Résumé de l'arrêt du 4 mai 2011

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16498
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Number (Press Release, Order, etc)
2011/3
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
Tél : +31 (0)70 302 2323 Télécopie : +31 (0)70 364 9928
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2011/3
Le 4 mai 2011

Différend territorial et maritime (Nicaragua c. Colombie)

Requête du Costa Rica à fin d’intervention

Résumé de l’arrêt du 4 mai 2011

Historique de la procédure (par. 1-18)

La Cour rappelle tout d’abord que le 6décembre2001, la République du Nicaragua
(dénommée ci-après le «Nicaragua») a déposé au Greffe une requête introductive d’instance contre
la République de Colombie (dénommée ci-après la «Colombie») au sujet d’un différend portant sur
un «ensemble de questions juridiques connexes … qui demeurent en suspens» entre les deux Etats

«en matière de titre territorial et de délimitation maritime» dans les Caraïbes occidentales.

La requête invoquait, pour fonder la comp étence de la Cour, les dispositions de
l’articleXXXI du traité américain de règlemen t pacifique signé le 30avril1948, dénommé
officiellement, aux termes de son articleLX, «p acte de Bogotá» (et ci-après ainsi désigné), ainsi

que les déclarations faites par les Parties en vertu de l’article 36 du Statut de la Cour permanente de
Justice internationale, considérées, pour la durée restant à courir, comme comportant acceptation de
la juridiction obligatoire de la présente Cour aux termes du paragraphe5 de l’article36 de son
Statut.

Le 25février2010, la République du Costa Rica (dénommée ci-après le «CostaRica») a
déposé une requête à fin d’intervention dans l’affaire en vertu de l’article 62 du Statut. Dans cette
requête, le CostaRica précisait notamment que s on intervention «aurait simplement pour objet
d’informer la Cour de la nature des droits et intérêts d’ordre juridique du Costa Rica et de s’assurer
que la décision de la Cour relativ e à la frontière maritime entre le Nicaragua et la Colombie ne

porte pas atteinte à ces droits et intérêts». Conformément au paragraphe1 de l’article83 du
Règlement, des copies certifiées conformes de la requête du CostaRica ont été immédiatement
transmises au Nicaragua et à la Colombie, qui ont été invités à présenter des observations écrites
sur cette requête.

Le 26 mai 2010, dans le délai fixé à cet effet par la Cour, les Gouvernements du Nicaragua et
de la Colombie ont soumis des observations écrites sur la requête du Costa Rica à fin
d’intervention. Dans ses observations, le Ni caragua exposait les raisons pour lesquelles,
notamment, il considérait que cette requête n’était pas conforme au Statut et au Règlement. Pour sa

part, la Colombie, dans ses observations, indiquait les motifs pour lesquels elle ne faisait pas
objection à ladite requête. La Cour ayant cons idéré que le Nicaragua avait fait objection à la
requête, les Parties et le Gouvernement du Costa Rica ont été avisés, par lettres du greffier en date - 2 -

du 16juin2010, que la Cour tiendrait audience, c onformément au paragraphe 2 de l’article84 de
son Règlement, pour entendre les observations du Costa Rica, Etat demandant à intervenir, et celles

des Parties à l’affaire.

Au cours d’audiences publiques consacrées à l’admission de la requête du CostaRica à fin

d’intervention, il a été conclu comme suit :

Au nom du Gouvernement du Costa Rica,

«[Il est] demand[é] respectueusement à la Cour d’octroyer le droit d’intervenir à

la République du Costa Rica, afin d’informer la Cour sur ses intérêts d’ordre juridique
qui pourraient être affectés par la décisi on dans cette affaire, selon l’article62 du
Statut.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

[Le CostaRica demande] l’application des dispositions de l’article85 du

Règlement, à savoir :

⎯ Paragraphe 1: «l’Etat intervenant reçoit copie des pièces de procédure et des
documents annexés et a le droit de pré senter une déclaration écrite dans un délai

fixé par la Cour».

⎯ Paragraphe 3 : «L’Etat intervenant a le droit de présenter au cours de la procédure
orale des observations sur l’objet de l’intervention.»»

Au nom du Gouvernement du Nicaragua,

«En application de l’article 60 du Règlement de la Cour, et au vu de la requête à

fin d’intervention déposée par la République du Costa Rica et des éléments exposés à
l’audience, la République du Nicaragua prie respectueusement la Cour de dire et juger
que :

La requête déposée par la République du CostaRica ne satisfait pas aux
prescriptions énoncées à l’article62 du Statut et aux alinéas a) et b) du paragraphe2
de l’article 81 du Règlement de la Cour.»

Au nom du Gouvernement de la Colombie,

«Pour les raisons exposées au cours de cette procédure, [le] Gouvernement [de
la Colombie] souhaite réitérer ce qu’il a exposé dans ses observations écrites, à savoir

que, de l’avis de la Colombie, le CostaRica remplit les conditions établies à
l’article 62 du Statut et que, par conséquent , la Colombie ne s’oppose pas à la requête
du Costa Rica à fin d’intervention comme non-partie dans la présente affaire.»

*

* * - 3 -

Raisonnement de la Cour

La Cour rappelle que, dans sa requête à fin d’intervention, le CostaRica a souligné qu’il
souhaitait intervenir à l’instance en tant qu’Etat non partie avec «pour objet d’informer la Cour de
la nature des droits et intérêts d’ordre juridique du Costa Rica et de s’assurer que la décision de la
Cour relative à la frontière maritime entre le Nicar agua et la Colombie ne porte pas atteinte à ces

droits et intérêts».

Se référant à l’article81 du Règlement, le CostaRica a spécifié dans sa requête ce qu’il
estime être l’intérêt d’ordre juridique qui est pour lui en cause dans la décision de la Cour relative à

la délimitation entre le Nicaragua et la Colombie , l’objet précis de son intervention, ainsi que la
base de compétence qui existerait entre lui-même et les Parties à la procédure principale.

I. LE CADRE JURIDIQUE (par. 21-51)

La Cour s’intéresse tout d’abord au cadre juridique constitué par l’article 62 de son Statut et
l’article81 de son Règlement, et indique que l’intervention étant une procédure incidente par
rapport à la procédure principale dont elle est saisie, il revient, sel on le Statut et le Règlement, à

l’Etat qui demande à intervenir d’indiquer l’intérê t d’ordre juridique qu’il estime être pour lui en
cause dans le différend, l’objet précis qu’il poursu it au travers de cette demande, ainsi que toute
base de compétence qui existerait entre lui et les parties.

La Cour examine ensuite successivement ces éléments constitutifs de la demande
d’intervention ainsi que les moyens de preuve présentés à l’appui de celle-ci.

