Résumé de l'arrêt du 30 novembre 2010

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16262
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Number (Press Release, Order, etc)
2010/3
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE

Palais de la Paix, Carnegieplein 2, 2517 KJ La Haye, Pays-Bas
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Résumé
Document non officiel

Résumé 2010/3
Le 30 novembre 2010

Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo)

Résumé de l’arrêt du 30 novembre 2010

Après avoir procédé au rappel de l’historique de la procédure et des conclusions des Parties

(paragraphes 1 à 14 de l’arrêt), la Cour présente le raisonnement, en quatre parties, qu’elle a suivi.

I. CONTEXTE FACTUEL GÉNÉRAL (par. 15-20)

La Cour consacre la première partie de son arrêt à rappeler le contexte factuel général dans

lequel s’inscrit l’affaire. Elle souligne qu’elle a déclaré, dans son arrêt du 24 mai 2007, la requête
de la République de Guinée recevable, d’une part, en ce qu’elle a trait à la protection des droits de
M.Ahmadou Sadio Diallo en tant qu’individu et, d’autre part, en ce qu’elle a trait à la protection
des droits propres de celui-ci en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre.

La Cour indique, en conséquence, qu’elle se penche successivement sur la question de la protection
des droits de M.Diallo en tant qu’individu (par .21-98) et sur celle de la protection des droits
propres de celui-ci en tant qu’associé des soci étés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre
(par. 99-159). La Cour examine ensuite, à la lu mière des conclusions auxquelles elle est parvenue
sur ces questions, les demandes de réparation présentées par la Guinée dans ses conclusions finales

(par. 160-164).

II. A PROTECTION DES DROITS DE M. D IALLO EN TANT QU ’INDIVIDU (par. 21-98)

Dans le dernier état de ses conclusions, la Guinée soutient que M.Diallo a été victime,
en1988-1989, de mesures d’arrestation et de détent ion, de la part des autorités de la RDC, en
violation du droit international, puis, en1995-1996, de mesures d’arrestation, de détention et
d’expulsion elles aussi contraires au droit international. Elle en conclut qu’elle est fondée à exercer

la protection diplomatique, à cet égard, en faveur de son ressortissant.

La RDC soutient que la demande relative aux faits de 1988-1989 a été présentée tardivement
et doit être par suite rejetée comme irrecevable. Subsidiairement, la RDC soutient que ladite

demande doit être rejetée pour dé faut d’épuisement des voies de recours internes ou, à défaut,
rejetée au fond. La RDC contest e que le traitement subi par M.Diallo en1995-1996 a violé ses
obligations de droit international. - 2 -

La Cour doit donc se prononcer d’abord sur l’ar gument de la RDC contestant la recevabilité
de la demande relative aux faits de1988-1989, av ant de pouvoir, le cas échéant, examiner le

bien-fondé de ladite demande. Elle doit ensuite examiner le bien-fondé des griefs invoqués par la
Guinée au soutien de sa demande relative aux faits de 1995-1996, dont la recevabilité n’est plus en
cause au stade actuel de la procédure.

A. La demande relative aux mesures d’arrestation et de détention prises à l’égard de
M. Diallo en 1988-1989 (par. 24-48)

Pour décider si la demande relative aux fa its de 1988-1989 a été présentée tardivement, la
Cour doit d’abord rechercher à quel moment, dans la présente instance, cette demande a été
présentée pour la première fois.

La Cour note qu’il y a lieu, d’abord, de relever qu’aucun élément de la requête introductive

d’instance, en date du 28décembre1998, ne se réfère aux événements de1988-1989 et que ces
faits ne sont pas davantage mentionnés dans le mémoire déposé, en application de l’article49,
paragraphe 1, du Règlement, par la Guinée le 23 mars 2001. Elle constate que c’est seulement dans

les observations écrites de la demanderesse en ré ponse aux exceptions préliminaires soulevées par
la défenderesse, observations déposées le 7 juillet 2003, que sont mentionnées pour la première fois
l’arrestation et la détention de M. Diallo en 1988-1989.

Aux yeux de la Cour, on ne saurait consid érer que la demande relative aux faits
de 1988-1989 a été présentée par la Guinée dans se s observations écrites du 7 juillet 2003. L’objet
desdites observations était, souligne la Cour, de répondre aux exceptions d’irrecevabilité de la
défenderesse. Se trouvant dans le cadre de la procédure incidente ouverte par les exceptions

préliminaires de laRDC, la Guinée ne pouvait présenter aucune autre conclusion que celles qui
portaient sur le mérite desdites exceptions et le sort que la Cour devait leur réserver. On ne peut,
dans ces conditions, interpréter les observations écrites du 7juillet2003 comme introduisant dans
le débat contentieux une demande additionnelle de l’Etat requérant. La Cour poursuit notamment

en indiquant que la Guinée a présenté pour la première fois sa demande relative aux faits
de 1988-1989 dans sa réplique, déposée le 19 novemb re 2008, postérieurement à son arrêt statuant
sur les exceptions préliminaires. La réplique e xpose en détail les circonstances de l’arrestation et
de la détention de M. Diallo en 1988-1989, pr écise que cette «affaire … fait indubitablement partie

des faits illicites à raison desquels la Guinée en tend engager la responsab ilité internationale du
défendeur», et indique pour la première fois que lles seraient, du point de vue de la demanderesse,
les obligations internationales, notamment conve ntionnelles, qui auraient été violées par la
défenderesse à l’occasion des actes en cause.

Ayant déterminé à quel moment exact la de mande relative aux faits de1988-1989 a été
introduite dans l’instance, la Cour est à présent en mesure de décider si cette demande doit être
regardée comme tardive et par suite irrecevable. En effet, l’arrêt rendu le24mai2007 sur les

exceptions préliminaires de la RDC ne fait pas obs tacle à ce que la défenderesse soulève à présent
une objection tirée de ce que la demande additionne lle aurait été présentée tardivement, puisque
ladite demande a été introduite, ainsi qu’il vient d’être dit, postérieurement à l’arrêt de 2007.

S’appuyant sur sa jurisprude nce relative à la recevabilité des demandes additionnelles
introduites ⎯par une partie requérante ⎯ en cours d’instance, la Cour estime de telles demandes
irrecevables si leur prise en considération aura it pour effet de modifier «l’objet du différend

initialement porté devant [la Cour] selon les termes de la requête» (Différend territorial et maritime
entre le Nicaragua et le Honduras dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c.Honduras), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 695, par. 108).

Toutefois, la Cour rappelle qu’elle a aussi déjà précisé que «la nouveauté d’une demande
n’est pas décisive en soi pour la question de la recevabilité», et que : - 3 -

«[a]fin de déterminer si une nouvelle de mande introduite en cours d’instance est
recevable, [elle] doit se poser la question de savoir si, «bien que formellement

nouvelle, la demande en question ne peut êt re considérée comme étant matériellement
incluse dans la demande originelle»» ( Différend territorial et maritime entre le
Nicaragua et le Honduras dans la mer d es Caraïbes (Nicaragua c.Honduras), arrêt,
C.I.J. Recueil 2007 (II), p.695, par.110, citant partiellement Certaines terres à

phosphates à Nauru (Nauru cA . ustralie), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 1992, p. 265-266, par. 65).

En d’autres termes, la demande nouvelle n’est pas irrecevable ipso facto ; ce qui est décisif,

c’est la nature du lien entre cette demande et celle qui est formulée dans la requête introductive.

A cet égard, la Cour a aussi eu l’occasion de préciser que, pour conclure que la demande
nouvelle était matériellement incluse dans la demande originelle, «il ne suffit pas qu’existent entre

elles des liens de nature générale» ( Différend territorial et maritime entre le Nicaragua et le
Honduras dans la mer des Caraïb es (Nicaragua c. Honduras), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (II) , p. 695,
par. 110).

La Cour rappelle que, pour qu’une telle demande soit recevable, il faut, soit que la demande
additionnelle soit implicitement contenue dans la requête, soit que cette demande découle
directement de la question qui fait l’objet de la requête.

Il ne paraît pas possible à la Cour de considérer que la demande de la Guinée était
«implicitement contenue» dans la demande initiale telle qu’exposée dans la requête. La demande
initiale portait sur les atteintes aux droits individuels de M.Diallo qui auraient résulté, selon la
Guinée, des mesures d’arrestation, de détention et d’expulsion prises à son encontre en 1995-1996.

On ne voit pas comment des allégations relatives à d’autres mesures d’arrestation et de détention,
prises à un autre moment et dans un autre contexte, pourraient être regardées comme
«implicitement contenues» dans la requête visant le s faits de1995-1996. Il en va d’autant plus
ainsi que les arrestations subies par M.Diallo en1988-1989, d’abord, et en1995-1996, ensuite,

sont intervenues sur des bases juri diques complètement différentes. Sa première détention a été
subie dans le cadre d’une enquête criminelle, ouverte par le par quet général de Kinshasa du chef
d’escroquerie. La seconde a été ordonnée aux fins de mettre à exécution un décret d’expulsion,
c’est-à-dire dans le cadre d’une procédure administ rative. Il en résulte, entre autres conséquences,

que les règles internationales applicables ⎯que la RDC est accusée d’avoir violées ⎯ sont
partiellement différentes, et que les voies de recours internes dont l’épuisement préalable
conditionne en principe l’exercice de la protection diplomatique sont également de nature

différente.

La Cour estime que ce dernier point mérite spécialement de retenir l’attention. Dès lors que,
comme il a été dit plus haut, la demande nouvelle n’ a été introduite qu’au stade de la réplique, la

défenderesse n’était plus en mesure de lui oppos er des exceptions préliminaires, lesquelles ne
pouvaient être présentées, selon les dispositions de l’article79 du Règlement applicables à
l’instance, que dans le délai fixé pour le dépôt du contre-mémoire (et ne peuvent l’être, selon les
dispositions en vigueur depuis le 1 erfévrier2001, que dans les trois mois suivant le dépôt du

mémoire). Or, le droit pour la partie défendere sse de présenter des exceptions préliminaires,
c’est-à-dire des exceptions sur lesquelles la Cour est tenue de rendre un arrêt avant que ne s’engage
le débat au fond (voir Questions d’interprétation et d’applica tion de la convention de Montréal de
1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbi e (Jamahiriya arabe libyenne c.Royaume-Uni),

exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.Recueil1998 , p.26, par.47), est un droit procédural
fondamental. Ce droit est lésé si l’Etat requé rant présente une demande matériellement nouvelle
postérieurement au contre-mémoire, c’est-à-dire à un moment où le défendeur peut encore soulever
des objections à la recevabilité ou à la compétence, mais plus des exceptions préliminaires. C’est

encore plus vrai dans une affaire de protection diplomatique si, comme en l’espèce, la demande
additionnelle se rapporte à des faits au sujet desque ls les voies de recours disponibles dans l’ordre - 4 -

interne sont différentes de celles qui pouvaient être mises en Œuvre relativement aux faits en cause
dans la demande initiale.

La Cour estime que l’on ne saurait donc dire que la demande additionnelle relative aux faits
de 1988-1989 était «implicitement contenue» dans la requête initiale.

Pour des raisons analogues, la Cour n’aperçoit aucune possibilité de considérer la demande
nouvelle comme «découlant directement de la question qui fait l’objet de la requête». […] Il serait
d’autant plus insolite de regarder la demande relative aux faits de1988-1989 comme «découlant
directement» de la question faisant l’objet de la requête, que les faits auxquels se rapporte cette

demande, et qui étaient parfaitement connus de la Guinée à la date d’introduction de la requête,
sont bien antérieurs à ceux au sujet desquels la re quête a été présentée, dans sa partie relative à la
violation alléguée des droits individuels de M. Diallo.

Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, la Cour conclut que la demande relative aux
mesures d’arrestation et de détention dont M. Diallo a fait l’objet en 1988-1989 est irrecevable.

Eu égard à la conclusion qui précède, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu pour elle de se

demander si la RDC a le droit, au stade actue l de la procédure, d’opposer l’exception de
non-épuisement des voies de recours internes à la dema nde en question, ni, dans l’affirmative, si
cette exception est fondée.

B. La demande relative aux mesures d’arrestation, de détention et d’expulsion prises à
l’égard de M. Diallo en 1995-1996 (par. 49-98)

Sur ce point, la Cour mène son raisonnement en deux sous-parties consacrées, pour la

première, aux faits établis en la présente instance et, pour la seconde, à leur examen au regard du
droit international applicableque constituent a)le Pacteinternational relatif aux droits civils et
politiques ; b)la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples; c) l’interdiction des
mauvais traitements sur personne détenue; et d)la convention de Vienne sur les relations

consulaires.

1. Les faits (par. 49-62)

La Cour rappelle que certains des faits rela tifs aux mesures d’arrestation, de détention et
d’expulsion prises à l’égard de M.Diallo entre octobre1995 et janvier1996 sont admis par les
deux Parties; d’autres, en revanche, sont cont roversés. La Cour expose d’abord brièvement

(par. 50) les faits sur lesquels les deux Parties sont d’accord, puis ceux sur lesquels elles divergent
nettement en ce qui concerne, d’une part, la situa tion de M. Diallo entre le 5 novembre 1995, date
de sa première arrestation, et sa remise en liber té du10janvier1996, et, d’autre part, sa situation
pendant la période qui a séparé cette dernière date de son expulsion effective le 31 janvier 1996.

En ce qui concerne la première période, la Guin ée soutient que M.Diallo est resté détenu de
façon ininterrompuependant soixante-sixjours d’af filée. Selon la RDC, M.Diallo n’aurait été
détenu, au cours de la première période en cause, que deux jours une première fois et pas plus de

huit jours une seconde fois. En ce qui concerne la période allant du 10 janvier au 31 janvier 1996,
la Guinée soutient que M.Diallo a été arrêté à nouveau le 14janvier1996, sur ordre du premier
ministre congolais visant à la mise à exécution du d écret d’expulsion, et maintenu en détention
jusqu’à son renvoi à l’aéroport de Kinshasa le 31janvier suivant, soit pendant encore

dix-septjours. La RDC, en revanche, affirme que M.Diallo est resté libre du 10janvier au
25 janvier 1996, date à laquelle il a été interpellé pour être expulsé quelques jours plus tard, le 31
du même mois. - 5 -

La Cour rappelle également que les Parties divergent aussi sur la manière dont M. Diallo a été
traité au cours de ses périodes de privation de liberté.

En présence d’un désaccord entre les Parties portant sur la matérialité des faits pertinents aux
fins du jugement de l’affaire, la Cour doit d’abor d s’interroger sur la question de la charge de la
preuve. La Cour rappelle qu’en règle générale, il appartient à la partie qui allègue un fait au

soutien de ses prétentions de faire la preuve de l’ existence de ce fait (voir, en dernier lieu, l’arrêt
rendu en l’affaire relative à des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine
c. Uruguay), arrêt du 20 avril 2010, par.162). Mais elle précise que l’on aurait tort de considérer
cette règle, inspirée de l’adage onus probandi incumbit actori, comme une règle absolue, applicable

en toute circonstance. L’établissement de la charge de la preuve dépend, en réalité, de l’objet et de
la nature de chaque diffé rend soumis à la Cour ; il varie en fonction de la nature des faits qu’il est
nécessaire d’établir pour les besoins du jugement de l’affaire.

La Cour poursuit en soulignant qu’en particulier, lorsque, comme en l’espèce, il est allégué
qu’une personne n’a pas bénéficié, de la part d’une autorité publique, de certaines garanties
procédurales auxquelles elle avait droit, on ne saurait, en règle générale, exiger du demandeur qu’il
prouve le fait négatif qu’il invoque. Une autorité publique est en général à même de démontrer

qu’elle a bien suivi les procédures appropriées et respecté les garanties exigées par le droit ⎯ si tel
a été le cas ⎯ en produisant des documents qui font la preuve des actes qui ont été accomplis.
Toutefois, on ne saurait déduire dans tous les cas, de ce que le défendeur n’est pas à même de

prouver l’exécution d’une obligation procédurale, qu ’il l’a méconnue : cela dépend beaucoup de la
nature exacte de l’obligation en cause; certain es supposent normalement l’établissement de
documents écrits, d’autres pas. L’ancienneté des faits doit également être prise en compte, précise
la Cour.

C’est à la Cour qu’il appartient d’apprécier la valeur de l’ensemble des éléments de preuve
produits par les deux parties et dûment soumis au débat contradictoire, en vue de parvenir à ses
conclusions. En somme, dit-elle, quand il s’agit d’ établir des faits tels que ceux qui sont en cause

dans la présente affaire, aucune des parties ne supporte à elle seule la charge de la preuve.

La Cour n’est pas convaincue par l’allégation de la RDC selon laquelle M. Diallo aurait été
libéré dès le 7novembre1995 pour n’être arrêté à nouveau qu’au début du mois de janvier1996,

avant d’être remis en liberté le 10 janvier. Apr ès avoir exposé les raisons qui l’ont conduite à cette
conclusion (par.59), la Cour conclut que M. Diallo est resté détenu du 5novembre1995
au 10 janvier 1996, soit soixante-six jours sans interruption. En revanche, elle ne retient pas
l’affirmation de la demanderesse selon laquelle M.Diallo aurait été à nouveau arrêté le

14janvier1996 et serait demeuré détenu jusqu’à son expulsion le 31janvier suivant. Cette
allégation, contestée par la défenderesse, n’est étayée par aucun commencement de preuve.
Toutefois, la RDC ayant admis que M. Diallo se trouvait détenu, au plus tard, le 25 janvier 1996, la
Cour tiendra pour établi que l’intéressé a été déte nu entre le25 et le 31janvier1996. Pas

davantage la Cour ne peut-elle retenir les allégations de menaces de mort qui auraient été proférées
à l’encontre de M.Diallo par ses gardiens, faute pour ces allégations d’être étayées par un
quelconque commencement de preuve.

