats-Unis : «[La base] contribue considérablement à la sécurité régionale et
internationale.») ; idem, p. 18 (Australie : «Nous notons aussi que la base militaire de Diego Garcia joue un rôle central
dans la lutte antiterroriste mondiale. Nous pensons que tous les membres de l’Assemblée générale ont intérêt à faire en
sorte qu’il n’y ait pas d’incertitude sur le statut de cette base, car cela pourrait compromettre sa contribution à la paix et à la
sécurité internationales.») ; idem, p. 14 (Inde : «… l’Inde partage les inquiétudes de la communauté internationale
concernant la sécurité dans l’océan Indien.») ; idem, p. 8 (Maurice : «Maurice est aussi très préoccupée par la sécurité dans
le monde. C’est pourquoi nous avons dit à plusieurs reprises que nous n’avions aucun problème avec la base
militaire … Maurice est attachée au maintien de la base à Diego Garcia en vertu d’un cadre à long terme, que Maurice est
prête à conclure avec les parties concernées.»).
164 Voir, par exemple, Alice G. Wells, secrétaire d’Etat adjointe par intérim pour les affaires d’Asie du Sud et
d’Asie centrale et représentante spéciale par intérim pour l’Afghanistan et le Pakistan, discours à la Conférence sur l’océan
Indien, Colombo (1er septembre 2017), disponible à l’adresse https://www.state.gov/p/sca/rls/rmks/2017/273825.htm.
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qu’aux missions menées par les Etats-Unis et les Alliés dans l’océan Indien et dans le Nord de la
mer d’Arabie, voire au-delà. En bref, l’arrangement portant sur les installations de Diego Garcia
repose sur un partenariat en matière de défense et de sécurité exceptionnellement étroit et actif entre les
Etats-Unis et le Royaume-Uni.
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CHAPITRE V
CONCLUSION
5.1. Pour les raisons mentionnées dans son exposé écrit et dans les présentes observations
écrites, les Etats-Unis demeurent fermement convaincus que la Cour devrait user de son pouvoir
discrétionnaire pour refuser de rendre un avis consultatif en l’espèce.
5.2. Des points de vue divergents ont été présentés à la Cour concernant la manière dont
celle-ci devrait répondre à la demande qui lui est adressée. Il convient cependant de relever une
nette convergence à la fois sur le fait que la Cour jouit du pouvoir discrétionnaire de rejeter une
demande et sur les critères permettant de déterminer les cas dans lesquels il serait approprié pour
elle d’agir ainsi. De plus, il est largement reconnu qu’il serait inapproprié de rendre un avis
consultatif ayant pour effet de tourner le principe fondamental du consentement au règlement
judiciaire.
5.3. Dans leur exposé écrit, les Etats-Unis ont fait valoir que des circonstances jugées
suffisamment décisives par la Cour elle-même dans le passé pour justifier qu’elle refuse de rendre
un avis consultatif sont manifestement réunies en l’espèce. Aucune des déclarations soumises à la
Cour par d’autres Etats ou organisations ne remet en cause la présence de ces circonstances. En
fait, la grande majorité d’entre eux affirme que les questions juridiques réellement en cause sont
directement liées au point principal d’un différend bilatéral en cours concernant la souveraineté sur un
territoire. Telle est effectivement la raison fondamentale de la saisine.
5.4. Comme la Cour l’a reconnu, son pouvoir discrétionnaire de répondre ou non à une
demande d’avis consultatif «vise à protéger l’intégrité de [sa] fonction judiciaire»165. La demande
qui lui est présentée en l’espèce illustre précisément la raison pour laquelle la Cour s’est vu conférer
ce pouvoir d’appréciation.
___________
165 Kosovo, cité plus haut dans la note de bas de page 61, par. 29.

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Observations écrites des Etats-Unis d'Amérique

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