* *

1. L’intérêt d’ordre juridique en cause (par. 23-28)

La Cour relève que l’Etat qui demande à in tervenir doit faire état d’un intérêt d’ordre
juridique propre dans la procédure principale et d’un lien entre cet intérêt et la décision que la Cour
pourrait être amenée à rendre à l’issue de ladite procédure. Il s’agit, aux termes du Statut, de

l’«intérêt d’ordre juridique … en cause» (voir article 62 du Statut) ; ou de ce que le texte en anglais
exprime de façon plus explicite comme «an interest of a legal nature which may be affected by the
decision in the case», soit, littéra lement, «un intérêt d’ordre juridique susceptible d’être affecté par

la décision en l’espèce».

La constatation par la Cour de l’existence de ces éléments représente, par conséquent, la
condition nécessaire pour qu’elle puisse autoriser l’Etat qui en fait la demande à intervenir dans les

limites qu’elle juge appropriées. La Cour rappelle qu’une chambre de la Cour a déclaré que :

«Si un Etat réussit à établir de manière satisfaisante devant la Cour qu’il a un
intérêt d’ordre juridique susceptible d’être affecté par la décision qui sera rendue en
l’espèce, il peut être autorisé à intervenir pour les besoins de cet intérêt.» ( Différend

frontalier terrestre, insulaire et maritim e (ElSalvador/Honduras), requête à fin
d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 116, par. 58.)

La Cour relève qu’étant en charge de la bonne administration de la justice, il lui revient de se

prononcer conformément aux term es du paragraphe2 de l’article 62 du Statut sur la demande
d’intervention et d’en déterminer les limites et la portée. Mais, en tout état de cause, il convient
que la condition posée par le paragraphe 1 de l’article 62 soit remplie. - 4 -

La Cour observe que, alors que les Parties à la procédure principale la prient de leur
reconnaître certains droits dans l’espèce considér ée, l’Etat qui demande à intervenir fait en

revanche valoir, en se fondant sur l’article 62 du Statut, que la décision sur le fond pourrait affecter
ses intérêts d’ordre juridique. L’Etat qui cherch e à intervenir n’a donc pas à établir qu’un de ses
droits serait susceptible d’être affecté ; il est suffisant pour cet Etat d’établir que son intérêt d’ordre
juridique pourrait être affecté. L’article 62 requiert que l’intérêt dont se prévaut l’Etat qui demande

à intervenir soit d’ordre juridique, dans le sens où cet intérêt doit faire l’objet d’une prétention
concrète et réelle de cet Etat, fondée sur le droit, par opposition à une prétention de nature
exclusivement politique, économique ou stratégique. Mais il ne s’agit pas de n’importe quel intérêt
d’ordre juridique ; encore faut-il qu’il soit susceptible d’être affecté, dans son contenu et sa portée,

par la décision future de la Cour dans la procédure principale.

Dès lors, l’intérêt d’ordre juridique visé à l’ar ticle 62 ne bénéficie pas de la même protection
qu’un droit établi et n’est pas soumis aux mêmes exigences en matière de preuve.

La Cour note en outre que sa décision autori sant l’intervention peut être considérée comme
préventive puisqu’elle a pour objectif de permettre à l’Etat intervenan t de participer à la procédure
principale dans le but de protég er un intérêt d’ordre juridique qui risque d’être affecté dans cette

procédure. Quant au lien entre la procédure incidente et la procédure principale, la Cour rappelle
qu’elle a déjà précisé que

«l’intérêt d’ordre juridique qu’un Etat cherch ant à intervenir en vertu de l’article62

doit démontrer n’est pas limité au seul dispositif d’un arrêt. Il peut également
concerner les motifs qui constituent le support nécessaire du dispositif.»

La Cour rappelle également qu’il lui revient d’apprécier l’intérêt juridique susceptible d’être

affecté, invoqué par l’Etat qui demande à intervenir, en fonction des données propres à chaque
affaire, et elle ne peut le faire «que concrètement et que par rapport à toutes les circonstances de
l’espèce».

2. L’objet précis de l’intervention (par. 29-36)

La Cour note qu’aux termes de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 81 du Règlement, une
requête à fin d’intervention doit spécifier «l’objet précis de l’intervention».

La Cour rappelle ensuite que le CostaRica précise que sa demande d’intervention en tant
que non-partie a pour objet de protéger ses droits et intérêts d’ordre juridique dans la mer des
Caraïbes par tous les moyens juridiques disponibl es et, par conséquent, de faire usage de la

procédure établie à cette fin par l’article62 du Statut de la Cour. Aussi souhaite-t-il porter à la
connaissance de la Cour la nature de ses droits et intérêts d’ordre juridique auxquels la décision
relative à la délimitation maritime entre le Nicara gua et la Colombie pourrait porter atteinte. Pour
informer la Cour de ses droits et intérêts d’or dre juridique, et s’assurer qu’ils seront protégés dans

l’arrêt futur, point n’est besoin, a fait observer le Costa Rica, d’«établir l’existence d’un différend
ou [de] régler un différend avec les Parties à la présente espèce».

Le Nicaragua, pour sa part, soutient que le Co sta Rica n’a pas spécifi é l’objet précis de son

intervention, et que l’invocation d’un objet «vague» ⎯ à savoir, porter à la connaissance de la Cour
ses prétendus droits et intérêts afin de les protéger ⎯ ne saurait suffire.

La Colombie estime, quant à elle, que la requête du CostaRica satisfait aux prescriptions
énoncées à l’article 62 du Statut de la Cour et à l’article 81 du Règlement.

De l’avis de la Cour, l’objet précis de la demande d’intervention consiste certainement à
l’informer de l’intérêt d’ordre ju ridique susceptible d’être affecté par sa décision dans le différend

qui oppose le Nicaragua à la Colombie, mais cette demande tend également à la protection de cet - 5 -

intérêt. En effet, si la Cour reconnaît l’ex istence d’un intérêt d’ordre juridique du CostaRica
susceptible d’être affecté et autori se cet Etat à intervenir, celui-ci pourra contribuer à la protection

de cet intérêt tout au long de la procédure principale.

La Cour rappelle que la Chambre ch argée de connaître de l’affaire du Différend frontalier
terrestre, insulaire et maritime (ElSalvador/Honduras) , ayant examiné la demande d’intervention

présentée par le Nicaragua dans ladite affaire, avait déclaré ce qui suit: «[d]ans la mesure où
l’intervention du Nicaragua a pour objet «d’informer la Cour de la nature des droits du Nicaragua
qui sont en cause dans le litige», on ne peut pas dire que cet objet n’est pas approprié: il semble
d’ailleurs conforme au rôle de l’intervention» ( arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p.130, par.90). Ayant

également examiné le deuxième objet de la demande du Nicaragua, tendant à «garantir que les
conclusions de la Chambre ne porte[r aient] pas atteinte [à ses] droits et intérêts», la Chambre avait
conclu que, quand bien même l’expression «port[er] atteinte aux droits et intérêts» ne figurait pas à

l’article 62 du Statut, il était «tout à fait approprié⎯ et c’est d’ailleurs le but de l’intervention ⎯
que l’intervenant l’informe de ce qu’il considère comme ses droits ou intérêts, afin de veiller à ce
qu’aucun intérêt d’ordre juridique ne puisse être «affecté» sans que l’intervenant ait été entendu»
(ibid.).