2. L’examen des faits au regard du droit international applicable (par. 63-98)

La Guinée soutient que les conditions dans lesquelles M.Diallo a été arrêté, détenu et

expulsé en 1995-1996 constituent une méconnai ssance par la RDC de ses obligations
internationales à plusieurs titres.

En premier lieu, l’expulsion de M. Diallo aurait méconnu l’article 13 du Pacte international

relatif aux droits civils et politiques (ci-après le «Pacte») du 16 décembre 1er6, auquel la Guinée et
la RDC sont devenues parties respectivement le 24avril1978 et le 1 février 1977, ainsi que - 6 -

l’article12, paragraphe4, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après la
«Charte africaine») du 27 juin 1981, entrée en vigueur pour la Guinée le 21 octobre 1986, et pour la

RDC le 28 octobre 1987.

En deuxième lieu, l’arrestation et la détenti on de M.Diallo auraient violé l’article9,
er
paragraphes 1 et 2, du Pacte, ainsi que l’article 6 de la Charte africaine.

En troisième lieu, M.Diallo aurait subi des conditions de détention assimilables à des
traitements inhumains ou dégradants prohibés par le droit international.

En quatrième lieu et enfin, M. Diallo n’aurait p as été informé, lors de son arrestation, de son
droit à solliciter l’assistance consulaire de son pays , en violation de l’article36, paragraphe1,
alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consulaires du 24avril1963, entrée en

vigueur à l’égard de la Guinée le 30 juillet 1988 et à l’égard de la RDC le 14 août 1976.

La Cour examine successivement le bien-fondé de chacune de ces assertions.

a) La violation alléguée de l’article 13 du Pacte et de l’article 12, paragraphe 4, de la Charte
africaine (par. 64-74)

La Cour rappelle que l’article 13 du Pacte est ainsi rédigé :

«Un étranger qui se trouve légalement su r le territoire d’un Etat partie au

présent Pacte ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise
conformément à la loi et, à moins que des ra isons impérieuses de sécurité nationale ne
s’y opposent, il doit avoir la possibilité de fa ire valoir les raisons qui militent contre
son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente, ou par une ou

plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se faisant
représenter à cette fin.»

En termes voisins, l’article12, paragraphe 4, de la Charte africaine dispose que:

«[l’]étranger légalement admis sur le territoire d’un Etat partie à la présente Charte ne pourra en
être expulsé qu’en vertu d’une décision conforme à la loi».

Il résulte des termes mêmes des deux dispositions précitées, dit la Cour, que l’expulsion d’un

étranger qui se trouve légalement sur le territoire d’un Etat partie à ces instruments ne peut être
compatible avec les obligations internationales de cet Etat qu’à la condition qu’elle soit prononcée
conformément à «la loi», c’est-à-dire au droit national applicable en la matière. Le respect du droit

interne conditionne ici, dans une certaine mesure, cel ui du droit international. Mais il est clair que
si la «conformité à la loi» ainsi définie est une condition nécessaire du respect des dispositions
précitées, elle n’en est pas la condition suffisante. D’une part, il faut que la loi nationale applicable
soit elle-même compatible avec les autres exigences du Pacte et de la Charte africaine; d’autre

part, une expulsion ne doit pas revêtir un caractère ar bitraire, la protection contre l’arbitraire étant
au cŒur des droits garantis par les normes inte rnationales de protection des droits de l’homme,
notamment celles contenues dans les deux traités applicables en l’espèce.

La Cour ajoute que l’interprétation qui précède est pleinement corroborée par la
jurisprudence du Comité des droits de l’homme institué par le Pacte en vue de veiller au respect de
cet instrument par les Etats parties (voir, par exemple, en ce sens: Maroufidou c.Suède ,
o o
n 58/1979, par. 9.3 ; Comité des droits de l’homme, observation générale n 15 : situation des
étrangers au regard du Pacte).

Le Comité des droits de l’homme a, de puis sa création, développé une jurisprudence

interprétative considérable, notamment à l’occasion des constatations auxquelles il procède en - 7 -

réponse aux communications individuelles qui peuvent lui être adressées à l’égard des Etats parties

au premier Protocole facultatif, ainsi que dans le cadre de ses «Observations générales».

La Cour précise que, bien qu’elle ne soit au cunement tenue, dans l’exercice de ses fonctions
judiciaires, de conformer sa propre interprétati on du Pacte à celle du Comité, elle estime devoir

accorder une grande considération à l’interp rétation adoptée par ce t organe indépendant,
spécialement établi en vue de superviser l’application de ce traité. Il en va, dit-elle, de la nécessaire
clarté et de l’indispensable cohérence du droit inte rnational ; il en va aussi de la sécurité juridique,

qui est un droit pour les personnes privées bénéficiaires des droits garantis comme pour les Etats
tenus au respect des obligations conventionnelles.

De même, la Cour souligne que, lorsqu’elle est appelée, comme en l’espèce, à faire

application d’un instrument régional de protecti on des droits de l’homme, elle doit tenir dûment
compte de l’interprétation dudit instrument adopté par les organes indépendants qui ont été
spécialement créés, si tel a été le cas, en vue de contrôler la bonne application du traité en cause.

En l’espèce, l’interprétation de l’article 12, paragrap he 4, de la Charte africaine qui est retenue ci-
dessus est conforme à la jurisprudence de la commission africaine des droits de l’homme et des
peuples, instituée par l’article 30 de ladite Charte (voir, par exemple : Kenneth Good c. République
du Botswana , n o313/05, par. 204 ; Organisation mondiale contre la torture et Association

internationale des juristes démocrates, Commission internationale des juristes, Union interafricaine
des droits de l’homme c. Rwanda, n°27/89, 46/91, 49/91, 99/93).

La Cour note en outre que l’interprétation, par la Cour européenne des droits de l’homme et
o
la Cour interaméricaine des droits de l’ homme, de l’articlepremier du protocole n 7 et de
l’article22, paragraphe6, respectivement, à la convention (européenne) de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales et de la convention américaine relative aux droits de

l’homme ⎯dont les dispositions sont proches, en subs tance, de celles du Pacte et de la Charte
africaine que la Cour applique en la présente espèce ⎯ est en cohérence avec ce qui a été dit, au
paragraphe 65 du présent arrêt, à propos de ces dernières dispositions.

Selon la Guinée, la décision d’expulsion prise à l’encontre de M. Diallo a d’abord méconnu
l’article13 du Pacte et l’article12, paragraphe4, de la Charte africaine parce qu’elle n’a pas été

prise en conformité avec le droit interne congolais pour trois raisons :

⎯ elle aurait dû être signée par le président de la République et non par le premier ministre ;

⎯ elle aurait dû être précédée de la consultation de la commission nationale d’immigration ;

⎯ elle aurait dû exprimer les motifs de l’expulsion, ce qu’elle n’a pas fait.

La Cour n’est pas convaincue par le premier argument. Il est vrai que l’article15 de
l’ordonnance-loi zaïroise du 12 septembre 1983 relative à la police des étrangers, dans sa rédaction
alors en vigueur, confiait au président de la République, et non au premier ministre, le pouvoir

d’expulser un étranger. Mais la RDC expo se que depuis l’entrée en vigueur de l’acte
constitutionnel du 9 avril 1994, les pouvoirs conférés par des dispositions législatives particulières
au président de la République ont été considérés comme transférés au premier ministre ⎯ alors

même que ces dispositions n’auraient pas été formellement modifiées ⎯ en vertu de l’article80,
deuxième alinéa, de la nouvelle Constitution, qui prévoit que «le premier ministre exerce le pouvoir
réglementaire par voie de décrets délibérés en Conseil des ministres».

La Cour rappelle qu’il appar tient à chaque Etat, au premier chef, d’interpréter son droit
interne. La Cour n’a pas, en principe, le pouvoi r de substituer sa propre interprétation à celle des
autorités nationales, notamment lorsque cette interprétation émane des plus hautes juridictions
o o
internes (voir, pour ce dernier cas, Emprunts serbes, arrêt n 14, 1929, C.P.J.I., série A n 20, p. 46
et Emprunts brésiliens, arrêt n 15, 1929, C.P.J.I. série A n 21, p. 124 ). Exceptionnellement, si un - 8 -

Etat propose de son droit interne une interprétati on manifestement erronée, notamment afin d’en
tirer avantage dans une affaire pendante, il appartie nt à la Cour de retenir l’interprétation qui lui

paraît correcte.

Tel n’est pas le cas en l’espèce, estime la Cour, qui précise que l’interprétation de sa
Constitution présentée par la RDC, d’où il résulte que l’article 80, deuxième alinéa, produit certains

effets sur les lois déjà en vigueur à la date d’adoption de ladite C onstitution, ne paraît pas
manifestement erronée. La Cour poursuit son rais onnement en indiquant qu’il n’a pas été contesté
que ladite interprétation a bien correspondu, à l’ époque considérée, à la pratique générale des
pouvoirs publics constitutionnels. La RDC a versé au dossier, à cet égard, plusieurs autres décrets

d’expulsion pris à la même époque et tous signés par le premier ministre. Dès lors, même s’il serait
théoriquement possible de discuter le bien-fondé de cette interprétation, il n’appartient
certainement pas à la Cour d’adopter, pour les be soins du jugement de la présente affaire, une
interprétation différente du droit interne congolais. On ne saurait donc conclure que le décret

d’expulsion de M. Diallo n’a pas été pris «confor mément à la loi» pour la raison qu’il a été signé
par le premier ministre, dit la Cour.

En revanche, la Cour est d’avis que ce décret n’a pas respecté les prescriptions de la

législation congolaise pour deux autres raisons.

En premier lieu, la Cour note qu’il n’a pas été précédé de la consultation de la commission
nationale d’immigration, dont l’avis est requis par l’article16 de l’or donnance-loi susmentionnée

sur la police des étrangers avant toute mesure d’ expulsion prise à l’encontre d’un étranger titulaire
d’une carte de résidence. La RDC n’a contesté ni que la situation de M. Diallo le faisait entrer dans
le champ d’application de cette disposition, ni que la consultati on de la commission a été omise.
Cette omission est corroborée par l’absence de visa de l’avis de la commission dans le décret, alors

que tous les autres décrets d’expulsion versés au dossier visent expressément un tel avis,
conformément d’ailleurs au même article 16 de l’ordonnance-loi qui dispose in fine que la décision
«fait mention de la consultation de la commission».

En deuxième lieu, la Cour observe que le décret d’expulsion aurait dû être «motivé» en vertu
de l’article 15 de l’ordonnance-loi de 1983, c’est-à-dire indiquer les motifs de la décision prise. Or,
force est de constater que la motiv ation générale et stéréotypée figurant dans le décret ne saurait
être d’aucune manière regardée comme satisfaisant aux exigences de la législation. Le décret se

borne à indiquer que «la présence et la conduite [de M.Diallo] ont compromis et continuent à
compromettre l’ordre public zaïrois, spécialement en matière économique, financière et
monétaire». La première partie de cette phrase ne fait que paraphraser la condition légale de toute

mesure d’expulsion selon le droit congolais, pui sque l’article15 de l’ordonnance-loi de1983
permet l’expulsion d’un étranger «qui, par sa présence ou par sa conduite, compromet ou menace
de compromettre la tranquillité ou l’ordre public». Quant à la seconde partie, elle apporte certes un
complément, mais d’une nature tellement vague qu’i l ne permet pas du tout de savoir en raison de

quelles activités la présence de M.Diallo a été estimée propre à menacer l’ordre public (dans le
même sens, mutatis mutandis , Certaines questions concernant l’entraide judiciaire en matière
pénale (Djibouti c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 2008, p. 231, par. 152).

La formule employée par l’auteur du décret équivaut donc, selon la Cour, à une absence de
motivation de la mesure d’expulsion.

Elle conclut donc que sur deux points importa nts, relatifs à des garanties procédurales

conférées aux étrangers par le droit congolais, et qui visent à protéger le
s personnes concernées
contre le risque d’arbitraire, l’expulsion de M.Diallo n’a pas été prononcée «conformément à la
loi». En conséquence, indépendamment de la qu estion de savoir si cette expulsion était justifiée
sur le fond, question sur laquelle e lle revient dans la suite de l’arrêt, la mesure litigieuse a violé

l’article 13 du Pacte et l’article 12, paragraphe 4, de la Charte africaine, ajoute la Cour. - 9 -

En outre, elle estime que la Guinée est fondée à soutenir que le droit reconnu par l’article 13
à l’étranger qui est sous le coup d’une mesure d’e xpulsion de «faire valoir les raisons qui militent

contre son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente», n’a pas été respecté
dans le cas de M. Diallo. Il est constant, en effet, que ni avant la signature du décret d’expulsion du
31octobre1995, ni postérieurement à cette signature mais avant la mise à exécution dudit décret
le31janvier1996, M.Diallo n’a été mis en mesure de faire valoir sa défe nse devant une autorité

publique compétente pour prendre en considération ses arguments et décider de la suite appropriée
qu’il convenait de leur donner, note la Cour.

Certes, comme la RDC l’a relevé, l’article13 du Pacte fait une exception au droit pour

l’étranger de faire valoir ses raisons dans le cas où «des raisons impérieuses de sécurité nationale»
s’y opposent. La défenderesse soutient que tel était précisément le cas en l’espèce. Mais la Cour
note qu’elle ne lui a fourni aucu n élément tangible de nature à établir l’existence de ces «raisons
impérieuses». Sans doute, poursuit la Cour, est -ce en principe aux autorités nationales qu’il

appartient d’apprécier les motifs d’ordre public qui peuvent justifier l’adop tion de telle ou telle
mesure de police. Mais lorsqu’il s’agit d’écarter une importante garantie procédurale prévue par un
traité international, on ne saurait s’en remettre purement et simplement à l’Etat en cause quant à
l’appréciation des conditions qui permettent d’écarte r, de manière exceptionnelle, ladite garantie.

Il appartient à l’Etat de démontrer que les «raisons impérieuses» exigées par le Pacte existaient, ou
à tout le moins que l’on pouvait conclure raisonnablement qu’elles existaient compte tenu des
circonstances qui entouraient la mesure d’expulsion.

En l’espèce, estime la Cour, une telle démonstr ation n’a pas été faite par la défenderesse.
Pour ce motif également, la Cour conclut que l’article13 du Pacte a été violé eu égard aux
conditions dans lesquelles M. Diallo a été expulsé.

b) La violation alléguée de l’article9, paragraphes1 et2, du Pacte et de l’article6 de la
Charte africaine (par. 75-85)

La Cour rappelle d’abord qu’aux termes de l’article 9, paragraphes 1 et 2, du Pacte :

«1. Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut

faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Nul ne peut être privé de
sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi.

2. Tout individu arrêté sera informé, au moment de son arrestation, des raisons

de cette arrestation et recevra notification, dans le plus court délai, de toute accusation
portée contre lui.»

Elle rappelle également qu’aux termes de l’article 6 de la Charte africaine :

«Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut
être privé de sa liberté sauf pour des mo tifs et dans des conditions préalablement
déterminés par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement.»

Selon la Guinée, les dispositions précitées ont été violées à l’occasion des arrestations et de
la détention de M.Diallo en1995-1996 aux fins de l’exécution du décret d’expulsion, pour
plusieurs raisons.

En premier lieu, les privations de liberté qu’ il a subies n’ont pas eu lieu «conformément à la
procédure prévue par la loi» au sens de l’article 9, paragraphe 1, du Pacte, ni «dans [les] conditions
préalablement determiné[e]s par la loi» au sens de l’article 6 de la Charte africaine.

En deuxième lieu, ces privations de liberté étaient «arbitraires» au sens de ces dispositions. - 10 -

En troisième lieu, M. Diallo n’a pas été, au moment de ses arrestations, informé des raisons
de celles-ci, ni n’a reçu notification des accusations portées contre lui, ce qui a constitué une

violation de l’article 9, paragraphe 2, du Pacte.

La Cour examine successivement le bien-fondé de chacune de ces assertions.

Au préalable, elle dit qu’il y a lieu de faire une remarque d’ordre général. Les dispositions
de l’article 9, paragraphes 1 et 2, du Pacte, ainsi que celles de l’article6 de la Charte africaine,
s’appliquent en principe à toute forme d’arrestation et de détention décidée et exécutée par une
autorité publique, quelle que soit sa base juridique et la finalité qu’elle poursuit (voir en ce sens, en
o
ce qui concerne le Pacte, l’observation générale du Comité des droits de l’hommen 8,
du30juin1982, relative au droit à la li berté et à la sécurité de la personne ( Comité des droits de
l’homme, Pacte, observation générale n o8: article9 (droit à la liberté et à la sécurité de la
personne)). Ces dispositions, note la Cour, n’ont donc pas un champ d’application limité aux

procédures pénales; elles s’appliquent aussi, en principe, aux mesures privatives de liberté prises
dans le cadre d’une procédure administrative, telles que celles qui peuvent être nécessaires dans le
but de mettre à exécution une mesure d’éloignemen t forcé d’un étranger du territoire national.
Dans cette dernière hypothèse, il importe peu que la mesure en cause soit qualifiée par le droit

interne d’«expulsion» ou de «refoulement». Il n’en va autrement qu’en ce qui concerne l’exigence,
qui figure au paragraphe2 de l’article9 du Pacte, que la personne arrêtée soit «informée de toute
accusation» portée contre elle, exigence qui ne se comprend que dans le cadre d’une procédure de
nature pénale.

