Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo)
VUE D'ENSEMBLE DE L'AFFAIRE
Le 28 décembre 1998, la Guinée a déposé une requête introductive d’instance contre la République démocratique du Congo au sujet d’un différend relatif à de « graves violations du droit international » qui auraient été commises sur la personne de M. Ahmadou Sadio Diallo, ressortissant guinéen. Dans sa requête, la Guinée soutenait que
« Monsieur Ahmadou Sadio Diallo, homme d’affaires de nationalité guinéenne, a[vait] été, après trente-deux (32) ans passés en République démocratique du Congo, injustement incarcéré par les autorités de cet Etat, spolié de ses importants investissements, entreprises et avoirs mobiliers, immobiliers et bancaires puis expulsé. »
La Guinée y ajoutait que « [c]ette expulsion [était] intervenue à un moment où M. Ahmadou Sadio Diallo poursuivait le recouvrement d’importantes créances détenues par ses entreprises [Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre] sur l’Etat [congolais] et les sociétés pétrolières qu’il abrit[ait] et dont il [était] actionnaire ».
Dans sa requête, la Guinée invoquait, pour fonder la compétence de la Cour, les déclarations d’acceptation de la juridiction obligatoire de celle-ci faites par les deux Etats au titre du paragraphe 2 de l’article 36 du Statut de la Cour.
Le 3 octobre 2002, la République démocratique du Congo (RDC) a soulevé des exceptions préliminaires portant sur la recevabilité de la requête de la Guinée. Dans son arrêt du 24 mai 2007 sur lesdites exceptions, la Cour a déclaré la requête de la République de Guinée recevable, d’une part, « en ce qu’elle a[vait] trait à la protection des droits de M. Diallo en tant qu’individu » et, d’autre part, en ce qu’elle avait trait à la protection des « droits propres de [celui-ci] en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre ». En revanche, la Cour a déclaré la requête de la République de Guinée irrecevable « en ce qu’elle a[vait] trait à la protection de M. Diallo pour les atteintes alléguées aux droits des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre ».
Dans son arrêt sur le fond du 30 novembre 2010, la Cour a jugé que, eu égard aux conditions dans lesquelles M. Diallo avait été expulsé le 31 janvier 1996, la RDC avait violé l’article 13 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que le paragraphe 4 de l’article 12 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Elle a également jugé que, eu égard aux conditions dans lesquelles M. Diallo avait été arrêté et détenu en 1995-1996 en vue de son expulsion, la RDC avait violé les paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte et l’article 6 de la Charte africaine. La Cour a dit en outre que « la République démocratique du Congo a[vait] l’obligation de fournir une réparation appropriée, sous la forme d’une indemnisation, à la République de Guinée pour les conséquences préjudiciables résultant des violations d’obligations internationales visées aux points 2 et 3 [du dispositif] », à savoir les arrestations, les détentions et l’expulsion illicites de M. Diallo. La Cour a de surcroît jugé que la RDC avait violé les droits que M. Diallo tenait de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires, sans toutefois prescrire le versement d’une indemnité à ce titre. Dans le même arrêt, la Cour a rejeté le surplus des conclusions de la Guinée relatives aux arrestations et aux détentions de M. Diallo, y compris l’allégation selon laquelle celui-ci avait été soumis, pendant ses détentions, à un traitement prohibé par le paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte. De plus, elle a jugé que la RDC n’avait pas violé les droits propres de M. Diallo en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre. Enfin, la Cour a décidé, en ce qui concerne l’indemnisation due à la Guinée par la RDC, que, « au cas où les Parties ne pourraient se mettre d’accord à ce sujet dans les six mois à compter du[dit] arrêt, [cette] question … sera[it] réglée par la Cour ».
Le délai de six mois ainsi fixé par la Cour étant arrivé à échéance le 30 mai 2011 sans que les Parties aient pu se mettre d’accord sur la question de l’indemnisation due à la Guinée, il revenait à la Cour de déterminer le montant de l’indemnité à accorder à celle-ci, conformément aux conclusions formulées par la Cour dans son arrêt du 30 novembre 2010. Par ordonnance du 20 septembre 2011, la Cour a fixé au 6 décembre 2011 et au 21 février 2012, respectivement, les dates d’expiration des délais pour le dépôt du mémoire de la Guinée et du contre-mémoire de la RDC sur la question de l’indemnisation due à la Guinée. Le mémoire et le contre-mémoire ont été dûment déposés dans les délais ainsi prescrits. La Cour a rendu son arrêt le 19 juin 2012.
Dans son mémoire, la Guinée évaluait à 250 000 dollars le dommage psychologique et moral subi par M. Diallo. La Cour a pris en considération différents facteurs aux fins d’évaluer ce préjudice, notamment le caractère arbitraire des arrestations et détentions dont l’intéressé avait fait l’objet, la durée exagérément longue de sa période de détention, les accusations sans preuve dont il avait été victime, le caractère illicite de son expulsion d’un pays dans lequel il résidait depuis trente-deux ans et où il exerçait des activités commerciales importantes, et le lien entre son expulsion et le fait qu’il avait tenté d’obtenir le recouvrement des créances qu’il estimait être dues à ses sociétés par l’Etat zaïrois ou des entreprises dans lesquelles ce dernier détenait une part importante du capital. Elle a également pris en considération le fait qu’il n’avait pas été démontré que l’intéressé avait été soumis à des mauvais traitements. Se basant sur des considérations d’équité, la Cour a considéré que la somme de 85 000 dollars constituait une indemnité appropriée au titre du préjudice immatériel subi par M. Diallo.
Dans son mémoire, la Guinée évaluait par ailleurs à 550 000 dollars la perte de biens personnels. La Cour a estimé que la Guinée n’était pas parvenue à établir l’étendue de la perte de biens personnels qu’aurait subie l’intéressé ni la mesure dans laquelle cette perte aurait été causée par le comportement illicite de la RDC. Tenant malgré tout compte du fait que M. Diallo avait vécu et travaillé sur le territoire congolais pendant une trentaine d’années, au cours desquelles il n’avait pu manquer d’accumuler des biens personnels, et se basant sur des considérations d’équité, la Cour a estimé que la somme de 10 000 dollars constituait une indemnité appropriée au titre dudit préjudice matériel subi par M. Diallo.
Dans son mémoire, la Guinée évaluait enfin à près de 6,5 millions de dollars correspondant à la perte de rémunération et la privation de gains potentiels qu’aurait subies M. Diallo au cours de ses détentions et à la suite de son expulsion illicites. La Cour a estimé que la Guinée n’avait pu prouver l’existence d’un tel préjudice. En conséquence, elle n’a accordé aucune indemnité à ce titre.
La Cour a conclu que l’indemnité à verser à la Guinée s’élevait donc à un total de 95 000 dollars, payable le 31 août 2012 au plus tard. Elle a décidé que, en cas de paiement tardif, des intérêts moratoires sur la somme principale courraient, à compter du 1er septembre 2012, au taux annuel de 6 pour cent. La Cour a décidé que chaque Partie supporterait ses frais de procédure.
Cette vue d’ensemble de l’affaire est donnée uniquement à titre d’information et n’engage en aucune façon la Cour.