Non corrigé
Uncorrected
CR 2010/3
Cour internationale International Court
de Justice of Justice
LAAYE THAEGUE
ANNÉE 2010
Audience publique
tenue le lundi 26 avril 2010, à 10 heures, au Palais de la Paix,
sous la présidence de M. Tomka, vice-président,
faisant fonction de président
en l’affaire Ahmadou Sadio Diallo
(République de Guinée c. République démocratique du Congo)
________________
COMPTE RENDU
________________
YEAR 2010
Public sitting
held on Monday 26 April 2010, at 10 a.m., at the Peace Palace,
Vice-President Tomka, Acting President, presiding,
in the case concerning Ahmadou Sadio Diallo
(Republic of Guinea v. Democratic Republic of the Congo)
____________________
VERBATIM RECORD
____________________ - 2 -
Présents : M. Tomka, vice-président, faisant fonction de président en l’affaire
Al-KMhas.awneh
Simma
Keith
Sepúlveda-Amor
Bennouna
Skotnikov
Crinçade
Yusuf
Grejugesood,
Mah iou,.
Mjugepsuya, ad hoc
Cgoefferr,
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 3 -
Present: Vice-President Tomka, Acting President
Al-KhaJswgesh
Simma
Keith
Sepúlveda-Amor
Bennouna
Skotnikov
Trindade Cançado
Yusuf
Greenwood
Judges ad hoc Mahiou
Mampuya
Couvrisrar
⎯⎯⎯⎯⎯⎯ - 4 -
Le Gouvernement de la République de Guinée est représenté par :
le colonel Siba Lohalamou, ministre de la justice, garde des sceaux,
comme chef de la délégation ;
Mme Djénabou Saïfon Diallo, ministre de la coopération ;
M. Mohamed Camara, premier conseiller chargé des questions politiques à l’ambassade de Guinée
auprès des pays du Benelux et de l’Union européenne,
comme agent ;
M.AlainPellet, professeur à l’Université ParisOuest, Nanterre-LaDéfense, membre et ancien
président de la Commission du droit international, associé de l’Institut de droit international,
comme agent adjoint, conseil et avocat ;
M. Mathias Forteau, professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre-La Défense, secrétaire général
de la Société française pour le droit international,
M.Daniel Müller, chercheur au Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), Université
Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
M. Jean-Marc Thouvenin, professeur à l’Université Pa ris Ouest, Nanterre-La Défense, directeur du
Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), avocat au barreau de Paris, cabinet Sygna
Partners,
M. Luke Vidal, avocat au barreau de Paris, cabinet Sygna Partners,
M. Samuel Wordsworth, membre des barreaux d’Angleterre et de Paris, Essex Court Chambers,
comme conseils et avocats ;
S. Exc. M. Ahmed Tidiane Sakho, ambassadeur de la République de Guinée auprès des pays du
Benelux et de l’Union européenne,
M. Alfred Mathos, agent judiciaire de l’Etat,
M. Hassan II Diallo, conseiller juridique du premier ministre de la République de Guinée,
M. Ousmane Diao Balde, directeur de la division juridique et consulaire au ministère des affaires
étrangères,
M. André Saféla Leno, président de la chambre d’accusation de la Cour d’appel de Conakry,
S. Exc. M. Abdoulaye Sylla, ancien ambassadeur,
comme conseillers ;
M. Ahmadou Sadio Diallo, homme d’affaires. - 5 -
The Government of the Republic of Guinea is represented by:
Colonel Siba Lohalamou, Minister of Justice, Keeper of the Seals,
as Head of Delegation ;
Ms Djénabou Saïfon Diallo, Minister of Co-operation;
Mr.Mohamed Camara, First Counsellor for Political Affairs, Embassy of Guinea in the Benelux
countries and in the European Union,
as Agent;
Mr.Alain Pellet, Professor at the University of ParisOuest, Nanterre-La Défense, Member and
former Chairman of the International Law Co mmission, Associate of the Institut de droit
international,
as Deputy Agent, Counsel and Advocate;
MrM. athias Forteau, Professor at the Univers ity of PariOuest, Nanterre-La Défense,
Secretary-General of the Société française pour le droit international,
Mr. Daniel Müller, Researcher at the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), University
of Paris Ouest, Nanterre-La Défense,
Mr.Jean-Marc Thouvenin, Professor at the Univer sity of ParisOuest, Nanterre-La Défense,
Director of the Centre de droit international de Nanterre (CEDIN), member of the Paris Bar,
Cabinet Sygna Partners,
Mr. Luke Vidal, member of the Paris Bar, Cabinet Sygna Partners,
Mr. Samuel Wordsworth, member of the English and Paris Bars, Essex Court Chambers,
as Counsel and Advocates;
H.E. Mr.AhmedTidiane Sakho, Ambassador of th e Republic of Guinea to the Benelux countries
and to the European Union,
Mr. Alfred Mathos, Judicial Agent of the State,
Mr. Hassan II Diallo, Legal Adviser to the Prime Minister of the Republic of Guinea,
Mr. Ousmane Diao Balde, Director of the Legal a nd Consular Division of the Ministry of Foreign
Affairs,
Mr. André Saféla Leno, President of the Indictments Division of the Court of Appeal of Conakry,
H.E. Mr. Abdoulaye Sylla, former Ambassador,
as Advisers;
Mr. Ahmadou Sadio Diallo, businessman. - 6 -
Le Gouvernement de la République démocratique du Congo est représenté par :
S.Exc.M. Henri Mova Sakanyi, ambassadeur de la République démocratique du Congo auprès du
Royaume de Belgique, du Royaume des Pays-Bas et du Grand-Duché de Luxembourg,
comme agent et chef de la délégation ;
M.Tshibangu Kalala, professeur de droit international à l’Université de Kinshasa, avocat aux
barreaux de Kinshasa et de Bruxelles, député au Parlement congolais,
comme coagent, conseil et avocat ;
M.Lwamba Katansi, professeur à l’Université de Kinshasa, conseiller juridique au cabinet du
ministre de la justice et des droits humains,
MmeCorine Clavé, avocat au barreau de Br uxelles, cabinet Liedeker ke-Wolters-Waelbroeck-
Kirkpatrick,
M. Kadima Mukadi, avocat au barreau de Kinshasa, cabinet Tshibangu et associés,
M. Bukasa Kabeya, avocat au barreau de Kinshasa, cabinet Tshibangu et associés,
M. Kikangala Ngoie, avocat au barreau de Bruxelles,
M. Moma Kazimbwa Kalumba, avocat au barreau de Bruxelles, avocat-conseil de l’ambassade de
la République démocratique du Congo à Bruxelles,
M. Tshimpangila Lufuluabo, avocat au barreau de Bruxelles,
MmeMwenze Kisonga Pierrette, chef du service ju ridique et du contentieux à l’ambassade de la
République démocratique du Congo à Bruxelles,
M. Kalume Mabingo, conseiller juridique à l’amba ssade de la République démocratique du Congo
à Bruxelles,
comme conseillers ;
M. Mukendi Tshibangu, chargé de recherches au cabinet Tshibangu et associés,
Mme Ali Feza, chargé d’études au cabinet du ministre de la justice et des droits humains,
M. Makaya Kiela, chargé d’études au cabinet du ministre de la justice et des droits humains,
comme assistants. - 7 -
The Government of the Democratic Republic of the Congo is represented by:
H.E.Mr.Henri Mova Sakanyi, Ambassador of the Democratic Republic of the Congo to the
Kingdom of Belgium, the Kingdom of the Netherlands and the Grand Duchy of Luxembourg,
as Agent and Head of Delegation;
Mr. Tshibangu Kalala, Professor of International Law at the University of Kinshasa, member of the
Kinshasa and Brussels Bars, and Deputy, Congolese Parliament,
as Co-Agent, Counsel and Advocate;
Mr.Lwamba Katansi, Professor at the University of Kinshasa, Legal Adviser, Office of the
Minister of Justice and Human Rights;
MsCorinneClavé, member of the Brussels Bar, Cabinet Liedekerke-Wolters-Waelbroeck-
Kirkpatrick,
Mr. Kadima Mukadi, member of the Kinshasa Bar, Cabinet Tshibangu & Associés,
Mr. Bukasa Kabeya, member of the Kinshasa Bar, Cabinet Tshibangu & Associés,
Mr. Kikangala Ngoie, member of the Brussels Bar,
Mr.Moma Kazimbwa Kalumba, member of the Brussels Bar, Lawyer-Counsel, Embassy of the
Democratic Republic of the Congo in Brussels,
Mr. Tshimpangila Lufuluabo, member of the Brussels Bar,
MsMwenze Kisonga Pierrette, Head of the Lega l and Litigation Department, Embassy of the
Democratic Republic of the Congo in Brussels,
Mr.Kalume Mabingo, Legal Adviser, Embassy of the Democratic Republic of the Congo in
Brussels,
as Advisers;
Mr. Mukendi Tshibangu, Researcher, Cabinet Tshibangu & Associés,
Ms Ali Feza, Researcher, Office of the Minister of Justice and Human Rights,
Mr. Makaya Kiela, Researcher, Office of the Minister of Justice and Human Rights,
as Assistants. - 8 -
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Veuillez vous asseoir. L’audience
peut finalement être ouverte. La Cour se réun it aujourd’hui pour entendre le premier tour de
plaidoiries de la République démocratique du Cong o, conformément au calendrier réaménagé en
conséquence des difficultés survenues dans le sect eur du transport aérien à la suite de l’éruption
volcanique en Islande.
Je voudrais indiquer tout d’abord que, pour des ra isons impérieuses, le président ne peut être
présent sur le siège au cours de cette semaine. En vertu de l’article 13 du Règlement de la Cour, il
m’incombe donc, en ma qualité de vice-président de la Cour, d’exercer la présidence en l’affaire
tant que le président sera empêché de siéger.
Le jugeKoroma a informé le président qu’ il se récusait de l’affaire. Par ailleurs le
jugeAbraham ne pourra, pour des raisons dûme nt expliquées à moi, participer à la séance
d’aujourd’hui.
Je donne à présent la parole au coagent de la République démocratique du Congo,
M e Tshibangu Kalala. Vous avez la parole, Monsieur.
M.KALALA: Monsieur le président, Messieurs les juges, pour des raisons d’ordre
professionnel, l’agent de la République démocra tique du Congo n’a pas été en mesure d’être
présent à l’audience de ce jour. Il m’a donc char gé de lire son allocution qu’il aurait dû prononcer
devant la Cour s’il était lui-même là.
Monsieur le président, Messieurs de la Cour, l’honneur m’échoit ce jour de m’exprimer au
nom de mon pays devant la plus haute juridiction in ternationale, à la suite de la plainte introduite
par la République de Guinée dans le cadre de la protection diplomati que qu’elle croit devoir
accorder à M. Ahmadou Sadio Diallo.
