Résumé de l'arrêt du 9 avril 1949

Document Number
1647
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1949/1
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Résumés des arrêts, avis consultatifs et ordonnances de la Cour
internationale de Justice
Document non officiel

AFFAIREDIJDÉTROIT'DE CORFOU(FOND)

Arrêt du 9 avril 1949

L'affaire du détroit de Corfou (Royaume-Uni de eaux territorialessans enavoirreçu l'autorisation; et, le
Grande-Bretagne - Albanie) est née des incidents 2 août 1946,le Gouvernement du Royaume-Uniavait
survenus le 22octobre 1946dans le détroit deCorfou : rc5pliquéque si le feu étaità nouveau ouvert sur un
deux. contre-torpilleurs britanniques. ayant heurté navire britannique en passage, celui-ci riposterait.
des inines dans les eaux albanaises, furent gravement Einfin,le 21 septembre 1946, l'Amirauté de Londres
avariés par les explosioils qui se produisirent. Le avait adresséau commandant en chef britannique en
Royaume-Uni saisit d'abord le Conseil de sécuritédes Méditerranéede télégrammesuivant (traduction) :
Nations Unies, qui, par Urierésolutiondu 9 avril 1947, "L'établissement de relations diplomatiquesavec
recommanda aux deux Gouvernementsdesoumettre le l'Albanie est de nouveau examinépar le Gouverne-
différendà la Cour. Le Royaume-Uni déposaalorsune ment de Sa Majesté,qui désire savoir si le Gouver-
requête, qui,àla suite d'une exception dlirrec:evabilité nement albanais a appris à se conduire. Veillez faire
de l'Albanie, fit l'objet d'un arrêt,en date dci25 mars connaître si des navires placés sous votre comman-
1948,par lequel la Cour s'est déclarée compétente. Le dement sont passés par le détroit nord de Corfou
même jour, les deux parties conclurent un cornpromis, depuis le mois d'août et, dans le cas contraire, si
invitant la Courà se prononcer sur les ques1:ionssui- votre intention est qu'ils passent d'ici peu par ce
vantes : détroit."
1. L'Albanieest-elleresponsabledesexplosions,et
y a-1:-ildes réparationà donner ? A la suite des explosions du 22 octobre, le Gouver-
riement du Royaume-Uni adressa à Tirana une note
2. Le Royaume-Unia-t-il violéledroit inte.rnational faisant part de son intention de procéderbref délaiau
par lesactionsde samarinedans leseaux albariaises,en cléminagedu détroit. La réponse fut que le consen-
premier lieu. lejour où se sontproduites lesexplosions, tement seraitdonnéseulement si l'opération envisagée
et, en secondlieu, les 12et 13novembre 1946.,lorsqu'il se déroulaiten dehors des eaux territorialesalbanaises
fut procédéau déminagedu détroit ? et que tout déminagedansceseauxseraittenupour une
Dans son arrêt.la Cour, sur,la première question, violation de la souverainetéde l'Albanie.
Le déminage par la marinebritannique eut lieu les
conclut, par 11voix contre 5. que l'Albanie était res- 12 et 13 novembre 1946, dans les eaux territoriales
ponsable. Sur la seconde question, elle coriclut. par albanaises et en se limitant au chenal antérieurement
14voix contre 2, que le Royaume-Uni n'a pa.svioléla déminé.Vingt-deux mines amarrées furent détachées;
souveraineté albanaise le 22 octobre, mais, :il'unani- elles appartenaient au type allemand GY.
mitii, qu'il l'a violéeles 12et 13novembre, cette der-
nièreconstatation, d'ailleilrs. constituant en elle-même
une satisfaction approprike.

celle de la responsabilité de l'Albanie, selon le droit
international, pour les explosions du 22 octobre 1946.
Les faits sontles suivants. Le 22octobre 1946,deux
croiseurs et deux contre-torpilleurs britanniques, ve- La Cour établit d'abord que les explosions ont été
nant du sud, s'engagèrengdans le détroitnord de Cor- causéespar des mines appartenant au champde mines
fou. Le chenalqu'ils suivaientet quisetrouvaitdansles découvert le 13novembre. En effet, il n'est pas con-
eauxalbanaisesétait considérécomme sûr :ilavait été ilestéquecechampde minesait été récemment mouillé;
déniinéen 1944et vérifiéen 1945.Un des contre-tor- c'est dans lechenal,antérieurementdéminé et vérifiet
pilleurs, leSaumarez, arrivé àla hauteur de Saranda, qui pouvait êtreconsidérécomme sûr, que se pro-
heurta une mine et fut gravement avarié. L'autre con- ~duisirentles explosions; la nature des avaries montre
tre-torpilleur, leolcige,futenvoyé àson aide et, alors #qu'ellessontdues àdes mines du mêmetypeque celles
qu'ille remorquait,heurta égalementune milieet subit 'draguéesle 13 novembre; enfin, l'hypothèse que le
de sérieuxdommages.Quarante-cinq officierset mate- mouillagedes minesdécouvertesle 13novembreaurait
lots britanniques mourui:ent et quarante-deux autres eu lieu après les explosions du 22 octobre est trop
furent blessés. invraisemblable pour êtreretenue.

