Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn) - Compétence et recevabilité

Document Number
087-19950215-PRE-01-00-EN
Document Type
Number (Press Release, Order, etc)
1995/6
Date of the Document
Document File

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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
Palais dela Paix.,2517 KJ La Haye. Tél(070-30223 23).Télégrl.n :tercourt,La Have.

Téléfax (070-364 99 28). Télex32323.

Comm~niqué

non officiel
pour publication immédiate

N" 95/6
Le ~5 février 1995

Affaire de la Délimitation maritime et des questions territoriales
entre Qatar et Bahrein

Compétence et recevabilité

Le Greffe de la Cour internationale de Justice met à la disposition de

la presse les renseignements suivants :

Ce jour, 15 février 1995, la Cou= composée comme suit

M. Bedjaoui, Président; M. Schwebel, Vice-Président; M. Oda, sir Robert
Jennings, MM. Guillaume, Shahabuddeen, Aguilar Mawdsley, Weeramantry,
Ranjeva, Herczegh, Shi, Fleischhauer. Koroma, ~; ~1. Valticos,
Torres Bernardez, ~ ad hoc; M. Valencia-Ospina, Gr~f~ier, a rendu dans

l'affaire susmentionnée un arrêt sur la compétence et la recevabilité. Le
paragraphe du dispositif de l'arrêt es: ainsi libellé:

«50. Par ces motifs,

LA COUR,

1) Par dix voix contre cinq,

o.i.tgu'elle a compétence pour st.atuer sur le différend entre 1' Etat de

Qatar et l'Etat de Bahreïn, gui lui est soumis;

2) Par dix voix contre cinq,

~que la requête de l'Etat de Qata= :elle gue formulée le

30 novembre 1994 est recevable .

. . . »

Ont voté pour: M. Bedjaoui, Président; sir Robert Jennings,
~· Guillaume, Aguilar Mawdsley, Weeramantry, Ranjeva, Herczegh, Shi,
Fleischhauer, ~; M. Torres Berna~dez, ~ ad hoc. - 2 -

Ont voté contre : M. Schwebel, Vice-Président; MM. Oda, Shahabuddeen,
Koroma, ~; M. Valticos, jyae ad hoc.

M. Schwebel, Vice-Président, MM. Oda, Shahabuddeen et Koroma, juges,
et M. Valticos, juge ad hoc, ont joint à l'arrêt les exposés de leurs

opinions dissidentes. (Un résumé des opinions est joint en annexe I au
présent communiqué de presse.)

Le texte imprimé de l'arrêt sera disponible en temps utile (s'adresser

à la section de la distribution et des ventes, Office des Nations Unies,
1211 Genève 10; à la Section des ventes, Nations Unies, New York, NY 10017;
ou à toute librairie spécialisée) .

On trouvera ci-après un résumé de l'arrêt. Il a été établi par le

Greffe et n'engage en aucune façon la Cour. Il ne saurait être cité à
l'encontre du texte de l'arrêt, dont il ne constitue pas une
interprétation.

*

*

Résumé de l'arrêt

Historigue de l'affaire et conclusions (par. 1-15)

Dans son arrêt, la Cour rappelle que le 8 juillet 1991, Qatar a déposé

une requête introduisant une instance contre Bahrein au sujet de certains
différends entre les deux Etats relatifs à la souveraineté sur les îles
Hawar, aux droits souverains sur les hauts-fonds de Dibal et de Qit'at

Jaradah, et à la délimitation des zones maritimes entre les deux Etats.

Puis, la Cour expose l'histor1que de l'affaire. Elle rappelle que dans

sa Requête, Qatar fondait la compétence de la Cour sur deux accords que les
Parties auraient conclus en décembre 1987 et en décembre 1990
respectivement, l'objet et la portée de l'engagement pris en ce qui

concerne la compétence de la Cour étant déterminés par une formule proposée
à Qatar par Bahrein le 26 octobre 1988 et acceptée par Qatar en décembre
1990 (la «formule bahreïnite»). Bahrein a contesté la base de compétence

invoquée par Qatar.

