Jadhav (Inde c. Pakistan) - Mesures conservatoires - La Cour prescrit à la République islamique du Pakistan de prendre «toutes les mesures dont [elle] dispose» pour que M. Kulbhushan Sudhir Jadhav, re

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19440
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2017/22
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
Site Internet : www.icj-cij.org Compte Twitter : @CIJ_ICJ

Communiqué de presse
Non officiel

N 2017/22
Le 18 mai 2017

Affaire Jadhav (Inde c. Pakistan)

Mesures conservatoires

La Cour prescrit à la République islamique du Pakistan de prendre «toutes les mesures
dont [elle] dispose» pour que M. Kulbhushan Sudhir Jadhav, ressortissant indien,
ne soit pas exécuté tant qu’elle n’aura pas rendu sa décision définitive en l’affaire

LA HAYE, le 18 mai 2017. La Cour internationale de Justice (CIJ), organe judiciaire
principal de l’Organisation des Nations Unies, a prescrit ce jour à la République islamique du
Pakistan de «prendre toutes les mesures dont [elle] dispose» pour que M. Kulbhushan Sudhir
Jadhav, de nationalité indienne, ne soit pas exécuté tant qu’elle n’aura pas rendu son arrêt définitif
en l’affaire Jadhav (Inde c. Pakistan).

Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires, qui a été adoptée à
l’unanimité, la Cour a également prescrit au Gouvernement du Pakistan de porter à sa connaissance
toutes les mesures qui auront été prises en application de cette ordonnance. Elle a en outre décidé

de demeurer saisie des questions qui font l’objet de l’ordonnance, jusqu’à ce qu’elle rende sa
décision définitive.

Historique de la procédure

Le 8 mai 2017, l’Inde a déposé une demande en indication de mesures conservatoires et
introduit une instance contre le Pakistan dans le cadre d’un différend portant sur des violations de
l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1963 qui auraient
été commises à l’égard d’un ressortissant indien, M. Jadhav, condamné à mort au Pakistan.

Raisonnement de la Cour

La Cour commence par rechercher si elle a compétence prima facie pour connaître de
l’affaire. Elle rappelle que l’Inde entend fonder sa compétence sur l’article premier du protocole de
signature facultative accompagnant la convention de Vienne, qui lui confère compétence à l’égard
des «différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de [cette] Convention». Sur ce point, la
Cour note que les Parties apparaissent bien s’être opposées, et s’opposer aujourd’hui encore, sur la
question de l’assistance consulaire de l’Inde à M. Jadhav au titre de la convention de Vienne. Elle
relève également que les manquements dont l’Inde fait grief au Pakistan, à savoir le fait qu’il

n’aurait pas procédé aux notifications consulaires requises s’agissant de l’arrestation et de la - 2 -

détention de M. Jadhav, ni permis aux autorités consulaires indiennes de communiquer avec
l’intéressé ou de se rendre auprès de lui, semblent susceptibles de relever du champ d’application

de la convention de Vienne. Selon la Cour, cela suffit pour établir qu’elle a, prima facie,
compétence au titre de l’article premier du protocole de signature facultative. La Cour précise en
outre que l’existence entre les Parties d’un accord bilatéral de 2008 sur les relations consulaires ne
modifie pas sa conclusion concernant sa compétence.

La Cour se penche ensuite sur la question de savoir si les droits allégués par l’Inde sont au
moins plausibles. Elle relève que les droits d’un Etat d’être averti de la détention de l’un de ses

ressortissants et de communiquer avec lui par l’entremise de ses autorités consulaires, ainsi que les
obligations de l’Etat ayant placé l’intéressé en détention de l’informer sans retard de ses droits en
matière d’assistance consulaire et d’autoriser l’exercice de ceux-ci sont énoncés au paragraphe 1 de
l’article 36 de la convention de Vienne, et que l’Inde affirme que cette disposition a été violée.
Selon la Cour, il apparaît donc que les droits invoqués par l’Inde sont plausibles.

La Cour s’attache ensuite à la question du lien entre les droits revendiqués et les mesures
conservatoires sollicitées. Elle considère que celles-ci visent à s’assurer que les droits énoncés au

paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne soient sauvegardés. En conséquence, il
existe un lien entre les droits revendiqués par l’Inde et les mesures conservatoires que cette
dernière sollicite.