Mais avant toute chose, permettez-moi, Monsie ur le président, de m’acquitter d’un agréable
devoir, celui de saluer avec gratitude la décision de votre haute Cour de réaménager à la demande
de notre pays, et cela en toute dernière minute, le calendrier des audiences afin de permettre à
l’équipe de défense de la Ré publique démocratique du Congo bloqu ée au pays, par suite de la
fermeture du ciel européen pour des raisons connues de tous, de se présenter devant votre Cour et
d’y défendre valablement les intérêts de la RDC. - 9 -
Veuillez trouver à travers mon allocution la r econnaissance, teintée de grand respect de la
part de mon gouvernement, face à l’expression de l’attachement de cette haute instance aux
principes sacro-saints de l’équité.
La République démocratique du Congo salue au ssi, par la même occasion, l’élégance de la
République de Guinée dans sa réponse à la cons ultation de la Cour sur notre demande de
réajustement du calendrier, et cela en dépit du pe tit nuage à dissiper du ciel bleu des relations
existantes heureusement entre nos deux pays, co mme l’a souligné M.MohamedCamara. Notre
reconnaissance est d’autant plus grande que nous sommes conscients des désagréments et
perturbations qu’un tel report occasionne à coup sûr.
Cela étant dit, permettez-moi juste pour un petit moment, Monsieur le président, Messieurs
de la Cour, de vous dire que la République démocratique du Congo, que j’ai la fierté de représenter
ici, n’est pas un Etat voyou tel que décrit par le ta bleau macabre peint par la Partie adverse. Mon
pays est un Etat hospitalier que beaucoup d’étrangers ont choisi comme seconde patrie. Ils y vivent
paisiblement dans le respect des lois et règlemen ts établis par l’autorité publique. Ils créent des
richesses. Il y en a même qui achètent des caveaux pour y être enterrés. La preuve est que
M.AhmadouSadioDiallo lui-même, venu à l’âge de dix-septans, y a vécu pendant plus de
trente ans.
Je peux me permettre de dire qu’il connaît mieux mon pays que le sien. Il est évident qu’il
n’y aurait pas passé tout ce temps si ce pays avai t été celui si mal dépeint aujourd’hui par la
Guinée. Le principe de l’égalité de tous devant la loi y est garanti à tout le monde sans distinction
ni de sexe, ni de race et moins encore de nationalité.
S’il est vrai que M.Sadio a pu réaliser tout ce qu’il prétend avoir eu comme richesse, cela
n’est-il pas la preuve éloquente, Monsieur le préside nt, qu’il s’y sentait mieux que chez lui. Et si,
par ailleurs, M. Ahmadou Sadio Diallo a été expulsé sur l’ordre de M. le premier ministre, alors il y
a lieu de croire qu’il y a eu des motifs suffisamment graves qui avaient poussé cet homme de loi à
prendre une décision aussi rare et grave. Car en effet, Monsieur le président, ce genre de décision
en RDC est d’une grande rareté, et chaque fois que cela est arrivé, la procédure légale a toujours été
scrupuleusement respectée, permettant ainsi la bonne traçabilité des faits. - 10 -
Aussi la RDC regrette-t-elle le fait que la Guin ée, pays frère et ami, n’ait pas préalablement,
et cela conformément aux usages et à la sagesse africaine, jugé utile de recourir au règlement
amiable avant de saisir votre haute juridiction.
Ces discussions d’Etat à Etat, Monsieur le président, auraient sans nul doute, permis de
démasquer les agissements obscurs de M.Diallo . La Guinée aurait ainsi évité de se laisser
instrumentaliser par ce personnage. Enfin, permet tez-moi, Monsieur le pr ésident, de saisir cette
occasion pour saluer le sens du patriotisme de nos avocats qui n’ont pas reculé devant les
difficultés que traverse notre pays. Ils ont respecté les échéances sans être placés dans des
conditions optimales de travail.
En effet, il y a lieu de noter que cette affaire a commencé au moment où le pays traversait de
graves crises de son histoire.
Cela étant dit, je laisse avec votre autorisation, Monsieur le président, Messieurs les juges, la
parole au coagent de la RDC qui vous présentera les plaidoiries de notre pays et je vous remercie,
Monsieur le président, pour l’attention que vous avez bien voulu m’accorder.
Maintenant, Monsieur le président, Messieurs les juges, je vous demande de me permettre de
reprendre la parole.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président: Je vous donne la parole, je vous
demande de continuer, Maître Tshibangu Kalala, cett e fois-ci en présentant votre plaidoirie au nom
de votre pays. Je comprends que vous avez présenté un discours d’ ouverture au nom de l’agent.
Vous avez maintenant la parole en tant que coagent et conseil-avocat, représentant votre pays devant
cette juridiction. Vous avez la parole, Monsieur.
M. KALALA : Merci beaucoup, Monsieur le pr ésident. Je redeviens maintenant moi-même,
donc conseil. Merci.
LA R ÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU C ONGO N A PAS VIOLÉ LES DROITS INDIVIDUELS DE
M. A HMADOU SADIO DIALLO EN TANT QUE PERSONNE
1. Monsieur le président, Messieurs les jugeje tiens d’abord à exprimer la joie immense
que je ressens en ce moment en comparaissant pour la troisième fois devant cette Cour prestigieuse
pour assurer la défense des intérêts de mon pa ys. C’est en effet un privilège rare pour un - 11 -
enseignant du droit international de plaider devant cet organe judiciaire principal des Nations Unies
en liant ainsi la théorie à la pr atique du droit international. Je remercie donc de tout cŒur le
Gouvernement congolais pour l’honneur qu’il m’a fait et la confiance qu’il a placée en ma modeste
personne pour assurer la défense des intérêts de notre pays dans cette importante affaire qui
l’oppose à la République de Guinée.
Avant d’entamer la plaidoirie sur le fond de l’affaire, je ne peux manquer cette fois-ci,
Monsieur le président, en mon nom personnel, de remercier vivement la Cour qui, à la suite de
l’intervention malveillante et intempestive du volcan islandais dans le cours normal de la
procédure, a pris une décision pleine de sagesse et de justice en réaménageant le calendrier de
plaidoiries en toute dernière minute et dans l’urgence pour répondre favorablement à la demande de
mon pays afin de lui permettre de présenter ses moyens de défense dans les meilleures conditions.
Cette décision de la Cour, Monsieur le président , ne fait que renforcer davantage la confiance que
la République démocratique du Congo a toujours placée en elle en tant qu’incarnation de la justice
humaine la plus élevée au sein de l’humanité toute entière.
2. Monsieur le président, Messieurs les jug es, aux termes du dispos itif de son arrêt rendu
le 24 mai 2007 sur les exceptions préliminaires, la Cour s’est prononcée en ces termes :
«3 a) Déclare la requête de la République de Guinée recevable en ce qu’elle a trait à la
protection des droits de M. Diallo en tant qu’individu ;
b) Déclare la requête de la République de Guinée recevable en ce qu’elle a trait à la
protection des droits propres de M.Diallo en tant qu’associé des sociétés
Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre.» ( Ahmadou Sadio Diallo (République de
Guinée c.République démocratique du Congo), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2007, p. 618, point 3 du dispositif.)
Ce sont seulement ces deux questions clairement circonscrites que la Cour a retenues et renvoyées
pour le débat sur le fond du différend qui oppose l es deux Parties. Ainsi, dans le cadre de la
présente phase orale, la République démocratiq ue du Congo (ci-après: RDC) se penchera
exclusivement sur ces deux questions. Au cours de la présente plaidoirie de cet avant-midi, je vais
donc aborder la première questi on relative aux violations alléguées des droits individuels de
M.Diallo en tant que personne. La deuxième question portant sur les violations alléguées des
droits propres de M.Diallo en tant qu’associé des sociétés Africom-Zaïre et Africontainers-Zaïre
sera examinée, quant à elle, lors de la plaidoirie de cet après-midi. - 12 -
I.L A RDC N’A PAS COMMIS DES FAITS INTERNATIONALEMENT ILLICITES LORS DES
ARRESTATIONS ET DÉTENTIONS DE M. D IALLO
3. Monsieur le président, Messieurs les jug es, la Guinée, prenant fait et cause pour son
ressortissant Diallo, accuse la RDC dans son mémoire déposé à la Cour d’avoir commis des faits
internationalement illicites lors de l’arrestation et de l’expulsion de M.Diallo en1995-1996 et
d’avoir ainsi violé les droits individuels de l’itéressé en tant que personne physique. Elle fait
également état dans sa réplique du caractère intern ationalement illicite de l’arrestation et de la
détention de M. Diallo en 1988, il y a vingt-deux an s. La Guinée conclut en demandant à la Cour
de juger que la RDC n’a pas respecté ses obligati ons internationales lors de la commission desdits
faits. Je vais donc répondre à ces accusations en commençant d’abord par l’arrestation et la
détention de M. Diallo en 1988 (B) et ensuite ce lles qui sont intervenues en 1995-1996 (C). Mais
avant cela, Monsieur le président, je vais d’abord dire un mot sur l’arrestation et la détention de
M. Diallo qui ont eu lieu bien avant en 1983 (A) ⎯ arrestation et détention sur lesquelles la Guinée
et les professeursForteau et Thouvenin passent totale ment sous silence, sans aucune explication.
Et Monsieur le président, Messieurs les juges, vous allez comprendre dans un instant les raisons de
ce silence extraordinaire et exceptionnel de la Guinée.
A. Arrestation et détention de M. Diallo en 1983
4. Monsieur le président, Messieurs les jug es, le demandeur a versé dans son dossier
judiciaire déposé à la Cour les annexes 18 et 208 insérées dans le livre II de son mémoire. On lit
dans ces documents datés de1984, il y a vingt-sixans, que M.Di allo, président-directeur général
de deux sociétés, dirige une équipe de cent-vingt personnes dont neuf cadres «tous zaïrois». Tous
sauf sa ravissante secrétaire, antillaise, et un Guinéen, Balde, dont le rôle stratégique est de
tempérer de temps en temps les «folies» du patron. Car le patron a des crises d’illumination. Les
documents indiquent ⎯ documents produits par la Guinée elle-même ⎯ que M. Diallo, tout patron
qu’il était, roulait dans une voiture de marque Citroën qui manque de plaquettes de frein et de tuyau
d’échappement. Monsieur le président, Messieurs le s juges, il faut avouer tout de même que c’est
curieux et paradoxal pour un préte ndu millionnaire guinéen très prospè re dont le portrait est peint
dans des termes très élogieux par M eVidal dans sa plaidoirie de lundi dernier et que la Guinée - 13 -
présente devant la Cour comme ayant été spolié par la RDC. Je reviendrai en détail sur la véritable
fortune de M. Diallo au cours de ma plaidoirie de cet après-midi.