Dans son arrêt du 1er juillet 1994, la Cour a.dit que les échanges de

lettres entre le roi d'Arabie saoudite et l'émir de Qatar, datées des 19 et
21 décembre 1987, et entre le roi d'Arabie saoudite et l'émir de ~ahrein,
datées des 19 et 26 décembre 1987, ainsi gue le document intitulé

«procès-verbal», signé à Doha le 25 décembre 1990 par les ministres des
affaires étrangères de Bahrein, de Qatar et de l'Arabie saoudite,
constituaient des accords internationaux créant des droits et des

obligations pour les Parties; et qu'aux termes de ces accords les Parties
avaient pris l'engagement de soumettre à la Cour l'ensemble du différend
gui les oppose, tel que circonscrit par la formule bahreinite. Ayant noté

qu'elle disposait seulement d'une requête de Qatar exposant les prétentions
spécifiques de cet Etat dans le cadre de cette formule, la Cour a décidé de 3 -

donner aux Parties l'occasion de lui soumettre l'ensemble du différend.
Elle a fixé au 30 novembre 1994 la date d'expiration du délai dans lequel

les Parties devaient agir conjointement ou individuellement à cette fin, et
a réservé toute autre question pour décision ultérieure.

Le 30 novembre 1994, l'agent de Qatar a déposé au Greffe un document
intitulé «Démarche tendant à donner effet aux points 3 et 4 du

paragraphe 41 de 1 'arrêt rendu par la Cour le 1er juillet 1994». L'agent
faisait état, dans ce document, de l'«absence d' ... accord des Parties pour
agir conjointement» et y déclarait.soumettre à la Cour «l'ensemble du

différend qui oppose Qatar à Bahrein, tel que circonscrit ·dans le texte
que le procès-verbal de Doha de 1990 dénomme la «formule bahreinite»».

Il énumérait les questions qui, selon Qatar, relevaient de la
compétence de la Cour:

«l. les iles Hawar, y compris l'ile de Janan;

2. Fasht al Dibal et Qit'at Jaradah;

3. les lignes de base archipélagiques;

4. Zubarah;

5. les zones désignées pour la pêche des perles et pour la pêche
des poissons et toutes autres questions liées aux limites
maritimes.

Qatar considère que Bahrein définit sa revendication concernant
Zubarah comme une revendication de souveraineté.

Comme suite à sa requête, Qatar prie la Cour de dire et juger que
Bahrein n'a aucune souveraineté ni aucun autre droit territorial sur

l'ile de Janan et sur Zubarah, et que toute revendication de Bahrein
concernant les lignes de base archipélagiques et les zones désignées
pour la pêche des perles et des poissons serait dénuée de pertinence

aux fins de la dél irni ta ti on ma.rit ime dans la présente instance.»

Le 30 novembre 1994, le Greffe a en outre reçu de l'agent de Bahrein
un document intitulé «Rapport de l'Etat de Bahrein à la Cour internationale
de Justice sur la tentative faite par les Parties pour donner effet à
l'arrêt rendu par la Cour le 1er juillet 1994». L'agent indiquait dans ce

«rapport» que son gouvernement s'était félicité de l'arrêt du
1er juillet 1994 et qu'il avait interprété celui-ci comme confirmant que la
soumission à la Cour de «l'ensemble du différend» devait avoir «un

caractère consensuel, c'est-à-dire faire l'objet d'un accord entre les
Parties». Les propositions de Qatar avaient «revêtu la forme de documents
qui ne [pouvaient] être interprétés que comme devant s'inscrire dans le

"cadre du maintien de l'affaire introduite par _la requête de Qatar du
8 juillet 1991»; de plus, Qatar avait dénié à Bahrein «le droit de décrire,

définir ou identifier, selon les termes choisis par Bahreïn lui-même, les
questions que ce dernier souhait[ait] précisément voir inclure dans le
litige», et s'était opposé au «droit de Bahrein de faire figurer sur la

liste des questions en litige un point intitulé «souveraineté sur
Zubarah»». - 4 -

Le 5 décembre 1994, l'agent de Bahrein a transmis à la Cour des
observations sur la démarche de Qatar. Selon celles-ci :

«Bahrein pense que la Cour n'a pas dit dans son arrêt du
1er juillet 1994 qu'elle était compétente pour connaitre de l'affaire

introduite par la requête unilatérale de Qatar de 1991. Il s'ensuit
que si la Cour n'était pas compétente à l'époque, la démarche
individuelle de Qatar du 30 novembre, même analysée à la lumière de

l'arrêt, ne saurait établir cette compétence ni saisir valablement la
cour en l'absence du consentement de Bahrein. A l'évidence, Bahrein
n'a pas donné pareil consentement.»