La Cour poursuit en se demandant s’il existe un risque de préjudice irréparable et s’il y a
urgence. Elle considère que le simple fait que M. Jadhav fasse l’objet d’une condamnation à mort
et puisse donc être exécuté suffit à établir l’existence d’un risque qu’un préjudice irréparable soit

causé aux droits revendiqués par l’Inde. Elle observe en outre que le Pakistan a indiqué que
l’exécution éventuelle de M. Jadhav n’aurait probablement pas lieu avant le mois d’août 2017. Cela
signifie qu’il y a un risque que l’exécution ait lieu à tout moment après cette date, avant qu’elle ait
rendu sa décision définitive en l’affaire. La Cour note enfin que le Pakistan n’a donné aucune
assurance que M. Jadhav ne serait pas exécuté avant le prononcé de cette décision. Dans ces
conditions, elle est convaincue qu’il y a urgence en l’espèce.

La Cour conclut en indiquant les mesures suivantes :

Le Pakistan prendra toutes les mesures dont il dispose pour que M. Jadhav ne soit pas
exécuté tant que la décision définitive en la présente instance n’aura pas été rendue, et portera à la
connaissance de la Cour toutes les mesures qui auront été prises en application de l’ordonnance.

La Cour décide en outre que, jusqu’à ce qu’elle rende sa décision définitive, elle demeurera
saisie des questions qui font l’objet de la présente ordonnance.

___________

Composition de la Cour

La Cour était composée comme suit : M. Abraham, président ; MM. Owada,
Cançado Trindade, Mmes Xue, Donoghue, M. Gaja, Mme Sebutinde, MM. Bhandari, Robinson,

Crawford, Gevorgian, juges ; M. Couvreur, greffier.

M. le juge Cançado Trindade joint à l’ordonnance l’exposé de son opinion individuelle ;
M. le juge Bhandari joint une déclaration à l’ordonnance.

___________ - 3 -

Les résumés de l’opinion individuelle et de la déclaration sont joints au présent
communiqué.

Remarque : Les communiqués de presse de la Cour ne constituent pas des documents
officiels.

___________

La Cour internationale de Justice (CIJ) est l’organe judiciaire principal de l’Organisation des

Nations Unies (ONU). Elle a été instituée en juin 1945 par la Charte des Nations Unies et a entamé
ses activités en avril 1946. La Cour a son siège au Palais de la Paix, à La Haye (Pays-Bas). C’est le
seul des six organes principaux de l’ONU dont le siège ne soit pas à New York. La Cour a une
double mission, consistant, d’une part, à régler conformément au droit international les différends
d’ordre juridique qui lui sont soumis par les Etats (par des arrêts qui ont force obligatoire et sont
sans appel pour les parties concernées) et, d’autre part, à donner des avis consultatifs sur les
questions juridiques qui peuvent lui être soumises par les organes de l’ONU et les institutions du

système dûment autorisées à le faire. La Cour est composée de quinze juges, élus pour un mandat
de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies. Indépendante du
Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, elle est assistée par un Greffe, son propre
secrétariat international, dont l’activité revêt un aspect judiciaire et diplomatique et un aspect
administratif. Les langues officielles de la Cour sont le français et l’anglais. Aussi appelée «Cour
mondiale», elle est la seule juridiction universelle à compétence générale.

Il convient de ne pas confondre la CIJ, juridiction uniquement ouverte aux Etats (pour la
procédure contentieuse) et à certains organes et institutions du système des Nations Unies (pour la
procédure consultative), avec les autres institutions judiciaires, pénales pour la plupart, établies à
La Haye et dans sa proche banlieue, comme le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
(ou TPIY, juridiction ad hoc créée par le Conseil de sécurité), la Cour pénale internationale (ou
CPI, première juridiction pénale internationale permanente, créée par traité, qui n’appartient pas au
système des Nations Unies), le Tribunal spécial pour le Liban (ou TSL, organe judiciaire

international doté d’une personnalité juridique indépendante, établi par le Conseil de sécurité de
l’Organisation des Nations Unies à la demande du Gouvernement libanais et composé de juges
libanais et internationaux), ou encore la Cour permanente d’arbitrage (ou CPA, institution
indépendante permettant de constituer des tribunaux arbitraux et facilitant leur fonctionnement,
conformément à la Convention de La Haye de 1899).