5. Je poursuis ma plaidoirie car les points les plus importants arrivent,
Monsieur le président. Toujours selon les docum ents, Ahmadou Sadio Diallo, célibataire endurci,
vit seul avec son cuisinierMoussa, dont la mésa venture a valu à son patron un mois de prison
durant le dernier trimestre de1983. De nationalité burkinabé, Moussa avait été interpellé par la
police parce que ses papiers de séjour n’étaient p as en règle. Puis il fut incarcéré avant la
notification de son expulsion. Diallo-Cravate, son patron, a voulu lui payer son billet d’avion pour
rentrer à Ouagadougou en signant un chèque de 10000zaïres que le geôlier zaïrois lui avait
demandé. Et Diallo s’est retrouvé lui-même en prison pour «tentative de corruption de
fonctionnaire». Vrai ou faux, on ne le saura jama is. Le fait est que des Guinéens bien en vue à
Kinshasa ont été impliqués dans un trafic de di amant découvert en 1983 au Beach Ngobila, le port
fluvial (situé entre Kinshasa et Brazzaville).
Les documents précisent et ajoutent que Diallo n’a pas investi dans son pays, la Guinée.
C’est ce que beaucoup de ses compatriotes lui ont reproché suite à son expulsion. Il faut noter ⎯
et ceci est important, Monsieur le président, Messieurs les juges ⎯, que c’est parce que
l’ambassade de Guinée à Kinshasa, en trimbalant M. Diallo dans la boue, l’avait amené à renier sa
nationalité. Diallo n’a pas connu la quiétude avec l’ambassade de Guinée qui, à Kinshasa, l’a
sempiternellement ⎯ et je cite le mot utilisé dans les documents produits par la Guinée
elle-même ⎯ «emmerdé», et pour preuve, le journal Jeune Afrique Economie du 16 février 1984,
sous-titrait en parlant de Diallo-Cravateen se pos ant la question: «Est-il Guinéen ou Zaïrois?»
SenenAndriamirado a écrit ceci: «Libre, Diallo-C ravate ne l’est pourtant pas tout à fait.
L’ambassade de Guinée à Kinshasa lui a retiré son passeport. Depuis, Diallo se démène comme un
beau diable pour obtenir la nationalité zaïroise.» Diallo déclare au journal:«J’ai toujours été
Guinéen, mais la Guinée ne veut plus de moi. Je veux continuer à travailler, c’est ce que je veux.
Mais cette fois en tant que Zaïrois.»
Dans une autre interview accordée à un journa l de Conakry après son expulsion, Diallo
déclare ceci: «l’agent [de police congolais] qui m’avait arrêté [en 1983] était de mèche avec des
Guinéens de Kinshasa qui complotaient contre moi. Il s sont jaloux de ma réussite car, moi, je n’ai - 14 -
jamais fait de politique, ni dans un sens ni dans l’autre…» Diallo raconte dans ce document ses
démêlés avec l’ambassadeur de Guinée à Kinshasa, MmeFatouDiarra, qui aurait tenté de
l’empoisonner en lui offrant un jus d’orange empoisonné dans sa résidence.
6. Monsieur le président, Messieurs les juges, les propos que je viens de citer devant vous
sont tirés des documents versés dans le dossier judi ciaire par la Guinée elle-même. En outre, à la
page 11 de son mémoire, la Guinée confirme une partie des propos que je viens de citer. Et suivant
1
votre propre jurisprudence en matière de preuve , étant donné que ces documents sont produits par
la Partie contre laquelle on les utilise, il faut donc leur reconnaître toute la force probante qu’ils
méritent. Il est donc établi, Monsieur le préside nt, que M.Diallo a été arrêté et détenu en 1983
pendant un mois à Kinshasa pour tentative de corr uption de fonctionnaire, qu’il entretenait de
mauvaises relations avec les Guinéens de Kinshasa, y compris avec l’ambassadeur de Guinée, et
qu’il cherchait déjà à abandonner sa nationalité guinéenne pour acquérir la nationalité congolaise
du fait que, selon ses propres termes, la Guinée ne voulait plus de lui. On voit bien, Monsieur le
président, le type et la qualité de vie que mena it M.Diallo à Kinshasa. Et s’il y a un pays qui
menait la vie dure à Diallo, c’est bien la Guin ée et non la RDC dont il cherchait à acquérir la
nationalité. Monsieur le président, vous comprenez pourquoi les défenseurs de la Guinée n’ont pas
osé invoquer ni dans les écritures du demandeur ni dans leurs plaidoiries l’arrestation et la
détention de M. Diallo en 1983. C’est tout simp lement parce que la situation est très gênante pour
la Guinée et ses défenseurs qui ont défilé devant vous lundi dernier. Il faut donc, Monsieur le
président, Messieurs les juges, qu’on arrête de présenter la RDC devant la Cour comme un pays qui
n’a fait que du mal à M.Diallo jusqu’à spolier ses biens. Il faut qu’on cesse, Monsieur le
président, de présenter M. Diallo comme un multimi llionnaire florissant qui vivait dans l’opulence
en RDC et qui a été spolié par l’Etat congolais. J’ai lu des choses inadmissibles dans les plaidoiries
de mes contradicteurs au sujet de M.Diallo. Mons ieur le président, la vérité est tout autre et je
reviendrai abondamment sur ce point au cours de ma plaidoirie de cet après-midi. J’aborde
maintenant la question de l’arrestation et de la détention de M. Diallo en 1988 qui semble arranger
les affaires de la Guinée.
1Voir affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaret contre celui-ci (Nicaragua c.Etats-Unis
d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 41, par. 64. - 15 -
B. Arrestation et détention de M. Diallo en 1988-1989
2
7. Monsieur le président, Messieurs les j uges, dans sa réplique du 19 novembre 2008 , l’Etat
demandeur a accusé pour la toute première fois l’Et at défendeur d’avoir violé les droits individuels
de M.Diallo lors de son arrestation et de sa détention intervenues en 1988-1989. La RDC a
largement répondu à cette accusation dans sa duplique du 5 juin 2009 3. Je maintiens la réponse de
la RDC sur ce point et je n’y reviendrai donc pas ici en détail pour éviter des répétitions inutiles. Je
prie donc la Cour de bien vouloir s’y référer.
8. Cependant, je me permets d’observer que le Règlement de la Cour prévoit à son article 38,
paragraphe 2, ce qui suit :
«La requête indique autant que possible les moyens de droit sur lesquels le
demandeur prétend fonder la compétence de la Cour; elle indique en outre la nature
précise de la demande et contient un exposé succinct des faits et moyens sur lesquels
cette demande repose.» 4
Sur cette base, la RDC avait soulevé le fait que le demandeur n’ava it indiqué ni dans sa
requête ni dans son mémoire les faits et les moye ns relatifs à l’arrestation et à la détention de
M. Diallo du 20 janvier 1988 au 28janvier1989, et qu’il s’agissait dans ce cas d’une demande
nouvelle présentée tardivement à la Cour par la Guinée à travers sa réplique du 19 novembre 2008,
soit , Monsieur le président, Messieurs les juges, vingt ans après les faits concernés, dix ans après
le dépôt de la requête et huitans après le dé pôt du mémoire. L’Etat défendeur concluait en
demandant à la Cour de rejete r cette accusation de la Guinée comme étant une nouvelle demande
qui ne présente aucun lien ni aucune connexité avec la demande principale relative à l’arrestation et
à la détention de 1995-1996 et qui a été présentée tard ivement à la Cour au cours de la procédure.
Et que s’agissant d’une demande nouvelle, la RD C est en droit de soulever des exceptions
préliminaires liées à la compétence de la Cour et à la recevabilité de cette demande, notamment
l’exception relative au non-épuise ment des recours internes pour ces faits intervenus plusieurs
années ⎯ j’insiste, Monsieur le président, plusieurs années ⎯ avant l’expulsion de M. Diallo.
2
Voir la réplique de la Guinée (RG), p. 6.
3
Voir la duplique de la RDC (DRDC), p. 5-12.
4Voir Règlement de la Cour (1978) tel que modifié le 5 décembre 2000, éd. 2000, p. 118. - 16 -
9. Au cours de sa plaidoirie de lundi dernier, le professeur Thouvenin, pour qui j’ai beaucoup
5
de respect et d’admiration, n’a avancé aucune explication sérieuse et convaincante sur ce point . Je
ne peux donc pas rater de dénoncer la stratégie j udiciaire utilisée par le professeur Thouvenin qui
consiste à se cacher derrière l’arrêt sur les exceptions préliminaires du 24mai2007 au lieu de
démontrer que la Guinée avait exposé et dans sa requête et dans son mémoire les faits et les
moyens relatifs à la demande portant sur l’arresta tion et la détention de M.Diallo en 1988-1989.
Le raisonnement tenu par le professeurThouvenin da ns sa plaidoirie sur ce point donne à penser
que le professeur Thouvenin aurait lui-même modifié le Règlement de la Cour à l’insu de celle-ci
en prévoyant que c’est dans un arrêt de la Cour et non dans la requête introductive d’instance et
dans le mémoire qui la développe que le demandeur doit indiquer les faits et les moyens sur
lesquels repose sa demande. Je pense, Monsieur le président, Messieurs les juges, que le
professeur Thouvenin n’est pas lui-même convaincu de son raisonnement et qu’il l’a avancé devant
la Cour tout simplement pour rire.
10. La vérité est que la Guinée n’a indiqué ni dans sa requête introductive d’instance du
28décembre1998 ni dans son mémoire sur le f ond du différend du 23mars2001 les faits et les
moyens relatifs à l’arrestation et à la détention de M.Diallo en 1988-1989. Ceci n’a été fait que
dans sa réplique du 19 novembre 2008. La Cour ne peut donc pas accueillir une demande formulée
pour la première fois à un tel stade de la procédur e. Cette demande mérite donc d’être purement et
simplement rejetée par la Cour pour tardiveté.
11. A toutes fins utiles, Monsieur le président , je fais remarquer à la Cour que le caractère
légal et régulier de l’arrestation et de la déte ntion de M.Diallo en 1988-1989 a été amplement
démontré dans la duplique de l’Etat demandeur 6. Je n’y reviendrai donc pas ici pour éviter des
répétitions inutiles. Je prie donc la Cour de bien vouloir s’y référer. Je relève simplement que le
professeurThouvenin ferme délibérément les yeux sur la lettre de M.Lounceny Kouyate,
conseiller à l’ambassade de Guinée à Kinshasa, adressée au Gouvernement guinéen à Conakry en
date du 3 février 1988, soit une semaine environ ap rès l’arrestation de M. Diallo, où il précise que
M.Diallo a été arrêté et détenu pour escroqueri e et qu’il a été conduit au parquet général de
5
Voir CR 2010/1, p. 30-31 (Thouvenin).