Llnincidentétaitdéjàsurvenudansceseaux le 15mai Cela étant, quel serait le fondement juridique de la
19416: une batterie albanaise avait tirédans la direc- responsabilitédel'Albanie ?La Courne s'attache pas à
tion de deux croiseurs anglais. Le Gouvernement du lasuggestionque l'Albanie elle-même aurait mouilléles
Royaume-Uni avait protesté, en faisant val.oirque le mines : suggestion énoncée seulementpourmémoire,
passage innocent des navires dans un détroitest re- non appuyée de preuves, et qui ne se concilie pas avec
connu par le droit international; le Gouvernement lefait, incontesté, que, surtout lelittoralalbanais, ilya
albanais avait répondu clue les navires étra.ngers,de seulement quelques barques et quelques canots à mo-
guerre ou decommerce, riepouvaient pénétrerdansses teur. Mais le Royaume-Uni a plaidé laconnivence del'Albanie : le mouillage aurait étéfait par deux navires se fondant sur les déclarations du Gouvernement alba-
de guerre yougoslave. à la demande de l'Albanie, ou nais que des postes existaientilxdeux autres points, la
avec sonacquiescement. La Cour estime que la preuve Cour relève dans le rapport de ses experts les con-
decette collusion n'a pasétéapportée. Une imputation clusions suivantes : dans l'hypothèse d'un n~ouillage
d'une gravitéaussi exceptionnelle contre un Etat exi- effectué: 1)du nord au sud, les mouilleurs de mines
gerait un degrédecertitude qui n'est pas atteint ici,et la auraient été aperçus du cap Kiephali: 2)du sud au nord.
provenance des mines mouillées dans les eaux alba- ilsauraient étéobservédu monastère St. Georges et du
naises reste conjecturale. cap Kiephali.
Le Royaume-Uni a également plaidé que, quels ]le l'ensemble des faits et constatations relatées ci-
qu'en fussent les auteurs, le mouillagen'a pu êtreeffec- dessus, la Cour conclut que le mouillage n'a pu échap-
tuésans que l'Albanie en eût connaissance. Certes, le per à la connaissance de l'Albanie. Quant aux obliga-
seul fait que les mines se trouvaient. dans les eaux tions qui dérivaient pour elle de cette connaissance.
albanaises ne justifie ni responsabilitéprirna facie ni elles ne sont pas contestées. Elle devait prévenir la
déplacement du fardeau de la preuve. En revanche. il navigation et. en particulier, avertir du dangerles navi-
résulte ducontrôle exclusif exercépar un Etat dans les res qui s'avançaient dans le détroit le 32 octobre. En
limites de ses frontières qu'il peut êtreimpossible de fait, rien ne fut tentépar ellepour prévenir laatastro-
faire la preuve des faits d'où découlerait sa respon- phe. ces graves omissions engageant la responsabilité
sabilitéen cas d'une violation du droit international. internationale.
L'Etat victime doit alors pouvoir recourir plus large-
ment aux présomptions de fait. indices ou preuves cir- Idecompromis demande à la Cour s'ily a,de ce chef,
constancielles, ces moyens de preuve indirecte devant pour l'Albanie le "cas de réparations à donner" au
être considérés comme particulièrement efficaces Royaume-Uni. Cetexte afait naître certainsdoutes :la
quand ils s'appuient sur une série de faits qui s'en- Coilrpeut-elle non seulement statuersur leprincipe des
chaînent et qui conduisent logiquement à une même réparations, mais aussi en fixer le montant ? La Cour
conclusion. conclut affirmativement et, dans une ordonnance spé-
ciale, fixe des délais pour permettre aux parties de lui
Or. en l'espèce. deux ordres de faits, qui se cor- présenter leurs vues en la matière.
roborent mutuellement. entrent en considération.

