Observations écrites du Nicaragua

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169-20180515-WRI-05-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel 15241 COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE EFFETS JURIDIQUES DE LA SÉPARATION DE L’ARCHIPEL DES CHAGOS DE MAURICE EN 1965 (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF) OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA 15 mai 2018 [Traduction du Greffe] TABLE DES MATIÈRES Page I. INTRODUCTION ........................................................................................................................... 2 II. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION AVANT 1968 .................................................................... 2 III. LA QUESTION PORTÉE DEVANT LA COUR NE CONCERNE PAS UN DIFFÉREND BILATÉRAL .......... 4 IV. CONCLUSIONS ............................................................................................................................. 6 I. INTRODUCTION 1. Le 1er mars 2018, la République du Nicaragua a présenté son exposé écrit concernant la demande d’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’Archipel des Chagos de Maurice en 1965. Au total, l’Union africaine et 31 Etats ont soumis des exposés écrits. Conformément à l’ordonnance rendue par la Cour le 17 janvier 2018, le Nicaragua présente ses observations écrites sur les autres exposés écrits dans les délais ainsi fixés par la Cour. 2. Dans son exposé écrit, la République du Nicaragua a conclu que la Cour avait compétence pour rendre un avis consultatif en réponse aux questions posées par l’Assemblée générale des Nations Unies dans la résolution 71/292, et qu’il n’existait aucune raison décisive justifiant qu’elle refuse d’exercer cette compétence1. 3. Ainsi qu’il le déclare dans son exposé écrit, le Nicaragua considère que le Royaume-Uni a violé l’intégrité territoriale de Maurice en en détachant, en 1965, l’archipel des Chagos pour créer le «Territoire britannique de l’océan Indien». Ce faisant, le Royaume-Uni a enfreint les obligations qui lui incombent en droit international, en particulier le principe de l’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination. En conséquence, le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien et le maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni constitue, à ce jour, un acte illicite, auquel il doit être mis fin sans délai. II. LE DROIT À L’AUTODÉTERMINATION AVANT 1968 4. Trente-deux exposés écrits ont été présentés, mais le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’Amérique sont les seuls à alléguer que dans les années 19602, le principe d’autodétermination ne revêtait aucun caractère juridiquement contraignant et que, en 1965 et en 1968, il n’existait aucune règle juridiquement contraignante du droit international qui aurait pu interdire la création du Territoire britannique de l’océan Indien et la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice3. En outre, dans son exposé écrit, le Royaume-Uni a déclaré que le droit à l’intégrité territoriale, tel qu’il est énoncé au paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV)4 de l’Assemblée générale, ne faisait partie ni du droit à l’autodétermination, ni du droit international coutumier tels qu’ils existaient en 1 Voir par. 5. 2 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.73. Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.24 et 8.64-8.77. 3 Exposé écrit des Etats-Unis, par. 4.26, 4.27 et 4.73. Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.24. 4 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.27-8.30. Le paragraphe 6 de la résolution 1514 (XV) est libellé comme suit : «6. Toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d'un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies.». - 3 - 1965/19685. En parvenant à cette conclusion, le Royaume-Uni considère que, en 1965 comme en 19686, il n’existait aucune obligation contraignante qui aurait pu s’appliquer à la situation de l’archipel des Chagos, et il soutient par conséquent que le processus de décolonisation a été validement mené à bien en 1968. 