6Voir DRDC, p. 5-12. - 17 -
Kinshasa aux fins d’enquête. Monsieur le président , ceci figure clairement, noir sur blanc, dans la
lettre du diplomate guinéen. Monsieur le prési dent, Messieurs les juges, vous trouverez la
transcription de cette lettre aux pages17 et18 des observations de la Guinée du 3juillet2003 sur
les exceptions préliminaires de la RDC. Malgré cette preuve irréfutable produite par la Guinée
elle-même, le professeur Thouvenin continue cependant à affirmer dans sa plaidoirie que M. Diallo
n’a jamais été arrêté et détenu da ns le cadre d’une enquête judiciai re et qu’il n’a jamais été accusé
d’escroquerie alors que l’Etat guinéen lui-même le reconnaît.
12. Dans ces conditions, Monsieur le président, si le fait d’amener M. Diallo vers le parquet
général de Kinshasa ne s’inscrivait pas dans le ca dre d’une enquête judiciaire ouverte à sa charge
par la justice congolaise, je pose donc alors la ques tion à la Guinée de savoir si le parquet général
de Kinshasa, où M.Diallo avait été conduit en 19 88 avant d’être transféré à la prison, selon la
Guinée elle-même, était un garage de véhicules où il était parti faire réparer sa voiture Citroën qui
n’avait pas de plaquettes de freins ni de tuyau d’échappement ou si le parquet général était un
restaurant où il était parti offrir des repas à ses clients.
13. La Guinée s’étonne également que M. Dia llo ait passé une année de sa vie en détention
provisoire. Je ne souhaite pas faire ici état, Monsieur le président, Messieurs les juges, de ce qui se
passe actuellement à Guantanamo à Cuba avec les prévenus des attentats du 11 septembre 2001 aux
Etats-Unis. Je demande simplement au professeur Thouvenin qui a soulevé cette question au cours
de sa plaidoirie d’aller faire un tour à Conakry et de visiter les prisons guin éennes. Il y trouvera
certainement des Guinéens maintenus en détenti on provisoire pour des raisons valables liées aux
exigences de l’enquête judiciaire par des magistra ts guinéens en attendant leur jugement par un
tribunal compétent. La situation n’est guère différente en France et dans d’autres pays du monde.
14. Au total, Monsieur le président, la RDC pr ie la Cour de déclarer irrecevable la demande
de la Guinée relative à l’arrestation et à la détention de Diallo en 1988-1989 pour tardiveté ou de la
rejeter comme non fondée. Je passe à présent aux événements de 1995-1996 qui sont directement à
la base du présent différend qui est soumis à la Cour. - 18 -
C. Arrestation et détention de M. Diallo en 1995-1996
15. Monsieur le président, Messieurs les jug es, pour mieux comprendre la problématique de
l’arrestation et de l’expulsion de M. Diallo du te rritoire congolais en janvier 1996, qui est au centre
du présent différend soumis à la C our, je vais d’abord faire un br ef rappel de l’environnement
politique, économique et social qui prévalait en RDC au moment où sont intervenues les mesures
concernées (2). Ensuite, j’expliquerai à la Cour que les allégations de l’Etat demandeur selon
lesquelles les autorités congolaises auraient inflig é des mauvais traitements à M.Diallo, manqué
d’informer les agents consulaires guinéens de la déte ntion de M. Diallo en violation de l’article 36
de la convention de Vienne sur les relations cons ulaires et privé M. Diallo de ses biens personnels
ne sont pas du tout fondées (3). Mais avant de développer ce qui précède, je vais d’abord dire un
mot sur les silences de la Guinée sur certaines acc usations qu’elle avait portées contre l’Etat
défendeur (1).
1. Les silences assourdissants de la Guinée
a) Le silence relatif aux mauvais traitements qu’aurait subis M. Diallo
16. Le premier silence de la Guinée porte sur les prétendus mauvais traitements que Diallo
aurait subis lors de son arrestation et de sa déte ntion en 1995-1996. Dans son mémoire, la Guinée
accusait la RDC d’avoir infligé des mauvais traitements à M. Diallo lors de son emprisonnement et
de son expulsion en 1995-1996. A ce propos, la Guinée affirme qu’en exécution de l’ordre
d’expulsion, M.Diallo a été emmené le 5n ovembre1995 par les forces de l’ordre et mis
clandestinement aux arrêts dans un cachot des services de l’immigration sans aucune forme de
procès ou même d’interrogatoire, et y serait resté emprisonné sans aucune visite de ses avocats ni
des membres de l’ambassade de la Guinée jusqu’ au 10 janvier 1996, soit pendant soixante-quinze
jours. Il aurait été incarcéré dans des conditions précaires et sans recevoir aucune ration
7
alimentaire de la part des autorités congolaises .
17. Dans son contre-mémoire du 27mars2008, la RDC a rejeté toutes ces allégations de
8
l’Etat demandeur et démontré qu’elles ne reposaient sur aucune preuve sérieuse et crédible . L’Etat
défendeur avait relevé notamment le fait que pendant la période au cours de laquelle M. Diallo est
7
Voir le mémoire de la Guinée (MG), p. 30-51.
8Voir le contre-mémoire de la RDC (CMRDC), p. 13-14. - 19 -
présenté par la Guinée comme étant enfermé dans un cachot sans aucun contact avec le monde
extérieur, soit du 5 novembre 1995 au 10 janvier 1996, l’intéressé a adressé au premier ministre du
Zaïre, aux ministre des finances et du plan, en date du 30 novembre 1995, trois lettres signées de sa
main. On pourrait donc se poser la question de sa voir comment M. Diallo a été en mesure d’écrire
et d’expédier ces trois lettres pendant une période où la République de Guinée le présente comme
enfermé et maltraité dans un cachot des services d’immigration congol ais. De plus, M.Diallo ne
faisait aucune allusion dans ses lettres au calvaire que le même premier ministre congolais serait en
train de lui faire subir dans le secret dans un cachot. Aussi, alors que la Guinée le présentait
comme emprisonné, maltraité et en voie d’être expul sé du Zaïre, M. Diallo se préoccupait dans ses
lettres exclusivement de la récupération des créan ces d’Africontainers-Zaïre sans faire aucune
allusion, Monsieur le président, Messieurs les j uges, à des préoccupations relatives aux conditions
de sa détention. C’est tout de même curieux. En fin, il était bien difficile de comprendre comment
M.Diallo aurait pu passer plusieurs dizaines de jours enfermé, sans pouvoir se nourrir ni se
désaltérer, comme le prétendait la Guinée. La RDC concluait en demandant à la Cour de rejeter les
allégations de la Guinée du fait qu’elles étaient dé pourvues de toute crédibilité et de toute preuve
sérieuse et convaincante.
18. Monsieur le président, Messieurs les juges, la RDC prie la Cour de bien vouloir noter
que, dans sa réplique du 19novembre2008, la Guinée a opéré un vira ge spectaculaire de
180 degrés au sujet des accusations portées contre la RD C que je viens d’indiquer il y a un instant.
La Guinée a en effet déclaré ce qui suit :
«Au Zaïre, à l’époque des faits, les contacts entre les prisonniers et des
personnes extérieures aux prisons étaient fréquents, réguliers, et même à certains
égards institutionnalisés puisque les autorités s’appuyaient habituellement sur eux
pour assurer la subsistance des détenus. En effet, «en règle générale, ce sont les
organisations non gouvernementales, les associations religieuses et les familles mêmes
des détenus qui se chargent de nourrir les prisonniers», selon un rapport sur la
situation des droits de l’homme au Zaïr e du 19décembre1994. De fait [précise la
Guinée], durant toute sa détention, M. Diallo n’a été nourri que grâce à l’aide que lui
apportait sa famille. C’est également parce qu’il avait des contacts avec l’extérieur
qu’il a pu donner instruction de rédiger les lettres du 30novembreet qu’il a pu les
9
signer.»
9
Voir RG, p. 17 ; les italiques sont de nous. - 20 -
La Guinée ajoute que «d’autres voies ont été utilisées pour alerter l’opinion publique … tandis que,
le 21 décembre 1995 [au moment où M. Diallo est censé être arrêté], l’ambassadeur de Guinée à
10
Kinshasa rendait compte de la situation à sa hiérarchie» .
19. Monsieur le président, Messieurs les jug es, les autorités congolaises ont pris un verre de
champagne, avec beaucoup de joie et de plaisir, en lisant ces très belles phrases rédigées en bon
français par la République de Guinée à laquelle elles présentent d’ailleurs des sincères
remerciements. Alors qu’on attendait les preuves de ses accusations contre la RDC au sujet des
mauvais traitements qui auraient été infligés à M. Diallo en prison, la Guinée apporte au contraire
les preuves de la bonne conduite de la RDC en ma tière de protection des droits des prisonniers.
L’Etat demandeur précise même que M.Diallo a été bien nourri et avait des contacts réguliers et
institutionnalisés avec l’extérieur pendant sa déten tion. Il ajoute que l’ambassadeur de Guinée à
Kinshasa connaissait bien la situation de Diallo et rendait régulièrement compte de la situation aux
autorités guinéennes à Conakry. Je reviendrai, comm e je l’ai souligné, sur ce point au cours de la
présente plaidoirie.
20. Le professeurThouvenin a gardé un silen ce total sur cette accusation au cours de sa
plaidoirie de lundi dernier. Au regard de ce que je viens d’expliquer, Monsieur le président, la
RDC demande à la Cour de constater que, de l’aveu même de la Guinée, aucun mauvais traitement
n’a été infligé à M. Diallo lors de sa détention et de son expulsi on du territoire congolais. C’est ce
qui explique le silence assourdissant gardé sur ces graves accusations par tous les plaideurs de la
Guinée qui ont défilé devant la Cour le lundi dernier. La RDC a entendu ce silence de la Guinée et
prie donc la Cour de l’entendre aussi et d’en tirer toutes les conséquences qui s’imposent.
b) Le silence relatif au manquement de la RDC d’interroger et de juger M.Diallo avant son
expulsion
21. Monsieur le président, Messieurs les juges, j’aborde maintenant le deuxième silence de la
Guinée sur la question du prétendu manquement de la RDC pour n’avoir ni interrogé ni jugé
M.Diallo avant son expulsion. Dans ses écritu res, la Guinée reproche à la RDC de n’avoir
organisé ni l’interrogatoire, ni le jugement, ni l’ accès de M.Diallo à ses avocats. Elle en conclut
10
Ibid. ; les italiques sont de nous. - 21 -
que la détention et l’expulsion de celui-ci sont des faits arbitrai res et internationalement illicites .11
Il n’en est rien, Monsieur le président, comme je vais l’expliquer à la Cour dans un instant.