Une copie de chacun des documents produits par Qatar et Bahrein a été
dûment transmise à l'autre Partie.

La compétence de la Cour (par. 16-44)

La Cour rappelle tout d'abord les négociations tenues entre les
parties à la suite de son arrêt du 1~ juillet 1994, puis la «démarche»

adressée par Qatar à la Cour le 30 novembre 1994, et enfin les commentaire
que Bahrein a faits le 5 décembre 1995 sur celle-ci.

La Cour rappelle ensuite qu'elle a, dans son arrêt du 1er juillet 1994,
réservé pour décision ultérieure toute question non tranchée dans ledit

arrêt. Il lui appartient donc de se prononcer sur les exceptions soulevées
par Bahrein, dans la décision qu'elle doit rendre en ce qui concerne sa
compétence pour statuer sur le différend qui lui est soumis et la

recevabilité de la requête.

L'interprétation du Paragraphe 1 du procès-verbal de Doba (par. 25-29)

Le paragraphe 1 du procès-verbal de Doba consigne l'accord des Parties

pour «réaffirmer ce dont [elles) étaient convenues précédemment».

La Cour s'attache tout d'abord à définir la portée exacte des

engagements pris par les Parties en 1987, qu'elles ont entendu réaffirmer
en 1990. A cet égard, les textes essentiels concernant la compétence de la
Cour sont les points 1 et 3 des lettres du 19 décembre 1987. En les

acceptant, Qatar et Bahrein sont convenus d'une part que

«toutes les questions en litige seront soumises à la Cour
internationale de Justice, à La Haye, pour qu'elle rende une décision

définitive et obligatoire pour les deux parties, qui devront en
exécuter les dispositions»

et d'autre part que soit constituée une commission tripartite

«en vue d'entrer en rapport avec la Cour internationale de Justice et
d'accomplir les formalités requises pour que le différend soit soumis
à la Cour conformément à son Règlement et à ce qu'elle prescrira, afin

que la Cour puisse rendre une décision définitive et obligatoire pour
les deux parties».·.

i

5

Selon Qatar, en y souscrivant, les Parties ont conféré compétence à la
Cour, de façon claire et inconditionnelle, pour connaître des questions en

litige entre elles. Les travaux de la commission tripartite avaient
seulement pour but d'examiner les procédures à suivre pour mettre en oeuvre
l'engagement ainsi pris de saisir la Cour. Pour Bahrein, au contraire, les

textes en question exprimaient seulement un consentement de principe des
Parties à saisir la cour, mais ledit consentement était clairement

subordonné à la conclusion d'un compromis, au terme des travaux de la
commission tripartite.

La Cour ne peut part.ager les vues de Bahrein ·à ce propos. Elle ne
trouve ni dans le point 1 ni dans le point 3 des lettres du
19 décembre 1987 la condition alléguée par Bahrein. Certes, il ressort du

point 3 que les Parties n'envisageaient pas une saisine de la Cour sans
discussion préalable, au sein de la commission tripartite, des formalités
requises à cet effet. Mais les deux Etats n'en avaient pas moins convenu

de soumettre à la Cour toutes les questions en litige entre eux et la
commission avait seulement pour rôle d'assurer l'exécution de cet
engagement en aidant les Parties à entrer en rapport avec la Cour et à la

saisir dans les formes prescrites par son Règlement. Aux termes du
point 3, aucune des modalités particulières de saisine prévues par le
Règlement n'était privilégiée ou exclue.

La commission tripartite s'est réunie pour la dernière fois en
décembre 1988, sans que les Parties soient parvenues à un accord sur la

définition des «questions en litige» ni sur les «formalités requises pour
que le différend soit soumis à la Cour». Elle a cessé ses activités sur les

instances de l'Arabie saoudite et sans que les Parties s'y soient opposées.
Les Parties n'ayant pas demandé, lors de la signature du procès-verbal de
Doha en décembre 1990, le rétablissement de la commission, la Cour

considère que le paragraphe 1 de ce procès-verbal ne pouvait viser que
l'acceptation par les Parties du point 1 des lettres du roi d'Arabie
saoudite en date du 19 décembre 1987 (c'est à dire l'engagement de

soumettre à la Cour «toutes les questions en litige» et d'exécuter l'arrêt
que celle-ci rendrait), à l'exclusion du point 3 de ces mêmes lettres.