La Cour en vient maintenant au premier des tr ois griefs de la Guinée, celui tiré de ce que
l’arrestation et la détention de M.Diallo n’étai ent pas conformes aux prescriptions de la loi de la
RDC. La Cour observe d’abord que l’arrestation de M. Diallo le 5 novembre 1995 et sa détention

jusqu’au 10 janvier 1996 (voir paragraphe 58 de l’arrêt) étaient destinées à permettre la mise à
exécution du décret d’expulsion pris à son encont re le 31octobre1995. La seconde arrestation,
intervenue au plus tard le 25janvier1996, visa it aussi à l’exécution du même décret:la mention,
figurant sur le procès-verbal notifié à l’intéressé le 31 janvier 1996, jour de son expulsion effective,

d’un «refoulement» pour «séjour irrégulier» ét ait manifestement err onée, comme la RDC,
d’ailleurs, en convient.

La Cour observe ensuite que l’article 15 de l’ordonnance-loi du 12 septembre 1983 relative à

la police des étrangers, dans sa rédaction en vigueur à l’époque de l’arrestation et de la détention de
M.Diallo, prévoyait que l’étranger «qui est sus ceptible de se soustraire à l’exécution» d’une
mesure d’expulsion peut être incarcéré pour une durée initiale de quarante-huit heures, pouvant être

«prorogée de quarante-huit heures en quarante-hu it heures, sans que la détention puisse dépasser
huit jours». La Cour constate que l’arrestation et la détention de M. Diallo n’ont pas été conformes
à ces dispositions. Rien n’indique que les auto rités de la RDC ont cherché à déterminer si
M.Diallo était «susceptible de se soustraire à l’exécution» du décret d’expulsion et, en

conséquence, s’il était nécessaire de le placer en détention. Le fait qu’il n’ait pas cherché à se
soustraire à l’expulsion après sa remise en liberté le 10 janvier 1996, laisse présumer qu’il n’y avait
pas de nécessité réelle à sa déten tion. La longueur totale de la pé riode au cours de laquelle il a été
détenu ⎯soixante-six jours à partir de sa première arrestation et au moins sixjours

supplémentaires à partir de la seconde arrestation ⎯ excède de beaucoup la durée maximale
autorisée par l’article15. En outre, ajoute la Cour, la RDC n’a produit aucune preuve tendant à
établir que sa détention a fait l’objet d’un réex amen toutes les quarante-huit heures, comme il est

exigé par cette disposition.

La Cour estime également, en réponse au deuxi ème grief susmentionné (voir paragraphe 76
de l’arrêt), que l’arrestation et la détention de M.Diallo ont été arbitraires au sens de l’article9,

paragraphe 1, du Pacte et de l’article 6 de la Charte africaine. - 11 -

Certes, en principe, une arrestation et une détention visant à exécuter une décision
d’expulsion prise par l’autorité compétente ne sauraient passer pour «arbitraires» au sens des textes

précités, quand bien même la légalité de la déci sion d’expulsion pourrait prêter à contestation,
précise la Cour. Dès lors, le seul fait que le décret du 31 octobre 1995 n’a pas été pris, à certains
égards, «conformément à la loi», comme la Cour l’ a constaté plus haut da ns son arrêt à propos de
l’article13 du Pacte et de l’article12, paragraphe 4, de la Charte africaine, ne suffit pas à rendre

l’arrestation et la détention destinées à mettre à exécution ledit décret «arbitraires» au sens de
l’article 9, paragraphe 1, du Pacte et de l’article 6 de la Charte africaine.

Toutefois, la Cour estime qu’il y a lieu, en l’espèce, de tenir compte du nombre et de la

gravité des irrégularités ayant entaché les détentions subies par M. Diallo. Comme il a été dit, il a
été détenu pendant une durée particulièrement l ongue, sans qu’il apparaisse que les autorités aient
même cherché à établir si sa détention était nécessaire.

En outre, la Cour ne peut que constater que non seulement le décret d’expulsion lui-même
n’était pas motivé de façon suffisamment précise, ainsi qu’il a été relevé plus haut (voir
paragraphe 72), mais que la RDC n’a jamais été à mê me, tout au long de la procédure, de fournir
des motifs qui puissent être de nature à donner un fondement convaincant à l’expulsion de

M. Diallo. Des allégations de «corruption» et d’autres infractions ont été formulées à son encontre,
mais aucun élément concret n’a été présenté à la Cour de nature à étayer ces allégations. Ces
accusations, précise la Cour, n’ont donné lieu à aucune poursuite devant les tribunaux, ni, a fortiori,
à aucune condamnation. En outre, il est difficile de ne pas percevoir un lien entre l’expulsion de

M. Diallo et le fait qu’il ait tenté d’obtenir le recouvrement des créances qu’il estimait être dues à
ses sociétés par, notamment, l’Etat zaïrois ou des entreprises dans lesquelles ce dernier détient une
part importante du capital, en saisissant à cette fin les juridictions civiles. Dans ces conditions,
l’arrestation et la détention visant à permettre l’exécution d’une telle mesure d’expulsion, qui ne

repose sur aucun fondement défendable, ne peuvent qu’être qualifiées d’arbitraires au sens de
l’article 9, paragraphe 1, du Pacte et de l’article 6 de la Charte africaine, estime la Cour.

Enfin, elle en vient à l’examen du grief relatif à l’article9, paragraphe2, du Pacte précité.

La Cour fait observer que, pour les raisons expo sées au paragraphe77 de l’arrêt, la Guinée ne
saurait utilement soutenir qu’au moment de ch acune de ses arrestations (ennovembre1995 et
janvier1996) M.Diallo n’aurait pas été inform é des «accusations portées contre lui» comme

l’aurait exigé, selon la demanderesse, l’article9, paragraphe2. Ce tte disposition particulière de
l’article 9 ne s’applique que dans le cas où une personne est arrêté e dans le cadre d’une procédure
pénale ; tel n’était pas le cas de M. Diallo, dit la Cour.

En revanche, elle ajoute que la Guinée est fondée à soutenir que le droit de M. Diallo d’être
«informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation» ⎯ droit qui est garanti en
toute matière, quel que soit le motif de l’arrestation ⎯ a été méconnu.

La Cour observe que la RDC n’a produit auc un document ni aucun autre élément de preuve
de nature à établir que le décret d’expulsion aura it été notifié à M.Diallo au moment de son
arrestation le 5 novembre 1995, ni qu’il aurait été informé de quelque manière, à ce moment, de la
raison pour laquelle il était arrêté. Bien que le décret d’expulsion manquât lui-même d’une

motivation précise comme il a été dit (voir paragraphe 72), la notification de ce décret au moment
de l’arrestation de M.Diallo aurait constitué une information suffi sante, aux fins de l’article9,
paragraphe2, précité, des raisons de cette arrest ation, puisqu’elle aurait indiqué à l’intéressé qu’il
était arrêté pour les besoins d’une procédure d’expulsion et lui aurait permis, le cas échéant,

d’engager les procédures appropriées en vue de contester la légalité du décret. Mais aucune
information de ce genre ne lui a été fournie ; la RDC, qui devrait être à même de prouver la date de
la notification du décret à M. Diallo, n’a présenté aucune preuve à cet effet, note la Cour.

Il en va de même, estime-t-elle, de l’arrestation de M. Diallo en janvier 1996. A cette date, il
n’a pas été davantage établi que l’intéressé ait été informé de ce qu’il était éloigné par la contrainte - 12 -

du territoire congolais en exécution d’un décret d’expulsion. De plus, le jour de son renvoi effectif,
il lui a été fourni l’information erronée qu’il éta it «refoulé» en raison de sa «situation irrégulière»

(voir par.50). Dans ces conditions, la Cour conclut que l’exigence d’information prévue à
l’article 9, paragraphe 2, du Pacte, n’a pas non plus été respectée à cette occasion.

c) La violation alléguée de l’interdiction de soumettre une personne détenue à des mauvais
traitements (par. 86-89)

La Cour rappelle que la Guinée soutient que M.Diallo a été soumis à des mauvais

traitements durant sa détention, dus aux conditions particulièrement pénibles de celle-ci, au fait
qu’il aurait été privé de son droit de communiquer avec ses avocats et avec l’ambassade de Guinée,
et au fait qu’il aurait reçu des menaces de mort de la part de ses gardiens. La demanderesse
invoque à cet égard l’article10, paragraphe 1, du Pacte, aux termes duquel: «Toute personne

privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne
humaine.»

Selon la Cour, sont également pertinentes, en la matière, les dispositi ons de l’article7 du

Pacte, selon lesquelles «[n]ul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants», et celles de l’article 5 de la Charte africaine , aux termes desquelles
«[t]out individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine». Il est certain, en

outre, que la prohibition des traitements inhumains ou dégradants fait partie des règles du droit
international général que les Etats sont tenus de respecter en toute circonstance, et en dehors même
de tout engagement conventionnel, dit la Cour.

Elle constate, toutefois, que la Guinée n’a pas démontré de façon suffisamment convaincante
que M.Diallo aurait été soumis lors de sa détention à de tels traitement s. L’allégation selon
laquelle il aurait reçu des menaces de mort n’est étayée par aucune preuve. Il semble bien que
M.Diallo ait pu communiquer avec ses proch es et ses avocats sans rencontrer de grandes

difficultés, et même si cela n’avait pas été le cas, de telles entraves n’ auraient pas constitué par
elles-mêmes des traitements prohibés par l’article10, paragraphe1, du Pacte et par le droit
international général. La question des communications de M. Diallo avec les autorités guinéennes
est distincte de celle du respect des dispositions présentement examinées et sera abordée au point

suivant, en relation avec l’article36, paragraphe1,alinéa b) de la convention de Vienne sur les
relations consulaires. Enfin, la circonstance que M.Diallo était nourri grâce aux vivres que ses
proches lui apportaient sur son lieu de détention ⎯ ce que la RDC ne conteste pas ⎯ ne suffit pas à
établir en elle-même l’existence de mauvais tra itements, dès lors que l’accès des proches à la

personne privée de liberté n’était pas entravé.

En conclusion, la Cour estime qu’il n’a pas été démontré que M. Diallo ait été soumis à des
traitements prohibés par l’article 10, paragraphe 1, du Pacte.

d) La violation alléguée des dispositions de l’article36, paragraphe1,alinéa b) de la

convention de Vienne sur les relations consulaires (par. 90-98)

Aux termes de l’article 36, paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations
consulaires :

«Si l’intéressé en fait la demande, les autorités compétentes de l’Etat de
résidence doivent avertir sans retard le poste consulaire de l’Etat d’envoi lorsque, dans
sa circonscription consulaire, un ressortissant de cet Etat est arrêté, incarcéré ou mis

en état de détention préventive ou toute autre forme de détention. Toute - 13 -

communication adressée au poste consulaire par la personne arrêtée, incarcérée ou
mise en état de détention préventive ou t oute autre forme de détention doit également

être transmise sans retard par lesdites autorités. Celles-ci doivent sans retard informer
l’intéressé de ses droits aux termes du présent alinéa.»

La Cour note que ces dispositions sont applicables, comme cela ressort de leurs termes

mêmes, à toute privation de liberté quelle qu’en soit la nature, même en dehors de tout contexte de
recherche des auteurs d’une infraction pénale. E lles sont donc applicables en l’espèce, ce que la
RDC ne conteste pas.

Selon la Guinée, les dispositions préc itées auraient été méconnues à l’occasion des
arrestations de M. Diallo en novembre 1995 et janvier1996, parce qu’il n’aurait pas alors été
informé «sans retard» de son droit de solliciter l’assistance des autorités consulaires de son pays.

Tout au long de la procédure écrite et lors du premier tour des plaidoiries, la RDC n’a pas
contesté l’exactitude, sur ce point, des allégations de la Guinée; elle n’a pas cherché à établir, ni
même prétendu, que l’information requise par la dernière phrase de la disposition précitée
avait été
fournie à M.Diallo, et qu’elle l’avait été «san s retard» comme il est exigé par le texte. La

défenderesse a répondu au grief de la demanderess e en mettant en avant deux arguments: d’une
part, la Guinée n’a pas apporté la preuve que M. Diallo avait demandé aux autorités congolaises
d’avertir sans retard le poste consulaire de Guin ée de sa situation; d’autre part, l’ambassadeur de
Guinée à Kinshasa était au courant de l’arrestatio n et de la détention de M.Diallo, comme le

prouvent les démarches qu’il a accomplies en sa fave ur. La Cour observe que c’est seulement en
réponse à la question posée par un juge lors de l’audience du26avril2010 que la RDC a affirmé
pour la première fois qu’elle ava it «informé oralement M.Diallo aussitôt après sa détention de la
possibilité de solliciter l’assistance consulaire de son Etat» (réponse écrite de la RDC remise au

greffe le 27avril2010, confirmée oralement à l’audience du 29avril, lors du second tour de
plaidoiries).

La Cour constate que les deux arguments mis en avant par la RDC jusqu’au second tour de

plaidoiries sont dépourvus de pertinence. Elle ajoute que c’est aux autorités de l’Etat qui procède à
l’arrestation qu’il appartient d’informer spontan ément la personne arrêtée de son droit à demander
que son consulat soit averti ; le fait que cette pe rsonne n’ait rien demandé de tel, non seulement ne
justifie pas le non-respect de l’obligation d’inform er qui est à la charge de l’Etat qui procède à

l’arrestation, mais pourrait bien s’expliquer justement, dans cer tains cas, par le fait que cette
personne n’a pas été informée de ses droits à cet égard ( Avena et autres ressortissants mexicains
(Mexique c.Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.Recueil2004 (I) , p.46, par.76). Par ailleurs, le

fait que les autorités consulaires de l’Etat de na tionalité de la personne arrêtée aient été informées
par d’autres voies de l’arrestation de cette pers onne ne fait pas disparaître la violation de
l’obligation d’informer cel le-ci «sans retard» de ses droits, lorsque cette violation a été commise,
estime la Cour.

Quant à l’affirmation de la RDC, présentée dans les conditions ci-dessus décrites, selon
laquelle M.Diallo avait été «informé oralement» de ses droits dès le moment où il a été arrêté, la
Cour ne peut manquer de relever qu’elle est arriv ée très tard dans la procédure, alors que ce point

était en cause depuis le début, et qu’elle n’est pas assortie du moindre élément de nature à la
corroborer. La Cour ne saurait donc lui prêter crédit.

En conséquence, la Cour conclut qu’il y a eu viol ation, de la part de la RDC, de l’article 36,

paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consulaires.

La Guinée a soutenu par ailleurs que l’expuls ion de M.Diallo, étant donné les conditions
dans lesquelles elle avait été mise à exécution, a violé son droit de propriété, garanti par l’article 14

de la Charte africaine, parce que l’intéressé a ét é contraint de quitter le territoire congolais en y
laissant la plus grande partie de ses biens. - 14 -

De l’avis de la Cour, cet aspect du différend se rapporte moins à la question de la licéité de
l’expulsion de M.Diallo au re gard des obligations internationales de la RDC, qu’à celle du

dommage que M.Diallo a subi du fait des actes in ternationalement illicites dont il a été victime.
La Cour l’examinera donc plus loin dans le prés ent arrêt, dans le cadre de la question de la
réparation due par la défenderesse (voir paragraphes 160-164 de l’arrêt).

III. LA PROTECTION DES DROITS PROPRES DE M. D IALLO EN TANT QU ’ASSOCIÉ DES
SOCIÉTÉS A FRICOM -Z AÏRE ET AFRICONTAINERS -Z AÏRE (par. 99-159)

En l’espèce, la Cour remarque qu’il importe t out particulièrement de clarifier les questions
de l’existence juridique des sociétés privées à re sponsabilité limitée (ci-après: «SPRL») de droit
zaïrois Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre, et de la participation et du rô le de M.Diallo dans

celles-ci, puisque les points de vue des Parties divergent en la matière.

Après un examen attentif de la situation (par.99-113), la Cour parvient à la conclusion que
M.Diallo, en tant que gérant comme en tant qu ’associé des deux sociétés, dirigeait et contrôlait

celles-ci pleinement, mais que ces dernières demeuraient néanmoins des entités juridiques
distinctes de sa personne. Elle aborde ensuite l es différentes demandes de la Guinée relatives aux
droits propres de M.Diallo en tant qu’associé. Ce faisant, elle doit déterminer si, en droit
congolais, les droits revendiqués constituent effectivement des droits propres de l’associé, ou s’ils

constituent plutôt des droits ou obligations des so ciétés. Comme la Cour l’a déjà rappelé, les
demandes portant sur des droits autres que des droi ts propres de M.Diallo en tant qu’associé ont
été déclarées irrecevables dans son arrêt du 24 mai 2007 ; elle ne peut donc plus les examiner. Tel

est en particulier le cas des demandes concernant les droits contractuels d’Africom-Zaïre contre
l’Etat zaïrois (RDC), d’une part, et d’Africontainers-Zaïre contre les sociétés Gécamines, Onatra,
Fina et Shell, d’autre part.

Dans les motifs suivants, la Cour veille à maintenir strictement la distinction entre les
atteintes alléguées aux droits des deux SPRL en cau se et les atteintes alléguées aux droits propres
de M. Diallo en tant qu’associé de celles-ci (voir C.I.J. Recueil 2007 (II), p. 605-606, par. 62-63).

Les demandes relatives aux droits propres de M.Diallo en tant qu’associé formulées par la
Guinée concernent le droit de prendre part aux assemblées générales des deux SPRL et d’y voter, le
droit de nommer un gérant et le droit de surveille r et de contrôler la gérance des sociétés. La
Guinée présente également une demande relative au dr oit de propriété de M.Diallo sur ses parts

sociales dans les sociétés Africom-Zaïre et Afric ontainers-Zaïre. La Cour examine ces différentes
demandes.