22. A propos de cette accusation, le défendeur avait relevé dans son contre-mémoire que la
Guinée confondait ici deux procédures totalement distin ctes. M. Diallo n’a pas été arrêté et détenu
dans le cadre d’une procédure pénale initiée dans le cadre d’une enquête j udiciaire conduite par le
parquet de la République qui deva it aboutir à la présentation éventuelle de l’intéressé devant un
tribunal compétent après la fin de ladite enquê te. C’est dans ce type de procédure pénale
qu’interviennent l’interrogatoire et la défense du prévenu qui pourrait être présenté, le cas échéant,
devant le juge compétent.
23. En revanche, dans la présente affaire, M. Diallo a fait l’objet d’une simple détention
administrative en vue de son éloignement du terr itoire congolais à la suite de sa conduite que les
autorités congolaises ont jugée attentatoire à l’ordre public. Il n’était reproché à M. Diallo aucune
infraction pénale spécifique qui aurait justifié sa détention provisoire dans le cadre des poursuites
pénales engagées contre lui.
24. L’article 15 de la loi congolaise du 12 septe mbre 1983 sur la police des étrangers prévoit
un délai maximum de huitjours entre le jour de l’ arrestation d’un étranger jugé indésirable sur le
territoire congolais et celui de son expulsion. Ce tte loi prévoit donc la détention administrative
d’un étranger aux fins d’expulsion et non aux fins des poursuites judiciaires. Dans une telle
procédure administrative spéciale, il est inapproprié d’invoquer l’interrogatoire et la défense de la
personne concernée.
25. L’Etat défendeur ajoutait que la Guinée éta it en défaut d’apporter la preuve du refus des
autorités congolaises d’autoriser les avocats de M. Diallo à visiter celui-ci lors de sa détention
ayant précédé son expulsion du territoire congolais alors que l’intéressé entretenait des contacts
suivis avec des personnes extérieures à la prison et avait donc la liberté de consulter ses avocats.
26. Devant cette argumentation de la RDC, la Guinée n’est plus revenue sur cette accusation
au cours des plaidoiries de lundi dernier. La seule conclusion valable qu’on peut tirer de ce silence
est que la Guinée a retiré elle-même son accusation en la jugeant non fondée. C’est pourquoi la
11
Voir MG, p. 51-53. - 22 -
RDC demande à la Cour de constater et de dire que les allégations de la Guinée sur ce point ne sont
pas fondées.
c) Le silence relatif au déni de justice envers M. Diallo
27. Monsieur le président, je passe maintenant au troisième silence de la Guinée concernant
le prétendu déni de justice dont M. Diallo aurait été victime de la part des autorités congolaises. Le
demandeur a fait valoir dans ses écritures que M. Di allo aurait été victime de deux types de dénis
de justice de la part des autorités congolaises : un déni de justice relatif à l’exécution du jugement
du 3juillet1995 condamnant la société Zaïre She ll à verser la somme de 13millions de dollars
américains à la société Africontainers-Zaïre, et un déni de justice géné ralisé consistant dans
l’impossibilité dans laquelle s’est trouvé M.Dia llo de poursuivre le règlement des différends
relatifs à ses affaires en RDC en raison de sa détention et de son expulsion.
28. Cette thèse, Monsieur le président, de déni de justice a été vigoureusement combattue par
la RDC en démontrant qu’elle aboutit à ce que la Guinée exerce sa protection diplomatique
concernant les droits propres des sociétés Africontai ners et Africom-Zaïre, contrairement à l’arrêt
sur les exceptions préliminaires rendu par la Cour dans la présente affaire le 24 mai 2007 par lequel
la requête de l’Etat demandeur a été déclarée irrecevable sur cette question. En effet, ces deux
types de dénis de justice, s’ils étaient avérés, auraient été commis à l’égard des sociétés
Africontainers-Zaïre et Africom-Zaïre qui seraient titulaires des créances réclamées et non à l’égard
de M. Diallo en tant que personne.
29. En effet, la Cour a déjà constaté dans son arrêt du 24 mai2007 qu’il n’est pas contesté
que l’ensemble des réclamations financières (contentieux commerciaux ou autres) invoquées par la
Guinée concernent les droits propres desdites sociétés commerciales en tant que personnes morales
et non ceux de M. Diallo en tant que personne physique. Ce qui est le cas de tous les contentieux
commerciaux, en particulier de celui invoqué par la Guinée qui a opposé Africontainers-Zaïre à la
société pétrolière Zaïre Shell.
30. Devant la force des arguments déve loppés par la RDC dans ses écritures, le
professeur Thouvenin a jugé plus prudent de garder le silence le plus total au cours de sa plaidoirie
de lundi dernier sur les allégations de la Gu inée relatives aux dénis de justice qu’aurait subis - 23 -
M.Diallo de la part de l’Etat congolais. Je prie donc la Cour de bien vouloir prendre acte de ce
silence assourdissant du demandeur sur ces accusations et de juger, en conséquence, que celles-ci
ne sont pas fondées.
d) Le silence relatif aux manquements contractuels
31. Monsieur le président, Messieurs les juges, je vais à présent faire état du dernier et
quatrième silence de l’Etat demandeur au sujet de la violation alléguée par la RDC au sujet des
engagements contractuels envers Diallo. En e ffet, l’Etat demandeur a affirmé dans ses écritures
que la violation par un Etat des engagements cont ractuels conclus avec un étranger peut constituer
un fait internationalement illicite dans la mesure où cette violation est accompagnée par d’autres
faits internationalement illicites. La Guinée prét end qu’il en va ainsi des violations commises par
la Gécamines du contrat de transport du 13 juille t 1983 et du refus du département des finances de
payer la créance d’Africom-Zaire d’un montan t de 178millions de zaïres, qui seraient
accompagnées par d’autres actes internationalement illicites, notamment la détention et l’expulsion
illicite, l’ingérence arbitraire et le déni de justice.
32. Monsieur le président , la RDC a également repoussé cette argumentation dans son
contre-mémoire en expliquant que cette manière de raisonner aboutit à ce que la Guinée exerce sa
protection diplomatique à l’égard des sociétés Africontainers et Africom-Zaïre, et ceci
contrairement à l’arrêt rendu par la Cour sur les exceptions préliminaires dans la présente affaire, le
24 mai 2007. En effet, le contrat tripartite du 13 juillet 1983 et la commande du papier-listing ont
été conclus par les sociétés Africom-Zaïre et Afri containers-Zaire, en tant que personnes morales.
Ainsi, les prétendus manquements contractuels, s’ils étaient établis, auraie nt été commis à l’égard
de ces sociétés en tant que personnes morales et non envers M.Diallo en tant que personne
physique. On se retrouve donc ici dans la même hypothèse relative au déni de justice que je viens
de citer il y a un instant. Par conséquent, la RDC concluait qu’elle n’a violé aucun manquement
contractuel envers M. Diallo en tant que personne.
33. Monsieur le président, Messieurs les jug es, devant l’argumentation solide et imbattable
exposée par la RDC, la Guinée a choisi de fuir le débat judiciaire sur cette accusation pour se - 24 -
réfugier dans le silence. Alors, il faut que la Guinée garde définitivem ent le silence sur cette
accusation qui est manifestement non fondée.
34. Au total, compte tenu de tous les silen ces de la Guinée que je viens d’indiquer, la RDC
prie la Cour de bien vouloir rejeter comme non fondées les allégations concernées de la Guinée.
Le moment est venu maintenant, Monsieur le président, d’examiner le contexte social global
qui prévalait en RDC pendant la période où M. Diallo a été arrêté et détenu en 1995-1996.
2. Le contexte national lors de l’arrestation et de la détention de M. Diallo en 1995-1996
35. Monsieur le président, le 24avril1990, il y a vingt-deuxans aujourd’hui, le
maréchalMobutu décide de restaurer la démocratie pluraliste et d’abolir le régime dictatorial de
parti unique qui régnait sur le pays depuis près de vingt-cinq ans. Mais le maréchal Mobutu et les
dignitaires de son régime devenus largement mino ritaires dans le pays décident de s’accrocher
désespérément au pouvoir et aux privilèges. Ils re fusent catégoriquement de jouer franc jeu et de
mettre en place un régime démocratique ouvert et acceptable par le peuple congolais et par toutes
les forces démocratiques. Ceux-ci déclenchent alors une opposition politique radicale et
systématique contre le régime en place. Cette situation politique grave a créé un environnement
social caractérisé par la déliquescence de l’Etat co ngolais, l’effondrement de l’économie et de la
monnaie nationale, la misère de la population et la contestation politique généralisée du régime en
place. La mauvaise gestion de l’économie et des finances publiques ainsi que la corruption du
régime ont contraint les institutions de Bretton Woods et les partenaires bilatéraux de la RDC à
rompre toute coopération avec le Gouvernement congolais pendant plus de dix ans.
36. C’est dans ce contexte de crise politique, économique, sociale et morale que des émeutes
populaires, caractérisées et facilitées par une mutinerie de l’armée congolaise, ont éclaté
en septembre 1991 à Kinshasa, capitale de la RDC. Ces émeutes d’une ampleur sans précédent ont
provoqué des pillages à vaste échelle des entreprises privées sur l’ensemble de la ville de Kinshasa
et aggravé la destruction du tissu économique du pays. En janvier1993, d’autres émeutes
populaires, au cours desquelles l’ambassadeur de France en RDC a trouvé la mort, ont éclaté à
Kinshasa et entraîné des pillages énormes des biens publics et privés dans la ville. La plupart des
expatriés qui tenaient encore l’économie congolaise ont quitté le pays. La société - 25 -
Africontainers-Zaïre, dont M. Diallo était gérant et associé, a également subi les effets néfastes de
toutes ces émeutes sur ses activités à l’instar d’autres sociétés privées. C’est ce qui explique dans
une très large mesure l’état de faillite non d éclarée dans lequel s’est trouvée la société
Africontainers-Zaïre, spécialisée dans le transpor t des marchandises par conteneurs. Je reviendrai
en détail, Monsieur le président, dans ma plaidoirie de cet après-midi, sur la situation réelle de cette
société que la Guinée présente faussement ⎯présente faussement, j’insiste ⎯ à la Cour comme
ayant été très florissante au moment de l’expulsion de M. Diallo.
37. Dans un discours prononcé le 14 août 2003 à la foire internationale de Kinshasa (FIKIN),
le gouverneur de la banque centrale du Congo a présen té la situation de l’économie congolaise au
cours de la décennie1990 à2000. Il y souligne notamment la dégradation des infrastructures de
base, le pillage de l’outil de production ⎯j’insiste, le pillage de l’outil de production ⎯,
l’accumulation des arriérés de la dette extérieure et la rupture de la coopération structurelle avec la
communauté internationale. Dans son rapport annuel établi en1994 par la banque centrale du
Congo concernant l’évolution de l’économie du Za ïre (RDC) en 1993, il est mentionné que le taux
d’inflation était de 2989% en1992 et de 4651% en 1993. L’étude signale également les effets
néfastes des pillages de janvier 1993 sur l’économie congolaise.