L'interprétation du paragraphe 2 du procès-verbal de Doba (par. 30-42)

Le procès-verbal de Doha a non seulement confirmé l'accord des Parties
à l'effet de soumettre leur différend à la cour, mais aussi constitué un
pas décisif sur la voie de la solution pacifiqu.e de ce différend en réglant

le problème controversé de la définition des «questions en litige». C'est
là un des objets principaux du paragraphe 2 du procès-verbal, qui, dans la
traduction que la Cour utilise aux fins de l'arrét, se lit comme suit

«2) Les bons offices du Serviteur des deux Lieux saints, le
roi Fahd Ben Abdul Aziz, se poursuivront entre les deux pays

. _._.. ____ jusqu'au mois de chawwal 1411 de l 'hégire, correspondant à
mai 1991. A 1 'expiration de ce déla.i, les deux parties pourront

soumettre la question à la Cour internationale de Justice
conformément à la formule bahreïnite, qui a été acceptée par
Qatar, et aux procédures qui en découlent. Les bons offices de

l'Arabie saoudite se poursuivront pendant que la question sera
soumise à l'arbitrage.» 1

- 6 -

Le paragraphe 2 du procès-verbal, en consignant formellement l'acceptation,
par Qatar, de la formule bahreinite, mettait fin au désaccord persistant

des Parties sur l'objet du différend à soumettre à la Cour. L'adoption
conventionnelle de la formule exprimait l'accord des Parties sur l'étendue

de la compétence de la Cour. La formule avait ainsi atteint son but : elle
fixait en termes généraux, mais clairs, les limites du différend dont la
Cour aurait désormais à connaître.

Les Parties n'en demeurent pas moins en désaccord sur la question du
mode de saisine. Pour Qatar, le paragraphe 2 du·procès-verbal permettait

une saisine unilatérale de la cour par voie de requête présentée par l'une
ou l'autre Partie; pour Bahrein, au contraire, ce texte n'autorisait qu'une
saisine conjointe de la Cour par voie de compromis.

Les Parties ont consacré d'importants développements au sens qu'il
conviendrait selon elles de reconnaître â l'expression «al-tarafan» [selon

Qatar: «les parties»; selon Bahrein: «les deux parties»], utilisée dans la
deuxième phrase du texte original arabe du paragraphe 2 du procès-verbal de
Doha. La Cour observe que la forme du duel, en arabe, exprime simplement

l'existence de deux unités {les parties ou les deux parties); aussi, ce
qu'il s'agit de déterminer, c'est si les mots ici utilisés au duel ont un

sens alternatif ou cumulatif : dans le premier cas, le texte laisserait à
chacune des Parties la faculté d'agir unilatéralement et, dans le second,
il impliquerait que la question soit soumise à la Cour par les deux Parties

agissant de concert, soit conjointement, soit séparément.

La Cour analyse d'abord le sens et la portée du membre de phrase «A

l'expiration de ce délai, les deux parties pourront soumettre la question à
la Cour internationale de Justice». Elle note que l'utilisation, dans ce
membre de phrase, du verbe «pouvoir», évoque en premier lieu et de la façon

la plus naturelle, la faculté ou le droit pour les Parties de saisir la
Cour. De fait, la Cour voit mal pourquoi le procès-verbal de 1990, dont
l'objet et le but étaient de faire progresser le règlement du différend en

donnant effet à l'engagement formel des Parties d'en saisir la Cour, se
serait contenté de leur ouvrir' une possibilité d'action commune qui, non
seulement, avait toujours existé, mais, en outre, s'était avérée

inefficace. Le texte prend au contraire tout son sens s'il est compris
comme visant, aux fins d'accélérer le processus de règlement du différend,
à ouvrir la voie à une éventuelle saisine unilatérale de la cour dans le

cas où la médiation de l'Arabie saoudite n'aurait pas abouti à un résultat
positif en mai 1991. La Cour examine également les implications
éventuelles, au regard de cette dernière interprétation, des conditions

dans lesquelles la médiation saoudienne devait se dérouler selon la
première et la troisième phrase du paragraphe 2 du procès-verbal. La Cour

note que la deuxième phrase affecte la poursuite de la médiation. En
pareille hypothèse, le processus de médiation aurait été suspendu en
mai 1991 et n'aurait pu reprendre avant la saisine de la Cour. Or, le but

du procès-verbal ne pouvait être de retarder le règlement du différend ou
de le rendr~ .plus malaisé. Dans_.< t e :~pe_rspecti ve, le .droit de saisine
unilatérale était le complément néces-saire de .la suspension de -ia - ·· - · ·- ·-·------·---·

médiation.