___________

Département de l’information :

M. Andreï Poskakoukhine, premier secrétaire de la Cour, chef du département (+31 (0)70 302 2336)
M. Boris Heim et Mme Joanne Moore, attachés d’information (+31 (0)70 302 2337)
M. Avo Sevag Garabet, attaché d’information adjoint (+31 (0)70 302 2394)

Mme Genoveva Madurga, assistante administrative (+31 (0)70 302 2396) Annexe au communiqué de presse 2017/22

Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

1. Dans son opinion individuelle composée de sept parties, le juge Cançado Trindade précise
tout d’abord qu’il a voté en faveur de l’adoption de la présente ordonnance en indication de
mesures conservatoires. Cela étant, certains aspects de la question traitée revêtant à ses yeux une
grande importance, il se sent tenu de joindre à ladite ordonnance l’exposé de son opinion

individuelle afin d’exprimer les fondements de sa position personnelle à cet égard. Il entend
procéder à son examen sous l’angle de l’épistémologie juridique.

2. Les questions examinées par le juge Cançado Trindade sont les suivantes (partie I) : a) les
droits des Etats et des personnes en tant que sujets de droit international ; b) l’existence de droits
étatiques et de droits individuels interdépendants ; c) le droit à l’information sur l’assistance

consulaire dans le cadre des garanties d’une procédure régulière ; d) le droit de l’homme
fondamental (et non pas simplement «plausible») à protéger, ou les mesures conservatoires en tant
que garanties juridictionnelles de nature préventive ; e) le régime juridique autonome des mesures
conservatoires ; et f) l’humanisation du droit international telle qu’elle se manifeste dans le
domaine du droit consulaire.

3. La présente espèce concerne des violations alléguées de la convention de Vienne sur les
relations consulaires de 1963 qui auraient été commises dans le cadre de la détention et du procès
d’un ressortissant indien (M. K. S. Jadhav) condamné à mort (le 10 avril 2017) par une cour
martiale du Pakistan. Compte tenu des positions distinctes exprimées devant la Cour par les deux
Parties à l’instance (à savoir l’Inde et le Pakistan), le juge Cançado Trindade fait tout d’abord

observer que la présente affaire «met en exergue des droits directement conférés aux Etats et aux
personnes par le droit international», et plus précisément par le paragraphe 1 de l’article 36 de la
convention de Vienne de 1963, qui est elle-même liée au pacte des Nations Unies relatif aux droits
civils et politiques (par. 5-6).

4. Le juge Cançado Trindade souligne que, «dans le droit international contemporain, les
droits des Etats et ceux des personnes doivent de faiteêtre considérés ensemble et ne sauraient être
dissociés» (par. 7). Il rappelle qu’à l’aube du XXI siècle, la Cour interaméricaine des droits de
l’homme, dans son avis consultatif novateur n 16 du 1 octobre 1999 en l’affaire intitulée Right to
Information on Consular Assistance in the Framework of the Guarantees of the Due Process of
Law, a contribué à affiner l’herméneutique de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la

convention de Vienne de 1963, en tenant compte de l’influence du corpus juris du droit
international des droits de l’homme.

5. A cette occasion, le juge Cançado Trindade rappelle qu’il avait joint à l’avis consultatif
précité une opinion concordante dans laquelle il examinait cette influence, laquelle mettait un terme
à «la conception surannée consistant à voir dans l’Etat le titulaire monopolistique des droits» et

démystifiait les exigences d’un positivisme volontariste obsolète (par. 8). Il observait ensuite que
ces exigences «avaient à tort ignoré d’autres domaines de la connaissance humaine ainsi que le
temps existentiel des êtres humains», faisant une «fixation sur l’autonomie de la «volonté» des
Etats». Et d’ajouter :

«Force est de constater que l’émergence et la consolidation du corpus juris du

droit international des droits de l’homme participent elles-mêmes du fait que la
conscience juridique universelle réagit face aux abus récurrents commis à l’encontre
des êtres humains, souvent avec la caution du droit positif : ainsi, le Droit est venu à la - 2 -

rencontre des personnes humaines, les titulaires ultimes de leurs droits intrinsèques
tels que protégés par ses normes …

Dans le cadre de ce nouveau corpus juris, il est impossible d’ignorer la
contribution d’autres domaines de la connaissance humaine ou le temps existentiel des
êtres humains … [L]e droit à l’information sur l’assistance consulaire ... «ne saurait
être apprécié aujourd’hui dans le seul contexte des relations entre Etats, alors que la
science juridique contemporaine est parvenue à la conclusion que le contenu et
l’effectivité des normes juridiques suivent l’évolution du temps et ne sauraient en être

déconnectés» ...