5. Le Nicaragua n’est pas de cet avis. Le droit à l’autodétermination tel qu’il découle du droit international coutumier se retrouve aussi bien dans la Charte des Nations Unies, dans de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale, dans la jurisprudence de la Cour, que dans la pratique des gouvernements. Le paragraphe 2 de l’article 1 de la Charte, signée le 26 juin 1945, reconnaît que le développement, entre les nations, de relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, fait partie des objectifs principaux des Nations Unies7. Selon l’article 55 de ce même instrument, les conditions de stabilité et de bien-être nécessaires pour assurer entre les nations des relations pacifiques et amicales sont également fondées sur le principe de l’égalité des droits et du droit à l’autodétermination. 6. Dans sa résolution 421 D (V) du 4 décembre 19508, l’Assemblée générale a reconnu le principe d’autodétermination comme un «droit de l’homme fondamental». Dans sa résolution 545 (VI) du 5 février 1952, elle «[d]écide de faire figurer dans le Pacte ou les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme un article sur le droit de tous les peuples et nations à disposer d’eux-mêmes, et de réaffirmer ainsi le principe énoncé dans la Charte des Nations Unies. Cet article sera rédigé dans les termes suivants : «Tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes», et il stipulera que tous les Etats y compris ceux qui assument la responsabilité d’administrer des territoires non-autonomes doivent contribuer à assurer l’exercice de ce droit, conformément aux Buts et Principes des Nations Unies, et que les Etats qui assument la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes contribuer à assurer l’exercice de ce droit en ce qui concerne les peuples de ces territoires.» Il ressort clairement de cette résolution qu’elle ne crée pas un droit, mais en «réaffirme» un qui a déjà été consigné dans la Charte. 7. Dans les années 19509 et 196010, l’Assemblée générale a continué d’adopter des résolutions dans lesquelles elle définit le principe d’autodétermination comme un droit légitime. La 5 Exposé écrit du Royaume-Uni, par. 8.31-8.61. 6 Ibid., par. 8.62-8.77. 7 Charte des Nations Unies, paragraphe 2 de l’article 1et article 55. Voir aussi Bruno Simma et al. (dir. publ.), The Charter of the United Nations : A Commentary, 2012, p. 315-316 : «Avec l’apparition d’une pratique nouvelle aux Nations Unies, celle de la décolonisation, le principe ancien (politique) d’autodétermination est devenu un droit collectif — une tendance devenue plus ou moins irrécusable avec l’entrée en vigueur du droit à l’autodétermination dans les deux pactes des droits de l’homme des Nations Unies signés en 1966. Bien que le paragraphe 2 de l’article 1 … ne puisse pas définir en détail la teneur et la portée d’un droit à l’autodétermination, incontestablement, selon cet article, ce droit constitue un droit de la Charte et engage tous les Etats Membres.» [Traduction du Greffe.] 8 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale , sixième session, doc. A/RES/545(VI), «Insertion dans le Pacte ou les Pactes internationaux relatifs aux droits de l’homme d’un article sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes». 9 Voir aussi résolution 738 (VIII), A/RES/837 (IX), 14 décembre 1954, par. 1 ; résolution 1188 (XII), A/RES/1188 (XII), 11 décembre 1957, par. 1 a). - 4 - résolution 1514 (XV) est particulièrement importante en ce sens. Elle s’intitule «Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux». Il ressort clairement de son libellé que l’Assemblée générale partait du principe que le droit à l’autodétermination et son application aux territoires non autonomes était un droit préexistant qui découlait du droit international coutumier. Dans cette résolution, l’Assemblée reconnaît également que «[t]ous les peuples ont le droit de libre détermination», avertit que «[t]oute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies»11, puis affirme que «[l]a sujétion des peuples à une subjugation, à une domination et à une exploitation étrangères constitue un déni des droits fondamentaux de l’homme, est contraire à la Charte des Nations Unies et compromet la cause de la paix et de la coopération mondiales». La résolution 1514 (VX) est donc bien l’expression d’une «règle existante du droit coutumier ayant trait au droit des pays coloniaux et des peuples de disposer d’eux-mêmes»12. 