La Cour s'attache ensuite à l'analyse du sens et de la portée des

termes «conformément à la formule bahreinite, qui a été acceptée par Qatar,
et aux procédures qui en découlent», sur lesquels s'achève la deuxième
phrase du paragraphe 2 du procès-verbal de Doba. La cour doit rechercher

si, comme le soutient Bahrein, cette référence à la formule bahreïnite, et
en particulier «aux procédures qui en découlent», avait pour but et pour ~. ·.

- 7

effet d'empêcher toute saisine unilatérale. La Cour n'ignore pas que la
formule bahreinite était à l'origine destinée à être incorporée dans le

texte d'un compromis. Mais elle considère que la référence faite dans le
procès-verbal de Doha à cette formule doit être appréciée dans le contexte
de ce procès-verbal plutôt qu'au regard des circonstances dans lesquelles

ladite formule a été conçue à l'origine. Si le procès-verbal de 1990
renvoyait à la formule bahreinite, c'était en vue de déterminer l'objet du

différend dont la Cour aurait à connaître. Mais la formule ne constituait
plus un élément d'un compromis, qui n'avait d'ailleurs jamais vu le jour;
elle s'inscrivait désormais dans le cadre d'un accord international
obligatoire qui déterminait ·lui~mêm es conditions ·de ·saisine de la Cour.

La Cour constate que l'essence même de cette formule était, comme Bahrein
l'a clairement exposé devant la commission tripartite, de circonscrire le

différend dont la Cour aurait à connaître, tout en laissant à chacune des
Parties le soin de présenter ses propres prétentions dans le cadre ainsi
fixé. Eu égard à l'échec de la négociation de ce compromis, la Cour est

d'avis que la seule implication procédurale de la formule bahreinite sur
laquelle les Parties aient pu s'accorder à Doha était la possibilité pour
chacune d'elles de présenter à la Cour des prétentions distinctes.

Il apparaît donc à la Cour que le texte du paragraphe 2 du
procès-verbal de Doba, interprété suivant le sens ordinaire à attribuer à

ses termes dans leur contexte et à la lumière de l'objet et du but dudit
procès-verbal, permettait la saisine unilatérale de la Cour.

En conséquence, la Cour estime qu'il n'èst pas nécessaire d'utiliser
des moyens complémentaires d'interprétation pour interpréter le procès­

verbal de Doha, bien qu'elle en fasse usage pour rechercher une possible
confirmation de son interprétation du texte. Toutefois, elle estime que ni
les travaux préparatoires du procès-verbal ni les circonstances dans

lesquelles celui-ci a été signé, ne peuvent lui fournir d'éléments
complémentaires déterminants pour l'interprétation.

Les liens entre la compétence et la saisine {par. 43)

La Cour doit encore examiner un a.utre argument. Selon Bahreïn, même si
le procès-verbal de Doha devait être interprété comme n'excluant pas la
saisine unilatérale, cela ne saurait pour autant autoriser l'une des

Parties à saisir la Cour par voie de requête. Bahreïn fait en effet valoir
que la saisine n'est pas une simple question de procédure, mais une
question de compétence; que le consentement à la saisine unilatérale est

soumis aux mêmes conditions que le consentement au règlement judiciaire et
doit donc être non équivoque et indiscutable; et que, dans le silence des
textes, la saisine conjointe constitue la solution par défaut.

La Cour considère que, comme acte introductif d'instance, la saisine
est un acte de procédure autonome par rapport à la base de compétence

invoquée. Cependant, la cour ne saurait connaître d'une affaire tant que la
base de compétence considérée n'a pas trouvé son complément nécessaire dans
un acte de saisine: de ce point de vue, la question de savoir si la Cour a

été valablement saisie apparaît comme une question de compétence. Or, il
ne fait pas de doute que la compétence de la Cour ne peut être établie

qu'en recherchant la volonté des Parties, telle qu'elle résulte des textes
pertinents. Mais en interprétant le texte du procès-verbal de Doha, la
cour est arrivée à la conclusion qu'il permet la saisine unilatérale. Une ..

