Exposé écrit du Nicaragua

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18780
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Incidental Proceedings
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13819

COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

AFFAIRE RELATIVE À LA QUESTION DE LA DÉLIMITATION DU PLATEAU

CONTINENTAL ENTRE LE NICARAGUA ET LA COLOMBIE AU-DELÀ
DE 200 MILLES MARINS DE LA CÔTE NICARAGUAYENNE

(NICARAGUA c. COLOMBIE)

EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE DU NICARAGUA SUR LES
EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DE LA RÉPUBLIQUE DE COLOMBIE

19JANVIER2015

[Traduction du Greffe] T ABLE DES M ATIÈRES

CHAPITRE 1 INTRODUCTION.................................................................................................. 1

CHAPITRE 2 LE PACTE DE BOGOTÁ..................................................................................... 3

I. Le droit applicable................................................................................................................. 3

II. La position de la Colombie ................................................................................................... 3

III. La position du Nicaragua ...................................................................................................... 4

IV. La Colombie fait abstraction de l’article XXXI et force l’interprétation
de l’article LVI...................................................................................................................... 5

V. Les travaux préparatoires ne confortent pas la thèse de la Colombie................................. 10

CHAPITRE 3 LA COMPÉTENCE DE LA COUR AU TITRE DE LA REQUÊTE
DE 2001...................................................................................................................................... 12

I. Dans son arrêt de 2012, la Cour s’est abstenue d’exercer
toute sa compétence............................................................................................................. 12

II. Les circonstances motivant sa décision ayant changé, la Cour peut
et doit à présent exercer toute sa compétence ..................................................................... 14

III. La demande du Nicaragua n’est pas une demande d’interprétation................................... 19

CHAPITRE 4 LES DEMANDES DU NICARAGUA NE TOMBENT PAS
SOUS LE COUP DE LA CHOSE JUGÉE............................................................................. 20

I. Seuls les points effectivement tranchés ont force de chose jugée...................................... 21

II. La Cour n’a pas déjà tranché les questions qui lui sont soumises
dans la présente affaire........................................................................................................ 23

III. La présente affaire ne constitue ni un recours ni une demande
en revision de l’arrêt de novembre 2012............................................................................. 28

CHAPITRE 5 RECEVABILITE................................................................................................. 31

I. Recevabilité de la requête dans l’attente d’une recommandation
de la Commission des limites du plateau continental.......................................................... 32

A. Non sequitur................................................................................................................... 32

B. L’impasse à laquelle conduit concrètement l’argument de la Colombie ....................... 38

C. Caractère non exclusivement préliminaire..................................................................... 40

II. La seconde demande du Nicaragua..................................................................................... 42

CONCLUSIONS ............................................................................................................................ 44 CHAPITRE 1

INTRODUCTION

1 1.1. La République du Nicaragua a déposé, le 16 septembre 2013, une requête relative à la
délimitation du plateau continental entre elle-même et la Colombie au-delà de 200 milles marins.
L’affaire a été inscrite au rôle général de la Cour sous le titre : Question de la délimitation du
plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de 200 milles marins de la côte
nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie). Par ordonnance du 9 décembre 2013, la Cour a fixé au
9 décembre 2014 et au 9 décembre 2015, respectivement, les dates d’expiration du délai pour le
dépôt du mémoire de la République du Nicaragua et du contre-mémoire de la République de

Colombie. Le 14 août 2014, la Colombie a présenté des exceptions préliminaires à la requête du
Nicaragua. Par ordonnance du 19 septembre 2014, la Cour a fixé au 19 janvier 2015 la date
d’expiration du délai dans lequel le Nicaragua pourrait soumettre un exposé écrit sur les exceptions
préliminaires soulevées par la Colombie. Le présent exposé écrit est déposé conformément à ladite
ordonnance et dans le délai prescrit par la Cour.

1.2. Dans sa requête, le Nicaragua prie la Cour de déterminer :

«Premièrement : Le tracé précis de la frontière maritime entre les portions de
plateau continental relevant du Nicaragua et de la Colombie au-delà des limites
établies par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012.

Deuxièmement : Les principes et les règles de droit international régissant les
droits et obligations des deux Etats concernant la zone de plateau continental où leurs
revendications se chevauchent et l’utilisation des ressources qui s’y trouvent, et ce,
dans l’attente de la délimitation de leur frontière maritime au-delà de

200 milles marins de la côte nicaraguayenne.»

1.3. Pour fonder la compétence de la Cour, le Nicaragua invoque l’article XXXI du traité
américain de règlement pacifique (le «pacte de Bogotá» ou le «pacte») du 30 avril 1948. Il soutient
par ailleurs que l’objet de sa requête demeure dans le champ de la compétence de la Cour telle que
2 celle-ci l’a établie dans l’affaire du Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), sur
laquelle elle s’est prononcée dans un arrêt rendu le 19 novembre 2012.

1.4. En ce qui concerne le pacte de Bogotá, aucune réserve du Nicaragua ou de la Colombie
pouvant entrer en jeu au cas d’espèce n’est en vigueur à ce jour. Le 27 novembre 2012, la
Colombie a fait savoir qu’elle dénonçait cet instrument, conformément à son article LVI, à compter
du jour même. La Colombie soutient que cet avis de dénonciation a pris immédiatement effet à
l’égard de toute nouvelle requête introduite à son encontre après cette date et que, par conséquent,
la Cour ne saurait connaître de la présente affaire. Elle conteste par ailleurs que la Cour dispose
d’un pouvoir inhérent lui permettant de statuer sur celle-ci ; elle avance encore que les demandes
formulées par le Nicaragua tombent sous le coup de la chose jugée et que le Nicaragua cherche, en

les soumettant, à faire appel et à obtenir la revision de l’arrêt de 2012.

1.5. La Colombie excipe non seulement de l’incompétence de la Cour, mais également de
l’irrecevabilité des demandes formulées par le Nicaragua, arguant notamment que la Cour ne
pourrait les trancher parce que la Commission des limites du plateau continental n’a pas formulé la
recommandation requise sur la demande nicaraguayenne de plateau continental étendu. - 2 -

1.6. Le présent exposé écrit se compose des chapitres suivants.

1.7. Au chapitre 2, le Nicaragua répond à la première exception d’incompétence formulée

par la Colombie et démontre que l’interprétation que celle-ci donne de l’article LVI du pacte de
Bogotá, interprétation qui en force le sens, va à l’encontre de l’objet et du but de cet instrument
(à savoir le règlement efficace et définitif des différends), ainsi que du principe de bonne foi, et
n’est pas conforme aux règles d’interprétation des traités.

1.8. Au chapitre 3, le Nicaragua répond à la deuxième exception préliminaire soulevée par la
Colombie au sujet de la question du pouvoir inhérent. Il y démontre que la Cour possède le
pouvoir inhérent de statuer sur le présent différend : cette base de compétence vient s’ajouter à
3
celle qu’elle tient du pacte de Bogotá, et peut être invoquée à titre subsidiaire.

1.9. Le chapitre 4 traite des troisième et quatrième exceptions préliminaires soulevées par la
Colombie, selon lesquelles, respectivement, les demandes du Nicaragua tombent sous le coup de la
chose jugée et constituent une tentative de faire appel et d’obtenir la revision de l’arrêt de 2012. Le
Nicaragua y analyse la jurisprudence pertinente de la Cour relative à l’autorité de la chose jugée et
établit que les demandes qui font l’objet de la présente instance n’ont pas déjà été tranchées par la

Cour, qu’elles ne tombent donc pas sous l’autorité de la chose jugée et que, par conséquent, elles ne
constituent ni ne pourraient constituer une tentative de faire appel de l’arrêt de 2012 ou d’en obtenir
la revision.

1.10. Le chapitre 5 porte sur la cinquième exception préliminaire formulée par la Colombie,
selon laquelle, en l’absence de recommandation préalable de la Commission des limites du plateau
continental, les demandes présentées par le Nicaragua seraient irrecevables. Il sera démontré que
l’hypothèse formulée par la Colombie ne trouve de fondement ni dans le droit de la mer ni dans le

droit international général, et que l’absence d’intervention de la Commission des limites du plateau
continental n’empêchera pas davantage la Cour de statuer sur la présente affaire que l’arrêt que
rendra celle-ci n’aura d’impact sur toute décision que la Commission pourrait prendre
ultérieurement.

1.11. Enfin, le Nicaragua expose ses conclusions. - 3 -

CHAPITRE 2

LE PACTE DE BOGOTÁ

5 2.1. Le Nicaragua et la Colombie ont tous deux signé le traité américain de règlement
pacifique le 30 avril 1948. Le Nicaragua l’a ratifié le 21 juin 1950 et a déposé son instrument de
ratification le 26 juillet de la même année, sans l’assortir d’une réserve qui pourrait s’appliquer en
l’espèce. Quant à la Colombie, elle l’a ratifié le 14 octobre 1968 et a déposé son instrument de
ratification le 6 novembre de la même année, sans formuler la moindre réserve.

2.2. Le 27 novembre 2012, la Colombie a fait savoir qu’elle dénonçait le pacte, soutenant
que cette dénonciation prenait «immédiatement et pleinement effet à l’égard de toute procédure
qu’une partie pourrait souhaiter engager après [la] transmission [de l’avis qui la signifiait],
c’est-à-dire après le 27 novembre 2012» .

I. E DROIT APPLICABLE

2.3. La compétence de la Cour en l’espèce est fondée sur l’article XXXI du pacte de Bogotá,

qui est ainsi libellé :

«Conformément au paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour
internationale de Justice, les Hautes Parties Contractantes en ce qui concerne tout
autre Etat américain déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et sans
convention spéciale tant que le présent Traité restera en vigueur, la juridiction de la

Cour sur tous les différends d’ordre juridique surgissant entre elles et ayant pour
objet : a) l’interprétation d’un traité ; b) toute question de droit international ;
c) l’existence de tout fait qui, s’il était établi, constituerait la violation d’un
engagement international ; d) la nature ou l’étendue de la réparation qui découle de la
rupture d’un engagement international.»

6 2.4. En ce qui concerne la dénonciation du pacte de Bogotá, l’article LVI de cet instrument
prévoit ce qui suit :

«La durée du présent Traité sera indéfinie, mais il pourra être dénoncé

moyennant un préavis d’un an ; passé ce délai il cessera de produire ses effets par
rapport à la partie qui l’a dénoncé, et demeurera en vigueur en ce qui concerne les
autres signataires. L’avis de dénonciation sera adressé à l’Union panaméricaine qui le
transmettra aux autres Parties Contractantes.

La dénonciation n’aura aucun 2ffet sur les procédure en cours entamées avant la
transmission de l’avis en question.»

II. LA POSITION DE LA COLOMBIE

2.5. La Colombie soutient que la Cour n’a pas, ratione temporis, compétence au titre du
pacte de Bogotá, étant donné que le Nicaragua a déposé sa requête après la transmission au

1
Exceptions préliminaires de la Colombie, p. 23-24, par. 2.44 (ci-après «EPC»).
2Voir le texte du pacte de Bogotá (ci-après, le «pacte») dans les quatre langues faisant foi (espagnol, anglais,
français et portugais), à l’annexe 18 des exceptions préliminaires présentées par la Colombie. - 4 -

secrétariat général de l’Organisation des Etats américains (ci-après l’«OEA») (organisation qui a
succédé à l’Union panaméricaine) de l’avis par lequel la Colombie avait dénoncé le pacte «à
compter d[u 27 novembre 2012]» . Elle affirme que l’avis de dénonciation, conformément à ses

propres termes et au second alinéa de l’article LVI du pacte, «a … pris immédiatement et
pleinement effet à l’égard de toute procédure qu’une partie pourrait souhaiter engager après [sa]
transmission, c’est-à-dire après le 27 novembre 2012» . 4

III. LA POSITION DU N ICARAGUA

7 2.6. Le Nicaragua estime que l’application à l’article LVI du pacte de Bogotá des articles 31
à 33 de la convention de Vienne sur le droit des traités, reflétant le droit international coutumier , 5

conduit précisément à la conclusion inverse.

2.7. La position de la Colombie est erronée car elle ne tient pas compte de la relation entre

l’article XXXI et l’article LVI, ni de l’effet de cette relation sur les requêtes déposées moins d’un
an après la dénonciation du pacte.

2.8. Aux termes de l’article XXXI du pacte, en effet, les parties «en ce qui concerne tout

autre Etat américain [partie au pacte] déclarent reconnaître comme obligatoire de plein droit, et
sans convention spéciale tant que le présent Traité restera en vigueur, la juridiction de la Cour».

2.9. Le premier alinéa de l’article LVI stipule quant à lui que la durée du pacte est indéfinie,
tout en reconnaissant aux parties le droit de dénoncer le traité «moyennant un préavis d’un an»,
étant précisé que, «passé ce délai[, cet instrument] cessera de produire ses effets par rapport à la
partie qui l’a dénoncé».

2.10. Ainsi, en vertu de l’article LVI, le pacte est resté «en vigueur» à l’égard de la Colombie
tout au long de l’année qui a suivi la transmission de son avis de dénonciation. Et, d’après
l’article XXXI, l’acceptation par la Colombie de la juridiction obligatoire de la Cour a continué de

produire ses effets «tant que le présent Traité [c’est-à-dire, le pacte] [est] rest[é] en vigueur»,
c’est-à-dire pendant les douze mois qui se sont écoulés à compter de la dénonciation du pacte par la
Colombie.

2.11. De fait, la Cour elle-même a reconnu que l’acceptation, par un Etat, de sa juridiction
8 obligatoire en vertu de l’article XXXI du pacte de Bogotá «demeur[ait] valide ratione temporis tant
que cet instrument rest[ait] lui-même en vigueur entre ces Etats» .6

2.12. La Colombie a transmis son avis de dénonciation du pacte le 27 novembre 2012.
Ainsi, cet instrument, d’après les termes exprès de l’article LVI, est demeuré en vigueur, à son
égard, jusqu’au 27 novembre 2013. Et puisque, en vertu de l’article XXXI, la déclaration

d’acceptation de la juridiction obligatoire de la Cour faite par la Colombie devait continuer de

3EPC, p. 27, par. 3.1, 3.3.
4
Ibid., p. 23-24, par. 2.44.
5Ibid., p. 35, par. 3.14.
6
Voir Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité,
arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 84, par. 34. - 5 -

produire ses effets «tant que le … Traité rest[erait] en vigueur», elle les a nécessairement produits
de manière constante jusqu’au 27 novembre 2013.

2.13. Dès lors, entre le 27 novembre 2012 et le 27 novembre 2013, rien n’empêchait le
Nicaragua de déposer une requête auprès de la Cour et d’établir ainsi la compétence de celle-ci.
L’acceptation, par la Colombie, de la juridiction obligatoire de la Cour était toujours valide
ratione temporis le 16 septembre 2013, date de l’introduction de la présente instance. Et il est
constant, dans la jurisprudence de la Cour, qu’une fois celle-ci valablement saisie (à la date du

dépôt de la requête), elle demeure compétente indép7ndamment des changements qui pourraient
éventuellement affecter les bases de sa compétence .

2.14. Cette position est parfaitement conforme à la règle codifiée à l’article 31 de la

convention de Vienne sur le droit des traités, selon laquelle un traité «doit être interprété de bonne
foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son
objet et de son but.»

2.15. L’interprétation que le Nicaragua donne de l’article LVI est en effet conforme à l’objet
9 et au but du pacte (régler les différends de façon efficace et définitive) et au principe de bonne foi.
Comme son nom l’indique, le pacte de Bogotá est un traité «de règlement pacifique», dont les
termes révèlent en outre nettement, comme l’a relevé la Cour, «que les Etats américains, en
élaborant cet instrument, … entend[aient] renforcer leurs engagements mutuels en matière de
8
règlement judiciaire» .

IV. L A COLOMBIE FAIT ABSTRACTION DE L ’ARTICLE XXXI ET
FORCE L ’INTERPRÉTATION DE L ’ARTICLE LVI

2.16. La Colombie parvient à sa conclusion erronée — selon laquelle la dénonciation du
pacte aurait pris effet immédiatement à l’égard de la requête du Nicaragua — en faisant abstraction
des liens entre l’article XXXI et l’article LVI, puis en donnant de l’article LVI une interprétation
artificielle et totalement contraire à l’article XXXI. A l’appui de son argument, elle invoque le

second alinéa de l’article LVI, qui dispose que «[l]a dénonciation n’aura aucun effet sur les
procédures en cours entamées avant la transmission de l’avis en question». Il paraît toutefois clair
que ce libellé ne peut faire échec à la compétence de la Cour en vertu de l’article XXXI et du
premier alinéa de l’article LVI.

2.17. Rien dans le second alinéa de l’article LVI ne vient annuler les effets que l’acceptation
par la Colombie de la juridiction obligatoire de la Cour dans le cadre de l’article XXXI a continué
de produire «tant que le … Traité [est] rest[é] en vigueur». Rien non plus ne vient y faire échec à
la prévision, au premier alinéa de l’article LVI (qui précède immédiatement la phrase sur laquelle

la Colombie semble s’appuyer), selon laquelle le pacte ne «cessera de produire ses effets par
10 rapport à la partie qui l’a dénoncé» (ici, la Colombie) qu’un an après la transmission de l’avis de
dénonciation (et donc, en l’espèce, qu’à partir du 27 novembre 2013). Ainsi, rien dans l’unique

7Voir Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 122-123 ;
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 28-29, par. 36.

8La Cour a reproduit littéralement l’intervention du délégué colombien à la séance de la commission III de la
conférence, qui s’est tenue le 27 avril 1948, dans laquelle celui-ci expliquait que la sous-commission qui avait établi le
projet estimait que «la principale procédure de règlement pacifique des différends entre les Etats américains devait être la
procédure judiciaire devant la Cour internationale de Justice» (Actions armées frontalières et transfrontalières
(Nicaragua c. Honduras), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 90, par. 46). - 6 -

phrase que renferme le second alinéa de l’article LVI ne permet de contester que l’obligation
imposée à la Colombie par l’article XXXI était applicable le 16 septembre 2013, date à laquelle le
Nicaragua a déposé sa requête. Interpréter autrement cette disposition, comme semble le faire la
Colombie, serait non seulement contraire à la logique et au sens évident du texte, mais encore en

contradiction directe avec les autres dispositions du pacte citées plus haut, c’est-à-dire
l’article XXXI et le premier alinéa de l’article LVI ; une telle lecture serait dès lors incompatible
avec les règles d’interprétation des traités énoncées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne
sur le droit des traités.