8. Il est clair que le droit à l’autodétermination constituait un principe juridiquement contraignant du droit international reconnu par la communauté internationale dans la Charte et réaffirmé dans de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale. 9. Par conséquent, en 1965, lorsque le Royaume-Uni a séparé l’archipel des Chagos de Maurice, le droit à l’autodétermination était un principe bien reconnu du droit international. C’est le principe de l’intégrité territoriale et le droit à l’autodétermination qui ont obligé le Royaume-Uni, en qualité de puissance administrante, à octroyer l’indépendance à Maurice en tant qu’unité territoriale à part entière. Le fait que ces Etats aient tant débattu sur l’origine et les conséquences juridiques du principe d’autodétermination montre que la question du droit à l’autodétermination est la question centrale à trancher par la Cour et que, ainsi qu’il est précisé ci-après, elle ne concerne tout simplement pas un différend bilatéral. III. LA QUESTION PORTÉE DEVANT LA COUR NE CONCERNE PAS UN DIFFÉREND BILATÉRAL 10. Le Royaume-Uni considère que la demande d’avis consultatif concerne un différend bilatéral qui l’oppose depuis longtemps à Maurice. Il a souligné qu’il n’accepterait jamais que ce différend bilatéral soit réglé sur le plan judiciaire, et que «[e]n rendant un avis consultatif dans de telles circonstances, la Cour ne servirait pas la bonne règle judiciaire, notamment parce qu’elle serait amenée à tourner le principe qui veut qu’un Etat ne soit pas tenu de se prêter au règlement judiciaire d’un différend s’il n’est pas consentant»13. 11. Ce n’est pas la première fois que la Cour est en présence d’une telle situation. Dans l’affaire relative à l’Edification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, par exemple, Israël affirmait que «l’objet de la question posée par l’Assemblée générale [faisait] «partie intégrante du différend israélo-palestinien plus large qui concerne des questions liées au terrorisme, à la sécurité, aux frontières, aux colonies de peuplement, à Jérusalem et à d’autres questions connexes»»14. Israël 10 Le droit à l’autodétermination est rappelé dans l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 ainsi que dans l’article premier du Pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966. Les deux pactes reconnaissent que ce «principe» est un «droit» qui appartient à «tous les peuples». 11 Les italiques sont de nous. 12 D. Raic, Statehood and the Law of Self-Determination (2002), p. 217 (annexe 145 de l’exposé écrit de Maurice). 13 Exposé écrit du Royaume-Uni, p. 116, par. 7.21. 14 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J Recueil 2004 (I), p. 157, par. 46. - 5 - a soutenu que la Cour devrait refuser de donner l’avis qui lui était demandé au motif que «la demande concern[ait] un différend entre Israël et la Palestine à l’égard duquel Israël n’a[vait] pas accepté la juridiction de la Cour»15. 12. La Cour a rejeté la position d’Israël. Selon elle, la demande d’avis consultatif ne pouvait être considérée «seulement comme une question bilatérale entre Israël et la Palestine»16. «[c]ompte tenu des pouvoirs et responsabilités de l’Organisation des Nations Unies à l’égard des questions se rattachant au maintien de la paix et de la sécurité internationales, la Cour est d’avis que la construction du mur doit être regardée comme intéressant directement l’Organisation des Nations Unies»17. 13. S’agissant de l’acceptation de sa compétence pour rendre un avis consultatif, la Cour a précisé dans la procédure relative à l’Edification d’un mur que «l’absence de consentement à la juridiction contentieuse de la Cour de la part des Etats intéressés est sans effet sur la compétence qu’a celle-ci de donner un avis consultatif. Dans un avis consultatif de 1950, la Cour a expliqué que : «[i]l en est autrement en matière d’avis, alors même que la demande d’avis a trait à une question juridique actuellement pendante entre Etats. La réponse de la Cour n’a qu’un caractère consultatif : comme telle, elle ne saurait avoir d’effet obligatoire. Il en résulte qu’aucun Etat, Membre ou non membre des Nations Unies, n’a qualité pour empêcher que soit donné suite à une demande d’avis dont les Nations Unies, pour s’éclairer dans leur action propre, auraient reconnu l’opportunité. L’avis est