,

8 -

fois la Cour valablement saisie, les conséquences procédurales que le
Statut et le Règlement attachent au mode de saisine utilisé s'imposent aux

deux Parties.

Dans son arrêt du 1er juillet 1994, la Cour a dit que les échanges de

lettres de décembre 1987 et le procès-verbal de décembre 1990 constituaient
des accords internationaux créant des droits et des obligations pour les
Parties; et qu'aux termes de ces accords les Parties avaient pris

l'engagement de lui soumettre l'ensemble du différend qui les oppose. Dans
le présent arrêt, la Cour a constaté qu'à Doha les-Parties avaient
réaffirmé leur consentement à sa compétence et· fixé l''·objet du différend

conformément à la formule bahreinite; elle a constaté en outre que le
procès-verbal de Doha permettait la saisine unilatérale. La Cour considère
par suite qu'elle a compétence pour statuer sur le différend.

*

La recevabilité (par. 45-48)

Ayant ainsi établi sa compétence, la Cour doit encore aborder certains
problèmes de recevabilité, étant donné que Bahrein a fait grief à Qatar

d'avoir limité la portée du différend aux seules questions énoncées dans la
requête de Qatar.

Dans son arrêt du 1er juillet 1994, la Cour, a décidé

«de donner aux Parties l'occasion de lui soumettre l'ensemble du
différend tel qu'il est circonscrit par le procès-verbal de 1990 et la
formule bahreinite, que toutes deux ont acceptés.»

Qatar, par une démarche individuelle du 30 novembre 1994, a soumis à
la Cour «l'ensemble du différend qui oppose Qatar et Bahrein, tel que

circonscrit» par la formule bahreinite (voir, ci-dessus, p. 3 et 4).
Qatar emploie les termes mêmes avancés par Bahrein dans plusieurs projets
de textes, sauf dans la mesure où ces derniers visaient la souveraineté sur

les îles Hawar et la souveraineté sur Zubarah. Il apparaît à la Cour que
la formulation retenue par Qatar décrivait exactement l'objet du litige.
Dans ces conditions, la Cour, tout en regrettant qu'un accord n'ait pu

intervenir entre les Parties quant à ses modalités de présentation, est
amenée à constater qu'elle est maintenant saisie de l'ensemble du
différend, et que la requête de Qatar est recevable. Annexe au CommuniçtUé de presse nc 95 / 6

Opinion dissidente de M. Schwebel. Vice-Président

M. Schwebel, Vice-Président, est en désaccord avec l'arrêt rendu par la

Cour. Puisque les termes du traité litigieux - le procès-verbal de Doba
- sont -<~:intrinsèque mmebigus», la Cour doit se pencher sur les travaux
préparatoires de ce texte, qui d'ailleurs ont été au centre de l'argumentation

des Parties. Ces travaux préparatoires montrent que, pour accepter de signer le
procès-verbal de Doba, Bahrein avait exigé que le projet de texte proposé soit
modifié pour supprimer la saisine de la Cour par «l'une ou l'autre des parties»

en faveur du texte agréé par les deux Parties autorisant la saisine par «les
deux parties». En proposant et obtenant cette modification, Bahrein ne pouvait
avoir eu d'autre objectif que d'exclure une saisine par l'une ou l'autre des

Parties, et donc d'exiger la saisine conjointe de la. Cour.

Malgré le caractère probant des travaux préparatoires, la Cour a jugé
qu'ils n'apportaient pas d'éléments déterminants. En fait, elle a laissé de
côté les travaux préparatoires parce qu'ils contredisent son interprétation, ou

bien parce qu'elle a jugé son interprétation du texte du traité si claire
qu'elle n'avait pas lieu de faire appel aux travaux préparatoires.