Partant, ... l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne
de 1963 susmentionnée, bien qu’antérieur aux dispositions des deux pactes des
Nations Unies relatifs aux droits de l’homme de 1966, ne peut plus être dissocié des
normes internationales applicables à la protection des droits de l’homme concernant
les garanties d’une procédure régulière ni de leur interprétation évolutive.»
(Par. 9-11.)

6. Selon le juge Cançado Trindade (partie III), «les Etats et les individus sont les sujets du
droit international contemporain ; la cristallisation du droit individuel subjectif à l’information sur
l’assistance consulaire témoigne de cette évolution» (par. 12). La Cour elle-même a tenu compte du
droit international des droits de l’homme dans l’affaire relative au Personnel diplomatique et
consulaire des Etats-Unis à Téhéran (Etats-Unis d’Amérique c. Iran) (mesures conservatoires,
ordonnance du 15 décembre 1979) (par. 12-13) et, bien plus tard, a expressément reconnu

«l’existence de droits étatiques et de droits individuels interdépendants» dans l’affaire Avena et
autres ressortissants mexicains (arrêt du 31 mars 2004, par. 40), déclarant que «toute violation des
droits que l’individu tient de l’article 36 [de la convention de Vienne de 1963] risque d’entraîner
une violation des droits de 1’Etat d’envoi et…que toute violation des droits de ce dernier risque de
conduire à une violation des droits de l’individu» (par. 14).

7. La présente affaire Jadhav constitue, selon lui, une nouvelle occasion de prendre en

considération la formation d’une opinio juris communis à cet effet (par. 16), correspondant à un
nouvel ethos des temps modernes (par. 18). Le juge Cançado Trindade considère qu’il est donc
devenu indispensable d’établir, aux fins de la protection, un lien entre «le droit à l’information sur
l’assistance consulaire et les garanties d’une procédure régulière» figurant dans les instruments du
droit international des droits de l’homme, en tant que témoignage de l’humanisation du droit
international, processus qui se manifeste notamment de nos jours dans le domaine du droit
consulaire (partie IV).

8. Les mesures conservatoires, poursuit-il, sont devenues de véritables garanties
juridictionnelles de nature préventive (par. 7 et 22), protégeant, en premier lieu, le droit
fondamental et inaliénable (et non pas simplement «plausible») à la vie (en sus du droit à la liberté
et à la sécurité individuelles, et du droit à un procès équitable) (partie V). Le juge Cançado
Trindade souligne l’importance du respect des mesures conservatoires, dont témoignent les

ordonnances rendues par la Cour interaméricaine des droits de l’homme dans l’affaire James and
Others versus Trinidad and Tobago (relative à la peine de mort «obligatoire») (1998-2000), dans
laquelle les personnes condamnées n’ont pas été exécutées, et les peines prononcées par les
tribunaux nationaux ont été commuées (par. 20-21).

9. Le juge Cançado Trindade s’intéresse ensuite au «régime juridique autonome des mesures
conservatoires» (partie VI) et à ses éléments constitutifs, à savoir «les droits à protéger, les - 3 -

obligations propres aux mesures conservatoires ; la détermination rapide de la responsabilité (en

cas de non-respect) et des conséquences juridiques qui en découlent ; la présence de la victime (ou
de la victime éventuelle, déjà à ce stade) et l’obligation de réparer les dommages causés» (par. 24).
Il ajoute que, même si les procédures contentieuses devant la Cour continuent de revêtir un
caractère strictement interétatique (par «attachement à un dogme aujourd’hui désuet»), il n’en
demeure pas moins que, dans certaines circonstances, les bénéficiaires de la protection sont les
êtres humains eux-mêmes, considérés individuellement ou collectivement, ainsi qu’il l’a déjà
relevé dans son opinion dissidente en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de

poursuivre ou d’extrader (ordonnance du 28 mai 2009) et dans son opinion individuelle en l’affaire
relative à l’Application de la convention internationale pour la répression du financement du
terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale (ordonnance du 19 avril 2017) (par. 25).

10. Le juge Cançado Trindade en vient à la dernière partie de son opinion, consacrée au

processus en cours  et historique  d’humanisation du droit international (partie VII), qui se
manifeste notamment, comme dans la présent affaire Jadhav, dans le domaine du droit consulaire.
Il rappelle que, dans l’opinion concordante dont il avait joint l’exposé à l’avis consultatif n 18 o
rendu le 17 septembre 2003 par la Cour interaméricaine des droits de l’homme en l’affaire Juridical
Condition and Rights of Undocumented Migrants, il avait déjà examiné ce processus en relevant
l’importance, dans ce contexte, de certains principes fondamentaux qui sont au cœur même du droit

des gens (tel qu’envisagé par les «pères fondateurs» de la discipline), ainsi que l’émergence du jus
cogens et les obligations erga omnes de protection correspondantes, dans leurs dimensions horizontale
et verticale (par. 28). Ces principes, avait-il ajouté,

«forment le substratum de l’ordre juridique lui-même, révélant le droit au Droit dont
les titulaires sont tous les êtres humains, indépendamment de leur statut, de leur

nationalité ou de toute autre circonstance ... Sans ces principes — qui sont
véritablement des prima principia — dont émanent les normes et règles et qui leur
donnent sens, l’«ordre juridique» ne pourrait tout simplement s’accomplir, et cesserait
d’exister en tant que tel.» (Par. 29.)

11. Selon le juge Cançado Trindade, «l’héritage majeur de la pensée juridique de la seconde
e
moitié du XX siècle … a été, par l’émergence et l’évolution du droit international des droits de
l’homme, la réhabilitation de l’être humain en tant que sujet» du droit des gens, doté de la
personnalité et de la capacité juridiques internationales (par. 30). C’est, poursuit-il, la conséquence
de «l’éveil de la conscience juridique universelle …  la recta ratio inhérente à l’humanité , en
tant que source matérielle ultime du droit des gens, bien au-dessus de la «volonté» des Etats
individuels» (par. 30). Et le juge Cançado Trindade de conclure :

«Cette perspective a contribué de manière décisive à la formation, entre autres
et en particulier, d’une opinio juris communis quant aux droits des individus, tels que
garantis à l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne de
1963, témoignant ainsi de l’humanisation en cours du droit international, qui s’étend
aux aspects pertinents des relations consulaires. Toujours fidèle à cette vision
humaniste universelle, je crois utile de l’évoquer, une fois de plus, dans la présente

opinion individuelle, que je joins à l’ordonnance rendue ce jour, 18 mai 2017, par la
Cour internationale de Justice en l’affaire Jadhav.

La Cour, en fin de compte, s’est montrée consciente de ce que les mesures
conservatoires indiquées à juste titre dans son ordonnance (point I du dispositif)
visaient à préserver les droits que l’Etat et l’individu concerné … tiennent du
paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne de 1963. L’interprétation

jurisprudentielle dans ce sens ne cesse donc, et je m’en réjouis, de progresser. Les - 4 -

juridictions internationales contemporaines ont un rôle clé à jouer dans leur mission
commune de réalisation de la justice.» (Par. 32-33.)

Déclaration de M. le juge Bhandari

S’il souscrit à la décision de la Cour d’indiquer des mesures conservatoires, le juge Bhandari
tient toutefois à exposer plus en détail ses vues au sujet des critères régissant l’indication de
mesures conservatoires. La présente affaire soulève des questions ayant trait à la violation de
certains droits de l’homme élémentaires, qui résulte du refus de permettre à l’Inde de communiquer
avec M. Jadhav par l’entremise de ses autorités consulaires, alors que l’intéressé faisait l’objet d’un

procès au Pakistan à l’issue duquel il a été condamné à mort.

Dans sa déclaration, le juge Bhandari commence par présenter les faits afférents à la requête
par laquelle l’Inde a introduit la présente instance ainsi qu’à la demande en indication de mesures
conservatoires qu’elle a présentée. Il se penche ensuite sur les quatre conditions requises pour que
pareilles mesures soient indiquées : i) compétence prima facie ; ii) plausibilité ; iii) risque réel et
imminent de préjudice irréparable ; iv) lien entre les droits revendiqués au fond et les mesures

conservatoires sollicitées. Il examine tour à tour chacune de ces conditions.

Concernant les faits de l’affaire, le juge Bhandari souligne l’incertitude entourant les
circonstances dans lesquelles M. Jadhav a été arrêté. Il précise que les Parties ne s’accordent pas
sur le point de savoir où cette arrestation s’est déroulée, au Pakistan ou hors de ses frontières. Il
revient ensuite sur les échanges diplomatiques qui ont eu lieu entre les deux Etats au sujet des
droits de l’Inde de communiquer, par l’entremise de ses autorités consulaires, avec l’intéressé. Bien
que l’Inde lui ait adressé treize notes verbales, le Pakistan ne l’a pas informée des charges retenues

contre M. Jadhav, et ne lui a pas transmis les documents relatifs à l’action engagée contre celui-ci.
Le juge Bhandari évoque également les procédures permettant à l’intéressé de faire appel de sa
condamnation à mort ou d’introduire un recours en grâce. En l’état actuel des choses, il est difficile
de savoir si l’un quelconque de ces recours internes a été exercé par M. Jadhav lui-même, même si
l’on sait que sa mère a, en désespoir de cause, formé un appel en vertu de l’article 133B de la loi
sur l’armée pakistanaise de 1952, et introduit un recours en grâce en vertu de l’article 131 de cette
même loi. Le juge Bhandari ajoute que le refus du Pakistan de lui permettre d’entrer en

communication avec son ressortissant par l’entremise de ses autorités consulaires a privé l’Inde de
toute information directe au sujet des charges retenues contre M. Jadhav et de l’action engagée
contre lui devant le tribunal militaire pakistanais.

Avant d’aborder les conditions requises pour l’indication de mesures conservatoires, le
juge Bhandari analyse le rôle de l’accord concernant la communication des autorités consulaires
avec les ressortissants de l’Etat d’envoi, conclu entre l’Inde et le Pakistan en 2008. Il souscrit à la

conclusion de la Cour selon laquelle rien n’indique prima facie que les Parties ont, par ce traité,
limité ou écarté les obligations mutuelles qui leur incombent au titre de la convention de Vienne sur
les relations consulaires. Au contraire, l’accord étend, confirme et développe les obligations des
Parties en matière d’assistance consulaire, dont la convention de Vienne constitue le cadre. Il
n’exclut donc pas la compétence de la Cour en la présente espèce. Le juge Bhandari souligne en
outre que l’Inde ne s’est pas fondée sur cet accord, se contentant d’invoquer une violation de la
convention de Vienne. Si elle ne l’a pas fait, c’est notamment parce que i) le paragraphe 2 de

l’article 102 de la Charte des Nations Unies interdit d’invoquer devant un organe de l’Organisation
un traité qui n’a pas été enregistré auprès de cette dernière, ce qui est le cas de l’accord de 2008 ;
ii) l’article 73 de la convention de Vienne n’empêche pas les Etats de conclure des accords
confirmant, complétant ou développant ses dispositions, ou étendant leur champ d’application ; et
iii) cet article n’autorise pas que les dispositions de la convention se trouvent diluées par des traités
conclus ultérieurement.

S’agissant de la compétence prima facie, le juge Bhandari rappelle que l’Inde a fondé la

compétence de la Cour sur le paragraphe 1 de l’article 36 du Statut de celle-ci, lu conjointement - 5 -

avec l’article premier du protocole de signature facultative accompagnant la convention de Vienne
sur les relations consulaires. Ni l’Inde ni le Pakistan n’ont émis de réserve à cet instrument. Le juge

Bhandari établit un parallèle avec l’affaire LaGrand, dans laquelle la Cour s’était déclarée
compétente prima facie sur la base de ces mêmes dispositions juridiques, à l’égard desquelles ni
l’Allemagne ni les Etats-Unis d’Amérique n’avaient émis de réserve. Il considère que la Cour a eu
raison de suivre sa jurisprudence de l’affaire Guinée équatoriale c. France, dans laquelle elle avait
précisé que, pour établir sa compétence prima facie, il lui faut s’assurer qu’il existe prima facie un
différend entre les parties et que celui-ci relève prima facie du champ d’application du traité
invoqué. Le juge Bhandari estime que, en la présente espèce, l’existence prima facie d’un différend

est confirmée par l’échange de notes verbales entre les Parties au sujet de la possibilité pour l’Inde
de communiquer avec M. Jadhav par l’entremise de ses autorités consulaires. Par ailleurs, ce
différend relève du champ d’application ratione materiae de la convention de Vienne sur les
relations consulaires, puisque les faits allégués par l’Inde ont tous trait aux droits consulaires qui lui
sont garantis par cet instrument et que le Pakistan lui aurait néanmoins refusés.