Le premier est l'attitude du Gouvernement albanais.
avant et après la catastrophe. Le mouillage a eu lieu L.aCour passe ensuite à la seconde question du com-
pendant lapériodeoù ilmanifestait lavolontéd'exercer promis : Le Royaume-Uni a-t-il violé lasouveraineté
une surveillancejalouse dans ses eaux et où il exigeait albanaise le 22 octobre 1946ou les 12et 13novembre
un permis pour y entrer, poussant parfois la vigilance 1946 ?
jusqu'à l'emploi de la force : ce qui rend a prioripeu
vraisemblable l'allégationd'ignorance. Mais, en outre, La prétentionde l'Albanie de soumettre le passage à
quand il a eu pleine connaissance de I'existence d'un une autorisation se heurte au principe généralement
champde mines, ila protesté énergiquementcontre les admis que les Etats, en temps de paix, possèdent le
activitésde la flotte britanniqueet non contre le mouil- droit de faire passer leurs navires de guerre dans des
lage qui, cependant, à le supposer exécuté sans son détroits qui servent. aux fins de la navigation inter-
assentiment, eut étéune violation particulièrement nationale, àmettre encommunicationdeuxparties de la
grave de sa souveraineté; il n'a pas notifiéàla naviga- haute mer, pourvu que le passage soit innocent. Le
tion I'existence du champ de mines, comme l'exige le détroitde Corfou appartient géographiquement àcette
droitinternational: iln'aprocédé àaucunedes mesures catégorie. mêmes'il est d'une importance secondaire
internes d'instruction judiciaire qui auraient paru s'im- (en ce sens qu'il n'est pas une route qu'il faille néces-
poser en pareil cas.Cesattitudes ne s'expliquent que si, sairement emprunter pour se rendre de l'une à l'autre
ayant eu connaissance du mouillage, le Gouvernement des parties de la haute mer) et abstraction faite du
albanaisa entendu maintenir cachéesles circonstances volume du trafic qui l'emprunte. D'ailleurs. un fait
dans lesquelles il s'est effectué. particulièrement important est qu'ilconstitue une fron-
Le second ordre de faits a trait aux possibilités d'ob- tière entre l'Albanie et la Grèce, une partie du détroit
server le mouillage de la côte albanaise. Géographi- étantentièrement comprise dans les eaux territoriales
quement, le lieu se prête à une surveillance étroite : de ces Etats. 11est vrai que les relations entre eux
il est entouré de hauteurs offrant d'excellents points n'étaient pas normales, la Grèce ayant présentédes
d'observation et se trouve à proximité immédiate dela revendications territoriales précisément sur une partie
côte (la mine la plus proche en étaità500m). L'opéra- de la côte le long du détroit.Toutefois, la Cour estime
tion même du mouillage,raisonnée et méthodique, a que l'Albanie, eu égard àces circonstances exception-
obligé les mouilleurs à rester de deux heures à deux nelles, aurait étéfondée à règlementer le passage, mais
heures et demie dans les eaux situées entre le cap nepouvait nil'interdire nil'assujettiràune autorisation
Kiephali et le monastère St. Georges. A cet égard,les spéciale.
experts navals nommés parla Cour ont, après enquête L'Albanie a niéque le passage du 22 octobre fut
et expériences faites sur les lieux, déclaréconsidérer innocent :il se serait agi d'une mission politique dont
comme indiscutable que. si des postes de veille nor- les modalités d'exécution - nombre de navires, for-
maux étaient maintenus au cap Kiephali. au cap Denta mation, armement, manŒuvres. etc. - démontrent
et au monastère St. Georges, sices postesétaientmunis l'intention d'intimider. La Courexamine lesdifférentes
dejumelles et si les conditions atmosphériques étaient allégationsalbanaises dans la mesure où elles lui sem-
normales pour cette région,les opérationsde mouillage bleni: êtrepertinentes. Sa conclusion est que le pas-
auraient dû êtreobservées par ces postes. L'existence sage était innocent et dans son principe même, puis-
d'un poste de veilleau cap Denta n'est pasétablie;mais qu'il avait pour objet d'affirmer un droit injustementrefusé, et quant àses moclalitésd'exécution.lesquelles ]>lusl'admettre :entre Etats indépendants. le respect
n'étaientpas déraisonnables. notamment si l'on se rap- (le la souveraineté nationale est l'une des bases essen-
pelle les coups de canon du 15mai. i.iellesdes rapports internationaux. Certes. la carence
complètedu Gouvernement albanais au lerideniain des
Pour ce qui est de l'opérationdes 17et 13novembre, explosions et le caractère dilatoire de ses notes di-
elle fut exécutée contrela volonté clairement affirmée ~Aomatiquesconstituent pour le Royaume-Uni des cir-
du souv verne m albantais: elle ne peut s'autoriser de constances atténuantes. Néanmoins, pour assurer l'in-
l'assentiment des organisations internationales de dé- i.égritdu droit international dont elle est l'organe, la
minage: elle ne peut sejustifier par l'exercice du droit Cour doit constater que l'action de la marine de guerre
depassageinnocent. Le F.oyaume-Uniaavaoicéqu'elle I~itannique a violéla souveraineté de l'Albanie. Cette
avait eu pour but de saisir le plus rapidement possible constatation correspond à la demande faite au nom de
les auteurs du mouillage ou par les autorités albanai-r l'Albaniepar son Conseil etconstitue en elle-mêmeune
ses :ilse serait agisoit d'une application particulière et :satisfactionappropriée.
no~ivellede la théoriede l'intervention, 1'Etiitinterve-
nant agissant pour faciliter la tâche de lajustice inter-
nationale, soit d'un proctidéd'autoprotectio.n, ou self-
hrlp. La Cour n'admet pas ces thèses. Le prétendu
droit d'intervention ne pi:ut êtreenvisagépar elle que Al'arrêtde laCour sontjointes une déclarationet les
comme la manifestation cl'unepolitique de force qui ne opinions dissidentes de MM. Alvarez. Winiarski, Zo-
saurait trouveraucune place dans ledroitinternational. ricic, Badawi Pacha, Krylov et Azevedo. juges, ainsi
Quant à la notion duself-ilelpla Cour ne peut pas non que de M. Ecer. juge ad hoc.

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