Selon M. Schwebel, l'interprétation que la Cour a faite pour ces raisons du
procès-verbal de Doba est en désaccord avec les règles d'interprétation de la
convention de Vienne sur le droit des traités. Elle ne satisfait pas à

l'exigence d'une interprétation de bonne foi des termes du traité «à la lumière
de son objet et de son but», puisque l'objet et le but des parties au traité

n'étaient pas d'autoriser la saisine unilatérale de la Cour. Elle ne met pas en
oeuvre la disposition de la convention sur le recours aux travaux préparatoires
parce que, loin de confirmer le sens que son interprétation a dégagé, les

travaux préparatoires le contredisent. En outre, la carence de la cour à
déterminer le sens du traité à la lumière des travaux préparatoires conduit, si
ce n'est à une interprétation déraisonnable du traité lui-même, du moins à une

interprétation «manifestement ... déraisonnable» des travaux. préparatoires.

Ces considérations sont particulièrement pertinentes quand le traité

litigieux est interprété de manière à attribuer compétence à la Cour. Si les
travaux préparatoires d'un traité démontrent que les Parties n'ont pas eu pour

intention commune de conférer compétence à la Cour, comme il est le cas dans
cette affaire, celle-ci ne peut pas se prévaloir de ce traité pour établir sa
compétence.

Opinion dissidente de M. Oda

De l'avis de M. Oda, les Parties à l'instance n'étaient pas parvenues, au
30 novembre 1994, à agir, conjointement ou individuellement, en réponse à

l'arrêt de la Cour du 1er juillet 1994 (qui, en tout état de éause, d'après
M. Oda, ne constituait pas tant un «arrêt» qu'un compte rendu de la tentative de
conciliation faite par la Cour) .

Le 30 novembre 1994, le Greffe a reçu de Qatar une «Démarche», et de

Bahrein un «Rapport». Le «Rapport» de Bahreïn n'était pas destiné à déployer le
moindre effet juridique. Selon M. Oda, la «démarche» de Qatar entendait
modifier les conclusions initiales présentées dans la requête qatarie.

Du moment que Qatar avait modifié ou complété ses conclusions, la cour
aurait dû en informer officiellement Bahrein et lui donner l'occasion d'exprimer

son point de vue dans un certain délai. Or, la Cour n'a pas pris de telles
mesures. - 2 -

En fait, la Cour a reçu.les «commentaires» bahreinites sur la «démarche» de
Qatar gue Bahrein a envoyés au Greffe, de sa propre initiative, le

5 décembre 1994, quelques jours seulement après avoir reçu du Greffe un
exemplaire de la «démarche» de Qatar. Puisque la Cour n'a pas ordonné la tenue
de nouvelles audiences, Bahrein n'a pas eu l'occasion d'exprimer officiellement

sa position sur ces modifications ou ajouts aux conclusions qataries. Selon
M. Oda, la procédure adoptée par la Cour était très regrettable, la Cour ayant
préféré entreprendre la rédaction du présent arrêt.

La Cour lui semble affirmer que les «documents de 1987» et le «procès-verbal
de Doha de 1990» constituent ensemble-un accord international contenant une

clause compromissoire telle qu'envisagée par le paragraphé 1 de l'article 36 du
Statut. La Cour paraît également avoir estimé que, par ses conclusions amendées

au 30 novembre 1994, Qatar l'a saisie de «l'ensemble du différend», de sorte que
la requête qatarie s'inscrit maintenant dans le cadre de !'«accord de 1990».

Pour les raisons déjà exposées dans son opinion dissidente jointe à l'arrêt ..
du 1er juillet 1994, et qu'il reprend partiellement ici, M. Oda estime que ni les~
échanges de lettres de 1987 ni le procès-verbal de Doba de 1990 ne relèvent de la~

catégorie des «traités et conventions en vigueur» prévoyant spécifiquement la
soumission de certaines questions à la décision de la Cour au moyen d'une requête
unilatérale, conformément à l'article 36, paragraphe 1 du Statut de la Cour.

Après avoir abordé les négociations qui se sont déroulées entre les Parties,
M. Oda conclut premièrement, que si une entente est intervenue entre Qatar et

Bahreïn en décembre 1987, il s'agissait simplement d'un accord visant à
constituer une commission tripartite, qui devait faciliter la rédaction d'un

compromis; deuxièmement, que la commission tripartite n'est pas parvenue à
élaborer un projet agréé de compromis; et, troisièmement, qu'en signant le
procès-verbal de la réunion de Doha, les Parties ont convenu que la saisine de la

Cour internationale de Justice pouvait constituer une solution de rechange aux
bons offices de l'Arabie saoudite, sans qu'il y ait là toutefois aucune
autorisation pour l'une d'elles de s'adresser à la Cour par la voie d'une requête

unilatérale.