2.18. Par ailleurs, le second alinéa de l’article LVI ne saurait s’appliquer au consentement
exprimé dans le cadre de l’article XXXI, l’acceptation de la juridiction de la Cour n’étant pas une
«procédur[e] en cours». En exprimant une telle volonté aux termes de l’article XXXI, les Parties
ont pris un engagement contraignant, se suffisant à lui-même et devenant une obligation

internationale à part entière dès la ratification et l’entrée en vigueur du pacte. Il s’agissait d’un acte
achevé, et ses conséquences juridiques ont pris effet dès ce moment-là. N’étant nullement «en
cours», il ne saurait constituer la «procédur[e] en cours» au sens du second alinéa de l’article LVI.

2.19. Du reste, ce second alinéa ne dit rien des «procédures en cours» entamées après la
transmission de l’avis de dénonciation, pas plus qu’il ne définit ce concept de «procédures en
cours». Il se borne à indiquer que certaines procédures, à savoir celles entamées avant la
transmission de l’avis, ne seront pas affectées. L’interprétation a contrario qu’en fait la Colombie 9

ne tient pas au regard du libellé exprès de l’article XXXI et du premier alinéa de l’article LVI, qui
garantissent le maintien en vigueur de l’acceptation, par la Colombie, de la juridiction obligatoire
de la Cour pendant les douze mois qui suivent l’avis de dénonciation.

2.20. La Colombie soutient que son interprétation du second alinéa de l’article LVI en
11 10
garantit l’effet utile et évite un résultat qui serait «manifestement absurde ou déraisonnable» . Or,
elle aboutit précisément au résultat inverse. L’on ne saurait faire abstraction du premier alinéa de
l’article LVI, qui précise clairement que le pacte «pourra être dénoncé moyennant un préavis d’un
an [et que] passé ce délai il cessera de produire ses effets par rapport à la partie qui l’a dénoncé».

Si l’on suivait l’interprétation que fait la Colombie de cette disposition (laquelle stipule, sans
prévoir la moindre exception, que le pacte restera en vigueur encore un an à compter de la date de
l’avis de dénonciation), c’est ce premier alinéa qui deviendrait superflu, serait privé d’effet utile et
aboutirait à un résultat «manifestement absurde ou déraisonnable». Car, selon la Colombie, pour
donner effet utile au second alinéa de l’article LVI, il faudrait de fait passer outre à la règle

générale énoncée au premier.

2.21. La Colombie est consciente de la faiblesse de son subterfuge. Elle tente de dissocier
l’unique phrase du second alinéa de l’article LVI de cet embarrassant premier alinéa, qui contredit

son argument, et de «concilier» les deux parties en suggérant que le premier des deux alinéas porte
sur les dispositions du pacte autres que les procédures de règlement, auxquelles s’applique en
revanche le second. Si l’on retenait cette interprétation, seules échapperaient à la dénonciation du
pacte les «procédures» entamées avant la transmission de l’avis et toujours en cours à la date de
prise d’effet de la dénonciation .1

9
En réalité, la Colombie invite la Cour à entériner le principe inclusio unius, exclusio alterius, en se gardant
toutefois bien de le mentionner. Voir EPC, p. 38, par. 3.20.
10EPC, p. 35-36, par. 3.15.

11Ibid., p. 34-39, par. 3.13-3.22. - 7 -

2.22. La Colombie s’évertue sans convaincre à minorer l’ensemble des dispositions du pacte
couvertes par le premier alinéa de son article LVI. Il serait toutefois absurde que la règle principale
(énoncée au premier alinéa) concerne les effets de la dénonciation sur des dispositions accessoires
par rapport à l’objet principal du pacte, tandis que ses effets sur les procédures les plus
importantes — à savoir les procédures de règlement, raison d’être du pacte, qui leur consacre 41 de
12 12
ses 60 articles — seraient relégués au second alinéa .

2.23. Peut-on raisonnablement arguer que c’est pour garantir que les articles I à VIII
et L à LX du pacte continueraient de s’appliquer dans l’année suivant la date de transmission de
l’avis de dénonciation que le premier alinéa de l’article LVI a été introduit ? Peut-on réellement

croire que toutes les autres dispositions du pacte — autrement dit les procédures de règlement —
étaient censées tomber sous le coup d’une exception ménagée furtivement par le second alinéa de
l’article LVI, d’application si large qu’elle prendrait le pas sur la règle générale énoncée au premier
alinéa (en sus de faire échec aux termes de l’article XXXI) ? Par leur nature même, les
articles I-VIII et L-LX n’ont, pour l’essentiel, rien à voir avec la clause de dénonciation. Une
interprétation telle que celle proposée ici par la Colombie serait incompatible avec le principe de

bonne foi. Comme son nom l’indique, le pacte de Bogotá — désormais dénoncé par Bogotá ! —
est un traité «de règlement pacifique» dont l’objet et le but consistent notamment à offrir certaines
assurances quant à la possibilité de saisir la Cour et de recourir aux procédures de règlement qu’il
prévoit.

2.24. Soulignant la distinction entre l’acceptation de la juridiction de la Cour par la voie de
déclarations unilatérales d’Etats faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, d’une part,
et son acceptation dans le cadre du pacte de Bogotá, d’autre part, l’ancien président de la Cour
Eduardo Jiménez de Aréchaga a écrit :

«8. Tout Etat ayant fait une déclaration unilatérale en vertu du paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut sans limite de durée peut la retirer dans un délai raisonnable
après en avoir signifié l’intention, et formuler de nouvelles réserves en toute
discrétion. La relation découlant de l’article XXXI est, d’un point de vue juridique,
très différente du régime général de la clause facultative. Ainsi, s’agissant du retrait,
le pacte de Bogotá, une fois accepté par un Etat américain, reste en vigueur pour une

13 durée indéfinie et ne peut être dénoncé que moyennant un préavis d’un an, période
tout au long de laquelle il continue de produire ses effets (article LVI du pacte de
Bogotá). La possibilité de retirer son acceptation de la juridiction obligatoire dès que
se profile la menace d’une requête a de la sorte été nettement limitée.» 13 (Les
italiques sont de nous.)

2.25. En résumé, au rebours des règles établies en matière d’interprétation des traités, la
lecture de l’article LVI du pacte proposée par la Colombie en vide de sens le premier alinéa. Or,
ainsi que la Cour l’a rappelé, le principe de l’effet utile joue un rôle important en droit des traités et

12
Articles IX à XLIX du pacte.
13E. Jiménez de Aréchaga, «The Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice under the Pact of
Bogotá and the Optional Clause», International Law at a Time of Perplexity: Essays in honour of Shabtai Rosenne,
Martinus Nijhoff, 1989, p. 356-357. - 8 -

14
dans la jurisprudence de la Cour . Il convient, en effet, d’éviter toute interpréta15on qui rendrait
superflue une partie d’une disposition ou en réduirait les effets pratiques .

2.26. En outre, nulle part dans le pacte n’est-il précisé que sa dénonciation produirait des
effets immédiats. Une telle affirmation va à l’encontre du sens ordinaire des mots interprétés dans
leur contexte, à la lumière de l’objet et du but du pacte, ainsi que du principe de bonne foi.

2.27. La Colombie appelle l’attention sur le fait qu’aucun des Etats — Nicaragua

compris  n’avait, à l’époque ou par la suite, dans le cadre de l’OEA, élevé d’objection à l’égard
de la déclaration ou de la ligne de conduite de la Colombie . Toutefois, ni le Nicaragua ni aucune
autre partie contractante au pacte de Bogotá n’étaient tenus de s’opposer expressément à l’avis de

dénonciation soumis par la Colombie pour éviter des conséquences que celle-ci prête à tort à cet
14 acte. Le Nicaragua a bel et bien réagi, mais en exerçant le droit que lui reconnaissent les
articles XXXI et LVI d’introduire une requête contre la Colombie avant expiration du préavis

stipulé et avant, donc, que la dénonciation du pacte formulée par celle-ci ne prenne effet.

2.28. Le Nicaragua interprète le second alinéa de l’article LVI comme ne modifiant pas la
règle fixée à l’alinéa qui précède ni ne créant d’exception à son endroit, ce qui est davantage
compatible avec : 1) les clauses de dénonciation adoptées par les traités consacrés à la même
17
question, qui forment l’«acquis» panaméricain ; et 2) les clauses de dénonciation adoptées dans
d’autres traités multilatéraux, universels et régionaux. Si tant est que la liste d’instruments à
laquelle la Colombie a renvoyé pour étayer sa cause nous enseigne quoi que ce soit, c’est que

toutes les clauses mentionnées — sans exception — prévoient le maintien en vigueur des traités
concernés pendant des périodes de trois, six ou douze mois courant à compter de la date de
notification de leur dénonciation . 18

2.29. La Colombie invoque des déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire de la

Cour faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, arguant que certaines d’entre elles

14
Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 23, par. 47,
p. 25-26, par. 51-52 ; Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 455, par. 52.
15 Composition du Comité de la sécurité maritime de l’Organisation intergouvernementale consultative de la

navigation maritime, avis consultatif du 8 juin 1960, C.I.J. Recueil 1960, p. 159-171 ; Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 125-126, par. 133-134.
16
EPC, p. 25, par. 2.46 ; p. 45, par. 3.32.
17 Traité d’arbitrage obligatoire du 29 janvier 1902, article 22 : «[s]i l’une des puissances signataires décide de
recouvrer sa liberté, elle dénoncera le traité, dénonciation qui ne produira d’effet qu’à son égard, et seulement un an après
sa formulation. Cette dénonciation n’aura par ailleurs aucun effet sur toute procédure d’arbitrage impliquant la puissance

en question qui demeurerait en cours à l’expiration de ce délai d’un an» [traduction du Greffe] ; traité général d’arbitrage
interaméricain du 5 janvier 1929, article 9 : «[l]e présent traité restera en vigueur indéfiniment, mais il peut être dénoncé
par un avis préalable d’un an ; à l’expiration de ce terme, il cessera d’être en vigueur en ce qui concerne la partie qui l’a
dénoncé, mais restera en vigueur pour les autres signataires». Voir l’article LVIII du pacte de Bogotá, qui dispose que
celui-ci succède à une série d’instruments, dont le traité général de 1929.
18
La Colombie observe qu’«[u]ne comparaison entre le libellé du second alinéa de l’article LVI et les
dispositions relatives à la dénonciation figurant dans d’autres traités multilatéraux prévoyant des procédures de règlement
des différends révèle également qu’il n’est pas rare, dans un traité, de distinguer l’effet général de la dénonciation de son
effet sur les procédures en question» (EPC, p. 41, par. 3.24). Il n’en demeure pas moins que les traités que la Colombie
cite comme exemples (p. 41-44, par. 3.25-3.28) desservent sa thèse plutôt qu’ils ne la confortent. De fait, leurs clauses
prévoient toutes la poursuite des procédures entamées avant que la dénonciation ne prenne effet, ce qui, dans l’ensemble
des cas, se produit soit un an, soit encore six mois ou trois mois après la date de la notification. Il n’existe pas un seul
exemple de clause de dénonciation qui ait un effet immédiat. - 9 -

19
15 comportent des clauses de dénonciation à effet immédiat . L’argument, toutefois, porte à faux
puisque  contrairement au pacte de Bogotá  ces déclarations attribuent expressément à leur
dénonciation un effet immédiat, et instituent une base de compétence différente de celle établie par
le pacte. Il s’agit là d’une différence fondamentale que la Cour a distinctement relevée il y a plus
de vingt-cinq ans.

2.30. En l’affaire relative à des Actions armées frontalières et transfrontalières
(Nicaragua c. Honduras), la Cour a en effet rejeté l’interprétation proposée par le Honduras et
observé ce qui suit :

«[M]ême si l’on retient la lecture de l’article XXXI défendue par le Honduras et
si l’on regarde cet article comme une déclaration collective d’acceptation de la
juridiction obligatoire faite conformément au paragraphe 2 de l’article 36, il convient
de constater que cette déclaration a été incorporée au pacte de Bogotá, en tant
qu’article XXXI. Dès lors elle ne saurait être modifiée que selon les règles fixées par
le pacte lui-même. Or l’article XXXI n’envisage à aucun moment que l’engagement

pris par les parties au pacte puisse être amendé par voie de déclaration unilatérale faite
ultérieurement par application du Statut et la mention du paragraphe 2 de l’article 36
du Statut ne suffit pas par elle-même à produire un tel effet.

Ce silence est d’autant plus significatif que le pacte fixe avec précision les obligations

des parties. L’engagement figurant à l’article XXXI vaut ratione materiae pour les
différends énumérés par ce texte. Il concerne ratione personae les Etats américains
16 parties au pacte. Il demeure valide ratione temporis tant que cet instrument reste
lui-même en vigueur entre ces Etats.» 20

2.31. A la différence d’une dénonciation de la compétence établie en vertu de la clause
facultative du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut, qui est d’ordre purement unilatéral, la
dénonciation de la compétence prévue par le pacte de Bogotá au titre de l’article XXXI produit des
effets régis par les dispositions de cet instrument — en l’occurrence, son article LVI. Toute
dénonciation non conforme à ses prescriptions est donc sans effet.

2.32. L’ancien président de la Cour, M. Jiménez de Aréchaga, l’a réaffirmé dans son article
intitulé «The Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice» :

«6. Malgré ces analogies entre l’article XXXI du pacte de Bogotá et les
paragraphes 2 et 3 de l’article 36 du Statut, l’Annuaire de la Cour ne fait pas

apparaître l’article XXXI dans la liste des déclarations d’acceptation de la juridiction
obligatoire de la Cour. En revanche, le pacte de Bogotá y est répertorié parmi les
«autres instruments régissant la compétence de la Cour». Cette classification est juste,
puisque l’article XXXI du pacte de Bogotá, en dépit de sa formulation, relève en
réalité du paragraphe 1 de l’article 36 du Statut, qui vise les traités et conventions en

vigueur, et non des paragraphes 2, 3 ou 4 de ce même article.

7. En effet, l’article XXXI a pour effet juridique, en ce qui concerne les Etats
américains parties au pacte, de «contractualiser»  c’est-à-dire de transformer en une
relation conventionnelle  les liens plus lâches découlant des déclarations unilatérales

faites en vertu du paragraphe 2 de l’article 36. Cette relation conventionnelle acquiert

19
EPC, p. 39-41, par. 3.23.
20 Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence de la Cour et
recevabilité de la requête, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 84, par. 34. - 10 -

de la sorte, entre ces Etats, la force contraignante et la stabilité qui caractérisent les

liens conventionnels, mais non le régime de la clause facultative. Les Etats
17 latino-américains qui ont adhéré au pacte de Bogotá ont ainsi accepté dans leurs
rapports mutuels, et compte tenu de leur très grande proximité historique et culturelle,

la juridiction obligatoire de la Cour à des conditions bien plus contraignantes que
celles propres au système de déclarations faites conformément au paragraphe 2 de
l’article 36 du Statut. A preuve ces deux caractéristiques essentielles du régime de la

clause facu21ative : la possibilité de se retirer et celle de formuler de nouvelles
réserves.»

V. L ES TRAVAUX PRÉPARATOIRES NE CONFORTENT PAS
LA THÈSE DE LA COLOMBIE

2.33. La Colombie considère que les travaux préparatoires du pacte de Bogotá confirment
22
son interprétation de l’article LVI . Ayant indiqué que l’origine de son second alinéa remonte à
une proposition présentée par les Etats-Unis d’Amérique au cours de la huitième conférence
internationale des Etats américains tenue à Lima du 9 au 27 décembre 1938 , la Colombie retrace

ensuite la manière dont le projet de texte a évolué d’une version à l’autre, en faisant l’objet de
modifications de forme mineures, pour être enfin, dans sa version du 18 novembre 1947, soumis
par le comité juridique interaméricain à l’examen de la neuvième conférence internationale des
24
18 Etats 25éricains à Bogotá . C’est à cette occasion que le paragraphe 3 de l’article XXVI du
projet est devenu l’article LVI du pacte, après un léger remaniement du texte par le comité de
rédaction .6

2.34. Toutefois, aucune étape de la genèse de cet article ne vient étayer l’interprétation que
donne la Colombie de son second alinéa. La disposition est bien là dans le texte du pacte, mais il

semble que personne ne s’y soit particulièrement intéressé, ne se soit enquis de son sens ni n’en ait
proposé d’interprétation ; il n’y a eu aucun débat au sein de la Commission et les rapports joints
aux projets n’éclairent en rien les raisons sous-tendant le choix des termes employés à

l’article LVI — un constat qui serait fort surprenant si, comme l’affirme la Colombie, son objet
avait été de modifier radicalement la portée des clauses de dénonciation traditionnellement en
vigueur dans le système interaméricain.

2.35. Il n’est pas davantage fait mention de cette disposition dans les rapports du comité ou
dans les procès-verbaux de la conférence. La seule référence à l’article LVI — qui tient en une

21
E. Jiménez de Aréchaga, «The Compulsory Jurisdiction of the International Court of Justice under the Pact of
Bogotá and the Optional Clause», International Law at a time of perplexity: Essays in honour of Shabtai Rosenne,
Martinus Nijhoff, 1989, p. 356-357.
22
EPC, p. 46-58, par. 3.33-3.53.
23 Ibid., p. 49-52, par. 3.39-3.45.La dernière phrase de l’article XXII du projet de texte daté du
16 décembre 1938 présenté par les Etats-Unis d’Amérique se lisait comme suit : «La dénonciation sera sans incidence sur
toute procédure en cours introduite avant sa notification.»

24EPC, p. 52-55, par. 3.46-3.49.
25
Le paragraphe 3 de l’article XXVI était libellé comme suit :
«Le présent Traité restera en vigueur indéfiniment, mais il pourra être dénoncé moyennant un
préavis d’un an adressé à l’Union panaméricaine ; à l’expiration de ce délai, il cessera de produire ses

effets par rapport à la partie qui l’a dénoncé, mais demeurera en vigueur à l’égard des autres signataires.
L’avis de dénonciation sera transmis par l’Union panaméricaine aux autres gouvernements signataires.
La dénonciation sera sans incidence sur les procédures en cours introduites avant sa notification.»
26EPC, p. 55-57, par. 3.50-3.52 : «La dénonciation sera sans incidence sur les procédures en cours entamées
avant la transmission de l’avis en question.» - 11 -

seule ligne — est celle faite par M. Enríquez, représentant du Mexique et rapporteur de la troisième
commission (sur le règlement des différends et la sécurité collective), qui, en présentant les
spécificités du projet aux membres de la commission de coordination, a précisé que l’article LVI
27
trouvait son origine dans le traité général d’arbitrage interaméricain du 5 janvier 1929 .