donné par la Cour non aux Etats, mais à l’organe habilité pour le lui demander ; la réponse constitue une participation de la Cour, elle-même ‘organe des Nations Unies», l’action de l’organisation et, en principe, elle ne devrait pas être refusée.» (Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, C.I.J. Recueil 1950, p. 71 ; voir également Sahara occidental, C.I.J. Recueil 1975, p. 24, par. 31.)»18 14. La Cour a jugé que l’objet d’une demande d’avis consultatif «[était] d’obtenir de celle-ci un avis que l’Assemblée générale estime utile pour exercer comme il convient ses fonctions. L’avis est demandé à l’égard d’une question qui intéresse tout particulièrement les Nations Unies, et qui s’inscrit dans un cadre bien plus large que celui d’un différend bilatéral. Dans ces conditions, la Cour estime que rendre un avis n’aurait pas pour effet de tourner le principe du consentement au règlement judiciaire et qu’elle ne saurait dès lors, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser de donner un avis pour ce motif.»19. 15 Ibid., p. 157, par. 46. 16 Ibid., p. 158-159, par. 49. 17 Ibid., p. 159, par. 49. 18 Ibid., p. 157-158, par. 47. 19 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J Recueil 2004 (I), p. 159, par. 50. - 6 - 15. Dans la demande d’avis consultatif en la procédure Chagos, la Cour n’est pas en présence d’un différend bilatéral. Au contraire, les questions de droit dont elle est saisie concernent la décolonisation, le droit à l’autodétermination, les droits de l’homme fondamentaux et le principe de l’intégrité territoriale. Opposables erga omnes, les obligations découlant du droit à l’autodétermination incombent à tous les Etats20 ; elles ne peuvent être considérées simplement comme une question bilatérale. En répondant aux questions posées par l’Assemblée générale, la Cour aiderait celle-ci à exercer ses fonctions consistant à superviser le processus de décolonisation et à s’acquitter de l’une des tâches les plus importantes qui lui soit prescrite par la Charte. 16. Il existe bien entendu un différend bilatéral latent entre Maurice et le Royaume-Uni, mais des questions sont posées à la Cour au sujet du principe d’autodétermination et d’autres principes du droit international, qui sont d’une importance vitale pour la communauté internationale et l’Assemblée générale. Les relations bilatérales qu’a pu entretenir le Royaume-Uni avec Maurice avant son indépendance, quelles qu’elles fussent, sont uniquement envisagées du point de vue de la question de la décolonisation. Il s’agit ici de savoir si le processus de décolonisation a été validement mené à bien et non de connaître les conséquences juridiques d’un quelconque arrangement entre le Royaume-Uni et le peuple qui était sous sa domination. 17. Le maintien de l’archipel des Chagos sous l’administration du Royaume-Uni constitue une violation des droits de l’homme les plus fondamentaux et contrevient au principe du droit international selon lequel toute destruction, partielle ou totale, de l’unité nationale et de l’intégrité nationale d’un pays est incompatible avec les objectifs et les principes du droit international. IV. CONCLUSIONS 18. Pour les motifs qui sont exposés dans les présentes observations écrites, la République du Nicaragua réitère ses demandes et prie la Cour de parvenir aux conclusions suivantes : a) La Cour a compétence pour rendre l’avis consultatif demandé par l’Assemblée générale et dispose de raisons décisives pour ce faire. b) Conformément au droit international et notamment aux obligations énoncées dans les résolutions 1514 (XV) du 14 décembre 1960, 2066 (XX) du 16 décembre 1965, 2232 (XXI) du 20 décembre 1966 et 2357 (XXII) du 19 décembre 1967 de l’Assemblée générale, le processus de décolonisation de Maurice n’a pas été validement mené à bien à ce jour, en raison de la destruction partielle de son territoire. c) En conséquence, au regard du droit international, il doit être mis fin sans délai à cette situation illicite, et la pleine souveraineté sur l’archipel des Chagos devrait être rétrocédée à Maurice. La Haye, le 15 mai 2018. Le représentant de la République du Nicaragua, (Signé) Carlos J. ARGÜELLO-GÓMEZ. ___________ 20 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102.

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