38. Profitant du climat généralisé de déliquescence des structures de l’Etat congolais, de
dégradation de l’économie et de dépravation des mŒurs à grande échelle sur fond d’affrontements
politiques pour le contrôle du po uvoir dans le pays et l’accès aux privilèges, certains ressortissants
étrangers qui étaient restés en RDC à l’époque se sont lancés dans la criminalité économique en
vue de s’enrichir par tous les moyens. Pour faire face à cette situation grave où des groupes
mafieux cherchaient à profiter de la faiblesse et de l’instabilité des autorités étatiques ⎯ les
groupes mafieux régnaient sur l’économie du pays, fabr iquaient de la fausse monnaie, trafiquaient
les devises étrangères, fraudaient le fisc et détruisaient les finances publiques ⎯, le Gouvernement
congolais a décidé au début de l’année1995 d’enga ger une lutte vigoureuse et acharnée contre la
criminalité et la déstabilisation économique.
39. C’est dans le cadre de cette lutte, Monsieur le président, Messieurs les juges, que le
Gouvernement congolais a pris une série de m esures d’expulsion à l’encontre de certains
ressortissants étrangers qui étaient impliqués dans la criminalité économique. C’est ainsi que le - 26 -
Gouvernement congolais a pris le décret du 22février995 portant expulsion de
quatre-vingt-sixressortissants étrangers pour im plication dans la criminalité économique et
financière. Cinq jours plus tard, le 27février1995, le Gouvernement congolais a pris encore un
autre décret portant expulsion de quatre-vingt-qua tre personnes étrangères pour les mêmes raisons.
Le 31octobre1995, soit huitmois plus tard, le Gouvernement congolais a pris le décret pour
expulser M. Diallo du territoire congolais pour les mêmes motifs ⎯ le décret dont il sera question
au cours de cette plaidoirie. Plusieurs mois après l’expulsion de M.Diallo, le Gouvernement
congolais a encore pris un autre décret, le 20 septembre1996, relatif à l’expulsion du territoire
congolais de vingt-quatreressortissants étrangers impliqués dans les crimes économiques.
Monsieur le président, Messieurs les juges, vous tr ouverez les copies de ces décrets dans le dossier
des juges qui sont entre vos mains sous la cote n o 1.
40. C’est donc dans le contexte national que je viens de décrire que le décret d’expulsion
visant M.Diallo a été pris en date du31 octobre1995. Comme vous pouvez le constater,
Monsieurle président, Messieurs les juges, la mesu re d’expulsion dirigée contre M.Diallo n’était
pas une mesure isolée qui serait motivée par la vengeance de l’Etat congolais contre l’intéressé
pour nuire à ses intérêts de manière arbitraire. Selon les termes mêmes du décret, la mesure était
motivée par le fait que la présence et la conduite de M.Diallo compromettaient l’ ordre public
congolais, spécialement en matière économique, financière et monétaire. Monsieur le président,
o
vous trouverez une copie de ce décret dans le dossier des juges sous la cote n 2.
41. Monsieur le président, Messieurs les juges, je viens de vous présenter les raisons et les
circonstances qui ont entouré l’arrestation, la dé tention et l’expulsion de M.Diallo de la RDC
le31janvier1996. Je vais m’attacher à présent à expliquer à la Cour que toutes ces mesures ont
été prises conformément à loi congolaise et dans le respect des obligations internationales de
la RDC.
3. La légalité de l’arrestation et de la détention de M. Diallo en 1995-1996
42. Monsieur le président, Messieurs les me mbres de la Cour, la RDC a déjà exposé
amplement dans ses écritures sa position sur l’arr estation et la détention de M.Diallo - 27 -
12
en 1995-1996 . Le professeur Thouvenin est revenu encore sur ces événements dans sa plaidoirie
de lundi dernier 13. Les affirmations du professeur Thouvenin n’ayant pas ébranlé substantiellement
les réponses de la RDC exposées dans le contre-mémoire et la duplique, je ne trouve pas nécessaire
de revenir sur ces aspects au cours de cette plaidoirie en répétant ce qui a été clairement exposé
dans les écritures de l’Etat défende ur. Je prie donc la Cour de bi en vouloir se référer aux écritures
de la RDC sur ces questions pour éviter, comme je le dis, des répétitions inutiles. Mais cependant,
je dois répondre aux affirmations du professeu rThouvenin sur certains points que j’ai jugés
pertinents qui continuent encore à diviser les Par ties sur cette question. Il s’agit de la violation
alléguée de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires a) et de la privation
de M. Diallo de ses biens personnels b).
a) La violation alléguée de l’article 36 de la convention de Vienne sur les relations consulaires
43. Monsieur le président, Messieurs les juges, l’Etat demandeur affirme également dans ses
écritures que la RDC aurait violé les dis positions de l’article 36, paragraphe 1 b), de la convention
de Vienne sur les relations consulaires pour n’avoi r pas permis des contacts entre M. Diallo et les
agents consulaires guinéens à Kinshasa lors de la détention de celui-ci 14.
44. Au cours de sa plaidoirie, le professeu r Thouvenin a soulevé cette question qui, comme
je viens de le dire il y a un instant, continue à di viser les Parties. Les allégations de la Guinée ne
sont pas fondées, Monsieur le président, comme je vais le montrer dans quelques instants.
45. En effet, l’article36, paragraphe1 b), de la convention de Vienne sur les relations
consulaires dispose ce qui suit :
«si l’intéressé [l’étranger arrêté, incarcéré ou détenu] en fait la demande, les autorités
compétentes de l’Etat de résidence doivent av ertir sans retard le poste consulaire de
l’Etat d’envoi lorsque, dans sa circonscrip tion consulaire, un ressortissant de cet Etat
est arrêté, incarcéré ou mis en état de dé tention préventive ou tout autre forme de
détention…».
46. Monsieur le président, la RDC sait parfa itement que la Cour s’est prononcée récemment
sur l’interprétation de cette disposition c onventionnelle, notamment dans l’affaire LaGrand qui a
12
Voir les exceptions préliminaires de la RDC (EPRDC), p. 39-42, CMRDC, p. 8-24 et DRDC, p. 3-15.
13Voir CR 2010/1, p. 31-39 (Thouvenin).
14Voir MG, p. 43-44 et RG, p. 24-26. - 28 -
opposé l’Allemagne aux Etats-Unis d’Amérique 1. L’arrêt rendu par la Cour dans cette affaire,
Monsieur le président, comme tous les au tres arrêts de la Cour, a des effets erga partes compte
tenu des faits et de toutes les circonstances pertinentes de l’espèce. La particularité de cette affaire,
Monsieur le président, ⎯ affaire LaGrand (Allemagne c.Etats-Unis d’Amérique) ⎯ repose sur le
fait que les Etats-Unis, Etat défendeur, ont r econnu sans aucune contestation, avoir violé la
disposition conventionnelle invoquée par l’Allema gne pour n’avoir pas donné aux frères LaGrand
la possibilité de bénéficier de la protection consulaire de l’A llemagne, pays dont ils avaient la
nationalité. Il y avait donc manifestement ⎯ cela, on ne peut pas le discuter ⎯ un manquement à
leurs obligations internationales clairement établi dans le chef des Etats-Unis, manquement aggravé
par le fait que les frères LaGrand avaient été jugés, condamnés à mort et même exécutés.
C’est dans ce contexte que la Cour a comme ncé par constater dans son arrêt ce qui suit ⎯ et
la Cour a raison ⎯ :
«lorsque l’Etat d’envoi n’a pas connaissance de la détention de l’un de ses
ressortissants, parce que l’Etat de résidence n’a pas effectué sans retard la notification
consulaire requise, ce qui fut le cas en l’ espèce entre1982 et1992, l’Etat d’envoi se
trouve dans l’impossibilité pratique d’exercer , à toutes fins utiles, les droits que lui
confère le paragraphe 1 de l’articl36» ( LaGrand (Allemagne cE . tats-Unis
d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 492, par. 74 ; les italiques sont de nous).
47. Tirant logiquement la conséquence de ce constat, et nous sommes d’accord avec la Cour,
la Cour déclare qu’
«en n’informant pas sans retard Karl et Wa lter LaGrand, après leur arrestation, des
droits qui étaient les leurs en vertu de l’alinéa b) du paragraphe 1 de l’article 36 de la
convention et en privant de ce fait la République fédérale d’Allemagne de la
possibilité de fournir aux intéressés, en temps opportun [j’insiste sur le terme ,en
temps opportun»], l’assistance prévue par la convention, les Etats-Unis d’Amérique
ont violé les obligations dont ils étaien t tenus envers la République fédérale
d’Allemagne et envers les frères LaGrand en vertu du paragraphe1 de l’article36»
(ibid., p. 515, point 3) du dispositif ; les italiques sont de nous).
48. Monsieur le président, Messieurs les juges, la situation est totalement différente dans la
présente affaire comme je vais l’expliquer à la Cour dans un instant.
49. A ce sujet, je signale à la Cour que la Guinée a produit elle-même une lettre du
e
21décembre1995 de son ambassadeur à Kinshasa au moment des faits, M Abdoulaye Sylla, qui
est un avocat de carrière, lettre envoyée au mini stère guinéen des affaires étrangères, avec copie
15
Voir affaire LaGrand (Allemagne c. Etats-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001. - 29 -
pour information au président de la République de Guinée. Dans cette lettre relative à la situation
de M.Diallo, l’ambassadeur de Guinée à Kins hasa déclare ce qui suit, Monsieur le président,
Messieurs les juges, je cite l’am bassadeur Sylla : «En tout état de cause, l’ambassade pour sa part
continuera à mener avec prudence et mesure l’action diplomatique déjà entamée [j’insiste sur
l’expression «l’action diplomatique déjà entamée» ] à tous les niveaux requis pour le dénouement
16
heureux de cette affaire.» Monsieur le président, vous trouver ez une copie de cette lettre dans le
dossier des juges qui sont entre vos mains sous la cote n°6. Je souligne également le fait que
l’expression «action diplomatique déjà entamée» utilisée endécemb re1995, avant l’expulsion de
M.Diallo, montre clairement que les représentati ons diplomatiques de la Guinée en faveur de
M.Diallo avaient commencé beaucoup plus tôt, c’est-à-dire au moment même de l’arrestation de
M.Diallo. Il faut également relever que cette le ttre est écrite, comme je l’ai dit, plus d’un mois
avant l’expulsion de M.Diallo. L’ambassadeur de Guinée a également transmis au ministère des
affaires étrangères à Conakry les coupures des journaux relatives aux articles publiés dans la presse
écrite congolaise qui relataient la situation de M. Diallo.