En ce qui concerne la plausibilité, le juge Bhandari rappelle le critère que la Cour a

récemment réaffirmé en l’affaire Ukraine c. Russie. Selon lui, les droits revendiqués par l’Inde au
fond sont plausibles puisqu’ils concernent la possibilité pour elle de communiquer par l’entremise
de ses autorités consulaires avec une personne qui est incontestablement un ressortissant indien, et
a été arrêtée, jugée et déclarée coupable dans un pays étranger. Il est donc plausible que l’Inde
jouisse des droits qu’elle revendique dans les circonstances de l’espèce, c’est-à-dire à l’égard de
M. Jadhav. Le juge Bhandari rappelle que, dans ses commentaires sur le projet d’articles qui a
donné naissance à la convention de Vienne sur les relations consulaires, la Commission du droit

international a clairement précisé que le droit à l’assistance consulaire visé au paragraphe 1 de
l’article 36 de cet instrument s’appliquait également dans le cas où la décision d’une juridiction
interne était devenue définitive. En la présente affaire, il est possible que des appels formés contre
la condamnation à mort de M. Jadhav demeurent pendants ; il est donc plausible que les droits
relatifs à la communication entre un ressortissant de l’Etat d’envoi et ses autorités consulaires
s’appliquent.

Au sujet de la question du risque réel et imminent de préjudice irréparable, le juge Bhandari
analyse les similitudes entre la présente espèce et les précédentes affaires ayant trait à une

condamnation à mort : Breard, LaGrand et Avena. Dans toutes ces affaires, dont les faits étaient
comparables à ceux de la présente espèce, la Cour a déclaré que l’exécution du ressortissant
étranger porterait un préjudice irréparable aux droits de communication consulaire revendiqués au
fond par l’Etat d’envoi. Le juge Bhandari précise par ailleurs que la question de la durée de la
période restant à s’écouler avant l’exécution de M. Jadhav est sans importance à cet égard. Dès lors
qu’il existe un risque réel que M. Jadhav soit exécuté avant que la Cour ait définitivement statué en
l’affaire, il y a urgence.

S’agissant du lien entre les mesures conservatoires sollicitées et les droits revendiqués au

fond, le juge Bhandari souligne, là encore, la similitude entre les précédentes affaires ayant trait à
une condamnation à mort et la présente espèce. Dans toutes ces affaires, la Cour a prescrit au
défendeur de ne pas exécuter la personne dont les droits consulaires étaient en cause et de la tenir
informée des mesures prises en application de l’ordonnance. Le juge Bhandari convient donc que
les mêmes mesures conservatoires devaient être prescrites en la présente espèce.

Le juge Bhandari conclut que la nécessité d’indiquer des mesures conservatoires au titre de
l’article 41 du Statut a été clairement démontrée en la présente espèce. M. Kulbhushan Sudhir
Jadhav ne devra donc pas être exécuté tant que l’affaire demeurera pendante. Outre les questions

touchant aux relations consulaires, il ressort hélas d’un examen préliminaire des faits que, en ne
permettant pas à l’Inde de communiquer avec M. Jadhav par l’entremise de ses autorités
consulaires après son arrestation et pendant la procédure pénale engagée contre lui au Pakistan, ce
dernier a violé les droits de l’homme fondamentaux de l’intéressé.

___________

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Jadhav (Inde c. Pakistan) - Mesures conservatoires - La Cour prescrit à la République islamique du Pakistan de prendre «toutes les mesures dont [elle] dispose» pour que M. Kulbhushan Sudhir Jadhav, ressortissant indien, ne soit pas exécuté tant qu'elle n'aura pas rendu sa décision définitive en l'affaire

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