A. Le droit de prendre part aux assemblées générales et d’y voter (par. 117-126)

La Guinée soutient qu’en expulsant M. Diallo, la RDC l’a privé de son droit de prendre part
aux assemblées générales et d’y voter, droit garanti par l’article79 du décret congolais du

27février1887 sur les sociétés commerciales. E lle affirme que, en vertu du droit congolais, les
assemblées générales d’Africom-Zaïre et d’Africontainers-Zaïre ne pouvaient se tenir en dehors du
territoire de la RDC. La Guinée admet que M. Diallo aurait certes pu exercer ses droits d’associé à

partir d’un territoire étranger en se faisant représenter par un mandataire de son choix, en
application de l’article81 du décret de1887, mais elle fait valoir que la désignation d’un
mandataire est uniquement une possibilité offerte à l’associé, dont le droit reconnu est clairement
d’avoir le choix de désigner une personne pour le représenter ou de siéger en personne. La Guinée

ajoute que, dans le cas d’Africontainers-Zaïre, il aurait été impossible à M.Diallo de se faire
représenter par un mandataire puisque l’article 22 des statuts de la société stipule qu’un associé ne
peut être représenté que par un autre associé et que M. Diallo était devenu le seul associé de cette

SPRL au moment de son expulsion. - 15 -

La RDC soutient qu’il ne peut y avoir eu violation du droit de M. Diallo de prendre part aux
assemblées générales, dans la mesure où rien ne prouve qu’une assemblée générale ait été

convoquée et que M.Diallo n’ait pu s’y rendre en raison de son éloignement du territoire de la
RDC. Elle affirme que, en tout état de cau se, le droit commercial congolais n’impose aucune
obligation aux sociétés commerciales quant au lieu où une assemblée générale doit se tenir.

La Cour observe qu’en droit congolais, le dro it de prendre part aux assemblées générales et
d’y voter appartient aux associés et non à la société. La Cour aborde ensuite la question de savoir
si la RDC, en expulsant M.Diallo, a privé celui -ci de son droit de pre ndre part aux assemblées
générales et d’y voter, tel que garanti par le d écret congolais du 27février1887 sur les sociétés

commerciales.

A la lumière des éléments de preuve que les Parties lui ont présentés, elle conclut que rien ne
prouve que M.Diallo, agissant en qualité de gérant ou d’associé détenteur d’au moins un

cinquième du nombre total des parts sociales, ait pris la moindre mesure pour convoquer une
assemblée générale, soit après son expulsion de la RDC, soit à un quelconque moment après 1980,
alors qu’il résidait en RDC. La Cour relève à cet égard qu’il n’a pas non plus été prouvé que
M. Diallo aurait été empêché d’agir pour convoque r des assemblées générales depuis l’étranger, en

qualité de gérant ou d’associé.

La Cour rappelle que le droit de l’associ é de prendre part et de voter aux assemblées
générales peut être exercé par lui-même en personne ou par l’intermédiaire d’un mandataire de son

choix. Il ne fait pas de doute à cet égard que le vote exprimé par un ma ndataire à une assemblée
générale a le même effet juridique que celui e xprimé par l’associé lui-même. En revanche, il est
plus difficile de déduire avec certitude des dispos itions précitées qu’elles consacreraient, ainsi que
le soutient la Guinée, le droit pour l’associé d’ assister en personne aux assemblées générales. De

l’avis de la Cour, ces dispositions ont pour finalité première d’assurer que les assemblées générales
des sociétés puissent utilement se tenir. L’interp rétation du droit congolais retenue par la Guinée
pourrait contrecarrer cet objectif, en permettant à un associé de bloquer le fonctionnement normal
des organes sociétaires. Il est douteux, estime la Cour, que le législateur congolais ait pu vouloir

un tel résultat, fort éloigné de l’ affectio societatis . En ce qui concerne Africom-Zaïre et
Africontainers-Zaïre, la Cour ne perçoit pas en quoi la désignation par M. Diallo d’un représentant
aurait pu, d’une quelconque manière, porter concrètement atteinte à son droit de prendre part et de

voter aux assemblées générales des deux SPRL, puisqu’il les contrôlait complètement.

Par ailleurs, en ce qui concerne Africontaine rs-Zaïre, la Cour esti me ne pas pouvoir faire
droit à l’argument de la Guinée selon lequel il aurait été impossible à M.Diallo de se faire

représenter à une assemblée générale par un mandataire autre que lui-même au motif qu’il était le
seul associé de cette SPRL et que l’article22 des statuts d’Africontainers-Zaïre stipule qu’un
associé ne peut désigner qu’un autre associé pour le représenter. Ainsi que la Cour l’a fait observer
ci-dessus (voir paragraphe110), cette société compte deuxassociés: M.Diallo et Africom-Zaïre.

Dès lors, en application de l’article22 précité, M.Diallo pouvait, en sa qualité d’associé
d’Africontainers-Zaïre, désigner le «représenta nt ou… préposé» d’Africom-Zaïre pour le
représenter à une assemblée générale d’Africontainers-Zaïre. Au préalable, il aurait pu, en sa
qualité de gérant d’Africom-Zaïre et en vertu de l’article 69 du décret de 1887 (voir paragraphe 135

de l’arrêt), désigner un tel «représentant ou … préposé» de cette société.

En conséquence, la Cour conc lut qu’elle ne peut accueillir l’allégation de la Guinée selon
laquelle la RDC a violé le droit de M. Diallo de prendre part aux assemblées générales et d’y voter.

En expulsant M.Diallo, la RDC l’a probablement empêché de prendre part en personne à une
éventuelle assemblée générale, mais , de l’avis de la Cour, une te lle entrave n’équivaut pas à une
privation de son droit de prendre part aux assemblées générales et d’y voter. - 16 -

B. Les droits relatifs à la gérance (par. 127-140)

La Cour note que la Guinée a avancé, à divers stades de la procédure, quatre affirmations
légèrement différentes, qu’elle a regroupées sous un seul et même chef, selon lequel il y aurait eu
violation du droit de M.Diallo de «nommer un gérant». Elle a ainsi soutenu que, en expulsant
M.Diallo de manière illicite, la RDC a commis: une violation du droit que l’intéressé aurait de

nommer un gérant, une violation du droit qu’il aurait d’être nommé gérant, une violation du droit
qu’il aurait d’exercer les fonctions de gérant et une violation du droit qu’il aurait de ne pas être
révoqué en tant que gérant.

La RDC affirme notamment que le droit de no mmer le gérant d’une SPRL est un droit de la
société, et non de l’associé, puisqu’il s’agit d’un droit de l’assemblée générale, qui est un organe de
la société. Elle affirme aussi que, à la suite de son expulsion, M. Diallo a bien nommé M. N’Kanza
gérant d’Africontainers-Zaïre.

La Cour relève que la nomination et les fonctions des gérants sont régies, en droit congolais,
par le décret de 1887 sur les soci étés commerciales et par les statuts de la société concernée. Elle
commence par écarter l’argument de la RDC selon le quel le droit de M. Diallo de nommer un gérant

n’a pas pu être violé puisque l’intéressé a en réalité nommé un gérant d’Africontainers-Zaïre en la
personne de M.N’Kanza. Elle a en effet conclu que ce fait n’avait pas été établi (voir
paragraphes 111 et 112 de l’arrêt).

S’agissant de la première allégation formulée par la Guinée, selon laquelle la RDC a violé le
droit de M.Diallo de nommer un gérant, la Cour note que la nomination du gérant relève de la
responsabilité de la société elle-même, sans c onstituer un droit de l’associé et conclut en
conséquence que l’argument de la Guinée selon leque l la RDC a violé le droit de M.Diallo de

nommer un gérant doit être rejeté.

S’agissant de la deuxième allégation avancée pa r la Guinée, selon laquelle la RDC a violé le
droit de M. Diallo d’être nommé gérant, la Cour observe notamment que ce droit ne peut avoir été

violé en l’espèce, puisque, de fait, M.Diallo a bi en été nommé gérant, et demeure le gérant des
deux sociétés en question.

S’agissant de la troisième allégation de la Guinée, selon laquelle le droit de M.Diallo

d’exercer ses fonctions de gérant avait été violé, la Cour remarque notamment que, s’il est vrai
qu’il a pu être plus difficile pour M.Diallo d’ exercer ses fonctions de gérant du fait qu’il se
trouvait hors du territoire de la RDC, la Guinée n’a pas démontré que cela lui avait été impossible.
La Cour relève qu’en fait, il ressort clairement de différents documents qui lui ont été soumis que,

même après l’expulsion de M. Diallo, des représen tants d’Africontainers-Zaïre ont continué à agir
au nom de cette société en RDC et de négocier av ec la société Gécamines au sujet de réclamations
contractuelles. En conséquence, la Cour conclut que l’argument de la Guinée selon lequel la RDC
a violé le droit de M. Diallo d’exercer ses fonctions de gérant doit être rejeté.

S’agissant de la quatrième allégation de la Gu inée, selon laquelle la RDC avait violé le droit
de M.Diallo de ne pas être révoqué en tant que gérant, la Cour indique que, s’il est vrai que,
comme indiqué ci-dessus, il a pu être plus difficile pour l’intéressé d’exercer ses fonctions depuis

l’étranger à la suite de son expulsion, M.Di allo est néanmoins demeuré, d’un point de vue
juridique, le gérant d’Africom-Zaïre et d’Africontainers-Zaïre. En conséquence, elle conclut que
l’argument de la Guinée selon lequel la RDC a violé le droit de M. Diallo de ne pas être révoqué en
tant que gérant doit être rejeté.

Au vu de tout ce qui précède, la Cour conclut que les diverses allégations de la Guinée
regroupées sous le chef de la violation des droits de M.Diallo relatifs à la gérance doivent être
rejetées. - 17 -

C. Le droit de surveiller et de contrôler les actes accomplis par la gérance (par. 141-148)

La Cour estime que, quand bien même il existerait, dans les sociétés dont la direction et le
contrôle sont pleinement assurés par un seul associ é, un droit de surveiller et de contrôler la
gérance, M. Diallo n’aurait pu être privé du droit de surveiller et de contrôler la gérance des deux
sociétés. S’il est peut-être vrai que les détenti ons et l’expulsion de M.Diallo ont rendu plus

difficile l’activité commerciale des sociétés, e lles n’ont pu en aucun cas empêcher celui-ci de
surveiller et de contrôler la gérance, quel que soit l’endroit où il se trouvait. En conséquence, la
Cour conclut que l’alléga tion de la Guinée selon laquelle la RDC a violé le droit de M.Diallo de
surveiller et de contrôler la gérance ne saurait être accueillie.

D. Le droit de propriété de M. Diallo sur ses parts sociales dans les sociétés Africom-Zaïre
et Africontainers-Zaïre (par. 149-159)

La Cour fait d’abord observer que le droit inte rnational a maintes fois reconnu le principe de
droit interne selon lequel une société possède une personnalité juridique distincte de celle de ses
actionnaires. Ceci demeure vrai s’agissant d’ une SPRL qui serait devenue unipersonnelle dans le

cas d’espèce. Dès lors, dit la Cour, les droits et l es biens de la société doivent être distingués de
ceux de l’associé. A cet égard, l’idée avancée par la Guinée, selon laquelle le patrimoine de la
société se confond avec celui de l’actionnaire, ne saurait se défendre en droit. En outre, il convient
de noter que les responsabilités de la société ne sont pas celles de l’actionnaire. Dans le cas de la

SPRL Africontainers-Zaïre, il est expressément indiqué dans ses statuts que «[c]haque associé n’est
responsable des engagements de la société que jusqu’à concurrence du montant de sa participation»
(art. 7 ; voir aussi paragraphes 105 et 115 de l’arrêt).

La Cour rappelle qu’elle a d’ores et déjà indiqué que la RDC n’avait pas violé le droit propre
de M. Diallo en tant qu’associé de prendre part et de voter aux assemblées générales des sociétés,
pas plus que son droit d’être nommé ou de demeur er gérant ou son droit de surveiller et de
contrôler les actes accomplis par la gérance (voir paragraphes117-148 de l’arrêt). La Cour

souligne une nouvelle fois que les autres droits propres de M.Diallo se rapportant à ses parts
sociales doivent être clairement distingués de ceux des SPRL, en particulier en ce qui concerne les
droits de propriété des sociétés. La Cour indique à cet égard que, de même que ses autres avoirs, y
compris ses créances à l’égard de tiers, le capital fait partie du patrimoine de la société, tandis que

les associés sont propriétaires d es parts sociales. Ces dernières représentent le capital sans se
confondre avec lui, et confèrent à leurs détenteurs des droits dans le fonctionnement des sociétés,
ainsi qu’un droit à percevoir un éventuel dividende ou tout autre montant en cas de liquidation des
sociétés. Les seuls droits propres de M.Diallo que la Cour doit encore examiner ont trait à ces

deux derniers aspects, à savoir la perception de dividendes ou de tout autre montant payable en cas
de liquidation des sociétés. Il n’existe cependa nt aucune preuve de ce que des dividendes aient
jamais été déclarés ou qu’une quelconque mesure ait été prise pour liquider les sociétés, et encore
moins de ce que les droits de M.Diallo à cet égard aient été violés par un quelconque acte

attribuable à la RDC.

Enfin, la Cour estime n’avoir nul besoin de déterminer l’étendue des activités commerciales
des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre à l’époque où M.Diallo a été expulsé ni de se

prononcer sur leur éventuel état de «faillite non déclarée», tel qu’invoqué par la RDC.

La Cour conclut de ce qui précède que les allégations, formulées par la Guinée, d’atteinte au
droit de propriété de M.Diallo sur ses parts sociales dans les sociétés Africom-Zaïre et

Africontainers-Zaïre ne sont pas établies. - 18 -

IV. RÉPARATIONS (par. 160-164)

La Cour ayant conclu que la République démocratique du Congo avait violé les obligations
lui incombant en vertu des articles9 et 13 du Pact e international relatif aux droits civils et
politique, des articles 6 et 12 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que

de l’alinéa b) du paragraphe1 de l’article36 de la convention de Vienne sur les relations
consulaires (voir paragraphes73, 74, 85 et97), il lui appartient à présent de déterminer, à la
lumière des conclusions finales de la Guinée, que lles sont les conséquences découlant de ces faits
internationalement illicites qui engagent la responsabilité internationale de la RDC.

La Cour rappelle que «la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences
de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vramblablement existé si ledit acte n’avait pas été
commis» (Usine de Chorzów, C.P.J.I. sérieA n o17, p.47). Lorsque cela n’est pas possible, la

réparation peut prendre «la forme de l’indemnisation ou de la satisfaction, voire de l’indemnisation
et de la satisfaction» ( Usines de pâte à papier sur le fle uve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt
du 20 avril 2010, par. 273). Au vu des circonstances pr opres à l’espèce, en particulier du caractère
fondamental des obligations relatives aux droits de l’homme qui ont été violées et de la demande de

réparation sous forme d’indemnisa tion présentée par la Guinée, la Cour est d’avis que, outre la
constatation judiciaire desdites violations, la réparation due à la Guinée à raison des dommages
subis par M. Diallo doit prendre la forme d’une indemnisation.

A cet égard, dans ses conclusions finales, la Guinée a demandé à la Cour de surseoir à statuer
sur le montant de l’indemnité, afin de permettre a ux Parties de parvenir à un règlement concerté.
Dans l’hypothèse où les Parties ne pourraient, «dan s un délai de six mois suivant le prononcé d[u

présent] arrêt», s’accorder à ce sujet, la Guinée l’ a également priée de l’autoriser à présenter une
évaluation du montant de l’indemnité qui lui est due afin que la Cour puisse en décider «dans une
phase ultérieure de la procédure» (voir paragraphe 14 de l’arrêt).

La Cour estime que les Parties doivent e ffectivement mener des négociations afin de
s’entendre sur le montant de l’indemnité devant être payée par la RDC à la Guinée à raison du
dommage résultant des détentions et de l’expuls ion illicites de M. Diallo en 1995-1996, y compris

la perte de ses effets personnels qui en a découlé.

La requête introductive d’instance ayant été dé posée, en la présente affaire, au mois de
décembre1998, la Cour estime qu’une bonne admini stration de la justice commande de clore la

procédure dans les meilleurs délais ; elle considère donc que la période consacrée à la négociation
d’un accord sur le montant de l’indemnité doit être limitée. Par conséquent, la Cour décide que,
dans l’hypothèse où les Parties ne parviendraient pas, dans un délai de six mois suivant le prononcé
du présent arrêt, à s’entendre sur le montant de l’indemnité due par la RDC, la question devra être

régléeparlaCour elle-même dans une phase ultérieure de la procédure. Etant suffisamment
informée des faits de la présente espèce la Cour juge que, dans ce cas, un seul échange de pièces de
procédure écrite lui serait suffisant pour fixer ce montant.

V. D ISPOSITIF (par. 165)

mcotifs,

L A C OUR ,

1) Par huit voix contre six,

Dit que la demande de la République de Guinée re lative à l’arrestation et à la détention de
M. Diallo en 1988-1989 est irrecevable ; - 19 -

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président ; MM. Abraham, Keith,
Sepúlveda-Amor, Skotnikov, Greenwood, juges ; M. Mampuya, juge ad hoc ;

CONTRE : MM.Al-Khasawneh, Simma, Bennouna, Cançado Trindade, Yusuf, juges ;
M. Mahiou, juge ad hoc ;

2) A l’unanimité,

Dit que, eu égard aux conditions dans lesque lles M.Diallo a été expulsé du territoire
congolais le 31janvier1996, la République démo cratique du Congo a violé l’article13 du Pacte

international relatif aux droits civ ils et politiques, ainsi que l’article 12, paragraphe 4, de la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples ;

3) A l’unanimité,

Dit que, eu égard aux conditions dans lesquelles M.Diallo a été arrêté et détenu
en1995-1996 en vue de son expulsion, la République démocratique du Congo a violé l’article9,

paragraphes 1 et 2, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que l’article 6
de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;

4) Par treize voix contre une,

Dit que, en n’informant pas sans retard M. Dia llo, lors de sa détention en 1995-1996, de ses
droits en vertu de l’alinéa b) du paragraphe1 de l’ article 36 de la conven tion de Vienne sur les
relations consulaires, la Républi que démocratique du Congo a violé les obligations lui incombant

en vertu dudit alinéa ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président ; MM. Al-Khasawneh, Simma,
Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna , Skotnikov, Cançado Trindade, Yusuf,

Greenwood, juges ; M. Mahiou, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Mampuya, juge ad hoc ;

5) Par douze voix contre deux,

Rejette le surplus des conclusions de la Républi que de Guinée relatives aux conditions dans
lesquelles M. Diallo a été arrêté et détenu en 1995-1996 en vue de son expulsion ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président ; MM. Al-Khasawneh, Simma,
Abraham, Keith, Sepúlveda-Amor, Bennouna, Skotnikov, Yusuf, Greenwood, juges ;
M. Mampuya, juge ad hoc ;

CONTRE : M. Cançado Trindade, juge ; M. Mahiou, juge ad hoc ;

6) Par neuf voix contre cinq,

Dit que la République démocratique du Congo n’a pas violé les droits propres de M. Diallo
en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre ;

POUR : M. Owada, président ; M. Tomka, vice-président; MM.Simma, Abraham, Keith,
Sepúlveda-Amor, Skotnikov, Greenwood, juges ; M. Mampuya, juge ad hoc ;

CONTRE : MM.Al-Khasawneh, Bennouna, Cançado Trindade, Yusuf, juge ; M.Mahiou,

juge ad hoc ;

7) A l’unanimité, - 20 -

Dit que la République démocra tique du Congo a l’obligation de fournir une réparation
appropriée, sous la forme d’une indemnisation, à la République de Guinée pour les conséquences

préjudiciables résultant des violations d’obligations internationales visées aux points2 et 3
ci-dessus ;

8) A l’unanimité,

Décide que, au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet dans les six mois
à compter du présent arrêt, la question de l’in demnisation due à la République de Guinée sera
réglée par la Cour, et réserve à cet effet la suite de la procédure.

MM. les juges Al-Khasawneh, Simma, Bennouna, Cançado Trindade et Yusuf joignent une
déclaration commune à l’arrêt; MM.les juges Al-K hasawneh et Yusuf joig nent à l’arrêt l’exposé
de leur opinion dissidente commune ; MM. les jug es Keith et Greenwood joignent une déclaration

commune à l’arrêt; M.le juge Bennouna joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente;
M.lejuge Cançado Trindade joint à l’arrêt l’ exposé de son opinion individuelle; M.le juge
ad hoc Mahiou joint à l’arrêt l’exposé de son opinion dissidente ; M. le juge ad hoc Mampuya joint
à l’arrêt l’exposé de son opinion individuelle.

___________ Annexe au résumé n 2010/3

Déclaration commune de MM le.s juges Al-Khasawneh, Simma, Bennouna,
Cançado Trindade et Yusuf

Les juges Al-Khaswaneh, Simma, Bennouna, Cançado Trindade et Yusuf ont voté contre le

paragraphe premier du dis positif de l’arrêt, selon lequel «la demande de la République de Guinée
relative à l’arrestation et à la détention de M. Di allo en 1988-1989 est irrecevable», car ils estiment
que cette demande, même présentée tardivement, relève de l’objet du différend tel que défini dans
la requête introductive d’instance.

Les juges regrettent que la majorité se soit contentée d’une analyse formelle des conditions
d’arrestation et de détention de M. Diallo en 1988-1989 et en 1995-1996, et des bases juridiques
alléguées par la RDC pour y procéder, sans se soucier de la continuité qui existe entre les mesures

de détention de M.Diallo et les tentatives de recouvrement des créances qui seraient dues aux
sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre pa r l’Etat et par des entreprises congolaises. Selon
les juges, les deux mesures de détention en 19 88-1989 et en 1995-1996 sont inspirées par les
mêmes motifs et revêtent le même caractère arbitraire.

En outre, la République démocratique du Congo ayant été informée assez tôt, par la Guinée,
de la nouvelle demande relative aux faits intervenus en 1988-1989 et ayant eu la possibilité de les
contester lors des plaidoiries orales qui ont eu lieu en avril2010, les juges estiment que la Cour

disposait des éléments pour se prononcer sur toutes les violations du droit international commises
par la RDC en la personne de M. Diallo. La Cour aurait, selon les juges, en statuant sur la nouvelle
demande, satisfait aux exigences de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice,
dans une affaire fondée sur l’exercice de la prot ection diplomatique dont le champ d’application

inclut les droits de l’homme internationalement garantis.

Opinion dissidente commune de MM. les juges Al-Khasawneh et Yusuf

Dans leur opinion dissidente commune, l es juges Al-Khasawneh et Yusuf exposent les
raisons pour lesquelles ils se dissocient du paragr aphe6 du dispositif, aux termes duquel la Cour
«[d]it que la R[DC] n’a pas violé les droits propres de M.Diallo en tant qu’associé des sociétés

Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre».

Au contraire, font valoir les deux juges, une grande injustice a été commise envers
M. Diallo, touchant non seulement ses droits en tant que personne mais également ses droits en tant

qu’associé, du fait de son arrestation et de son e xpulsion, lesquelles avaient pour but ou, à tout le
moins, ont eu pour effet de faire subir à ses sociétés de lourdes pertes.

Cette injustice est d’autant plus profonde que, à la différence du cas examiné en l’affaire de

la Barcelona Traction, M.Diallo ne formait qu’un avec se s deux sociétés, dont il était le seul
associé/gérant.

Il s’agit là d’un précédent dangereux pour les petits investisseurs non protégés par des traités
bilatéraux ou multilatéraux. Que le seul associé, ou ce rtains d’entre eux, soit expulsé, et la société

ne bénéficiera d’aucune protection, dès lors qu’e lle est enregistrée dans l’Etat auquel est imputé
l’acte illicite. Une telle mesure revient, de fa it, à une expropriation indirecte non assortie d’une
indemnisation ni même de la nécessité de démontrer l’existence d’un intérêt public qui viendrait la

légitimer.

Les investisseurs protégés par des traités seront couverts; si eux ne peuvent que s’en
féliciter, cela crée une situation juridique fort peu sa tisfaisante où la protection garantie par le droit

des investissements à certains est plus important e que celle demandée par la Guinée, tandis que, - 2 -

pour des damnés de la terre tels que M.Diallo, la norme de droit coutumier appliquée sera peu
élevée.

Une lecture plus attentive de la Barcelona Traction ne justifie pas la faiblesse de la norme
appliquée en matière de protection dans l’arrêt de 2007 et dans le présent arrêt. La Barcelona
Traction mettait en jeu une relation triangulaire (Esp agne, Canada et Belgique) et, dans cette

affaire, la protection diplomatique n’a jamais relevé du domaine de la fiction. Ici, la relation est
bilatérale, et l’Etat de nationalité de la so ciété n’a aucun moyen d’exercer la protection
diplomatique.

Au surplus, la taille de la société importe bel et bien et les rôles de l’associé et du gérant sont
pertinents. La Cour applique une solution toute fa ite, qui conduit à des résultats surréalistes. Elle
estime que M. Diallo aurait dû tenir des assemblées générales avant que la Cour ne puisse conclure
à la violation de ses droits propres en tant qu’associé… mais pourquoi un unique associé/gérant

impécunieux et en exil devrait-il se réunir en assemblée générale avec lui-même ?

En ce qui concerne la question plus centrale du droit de M. Diallo à «posséder ses sociétés»,
la Cour n’a pas pris en compte les important s développements du droit conventionnel régissant

l’investissement et du droit relatif aux droits de l’homme qui auraient assuré à M. Diallo une voie
de recours. Ayant étudié ces domaines du droit, les deux juges en sont venus à la conclusion que le
droit était plus avancé et nuancé que ne l’était l’ arrêt de la Cour. Celle-ci a manqué l’occasion qui
lui était offerte de rendre justice à M. Diallo et d’aligner, ce faisant, la norme de droit coutumier sur

celle appliquée au titre du droit contemporain régissant les investissements étrangers.

Déclaration commune de MM. les juges Keith et Greenwood

Dans leur déclaration commune, les jugesKeith et Greenwood exposent les raisons qui les
amènent à se dissocier de l’interprétation que donne la Cour des dispositions du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques et de la Ch arte africaine des droits de l’homme et des peuples

régissant l’expulsion de non-ressortissants. La Cour estime que ces dispositions interdisent les
expulsions revêtant un caractère arbitraire, en ménag eant à une instance judiciaire la possibilité de
se prononcer sur la question de savoir si une expulsion est justifiée sur le fond. Le désaccord des
juges avec cette interprétation repose sur : les te rmes des dispositions visées qui n’imposent pas de

limite fondée sur l’interdiction de l’arbitraire; la comparaison avec les termes employés dans les
dispositions des deux instruments qui, elles, fixent expressément à ce titre des limites substantielles
à toute ingérence dans les droits qu’elles énoncent ; l’historique de la rédaction des dispositions du
pacte; et les avis du Comité des droits de l’homme et de la commission africaine des droits de

l’homme et des peuples.

Les juges Keith et Greenwood soulignent que, en imposant la promulgation et l’application
de législations internes régissant l’expulsion et, da ns le cas du Pacte, le respect de certains droits

procéduraux particuliers, le Pacte et la Charte offrent d’importantes protections contre les mesures
arbitraires. «L’histoire de la liberté», a écrit un au teur bien inspiré, «coïncide pour une large part
avec celle du respect des garanties procédurales». Les faits de l’espèce démontrent, selon les juges,
le bien-fondé de cette thèse: les arrestations et détentions qui ont précédé l’expulsion étaient

illicites du fait d’inacceptables violations des prescripti ons de la loi de la RDC, et l’expulsion
elle-même violait en outre les obligations de natu re procédurale énoncées dans le Pacte. Compte
tenu de ces violations, les juges font leurs les conclusions auxquelles est parvenue la Cour au sujet
des arrestations, des détentions et de l’expulsion. - 3 -

Opinion dissidente de M. le juge Bennouna

Le juge Bennouna considère que le caractère arbitraire de l’arrestation, de la détention et
finalement de l’expulsion de M.Diallo de la République démocratique du Congo a eu pour
conséquence la violation de ses droits propres en tant qu’associé unique des deux sociétés
Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre. La Cour n’a pas retenu cette violation dans la mesure où,

selon le juge Bennouna, elle s’est en fermée dans une analyse formaliste sans lien avec la réalité de
cette affaire, puisque l’Etat c ongolais a chassé M.Diallo de son territoire pour que celui-ci ne
puisse plus exercer ses droits propres en tant qu’associé unique de ses deux sociétés. La
République démocratique du Congo, en entravant l’ exercice par M. Diallo de ses droits propres en

tant qu’associé a donc, selon le juge Bennouna, commis des actes illicites qui engagent sa
responsabilité internationale.

Opinion individuelle de M. le juge Cançado Trindade

1. Dans son opinion individuelle, composée de 13parties, le juge CançadoTrindade, qui a
voté pour les points 2, 3, 4, 7 et 8 du dispositif du présent arrêt de la Cour et contre les points 1, 5 et

6, expose les fondements de sa position personnelle sur les questions examinées dans ledit arrêt. Il
commence par identifier (partieI) le sujet des droits et l’ objet de la demande en l’espèce: en
réalité, la présente affaire concerne les droits individuels de M. A.S. Diallo, à savoir son droit à la
liberté et à la sécurité de sa personne, son dro it de ne pas être expulsé d’un Etat sans fondement

juridique, et son droit individuel à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des
garanties d’une procédure régulière.

2. Il se penche ensuite sur le droit applicable en l’espèce (partie II), à savoir les dispositions
pertinentes du Pacte relatif aux droits civils et politiques adopté en 1966 par les NationsUnies
(paragraphes 1 à 4 de l’article 9 et article 13), de la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples de 1981 (article6 et paragr aphe4 de l’article12), et de la convention de Vienne sur les

relations consulaires de 1963 (paragraphe 1 b) de l’article 36). Le juge Cançado Trindade souligne
que la présente affaire devant la CIJ a donc ceci de particulier qu’il s’agit d’une affaire contentieuse
entre Etats portant entièrement sur les droits de l’individu concerné (M.A.S.Diallo) et les
conséquences juridiques de la violation alléguée de ces droits, qui découlent d’un traité des

NationsUnies relatif aux droits de l’homme, d’un tr aité régional relatif aux droits de l’homme et
d’une convention de codification des Nations Unies. Cela constitue une caractéristique importante
de la présente affaire, unique dans l’histoire de la CIJ.

3. De surcroît, pour la première fois de son histoire, la CIJ a conclu à des violations des deux
traités relatifs aux droits l’homme (le Pacte et la Charte africaine) considérés ensemble, ainsi que
de la disposition pertinente de la convention de Vienne de 1963, et cela dans le cadre de

l’universalité des droits de l’homme. Le juge Ca nçado Trindade passe ensuite de la perspective du
sujet des droits aux droits protégés revendiqués par M.A.S.Diallo (partieIII). Ceux-ci
comprennent, selon lui, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne (dans le contexte des
arrestations et des détentions subies par M. A.S. Diallo en 1988-1989 et en 1995-1996), le droit de

ne pas être expulsé d’un Etat sans fondement juridique, le droit de ne pas être soumis à de mauvais
traitements et le droit à l’information sur l’assist ance consulaire dans le cadre des garanties d’une
procédure régulière.

4. Le jugeCançadoTrindade estime que notre époque est celle d’un nouveau jus gentium,
centré, de manière individuelle ou collective, sur les droits de la personne humaine. Grâce à la
Guinée et à la République démocratique du Congo, la Cour a été amenée, dans le cadre de la

procédure sur le fond, à régler un différend sur la base de deux traités relatifs aux droits de - 4 -

l’homme et d’une disposition pertinente d’une conve ntion de codification des NationsUnies. En
ce qui concerne le fond (et la question de la répa ration), l’affaire est devenue une affaire relative à

la protection des droits de l’homme. La protection diplomatique a été le moyen par lequel elle a
initialement été portée devant la Cour. Toutef ois, une fois que la protection diplomatique,
inéluctablement discrétionnaire par nature, a joué son rôle instrumental, la Cour a eu à juger une
affaire portant, en essence, sur la protection des droits de l’homme.

5. Le jugeCançadoTrindade consacre la partie suivante de son opinion individuelle
(partieIV) à l’ herméneutique des traités relatifs aux droits de l’homme (dans la mesure où elle a

des conséquences sur la résolution de la présen te affaire). Tandis qu’en droit international
classique existe une tendance marquée à interpréter les traités de manière plutôt restrictive, au
contraire, en droit international des droits de l’homme, l’interprétation met clairement et
spécifiquement l’accent sur l’objet et le but des tr aités afin d’assurer une protection effective des

droits garantis (principe de l’effet utile), sans s’ écarter de la règle générale énoncée à l’article31
des deux conventions de Vienne sur le droit des traités (1969 et 1986).

6. Alors qu’en droit international général l es éléments d’interprétation des traités étaient
avant tout destinés à guider un processus d’interprétation mené par les Etats parties eux-mêmes, les
traités relatifs aux droits de l’homme, pour leur part, appelaient une interprétation tenant compte du
caractère essentiellement objectif des obligations assumées par les Etats parties ⎯ obligations

visant à protéger les droits de l’homme et non à établir des droits subjectifs et réciproques entre ces
Etats. Les dispositions des traités relatifs a ux droits de l’homme ont ainsi donné lieu à une
interprétation autonome (faisant référence au système juridique national considéré).

7. De plus, dans leur jurisprudence constante, les Cours européenne et interaméricaine des
droits de l’homme ont interprété ces traités de façon dynamique et évolutive (la dimension
temporelle) afin de répondre à l’évolution des b esoins en matière de protection des êtres humains

(en vertu des conventions européenne et américaine sur les droits de l’homme, respectivement). Le
droit international général lui-même témoigne du principe (sous-jacent à la règle générale
d’interprétation énoncée à l’article 31 des deux conventions de Vienne sur le droit des traités) selon
lequel l’interprétation doit permettre au traité d’avoir des effets appropriés. Dans le présent

domaine de protection, le droit international est utilisé pour améliorer et renforcer la sauvegarde
des droits de l’homme reconnus ⎯ jamais pour l’affaiblir ou l’ébranler (en application du principe
pro persona humana, pro victima).

8. Le jugeCançadoTrindade ajoute que les C ours européenne et interaméricaine des droits
de l’homme ont, à juste titre, imposé des limites au volontarisme de l’Etat, sauvegardé l’intégrité
des conventions dont elles sont respectivement gara ntes et la primauté des considérations d’ordre

public sur la «volonté» des Etats individuels, fixé des normes plus exigeantes pour le
comportement des Etats et contrôlé dans une certaine mesure l’imposition de restrictions indues par
ceux-ci, et elles ont ⎯ de façon rassurante ⎯ renforcé la position des individus en tant que sujets

du droit international des droits de l’homme, dotés de la pleine capacité procédurale. Ces deux
juridictions ont su utiliser les techniques du dr oit international public pour renforcer leurs
compétences respectives dans le domaine de la pr otection de la personne hum aine ; quant au fond
du droit, leur contribution en la matière est illustrée par de nombreux exemples de leur

jurisprudence relative aux droits protégés par les deux conventions régionales. - 5 -

9. Dans la partieV de son opinion individu elle, le jugeCançadoTrindade s’attache au

principe d’humanité. Bien que la tendance actuelle soit d’aborder ce principe dans le cadre du droit
international humanitaire, le jugeCançadoTr indade estime que sa dimension est plus vaste
encore: il s’applique dans des circonstances bien distinctes et en temps de conflit armé. Il
s’applique aux relations de la puissance publi que avec toutes les personnes relevant de la

juridiction de l’Etat concerné et il a une inci dence notoire lorsque lesdites personnes sont en
situation de vulnérabilité, voire sans défense , comme il ressort des dispositions pertinentes de
divers traités incorporant le droit internati onal des droits de l’homme (par exemple, le
paragraphepremier de l’article 17 de la convention internationale de1990 sur la protection des

droits de tous les travailleurs migr ants et de leurs familles, l’alinéa b) de l’article37 de la
convention relative aux droits de l’enfant adoptée par les NationsUnies en 1989, l’article5 de la
convention américaine relative aux droits de l’homme de 1969, l’article 5 de la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples de 1981 et le paragraphe 2 de l’article II de la convention de 1969

régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique).

10. Le juge Cançado Trindade est d’avis que le principe d’humanité imprègne l’ensemble du

corpus juris relatif à la protection internationale des dr oits de la personne hum aine (qui comprend
le droit international humanitaire, le droit in ternational des droits de l’homme et le droit
international des réfugiés), aux niveaux mondial (Org anisation des Nations Unies) et régional. Ce
principe illustre les ressemblances ou convergences entre ces branches complémentaires, au niveau

herméneutique, qui se manifestent également aux niveaux normatif et opérationnel. S’agissant de
l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, le principe d’humanité est à la base de l’article 7 du Pacte relatif
aux droits civils et politiques, qui protège l’intégrité de la personne indivi duelle contre les mauvais
traitements, ainsi que de son article10 (sur les détenus), qui commence par cette déclaration:

«[t]oute personne privée de sa liberté est traitée av ec humanité et avec le respect de la dignité
inhérente à la personne humaine» (par.1). Cela implique non seulement l’obligation négative de
ne pas infliger de mauvais traitements (art. 7), mais également l’obligation positive de veiller à ce
qu’un détenu, placé sous la garde de l’Etat, soit traité avec humanité et avec le respect dû à la

dignité qui lui est inhérente en tant que personne humaine.

11. Le jugeCançadoTrindade poursuit en disant que le principe d’humanité a reçu une

reconnaissance judiciaire, illustrée par certains arrêts de la Cour interaméricaine des droits de
l’homme et du Tribunal pénal international ad hoc pour l’ex-Yougoslavie. De plus, ce principe
oriente la manière dont on traite les autres et s’étend à toutes les formes d’activité humaine et à la
condition humaine dans son intégralité. Pour le juge Cançado Trindade, le droit international n’y est

pas du tout insensible et le principe s’applique en toutes circonstances, de manière à proscrire les
traitements inhumains et à assure r une protection à toutes les pe rsonnes, y compris celles qui se
trouvent dans une situation de grande vulnérabilité. En somme, l’humanité doit en toute circonstance
conditionner l’activité humaine.

12. Le jugeCançadoTrindade souligne ensuite que le principe d’humanité s’inscrit dans la
philosophie du droit naturel. Il est à l’origine de la pensée classique sur le traitement humain et le

maintien de relations de sociabilité, également au niveau international. L’humanité est une vertu
encore plus nécessaire lorsqu’il s’agit du traite ment appliqué aux personnes en situation de
vulnérabilité, voire sans défense, par exemple celle s qui sont privées de leur liberté personnelle,
pour quelque raison que ce soit. Le j ugeCançadoTrindade rappelle que le jus gentium ,

⎯ lorsqu’il commença à correspondre au droit des Etats, ⎯ était perçu par ses «pères fondateurs»
(F. de Vitoria, A. Gentili, F. Suárez, H. Grotius, S.Pufendorf et C.Wolff, qui proposaient un jus
gentium inspiré par le principe d’humanité lato sensu ), ⎯comme régissant la communauté

internationale constituée d’être humains socialement organisés en Etats (émergents) et
consubstantielle à l’humanité , constituant ainsi le droit nécessaire de la societas gentium. Cette - 6 -

dernière prévalait sur la «volonté» des Etats individuels, respectueuse de la personne humaine, pour
le bien de tous. La conclusion du jugeCança doTrindade sur ce point est que l’héritage de la

philosophie du droit naturel, évoquant le droit naturel de la juste raison humaine ( recta ratio), n’a
jamais disparu et qu’il faut le rappeler encore et toujours.

13. Dans la partie suivante (VI), le juge Can çado Trindade s’intéresse, aux fins de l’examen

de l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, à la question fondamentale de l’interdiction de l’ arbitraire en
droit international des droits de l’homme. Ap rès s’être penché sur le sens donné à la notion
d’«arbitraire» dans la doctrine, le juge Cançado Trindade s’interroge sur le sens qu’elle revêt dans
les traités et instruments relatifs aux droits de l’homme, qui créent un droit de protection (law of

protection) visant la sauvegarde de la partie manifestement la plus faible, la victime. Ainsi,
l’interdiction de l’arbitraire vaut aujourd’hui pour les arrestati ons et les détentions, ainsi que pour
d’autres actes de l’autorité publique, tels que les expulsions. Compte tenu de l’herméneutique des
traités relatifs aux droits de l’homme (supra), une interprétation simplement exégétique ou littérale

des dispositions conventionnelles serait absolument injustifiée.

14. Le juge Cançado Trindade examine et a pprécie ensuite la position du Comité des droits

de l’homme de l’Organisation des NationsUnies et de la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples, ainsi que la jurisprude nce développée sur cette question par la Cour
interaméricaine et la Cour eur opéenne des droits de l’homme. Il conclut que toutes tendent à
indiquer que l’arbitraire est résolument interdit dans certaines circonstances; cette interdiction ne

vaut pas uniquement en ce qui concerne le droit à la liberté individuelle, elle vaut aussi pour
d’autres droits protégés par les traités ou conventions relatifs aux droits de l’homme pertinents.
Elle s’applique également à l’égard du droit de ne pas être expulsé arbitrairement d’un pays, du
droit à un procès équitable, du droit au respect de la vie privée et familiale, du droit à un recours

effectif, ou de tout autre droit protégé. Le j uge CançadoTrindade cons idère que, compte tenu de
l’interrelation et de l’indivisibilité des droits de l’homme, cette approche est, d’un point de vue
épistémologique, celle qu’il convient d’adopter en la matière.

15. Chercher à proposer une approche restrictive ⎯ ou atomisée ⎯ de l’interdiction de
l’arbitraire serait absolument injustifié. Cela serait en outre contraire à la position adoptée, à juste
titre, par des organes internationaux chargés de surveiller le respect des droits de l’homme, tels que

le Comité des droits de l’homme de l’Organisa tion des NationsUnies et la Commission africaine
des droits de l’homme et des peuples, et par des ju ridictions internationales de protection des droits
de l’homme, telles que la Cour interaméricaine et la Cour européenne. La lettre et l’esprit des

dispositions pertinentes des conventions internatio nales relatives aux droits de l’homme vont dans
le même sens: l’interdiction absolue de l’arbitraire en vertu du droit international des droits de
l’homme pris dans son ensemble. Selon le juge CançadoTrindade, c’est l’impératif d’accès à la
justice lato sensu ⎯le droit au Droit (the right to the Law, el derecho al Derecho) , le droit à la

réalisation de la justice dans une société démocratique ⎯ qui est le fondement de tout cela.

16. Dans la partie suivante de son opinion indivi duelle (VII), le jugeCançadoTrindade

s’intéresse au contenu matériel des droits protégés dans le cadre du présent arrêt (le droit à
la
liberté et à la sécurité individuelles, et le dro it de ne pas être expulsé d’un Etat sans fondement
juridique), ainsi qu’au lien exista nt entre eux. Il consacre ensuite une partie entière de son
opinion (VIII) à la construction jurisprudentielle du droit à l’information sur l’assistance consulaire

dans l’univers conceptuel des droits de l’homme. Considérant le droit individuel à l’information
sur l’assistance consulaire au-delà de sa dimens ion interétatique, le j uge CançadoTrindade
examine et apprécie ce qu’il voit comme un processus d’ humanisation du droit consulaire à cet
égard et le caractère irréversible de ce processus. - 7 -

17. Bien que le droit à l’information sur l’assi stance consulaire ait, à l’origine, été énoncé
dans une disposition (le paragraphe 1 b) de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations

consulaires) relevant du domaine des relations consulaires, et qu’il ait été consacré en 1963 dans un
contexte où semblaient prédominer les relations interétatiques, il a ensuite été considéré dans la
pratique comme un droit individuel, dans l’univers conceptuel des droits de l’homme. Afin de

clarifier la nature et le contenu juridiques de ce droit, le jugeCançadoTrindade, au terme de
l’audience publique tenue par la Cour le 26avr il2010, a demandé aux deux Parties à la présente
affaire Ahmadou Sadio Diallo si les dispositions du paragraphe 1 b) de l’article 36 de la convention
de Vienne sur les relations consulaires de 1963 s’épuisaient dans les relations entre l’Etat d’envoi

(de nationalité) et l’Etat de résidence; il leur a en outre demandé qui, de l’Etat d’envoi (de
nationalité) ou de l’individu concerné , était le sujet (titulaire) du droit en cause. A la lumière des
réponses communiquées par les Parties (la Guinée et la République démocratique du Congo), le

jugeCançadoTrindade a conclu qu’il s’agissait clairement d’un droit individuel, et que ce droit
n’avait pas été respecté en la présente affaire.

18. Le juge Cançado Trindade examine et apprécie ensuite la manière dont le droit en cause

est, à ce jour, interprété dans la jurisp rudence. Il rappelle que, avant même les obiter dicta de la
Cour en l’affaire LaGrand (2001) et en l’affaire Avena (2004), la toute prem ière affirmation du
droit de l’individu à l’information sur l’assistance consulaire est due à la Cour interaméricaine des
o er
droits de l’homme, et figure dans son avis consultatifn 16 du 1 octobre 1999 sur Le droit à
l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties du droit à une procédure
régulière. Dans les affaires LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique) et Avena (Mexique
c. Etats-Unis d’Amérique), dont a connu la Cour internationale de Justice, les parties ont

expressément invoqué cet avis consultatif de la Cour interaméricaine, et les demandeurs en
particulier s’en sont réclamés.

19. Le juge Cançado Trindade ajoute que l’approche de la Cour interaméricaine des droits de
l’homme est la bonne, en ce que la Cour a examiné la question qui lui était posée à la lumière de
l’évolution des «droits fondamentaux de la personne humaine» en droit international contemporain.

Elle a estimé que le droit individuel à l’information découlant du paragraphe 1 b) de l’article 36 de
la convention de Vienne de 1963 rendait effectif le droit à une procédure régulière. Elle l’a
rattaché aux garanties ⎯ en constante évolution ⎯ de ce droit à une procédure régulière, approche
dont s’est inspirée la jurisprudence internationale émergente, in statu nascendi, sur la question. Dès

lors, toute violation du paragraphe 1 b) de l’article 36 de la convention de Vienne de 1963 se fait au
détriment non seulement de l’Etat partie, mais aussi des êtres humains concernés.

20. Quatreans plus tard, la Cour inte raméricaine des droits de l’homme a rendu ⎯ dans le
même sens ⎯ son avis consultatif n 18 du 17 septembre 2003 sur Le statut juridique et les droits
des migrants illégaux . Cet avis a offert de nouvelles bases à la protection des migrants, en

consacrant la supériorité des droits inhérents à la personne humaine, que les individus concernés
aient ou non le statut de migrant. La Cour in teraméricaine a clairement indiqué que les Etats
devaient, en vertu du principe gé néral et fondamental d’égalité et de non-discrimination, respecter
et faire respecter les droits de l’homme, et que la responsabilité de l’Etat était engagée en cas de

traitement discriminatoire en matière de protecti on et d’exercice des droits de l’homme. La Cour
interaméricaine a jugé que le principe fondame ntal d’égalité et de non-discrimination faisait
désormais partie du jus cogens, et qu’il s’accompagnait d’obligations erga omnes de protection

(dans leurs dimensions horizontale et verticale) . Le sens de cette jurisprudence est clair:
l’assistance et la protection consulaires se sont rapprochées de la protection des droits de l’homme. - 8 -

21. L’assistance et la protection consulaires ont effectivement subi un processus de

juridictionnalisation, incorporant ⎯conformément à l’approche de la Cour interaméricaine ⎯
l’interprétation élargie du droit à une procédure ré gulière, propre à notre époque. Cette approche
est aujourd’hui progressivement reconnue. En effet, tandis que la protection diplomatique demeure
inéluctablement discrétionnaire, relevant d’un cadre interétatique qui n’est pas satisfaisant,

l’assistance et la protection consulaires sont déso rmais liées aux garanties obligatoires du droit à
une procédure régulière, dans le cadre du droit in ternational relatif aux dr oits de l’homme. Les
bénéficiaires ultimes de cette évolution sont les individus confrontés à l’adversité, en particulier
ceux qui, à l’étranger, sont privés de leur liberté personnelle.

22. L’avis consultatifn o16 de la Cour interaméricaine des droits de l’homme (1999) sur
Ledroit à l’information sur l’assistance consulaire dans le cadre des garanties du droit à une

procédure régulière a été abondamment invoqué devant la Cour (dans les phases écrites et orales)
par les parties aux affairesLaGrand et Avena. Mais la Cour a préféré ne pas aborder la question et
ne s’est, ni dans un cas, ni dans l’autre, référée à ce précédent. En l’affaire Avena (arrêtdu
o
31mars2004), le Mexique a soutenu ⎯position tout à fait conforme à l’avis consultatifn 16
de1999 susmentionné ( supra) ⎯ que la violation du droit en cause (défini au paragraphe1 b) de
l’article 36 de la convention de Vienne de 1963) avait «ipso facto pour effet de vicier l’ensemble de
la procédure pénale conduite en contravention [de ce] droit [fondamental]» (par. 124).

23. La Cour a indiqué qu’elle n’avait pas à tr ancher cette question et que, en tout état de
cause, «elle estimait que ni le texte ni l’objet et le but de la convention, ni aucune indication qui

figurerait dans les travaux préparatoires, ne permett[ai]ent d’arriver à la conclusion que le Mexique
tir[ait] de cet argument» (par.124). Elle a ensuite immédiatement jugé que la conclusion du
Mexique ne pouvait, dès lors, être accueillie (par. 125). Le juge Cançado Trindade estime que la
Cour avait, en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, une occasion unique de clarifier et de confirmer sa

position sur ce point particulier, la question lui ayant, après tout, de nouveau été posée.

24. Dès lors, contrairement à ce que la Cour a dit dans l’affaire Avena, le

jugeCançadoTrindade soutient, dans le cad re de la présente affaire, que tant le texte du
paragraphe 1 b) de l’article 36 de la convention de Vienne de 1963, que l’objet et le but de celle-ci,
et ses travaux préparatoires, étayent la thèse selon laquelle cet article rattache le droit individuel en
cause ⎯dans le cadre de la protection des droits de l’homme ⎯ aux garanties du droit à une

procédure régulière. Pour ce qui concerne le texte, il ressort incontestablement de la dernière
phrase du paragraphe1 b) de l’article36 que le titulaire du droit à l’information sur l’assistance
consulaire est l’individu et non l’Etat . Aussi étroitement liée que soit cette disposition aux
obligations incombant aux Etats parties, il s’agit clairement d’un droit individuel dont la violation

affecterait inévitablement les garanties du droit à une procédure régulière.

25. En ce qui concerne l’ objet et le but de la convention de Vienne de1963, le

juge Cançado Trindade estime qu’ils relèvent de la communauté d’intérêts de tous les Etats parties
à la convention, en ce sens que le respect par c es Etats de toutes les obligations énoncées dans cet
instrument ⎯y compris l’obligation de respecter le droit individuel en cause ⎯ doit être garanti.
Pour ce qui est de l’assistance consulaire, la sauvegarde et le respect du droit individuel à

l’information sur cette assistance (paragraphe1 b) de l’article36) sont donc essentiels à la
réalisation de l’objet et du but de la convention de Vienne. - 9 -

26. Dernier point — mais non le moindre — sur ce chapitre particulie:r le

juge Cançado Trindade revient dans son opinion individuelle sur les travaux préparatoires de cette
disposition de la convention de Vienne de1963, dans lesquels il trouve certaines indications
intéressantes confirmant ce qui précède, notamment dans les débats de la conférence des
NationsUnies sur les relations consulaires, qui s’ est tenue à Vienne en196 3. En effet, cette

année-là (troisans avant l’adoption des deux p actes des NationsUnies relatifs aux droits de
l’homme (sur les droits civils et politiques, d’ une part, et les droits économiques, sociaux et
culturels d’autre part)), au cours des débats de la conférence de Vienne, pas moins de
19interventions furent formulées dans le mê me sens, ce qui montre que les délégations

participantes étaient déjà conscientes de la nécessité d’inscrire le droit à l’information sur
l’assistance consulaire dans l’univers conceptuel des droits de l’homme.

27. En outre, le Haut Commissaire des NationsUnies pour les réfugiés présenta à la
conférence de Vienne de1963 un mémorandum dans lequel il faisait valoir que l’article36 du
projet de convention était l’une des deux dispositions de cet instrument qui avaient une incidence
directe sur ses propres activités, puisque l’objet de cet article était la protection des droits des

ressortissants de l’Etat d’envoi au sein de l’Etat de résidence. Ainsi, l’absolue nécessité de
protéger les droits de l’homme était déjà bien présente dans les esprits, avant même l’adoption de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en 1965 et
des deux pactes des Nations Unies rela tifs aux droits de l’homme en 1966 , dès les premiers temps

de la rédaction des traités des Nations Unies sur les droits de l’homme.

28. La conscience de cette nécessité, que la Cour interaméricaine des droits de l’homme mit
o
en évidence une bonne trentaine d’années pl us taod dans son avis consultatif n 16 (1999) —et
qu’elle confirma dans son avis consultatif n 18 (2003) —, a contribué de manière décisive au
processus d’humanisation du droit consulaire, qui va bien au-delà de la dimension interétatique.
Cette humanisation progressive du droit consulaire constitue, aux yeux du juge Cançado Trindade,

un processus forcément irréversible. La conscience humaine, la conscience juridique universelle
(en tant que source matérielle ultime du droit international), s’est vite éveillée pour répondre à un
besoin urgent dans ce domaine, celui de protég er les êtres humains en toutes circonstances, y
compris lorsqu’ils se trouvent privés de leur liberté personnelle à l’étranger.

29. Les reculs et les atermoiements ne sont plus possibles. Une déclaration claire de la Cour
allant dans le même sens —à savoir que le droit à l’information sur l’assistance consulaire

appartient à l’univers conceptuel des droits de l’homme et que sa violation compromet
inévitablement les garanties judiciaires que suppose le droit à une procédure régulière — serait
réellement rassurante. L’occasion s’en offrait à la Cour dans cette affaire Ahmadou Sadio Diallo
—la question ayant été soulevée devant elle au cours de la phase orale de l’instance—, mais

celle-ci a préféré traiter de façon rela tivement sommaire le paragraphe1 b) de l’article36 de la
convention de Vienne de 1963 dans le présent arrêt.

30. Dans la partie suivante (IX) de son opinion individuelle , le jugeCançadoTrindade
examine la notion de «situation continue», compte tenu de la projection des violations des droits de
l’homme dans le temps, des décisions de la Co mmission africaine des droits de l’homme et des
peuples et des observations du Comité des droits de l’homme des NationsUnies sur la question,

ainsi que de la jurisprudence des Cours interaméricai ne et européenne des droits de l’homme en la
matière. Selon le juge Cançado Trindade, les préj udices subis par M. A. S. Diallo dans la présente
affaire révèlent l’existence d’un lien factuel entre les mesures d’arrestation et de détention de
1988-1989 et celles de 1995-1996, avant que l’intéressé ne soit expulsé de son pays de résidence en

1996. Ces préjudices, qui se sont étendus dans le temps , constituaient une violation du droit - 10 -

applicable en l’espèce (à savoir les articles 9 et 13 du Pacte relatif aux droits civils et politiques, les
articles 6 et 12 4) de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le paragraphe b) de

l’article36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires), tel qu’interprété
conformément à l’herméneutique des traités relatifs aux droits de l’homme (supra).

31. Au moment de ses arrestations et détentions, M. A. S. Diallo n’a pas été informé des faits
qui lui étaient reprochés, et il n’a pas non plus été en mesure de se prévaloir sans retard de son droit
à l’information sur l’assistance consulaire. Les préjudices qu’il a subis s’inscrivaient dans le cadre
d’un comportement arbitraire des autor ités de l’Etat. En outre, une telle continuité révèle

l’existence d’une chaîne de causalité, d’un lien causal à prendre en considération (ce facteur ayant
une incidence directe sur la réparation due à M.A. S.Diallo), dont la majorité de la Cour n’a
malheureusement pas tenu compte. La projection d es violations des droits de l’homme dans le
temps soulève également la question du défaut prolongé d’accès à la justice.

32. La Cour aurait à tout le moins pu considérer ce lien causal comme un élément de preuve,
mais la majorité a préféré l’écarter purement et simplement. La Cour aurait au moins pu —et,

selon le jugeCançadoTrindade, elle aurait dû— tenir compte des circonstances dans lesquelles
M. A. S. Diallo avait été arrêté et détenu en 1988-1989 lorsqu’elle a examiné ses arrestations et sa
détention de1995-1996, avant son expulsion de la République démocratique du Congo en1996.
Etant donné les liens factuel et causal susmentionnés — conclut-il sur ce point —, il serait difficile

de nier que les violations des droits indivi duels de M.A.S.Diallo constituaient une situation
continue, pendant toute la période comprise entre 1988 et 1996.

33. Le juge Cançado Trindade livre ensuite (dan s la partie X) ses réflexions sur la personne
concernée, en tant que victime et en tant que titulaire du droit à réparation. Ayant voté en faveur
des points 7 et 8 (obligation d’apporter une répara tion appropriée) du dispositif de l’arrêt rendu par
la Cour dans la présente affaire, il se sent ég alement tenu d’exprimer sa crainte que la réparation

nécessaire ne se fasse attendre encore davantage, jusqu’à ce que la Cour règle finalement cet aspect
à un stade ultérieur (conformément au point 7 du dis positif), si les Parties en litige ne parviennent
pas à s’entendre sur la question dans les six prochains mois. De son point de vue, cela ressemble à
une procédure arbitrale, et non à une procédure vé ritablement judiciaire, ce qui l’inquiète quelque

peu.

34. Cela le préoccupe d’autant plus que la Cour a mis beaucoup de temps, pour des raisons

indépendantes de sa volonté, à traiter cette affaire (près de douze ans, de la fin décembre 1998 à la
fin de ce mois de novembre 2010). De tels retards sont à éviter à tout prix, en particulier lorsqu’il
s’agit de porter remède à des violations de droits de l’homme . Reporter encore de six mois la
détermination de la répa ration ne paraît guère rais onnable, le titulaire des droits violés en l’espèce

étant non pas l’Etat demandeur, mais l’individu con cerné, M. A. S. Diallo, à qui reviendra aussi en
fin de compte la réparation en question.

35. On ne saurait donc trop insister sur le fait que le droit à réparation appartient à l’ individu

au regard du droit applicable dans la présente affa ire, c’est-à-dire le droit international relatif aux
droits de l’homme. Cette question déborde le domai ne du droit procédural international, et touche
à l’épistémologie juridique, y compris notre pr opre conception du droit international des temps

modernes. De l’avis du juge Cançado Trindade, dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, l’Etat
demandeur est le plaignant, mais la victime est l’ individu. L’Etat demandeur réclame réparation, - 11 -

mais le titulaire du droit à réparation est l’individu, dont les droits ont été violés. L’Etat demandeur
n’a pas subi le moindre préjudice, il a seulement engagé certaines dépenses en épousant la cause de

son ressortissant à l’étranger. C’est l’individu lu i-même qui a été lésé (en étant arrêté et détenu
arbitrairement, et expulsé de l’Etat de résidence), et non son Etat de nationalité.

36. L’individu concerné est l’alpha et l’oméga de la présente affaire, et il n’est pas encore au
bout de ses peines, notamment parce que la procédure engagée devant cette Cour va se prolonger
plus que de raison. Il est grand temps — ajoute le juge Cançado Trindade — que la Cour cesse de
s’accrocher indûment à l’ancienne fiction vattelienn e, ressuscitée par sa devancière avec la fiction

Mavrommatis (qui n’est pas un principe, mais simpleme nt une fiction largement dépassée). La
Cour ne peut pas continuer à raisonner selon le s paramètres herméti ques de la dimension
exclusivement interétatique. Le préjudice subi par l’intéressé ayant été reconnu (par. 98 de l’arrêt),
il n’est plus permis d’invoquer l’ancienne théorie de l’affirmation par l’Etat de ses droits propres, et

l’approche volontariste sous-jacente.

37. Le titulaire du droit à réparation est l’individu, qui a subi le préjudice, et l’action intentée

par l’Etat au titre de la protection diplomatique te nd à garantir à l’intéressé la réparation qui lui est
due. En agissant ainsi, l’Etat vise à obtenir réparation d’un dommage, généralement déjà
consommé, dont l’individu a été victime; l’assistance et la protection consulaires, qui
s’apparentent aujourd’hui beaucoup plus à la protection des droits de l’homme, sont en quelque

sorte exercées de manière préventive, afin d’épargner un éventuel ou un nouveau préjudice à la
personne concernée. Ce rapprochement entre l’assistance et la protection consulaires modernes et
la protection des droits de l’homme tient largemen t à l’avènement historique de l’individu, de la
personne humaine, en tant que sujet du droit international.

38. Si la Cour s’était tenue tout au long de son arrêt à l’herméneutique des traités relatifs aux
droits de l’homme, que les Etats en litige n’ont cessé d’invoquer tout au long de la procédure, sa

décision aurait, aux yeux du juge Cançado Trindade, ét é infiniment plus cohérente et satisfaisante.
Quant à la réparation appropriée des violations des droits que la victime tirait du Pacte, elle prendra
peut-être finalement la forme d’ une indemnisation adéquate (la restitutio in integrum n’étant guère
probable) — parmi d’autres formes de réparation (satisfaction, excuses publiques, réhabilitation de

la victime, et garanties de non-répétition d es actes dommageables)— pour remédier à ces
violations, c’est-à-dire au préjudice matériel et moral subis, indemnisation dont le montant sera fixé
dans une certaine mesure sur la base de considérations d’équité.

39. Dans des affaires de cette nature, la forme de la réparation à accorder doit être
déterminée du point de vue des victimes , des personnes humaines (de leurs demandes, de leurs
besoins et de leurs aspirations à elles) et non du point de vue des Etats. Ce sont des perspectives

bien plus vastes qui s’ouvrent ainsi en matière de réparation, lorsque les droits de l’homme sont en
jeu. L’article2 du Pacte des NationsUnies rela tif aux droits civils et politiques confère une
obligation générale aux Etats parties, laquelle s’ajoute a ux obligations spécifiques qui s’attachent à
chacun des droits garantis par cet instrument. Cette formule générale autorise une certaine

souplesse pour déterminer les mesures d’indemn isation ou les autres formes de réparation à
accorder à la victime ou aux victimes concernées. Le but ultime est, naturellement, chaque fois que
possible, la restitutio in integrum mais, lorsque celle-ci n’est pas réalisable, il convient de trouver
d’autres formes satisfaisantes de réparation. - 12 -

40. Quoi qu’il en soit, et quelles que puissen t être les circonstances —estime enfin le juge

CançadoTrindade—, il convient de garder à l’ esprit que l’obligation de réparation reflète un
principe fondamental du droit international gé néral, dont la Cour pe rmanente de Justice
internationale a saisi très tôt l’essence, au tout dé but de sa jurisprudence, et que la Cour actuelle a
fait sien dans sa propre jurisprudence. Le droit in ternational réglemente tous les aspects de cette

obligation de réparation (par ex emple son étendue, ses formes et ses caractéristiques, et l’identité
des bénéficiaires). Dès lors, aucun Etat défendeur ne peut, quelles que soient les circonstances,
chercher à en modifier ou à en suspendre l’ exécution en invoquant certaines dispositions (ou
obstacles) de son droit interne.

41. Dans la partie suivante de son opinion indi viduelle (partie XI), le juge Cançado Trindade
considère que la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo, dans laquelle la pr otection diplomatique

était initialement invoquée pour défendre des droits de propriété ou des investissements, a toutefois
subi une métamorphose au stade du fond, pour devenir finalement — et fort heureusement — une
affaire relative à la protection des droits de l’hom me, des droits naturels de la personne humaine,
concernant la liberté de l’individu et sa sécurité judiciaire. Le traitement de chaque affaire, dans le

cadre d’un règlement international, obéit certes à sa dynamique propre. Toutefois, l’issue de la
présente instance est rassurante, en ce qui concerne les droits protégés, et il convient d’en tirer
quelques enseignements que le juge Cançado Trindade estime devoir relever.

42. Tout d’abord, il ne faudrait pas tenter de redonner vie à la protection diplomatique
traditionnelle, inéluctablement discrétionnaire par nature, en sous-est imant la protection des droits
de l’homme. Selon le juge Can çadoTrindade, le plus grand hé ritage que la pensée juridique
e
internationale de ce nouveau siècle ait reçu de celle du XX siècle réside dans l’avènement
historique de la personne humaine en tant que sujet de droits émanant directement du droit des
gens, comme sujet véritable (et pas seulement comme «acteur») du droit international
contemporain. L’émergence du droit international des droits de l’homme a enrichi

considérablement le droit international contemporai n, tant au niveau du fond qu’à celui de la
procédure.

43. Afin d’apporter une réparation appropriée aux victimes de violations de droits, on ne
peut en aucun cas rester enfermé dans les confins stricts et à courte vue de la protection
diplomatique, non seulement parce qu’elle est par nature inéluctablement discrétionnaire, mais
également à cause de sa dimension interétatique figée ; il faut se placer au contraire sur le terrain du

droit international des droits de l’homme. Le s réparations supposent ic i une conception du droit
des gens centrée sur la personne humaine (pro persona humana). Ce sont les êtres humains ⎯ et
non les Etats ⎯ qui doivent, en fin de compte, bénéficier des réparations des violations des droits

de l’homme commises à leur détriment.

44. Le juge CançadoTrindade estime que la fiction vattelienne de 1758 (exprimée par la
formule «Quiconque maltraite un citoyen offense indi rectement l’Etat, qui doit protéger ce

citoyen») a déjà joué son rôle dans l’histoire et l’évolution du droit international. Le défi auquel est
aujourd’hui confrontée la Cour est d’une nature différente, qui déborde la rgement cette dimension
interétatique. Pour y répondre, la Cour doit être prête à explorer les moyens d’intégrer, dans son

mode de fonctionnement ⎯ à commencer par son propre raisonnement ⎯, la reconnaissance de la
consolidation de la personnalité juridique internationale des individus et l’affirmation progressive
de leur capacité juridique internationale ⎯ pour faire valoir des droits qui sont les leurs et non ceux

de leur Etat ⎯ en tant que sujets de droits et d’obligations émanant directement du droit
international, autrement dit, en tant que véritable sujets de droit international. - 13 -

45. Dans cette perspective, et comme point de départ dans cette direction, ⎯ ajoute le

juge Cançado Trindade dans ses observations finales (partieXII) ⎯, la Cour a eu raison, dans le
présent arrêt en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, de concentrer en particulier son attention sur les
violations constatées des articles 9 et 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,
de l’article 6 et du paragraphe 4 de l’article 12, de la Charte africaine des droits de l’homme et des

peuples, et du paragraphe1 b) de l’article36 de la conventi on de Vienne sur les relations
consulaires. Ces violations concernent les droits de M. A. S. Diallo en tant qu’individu, en tant que
personne humaine. Les violations de ses droits individuels en tant qu’ associé des deux sociétés,
droits qui ont de même été lésés, sont mises en avant par voie de conséquence.

46. Le sujet des droits violés en l’espèce est M. A.S.Diallo, un individu. La procédure
utilisée à l’origine (par l’Etat demandeur) pour faire valoir la demande était celle de la protection

diplomatique mais, sur le fond, le droit applicable en l’espèce est le droit international des droits de
l’homme. Ce dernier s’applique dans le cadre des relations intraétatiques (ici, les relations entre la
République démocratique du Congo et M.A.S.Di allo). En interprétant et en appliquant
correctement les traités relatifs aux droits de l’homme, la Cour contribue ainsi à rendre le droit

international plus à même de réglementer les relations intraétatiques aussi bien que les relations
interétatiques.

47. Selon le juge CançadoTrindade, le fait que la procédure contentieuse devant la Cour

demeure exclusivement une procédure interétatique, ⎯non par nécessité intrinsèque, ni par
l’impossibilité juridique qu’il en soit autrement ⎯, ne signifie pas que le raisonnement de la Cour
doive se développer dans une perspective essentiell ement et exclusivement interétatique, surtout

lorsque la Cour est appelée à se prononcer, dans le cadre du règlement pacifique de différends, sur
des questions qui dépassent les intérêts des Etats en litige et relèvent des droits fondamentaux de la
personne humaine, voire de la communauté internationale tout entière.

48. Les relations régies par le droit interna tional contemporain transce ndent dans une large
mesure, dans différents domaines, la dimension purement interétatique (par exemple en ce qui
concerne la protection internationale des droits de l’homme, la protec tion internationale de

l’environnement, le droit international humanitaire, le droit international des réfugiés et le droit des
institutions internationales) et la Cour, lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur ces relations, n’est
pas tenue de se restreindre à une perspective interétatique anachronique. Pour exercer fidèlement
et pleinement aujourd’hui ses fonctions d’orga ne judiciaire principal de l’Organisation des

NationsUnies, elle ne doit pas, elle ne peut pas, laisser l’anachronisme de son mode de
fonctionnement déterminer son raisonnement.

49. Le présent arrêt, dans le s points 2, 3, 4 et7 de son dispositif, auxquels souscrit le
jugeCançadoTrindade, constitue selon lui une préc ieuse contribution de la jurisprudence de la
Cour au règlement des différends ayant une origin e intraétatique, lorsque les droits de l’homme
sont en cause. Le fait qu’une affaire relative aux droits de l’homme ait enfin été tranchée par la CIJ

elle-même revêt une impor tance particulière à ses yeux. Il montre en outre que le droit
international contemporain s’est notablement déve loppé, au point que les Etats eux-mêmes jugent
bon de faire usage d’une procédure contentieuse, conçue à l’origine en 1920 et confirmée en 1945
comme leur étant exclusivement réservée, afin d’obtenir de la Cour qu’elle se prononce sur des

droits de l’homme, sur des droits inhérents à la personne humaine, ontologiquement antérieurs et
supérieurs à l’Etat lui-même. Ce développeme nt va dans le sens de l’évolution du droit
international de la personne humaine (pro persona humana), le nouveau droit des gens de ce début
e
du XXI siècle. - 14 -

50. S’étant efforcé de définir les leçons à tirer de la présente affaire Ahmadou Sadio Diallo,
le juge Cançado Trindade conclut son opinion individuelle par un bref épilogue (partie XIII) sur sa

transcendance historique. Dans l’affaire sur laque lle vient de se prononcer la Cour, le demandeur
était un Etat et la victime ⎯et le bénéficiaire de la réparation ⎯ un individu. C’est la première
fois dans son histoire que la Cour a résolu une affaire sur la base du droit applicable constitué par
deux traités relatifs aux droits de l’homme, l’un un iversel (le Pacte international des Nations Unies

relatif aux droits civils et politiques) et l’autre, régional (la Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples), et par la disposition pertinente (le paragraphe 1 b) de l’article 36) de la convention
de Vienne sur les relations consulaires, qui relève également du domaine de la protection

internationale des droits de l’homme.

51. Il est rassurant que, à l’origine grâce à l’ exercice de la protection diplomatique, la cause
de M.A.S.Diallo soit parvenue à la Cour. C’est tout ce que pouvait faire la protection

diplomatique, instrument traditionnel. On ne saurait en attendre davantage. Après tout, la
procédure devant la Cour répond à une logique tout aussi traditionnelle. Les individus continuent
de subir une capitis diminutio, puisqu’ils doivent encore s’appuyer sur ces instruments traditionnels
pour avoir accès à la Cour, alors qu’ils ont déjà un locus standi in judicio, ou même un ius standi,

devant d’autres juridictions internationales contem poraines. Cela montre que, sur le plan de
l’épistémologie, rien n’empêche que des individus aient un locus standi ou un ius standi également
devant la Cour internationale de Justice; ce qui manque, c’est l’ animus, la volonté que cela

devienne possible.

52. Néanmoins, l’affaire Ahmadou Sadio Diallo que la Cour vient de trancher offre un aspect
à la fois rassurant et nouveau : à partir de la procédure sur le fond (dans ses phases écrite et orale),

cette affaire a été, dans une large mesure, examinée et jugée dans le cadre conceptuel du droit
international des droits de l’homme. C’est ce dern ier, et non la protecti on diplomatique, qui peut
sauvegarder les droits des personnes dans l’adversité, socialement marginalisées ou exclues, ou en

situation de très grande vulnérabilité . Cela représente un grand défi pour la justice internationale
d’aujourd’hui, un défi auquel il n’est possible de fa ire face efficacement que sur le terrain du droit
international des droits de l’homme, au-delà de la dimension purement interétatique.

53. En outre, c’est la première fois dans son hi stoire que la Cour internationale de Justice a
expressément tenu compte de la contribution appor tée par la jurisprudence de deux juridictions
internationales des droits de l’homme, la Cour eu ropéenne et la Cour interaméricaine (par.68), à
l’éternelle lutte des êtres humains contre l’arbitraire (par.65), avec l’interdiction des expulsions

arbitraires. Cela révèle un changement de me ntalité quant à une autre question importante. La
coexistence de multiples juridictions international es, favorisant l’accès à la justice internationale
pour un nombre croissant de justiciables du monde entier dans différe ntes sphères de l’activité

humaine, montre de quelle manière le droit international contemporain a évolué dans la quête
ancienne de la réalisation de la justice intern ationale. Les tribunaux internationaux contemporains
ont beaucoup à apprendre les uns des autres.

54. L’article 92 de la Charte des Nations Unies dispose que la Cour ⎯ la Cour internationale
de Justice ⎯est «l’organe judiciaire principal des Nati onsUnies». En outre, l’article95 de la
Charte laisse la possibilité aux Etats Membres de c onfier la solution de leurs différends à «d’autres

tribunaux en vertu d’accords déjà existants ou qui pourront être conclus à l’avenir». Notre époque
est aujourd’hui celle des tribunaux internationaux et il y a là un phénomène très positif, puisque ce
qui compte, en définitive, c’est l’accès élargi ou étendu à la justice, au sens large , c’est-à-dire
comprenant la réalisation de la justice. - 15 -

55. C’est là une autre leçon que l’on peut tirer de la décision rendue en la présente affaire
Ahmadou Sadio Diallo et il est certainement rassurant que la CIJ ait manifesté une nouvelle façon

de concevoir cette question, du point de vue des tribunaux internationaux des droits de l’homme.
C’est particulièrement important à une époque où les Etats invoquent devant la Cour les
dispositions pertinentes de conventions relatives aux droits de l’homme, comme l’ont fait, en
l’espèce, la Guinée et la République démocratique du Congo. Le jugeCa nçado Trindade estime

rassurant le fait que les Etats commencent à invoquer des traités relatifs aux droits de l’homme
devant la Cour, laissant présager peut-être une ère dans laquelle la Cour elle-même pourrait
trancher des affaires relatives aux droits de l’homme. La conscience juridique internationale est
enfin éveillée à la nécessité de répondre à ce besoin.

56. La Cour, dans l’exercice de ses fonctions contentieuses aussi bien que consultatives, s’est
référée, ces dernières années, soit aux dispositions pe rtinentes d’un traité portant sur les droits de

l’homme tel que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, soit aux travaux de
l’organe chargé d’en surveiller l’application, le Comité des droits de l’homme. La Cour, dans
l’arrêt qu’elle a rendu le 30 novembre 2010 en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, est allée bien plus
loin, dépassant le cadre des NationsUnies pour rec onnaître la contribution de la jurisprudence de

deux autres juridictions internationales, la Cour interaméricaine des droits de l’homme et la Cour
européenne des droits de l’homme. Elle a ég alement évoqué sur la contribution d’un organe
international de surveillance des droits de l’homme, la Commission africaine des droits de l’homme
et des peuples. Les trois systèmes régionaux de pr otection des droits de l’homme agissent dans le

cadre de l’universalité de ces droits.

57. Le jugeCançadoTrindade conclut que les juridictions internationales contemporaines

doivent poursuivre leur mission commune ⎯la réalisation de la justice internationale ⎯ dans un
esprit de dialogue respectueux, en s’inspirant l es unes des autres. En cultivant ce dialogue,
mutuellement attentives à leurs travaux dans la poursuite de leur mission commune, elles

permettront non seulement aux Etats, mais égalem ent aux êtres humains, partout dans le monde
entier et dans différents domaines du droit international, de commencer à retrouver foi en la justice
humaine. Ainsi, elles élargiront et renforceront la capacité du droit international contemporain à
régler les différends survenus non seulement au niveau interétatique, mais également au niveau

intraétatique. Et elles travailleront à procurer aux Etats, ainsi qu’aux êtres humains, ce
à quoi ils
aspirent : la réalisation de la justice.

Opinion dissidente de M. le juge ad hoc Mahiou

Tout en souscrivant à beaucoup de conclusi ons auxquelles la Cour est parvenue dans la
présente affaire, il reste que sur les deux points les plus importants concernant, d’une part, la
recevabilité de la demande relative à l’arrestation et la détention de M.Diallo en 1988-1989 et,

d’autre part, la violation des droits d’associé de M. Diallo dans les deux sociétés Africom-Zaïre et
Africontainers-Zaïre, je ne suis convaincu ni par les conclusions adoptées, ni par l’argumentation
déployée pour les justifier et il convient donc de résumer les raisons pour lesquelles je ne peux pas
suivre la Cour sur ces points.

S’agissant de la demande relative aux arrestations et détentions de 1988-1989, il n’y a pas de
différence avec celles de 1995-1996 tant dans la fo rme juridique qu’elles avaient revêtue que dans
l’objet qu’elles poursuivaient (empêcher M.Diallo de recouvrer les créances qu’ils détenaient sur

certains organismes publics ou privés congolais). Ce rtes, la demande est tardive, mais on sait que
selon la jurisprudence de la Cour tout e demande nouvelle n’est pas irrecevable ipso facto, car «la
nouveauté d’une demande n’est pas décisive en soi pour la question de la recevabilité» ; elle admet

qu’une demande nouvelle est recevable si elle remplit l’une ou l’autre des deux conditions
suivantes : soit parce qu’elle est implicitement contenue dans la requête ; soit parce qu’elle découle - 16 -

directement de la question qui fait l’objet de la requête. Il m’apparaît que la demande relative aux
arrestations et détentions de 1988-1989 répond à l’une ou l’autre condition et même aux deux

conditions; en effet, elles ne sont que le dé but d’une série de comportements des autorités
congolaises dans un continuum d’acti ons illicites qui auraient dû être déclarées recevables par la
Cour.

S’agissant des droits propres de M.Diallo, la Cour considère que si l’expulsion arbitraire
dont il a été victime a entraîné des entraves, celles- ci n’ont pas porté atteinte ni empêché l’exercice
de ces droits. Le reproche fait à cette analyse et aux conclusions auxquelles elle a abouti est que
l’on n’a pas tenu compte du contexte particulier de cette affaire où l’évolution de la situation réelle

a fait qu’une seule personne était devenue actionna ire des deux sociétés dont il assumait la gestion
et le fonctionnement au point de se confondre avec elles. Dès lors, toute entrave aux différents
droits de l’associé comme ceux de participer aux as semblées générales, d’être gérant des sociétés,
de surveiller et de contrôler le fonctionnement et la gestion des sociétés, de procéder à leur

liquidation et à la réalisation du reliquat de leur actif aboutit à empêcher l’exercice de ces droits et,
finalement, à y porter atteinte.

Par conséquent, si la Cour a raison de reconnaître les atteintes aux droits de l’homme de

M. Diallo et de prévoir une réparation à cet effet, elle aurait dû également retenir, sinon toutes les
atteintes aux droits propres de M.Diallo, du mo ins certaines d’entre elles et envisager leur
indemnisation.

Opinion individuelle de M. le juge ad hoc Mampuya

Avant d’exposer mes opinions sur les positions de fond adoptées par l’arrêt, j’indique mes

réserves de principe sur certaines questions que pos e l’arrêt. D’abord, sur une question du droit
judiciaire international, je rappelle que, si, en acceptant de connaître de l’affaire sans qu’un
différend ait préalablement opposé les deux Etats concernés, la Guinée et la
République démocratique du Congo, sur les faits dont elle était saisie, la Cour avait semblé tourner

le dos à sa jurisprudence traditionnelle en la matièr e, la pratique des Parties a heureusement remis
les choses en place. Je cite, à l’appui, l’exception préliminaire de la Russie dans l’affaire de
l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination raciale qui l’oppose en ce moment à la Géorgie lorsque la Russie conteste la

recevabilité de la requête géorgienne estimant que «la Cour ne peut exercer sa compétence
contentieuse que s’il existe réellement un différend entre les parties …» et qu’il n’a pas existé de
différend interétatique sur les faits relatifs à l’inte rprétation ou à l’application de la convention sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale à laquelle les deux Etats sont parties.

Ensuite, j’expose mes réserves sur certaines formules appréciatives et certains jugements émis par
la Cour sur le comportement des autorités congolaises, formules qui semblent extrêmement
préjudiciables à l’honneur de l’Etat congolais. Sans le démontrer, la majorité insinue, comme dans
l’arrêt sur les exceptions préliminaires, que le Congo aurait délibérément délivré un procès-verbal

de «refoulement» plutôt qu’un procès-verbal d’expulsion afin de rendre tout recours impossible
contre sa décision, ou qu’il doit être établi «un lien entre l’expulsion de M. Diallo et le fait qu’il ait
tenté d’obtenir le recouvrement des créances…en sai sissant à cette fin les juridictions civiles»

(paragraphe 82 de l’arrêt). Si des accusations au ssi graves peuvent se comprendre dans la bouche
de la demanderesse, la Cour mondiale ne saurait les assumer sous forme d’une présomption sans
fondement.

Sur le fond, je précise les raisons pour lesquelles j’ai voté avec la majorité de la Cour sur les
violations par le Congo des articles9, paragrap hes1 et 2, et 13, paragraphe4, du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que des articles 6 et 12 de la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples, co ncernant les conditions de l’arrestation, de la

détention et de l’expulsion de M. Diallo, d’auta nt plus que ces mesures étaient prises en violation
de la législation congolaise elle-même. Pour autant, je n’ai pas la même interprétation que la Cour - 17 -

concernant la portée de ces articles lorsque l’arrêt ex ige, en plus des conditions qu’ils prévoient de
la régularité de l’expulsion, une condition supplémentaire non pré vue, en ajoutant que l’expulsion,

en plus d’être conforme à la loi, doit revêtir un caractère «non arbitraire». Non pas qu’il soit
permis qu’une telle mesure puisse être arbitraire, mais tout simplement parce que les dispositions
appliquées ici ne prévoient pas cette condition. En effet, l’article13 exige seulement que
l’expulsion doit être décidée «conformément à la lo i» et l’intéressé doit pouvoir «faire valoir les

raisons qui militent contre son expulsion» devant «l’autorité compétente ou [par] une ou plusieurs
personnes spécialement désignées par la dite autorité». Il en est de même du paragraphe 4 de
l’article 12 de la Charte africaine qui dit que l’étranger «légalement admis sur le territoire d’un Etat
partie à la présente Charte ne pourra être expul sé qu’en vertu d’une décision conforme à la loi».

L’interprétation de la Cour assim ile ces dispositions à celle de l’article 9 du Pacte qui lie cette
condition non pas à l’expulsion mais à l’arresta tion et à la détention. Une assimilation sans
fondement, en dépit de la «jurisprudence» que cite la Cour sur la base de la pratique du Comité des
droits de l’homme des Nations Unies, toute entière, elle aussi, relative, non pas à l’expulsion, mais

à l’arrestation et à la détention. Je trouve, par ailleurs, sur la base du paragraphe2 de
l’articlepremier du protocole n o7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l’homme, qu’une latitude certaine est reconnue aux au torités territoriales, s’ agissant, justement,

d’une prérogative aussi discrétionnaire que celle pour un Etat d’admettre ou non, conformément à
sa loi, des étrangers sur son territoire, prérogativ e que l’on ne saurait, implicitement, limiter même
en insinuant son caractère «arbitraire».

Par contre, je ne m’associe pas à la condamn ation de la République démocratique du Congo
pour violation alléguée de l’article 36, paragraphe 1 b), de la convention de Vienne sur les relations
consulaires qui prescrit l’obligation d’informer l’ét ranger arrêté ou détenu de son droit d’entrer en
contact avec les autorités consulaires de son Etat de nationalité. J’estime, en effet, que la Cour n’a

pas tenu compte des constatations qu’elle av ait faites elle-même antérieurement (affaires LaGrand
et Avena), que l’alinéa b) du paragraphe1 de l’article36 contie nt trois éléments qui sont dans un
«lien d’interdépendance» et que «les conséquences à tirer en droit de cette interdépendance
dépendent nécessairement des faits de l’espèce» ou que cette disposition «contient trois éléments

distincts mais liés entre eux» et qu’ «[i]l y a lieu de réexaminer l’interdépendance des trois alinéas
du paragraphe1 de l’article36 à la lumière des fa its et circonstances particuliers de la présente
espèce». Si elle l’avait fait, elle aurait ainsi a ppliqué une interprétation téléologique et aurait
constaté que les faits et circonstances de la présente espèce montrent, au contraire des deux affaires

susmentionnées, que le fait que la République démocratique du Congo n’aurait pas informé
M. Diallo de ses droits n’a pas empêché la Guinée d’exercer le droit qui lui confère le paragraphe 1
de l’article 36. Dans cette perspective de l’objet de cette obligation, qui est de permettre l’exercice
de sa fonction consulaire de l’Etat de nationalité, on ne peut être indifférent au fait que les autorités

guinéennes soient incontestablement informées ou, surtout, qu’elles aient pu, comme elles le
reconnaissent elles-mêmes, exercer leur foncti on consulaire. De telle sorte que le manque
d’information ne pouvait avoir pour effet l’impossi bilité pour la Guinée d’ exercer ses droits de
protection consulaire de son ressortissant. Au re gard de tout ceci, je ne pouvais adhérer à la

conclusion de la majorité condamnant la Républiq ue démocratique du Congo pour violation de
cette disposition de la c onvention de Vienne sur les relations consulaires. De toute façon, j’ai
logiquement voté en faveur du dispositif de l’ arrêt sur les réparations dues à la Guinée par le

Congo, tout en regrettant que la Cour n’ait pas pu utilement préciser ce principe jurisprudentiel que
le préjudice, purement moral et immatériel, retenu en ce qui concerne la prétendue violation par le
défendeur de l’obligation du point b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur
les relations consulaires, violation qui n’a pas produit de dommage maté riel, n’appelle qu’une

réparation «déclaratoire», morale et non pécuniaire.

Enfin, tout en ayant adhéré à la conclusion de la Cour constatant l’absence de violation par la
République démocratique du Congo des droits propr es d’associé de M. Diallo, j’ai tenu à exposer

ma motivation différente de celle de la majorité. Celle-ci s’est contentée d’affirmer que l’expulsion
du ressortissant guinéen ne visait pas ses droits d’associé «comme tels», alors qu’il m’a semblé
utile et juridiquement exact de préciser qu’au-de là de l’interprétation des faits, laquelle pourrait - 18 -

prêter à critique ou être contestée, il y a des principes juridiques qui fondent une telle conclusion.
En effet, les droits propres d’associé naisse nt, se déploient et s’exercent par rapport au

fonctionnement de la société et dans les relations en tre cette dernière et ses associés ; de ce fait, ils
ne sont opposables et, donc, exigibles qu’à la seule société. De telle sorte que les actes d’un tiers
ne peuvent porter atteinte à ces droits «en tant que tels» que s’ils constituent des ingérences du tiers
dans le fonctionnement de la société ou dans ses rapports avec ses associés ; dès lors, visant,

comme l’arrestation, la détention ou l’expulsion, la seule personne de l’individu M. Diallo, ces
actes ne pouvaient avoir visé ses droits d’associé «en tant que tels».

___________

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Résumé de l'arrêt du 30 novembre 2010

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