50. Alors que M.Diallo était encore en détention à Kinshasa avant son expulsion,
l’ambassade de Guinée a donné instruction le 25 janvier1996 (le 25janvier1996, Monsieur le
président, Messieurs les juges, Diallo était touj ours au Congo) aux diri geants de la société
Africontainers-Zaïre de procéder à l’inventai re de tous les conteneurs de cette société 17. On peut
ajouter aussi le fait que le 15avril1996, le mini stre guinéen des affaires étrangères a encore écrit
au secrétaire général de la présidence de la Ré publique de Guinée pour lui faire le rapport sur la
18
situation de M. Diallo .
51. Monsieur le président, Messieurs les juges, il est donc établi de manière incontestable
que la situation de M. Diallo était connue non seulement du consulat guinéen à Kinshasa mais aussi
du président de la République et du ministre des affaires étrangères de Guinée. De plus,
l’ambassadeur de Guinée à Kinshasa avait effectué des représentations diplomatiques auprès du
Gouvernement congolais en faveur de M.Diallo . La Guinée a donc pu apporter, en temps
16
Voir copie de cette lettre : MG, livre II, annexe 192 ; les italiques sont de nous.
17
Voir procès-verbal de cet inventaire : MG, livre II, annexe 199.
18Voir copie de la lettre : MG, livre II, annexe 203. - 30 -
opportun, pour reprendre l’expression de la Cour , contrairement à l’Allemagne dans l’affaire
LaGrand, à M. Diallo l’assistance consulaire prévue par la convention de Vienne sur les relations
consulaires. Et alors où est donc le problème ?
52. Pour la RDC, il apparaît clairement que l’Etat demandeur a adopté une stratégie
judiciaire qui consiste à se réfugier dans des considérations purement théoriques en fermant
délibérément les yeux sur ce qui s’est réellement passé dans la pratique. La Guinée n’invoque
aucun préjudice que M.Diallo aurait subi du fait qu e le poste consulaire guinéen n’aurait pas été
informé de sa détention. Or la réalité, comme je viens de l’expliquer en détail, est que M. Diallo a
bénéficié du soutien et de la protection des agents consulaires guinéens en poste à Kinshasa dès les
premières heures de son arrestation parce que ces de rniers étaient bien avertis sur sa situation.
Compte tenu du réseau très vaste de ses relations sociales à Kinshasa, l’arrestation de M. Diallo ne
pouvait passer inaperçue. D’ailleurs, la Guinée a elle-même avoué que «d’autres voies ont été
utilisées pour alerter l’opinion publique» concernant la détention de M. Diallo.
53. Monsieur le président, pour terminer sur ce point, je dois encore insister lourdement sur
le fait que l’objectif visé par l’article 36, paragraphe 1 b), dont il est question ici est de faire en
sorte que les agents consulaires de l’Etat d’envoi soient informés de la détention d’un ressortissant
de cet Etat vivant sur le territoire de l’Etat d’accueil afin de veiller au respect de ses droits
individuels et de lui apporter l’assistance consulaire dans de bonnes conditions. Or dans la présente
affaire cet objectif a été totalement atteint, comme je viens de l’expliquer il y a un instant. On est
donc très très très loin de ce qui s’est passé dans l’ affaire des frères LaGrand. Encore une fois la
RDC ne voit donc pas où est le problème.
54. A la lumière de ce que je viens d’exposer, M onsieur le président, l’Etat défendeur prie la
Cour de bien vouloir rejeter, comme non fondée, l’allégation de la Guin ée selon laquelle la RDC
aurait violé l’article 36, paragraphe 1 b), de la convention de Vienne sur les relations consulaires en
ne permettant pas des contacts entre M. Diallo et les agents consulaires guinéens à Kinshasa. En
tout état de cause, dans la présente affaire, la Guinée n’a pas apporté la preuve que les autorités
congolaises auraient refusé à M. Diallo d’entrer en contact avec l’ambassade de Guinée à Kinshasa
pendant sa détention ou manqué d’avertir le poste c onsulaire guinéen de cette détention. Bien au - 31 -
contraire, l’ambassadeur de Guinée à Kinshasa, M. Abdoulaye Silla, était parfaitement informé en
temps opportun de l’arrestation et de la détention de M. Diallo en vue d’être expulsé vers Conakry.
b) Les biens personnels de M. Diallo
55. J’aborde maintenant le dernier point é voqué par la requête de la Guinée à propos des
biens personnels de M.Diallo. A propos des bien s personnels de M.Diallo , je dois souligner ici
que l’ambassadeur de Guinée à Kinshasa a fait procéd er à l’inventaire des biens concernés, ainsi
que des conteneurs et autres biens de la société Africontainers-Zaïre 1. Il n’a jamais approché les
autorités congolaises pour protester contre la confis cation ou la disparition des biens de celui-ci.
Lorsqu’un étranger est expulsé, Monsieur le président par un Etat dans les circonstances et pour des
raisons que j’ai indiquées au cours de cette plaidoiri e, le droit international n’exige pas de l’Etat
concerné la location d’un avion spécial ou d’un au tre moyen de transport en faveur de l’intéressé
pour organiser le déménagement de cet étranger av ec l’ensemble de tous ses biens mobiliers. La
pratique des Etats ne connaît aucun précédent en ce sens.
56. La destination des biens personnels de M. Diallo qui se trouvaient dans l’appartenant où
il vivait est bien connue de l’Etat guinéen lui-même qui en avait la garde après l’établissement de
leur inventaire qu’il avait fait établir.
57. En conclusion de cette plaidoirie, la RDC prie la Cour de constater qu’elle n’a commis
aucun fait internationalement illicite à l’occasion de l’a rrestation et de la détention de M. Diallo en
1995-1996. Je me tourne maintenant vers le pr ofesseurForteau qui a rédigé un bon texte sur la
question de l’expulsion pour le compte de la Gu inée et qu’il a lu devant la Cour lors de sa
plaidoirie de lundi dernier.
Monsieur le président, je vous en prie, je ne sais pas si vous pouvez examiner la possibilité,
avec votre sagesse, si on peut suspendre, ne serait-ce que pour quelques minutes, de manière à ce
que nous puissions reprendre la plaidoirie après la pause.
Le VICE-PRESIDENT : Je vous remercie, Ma ître Kalala. Je comprends que vous voudriez
avoir une petite pause afin que vous puissiez con tinuer dans votre plaidoirie et je crois que vous
19
Voir MG, livre II, annexes 199 et 200 - 32 -
avez encore apparemment vingt minutes mais je comprends que c’est vous qui voulez avoir une
pause. Dans ce cas-là, je déclare une pause café de dix minutes et on va reprendre l’audience à
11 h 35. L’audience est suspendue.
M. KALALA : Merci beaucoup, Monsieur le président.
L’audience est suspendue de 11 h 25 à 11 h 35.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de président : Veuillez vous asseoir. L’audience est
reprise et je donne la parole à M. le professeur Tshiba ngu Kalala pour continuersa plaidoirie. Vous
avez la parole, Maître Tshibangu Kalala.
M.KALALA: Merci beaucoup, Monsieur le pr ésident, pour m’avoir accordé la parole. La
pause m’a permis de reprendre un peu de souffle.
II.L A RDC N A PAS COMMIS DES FAITS INTERNATIONALEMENT ILLICITES LORS DE
L EXPULSION DE M. D IALLO LE 31 JANVIER 1996
58. Monsieur le président, Messieurs les juges, dans sa stratégie judiciaire consistant à
accuser la RDC de tous les maux de la terre en espérant que la Cour retiendra ce qu’elle voudra
bien retenir, l’Etat demandeur reproche égal ement à la RDC d’avoir expulsé M.Diallo en
application d’une décision qui n’a pas été prise conformément à la loi. Ce faisant, la RDC aurait
violé, selon la Guinée, l’article9 du pacte internatio nal relatif aux droits civils et politiques, ainsi
que son article13 suivant lequel un étranger légalement installé sur le territoire d’un Etat ne peut
en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi.
Le professeurForteau est revenu abondamment sur le sujet lors de sa plaidoirie de lundi
20
dernier . Les prétentions de l’Etat demandeur ne résistent pas à la critique, Monsieur le président,
comme je vais l’expliquer dans un instant en ré pondant aux affirmations du professeur Forteau sur
cette question qui continue à diviser encore les Parties.
20Voir CR 2010/1, p. 41-55 (Forteau). - 33 -
59. Monsieur le président, Messieurs les juges, je vais d’abord rappeler le fait que la RDC a
procédé à l’expulsion et non au refoulement de M. Diallo (A) avant d’expliquer à la Cour la légalité
de cette mesure (B).
A. Expulsion ou refoulement de M. Diallo
60. J’ai déjà expliqué au cours de cette plaidoirie les raisons et les circonstances qui ont
entouré l’expulsion de M. Diallo du territoire congolais en janvier 1996. De nombreuses pages des
écritures congolaises ont été également consacrées à ce tte question. Je n’y reviendrai donc pas en
détail. Je prie la Cour de bien vouloir s’y référer.
61. Il reste constant, Monsieur le président, que M.Diallo a été interpellé par la police et
expulsé le 31janvier1996 vers la Guinée sur la base du décret du 31octobre1995 pris par le
premier ministre congolais. La Guinée parle tant ôt du refoulement tantôt de l’expulsion selon que
l’un ou l’autre concept arrange ses affaires. Ma is je note que dans leurs plaidoiries de lundi
e
dernier, M Vidal a utilisé le mot expulsion six fois, le professeur Thouvenin sept fois tandis que le
professeur Forteau a battu tous les records en l’empl oyant soixante-quinze fois, bien compté. On a
reproché à la RDC d’avoir employé le terme «refoulement» au lieu d’«expulsion» dans le
procès-verbal établi à l’aéroport de Ndjili le jour de l’expulsion de M. Diallo. Or je constate que,
devant la Cour, Monsieur le président ⎯ et je demande à la Cour de constater aussi avec moi ⎯, la
Guinée emploie le terme expulsion au lieu de refoulement. Alors, comme tout le monde se trompe,
tout le monde a raison. On ne peut donc plus rien reprocher à la RDC. Il y a donc bien eu lieu
expulsion et non refoulement de M.Diallo. Et c’est pourquoi la Guinée attaque le décret
d’expulsion du premier ministre pour illégalité et non le procès-verbal de refoulement établi par un
fonctionnaire de l’Etat.