La Cour estime que l’objet de l’intervention tel qu’indiqué par le CostaRica satisfait aux
prescriptions de son Statut et de son Règlement, da ns la mesure où il s’agit pour lui d’informer la
Cour de son intérêt juridique susceptible d’être affecté par la décision en l’espèce, afin de lui

permettre de le protéger.

La Cour souligne en outre que les procédures écrite et orale relatives à la requête à fin
d’intervention doivent se concentrer sur la preuve de l’intérêt juridique en cause ; ces procédures ne

sont pas, pour l’Etat qui demande à intervenir et pour les Parties, l’occasion de débattre de
questions de fond relevant de la procédure principale, que la Cour ne peut, au stade de l’examen de
l’admission d’une requête à fin d’intervention, prendre en considération.

3. Le fondement et l’étendue de la compétence de la Cour (par. 37-43)

En ce qui concerne la base de compétence, le Costa Rica, tout en informant la Cour qu’il a
fait une déclaration en vertu du para graphe 2 de l’article 36 du Statut et qu’il est partie au pacte de
Bogotá, a précisé qu’il cherchait à intervenir en tant qu’Etat non partie et qu’il n’avait pas, à ce

titre, besoin de faire état d’une base de compétence entre lui-même et les Parties au différend.

La Cour relève à cet égard que le Statut n’impose pas, comme cond ition de l’intervention,
l’existence d’une base de compétence entre les parties à l’instance et l’Etat qui cherche à intervenir

en tant que non-partie. Une telle base de compétence est en revanche requise si l’Etat qui demande
à intervenir entend devenir lui-même partie au procès.

4. Les moyens de preuve à l’appui de la demande d’intervention (par. 44-51)

La Cour rappelle que le paragraphe 3 de l’article 81 du Règl ement prévoit que «[l]a requête
contient un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés».

Dans ses observations écrites sur la demande à fin d’intervention du CostaRica, le
Nicaragua fait remarquer que cet Etat «n’a joint ni document, ni élément de preuve à l’appui de ses
affirmations et que sans pareils documents ni mê me illustrations, il est encore plus difficile de
déterminer exactement ce que sont les intérêts d’ordre juridique qu’il invoque».

Le Costa Rica, en revanche, souligne que le fait d’annexer des documen ts à la requête à fin
d’intervention n’est pas une obligatio n et qu’il lui appartient, en tout état de cause, de choisir les
moyens de preuve à l’appui de sa requête. - 6 -

La Cour rappelle que, dans la mesure où l’Etat qui demande à intervenir supporte la charge
de la preuve de l’intérêt d’ordre juridique susceptib le selon lui d’être affecté, il lui appartient de

décider des documents, y compris les illustrations , qu’il échet d’annexer à sa requête. Quant au
paragraphe3 de l’article81 du Règlement, il oblige seulement cet Etat, au cas où il décide
d’annexer des documents à sa requête, d’en fournir un bordereau.

La preuve exigée de l’Etat qui demande à interv enir ne peut être qualifiée de restreinte ou
sommaire à ce stade de la procédure, car, pour l’essentiel, l’Etat doit établir l’existence d’un intérêt
d’ordre juridique susceptible d’être affecté par la décision de la Cour. Dans la mesure où l’objet de
son intervention est d’informer la Cour de cet intérêt juridique et de faire en sorte qu’il soit protégé,

le Costa Rica doit convaincre la Cour, à ce stade, de l’existence d’un tel intérêt et, celui-ci une fois
reconnu par la Cour, il lui revient, à la phase du fond, de veiller, en participant à la procédure
principale, à ce que l’intérêt en question soit protégé dans l’arrêt qui sera rendu.

Il appartient en conséquence à l’Etat qui demande à intervenir de produire tous les moyens
de preuve à sa disposition pour emporter la décision de la Cour sur ce point.

Cela n’empêche pas la Cour, si elle rejette la requête à fin d’intervention, de prendre note de

l’information qui lui a été fournie dans cette phase de la procédure. En effet, comme elle a déjà eu
l’occasion de le souligner, «dans son arrêt futu r, [elle] tiendra compte, comme d’un fait, de
l’existence d’autres Etats ayant des prétentions dans la région» ( Plateau continental (Jamahiriya
arabe libyenne/Malte), requête à fin d’intervention, C.I.J. Recueil 1984, p. 26, par. 43).

II. EXAMEN DE LA REQUÊTE À FIN D ’INTERVENTION DU COSTA R ICA (par. 52-90)

L’intérêt d’ordre juridique revendiqué par le Costa Rica (par. 53-90)

La Cour recherche ensuite si le CostaRica a suffisamment spécifié l’«intérêt d’ordre
juridique» qui serait susceptible d’être affecté par la décision à rendre dans la procédure principale.
Elle examine les deux éléments en question, à sa voir l’existence d’un intérêt d’ordre juridique du

CostaRica et l’effet que la décision relative au fond pourrait avoir sur cet intérêt, afin de
déterminer s’il peut être fait droit à la demande d’intervention.

Dans sa requête, le Costa Rica indique que :

«[l]’intérêt d’ordre juridique qui…est pour lui en cause concerne l’exercice de ses
droits souverains et de sa juridiction dans l’espace maritime de la mer des Caraïbes
auquel lui donne droit, selon le droit international, sa côte bordant cette mer».

Le Costa Rica considère que les arguments déve loppés par le Nicaragua et la Colombie dans
le cadre de leur différend en matière de délimitation portent atteinte à son intérêt d’ordre juridique,
qu’il entend faire valoir devant la Cour. Un te l intérêt est déterminé pa r référence, selon le

Costa Rica, au «scénario hypothétique de délimitatio n entre le Costa Rica et le Nicaragua» et, dès
lors, si le Costa Rica n’intervient pas, «la décision que la Cour rendra en l’espèce risque de porter
atteinte à [son] intérêt juridique».

Le Nicaragua, pour sa part, soutient que le CostaRica n’a «pas réussi à démontrer
l’existence d’un intérêt d’ordre juridique propre, direct, concret et actuel, ce qui est une prémisse
nécessaire à toute intervention». Il n’a pas réussi à démontrer cette existence dans le cadre du
différend entre le Nicaragua et la Colombie». Ce qu’il aurait démontré, en revanche, c’est qu’il

avait «des intérêts juridiques dans la délimitation avec le Nicaragua voisin … [et] qu’il se présente
comme une partie, non pas au différend qui oppose le Nicaragua à la Colombie, mais à un différend
entre lui-même et le Nicaragua concernant la délimitation maritime entre les deux pays». - 7 -

La Colombie partage la conclusion du Cost aRica selon laquelle celui-ci possède des droits
et des intérêts d’ordre juridique qui pourraient être affectés par la d écision dans la procédure

principale. La Colombie soutient que, «[p]armi les droits et intérêts d’ordre juridique du
CostaRica…, figurent les droits et obligations juridiques qu’i[l a] acceptés aux termes des
accords de délimitation conclus avec [elle]». Elle considère dès lors que le Costa Rica a un intérêt
juridique à l’égard des zones mar itimes délimitées en vertu du tr aité de1977, ainsi qu’en ce qui

concerne la détermination d’un futur point triple entre le Costa Rica, la Colombie et le Nicaragua.

La Cour relève que, bien que le Nicaragua et la Colombie diffèrent dans leur évaluation des
limites de la zone dans laquelle le CostaRica peut avoir un intérêt d’ordre juridique, ils

reconnaissent que le CostaRica possède un tel in térêt dans au moins certaines des zones qu’ils
revendiquent dans le cadre de la procédure principale. La Cour n’est toutefois pas appelée à se
pencher sur les limites géographiques exactes de la zone maritime dans laquelle le CostaRica
estime avoir un intérêt d’ordre juridique.

La Cour rappellera que, en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulaire et maritime
(El Salvador/Honduras), lorsque la Chambre a rejeté la demande d’intervention présentée par le
Nicaragua sur toute question de délimitation à l’intérieur du golfe de Fonseca, elle a déclaré que

«la principale difficulté que rencontre la Chambre à propos d’une éventuelle
délimitation à l’intérieur des eaux du golfe tient à ce que le Nicaragua n’a pas indiqué,
dans sa requête, d’espaces maritimes où il pourrait avoir un intérêt juridique

susceptible d’être considéré comme affecté par une éventuelle ligne de délimitation
entre El Salvador et le Honduras» (arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 125, par. 78).

En la présente affaire, en revanche, le Costa Rica a spécifié la zone maritime dans laquelle il

estime avoir un intérêt d’ordre juridique susceptible d’être affecté par la décision de la Cour dans la
procédure principale.

L’indication de cette zone maritime n’est cependant pas suffi sante en elle-même pour que la

Cour admette la requête du Costa Rica à fin d’in tervention. En vertu de l’article 62 du Statut, un
Etat demandant à intervenir ne peut se contenter de démontrer qu’il a un intérêt d’ordre juridique
faisant l’objet d’une prétention fondée sur le dro it, dans la zone maritime concernée; il doit
également démontrer que cet intérêt est susceptible d’être affecté par la décision à rendre dans la

procédure principale.

Le Costa Rica estime qu’il lui suffit de dém ontrer que la décision portant délimitation risque
d’affecter son intérêt d’ordre juridique et que tel serait le cas s’il était établi qu’existe un

quelconque «chevauchement entre la zone où il estime avoir un intérêt d’ordre juridique…et la
zone en litige entre les Parties à la présente affair e». Il avance également que le Nicaragua n’a pas
indiqué clairement où se situerait la ligne représen tant la limite méridionale de ses revendications,
le laissant ainsi dans l’incertitude. Le CostaRi ca affirme en particulier que même la plus

septentrionale des limites méridionales des zones revendiquées par le Nicaragua dans ses écritures
empiéterait sur ses droits.

Le CostaRica soutient en outre que l’em placement du point terminal méridional de la

frontière entre le Nicaragua et la Colombie, point que la Cour devra, selon lui, déterminer, risque
également d’affecter son intérêt d’ordre juridique dans le secteur, en ce sens que ce point pourrait
se situer dans sa zone potentielle d’intérêt. - 8 -

Enfin, le Costa Rica soutient que ses intérêts pourraient être affectés même si la Cour plaçait
une flèche à l’extrémité de la frontière entre le Nicaragua et la Colombie qui ne touche pas

directement ses intérêts potentiels. Selon lui, il n’ existe pas de certitude que la Cour soit à même
de placer cette flèche à une distance suffisante de la zone où le Costa Rica estime avoir un intérêt
sans que celui-ci lui ait communiqué «toutes les in formations nécessaires sur l’étendue de [ses]
intérêts».

La Cour rappellera qu’elle a par le passé indiqué que, «dans le cas de délimitations
maritimes intéressant plusieurs Etats, la protection offerte par l’article 59 du Statut peut ne pas être
toujours suffisante» ( Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun

c. Nigéria ; Guinée équatoriale (intervenant)), arrêt, C.
I.J. Recueil 2002, p. 421, par. 238).

Il est cependant vrai, ainsi que la Chambre de la Cour l’a déclaré dans l’arrêt qu’elle a rendu
en l’affaire du Différend frontalier terrestre, insulair e et maritime (ElSalvador/Honduras) sur la

requête à fin d’intervention du Nicaragua, que

«le fait de tenir compte, en tant que facteur géographique, de toutes les côtes et
relations côtières…pour effectuer une év entuelle délimitation entre deuxEtats

riverains…ne signifie aucunement que l’ intérêt juridique d’un troisième Etat
riverain … soit susceptible d’être affecté» (arrêt, C.I.J. Recueil 1990, p. 124, par. 77).

En outre, dans l’affaire relative à la Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie

c. Ukraine), après avoir indiqué que «la délimitation [entre la Roumanie et l’Ukraine] sera[it]
effectuée en mer Noire, mer fermée, dans une zone où le littoral roumain se trouve à la fois dans
une relation d’adjacence et dans une relation d’op position avec les côtes ukrainiennes, et avec
celles de la Bulgarie et de la Turquie situées au sud» (arrêt, C.I.J. Recueil 2009, p. 100, par. 112), la

Cour a précisé qu’elle opérerait cette délimitation «au nord de toute zone qui pourrait impliquer des
intérêts de tiers» (ibid.).

Il s’ensuit que l’intérêt des Etats tiers est, pa r principe, protégé par la Cour sans que celle-ci

n’ait à définir avec précision les limites géographiques de la zone dans laquelle leur intérêt pourrait
entrer en jeu. La Cour tient à souligner que ce tte protection doit être accordée à tout Etat tiers,
qu’il intervienne ou non à l’instance. Ainsi, dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire de la Frontière
terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c.Nigéria; Guinée équatoriale

(intervenant)), la Cour a adopté une position iden tique envers la Guinée équatoriale ⎯ qui était
intervenue en tant que non-partie — et envers SaoTomé-et-Principe ⎯qui n’était pas intervenue
(C.I.J. Recueil 2002, p. 421, par. 238).

La Cour, dans son arrêt précité, a eu l’occasion d’indiquer qu’un certain lien existait entre les
articles 62 et 59 du Statut. Pour qu’il soit fait dro it à sa demande d’intervention, le Costa Rica doit
donc démontrer que son intérêt d’ordre juridique dans l’espace maritime bordant la zone en litige

entre le Nicaragua et la Colombie requiert une prot ection qui n’est pas offerte par l’effet relatif des
décisions de la Cour consacré à l’article59 du Statut; en d’autres termes, le CostaRica doit
remplir la condition prévue au pa ragraphe1 de l’article62 du St atut et démontrer qu’un intérêt
d’ordre juridique «est pour lui en cause» dans la zone à délimiter.

La Cour rappelle à cet égard qu’en la présente affaire, la Colombie n’a pas demandé à la
Cour de fixer le point terminal sud de la frontiè re maritime devant être tracée. En effet, la
Colombie a affirmé que ses revendications laissai ent délibérément ouverte la détermination des

points terminaux de la délimitation, de manière à ne pas affecter les intérêts d’Etats tiers. La Cour
rappelle également que le Nicaragua a convenu «que toute ligne de délimitation établie par la Cour
devrait s’arrêter bien avant la z one dans laquelle, selon le Costa Rica, celui-ci a un intérêt d’ordre
juridique, et se terminer par une flèche pointant en direction de cette zone». - 9 -

La Cour note que, en la présente affaire, l’ intérêt d’ordre juridique du CostaRica ne serait

susceptible d’être affecté que dans l’hypothèse où la frontière maritime que la Cour est appelée à
tracer entre le Nicaragua et la Colombie sera it prolongée vers le sud, au-delà d’une certaine
latitude. Or, la Cour, suivant en ceci sa jurisprudence, lorsqu’elle tracera une ligne délimitant les
espaces maritimes entre les deux Parties à la procédure principale, arrêtera, selon que de besoin, la

ligne en question avant qu’elle n’ atteigne la zone où les intérd’ordre juridique d’Etats tiers
peuvent être en cause (voir Délimitation maritime en mer Noire (Roumanie c.Ukraine), arrêt,
C.I.J. Recueil 2009, p. 100, par. 112).

La Cour conclut que le CostaRica n’a pas démontré l’existence d’un intérêt d’ordre
juridique susceptible d’être affecté par la décision dans la procédure principale.

*

* *

Dispositif (par. 91)

«Par ces motifs,

CoLuar,

Par neuf voix contre sept,

Dit que la requête à fin d’intervention en l’instance déposée par la République
du Costa Rica en vertu de l’article 62 du Statut de la Cour ne peut être admise.

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président ; MM. Koroma, Keith,

Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov , Mme Xue, juges; M. Cot, juge
ad hoc ;

CONTRE : MM.Al-Khasawneh, Simma, Abra ham, Cançado Trindade, Yusuf,
Mme Donoghue, juges ; M. Gaja, juge ad hoc.

MM.les juges A L-K HASAWNEH et A BRAHAM joignent à l’arrêt les exposés de leur opinion

dissidente ; M. le juge EITH joint une déclaration à l’arrêt ; MM. les jugeANÇADO TRINDADE
et YUSUF joignent à l’arrêt l’exposé de leur opinion dissidente commune ; Mme le jugONOGHUE
joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente; M. le jad hoc G AJA joint une déclaration à

l’arrêt.

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Annexe au résumé n 2011/3

Opinion dissidente de M. le juge Al-Khasawneh

Dans son opinion dissidente, le juge Al-Khasawneh explique les raisons pour lesquelles il ne

souscrit pas à la décision de la Cour de rejeter la demande d’intervention du Costa Rica, et regrette
que la majorité ait tenté de définir et de clarifier la notion d’«intérêt d’ordre juridique».

Dans la première partie de son opinion, le juge Al-Khasa wneh fait observer que la Cour

persiste à adopter une approche restrictive en matière d’intervention. Selon lui, son peu
d’inclination à admettre les demandes d’interv ention ne saurait s’expliquer par des exigences
statutaires, le critère énoncé à l’article62 du Statut ⎯que l’Etat concerné estime qu’«un intérêt
d’ordre juridique est pour lui en cause» ⎯ n’étant pas un critère très strict. Si le rejet d’une

demande d’intervention peut, dans certains cas, se trouver justifié ⎯parce que l’Etat souhaitant
intervenir n’a pas suffisamment sp écifié l’intérêt dont il se prévau t, parce qu’il a simplement un
intérêt à ce que la Cour se prononce sur les règles et principes généraux du droit international

applicables, ou encore parce que, en admettant l’in tervention, la Cour serait amenée à statuer sur
les droits de l’intervenant, et non uniquement à les protéger ⎯, la Cour, pour justifier de limiter le
rôle de l’intervention dans les procédures introdu ites devant elle, semble essentiellement se fonder
sur l’idée que les droits des Etat tiers seront en tout état de cause protégés par le principe de l’effet

relatif consacré à l’article59 du Statut. Le j uge Al-Khasawneh n’est pas convaincu par cette
approche, car il estime que la protection des intérêts d’Etats tiers garantie par l’article 62 est d’objet
et de portée plus vastes que celle garantie par l’ article59, l’article62 offrant à l’intervenant la

possibilité d’être pleinement entendu, aux fins de la protection de ses intérêts d’ordre juridique,
avant la décision au fond.

En ce qui concerne la demande d’intervention du CostaRica en la présente affaire, le
jugeAl-Khasawneh déplore que la Cour ait décidé de la rejeter alors même qu’il a été satisfait à

toutes les conditions énoncées à l’article 62. Il s’élève, en particulier, contre l’argument de la Cour
selon lequel le CostaRica aurait dû démontrer que son intérêt d’ordre juridique requérait une
protection supérieure à celle offerte par l’article 59, estimant paradoxal que la Cour commence par

proposer un seuil assez bas, en exigeant simpleme nt de l’Etat demandant à intervenir qu’il
démontre qu’il a un intérêt d’ordre juridique — et non pas des droits établis — pour ensuite
imposer un seuil plus élevé fondé sur le caractère su ffisant de la protection offerte par l’article 59.
Bien qu’il se félicite de ce que la Cour se fasse fort de toujours prendre en compte les intérêts

d’Etats tiers, que ces derniers aient ou non demandé à intervenir, il souligne que pareille protection
repose inévitablement sur des conjectures, en particulier lorsque les demandes d’intervention n’ont
pas trait à une délimitation maritime ou spatiale.

Le juge Al-Khasawneh regrette également que la Cour ait tenté de clarifier la très vague
notion d’«intérêt d’ordre juridique», en opérant une distinction entre droits et intérêts juridiques,
auxquels ne s’appliqueraient pas la même protection ni les mêmes exigences en matière de preuve.
Premièrement, une telle distinction était inutile puisque la question du lien entre intérêts et droits ne

se posait pas en la présente affaire. Deuxièmement, la tentative faite par la Cour d’abaisser le seuil
en matière d’intervention n’a aucune incidence en l’espèce, la demande du Costa Rica ayant tout de
même été rejetée à l’aune du critère (paradoxalement moins strict) de l’article 59. Troisièmement,
le juge Al-Khasawneh s’inscrit en faux contre la thèse de la Cour selon laquelle, dans le cadre

d’une intervention, les notions d’ intérêts juridiques et de droits seraient à distinguer. Il fait
observer que la notion d’«intérêt d’ordre juridique» est le fruit d’un compromis, les rédacteurs de
l’article 62 entendant par cette expression exclure les interventions motivées par des considérations
purement politiques ou économiques, ou autres rais ons non juridiques, et non créer un concept

hybride qui n’est ni un intérêt ni un droit. Le juge Al-Khasawneh indique en outre que les
expressions «intérêts juridiques», «titres juridiqu es» et «droits» sont utilisées indifféremment dans
la jurisprudence de la Cour, et qu’on ne sau rait dès lors conclure qu’ils possèdent des sens - 11 -

différents. La Cour semble même le reconnaître da ns le présent arrêt, puisque, au paragraphe26,
elle définit l’intérêt d’ordre juridique comme une «prétention concrète et réelle…fondée sur le

droit», ce qui, selon le jugeAl-Khasawneh, ne peut renvoyer qu’à un droit. Dès lors, le juge
Al-Khasawneh estime contraire à la logique et sans fondement la conclusion de la Cour selon
laquelle l’intérêt d’ordre juridique visé à l’article 62 «ne bénéficie pas de la même protection qu’un
droit établi et n’est pas soumis aux mêmes exigence s en matière de preuve» (arrêt, paragraphe 26).

A la lumière de ce qui précède, le juge Al-Khasawn eh conclut que la tentative de la Cour visant à
clarifier l’expression «intérêt d’ordre juridique» est hors de propos et n’aide en rien à mieux en
comprendre le sens.

Opinion dissidente de M. le juge Abraham

Dans son opinion dissidente, le juge Abraham expose les raisons pour lesquelles, selon lui, la

Cour aurait dû accepter l’intervention du Costa Rica.

Se référant tout d’abord a ux considérations générales rela tives à l’intervention contenues
dans son opinion dissidente relative à la requête à fin d’intervention du Honduras, le juge Abraham

rappelle brièvement que, selon lui, l’intervention d’un Etat tiers en vertu de l’article 62 du Statut de
la Cour est un droit, au sens où l’interventi on n’est pas une faculté dont l’exercice serait
subordonné à une autorisation que la Cour pourrait décider discrétionnairement d’accorder ou de
refuser, mais que ce droit est subordonné à l’existence de conditions dont il appartient à la Cour

d’apprécier si elles sont remplies.

Le juge Abraham expose ensuite que s’il adhère à l’essentiel des développements figurant
dans la première partie de l’arrêt relative au cadre juridique, et notamment à la distinction qui y est

faite entre les «droits» des Etat s tiers et leurs «intérêts», il désapprouve l’application au cas
d’espèce que la Cour fait des principes identifiés dans cette première partie.

Le juge Abraham est d’avis que l’arrêt à ve nir dans l’instance principale est susceptible

d’affecter les intérêts du Costa Rica pour deux raisons. Tout d’abord, dans l’hypothèse où la Cour
retiendrait la ligne de délimitati on suggérée par la Colombie, ou même une ligne un peu plus à
l’est, la ligne retenue se prolongerait vers le sud de telle sorte qu’elle risque de pénétrer dans la
zone des intérêts du Costa Rica. La méthode de «la flèche directionnelle» ne répond pas

adéquatement à ce risque, car il faut encore que la Cour sache où placer la flèche. A cet égard, les
éléments d’information fournis par l’Etat tiers lors de la procédure relative à l’autorisation
d’intervenir ne peuvent pas remplacer les inform ations et observations complètes que cet Etat
pourrait soumettre une fois autorisé à intervenir. Ensuite, si la Cour devait faire droit aux

prétentions du Nicaragua, ou même fixer une ligne de délimitation à l’est du point le plus oriental
de la ligne tracée par le traité bilatéral de 1977 entre la Colombie et le Costa Rica, cela aurait pour
conséquence de priver ce traité de toute possibilité de produire ses effets, et de rendre sa ratification
inutile, étant donné que les espaces situés immédiatement du côté colombien de la ligne retenue par

le traité bilatéral relèveraient des droits souverains du Nicaragua.

Le juge Abraham désapprouve enfin la position restrictive adoptée par la Cour dans son arrêt
qu’il juge contraire à la jurisprudence la plus récente de la Cour en
matière d’intervention. En

outre, le juge Abraham est d’avis que l’arrêt de la Cour repose sur un raisonnement erroné selon
lequel la ligne de délimitation que la Cour tracera s’ arrêtera avant qu’elle n’atteigne la zone où des
intérêts d’Etats tiers sont en cause. Le juge Abraham rappelle, en effet, que la pratique de la Cour
est de tracer une flèche à l’extrémité de la li gne de délimitation qu’elle trace en précisant qu’au-

delà du point où figure la flèche, la ligne est a ppelée à se prolonger jusqu’à ce qu’elle atteigne la
zone dans laquelle les droits d’un Etat tiers seraient remis en cause, et non les «intérêts» de cet Etat.
Le juge Abraham relève enfin qu’à suivre le raisonnement de la Cour dans son arrêt, on voit mal

dans quelle circonstance la Cour autoriserait jamais, à l’avenir, l’ intervention d’un Etat tiers dans
une affaire de délimitation maritime. - 12 -

Déclaration de M. le juge Keith

Dans sa déclaration, le jugeKeith indi que souscrire aux conclusions de la Cour,
essentiellement pour les motifs exposés par celle-ci. Il est cependant en désaccord avec l’un des
aspects du raisonnement.

Le juge Keith estime que la distinction opér ée par la Cour entre les «droits dans l’espèce
considérée» et un «intérêt d’ordre juridique» pose trois problèmes: ces expressions ou concepts
sont sortis de leur contexte ; la définition que donne la Cour du second est problématique ; et, pour
autant qu’elle existe, la distinction semble dénuée d’utilité pratique.

Opinion dissidente commune de MM. les juges Cançado Trindade et Yusuf

1. Les juges CançadoTrindade et Yusuf joignent une opinion dissidente commune dans

laquelle ils exposent les raisons pour lesquelles ils se dissocient du présent arrêt de la Cour. Ils
estiment pour leur part que le CostaRica a satis fait aux conditions de l’intervention énoncées à
l’article62 du Statut de la Cour. Dans leur opinion, qui comprend six parties, ils exposent les
fondements de leur position en ce qui concerne a) la portée et l’objet de l’article 62 du Statut ; b) la

nécessité de spécifier un «intérêt d’ordre juridique»; c)celle de démontrer qu’un tel intérêt
«est … en cause» ; et d) le «lien» particulier qui existerait entr e les articles 62 et 59 du Statut de la
Cour.

2. Dans la première partie de leur opinion, les juges Cançado Trindade et Yusuf soutiennent
que la Cour s’est fondée, non pas sur la questi on de savoir s’il avait été satisfait aux conditions
énoncées à l’article62, mais sur des considérations d’opportunité, décidant de rejeter la demande

du CostaRica au simple motif que «l’intérêt des Etats tiers est, par principe, protégé par la Cour
sans que celle-ci ait à définir avec précision les limites géographiques de la zone dans laquelle leur
intérêt pourrait entrer en jeu».

3. En outre, les juges Cançado Trindade et Yu suf ne souscrivent pas à la position de la Cour
selon laquelle les objectifs visés par l’article 62 peuvent être attein ts par l’exercice d’une manière
de «due diligence judiciaire» à l’égard des intérêts d’ordre juridique de tierces parties sans que soit

offerte à l’Etat souhaitant intervenir la possibilité d’être entendu dans le cadre de la procédure au
fond. En ce qui concerne la question de la por tée et de l’objet de l’intervention en tant que
non-partie en vertu de l’article62 (partieII), ils relèvent que la possibilité donnée à un Etat
intervenant en tant que non-partie d’appeler l’atte ntion de la Cour sur la façon dont la décision de

celle-ci pourrait affecter son intérêt d’ordre juridique est censée influer sur la procédure principale
par l’effet des informations substantielles que l’intervenant communique à la Cour. Les juges
Cançado Trindade et Yusuf expriment certaines pr éoccupations quant au raisonnement de la Cour,

selon lequel «suivant en ceci sa jurisprudence, lorsqu’elle tracera une ligne délimitant les espaces
maritimes entre les deux Parties à l’instance principa le, [la Cour] arrêtera, selon que de besoin, la
ligne en question avant qu’elle n’ atteigne la zone où des intérêts d’ordre juridique d’Etats tiers
peuvent être en cause» (paragraphe89 de l’arrê t). Selon eux, ce rais onnement repose sur le

postulat erroné que toute délimitation d’espaces ma ritimes en litige entre deux parties pourrait être
effectuée de manière plus ou moins mécanique sans tenir compte de l’ensemble des circonstances
ou des faits de l’affaire considérée.

4. Les juges Cançado Trindade et Yusuf déplorent également que la Cour se présente comme
un substitut potentiel à des Etats souhaitant interven ir en tant que non-parties dans la procédure
principale. Si tel était le cas, toute intervention deviendrait sans objet. Bien que la Cour puisse être

en mesure de tracer la limite de certains espaces maritimes en s’arrêtant avant d’atteindre la zone - 13 -

où les intérêts d’Etats tiers sont susceptibles d’être affectés, comment serait-elle informée de la
présence de zones dans lesquelles de tels Etats pourra ient posséder des intérêts d’ordre juridique si

elle ne leur permettait pas d’être entendus dans le cadre de la procédure principale ?

5. Les juges CançadoTrindade et Yusuf s’inté ressent ensuite à la nécessité de spécifier un

«intérêt d’ordre juridique» (partieIII). Ils se félic itent de ce que la Cour ait cherché, pour la
première fois de son histoire, à éclairer la notion d’«intérêt d’ordre juridique». Bien que saluant
cette évolution, ils estiment néanmoins que la Cour n’a pas examiné dans son entier la question de
savoir s’il a été satisfait aux conditions énoncées à l’ article 62 dans le cas d’espèce. Ayant rappelé

l’origine de l’expression «intérêt d’ordre juridi que», ils font observer qu’elle désigne un moyen
légitime pour une tierce partie de demander à pouv oir rechercher une protection contre un arrêt
futur risquant, si cette partie n’in tervenait pas, d’affecter ses prétentions. Dès lors, le critère de la
preuve retenu pour apprécier s’il a été satisfait à ces conditions ne devrait pas être aussi strict que

celui appliqué pour établir l’existence d’un droit.

6. Les juges CançadoTrindade et Yusuf s’ intéressent ensuite à la nécessité de démontrer

qu’un tel intérêt «est…en cause» (partieIV). Ils relèvent que la Cour a a) défini de manière
erronée l’intérêt d’ordre juridique du CostaRica; b) introduit un nouveau critère de la preuve et
c) fondé sa décision sur de seules considérations d’opportunité.

7. Premièrement, les juges Cançado Trindade et Yusuf font observer que, aux
paragraphes #71 et 72 de son arrêt, la Cour écarte les arguments avancés par le Costa Rica aux fins
de démontrer la manière dont son intérêt d’ordre ju ridique pourrait être affecté par sa décision sur

une base erronée d’un point de vue factuel, puisque, selon la Cour, le Costa Rica aurait initialement
présenté le traité Facio-Fernandez qu’il a signé avec la Colombie en 1977, ainsi que les hypothèses
sur lesquelles celui-ci repose, comme un «intérêt d’ordre juridique», avant de se rétracter. Ils
estiment qu’en soumettant des arguments relatifs au traité de1977, le CostaRica cherchait à

démontrer comment son intérêt d’ordre juridique , tel que spécifié dans sa requête, pouvait être
affecté par une décision de la Cour. Un lien semble avoir été établi de manière abusive entre la
condition à laquelle doit satisfaire le CostaRica dans sa demande —démontrer comment son
intérêt d’ordre juridique est susceptible d’être affecté par une décision de la Cour — et le fait que le

traité de 1977 ne constitue pas en soi son intérêt d’ordre juridique.

8. Deuxièmement, les juges CançadoTrindade et Yusuf se disent surpris de ce que la Cour

ait introduit un critère de la preuve, jusqu’alors inconnu, imposant au Costa Rica de démontrer que
«son intérêt d’ordre juridique … requ[iert] une protec tion qui n’est pas offerte par l’effet relatif des
décisions de la Cour consacré à l’article59 du Stat ut». Un critère de la preuve fondé sur le
caractère suffisant de la protection offerte par l’ article 59 du Statut, outre qu’il ne trouve pas appui

dans le libellé du paragraphe1 de l’article62 du Statut, est dépourvu d’incidence directe sur la
procédure d’intervention prévue audit article. Les juges en concluent que, en introduisant ce critère
de preuve, la Cour fonde sa décision sur des c onsidérations d’opportuni té qui ne sont pas
clairement exposées dans l’arrêt. Ils soulignent que l’article 62 ne confère pas à la Cour un pouvoir

discrétionnaire général «lui permettant d’accepter ou de rejeter une requête à fin d’intervention
pour de simples raisons d’opportunité» (voir Plateau continental (Tunisie/Jamahiriya arabe
libyenne), requête à fin d’intervention, arrêt, C.I.J. Recueil 1981, p. 12, par. 17). Aux fins d’établir
si l’auteur de la demande a satisfait aux conditio ns de l’intervention énoncées au paragraphe1 de

l’article62, la Cour doit examiner la question de savoir si les fondements qu’il invoque sont
suffisamment convaincants. Selon eux, cependant, la Cour n’en a rien fait, optant, semble-t-il, pour
une solution de facilité consistant à fonder sa décision sur des considérations d’opportunité. - 14 -

9. Les juges CançadoTrindade et Yusuf con sacrent l’avant-dernière partie de leur opinion
dissidente commune au lien particulier qui existerait entre les articles62 et59 du Statut. Ils

rappellent que l’institution de l’intervention a été conçue dans une perspec tive plus générale, sans
lien avec l’article 59, lequel limite l’effet obligatoi re des décisions de la Cour aux parties en litige
dans le cas d’espèce. L’article 59 a un objet spécifique et limité, et s’applique à toutes les décisions
de la Cour. Au contraire, l’intervention visée à l’article62 a été conçue dans un souci de bonne

administration de la justice, pour faire effet avan t le prononcé d’une décision finale de la Cour, et
donc avant que l’article59 ne trouve à s’appliquer. Les juges regrettent dès lors que la Cour ait
choisi de se concentrer sur un «lien» particulier, dont l’existence n’est pas établie, entre l’article 59
et l’article 62, sans égard pour ces importantes caractéristiques de l’institution de l’intervention.

10. En conclusion, les juges Cançado Trindade et Yusuf font observer que la pratique de la
Cour n’est pas sans rappeler les procédures ar bitrales bilatérales trad itionnelles dans le cadre

desquelles les obstacles aux interventions de tier ces parties peuvent être jugés souhaitables. Ils
soulignent néanmoins que cette pratique ne répond ni aux attentes actuelles en matière de
règlement judiciaire des différends ni aux problèmes que rencontre aujourd’hui le droit
international.

Opinion dissidente de Mme le juge Donoghue

Le jugeDonoghue est en désaccord avec la décision de la Cour de rejeter la demande du
CostaRica tendant à intervenir en tant que non-partie. Elle se dissocie également de l’approche
adoptée par la Cour quant à l’article 62 de son Statut.

En ce qui concerne les facteurs à prendre en considération lors de l’examen d’une requête à
fin d’intervention introduite en vertu de l’article62 du Statut, et la pratique de la Cour quant à la
protection des Etats susceptibles d’être affectés dans des affaires de délimitation maritime, le juge
Donoghue renvoie le lecteur à la première partie de son opinion dissidente relative à la requête à fin

d’intervention du Honduras soumise dans la même affaire.

Dans cette opinion, précise-t-elle, elle expo se les raisons qui l’amènent à conclure que,
lorsque, dans une affaire de délimitation, la zone à délimiter empiète sur une zone faisant l’objet de

prétentions d’un Etat tiers, la décision de la Cour est susceptible d’affecter «l’intérêt d’ordre
juridique» de celui-ci.

Le juge Donoghue s’intéresse ensuite à la requê te à fin d’intervention du CostaRica. Elle

note que celui-ci a désigné une «zone minimum d’intérêt» empiétant sur la zone en cause dans le
différend opposant le Nicaragua et la Colombie ⎯ce que montre clairement le croquis reproduit
dans l’arrêt de la Cour. Selon elle, la Cour semble avoir estimé pouvoir protéger les intérêts du
CostaRica en délimitant la frontière entre le Nicar agua et la Colombie de telle sorte que la ligne

s’arrête en deçà de la zone revendiquée par le Costa Rica, ce qui la conduit à rejeter la requête de
celui-ci. Toutefois, d’après le juge Donoghue, la possibilité qu’a la Cour d’utiliser des flèches pour
protéger les intérêts du Costa Rica, loin de militer contre l’intervention, tend au contraire à étayer la
conclusion selon laquelle celui-ci possède bien un intérêt d’ordre juridique susceptible d’être

affecté par la décision de la Cour. En outre, note le juge Donoghue, la Cour doit inévitablement
apprécier ou déterminer l’endroit où un Etat tiers est susceptible d’avoir un intérêt d’ordre juridique
afin d’éviter de placer une flèche dans la zone sur laquelle cet Etat nourrit des prétentions. A la
lumière de ces éléments, le juge Donoghue c onclut que l’objet de la demande du CostaRica

tendant à intervenir en tant que non-partie ⎯à savoir informer la Cour de ses droits et intérêts
juridiques, et chercher à garantir que ces derniers ne seront pas affectés par la décision de la
Cour ⎯ est légitime, et que le CostaRica s’est acquitté de la charge lui incombant au regard de

l’article 62. - 15 -

Dans sa conclusion, le juge Donoghue renvoie de nouveau le lecteur à son opinion relative à
la requête du Honduras, dans laquelle elle formule des observations d’ ordre général sur la pratique

actuelle de la Cour en matière de demandes d’intervention et propose quelques éléments de
réflexion sur d’éventuelles améliorations à apporter.

Déclaration de M. le juge ad hoc Gaja

Dans sa déclaration, le juge ad hoc Gaja soutient que, si elle avait suivi ses plus récents
précédents en matière de délimitation maritime, la Cour aurait dû admettre la requête à fin

d’intervention du CostaRica. Ce faisant, elle au rait permis à l’Etat demandant à intervenir de
contribuer à déterminer la nature et la portée de l’intérêt juridique pour lui en cause. Si la Cour
affirme qu’elle prendra en toute hypothèse note de l’information que lui a fournie cet Etat dans sa
requête, il semble paradoxal que, dans une affaire de délimitation maritime, la seule façon pour un

Etat tiers de soumettre des informations quant à l’intérêt d’ordre juridique pour lui en cause
consiste à introduire une requête à laquelle la Cour estimera ne pas pouvoir faire droit.

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Résumé de l'arrêt du 4 mai 2011

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