2.36. Or, l’article 9 du traité de 1929 était libellé comme suit : «Le présent traité restera en

vigueur indéfiniment, mais il peut être dénoncé par un avis préalable d’un an ; à l’expiration de ce
19 terme, il cessera d’être en vigueur en ce qui concerne la partie qui l’a dénoncé, mais restera en
vigueur pour les autres signataires». Rien de plus, rien de moins.

28
2.37. Le pacte de Bogotá a succédé au traité de 1929 . Tout élément ajouté à ce texte doit
être interprété comme un corollaire de la règle, sauf à établir qu’une intention contraire avait été
clairement exprimée ; or la Colombie n’a rien démontré de tel. Le traité de 1929, comme le pacte
de Bogotá, précise clairement que ses dispositions continuent de produire plein effet au cours de

l’année qui suit la dénonciation. Dans le cas du pacte de Bogotá, il s’ensuit nécessairement que
l’article XXXI est resté pleinement en vigueur entre la Colombie et le Nicaragua tout au long de
l’année qui a suivi sa dénonciation par la Colombie, soit jusqu’au 27 novembre 2013.

2.38. En conclusion, le second alinéa de l’article LVI ne saurait faire échec à la compétence
découlant pour la Cour de l’article XXXI du pacte avant l’expiration d’un délai de douze mois
pleins commençant à courir à la date de la dénonciation. La requête du Nicaragua, déposée le

16 septembre 2013, confère donc compétence à la Cour.

27 IX Conferencia Internacional Americana, Bogotá, Colombie, 30 mars-2 mai 1948, Actas y Documentos,
vol. II, ministère des affaires étrangères de la Colombie, Bogotá, 1953, p. 541. Le rapporteur a fait un lapsus en
mentionnant l’article 16 au lieu de l’article 9 — le dernier du traité de 1929.
28
Voir article LVIII du pacte de Bogotá. - 12 -

CHAPITRE 3

LA COMPÉTENCE DE LA COUR AU TITRE DE LA REQUÊTE DE 2001

21 3.1. Au vu des circonstances singulières propres à la présente espèce, la Cour peut, et doit,
exercer sa compétence à un autre titre  tenant à son pouvoir inhérent , qui vient s’ajouter à
celui que constitue l’article XXXI du pacte de Bogotá .9

3.2. Dans son arrêt de 2007 sur les exceptions préliminaires soulevées par la Colombie en
l’affaire du Différend territorial et maritime introduite par le Nicaragua, la Cour a rejeté à

l’unanimité «l’exception d’incompétence en ce qu’elle a[vait] trait à la délimitation maritime entre
les Parties» et dit qu’elle avait «compétence, sur la base de l’article XXXI du pacte de Bogotá, pour
statuer sur le différend relatif à la délimitation maritime entre les Parties» . Dans son arrêt
de 2012, elle s’est toutefois abstenue d’exercer cette compétence pour se prononcer sur ladite

délimitation au-delà de 200 milles de la côte nicaraguayenne en raison de la situation qui prévalait
à l’époque de l’arrêt (I) ; or, la situation qui justifiait sa décision de 2012 ayant changé dans
l’intervalle, la Cour peut et doit désormais exercer toute sa compétence (II). Ce faisant, elle
n’interprétera ni ne revisera son arrêt précédent, mais tirera simplement les conséquences de sa

propre décision antérieure (III).

I. DANS SON ARRÊT DE 2012, LA C OUR S ’EST ABSTENUE

D’EXERCER TOUTE SA COMPÉTENCE

3.3. Dans son arrêt du 19 novembre 2012, la Cour parvient à la conclusion suivante : «[L]a
demande de plateau continental étendu relève du différend qui oppose les Parties en matière de

délimitation maritime et ne peut être31onsidérée comme modifiant l’objet de celui-ci, et ce, d’autant
plus qu’elle en découle directement.»

3.4. Elle en déduit que

22 «la demande formulée au point I. 3) des conclusions finales du Nicaragua est
recevable[, tout en faisant] observer que, en tranchant la question de la recevabilité de
cette nouvelle demande, elle ne se prononce pas sur la validité des fondements
32
juridiques invoqués à l’appui de celle-ci.»

3.5. En conséquence, la Cour

«2) Par quatorze voix contre une,

Déclare recevable la demande formulée par la République du Nicaragua au

point I. 3) de ses conclusions finales, par laquelle celle-ci la prie de dire et juger que,
«dans le cadre géographique et juridique constitué par les côtes continentales du
Nicaragua et de la Colombie, la méthode de délimitation à retenir consiste à tracer une

29 o
Voir Compagnie d’électricité de Sofia et de Bulgarie, arrêt, 1939, C.P.J.I., Série A/B, n 77, p. 76.
30Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2007,
p. 875-876, points 1) c) et 3) b) du dispositif.

31Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 665, par. 111.
32
Ibid., p. 665, par. 112. - 13 -

limite opérant une division par parts égales de la zone du plateau continental où les

droits des deux Parties sur celui-ci se chevauchent» ;

cependant,

«3) A l’unanimité, [elle]

Dit qu’elle ne peut accueillir la demande formulée par la République du
33
Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales.»

23 3.6. Les termes circonspects employés par la Cour méritent d’être relevés ; de fait, 34
contrairement aux formules habituellement utilisées dans des circonstances comparables , y
compris aux points 4), 5) et 6) du dispositif de l’arrêt de 2012 , la Cour ne «rejette» pas la

demande formulée par le Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales — demande qu’elle a
en des termes exprès et prudents déclarée recevable —, mais dit simplement qu’«elle ne peut
[l’]accueillir»  comme elle avait déjà, au paragraphe 131 de l’arrêt, conclu qu’elle «ne p[ouvait]
36
accueillir la demande formulée par le Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales» .

3.7. Elle s’en explique au paragraphe 129 de l’arrêt :

«129. [L]e Nicaragua n’ayant pas, dans la présente instance, apporté la preuve
que sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour chevaucher le plateau

continental dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte
continentale, la Cour n’est pas en mesure de délimiter les portions du plateau
continental relevant de chacune des Parties, comme le lui demande le Nicaragua,
37
même en utilisant la formulation générale proposée par ce dernier.»

24 3.8. En d’autres termes, la Cour n’a pas rejeté cette demande du Nicaragua ; elle ne l’a
simplement pas accueillie dans l’arrêt de 2012, reconnaissant ainsi que la question — telle que le
Nicaragua l’avait soulevée dans sa requête — demeurait pendante entre les Parties. A cet égard, il
convient également de noter que, au paragraphe 112 de son arrêt, la Cour a expressément indiqué

33Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 719, points 2) et 3) du
dispositif. Dans sa troisième conclusion, le Nicaragua avait «pri[é] la Cour de tracer «une limite opérant une division par
parts égales de la zone du plateau continental où les droits des deux Parties sur celui-ci se chevauch[aient]»» (ibid.,
p. 664, par. 106).

34Voir par exemple, les affaires suivantes : Droit d’asile (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 288 ;
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt,
C.I.J. Recueil 1970, p. 51, dispositif ; Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI) (Etats-Unis d’Amérique c. Italie), arrêt,
C.I.J. Recueil 1989, p. 81, point 3) du dispositif ; Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal), arrêt,
C.I.J. Recueil 1991, p. 75, point 1) du dispositif ; Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-
République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011, p. 693, point 3) du dispositif, ou Immunités

juridictionnelles de l’Etat (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 155, point 5) du
dispositif.
35Dans lesquels il est indiqué que la Cour «[d]écide que le tracé de la frontière maritime unique délimitant le
plateau continental et les zones économiques exclusives de la République du Nicaragua et de la République de Colombie
suit les lignes géodésiques reliant les points dont les coordonnées sont les suivantes : ...» (Différend territorial et

maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 719, point 4) du dispositif) ; «[d]écide que, autour de
Quitasueño et de Serrana, la frontière maritime unique suit ...» (p. 720, point 5) du dispositif) ; et «[r]ejette la demande
formulée par la République du Nicaragua dans ses conclusions finales, par laquelle celle-ci prie la Cour de déclarer que la
République de Colombie manque à ses obligations au regard du droit international ...» (p. 720, point 6) du dispositif).
36
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 670, par. 131  les
italiques sont du Nicaragua.
37Ibid., p. 669, par. 129. - 14 -

que, «en tranchant la question de la recevabilité de cette nouvelle demande, elle ne se pro38n[çait]
pas sur la validité des fondements juridiques invoqués à l’appui de celle-ci» . Aucun autre
passage de cet arrêt ne contient une quelconque décision sur la délimitation maritime entre les

Parties au-delà de 200 milles marins.

II. L ES CIRCONSTANCES MOTIVANT SA DÉCISION AYANT CHANGÉ ,LA C OUR PEUT
ET DOIT À PRÉSENT EXERCER TOUTE SA COMPÉTENCE

39
3.9. Ainsi qu’elle l’a rappelé en diverses occasions, la Cour «possède un pouvoir inhérent» ,
qui «découle de [son] existence même [en tant qu’]organe judiciaire établi par le consentement des
Etats, et lui est conféré afin que sa fonction judiciaire fondamentale puisse être sauvegardée.» 40

3.10. En tant qu’organe judiciaire, la CIJ a le devoir inhérent d’«exercer toute [sa]
41
compétence» . Et ce serait faire preuve de mauvaise foi que d’invoquer l’absence de toute
confirmation de l’existence d’une compétence de cette nature dans son Statut ou son Règlement :
25 par définition, un «pouvoir inhérent» n’est pas expressément énoncé puisqu’il tient à la nature

même de la Cour en tant qu’organe juridictionnel et se déduit implicitement des textes qui régissent
sa compétence.

3.11. C’est en se prévalant de ce pouvoir inhérent que la Cour, dans l’affaire du Détroit de
Corfou, est parvenue à la conclusion «qu’elle poss[édait] compétence pour fixer le montant des

réparations» dues au Royaume-Uni par l’Albanie42ce qu’elle ferait dans le cadre d’une procédure
spécifiquement consacrée à cette question . Elle en a décidé ainsi précisément parce que, à l’instar
du Nicaragua, qui n’a, en l’espèce, versé au dossier que des éléments de preuve insuffisants, le

Gouvernement albanais «n’a[vait] pas encore indiqué quels [étaient], parmi les diverses sommes
réclamées, les articles qu’il contest[ait], et le Gouvernement du Royaume-Uni n’a[vait] pas
présenté de preuve à l’appui de ses demandes» . 43

3.12. Hormis ceux de l’interprétation et de la revision, il existe, reconnaît la Colombie, un

«troisième … cas exceptionnel, celui où, par exemple, le non-respect d’un engagement
unilatéral pris par le défendeur — engagement qui, selon la Cour, a fait disparaître

l’objet du différend — remettrait en cause le «fondement» même de son arrêt, s44on le
cas de figure qui s’est présenté dans les affaires des Essais nucléaires» .

38
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 664, par. 112  les
italiques sont du Nicaragua.
39
Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 259-260, par. 23 ; Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), ibid., p. 463, par. 23. Voir également Cameroun septentriooal (Cameroun
c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 29 ou Jugement n 2867 du Tribunal
administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le Fonds international de développement
agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 30, par. 46.
40
Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 259-260, par. 22-23 ; Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), ibid., p. 463, par. 23. Voir également Cameroun septentrional (Cameroun
c. Royaume-Uni), opinion individuelle de sir Gerald Fitzmaurice, C.I.J. Recueil 1963, p. 103.
41
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 671, par. 136.
Voir également Plateau continental (Jamahiriya arabe libyenne/Malte), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 23, par. 19.
42
Détroit de Corfou (Royaume-Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 26.
43Ibid.

44EPC, p. 68, par. 4.7. - 15 -

3.13. Lorsqu’elle s’est prononcée en 1974 dans les affaires des Essais nucléaires, la Cour a

fait observer que, «[d]ès lors qu’[elle] a[vait] constaté qu’un Etat a[vait] pris un engagement quant
à son comportement futur, il n’entr[ait] pas dans sa fonction d’envisager que cet Etat ne le
respect[ât] pas» . C’est donc en partant du principe que la France respecterait ses engagements

que la Cour a jugé que les demandes de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande étaient «désormais
sans objet» et «qu’il n’y a[vait] dès lors pas lieu à statuer» . 46 La Cour avait cependant
expressément indiqué que, «si le fondement d[e son] arrêt était remis en cause, le requérant
26 47
pou[rrait] demander un examen de la situation conformément aux dispositions du Statut» . Et
c’est sur cette base que, en 1995, elle a rejeté la «Demande d’examen de la situation» de la
Nouvelle-Zélande, ayant considéré, dans l’affaire en question, que

«le fondement de l’arrêt rendu le 20 décembre 1974 en l’affaire des Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France) n’a[vait] pas été remis en cause ; … la «Demande

d’examen de la situation» présentée par la Nouvelle-Zélande le 21 août 1995
n’entr[ait] dès lors pas dans les prévisions du paragraphe 63 dudit arrêt ; et … d[evait]
par suite être écartée» .8

3.14. Il est vrai que, en l’espèce, la Cour n’a pas expressément envisagé un «examen de la
situation» dans son arrêt du 19 novembre 2012. Toutefois, il ne s’agit pas de savoir si la Cour

s’est, dans la présente affaire, formellement «réservé» cette possibilité comme elle l’avait fait au
paragraphe 63 de son arrêt sur les Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France). Les questions
qui nous intéressent ici sont autres, et portent sur les motifs ayant amené la Cour à se prononcer

comme elle l’a fait et les facteurs qui l’avaient conduite à se réserver cette possibilité. Les réponses
à ces questions intéressent la présente espèce parce qu’elles montrent que, dans les affaires des
Essais nucléaires, ce n’est pas le paragraphe 63 de l’arrêt de 1974 rendu à la demande de la

Nouvelle-Zélande qui a en lui-même créé la possibilité d’examiner la situation ; dans ce passage, la
Cour se réfère implicitement à un principe général qui consiste à présumer qu’un engagement pris
devant elle par une partie sera respecté. Ainsi, une décision de la Cour concluant à sa compétence

pour se prononcer sur le différend qui lui est soumis et à la recevabilité de la requête implique que
27 les parties : i) ont accepté que la Cour règle la totalité du différend ; et ii) s’engagent à se conformer
à l’arrêt .

45
Voir Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 272, par. 60 ; Essais nucléaires
(Nouvelle-Zélande c. France), ibid., p. 477, par. 63.
46
Essais nucléaires (Australie c. France), p. 272, par. 62, Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), p. 478,
par. 65.
47Essais nucléaires (Australie c. France), p. 272, Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), p. 477, par. 63.

48Voir Demande d’examen de la situation au titre du paragraphe 63 de l’arrêt rendu par la Cour le
20 décembre 1974 dans l’affaire des Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France) (Nouvelle-Zélande c. France),
ordonnance du 22 septembre 1995, p. 306, par. 65.

49Voir Vapeur Wimbledon, arrêts, 1923, C.P.J.I., Série A n 1, p. 32 ; Essais nucléaires (Australie c. France),
arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 272, par. 60 ; Essais nucléaires (Nouvelle-Zélande c. France), ibid., p. 477, par. 63 ;
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence
et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 437-438, par. 101 ou Demande en revision et en interprétation de l’arrêt du
24 février 1982 en l’affaire du Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe libyenne) (Tunisie
c. Jamahiriya arabe libyenne), arrêt, C.I.J. Recueil 1985, p. 229, par. 67. - 16 -

3.15. C’est tout particulièrement le premier de ces aspects qui nous intéresse en la présente
50
affaire . Il est incontestable que, dans son arrêt de 2012, la Cour s’est estimée saisie de la question
de la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles marins, jugeant

«que la demande de plateau continental étendu relève du différend qui oppose les
Parties en matière de délimitation maritime et ne peut être considérée comme
modifiant l’objet de celui-ci, et ce, d’autant plus qu’elle en découle directement. Ce

qui a changé, ce n’est pas l’objet du différend ; ce sont, d’une part, le fondement
juridique invoqué au soutien de la demande (à savoir le prolongement naturel et non
plus la distance pour fonder la prétention relative au plateau continental) et, d’autre

part, la solution recherchée (la délimitation du plateau continental et non plus une
frontière maritime unique). Par conséquent, bien qu’elle repose sur des fondements
juridiques différents, la nouvelle demande se rapporte toujours à la délimitation du
51
plateau continental.»

3.16. Elle en a

«112. … concl[u] que la demande formulée au point I. 3) des conclusions
finales du Nicaragua [était] recevable [tout en faisant] observer que, en tranchant la

28 question de la recevabilité de cette nouvelle demande, elle ne se pronon[çait]52as sur
la validité des fondements juridiques invoqués à l’appui de celle-ci.»

Il s’agit là d’un important constat dont il ressort i) que la délimitation du plateau continental étendu
faisait partie du différend qui avait été soumis à la Cour et que celle-ci avait compétence pour
trancher ; et ii) que la Cour n’a pas statué au fond sur cet aspect de l’affaire . 53

54
3.17. Comme il a été indiqué ci-dessus , et comme la Cour elle-même l’a rappelé dans son
arrêt de 2012,

«[a]insi qu’elle l’a dit dans l’affaire du Plateau continental (Jamahiriya arabe
libyenne/Malte), «[l]a Cour ne doit pas excéder la compétence que lui ont reconnue les

Parties, mais elle55oit exercer toute cette compétence» (arrêt, C.I.J. Recueil 1985,
p. 23, par. 19).»

3.18. Dans la présente affaire, la Cour n’a pas accueilli la demande formulée par le
Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions, car elle a considéré que celui-ci n’avait pas accompli
toutes les formalités requises. Ayant précisé que, «[e]u égard à l’objet et au but de la [convention

des Nations Unies sur le droit de la mer], tels qu’exposés dans son préambule, le fait que la

50Alors que le second aspect entre plus particulièrement en ligne de compte dans l’affaire relative à des
Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie)
(voir les exceptions préliminaires de la Colombie datées du 19 décembre 2014).

51Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 665, par. 111.
52
Ibid., par. 112 ; voir également, dans le dispositif, les par. 251 2) et 3) cités ci-dessus au par. 3.5.
53
Voir par. 3.3 ci-dessus.
54Voir par. 3.9 ci-dessus.

55Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 671, par. 136 ; voir
également, par exemple, Nottebohm (Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953,
p. 122 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 90, par. 116 ; ou ICSID (CIRDI), Compañía de Aguas del
Aconquija, S.A. and Compagnie générale des Eaux v. Argentine Republic, ICSID Case N ARB/97/3, Décision on
Annulment [Décision sur la demande d’annulation], 3 juillet 2002, ICSID Review-FILJ, 2003, p. 135, par. 112. - 17 -

Colombie n’y soit pas partie n’exon[érait] pas le Nicaragua des obligations qu’il tient de
l’article 76 de cet instrument» , elle a relevé que

«le Nicaragua n’a[vait] communiqué à la Commission que des «informations
préliminaires» qui, comme l’admet[tait] ce dernier, [étaient] loin de satisfaire aux
exigences requises pour pouvoir être considérées comme des informations que
«[l]’Etat côtier communique … à la Commission» sur les limites de son plateau
continental, lorsque celui-ci s’étend au-delà de 200 milles marins, conformément au
29
paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM (voir par. 120 ci-dessus)[, qu’il avait par
ailleurs] communiqué à la Cour les annexes des «informations préliminaires»[,]
précisé, à l’audience, que l’intégralité de ces informations figurait sur le site de la
Commission et indiqué le lien permettant d’y avoir accès.» 57

3.19. La Cour a donc invité le Nicaragua à compléter la demande qu’il avait présentée à la
Commission des limites du plateau continental.

3.20. Comme il sera expliqué plus en détail au chapitre 5 du présent exposé écrit, le
Nicaragua a donné suite et pris les mesures nécessaires pour satisfaire aux exigences de la Cour :

«Le 24 juin 2013, la République du Nicaragua a soumis une demande à la

Commission des limites du plateau continental, conformément au paragraphe 8 de
l’article 76 de la Convention. Cette demande contient des informations sur la limite
extérieure du plateau continental au-delà de 200 milles marins des lignes de base à
partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale de la République du

Nicaragua dans le sud-ouest de la mer des Caraïbes.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Une fois l’examen de la demande complété, la Commission rendra des
58
recommandations en vertu de l’article 76 de la Convention.»

3.21. Se conformant à l’arrêt de la Cour, le Nicaragua a donc fourni à la Commission les
informations visées au paragraphe 8 de l’article 76 de la convention des Nations Unies sur le droit

30 de la mer, et la Cour est désormais en mesure de régler de manière définitive et dans sa totalité le
différend l’opposant à la Colombie qu’il lui avait soumis en 2001.

3.22. Il est d’autant plus crucial que la Cour fasse usage du pouvoir qui est le sien de régler

intégralement les différends portés devant elle que la Colombie a proclamé sa ferme intention de se
soustraire à l’obligation qui lui incombe de trouver une solution pacifique à celui qui l’oppose au
Nicaragua. Elle a ainsi proclamé dans ses exceptions préliminaires :

«Cette seconde demande vise manifestement à entraîner la Colombie dans un
débat reposant sur le postulat que, au-delà de 200 milles marins de la côte continentale
du Nicaragua, les revendications des Parties concernant le plateau continental se
chevauchent. La Colombie refuse de s’engager dans cette discussion, et entend

56
C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 669, par. 126.
57Ibid., par. 127.
58 er
Commission des limites du plateau continental, notification, 1 juillet 2013, «Réception de la demande
présentée par la République du Nicaragua à la Commission des limites du plateau continental», doc. CLCS.66.2013.LOS,
p. 3. - 18 -

affirmer dès à présent que, de son point de vue, pareil chevauchement n’existe pas. En
tout état de cause, le Nicaragua a eu la possibilité de faire valoir sa position, et n’a pas
obtenu gain de cause. La question a été tranchée de manière définitive par l’arrêt du
19 novembre 2012, et est désormais chose jugée.» 59

3.23. Le Nicaragua abordera le faux problème de l’autorité de la chose jugée au chapitre 4
ci-dessous. Pour le reste, il ressort de la formulation reproduite ci-dessus que la Colombie refuse
catégoriquement de recourir à tout moyen de régler définitivement le différend qu’elle entretient

avec le Nicaragua au sujet de la délimitation de leurs portions de plateau continental respectives
au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne ; et qu’elle va jusqu’à nier l’existence de ce
différend. Mais la Colombie ne peut prétendre une chose et son contraire, en affirmant tout à la
fois qu’il n’existait pas de différend sur cette question et que cette même question a été tranchée
avec force de chose jugée.

3.24. En outre, en refusant ne serait-ce que d’engager une discussion sur cette question
toujours en suspens, la Colombie manque à l’obligation impérieuse qui lui incombe au titre du
paragraphe 3 de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 33 de la Charte de régler ses «différends

31 internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière que la paix et la sécurité internationales
ainsi que la justice ne soient pas mises en danger». Dans son arrêt du 27 juin 1986, la Cour avait
rappelé avec force cet

«autre principe du droit international — complémentaire des principes d’interdiction

examinés plus haut — et qu’il est indispensable de respecter dans le monde
d’aujourd’hui : celui qui veut que les parties à un différend, et en particulier à un
différend dont la persistance risquerait de mettre en danger le maintien de la paix et de
la sécurité internationales, s’efforcent d’y trouver une solution par des moyens

pacifiques. Consacré par l’article 33 de la Charte des Nations Unies, qui indique
d’autre part plusieurs moyens pacifiques auxquels il est possible de faire appel, c60
principe a également le caractère d’une règle de droit international coutumier.»

3.25. Au refus de la Colombie de régler définitivement le différend qui l’oppose au
Nicaragua au sujet de la délimitation de leurs espaces maritimes respectifs, s’ajoute la menace61
qu’elle brandit de recourir à la force au cas où celui-ci tenterait de faire respecter ses droits ; aussi
est-il absolument indispensable que la Cour fasse usage des prérogatives qui sont les siennes pour
régler en tous points ce différend et ce, d’autant que la Colombie, lorsqu’elle a donné son

consentement à la compétence de la Cour, s’est engagée à se soumettre à pareil règlement. La
Colombie remettant en question le fondement même de son arrêt précédent, la Cour peut se
prévaloir du pouvoir inhérent qui l’autorise à examiner la situation qui en découle.

3.26. Par conséquent, même si la Cour devait juger qu’elle n’a pas la compétence que lui
prête le Nicaragua au titre du pacte de Bogotá au motif que la Colombie a dénoncé celui-ci, elle ne
serait pas pour autant empêchée de connaître des demandes formulées par le Nicaragua dans sa
32 requête en l’espèce, compte tenu du pouvoir inhérent lui permettant de régler dans leur intégralité
les différends qui lui ont été soumis et à l’égard desquels elle reste compétente.

59
EPC, p. 169, par. 7.26.
60 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),
fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 145, par. 290.

61Voir le mémoire du Nicaragua en l’affaire relative à des Violations alléguées de droits souverains et d’espaces
maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), 3 octobre 2014, p. 70-78. - 19 -

III. LA DEMANDE DU N ICARAGUA N ’EST PAS UNE
DEMANDE D ’INTERPRÉTATION

3.27. Par souci de clarté et afin de ne laisser subsister aucun doute à cet égard, précisons que
le Nicaragua ne demande pas à la Cour d’interpréter son arrêt de 2012 au titre de l’article 60. Le
présent différend ne concerne pas «une divergence d’opinions ou de vues entre les parties quant au
62
sens et à la portée d’un arrêt rendu par la Cour» . Par conséquent, la demande du Nicaragua n’a
pas pour objet de «faire éclaircir le sens et la portée de ce qui a été décidé avec force obligatoire
par l’arrêt, [mais d’]obtenir la solution de points qui n’ont pas été ainsi décidés» et que la Cour a
64
jugés recevables .

3.28. Le Nicaragua ne demande pas non plus à la Cour de réaffirmer ce qu’elle a déjà décidé

dans son arrêt de 2012 : c’est là chose jugée, et l’article 59 du Statut impose à la Colombie
l’obligation inconditionnelle de s’y soumettre sans réserve ni délai. Du reste, le Nicaragua n’aurait
aucun intérêt à obtenir de la Cour une simple répétition de ce qu’elle a déjà énoncé en des termes
on ne peut plus clairs. Le Nicaragua prie la Cour d’exercer toute la compétence dont elle s’est
33
reconnue dotée au titre du pacte de Bogotá en 2001, et de délimiter les portions de plateau
continental revenant respectivement à lui-même et à la Colombie au-delà de 200 milles marins de
la côte nicaraguayenne. Ce pouvoir inhérent est avancé comme base de compétence à titre

subsidiaire en l’espèce.

3.29. Les conclusions du présent chapitre se limitent aux points suivants :

 la Cour a compétence pour fixer la frontière maritime entre les Parties au-delà de 200 milles
marins des lignes de base à partir desquelles est calculée la largeur de la mer territoriale ;

 la Cour n’ayant, dans son arrêt de 2012, ni rejeté ni tranché les conclusions du Nicaragua à cet
égard, cet aspect du différend ne relève pas de la chose jugée ;

 la Cour en demeure par conséquent saisie ;

 la Cour possède un pouvoir inhérent lui permettant de trancher définitivement cet aspect du
différend ; et

 si ce pouvoir peut fonder la compétence de la Cour en l’espèce, il ne se substitue pas au chef de
compétence que constitue l’article XXXI du pacte de Bogotá, mais vient s’y ajouter et il peut y
être recouru à titre subsidiaire.

62Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge
c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), C.I.J., arrêt, par. 33, citant l’ordonnance en indication de mesures conservatoires
rendue dans cette même affaire (Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en l’affaire du Temple de
Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande)(Cambodge c. Thaïlande),mesures conservatoires, ordonnance du
18 juillet 2011, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 542, par. 22).
63
Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (Colombie/Pérou),
arrêt, C.I.J. Recueil 1950, p. 402. Voir également Demande en interprétation de l’arrêt du 11 juin 1998 en l’affaire de la
Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires (Nigéria
c. Cameroun), arrêt, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 36-37, par. 12, et Demande en interprétation de l’arrêt du 15 juin 1962 en
l’affaire du Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande) (Cambodge c. Thaïlande), C.I.J., arrêt, par. 55.
64
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 665, par. 112 et
p. 719, par. 251 2). - 20 -

CHAPITRE 4

LES DEMANDES DU NICARAGUA NE TOMBENT PAS
SOUS LE COUP DE LACHOSE JUGÉE

35 4.1. A titre de troisième exception préliminaire, la Colombie allègue que la Cour n’a pas

compétence à l’égard des demandes que le Nicaragua lui a soumises en la présente espèce parce
que celles-ci seraient chose jugée. Elle estime que,

«si la Cour a ... , dans son arrêt du 19 novembre 2012, conclu à la recevabilité de la
demande [formulée par le Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales et

concernant la délimitation du plateau continental au-delà de 200 milles], elle n’y a pas
fait droit au fond, et se trouve donc aujourd’hui empêchée de connaître de la requête
du Nicaragua du 16 septembre 2013 par l’effet de la chose jugée» . 65

4.2. La Colombie se méprend, car la res judicata ou chose jugée, comme son nom l’indique,
ne fait obstacle qu’aux questions ayant effectivement été tranchées dans une affaire antérieure. Or,
dans son arrêt de novembre 2012, la Cour n’a de toute évidence pas tranché celle dont elle est

saisie en l’espèce, qui porte sur l’emplacement de la limite entre les portions du plateau continental
revenant respectivement au Nicaragua et à la Colombie au-delà de 200 milles des lignes de base
nicaraguayennes. Elle s’est au contraire expressément refusée à en déterminer le tracé, jugeant à
l’époque qu’elle n’était pas en mesure d’effectuer la délimitation demandée.

4.3. Le texte de l’arrêt de novembre 2012 souligne clairement le caractère circonscrit et
conditionnel de la conclusion à laquelle la Cour était parvenue. Au paragraphe 129, celle-ci
déclarait en effet :

«[L]e Nicaragua n’ayant pas, dans la présente instance, apporté la preuve que
sa marge continentale s’étend suffisamment loin pour chevaucher le plateau
continental dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte

36 continentale, la Cour n’est pas en mesure de délimiter les portions du plateau 66
continental relevant de chacune des Parties, comme le lui demande le Nicaragua.»

4.4. C’est sur cette base, et sur elle seule, que la Cour a estimé qu’«elle ne p[ouvait]

accueillir la demande formulée par le Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions
finales»  formulation qu’elle reprend d’ailleurs dans le dispositif («La Cour [d]it qu’elle ne
peut accueillir la demande formulée par la République du Nicaragua au point I. 3) de ses
68
conclusions finales») .

4.5. La question posée en la présente espèce n’ayant donc pas déjà été tranchée, le principe
de la chose jugée ne saurait faire obstacle à la compétence de la Cour.

65EPC, par. 5.4.
66
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 669, par. 129 (les
italiques sont du Nicaragua).
67Ibid., p. 670, par. 131.
68
Ibid., p. 719, point 3) du dispositif. - 21 -

4.6. Le présent chapitre se subdivise en trois sections. Dans la section I, la jurisprudence de

la Cour en matière de chose jugée sera passée en revue afin de combler les graves lacunes que
présente l’analyse du droit applicable livrée par la Colombie et de préciser clairement dans quelles
conditions l’autorité de la chose jugée entre en jeu. Dans la section II, il sera démontré que, au

regard du droit tel qu’appliqué à l’arrêt de novembre 2012, ce principe n’est pas pertinent en
l’espèce. Enfin, la section III traitera de la quatrième exception préliminaire de la Colombie, selon
laquelle la présente instance constituerait une tentative inadmissible de faire appel et d’obtenir la
revision de l’arrêt de novembre 2012, et permettra d’écarter cette exception. Celle-ci fait long feu

pour les mêmes raisons que l’argument relatif à la chose jugée, à savoir parce que la Colombie
tient, là encore, pour acquis que les questions soulevées en l’espèce ont déjà été réglées avec force
obligatoire. Or, ainsi qu’il sera démontré dans la suite du présent chapitre, il n’en est rien.

I. SEULS LES POINTS EFFECTIVEMENT TRANCHÉS

ONT FORCE DE CHOSE JUGÉE

37 4.7. La Colombie entame son analyse du droit en déclarant que «[l]’autorité de la chose
jugée interdit de revenir sur un arrêt dès lors qu’il y a identité entre «les trois éléments
69
traditionnels [:] persona, 70titum, causa petendi»» . Elle entreprend ensuite de démontrer qu’il en
serait ainsi en l’espèce . En se concentrant exclusivement sur ces trois éléments, la Colombie
escamote toutefois la condition la plus importante pour qu’il y ait chose jugée, c’est-à-dire le fait

que la question en litige doit avoir été tranchée. En d’autres termes, bien que le respect des
exigences d’identité des personae, du petitum et de la causa petendi soit nécessaire à l’application
de la règle, il n’est pas suffisant. En effet, quand bien même ces conditions seraient remplies, le

principe de la chose jugée ne trouve à s’appliquer que lorsqu’une question sou71vée dans une
affaire ultérieure a déjà été «finalement» et «définitivement» tranchée .

4.8. Cette règle fondamentale ressort clairement du texte du premier arrêt cité par la os
Colombie dans son examen du droit, à savoir celui concernant l’Interprétation des arrêts n 7 et 8
relatifs à l’affaire dite de l’usine de Chorzów (Allemagne c. Pologne). Dans cette affaire,

l’Allemagne avait prié la CPJI de dire que sa décision antérieure empêchait la Pologne de chercher
à obtenir la radiation, aux registres fonciers, de la société Oberschlesische Stickstoffwerke A.-G. en
tant que propriétaire de l’usine de Chorzów. La Cour permanente a retenu la thèse de l’Allemagne,
en indiquant ce qui suit :

o
«L’arrêt n 7 de la Cour est de la nature d’un jugement déclaratoire qui, selon
son idée, est destiné à faire reconnaître une situation de droit une fois pour toutes et
38
avec effet obligatoire entre les Parties, en sorte que la situation juridique ainsi fixée ne
puisse plus être mise en discussion, pour ce qui est des conséquences juridiques qui en
découlent.» 72

Pour ne plus pouvoir «être mise en discussion», la «situation juridique» doit donc avoir été «fixée»
ou tranchée. A défaut, elle ne tombe pas sous le coup de la chose jugée.

69 EPC, par. 5.35 (citant l’Interprétation des arrêts n 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt n 11, 1927, C.P.J.I.
série A n° 13, arrêt n° 11 du 16 décembre 1927, p. 20).
70
Ibid., par. 5.41-5.70.
71
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964, p. 6, 20 ; Robert Kolb, La Cour internationale de Justice (2013),
p. 786.
72 EPC, par. 5.36 (les italiques sont du Nicaragua) (citant l’Interprétation des arrêts n 7 et 8 (usine de Chorzów),
arrêt n 11, 1927, C.P.J.I., Série A n° 13, arrêt n 11 du 16 décembre 1927, p. 20). - 22 -

4.9. C’est sans doute dans l’arrêt rendu par la Cour en 2007 en l’affaire du Génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro) — qui posait la question de l’effet de la chose jugée

des décisions que la Cour avait prises quant à sa compétence dans son arrêt de 1996 sur les
exceptions préliminaires — que se trouve l’analyse la plus poussée de la portée et du but du
principe de l’autorité de la chose jugée. En recherchant si celui-ci trouvait à s’appliquer, la Cour a
souligné qu’il fallait, pour qu’il entre en jeu, que la question posée alors ait véritablement été

tranchée dans l’arrêt antérieur.

4.10. Dans l’un des premiers paragraphes de la section pertinente de cet arrêt, la Cour a dit

ce qui suit :

«Selon [l]e principe [de la chose jugée], les décisions de la Cour sont non
seulement obligatoires pour les parties, mais elles sont définitives, en ce sens qu’elles

ne peuvent être remises en cause par les parties pour ce qui est des questions que ces
décisions ont tranchées, en dehors des procédures spécialement prévues à cet effet
[aux articles 59 et 60 du Statut de la Cour], qui présentent un caractère
exceptionnel.» 73

39 4.11. A propos de la question de l’applicabilité de ce principe dans le cas de son arrêt
de 1996 sur la compétence, la Cour a fait observer que, «si une question se pos[ait] quant à la

portée de l’autorité de la chose jugée qui s’attach[ait] à un 74rêt, elle [devait] être tranchée compte
tenu du contexte dans lequel l’arrêt a[vait] été rendu» , avant d’apporter la précision suivante,
qu’il convient de noter :

«A cette fin, dans le cas d’un arrêt particulier, il peut se révéler nécessaire

d’opérer une distinction entre, premièrement, les questions qui ont été tranchées, le cas
échéant implicitement, avec force de chose jugée ; deuxièmement, les questions
accessoires ou subsidiaires, ou obiter dicta ; troisièmement, celles qui n’ont pas été

tranchées du tout... Si un point n’a en fait pas été tranché, ni expressément ni par
implication logique, l’arrêt n’a pas force de chose jugée sur celui-ci ; et il peut être
nécessaire de lire une conclusion générale dans son contexte afin de déterminer si elle
recouvre tel point en particulier.» 75

4.12. Dans l’opinion individuelle qu’il a jointe en l’affaire du Génocide, le juge Owada a
souligné qu’il était «de fait essentiel que [la Cour] évit[ât] toute application automatique de la règle

de l’autorité de la chose jugée et qu[’elle s’]effor[çât] de déterminer la port76 de ce qui [était]
revêtu de cette autorité dans le contexte concret de l’affaire considérée» .

4.13. L’affaire Haya de la Torre illustre bien la règle selon laquelle des questions, même

étroitement liées, qui n’ont pas effectivement été tranchées dans une affaire peuvent toujours l’être
dans une autre. Cette affaire avait été précédée de celle du Droit d’asile, dans laquelle la Cour était

73
Affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 51, par. 115 (les italiques sont du
Nicaragua).
74Ibid., p. 56, par. 125 (citation omise).

75Ibid., par. 126 (les italiques sont du Nicaragua).
76
Ibid., opinion individuelle de M. le juge Owada, p. 290, par. 15. Voir également ibid., opinion dissidente
commune de MM. les juges Ranjeva, Shi et Koroma, p. 267, par. 3 (dans laquelle il est déclaré : «seule une question qui a
été jugée peut revêtir l’autorité de la chose jugée. Une question que la Cour n’a pas tranchée ne peut être qualifiée de
chose jugée»). - 23 -

parvenue à la conclusion que l’asile que la Colombie avait accordé à M. Haya de la Torre allait à
l’encontre des dispositions de la convention de La Havane de 1928. Dans l’affaire Haya de la
Torre  postérieure, donc , la Colombie a prié la Cour de dire et juger que ce précédent ne la

40 contraignait pas à remettre l’intéressé aux autorités péruviennes, bien que la Cour eût déjà
déterminé que l’asile avait été octroyé de manière illicite.

4.14. Dans son arrêt, la Cour s’est reportée à celui qu’elle avait rendu en l’affaire du Droit
d’asile. Sur le point de savoir si la Colombie était tenue de remettre M. Haya de la Torre au Pérou,

elle a dit ceci :

«Cette question n’avait pas été soumise à la Cour, qui ne l’a par conséquent pas
tranchée. Il n’est donc pas possible de déduire de l’arrêt du 20 novembre [1950] une
conclusion quelconque relative à l’existence ou à l’inexistence d’une obligation de

remettre le réfugié. Dans ces conditions, la Cour n’est pas en mesure de dire, sur la
seule base de l’arrêt du 20 novembre, si la Colombie est obligée ou non de remettre le
réfugié aux autorités péruviennes.» 77

4.15. La Cour s’est alors penchée sur la question des conséquences juridiques découl78t de
sa décision antérieure de conclure à l’irrégularité de l’asile octroyé à M. Haya de la Torre .

4.16. Ainsi qu’il sera démontré dans la section suivante du présent chapitre, les circonstances

de l’espèce sont analogues à celles de l’affaire Haya de la Torre. D’une part, la question ici posée
(celle de l’emplacement de la limite des zones de plateau continental revenant au Nicaragua et à la
Colombie au-delà de 200 milles des lignes de base nicaraguayennes) n’a pas été tranchée par la
Cour dans son arrêt de novembre 2012 et, d’autre part, il est impossible de déduire de cet arrêt une
quelconque conclusion à cet égard. Les demandes formulées par le Nicaragua ne sont donc pas

exclues par l’effet de la chose jugée.

II. LA COUR N ’A PAS DÉJÀ TRANCHÉ LES QUESTIONS QUI LUI
SONT SOUMISES DANS LA PRÉSENTE AFFAIRE

41 4.17. Pour démontrer que les demandes formulées en la présente affaire par le Nicaragua
tombent sous le coup de la chose jugée, la Colombie s’emploie à récapituler l’argumentation déjà
avancée par les Parties au sujet de la délimitation au-delà des 200 milles marins des lignes de base
nicaraguayennes . Elle expose avec force détails l’enchaînement et la progression des arguments

développés dans les pièces de procédure écrites, ainsi que la teneur de ceux présentés à l’audience
(essentiellement par MM. Lowe et Cleverly, pour le Nicaragua, et par M. Bundy pour la
Colombie). La Colombie  et le Nicaragua l’affirme avec tout le respect qui lui est dû  procède
ainsi en pure perte. Les arguments développés par les Parties en l’affaire du Différend territorial et

maritime n’intéressent pas la question qui est ici en jeu et qui consiste à savoir si, dans son arrêt de
novembre 2012, la Cour a pris une décision au sujet de la délimitation du plateau continental
au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne.

4.18. Sur cette question-là  un point pourtant déterminant , la Colombie se montre
sensiblement plus réservée. A propos de ce que recouvre la décision prise par la Cour au vu des

77
Affaire Haya de la Torre (Colombie/Pérou), arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 79.
78Ibid., p. 80-83.

79EPC, par. 5.6-5.26. - 24 -

arguments qui lui avaient été présentés  quelle «chose» a en fait été «jugée» , la Colombie se
contente pour l’essentiel d’affirmer, et de répéter dans plusieurs paragraphes que,

«si la Cour a …, dans son arrêt du 19 novembre 2012, conclu à la recevabilité de la
demande [formulée par le Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales dans
l’affaire du Différend territorial et maritime et qui portait sur la délimitation au-delà

de 200 milles marins], elle n’y a pas fait droit au fond, et se trouve donc aujourd’hui
empêchée de connaître de la requête du Nicaragua du 16 septembre 2013 par l’effet de
la chose jugée» .0

4.19. Par cette tournure de phrase ingénieuse, la Colombie tente de gommer la distinction
fondamentale entre la démarche consistant à trancher une demande au fond, d’une part, et ce que
recouvre en fait le refus de la Cour d’«accueillir» la demande initiale du Nicaragua, d’autre part.

42 Or, l’analyse de l’arrêt de novembre 2012 fait clairement apparaître que, en réalité, la décision de la
Cour de ne pas «accueillir» la demande de délimitation du plateau continental au-delà de
200 milles marins n’emportait pas de décision au fond sur cette demande.

4.20. Comme indiqué plus haut, la Cour a déclaré, dans le dispositif de son arrêt de
novembre 2012, «qu’elle ne p[ouvait] accueillir la demande formulée par la République du
Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales» . 81 L’emploi de l’expression «ne peut

accueillir» est en soi révélateur. La Cour n’a ni «rejeté» la conclusion du Nicaragua ni employé
d’autres termes indiquant qu’elle se prononçait au fond sur la demande du Nicaragua. En
particulier, elle n’a pas dit que le Nicaragua ne possédait pas de droits sur le plateau continental
au-delà de 200 milles marins ni que, en conséquence, il n’y avait pas lieu d’opérer une délimitation

dans cette zone entre le Nicaragua et la Colombie.

4.21. De plus, lue dans le contexte d’une motivation clairement exposée, il est évident que,

en décidant de ne pas «accueillir» la82emande du Nicaragua, la Cour n’entendait pas trancher
«finalement» ou «définitivement» la question qui se posait quant à l’existence de droits des
Parties sur le plateau continental au-delà de 200 milles marins de la côte nicaraguayenne ou à
l’emplacement des limites du plateau continental revenant aux Parties dans cette zone. Au

contraire, la Cour s’est expressément refusée à se prononcer sur cette question, le Nicaragua
n’ayant pas soumis à la Commission des limites du plateau continental une demande complétée.

4.22. La Cour a commencé par rechercher si la demande du Nicaragua tendant à la
délimitation d’un plateau continental s’étendant au-delà de 200 milles marins était recevable, pour
conclure, comme le relève à juste titre la Colombie, par l’affirmative . Elle a toutefois pris soin de
43 préciser que, en tranchant cette question, elle «ne se pronon[çait] pas sur la validité des fondements
84
juridiques invoqués à l’appui de [la demande]» .

80EPC, par. 5.4. Voir également ibid., titre du point 5 C. 2) de l’argumentation de la Colombie, p. 52 («Sur le
fond, la Cour n’a pas accueilli la demande formulée par le Nicaragua au point I. 3) de ses conclusions finales») ; par. 5.34
(«Ainsi, en jugeant que la demande était recevable sans y faire droit au fond, … la Cour a rendu une décision revêtue de
l’autorité de la chose jugée.»).
81
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 718, par. 251 3).
82Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited, (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964, p. 20 ; Robert Kolb, La Cour internationale de Justice (2013),
p. 786.

83EPC, par. 5.27.
84
Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 665, par. 112. - 25 -

4.23. La Cour a ensuite cherché non pas à déterminer l’emplacement de la limite du plateau
continental, ni même les principes applicables pour trancher cette question, mais à «savoir si elle

[était] en mesure de tracer «une limite opérant une division par parts égales de la zone du plateau
continental où les droits des deux Parties sur celui-ci se chevauchent», ainsi que le Nicaragua le lui
demand[ait]» . Ayant ainsi circonscrit la question  au point de savoir si elle était «en mesure de

tracer» la limite entre les portions de plateau continental où les droits des Parties se
chevauchent , la Cour a spécifiquement refusé de trancher certains autres aspects que les Parties
avaient abordés dans leurs exposés écrits et oraux. Ainsi, à propos de leurs divergences sur la

nature et le contenu des règles régissant les droits des Etats côtiers à un plateau continental au-delà
de 200 milles marins, elle a déclaré :

«A ce stade, la Cour ayant simplement à examiner la question de savoir si elle

est en mesure de délimiter le plateau continental, comme le lui demande le Nicaragua,
point n’est besoin pour elle de déterminer si d’autres dispositions de l’article 76 de la
CNUDM font partie du droit international coutumier.» 86

4.24. Au final, la Cour a conclu qu’elle n’était pas en mesure de délimiter les portions de
plateau continental relevant de chacune des Parties, comme le lui demandait le Nicaragua. Dans
ses motifs, elle relevait que le Nicaragua n’avait communiqué à la Commission des limites du

plateau continental que des «informations préliminaires» qui étaient

«loin de satisfaire aux exigences requises pour pouvoir être considérées comme des
informations que «[l]’Etat côtier communique … à la Commission» sur les limites de
44
son plateau continental, lorsque celui-ci s’étend au-delà de 200 mil87s marins,
conformément au paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM» .

4.25. «Le Nicaragua n’ayant pas, dans [cette] instance, apporté la preuve que sa marge
continentale s’étend[ait] suffisamment loin pour chevaucher le plateau continental dont la
Colombie p[ouvait] se prévaloir sur 200 milles marins à partir de sa côte continentale», la Cour ne

s’estimait «pas en mesure de délimiter les portions d88plateau continental relevant de chacune des
Parties, comme le lui demand[ait] le Nicaragua» .

4.26. La Cour a encore souligné le caractère circonscrit de cette décision lorsqu’elle a précisé
que, parce qu’elle ne s’estimait pas en mesure de délimiter les portions du plateau continental
relevant de chacune des Parties, il n’y avait

«pas lieu pour [elle] d’examiner l’un quelconque des autres arguments avancés par les
Parties, comme celui de savoir si la délimitation d’une zone de chevauchement de
droits dans laquelle l’une des parties revendique un plateau continental étendu est
susceptible de porter atteinte au droit à un plateau continental dont l’autre partie peut
89
se prévaloir sur une distance de 200 milles marins» .

85Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, par. 113.
86
Ibid., p. 666, par. 118.
87Ibid., p. 669, par. 127. Comme l’a précisé le Nicaragua dans sa requête, il a soumis ses informations finales à
la Commission des limites de plateau continental le 24 juin 2013. Requête, par. 5.

88Ibid., par. 129. (Les italiques sont de nous).
89
Ibid., p. 669-670, par. 130. (Les italiques sont de nous). - 26 -

4.27. La Cour a donc très clairement indiqué qu’elle ne s’était pas prononcée sur la question
de savoir si le Nicaragua a, au-delà de 200 milles marins, des droits sur le plateau continental
entrant en concurrence avec ceux dont la Colombie peut se prévaloir sur 200 milles depuis sa
côte continentale, non plus que sur l’emplacement de la limite entre les plateaux continentaux
respectifs des deux Parties dans cette zone, ou ne serait-ce que sur les règles générales applicables à

une telle délimitation. La Cour a seulement conclu que, dans le cadre de l’instance en question,
elle n’était pas à même de résoudre ce différend. C’est donc tout à fait à tort que la Colombie
soutient que chacun des fondements avancés par le Nicaragua à l’appui de sa demande en la
présente affaire a été «tranché [par la Cour] dans … l’arrêt du 19 novembre 2012» . 90

45 4.28. En définitive, c’est peut-être ce qu’a déclaré la Cour dans l’affaire relative à la
Convention sur le génocide qui démontre le plus clairement que le principe de la chose jugée ne
trouve pas ici à s’appliquer. Exposant les motifs pour lesquels elle allait rejeter les arguments
avancés par le défendeur, la Serbie-et-Monténégro, et renvoyant à des affaires dans lesquelles elle

avait examiné des questions juridictionnelles après avoir, dans un arrêt, conclu à sa compétence, la
Cour a déclaré ce qui suit :

«La différence essentielle entre les affaires mentionnées au paragraphe
précédent et la présente espèce réside en ceci que les questions de compétence

examinées à un stade tardif dans ces affaires étaient telles que la décision rendue à
leur sujet n’était pas susceptible de contredire la conclusion par laquelle la Cour
s’était déclarée compétente dans l’arrêt antérieur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En revanche, s’ils étaient retenus, les arguments avancés par le défendeur dans
la présente affaire auraient pour effet  et tel est d’ailleurs leur but  de renverser
la décision de 1996.» 91

4.29. Le critère essentiel pour déterminer si l’autorité de la chose jugée entre en jeu est donc
la question de savoir si une décision sur une question soulevée dans une instance ultérieure
«contredirait» la conclusion à laquelle est parvenue la Cour dans un précédent arrêt, autrement dit
si une conclusion en faveur de la partie qui avance la demande aurait pour effet de «renverser»
l’arrêt antérieur. De toute évidence, tel n’est pas le cas en l’espèce. Une décision sur les demandes

du Nicaragua dans la présente instance ne contredirait pas les conclusions auxquelles la Cour est
parvenue dans son arrêt de novembre 2012, pas plus qu’une décision faisant droit aux prétentions
du Nicaragua n’aurait pour effet de renverser cet arrêt. Par conséquent, l’autorité de la chose jugée
ne fait pas obstacle à la compétence de la Cour en l’espèce.

4.30. Pour étayer son argument relatif à l’autorité de la chose jugée, la Colombie appelle à la
rescousse l’affaire Haya de la Torre ; or, celle-ci ne lui est d’aucun secours. A ce que prétend la
Colombie, cette affaire conforterait sa thèse car l’élément clé ayant permis à la Cour de connaître
de l’instance ultérieure aurait été le fait que le Pérou n’avait pas initialement  c’est-à-dire dans
92
46 l’affaire du Droit d’asile  soulevé la question qui se posait désormais  celle de savoir si la
Colombie avait l’obligation de remettre M. Haya de la Torre aux autorités péruviennes. Pourtant, il
ressort du langage clair employé par la Cour que, contrairement à ce que soutient la Colombie, tel

90EPC, par. 5.41.
91
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 96, par. 128. (Les italiques sont de nous.)
92EPC, par. 5.53. - 27 -

n’a pas été le point décisif. En réalité, l’élément essentiel était que la question n’avait pas déjà fait

l’objet d’une dé93sion  «elle n’avait pas été soumise à la Cour, qui ne l’a[vait] par conséquent
pas tranchée» . La Cour a certes déclaré que la question soulevée était «nouvelle», mais
simplement pour expliquer pourquoi aucune décision n’avait été rendue auparavant ; ce n’était pas
94
en soi la raison pour laquelle l’autorité de la chose jugée n’entrait pas en jeu . De la même
manière, la question soumise à la Cour en l’espèce n’a pas déjà fait l’objet d’une décision.

4.31. A cet égard, la situation est en l’espèce analogue à celle qui prévalait dans l’affaire des
Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis
d’Amérique), lorsque le Nicaragua a demandé que son préjudice direct soit évalué à un montant
minimum de 370 millions de dollars des Etats-Unis. Dans l’arrêt qu’elle a rendu au fond en 1986,

la Cour a déclaré que, en partie parce que le Nicaragua n’avait pas établi avec «certitude et
précision» son droit au montant demandé, elle «consid[érait] qu’elle ne p[ouvait] accéder à ce stade
à la requête» qu’il avait formulée . Cette décision ne faisait cependant pas obstacle à ce que le

Nicaragua établît le montant de sa demande de do96ages-intérêts avec la certitude et la précision
voulues à un stade ultérieur de la procédure . C’est le même raisonnement qui devrait être suivi en
l’espèce.

4.32. L’argument selon lequel le Nicaragua tenterait indûment «de contourner le principe de
47 la chose jugée» 97 en invoquant de «nouvelles données géologiques et géomorphologiques» 98

n’étaye pas davantage la cause de la Colombie. Il s’agit d’un argument spécieux, et ce, surtout à
deux égards. Premièrement, le Nicaragua ne se fonde pas sur ces nouvelles informations pour se
soustraire à la force de la chose jugée. Pour les raisons déjà amplement exposées, ce principe ne
s’applique tout simplement pas en l’espèce et l’on ne saurait donc soutenir que le Nicaragua tente

de le «contourner».

4.33. Deuxièmement, le Nicaragua ne cherche pas en soi à mettre en avant de nouvelles

données géologiques et géomorphologiques. Ce qui a changé depuis que la Cour a rendu son arrêt
de novembre 2012, c’est que, le 24 juin 2013, le Nicaragua s’est acquitté de l’obligation
procédurale que lui impose le paragraphe 8 de l’article 76 de la CNUDM de communiquer à la

Commission des limites du plateau continental des informations sur l’emplacement précis de la
limite extérieure de sa marge continentale. Ces informations satisfont sans conteste aux exigences
de la Commission en la matière, telles qu’énoncées dans ses directives scientifiques et techniques,
et prouvent assurément que le Nicaragua a une marge continentale qui chevauche le plateau

continental auquel la Colombie a droit sur 200 milles marins. La Cour dispose donc à présent de
tous les éléments nécessaires pour s’acquitter de sa mission, et régler le différend.

4.34. La conclusion selon laquelle le principe de la chose jugée ne s’applique pas aux
demandes présentées par le Nicaragua en l’espèce est encore confirmée par l’objectif auquel
répond ce principe. Ainsi que la Cour l’a exposé,

93 Haya de la Torre, arrêt, C.I.J. Recueil 1951, p. 80. Plus loin, dans le même paragraphe, la Cour a déclaré :
«l’arrêt du 20 novembre n’a pas statué sur la question de la remise du réfugié … Par conséquent, il n’y a pas chose jugée
en ce qui concerne la question de la remise.» Ibid.
94
Ibid., p. 79.
95 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique),

arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 143, par. 285.
96Ibid., par. 292 15).
97
EPC, par. 5.78.
98
Ibid., par. 5.77. - 28 -

«[l]e principe de l’autorité de la chose jugée répond, tant dans l’ordre international que

dans l’ordre interne, à deux objectifs, l’un général, l’autre particulier. Premièrement,
la stabilité des relations juridiques exige qu’il soit mis un terme au différend
considéré. La fonction de la Cour est, selon l’article 38 du Statut, de «régler» les
«différends qui lui sont soumis», c’est-à-dire d’y mettre un terme. Deuxièmement, il
est dans l’intérêt de chacune des parties qu’une affaire qui a d’ores et déjà été tranchée
48 99
en sa faveur ne soit pas rouverte.»

4.35. Permettre au Nicaragua de soumettre ses prétentions, en rejetant l’exception
préliminaire soulevée par la Colombie, cadrerait parfaitement avec ces deux objectifs, qui seraient
en revanche sérieusement mis à mal si l’argument de la Colombie relatif à l’autorité de la chose

jugée devait être retenu. S’agissant du premier  favoriser la stabilité des relations juridiques en
réglant les différends , le fait est que, comme cela a été exposé ci-dessus, la Cour n’a pas déjà
tranché le différend dont elle est aujourd’hui saisie. Au contraire, ce différend est demeuré pendant
et continue dès lors de faire obstacle à la stabilité des relations juridiques entre le Nicaragua et la
Colombie, les deux pays demeurant fortement opposés sur la question de leurs droits

respectifs  et, selon le Nicaragua, concurrents  sur le plateau continental au-delà de
200 milles marins des côtes nicaraguayennes. Sans intervention de la Cour, le différend continuera
à s’envenimer et à compromettre la stabilité des relations juridiques entre les deux Etats.

4.36. Les mêmes remarques valent pour le second objectif que sert le principe de l’autorité
de la chose jugée : l’intérêt de la partie en faveur de laquelle une question a déjà été tranchée à ce

que celle-ci ne soit pas rouverte. La question n’a été tranchée ni en faveur du Nicaragua ni en
faveur de la Colombie : elle demeure non réglée. Prime donc aujourd’hui l’intérêt des Parties à
voir leur différend «finalement» et «définitivement» réglé et à disposer d’une solution sûre et
durable.

4.37. Pour toutes ces raisons, il convient de rejeter la troisième exception préliminaire
soulevée par la Colombie.

III. LA PRÉSENTE AFFAIRE NE CONSTITUE NI UN RECOURS NI UNE
DEMANDE EN REVISION DE L ’ARRÊT DE NOVEMBRE 2012

49 4.38. Au titre de sa quatrième exception préliminaire, la Colombie soutient que
l’introduction de la présente instance constitue de la part du Nicaragua une tentative inadmissible
de faire appel de l’arrêt de novembre 2012 et d’en obtenir la revision et, par conséquent, que la
Cour n’a pas compétence pour connaître de cette affaire. Or, il n’en est rien. Sous ce chef, la
Colombie ne fait guère que reprendre, sous une forme un peu différente, son argument sur
l’autorité de la chose jugée. Cette exception fait donc long feu pour les raisons déjà exposées plus

haut, à savoir parce que les questions posées dans la présente affaire n’ont pas été tranchées par
l’arrêt de novembre 2012. Un point non réglé ne pouvant faire l’objet d’un recours ou d’une
demande en revision, il n’y a pas lieu d’assimiler la requête du Nicaragua à l’un ou à l’autre.

4.39. Le caractère spécieux de la quatrième exception préliminaire ressort clairement du tout
premier paragraphe que la Colombie lui consacre, et dans lequel elle en énonce les prémisses. Elle

affirme en effet, à propos de l’arrêt de 2012, que la Cour y «a en revanche entièrement et
définitivement fixé [la] frontière maritime [entre les Parties], y compris les limites du plateau

99Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 90, par. 116. - 29 -

100
continental et de la zone économique exclusive revenant respectivement à chacune [d’elles]» .
Or, ainsi qu’il a été démontré plus haut, cette affirmation est tout bonnement erronée car, bien
qu’ayant délimité la frontière maritime en deçà de 200 milles de la côte nicaraguayenne, la Cour
n’a pris aucune décision au sujet des limites du plateau continental au-delà de cette distance. De
surcroît, rien dans l’arrêt ne donne seulement à penser qu’elle considérait avoir, d’une manière ou

d’une autre, fixé le tracé complet de la frontière maritime entre les Parties et totalement réglé le
différend porté devant elle.

4.40. La Cour a, au contraire, clairement précisé que la question de la délimitation au-delà de
200 milles des lignes de base du Nicaragua demeurait posée. Si certains aspects de l’arrêt de

novembre 2012 ont déjà été évoqués, l’on peut ici en relever d’autres. En particulier, après avoir
jugé qu’elle n’était pas en mesure de délimiter la zone au-delà de 200 milles, la Cour s’est
50 consacrée, dans la section V de cet arrêt, à la délimitation qu’il lui était loisible d’effectuer. Sa
façon de présenter la question sur laquelle elle était appelée à se prononcer est des plus éloquentes :

«Eu égard à sa décision concernant la demande formulée par le Nicaragua au

point I. 3) de ses conclusions finales (voir paragraphe 131 ci-dessus), la Cour doit
maintenant s’interroger sur la nature de la délimitation maritime à effectuer. La Cour
n’ayant pas fait droit à la demande du Nicaragua relative à un plateau continental
au-delà de 200 milles marins [Leaving out of account any Nicaraguan claims to a
continental shelf beyond 200 nautical miles], il ne saurait être question de déterminer

une frontière maritime entre les côtes continentales des Parties, ces côtes se trouvant à
bien plus de 400 milles marins l’une de l’autre. Il y a cependant chevauchement entre
les droits du Nicaragua à un plateau continental et à une zone économique exclusive, à
l’intérieur de la limite de 200 milles marins depuis sa côte continentale et les îles
adjacentes à celle-ci, d’une part, et les droits de même nature que la Colombie tient
des îles sur lesquelles la Cour a jugé qu’elle avait souveraineté, d’autre part...»1

4.41. Le choix de la Cour d’écarter («leaving out of account») «la demande du Nicaragua
relative à un plateau continental au-delà de 200 milles marins» a une signification évidente. Ayant
au préalable conclu qu’elle n’était pas «en mesure» de délimiter cette zone, la Cour a prudemment
mis la question de côté («out of account») et entrepris de procéder à la seule délimitation qu’il lui

fût loisible d’effectuer. Ce faisant, elle n’a pas statué au fond sur la question, laissant donc ouverte
la possibilité de la trancher à un stade ultérieur.

4.42. Contrairement au postulat sur lequel repose l’argumentation de la Colombie, la Cour,
dans son arrêt de novembre 2012, n’a pas «entièrement et définitivement fixé [la] frontière

maritime» entre les Parties, notamment parce qu’elle ne s’est pas prononcée sur la question des
limites du plateau continental au-delà de 200 milles des lignes de base du Nicaragua. En
conséquence, il n’existe aucune décision pertinente dont il pourrait — ne serait-ce que
théoriquement — être reproché à celui-ci de chercher à faire appel ou à obtenir la revision.

51 4.43. A la lumière de ce qui précède, les arguments avancés par la Colombie en ce qui
concerne la volonté prêtée au Nicaragua 1) de faire appel de l’arrêt de novembre 2012 et 2) d’en
obtenir la revision peuvent être rapidement écartés.

100
EPC, par. 6.1
101Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012, p. 670, par. 132 (les
italiques sont du Nicaragua). - 30 -

4.44. S’agissant de l’argument selon lequel le Nicaragua aurait indûment cherché à faire
appel de l’arrêt de novembre 2012, la Colombie elle-même reconnaît que son sort est
indissociablement lié à celui qui sera réservé à l’affirmation selon laquelle les questions soumises

en l’espèce ont été décidées avec l’autorité de la chose jugée. Elle affirme en effet que, «[e]n
tentant de remettre en cause des points déjà tranchés, et qui, donc, sont chose jugée, le Nicaragua
cherche en réalité à introduire une forme de recours» . Or, ainsi que cela a déjà été exposé dans
le présent chapitre, les questions soulevées en l’espèce n’ont clairement pas déjà été «tranchées» et

ne sont donc pas «chose jugée». Dans ces conditions, il n’existe aucune décision obligatoire dont il
pourrait être reproché au Nicaragua de faire appel.

4.45. Il en va essentiellement de même de l’argument selon lequel le Nicaragua tenterait
d’obtenir la revision de l’arrêt de novembre 2012. La Colombie affirme que le Nicaragua «prétend,
dans sa requête, présenter un ou plusieurs faits nouveaux de nature à justifier que la Cour revise un
arrêt dans lequel elle a effectué une délimitation complète et définitive ... de la frontière maritime
103
entre les Parties» , ce qui est bien évidemment faux. Comme il a été démontré, la Cour n’a ni
«effectué de délimitation complète et définitive … de [ladite] frontière», ni rendu une quelconque
autre décision ayant force obligatoire en ce qui concerne les limites du plateau continental au-delà
de 200 milles des lignes de base du Nicaragua. Il n’existe donc pas de décision pertinente dont

celui-ci pourrait avoir besoin de chercher à obtenir la revision.

4.46. Pour ces motifs, il convient de rejeter la quatrième exception préliminaire de la
Colombie en même temps que la troisième. Faute de décision revêtue de la force de chose jugée

dans l’arrêt de 2012, il n’y a, pour le Nicaragua, pas matière à recours ou à demande de revision.

102EPC, par. 6.13.
103
Ibid., par. 6.19. - 31 -

CHAPITRE 5

RECEVABILITE

53 5.1. La requête du Nicaragua en date du 16 septembre 2013 contient deux demandes, son
paragraphe 12 s’énonçant comme suit :

«12. Le Nicaragua prie la Cour de déterminer :

Premièrement : Le tracé précis de la frontière maritime entre les portions de
plateau continental relevant du Nicaragua et de la Colombie au-delà des limites
établies par la Cour dans son arrêt du 19 novembre 2012.

Deuxièmement : Les principes et les règles de droit international régissant les
droits et obligations des deux Etats concernant la zone de plateau continental où leurs
revendications se chevauchent et l’utilisation des ressources qui s’y trouvent, et ce,

dans l’attente de la délimitation de leur frontière maritime au-delà de
200 milles marins de la côte nicaraguayenne.»

5.2. Si elle soutient que la Cour n’a pas compétence pour connaître de la requête du

Nicaragua, la Colombie con104te, à titre subsidiaire, la recevabilité tant de la première que de la
seconde de ces demandes . Comme la Cour l’a dit en l’affaire des Plates-formes pétrolières,

«[n]ormalement, une exception à la recevabilité consiste à affirmer que, quand bien
même la Cour serait compétente et les faits exposés par l’Etat demandeur seraient

tenus pour exacts, il n’en existe105s moins des raisons pour lesquelles il n’y a pas lieu
pour la Cour de statuer au fond» .

5.3. Les exceptions préliminaires que la Colombie a soulevées à l’encontre de la recevabilité

sont de cette nature.

54 5.4. La prétention de la Colombie à cet égard comporte deux volets, la Colombie déclarant,
pour le cas où la Cour s’estimerait compétente 106:

«7.2. La première demande est irrecevable parce que le Nicaragua n’a pas
obtenu la recommandation requise de la Commission des limites du plateau
continental.

7.3. La seconde demande formulée par le Nicaragua l’est en conséquence de
l’irrecevabilité de la première. Elle est du reste irrecevable même si on la considère
indépendamment de celle-ci, car s’il y était fait droit, la décision de la Cour serait
inapplicable et porterait sur un différend inexistant.»

5.5. Il va de soi que c’est à la Colombie qu’incombe la charge de prouver sa prétention selon
laquelle la Cour, dans l’hypothèse où elle aurait compétence pour connaître de la requête du

104
EPC, chap. 7.
105C.I.J. Recueil 2003, p. 177, par. 29.

106EPC, par. 7.1, note de bas de page n 265. - 32 -

Nicaragua, ne devrait pas en faire usage : actori incumbit probatio . L’exception d’irrecevabilité
est distincte de l’exception d’incompétence 108: la partie qui la fait valoir doit convaincre la Cour de

l’opportunité d’appliquer les principes juridiques pertinents à l’affaire dont elle est saisie de
manière à aboutir à la solution qu’elle préconise plutôt qu’à celle prônée par la partie adverse. A
cet égard, l’exception d’irrecevabilité se rapproche des autres arguments de droit développés par
une partie à l’appui de sa cause et se distingue des arguments concernant les questions de

55 compétence, qu’il appartient en 109pre à la Cour d’examiner et de trancher, indépendamment des
moyens avancés par les parties .

I. RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE DANS L ATTENTE D UNE RECOMMANDATION
DE LA C OMMISSION DES LIMITES DU PLATEAU CONTINENTAL

5.6. Le premier volet de l’exception d’irrecevabilité de la Colombie consiste à affirmer que,

la Cour, à supposer établie sa compétence pour connaître de la question de l’existence et des limites
du plateau continental du Nicaragua, devrait néanmoins s’abstenir d’examiner la requête au fond au
motif que le Nicaragua n’a pas encore obtenu de la Commission des limites du plateau continental
la recommandation requise.

5.7. Prétendant expliquer pourquoi la Cour devrait s’abstenir de statuer au fond, la Colombie
avance en réalité une argumentation qui A) repose sur un non sequitur, B) conduit dans les faits à

une impasse et C) relève en tout état de cause de la phase du fond et non de celle des exceptions
préliminaires.

A. Non sequitur

5.8. Il y a manifestement non sequitur. Aux paragraphes 7.4 à 7.23 de ses exceptions
préliminaires, la Colombie paraphrase les dispositions de la convention des Nations Unies sur le
droit de la mer (la «convention» ou «CNUDM») régissant la compétence de la Commission des

limites du plateau continental et affirme ceci :

«La Cour ne peut examiner la requête du Nicaragua, étant donné que la
Commission des limites du plateau continental ne s’est pas assurée qu’étaient remplies

les conditions auxquelles il peut être établi que le rebord externe du plateau
continental du Nicaragua s’étend au-delà de la ligne de 200 milles marins et, partant,
n’a pas formulé de recommandation.» 110

56 5.9. La Colombie ne présente aucun raisonnement à même d’expliquer pourquoi le fait que
la Commission des limites du plateau continental possède une compétence (pour l’essentiel,
d’ordre consultatif) limitée à la faculté d’«adresse[r] aux Etats côtiers des recommandations sur les

107
Voir, par exemple, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007, p. 128, par. 204 : «[I]l est constant que le
demandeur est tenu d’étayer ses arguments, et qu’une partie qui avance un fait est tenue de l’établir.» Voir Bin Cheng,
General Principles of Law as applied by International Courts and Tribunals (Cambridge, 1987), p. 326-335 ;
J. Pauwelyn, «Evidence, Proof and Persuasion in WTO Dispute Settlement», Journal of International Economic Law 1
(1998), p. 227-258 ; C. Brown, A Common Law of International Adjudication (2007), p. 92-95.
108Voir sir G. Fitzmaurice, The Law and Procedure of the International Court of Justice, vol. II, p. 439, citant les
affaires Ambatielos (Grèce c. Royaume-Uni), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 22-23, et Nottebohm
(Liechtenstein c. Guatemala), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1953, p. 122.

109Voir, par exemple, Compétence en matière de pêcheries (Espagne c. Canada), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 450, par. 37.
110
EPC, par. 7.15. - 33 -

questions concernant la fixation des limites extérieures de leur plateau continental» (les italiques
sont de nous), selon les termes du paragraphe 8 de l’article 76 de la convention, devrait entraîner
l’irrecevabilité, au regard du droit international, de la requête nicaraguayenne soumise en l’espèce.
Elle n’explique pas davantage au nom de quoi la Cour serait tenue de s’effacer et d’attendre que la
Commission agisse avant de pouvoir connaître de la requête du Nicaragua.

5.10. L’affirmation de la Colombie est contraire aux principes reconnus en droit. Au regard
du droit international coutumier, clairement et maintes fois invoqué dans la jurisprudence de la
Cour, un Etat côtier possède sur le plateau continental des droits inhérents, droits qui existent
ipso facto et ab initio . Pour reprendre les termes employés par la Cour dans l’affaire du Plateau

continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie),

«du point de vue juridique, les droits d’un Etat riverain sur le plateau continental
relèvent de la souveraineté de l’Etat sur le territoire qui jouxte ce plateau continental
et, en même temps, découlent directement de celle-ci. Il n’est pour s’en convaincre
que de rappeler combien la Cour a insisté dans les affaires du Plateau continental de

la mer du Nord sur le «prolongement naturel» de la terre comme critère de
détermination de l’étendue du droit d’un Etat riverain sur un plateau continental par
rapport à celui d'autres Etats adjacents sur ce même plateau (C.I.J. Recueil 1969, p. 31
et suiv.)… Ainsi que la Cour l’a expliqué dans les affaires susvisées, le plateau
continental est un concept juridique à propos duquel «on applique le principe que la

terre domine la mer» (C.I.J. Recueil 1969, p. 51, par. 96) ; ce n’est qu’en raison de la
souveraineté de l’Etat riverain sur la terre que des droits d’exploration et
d’exploitation sur le plateau continental peuvent s’attacher à celui-ci ipso jure en vertu
du droit international. Bref les droits sur le plateau continental sont, du point de vue
57 juridique, à la fois une émanation de la souveraineté territoriale de l’Etat riverain et un
accessoire automatique de celle-ci.» 112

5.11. En droit international coutumier, le Nicaragua détient aujourd’hui et a toujours détenu
(même avant d’adhérer à la convention) des droits sur son plateau continental ; et aucune
disposition de cet instrument ne permet, directement ou indirectement, de l’en priver.

5.12. Pour autant que la convention ait une incidence sur l’exercice des droits préexistants
d’un Etat au regard du droit international coutumier, celle-ci est pour le moins limitée. C’est ce qui
ressort clairement du libellé même de son article 76, dont les paragraphes 1 à 6 définissent le
plateau continental revenant à un Etat, notamment en termes de «prolongement naturel du territoire
terrestre de cet Etat jusqu’au rebord externe de la marge continentale» (art. 76, par. 1). Le

paragraphe 3 de l’article 77 de la convention, stipule quant à lui que les droits de l’Etat côtier sur
son plateau continental «sont indépendants de l’occupation effective ou fictive, aussi bien que de
toute proclamation expresse», reflétant la règle de droit international coutumier qui veut que ces
droits existent ipso facto et ab initio. Les droits du Nicaragua sur son plateau continental lui sont
dévolus automatiquement, ipso jure, de plein droit.

5.13. Aux termes du paragraphe 8 de l’article 76 de la convention, le Nicaragua a
l’obligation de communiquer à la Commission des limites du plateau continental certaines
informations relatives à son plateau continental. Il s’agit d’une obligation accessoire ; et il n’est dit
nulle part que l’existence ou le maintien des droits inhérents que possède un Etat sur son plateau

continental dépende d’une quelconque manière de son respect.

111
Arrêt, C.I.J. Recueil 1969, p. 23, par. 19.
112Affaire du Plateau continental de la mer Egée (Grèce c. Turquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 3, par. 86. - 34 -

5.14. La Commission des limites du plateau continental se préoccupe uniquement de
l’emplacement exact de la limite extérieure du plateau continental. Elle n’accorde ni ne reconnaît à
un Etat côtier de droits sur son plateau et n’est pas davantage habilitée à délimiter celui-ci. Son
seul rôle est de confirmer l’emplacement de sa limite extérieure. Ce rôle est défini dans la
convention qui, au paragraphe 7 de son article 76, stipule qu’il revient à l’Etat côtier de fixer la
58
limite extérieure de son plateau continental au-delà de 200 milles marins de ses lignes de base, et
ce, en reliant par des droites d’une longueur n’excédant pas 60 milles marins des points fixes
définis par des coordonnées en longitude et en latitude. Ces points sont définis conformément aux
critères suivants, énoncés aux paragraphes 4 et 5 de ce même article 76 :

«4. a) Aux fins de la convention, l’Etat côtier définit le rebord externe de la marge
continentale, lorsque celle-ci s'étend au-delà de 200 milles marins des lignes
de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale, par :

i) Une ligne tracée conformément au paragraphe 7 par référence aux points

fixes extrêmes où l’épaisseur des roches sédimentaires est égale au
centième au moins de la distance entre le point considéré et le pied du talus
continental ; ou

ii) Une ligne tracée conformément au paragraphe 7 par référence à des points

fixes situés à 60 milles marins au plus du pied du talus continental.

b) Sauf preuve du contraire, le pied du talus continental coïncide avec la rupture
de pente la plus marquée à la base du talus.

5. Les points fixes qui définissent la ligne marquant, sur les fonds marins, la limite

extérieure du plateau continental, tracée conformément au paragraphe 4,
lettre a), i) et ii), sont situés soit à une distance n’excédant pas 350 milles marins
des lignes de base à partir desquelles est mesurée la largeur de la mer territoriale,
soit à une distance n’excédant pas 100 milles marins de l’isobathe de 2500 mètres,
qui est la ligne reliant les points de 2500 mètres de profondeur.»

5.15. La Commission des limites du plateau continental examine les données soumises par
tous les Etats côtiers et adresse les recommandations qui s’imposent à l’Etat auteur de la
demande . Un tracé des limites extérieures du plateau qui, parce qu’il n’aurait pas été établi dans

les règles, accorderait à un Etat côtier un plateau excessivement vaste profiterait à cet Etat aux
59 dépens de cette communauté internationale que visent à protéger les dispositions de la convention
donnant effet au principe selon lequel les fonds marins, au-delà des limites de la juridiction
nationale des Etats, sont le «patrimoine commun de l’humanité» . Le rôle de la Commission est
de prémunir la communauté internationale contre de telles demandes excessives. Toutefois, ses

recommandations ne s’imposent pas à l’Etat présentant la demande. Si ce dernier n’en approuve 115
pas la teneur, il lui est loisible de soumettre une demande revisée ou une nouvelle demande .

5.16. Aux termes du paragraphe 8 de l’article 76 de la convention, seules les limites
extérieures d’un plateau continental établies par un Etat côtier «sur la base de» recommandations

de la Commission des limites du plateau continental «sont définitives et de caractère obligatoire».
Dans son arrêt du 19 novembre 2012, la Cour a jugé que des limites extérieures n’ayant pas été

113Pour un exemple concernant l’Irlande, voir les recommandations de la Commission des limites du plateau
continental à l’adresse Internet suivante http://www.un.org/depts/los/clcs_new/submissions_files/submission_irl.h….
114
CNUDM, article 136 et partie IX, passim.
115Ibid., annexe II, article 8. - 35 -

établies sur la base de telles recommandations ne présentaient pas ce caractère «définiti[f]
116
et … obligatoire», fût-ce à l’égard d’un Etat non partie à la convention .

5.17. Si ce caractère «définiti[f] et … obligatoire» des limites extérieures du plateau

continental dépend de l’intervention de la Commission (contrairement à la délimitation du plateau
lui-même entre Etats limitrophes ou se faisant face, qui ne relève nullement de ses attributions),
rien, dans la convention, ne porte à croire que l’existence effective de droits sur le plateau
continental et ses ressources dépendrait de l’établissement préalable d’une frontière «définitiv[e] et

de caractère obligatoire» —, de même que l’existence de la souveraineté sur le territoire terrestre
n’est en rien tributaire de la fixation d’une frontière terrestre présentant un caractère définitif et
obligatoire. Avant que la Commission des limites du plateau continental formule sa

recommandation et que les limites extérieures du plateau continental soient fixées sur cette base,
l’on ne saura peut-être pas avec certitude quel est, entre deux Etats, celui pouvant se prévaloir de
droits sur une zone donnée ; mais c’est tout autre chose que d’affirmer que ces Etats ne possèdent à
60
cet égard aucun droit tant que n’a pas été effectuée une délimitation définitive et obligatoire.

5.18. En outre, une recommandation de la Commission ne saurait préjuger des questions

afférentes à la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie. Les
recommandations n’intéressent que les limites extérieures du plateau continental, qui séparent le
plateau continental relevant de la juridiction nationale de la Zone internationale des fonds
marins .117 Les recommandations ne concernent pas et ne sauraient, en droit, concerner les

frontières maritimes entre des Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face.

5.19. La convention elle-même stipule que «[l]es actes de la [Commission] ne préjugent pas

les questions relatives à l’établissement des limites entre Etats dont les côtes sont adjacentes ou se
font face» .18

5.20. Ce point est répété à l’article 46 du règlement intérieur de la Commission des limites
du plateau continental ; et l’annexe I de ce règlement exige, s’agissant des demandes formulées par
des Etats concernant des zones en litige, que la Commission «re[çoive] des Etats côtiers qui [les]

présentent … l’assurance que, dans la mesure du possible, [ces] demande[s] se119nt] traitée[s] sans
préjudice des questions relatives à la fixation des limites entre Etats» . L’intention semble avoir
précisément été d’éviter que de telles demandes puissent être amenées à faire obstacle à la

délimitation maritime, risque auquel permet encore d’obvier le fait que la Commi120on ait pour
pratique de ne pas examiner les demandes concernant des zones en litige .

116Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 669, par. 126.

117Voir la déclaration du représentant kényan devant la troisième conférence des Nations Unies sur le droit de la
mer, CNUDM III, documents officiels, vol. II, p. 179, par. 17.Voir S. N. Nandan et S. Rosenne, United Nations
Convention on the Law of the Sea 1982. A Commentary, vol. II, p. 847.

118CNUDM, annexe II, article 9. On voit mal ce qui conduit la Colombie à penser [EPC, par. 7.16 et 7.17] que la
Commission des limites du plateau continental serait habilitée à déterminer l’étendue ou les limites du plateau continental
auquel chaque Etat peut prétendre.
119
Règlement intérieur de la Commission des limites du plateau continental, annexe I, par. 2 b).
120Le paragraphe 5 a) de l’annexe I du règlement intérieur de la Commission des limites du plateau continental
prévoit que, dans le cas où il existe un différend terrestre ou maritime, la Commission «n’examine pas la demande
présentée par un Etat partie à ce différend et ne se prononce pas sur cette demande», à moins d’un accord préalable de

tous les Etats parties à ce différend. - 36 -

61 5.21. La Cour a considéré que, en 2012, au moment où elle rendait son arrêt, le Nicaragua
n’avait pas soumis toutes les informations demandées par la Commission des limites du plateau
continental. Elle en a conclu qu’elle n’était pas en mesure de délimiter les portions de plateau
121
continental revenant respectivement au Nicaragua et à la Colombie . Le Nicaragua a entre-temps
soumis toutes les informations voulues. Il a effectué toutes les démarches nécessaires pour écarter
les obstacles dont la Cour avait estimé qu’ils l’empêchaient de statuer sur la délimitation. Le
Nicaragua affirme donc respectueusement qu’il est à présent fondé à obtenir la reconnaissance des

droits au plateau continental qui ont toujours et de manière inhérente été les siens en vertu du droit
international, et la délimitation, par la Cour, de ce plateau entre lui-même et la Colombie.

5.22. En outre, si la Colombie n’en reconnaît peut-être pas les conséquences juridiques, à

aucun moment n’a-t-elle contesté les preuves d’ordre factuel et géomorphologique de la continuité
des fonds marins comme prolongement naturel du territoire nicaraguayen. Il ressort de manière
tout à fait évidente des cartes et des données concernant les fonds marins dans la zone, et il n’est
d’ailleurs pas contesté, que ceux-ci s’étendent ainsi de manière continue dans le prolongement
naturel de sa masse terrestre depuis la côte nicaraguayenne. Aucune incertitude substantielle

n’entoure cette question. Dans l’affaire du Différend relatif à la délimitation de la frontière
maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale, le Tribunal international du
droit de la mer (ci-après le «Tribunal» ou «TIDM») avait précisé qu’il «aurait hésité à procéder à la
délimitation de la zone au-delà de 200 milles marins s’il avait conclu à une incertitude substantielle
122
quant à l’existence d’une marge continentale dans la zone en question» . N’ayant conclu à rien
de tel, il a procédé à cette délimitation, ayant estimé «[c]ompte tenu des preuves scientifiques non
contestées concernant la nature unique du golfe du Bengale, et des éléments de preuve présentés au
cours de la procédure … qu’il existe une couche continue et importante de roches sédimentaires
123
s’étendant de la côte du Myanmar jusqu’à une zone au-delà de 200 milles marins» . De même, en
l’espèce, n’existe-t-il pas d’incertitude substantielle. En outre, au stade du fond, le Nicaragua
aurait tout loisir de produire de nouvelles données techniques et scientifiques démontrant que son
plateau continental s’étend bien au-delà des 200 milles marins, et la Cour dût-elle néanmoins
62 conserver le moindre doute à cet égard, elle pourrait nommer ses propres experts pour vérifier la

géomorphologie des fonds marins dans les Caraïbes occidentales.

5.23. La Colombie ne dit rien de tout cela dans ses exceptions préliminaires. En revanche,

aux paragraphes 7.4 à 7.11, elle avance une thèse juridique pour le moins originale, affirmant que,
s’agissant du plateau continental, les droits d’Etats se trouvant dans la situation du Nicaragua
relèveraient d’un «droit inhérent — mais encore latent» pouvant se transformer en «droit» à part
entière à un plateau continental ou encore (la formulation de la Colombie est ambiguë) en «droit à
un plateau continental dont les limites extérieures sont «définitives et de caractère obligatoire»,
124
conformément au paragraphe 8 de l’article 76, et opposables erga omnes» .

5.24. La Colombie n’invoque aucune source ni argument à l’appui de l’idée que pareils
«droits latents» — qui ne seraient donc pas des «droits» à part entière — seraient d’une quelconque

manière reconnus en droit international. Elle ne tente en rien d’établir, par exemple en renvoyant
aux travaux préparatoires, qu’ils seraient — comme elle le donne à entendre — consacrés par
l’article 76 de la convention, ou que c’est à eux seuls que se résumeraient les droits que le droit
international coutumier reconnaît à l’Etat (qu’il soit ou non partie à la convention) sur le plateau

continental. D’ailleurs, elle ne prétend pas même expliciter ce qu’implique cette notion. Si

12Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), par. 129.
122
TIDM, arrêt du 14 mars 2012, par. 443.
12Ibid., par. 446.

12EPC, par. 7.11. - 37 -

(comme veut le faire accroire la Colombie) un Etat possédait des «droits latents» sur une partie des
fonds marins, quelles en seraient les conséquences ? Pourrait-il s’opposer à ce qu’un autre Etat se
livre dans la zone en question à des activités qui violeraient ses droits, dès lors que ceux-ci, de

«latents», deviendraient effectifs ? Pourrait-il prendre des mesures pour l’en dissuader ou l’en
empêcher et, dans l’affirmative, lesquelles ?

63 5.25. Quelle que puisse être la légitimité de cette théorie inédite des «droits latents», force
est de constater que le tribunal arbitral constitué en l’affaire Barbade/Trinité-et-Tobago a jugé que
rien ne l’empêchait de se déclarer compétent pour connaître de la partie de la frontière maritime
125
mettant en jeu la zone de plateau continental s’étendant au-delà de 200 milles marins , alors
même que la question du rôle de la Commission des limites du plateau continental avait
expressément été soulevée . Et l’idée qu’une recommandation de la Commission relative aux

limites extérieures du plateau continental (non constitutives de frontières entre Etats dont les côtes
sont adjacentes ou se font face) pourrait produire un tel effet ne trouve aucun fondement en droit.
Relevons encore que le tribunal arbitral constitué en l’affaire Bangladesh/Inde a, dans une sentence

postérieure à l’arrêt de la Cour du 19 novembre 2012, maintenu que «la délimitation, par voie
judiciaire, du plateau continental au-delà de 200 milles marins était conforme à l’article 76 [de la
convention]» 127[traduction du Greffe].

5.26. Une recommandation est, par définition , un conseil ou une proposition, l’indication

de la ligne de conduite jugée souhaitable ou opportune. Ce n’est pas une décision contraignante à
laquelle son destinataire serait tenu de se conformer . 129 La convention contient plusieurs
dispositions imposant aux Etats de suivre ou prendre en compte les recommandations d’organes

internationaux. Il en va ainsi de celles relatives aux voies de circulation et dispositifs de séparation
du trafic , aux mesures de conservation dans la zone économique exclusive (ZEE) 131et aux
mesures visant à prévenir la pollution . 132

5.27. Dans certains cas exceptionnels, ces «recommandations» peuvent, en dépit de leur

appellation, avoir valeur d’obligation — dans ce cas, la convention l’indique clairement. Ainsi, les
zones de sécurité établies autour des installations situées au large des côtes ne peuvent s’étendre sur
64 une distance de plus de 500 mètres, «sauf dérogation autorisée par les normes internationales
133
généralement acceptées ou recommandées par l’organisation internationale compétente» . Ici, la
«recommandation» présente bien un caractère juridiquement contraignant, et doit être respectée et
appliquée par l’Etat partie à la convention, quelque scrupuleusement qu’il l’ait prise en compte et

aussi fondées soient les objections qu’elle lui inspire.

12Sentence de 2006, par. 217.
126
Ibid., par. 87.
127
Arbitrage entre le Bangladesh et l’Inde concernant la délimitation de la frontière maritime du golfe du Bengale
(Bangladesh/Inde), sentence, 7 juillet 2014, par. 458, http://www.pcacases.com/web/sendAttach/383.
128 Voir par exemple la définition donnée au terme anglais dans l’Oxford English Dictionnary,

http://www.oed.com/view/Entry/159718?redirectedFrom=recommendation&.
129Voir, par exemple, CNUDM, art. 21 2). Voir O. Jensen, The Commission on the Limits of the Continental
Shelf, 2014, chap. 3.

13Art. 22.
131
Art. 61 3).
132
Art. 207 1), 4), 5) ; art. 212.
13Art. 60 5). Voir art. 208 3). - 38 -

5.28. Les recommandations de la Commission des limites du plateau continental possèdent
ce même caractère ; mais elles ne le possèdent que dans le cadre très circonscrit de l’établissement
de lignes appelées à marquer, d’une part, i) les limites extérieures du plateau continental, séparant
celui-ci de la Zone internationale des fonds marins et ce, d’autre part, ii) en tant que limites
«définitives et de caractère obligatoire». Rien ne permet de conclure qu’il en serait de même aux

fins de la définition des droits fondamentaux sur le plateau continental, voire de l’établissement de
limites extérieures provisoires (non définitives) dans l’attente d’une recommandation  et encore
moins que ses recommandations auraient la moindre incidence dans le cas de la détermination des
frontières maritimes des Etats. De fait, il est expressément précisé que les recommandations de la
Commission ne préjugent pas des questions de délimitation du plateau continental entre des Etats

dont les côtes sont adjacentes ou se font face. Pour le Nicaragua, il est à l’évidence faux, au regard
du droit international, d’affirmer qu’un Etat côtier ne jouit d’aucun droit sur son plateau continental
tant que n’en sont pas fixées, par adoption des recommandations de la Commission, les limites
extérieures «définitives et de caractère obligatoire».

B. L’impasse à laquelle conduit concrètement l’argument de la Colombie

5.29. Le fait que l’argument avancé conduise, dans la pratique, à une impasse a été relevé par
le tribunal international du droit de la mer en l’affaire du différend relatif à la Délimitation de la
frontière maritime entre le Bangladesh et le Myanmar dans le golfe du Bengale
(Bangladesh/Myanmar), dans le cadre de laquelle le Myanmar avait fait valoir que la Commission

des limites du plateau continental134vait formuler ses recommandations avant que le Tribunal ne
65 puisse procéder à la délimitation . Toutefois, dès lors que le plateau continental étendu est en 135
litige, la Commission ne fait pas de recommandations sans l’accord de tous les Etats concernés .
Retenir l’argument au Myanmar aurait donc conduit à une impasse, le Tribunal devant, dans cette
hypothèse, attendre l’intervention de la Commission  et cette dernière, l’intervention du

Tribunal — pour pouvoir agir.

5.30. Le TIDM ne s’y est pas trompé. Son analyse, fondée sur la jurisprudence
internationale antérieure à son arrêt de 2012, mérite d’être citée de manière assez exhaustive :

«370. Le Tribunal observe que le fait qu’une zone maritime n’ait pas de limites
extérieures établies n’empêche pas de la délimiter. Dans un certain nombre d’affaires,
on n’a pas considéré que l’absence d’accord sur les lignes de base faisait obstacle à la
délimitation de la mer territoriale ou de la zone économique exclusive, alors même
que les divergences sur ces lignes de base se répercutaient sur les limites précises des
zones maritimes.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

373. La Convention [des Nations Unies sur le droit de la mer] met en place un
cadre institutionnel comportant divers organes chargés d’appliquer ses dispositions,
dont la Commission, l’Autorité internationale des fonds marins et le Tribunal. Les

activités de ces divers organes se complètent afin d’assurer une mise en œuvre
efficace et harmonieuse des dispositions de la Convention. Il en va de même pour les
autres organes mentionnés par la Convention.

374. Le droit reconnu à l’Etat côtier, en application de l’article 76,

paragraphe 8, de la Convention, de fixer les limites définitives et de caractère
obligatoire de son plateau continental, est un élément essentiel de la structure décrite

134
Contre-mémoire du Myanmar, par. 1.17.
135Voir annexe I, par. 5 a) du règlement intérieur de la Commission des limites du plateau continental. - 39 -

dans cet article. Selon l’article 76, paragraphe 8, l’Etat côtier, pour exercer ce droit,
doit communiquer des informations sur les limites de son plateau continental, lorsque
celui-ci s’étend au-delà de 200 milles marins, à la Commission. Celle-ci a pour

mandat d’adresser à l’Etat côtier des recommandations sur la fixation des limites
66 extérieures de son plateau continental. La Convention dispose, à l’article 76, par. 8,
que «les limites fixées par un Etat côtier sur la base de ces recommandations sont
définitives et de caractère obligatoire».

375. Par conséquent, la Commission joue un rôle important aux termes de la
Convention. Elle est dotée de compétences spécialisées, ce que reflète sa
composition. L’article 2 de l’annexe II de la Convention dispose ainsi que la

Commission se compose d’experts en matière de géologie, de géophysique ou
d’hydrographie. L’article 3 de la même annexe stipule que les fonctions de la
Commission sont, entre autres, d’examiner les données et renseignements présentés
par les Etats côtiers en ce qui concerne la limite extérieure du plateau continental
lorsque ce plateau s'étend au-delà de 200 milles marins et de soumettre des
recommandations conformément à l’article 76 de la Convention.

376. Il existe une nette distinction entre la délimitation du plateau continental

visée à l’article 83 et le tracé de la limite extérieure de ce plateau visé à l’article 76.
Conformément à l’article 76, la Commission a pour fonction d’adresser aux Etats
côtiers des recommandations relatives à la fixation de la limite extérieure du plateau
continental, mais elle le fait sans préjudice des questions de délimitation des espaces
maritimes. Le règlement des différends portant sur la délimitation des espaces
maritimes fait l’objet des procédures visées à l’article 83 et la partie XV de la
Convention, qui prévoient, entre autres, de soumettre le différend à des cours et
tribunaux internationaux.

377. Ni la Convention, ni le règlement intérieur de la Commission ni sa pratique
ne laissent entendre que la délimitation du plateau continental pourrait faire obstacle à
l’exercice de ses fonctions par la Commission.

378. L’article 76, paragraphe 10, de la Convention précise que «[l]e présent
article ne préjuge pas de la question de la délimitation du plateau continental entre des
67 Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face». Ce point est confirmé par
l’article 9 de l’annexe II de la Convention, qui dispose que : «Les actes de la

Commission ne préjugent pas les questions relatives à l’établissement des limites entre
Etats dont les côtes sont adjacentes ou se font face».

379. De même que les fonctions de la Commission ne préjugent pas de la
question de la délimitation du plateau continental entre des Etats dont les côtes sont
adjacentes ou se font face, de même, l’exercice par les cours et tribunaux
internationaux de leur compétence en matière de délimitation de frontières maritimes,
y compris sur le plateau continental, ne préjuge pas davantage de l’exercice par la

Commission de ses fonctions relatives au tracé de la limite extérieure du plateau
continental.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

391. Si le Tribunal décidait de ne pas exercer sa compétence à l’égard du
différend portant sur le plateau continental au-delà de 200 milles marins, le règlement
d´un différend de longue date resterait en suspens et l’application efficace de la
Convention serait compromise. - 40 -

392. De l’avis du Tribunal, il serait contraire à l’objet et au but de la Convention
de ne pas sortir de l’impasse. L’inaction de la Commission et du Tribunal, les deux
organes créés par la Convention pour faciliter l’application efficace de ses

dispositions, pourrait laisser les Etats parties dans l’impossibilité de jouir pleinement
de leurs droits sur le plateau continental.

393. Le Tribunal observe que l’exercice de sa compétence en l’espèce ne peut
pas être considérée comme un empiètement sur les fonctions de la Commission, de la
même façon que l’on n’estime pas que le règlement, par voie de négociations, des
différends entre Etats sur la délimitation de leur plateau continental au-delà de
200 milles marins empêche l’examen, par la Commission, des demandes dont elle est

saisie ou l’empêche de formuler des recommandations appropriées à ce propos.

68 394. Pour les raisons qui précèdent, le Tribunal conclut que, dans les
circonstances de l’espèce, afin de s’acquitter des responsabilités qui lui incombent en
vertu de la partie XV, section 2, de la Convention, il est tenu de régler le différend et
de délimiter le plateau continental entre les Parties au-delà de 200 milles marins. Une
telle délimitation ne préjuge pas de la fixation des limites extérieures du plateau
continental conformément à l’article 76, paragraphe 8, de la convention.»

5.31. Le Nicaragua fait sienne cette approche, qui s’applique tout particulièrement aux
circonstances de l’espèce. Puisque le plateau continental s’étendant au-delà de 200 milles marins
de la côte nicaraguayenne fait l’objet d’un différend, la Commission des limites du plateau
continental, d’après son propre règlement intérieur et sa pratique constante, n’en déterminera pas
les limites extérieures, ni n’adressera au Nicaragua de recommandations. La Cour se trouve donc
dans la même situation que le Tribunal lorsqu’il a exprimé cette position en l’affaire
Bangladesh/Myanmar : la Commission est dans l’incapacité de donner suite à la demande du

Nicaragua, bien que celle-ci soit désormais complète. Si la Cour devait refuser d’agir tant que la
Commission ne serait pas intervenue, l’immobilisme prévaudrait ; le différend frontalier entre le
Nicaragua et la Colombie ne serait jamais tranché, et les limites extérieures du plateau continental
du Nicaragua jamais fixées. Le différend deviendrait permanent et la stabilité des relations
internationales resterait une vue de l’esprit. Cela reviendrait pour la Cour à abdiquer le devoir qui
est le sien de résoudre les différends juridiques dès lors qu’elle a compétence pour en connaître.
Or, c’est précisément ce que l’invite à faire la Colombie lorsqu’elle conteste la recevabilité de la
requête du Nicaragua. Pour le Nicaragua, en revanche, il n’était pas dans l’intention de la Cour de

subordonner l’exercice de sa compétence aux procédures de la Commission des limites du plateau
continental.

C. Caractère non exclusivement préliminaire

69 5.32. Aux failles, évoquées ci-dessus, que présentent les arguments avancés par la Colombie
à l’appui de son exception d’irrecevabilité, s’ajoute le fait que ceux-ci ne l’ont été ni en temps ni
dans le cadre opportuns. Parce qu’ils ne revêtent pas un «caractère exclusivement préliminaire»,

pour reprendre les termes du paragraphe 9 de l’article 79 du Règlement, ce n’est pas à titre
d’exceptions préliminaires qu’ils auraient dû être formulés ; si tant est qu’ils dussent être
développés, c’est dans le contre-mémoire qu’ils auraient dû figurer.

5.33. La Colombie ne peut, simplement en qualifiant de «latents» les droits du Nicaragua à
l’égard du plateau continental, empêcher ces questions d’être débattues plus avant par la Cour.
Retenir à titre d’exceptions préliminaires ses arguments reviendrait à permettre à une affirmation
éminemment controversée de l’Etat défendeur de servir in limine à bloquer toute discussion
ultérieure de cette même affirmation. - 41 -

5.34. Or, le principe est bien établi dans la jurisprudence de la Cour 136: si, dans l’affaire
relative à Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise, celle-ci a dit qu’elle «ne saurait,

dans sa décision sur [l’]exception [en cause], préjuger en rien de sa décision future sur le fond»,
elle a aussi précisé que,

«d’un autre côté, [elle] ne saurait décliner sa compétence par ce seul fait, car ainsi elle

ouvrirait la porte à la possibilité pour une Partie de donner à une exception
d’incompétence, ne pouvant être jugée sans avoir recours à des éléments puisés dans
70 le fond, un caractère péremptoire, simplement en la présentant in limine litis, ce qui est
137
inadmissible.»

5.35. De même, la Cour a-t-elle, dans l’affaire de la Barcelona Traction, affirmé, après avoir

passé en revue sa jurisprudence et les versions successives de son Règlement relatives aux
exceptions préliminaires :

«On ne doit pas oublier que cette disposition [à savoir l’article 65 du Règlement

de la Cour, dans sa version d’alors] donne au défendeur des pouvoirs étendus, puisque
le seul dépôt par celui-ci d’un document intitulé exceptions préliminaires entraîne
automatiquement la suspension de la procédure sur le fond (art. 62, par. 3). L’Etat
défendeur est ainsi assuré que la Cour examinera ses exceptions avant de l’inviter à

répondre sur le fond ; la Cour ne prend aucune autre mesure jusqu’à ce que les Parties
aient été entendues (art. 62, par. 5) (ce point a été discuté par la Cour permanente en
1936 ; voir C.P.J.I., Série D n 2, troisième addendum, p. 646-649). L’attitude de

l’Etat défendeur n’est cependant que l’un des éléments que la Cour peut prendre en
considération ; l’article 62, par. 5, dispose simplement que «la Cour, après avoir
entendu les Parties, statue sur l’exception ou la joint au fond».

Pour parvenir à une décision, la Cour peut établir que l’exception n’a pas en fait un
caractère préliminaire et par conséquent que, sans préjuger le droit de l’Etat défendeur
de soulever la même question à un autre stade de la procédure, s’il doit y en avoir un,
l’exception ne saurait être traitée comme une exception préliminaire. Ou encore la

71 Cour peut constater que l’exception est bien une exception préliminaire visant, par
exemple, sa compétence et elle peut en disposer immédiatement, soit en la retenant,
soit en la rejetant. Dans d’autres cas …, la Cour peut juger que l’exception est

tellement liée au fond ou à des points de fait ou de droit touchant au fond qu’on ne
saurait l’examiner séparément sans aborder le fond, ce que la Cour ne saurait faire tant

136
Voir, par exemple, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci
(Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 392, par. 76 ; Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond, arrêt,
C.I.J. Recueil 1986, p. 14, par. 37-44, 54 ; Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. Etats-Unis
d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 803, par. 53-54 ; Questions d’interprétation et
d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe
libyenne c. Etats-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 115, par. 46-50 ; Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1998, p. 275, par. 107-109, 112-117 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du
crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 412, par.120-130.

137C.P.J.I, Série A n 6, p. 15. Deux mots semblent manquer dans la version anglaise :

«[T]he Court cannot in its decision on this objection in any way prejudge its future decision on
the merits. On the other hand, however, the Court cannot on this ground alone declare itself incompetent;
for, were it to do so, it would become possible for a Party to make an objection to the
jurisdiction  which could not be dealt with without recourse to arguments taken from the
merits  have the effect of precluding further proceedings simply by raising it in limine litis ; this would
be quite inadmissible.»

Il ressort de la version française que les mots «which would» ont été omis après le membre de phrase «have the
effect of precluding» dans la deuxième phrase citée. - 42 -

que la procédure sur le fond est suspendue aux termes de l’article 62, ou sans juger le
fond avant que celui-ci ait fait l’objet d’une discussion exhaustive. Dans de tels cas, la
Cour joindra l’exception préliminaire au fond.» 138

5.36. Le Nicaragua soutient que, au cas d’espèce, les exceptions préliminaires de la
Colombie devront, si elles ne sont pas écartées d’emblée, être jointes au fond, conformément aux
principes définis par la Cour aux fins de la conduite de sa procédure, aujourd’hui consacrés à
l’article 79 de son Règlement.

II. LA SECONDE DEMANDE DU N ICARAGUA

5.37. L’autre exception d’irrecevabilité soulevée par la Colombie porte sur la seconde
demande du Nicaragua, qui vise à ce que la Cour détermine les principes et les règles de droit
international devant être appliqués dans l’attente de la délimitation. La Colombie écrit ceci :

«7.27. L’irrecevabilité de la seconde demande du Nicaragua découle
automatiquement de celle de la première ou de l’incompétence de la Cour à l’égard de
celle-ci. Dès lors que, ainsi que l’a fait valoir la Colombie, la Cour n’est pas
compétente pour rendre une décision sur la demande de délimitation des zones de

fonds marins situées au-delà de 200 milles marins des côtes du Nicaragua, ou que
cette demande est irrecevable, il est exclu, faute de compétence ou de recevabilité,
qu’elle statue sur quelque question que ce soit dans l’attente d’une telle décision.»

72 5.38. Cette analyse est erronée. Il est admis de part et d’autre qu’il n’y a eu à ce jour entre le

Nicaragua et la Colombie aucune délimitation de zones de plateau continental situées au-delà de
200 milles marins. Si la Cour n’a pas compétence pour procéder à cette délimitation, cette situation
perdurera. Si elle a compétence pour déterminer les limites du plateau continental, et que les
coordonnées géographiques précises d’une partie de la frontière risquent d’être remises en cause
par une recommandation ultérieure de la Commission des limites du plateau continental ou par telle

ou telle action effectuée en conséquence de cette recommandation, cette situation est, de même,
susceptible de se perpétuer. Dans un cas comme dans l’autre, pendant un temps, les limites
extérieures du plateau continental resteront indéterminées. La Colombie a tort d’affirmer que les
règles et principes de droit international que la Cour aurait identifiés dans sa décision sur la
seconde demande ne trouveraient pas, chronologiquement, à s’appliquer dans l’attente de sa
139
décision sur la première .

5.39. Se pose dès lors la question de savoir si, dans cet intervalle, les zones en litige
échappent à l’application du droit international, chaque Etat pouvant agir comme bon lui semble.

Le Nicaragua estime qu’il convient d’y répondre par la négative, et il prie la Cour de préciser quels
sont les principes de droit applicables.

5.40. Plus précisément, le Nicaragua fera valoir, dans son mémoire, que ces principes ne se
limitent pas aux principes fondamentaux relatifs au règlement des différends et au non-recours à la

force tels qu’énoncés dans la Charte des Nations Unies, les deux Etats étant aussi, plus
spécifiquement, tenus à des devoirs de réserve et de coopération. Mais, là encore, c’est au stade du

138
Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1964, p. 43-44.
13EPC, par. 7.30. - 43 -

fond, et non à celui des exceptions préliminaires, que pourra être discutée la question de la nature
de ces devoirs.

5.41. La Colombie voit par ailleurs dans la seconde demande du Nicaragua une demande en
indication de mesures conservatoires qui ne dirait pas son nom. Or, elle n’est rien de tel. Un
73 différend oppose actuellement les Parties. Il y a entre celles-ci, pour reprendre la définition donnée
par la Cour dans l’affaire Mavrommatis, et souvent citée depuis, «un désaccord sur un point de
droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts entre deux
140
personnes» . Ce différend concerne l’existence d’un droit du Nicaragua à un plateau continental
au-delà de 200 milles marins de ses lignes de base et la portée de ce droit. Le Nicaragua affirme
posséder un tel droit, sous réserve de la détermination de ses frontières avec les Etats voisins : la
Colombie le lui conteste. Mais le différend, lui, existe sans l’ombre d’un doute. D’ailleurs, la
seconde demande ne vise nullement le seul comportement de la Colombie. Il s’agit pour le

Nicaragua d’obtenir de la Cour des indications sur ce que chacune des Parties à la présente espèce
est en droit de faire dans l’attente de la délimitation de leur frontière maritime au-delà de
200 milles marins du littoral nicaraguayen, y compris vis-à-vis d’Etats tiers auxquels elles
pourraient, par exemple, vouloir octroyer des permis d’exploration ou d’exploitation. Si le

Nicaragua cherche à obtenir de telles indications, c’est précisément pour éviter une situation dans
laquelle l’une ou l’autre des Parties à la présente espèce pourrait outrepasser les droits qui sont les
siens en vertu du droit international.

5.42. La Colombie excipe en outre que «[r]ien ne prouve l’existence d’une divergence de
vues entre le Nicaragua et la Colombie concernant un hypothétique régime juridique à appliquer
dans l’attente de la décision sur la frontière maritime au-delà de 200 milles marins de la côte du
Nicaragua» .141 Toutefois, elle affirme aussi que, «de son point de vue, [il n’y a pas de]
chevauchement» 142entre les revendications des Parties concernant le plateau continental au-delà de

200 milles marins de la côte continentale du Nicaragua.» C’est ce refus par la Colombie de
reconnaître au Nicaragua le moindre droit — voire le moindre droit de prétendre — à des espaces
maritimes au-delà de 200 milles marins de sa côte qui est l’objet de la divergence de vues entre les
deux Etats, et le fondement de leur différend. La seconde demande du Nicaragua est donc une
question comprise dans le différend objet de la présente instance.

74 5.43. Pour ces motifs, le Nicaragua soutient que les exceptions préliminaires de la Colombie
reposent sur des prémisses erronées. La Colombie tente de faire reconnaître à la Commission des
limites du plateau continental un rôle qui va au-delà de la fonction technique et de l’expertise qui

sont les siennes, et de lui donner préséance sur la Cour aux fins de la détermination de droits et de
devoirs d’ordre juridique. Or, ainsi qu’il ressort clairement du texte de la convention, la Cour et la
Commission traitent, en ce qui concerne les fonds marins, d’aspects très différents, à des fins
différentes et au regard du mandat qui leur est conféré à des titres différents ; et aucun de ces deux

organes n’empièterait sur le travail de l’autre en s’acquittant des responsabilités relevant du
domaine qui lui est propre. Du reste, si la question de l’étendue exacte de leurs domaines respectifs
devait être abordée, elle devrait, soutient le Nicaragua, l’être dans le cadre d’un examen en bonne
et due forme de la présente affaire, et non pas à titre d’exception préliminaire.

140 o
C.P.J.I., Série A n 2, p. 11.
141EPC, par. 7.33.

142Ibid., par. 7.26 - 44 -

CONCLUSIONS

75 Pour les raisons exposées ci-dessus, la République du Nicaragua prie la Cour de dire et juger
que les exceptions préliminaires soulevées par la République de la Colombie, tant à la compétence
de la Cour qu’à la recevabilité de l’affaire, sont infondées.

La Haye, 19 janvier 2015.

L’agent de la République du Nicaragua,

M. Carlos ARGÜELLO GÓMEZ .

___________

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Exposé écrit du Nicaragua

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