B. La légalité de l’expulsion de M. Diallo
62. Au cours de sa plaidoirie, le professeu rForteau a contesté la légalité du décret
d’expulsion du premier ministre en invoquant aussi bien les dispositions de la loi congolaise sur la
police des étrangers que celles du pacte international relatif aux droits civils et politiques. - 34 -
63. Je voudrais d’abord relever, Monsieur le président, Messieurs les juges, que ce décret a
été pris en application de l’article 15 de la loi congolaise du 12 septembre 1983 relative à la police
des étrangers, article suivant lequel
«le président de la République peut, par ordonnance motivée, expulser du Zaïre tout
étranger qui, par sa présence ou par sa conduite, compromet ou menace de
compromettre la tranquillité ou l’ordre public» . 21
Monsieur le président, comme vous allez vous en rendre compte, le décret d’expulsion de
M.Diallo a été motivé par le fait que «la présence et la conduite de M.Diallo ont compromis et
continuaient à compromettre l’ordre public zaïrois, spécialement en matière économique, financière
et monétaire», en application de l’article15 que je viens de lire. Il s’agit donc bel et bien d’une
décision prise conformément à la loi au sens de l’ article 13 du pacte international relatif aux droits
civils et politiques.
64. Par ailleurs, en vertu de l’article 15 de la loi du 12 septembre 1983 relative à la police des
étrangers,
«l’étranger à charge duquel une procédure d’expulsion est entamée et qui est
susceptible de se soustraire à l’exécution de cette mesure peut être incarcéré dans une
maison d’arrêt par l’Administrateur Général des services de renseignements ou de
celui de l’immigration ou son délégué, pour une durée de 48 heures. En cas d’absolue
nécessité, cette durée pourra être prorogée de 48heures en 48heures, sans que la
détention puisse dépasser 8 jours.»
La durée de détention de M.Diallo a également été conforme à la loi congolaise. A cet égard,
l’affirmation de la Guinée selon laquelle M. Diallo aurait été détenu durant pas moins de
soixante-quinzejours au total (du 5novembre 1995 au 10janvier1996, puis du 17janvier au
31janvier1996) est sans fondement et sans pr euve convaincante. Cette affirmation est
exclusivement fondée sur des sources journalistiques, qui reprennent elles-mêmes un communiqué
de l’association «Avocats sans frontières». J’ai déjà expliqué au cours de cette plaidoirie que la
présentation des faits par la Partie guinéenne est contredite par le do ssier judiciaire dans la mesure
où pendant la période où M.Diallo aurait été détenu sans contact avec le monde extérieur,
l’intéressé a écrit diverses lettres signées de sa ma in au Gouvernement congolais sans se plaindre
de sa détention. Je n’y reviendrai donc pas.
21 o
Voir dossier des juges, cote n 3. - 35 -
65. Dans la même veine, l’Etat demandeur accuse aussi la RDC de ne pas avoir donné à
M.Diallo la possibilité de faire valoir les raisons qui militeraient contre son expulsion et de faire
examiner son cas par l’autorité compétente. Selon la Guinée, ce comportement de l’Etat défendeur
constituerait également une violation de l’article 13 du pacte international relatif aux droits civils et
politiques.
66. Monsieur le président, Messieurs les jug es, l’article 13 du pacte international relatif aux
droits civils et politiques prévoit ce qui suit :
«Un étranger qui se trouve légalement su r le territoire d’un Etat partie au
présent pacte ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise
conformément à la loi et, à moins que des ra isons impérieuses de sécurité nationale ne
s’y opposent, il doit avoir la possibilité de fa ire valoir les raisons qui militent contre
son expulsion et de faire examiner son cas par l’autorité compétente…en se faisant
représenter à cette fin.»
67. Les Parties sont divisées sur la question essentielle ⎯et c’est ça le point qui divise les
Parties ⎯, la question de savoir si M. Diallo a bénéfici é ou non de la possibilité de faire valoir les
raisons qui auraient milité cont re son expulsion en application de la dispositi on conventionnelle
que je viens de lire. Dans le cas de M. Di allo, les agissements quotidiens de celui-ci ⎯ et je décris
l’environnement dans lequel ce Monsieur a été expulsé ⎯ avaient atteint une gravité telle que le
Gouvernement congolais a jugé, de manière discréti onnaire, qu’il était urgent et impérieux, pour
des raisons de maintien de l’ordre public, de l’éloigner du territoire.
68. L’ordre juridique congolais prévoit, Monsieur le président, une voie de recours ⎯ c’est
là le débat avec la Guinée ⎯ contre toute décision prise par une autorité administrative centrale qui
porte atteinte aux droits d’une personne. La Constitution congolaise du 9avril1994, qui était en
vigueur en 1996 (mais qui n’est pas entrée en vigueur parce que la Guinée fait une confusion sur ce
point), disposait en son article102 que «la Cour suprême de justice connaît…des recours en
annulation des actes et décisions des autorités centrales de la République» . De son côté,
l’ordonnance-loi du 31 mars 1982 relative à la proc édure devant la Cour suprême de justice prévoit
spécialement en ses articles87 à90 que les de mandes d’annulation des actes, décisions et
règlements des autorités centrales peuvent être in troduites par tout particulier lésé. Monsieur le
o
président, vous trouverez le texte de cette loi dans le dossier des juges sous la cote n 4. - 36 -
69. Par conséquent, M.Diallo disposa it, même après son expulsion, d’un recours
administratif pour demander l’annulation du décret du 31octobre1995 pris à son encontre par le
premier ministre congolais, et cela auprès de la section administrative de la Cour suprême de
justice. Il avait donc la possibilité de faire valo ir les raisons qui militeraie nt contre son expulsion,
conformément aux dispositions de l’article13 du pacte international relatif aux droits civils et
politiques. Mais force est de cons tater, Monsieur le président, Messieurs les juges, force est de
constater que M.Diallo, qui avait engagé des a vocats congolais pour la défense de ses intérêts
financiers, n’a pas chargé ces mêmes avocats d’in troduire un recours administratif en annulation
contre le décret d’expulsion en suivant la pr océdure prévue dans le cadre du contentieux
administratif.
70. Ces précisions étant apportées, la RDC pr ie la Cour de constater que l’expulsion de
M. Diallo a été décidée conformément à la loi congolaise et que les dispositions de l’article 13 du
pacte international relatif aux droits civils et politiques n’ont pas été violées par l’Etat défendeur.
71. La Guinée prétend également à la page22 de sa réplique que le décret d’expulsion de
M. Diallo du 31 octobre 1995 viole la loi congolai se de 1983 sur la police des étrangers parce que
ce décret a été pris par le premier ministre et non par le président de la République. Monsieur le
président, il est vrai que le texte de l’article 15 de la loi du 12 septembre 1983 parle du président de
la république et plus précisément du président du mouvement populaire de la révolution, président
de la République (qui était à l’époque le maréch al Mobutu Sese Seko) qui, à l’époque de la guerre
froide et du parti unique triomphant, détenait le monopole du pouvoir exécutif suprême.
72. Mais à la suite de l’abolition du parti unique le 24 avril 1990, une nouvelle constitution
fondée sur des principes démocratiques et caractér isée par le partage du pouvoir exécutif entre le
président de la République et le gouvernement dirigé par un premier ministre a été adoptée le
9avril1994. L’article80, alinéa2, de cette C onstitution donnait au premier ministre le pouvoir
réglementaire dans les termes su ivants, je lis la Constitution cong olaise de l’époque : «Le premier
ministre exerce le pouvoir réglementaire par voie de décrets délibérés en c onseil des ministres.»
Monsieur le président, Messieurs les juges, vous trouverez le texte de l’article 80 de la Constitution
congolaise de 1994 dans le dossier des juges sous la cote n° 5. - 37 -
73. C’est donc sur la base de l’article 80, alin éa 2, de la Constitution congolaise en vigueur à
l’époque des faits que le premier ministre a exercé son pouvoir d’exécuter les lois de la République
par voie réglementaire en prenant le décret du 31 oc tobre 1995 pour appliquer la loi de 1983 sur la
police des étrangers à l’égard de M.Diallo. Mons ieur le président, il était devenu inconcevable
dans un régime démocratique qu’un président de la République, comme à l’époque de la dictature
et du parti unique, puisse prendre un acte administratif pour expulser un étranger alors qu’il y avait
un gouvernement dirigé par un premie r ministre habilité à exécuter les lois de la République par la
voie réglementaire. C’est dire que l’illégalité du décret du 31 octobre 1995 soulevée par la Guinée
devant la Cour n’est qu’apparente pour une person ne étrangère qui ne connaît pas bien le droit
congolais. En somme, l’argument avancé par la Guin ée n’est pas fondé dans le contexte de l’ordre
juridique interne congolais. C’est pourquoi la RDC de mande à la Cour de rejeter les allégations de
la Guinée sur ce point.
Monsieur le président, Messieurs les juges, j’ai terminé ma plaidoirie de cet avant-midi.
Puisque c’est l’heure du déjeuner, je souhaite à vous-même Monsieur le président, aux distingués
membres de la Cour ainsi qu’à la délégation guinéenne, un très bon appétit. Je vous remercie.
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de pr ésident: Je vous remercie Monsieur le
coagent, conseiller-avocat de votre plaidoirie. Avant de lever l’audience, je voudrais donner la
parole à M. Cançado Trindade, juge à la Cour, qui voudrait poser une question. Monsieur Cançado
Trindade, vous avez la parole.
Juge CANÇADO TRINDADE: Merci beaucoup, Monsieur le vice-président. J’ai une
question à poser aux deux Parties. A votre avis , est-ce que les dispositions de l’article36,
paragraphe 1, alinéa b), de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 s’épuisent
dans les relations entre l’Etat d’envoi ou de na tionalité et l’Etat de résidence? Est-ce que
M. Diallo lui-même a été informé, aussitôt après sa détention, sur l’assistance consulaire ? Qui est
le sujet du droit à l’information sur l’assistance cons ulaire ? L’Etat d’envoi ou bien de nationalité
ou l’individu ? Merci, Monsieur le vice-président. - 38 -
Le VICE-PRESIDENT, faisant fonction de prési dent : Je vous remercie. La version écrite
de la question sera transmise aux Parties dans le s meilleurs délais, quelques minutes après la levée
de l’audience.
Finalement, je voudrais demander une précision f actuelle, Monsieur Kalala. Vous avez fait
référence à la nouvelle Constitutio n de la République démocratique du Congo qui a été adoptée le
9avril1994 et vous avez mentionné que cette Cons titution est entrée en vigueur en1996. Est-ce
que vous pouvez, l’après-midi, nous préciser la date exacte de l’entrée en vigueur de la
Constitution de 1994. C’est une information juste factuelle. Merci.
L’audience est levée. La Cour se réunira cet après-midi à 15heures pour entendre la
continuation des arguments de la République démocratique du Congo. La séance est levée.
L’audience est levée à 12 h 15.
___________
Audience publique tenue le lundi 26 avril 2010, à 10 heures, au Palais de la Paix, sous la présidence de M. Tomka, vice-président, faisant fonction de président en l'affaire Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo)