Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Le 22 juin 2017, l’Assemblée générale a adopté la résolution 71/292, dans laquelle, se référant à l’article 65 du Statut de la Cour, elle a prié celle-ci de donner un avis consultatif sur les questions suivantes:
« a) Le processus de décolonisation a-t-il été validement mené à bien lorsque Maurice a obtenu son indépendance en 1968, à la suite de la séparation de l’archipel des Chagos de son territoire et au regard du droit international, notamment des obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 ?;
b) Quelles sont les conséquences en droit international, y compris au regard des obligations évoquées dans les résolutions susmentionnées, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, notamment en ce qui concerne l’impossibilité dans laquelle se trouve Maurice d’y mener un programme de réinstallation pour ses nationaux, en particulier ceux d’origine chagossienne ? »
Trente-et-un Etats Membres de l’Organisation des Nations Unies et l’Union africaine ont déposé des exposés écrits, et dix Etats ont fait des observations écrites sur les exposés écrits des Etats et de l’Union africaine. Vingt‑et‑un Etats et l’Union africaine ont participé aux audiences publiques qui se sont tenues du 3 au 6 septembre 2018.
Dans l’avis consultatif qu’elle a rendu le 25 février 2019, la Cour a conclu que « le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien lorsque ce pays a accédé à l’indépendance » et que « le Royaume-Uni [était] tenu, dans les plus brefs délais, de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos ». Avant de parvenir à cette conclusion, la Cour s’est d’abord interrogée sur le point de savoir si elle avait compétence pour donner l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale. Après avoir constaté qu’elle avait compétence pour donner l’avis consultatif demandé, la Cour a examiné la question, soulevée par un certain nombre de participants, de savoir si elle devait néanmoins, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, décider de ne pas exercer cette compétence. La Cour a conclu que, à la lumière de sa jurisprudence, il n’existait « aucune raison décisive devant la conduire à refuser de donner l’avis demandé par l’Assemblée générale ».
Après avoir examiné les circonstances factuelles de la séparation de l’archipel de Maurice et du déplacement des Chagossiens hors de celui-ci, la Cour a abordé les questions posées par l’Assemblée générale, celles-ci ne « nécessit[ant] aucune reformulation de sa part ».
En examinant la première question qui lui était posée, la Cour s’est penchée sur la nature, le contenu et la portée du droit à l’autodétermination applicable au processus de décolonisation de Maurice. Elle a commencé par rappeler que la Charte des Nations Unies, qui a fait du respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes l’un des objectifs de l’Organisation, comporte des dispositions permettant, à terme, aux territoires non autonomes de s’administrer eux-mêmes. Elle a ensuite noté que « dans la consolidation de la pratique des Etats en matière de décolonisation, l’adoption de la résolution 1514 (XV) constitu[ait] un moment décisif » et que « [t]ant la pratique des Etats que l’opinio juris, au cours de la période pertinente, confirm[aient] le caractère coutumier du droit à l’intégrité territoriale d’un territoire non autonome, qui constitue le corollaire du droit à l’autodétermination ». La Cour a considéré que les peuples des territoires non autonomes sont habilités à exercer leur droit à l’autodétermination sur l’ensemble de leur territoire, dont l’intégrité doit être respectée par la puissance administrante. Après avoir examiné les fonctions de l’Assemblée générale en matière de décolonisation, la Cour s’est également penché, dans l’examen du droit international applicable au processus de décolonisation de Maurice, aux obligations évoquées dans les résolutions de l’Assemblée générale mentionnées dans la question a). Selon la Cour, « en invitant le Royaume-Uni à respecter ses obligations internationales dans la conduite du processus de décolonisation de Maurice, l’Assemblée générale a agi dans le cadre de la Charte et de l’exercice des fonctions qui lui sont dévolues pour contrôler l’application du droit à l’autodétermination ». Après avoir rappelé les circonstances dans lesquelles la colonie de Maurice avait accepté en principe le détachement de l’archipel de Chagos, la Cour a considéré que celui-ci n’avait pas été fondé sur l’expression libre et authentique de la volonté du peuple concerné. Elle a estimé que les obligations découlant du droit international et reflétées dans les résolutions adoptées par l’Assemblée générale au cours du processus de décolonisation de Maurice imposaient au Royaume-Uni, en tant que puissance administrante, de respecter l’intégrité territoriale de ce pays, y compris l’archipel des Chagos. La Cour a ainsi conclu que, « du fait du détachement illicite de l’archipel des Chagos et de son incorporation dans une nouvelle colonie, dénommée « BIOT » [«Territoire britannique de l’océan Indien»], le processus de décolonisation de Maurice n’[avait] pas été validement mené à bien au moment de l’accession de ce pays à l’indépendance en 1968 ».
S’agissant de la seconde question qui lui était posée, la Cour, ayant établi que le processus de décolonisation de Maurice n’avait pas été validement mené à bien en 1968, a examiné les conséquences, en droit international, du maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni. A cet égard, la Cour a considéré que le maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni « constitu[ait] un fait illicite à caractère continu qui engage la responsabilité internationale de cet Etat », que le Royaume-Uni « [était] tenu, dans les plus brefs délais, de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos et que tous les Etats Membres [étaient] tenus de coopérer avec l’Organisation des Nations Unies aux fins du parachèvement de la décolonisation de Maurice ». Le respect du droit à l’autodétermination étant une obligation erga omnes, tous les Etats ont un intérêt juridique à ce que ce droit soit protégé, a-t-elle dit. Selon la Cour, alors qu’il appartient à l’Assemblée générale de se prononcer sur les modalités nécessaires au parachèvement de la décolonisation de Maurice, tous les Etats Membres doivent coopérer avec l’Organisation des Nations Unies pour la mise en œuvre de ces modalités. Quant à la réinstallation dans l’archipel des Chagos des nationaux mauriciens, y compris ceux d’origine chagossienne, la Cour a été d’avis qu’il s’agissait d’une question relative à la protection des droits humains des personnes concernées qui devrait être examinée par l’Assemblée générale lors du parachèvement de la décolonisation de Maurice.
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.