M. Oda n'est pas en mesure de voter en faveur du présent arrêt puisqu'il

considère également que, même si «l'accord de 1990» peut constituer un titre sur e
la base duquel la Cour pourrait être saisie du différend, rien dans le présent
arrêt ne semble indiquer que les conclusions amendées ou complétées soumises par

Qatar le 30 novembre 1994 couvrent effectivement «l'ensemble du différend» -
contrairement à la position que Bahrein semble avoir adoptée.

Opinion dissidente de M, Shahabuddeen

Dans son opinion dissidente, M. Shahabuddeen déclare qu'il estime lui aussi
gue les Parties ont donné compétence à la Cour pour statuer sur l'ensemble du
différend. Selon lui, toutefois, la Cour n'a pas été saisie de l'ensemble du

différenc!,_~p _a~uf' ela _re_ven9-~_~a _t~iç_la sotlyeraineté de Bahrein sur Zubarah
ne lui a pas été soumise par Bahrein ou avec le consentement de celui-ci. De

plus, si la Cour a été saisie de cette demande, celle-ci lui a été présentée
d'une manière qui ne lui permet pas d'en connaitre sur le plan judiciaire.
M. Shahabuddeen estime en outre que les Parties n'ont pas consenti au droit de

déposer une requête unilatérale. Il en conclut que l'affaire ne relève pas de la
compétence de la Cour, ou subsidiairement, qu'elle est irrecevable...


- 3 -

Opinion di.ssidente de M. Korom.a

Dans son opinion dissidente, M. Koroma fait observer qu'il est bien établi
en droit international - et c'est un point essentiel de jurisprudence de la Cour
- que la compétence de cette dernière n'existe que dans la mesure où les Parties

à un différend l'ont reconnue, et qu'elle dépend, plus précisément, du
consentement de l'Etat défendeur. Un tel consentement, relève M. Koroma, doit

être clair et indubitable.

En l'espèce,. Bahrein, l'Etat défendeur, a constamment soutenu que son

consentement à la compétence, si tant est qu'il ait été-donné, était assujetti à
la condition de la conclusion d'un compromis avec Qatar, en vue de soumettre
toutes les questions qui les opposaient à la Cour et de saisir celle-ci

conjointement ou de concert.

Dans son arrêt du 1er juillet 1994, la Cour a conclu que les documents

pertinents dont le demandeur s'est prévalu pour fonder la compétence,
constituaient des accords internationaux, créant des droits et des obligations
pour les Parties. Toutefois, la Cour n'a pas été en mesure de se déclarer

compétente pour connaître du différend; elle a en effet constaté que les termes
de ces accords relatifs à la soumission de l'ensemble du différend n'avaient pas
été respectés. Elle a donc décidé d'accorder aux Parties la possibilité de

porter devant elle l'ensemble du différend, de façon conjointe ou séparée.

De l'avis de M. Koroma, l'arrêt du 1er juillet 1994 tranchait en faveur de la

thèse selon laquelle le consentement à conférer compétence à la Cour dépendait de
la conclusion d'un compromis, définissant l'objet du différend. Les Parties ne

sont pas parvenues à un accord visant à saisir la Cour de «l'ensemble du
différend» dans les délais que cette dernière avait fixés. Il s'ensuit que la
cour n'est pas en mesure d'exercer sa compétence en l'espèce.

En outre, dans l'un des instruments juridiques sur lesquels la Cour s'est
fondée pour se déclarer compétente, l'expression arabe «al-tarafan» a été

employée sur l'insistance de Bahreïn pour désigner le mode de saisine de la Cour,
mais cette expression a été traduite par «les deux parties» ou «les parties», au
lieu de «chacune des deux parties» comme il avait été proposé. or, la Cour a été

saisie unilatéralement. Ce point revêtait une importance cruciale en vue de
déterminer la compétence et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il était
ambigu. Cette ambiguïté aurait dû amener la Cour à décliner sa compétence.

Il est clair que la faculté pour la Cour d'exercer sa compétence est
circonscrite par les termes de l'accord entre les Parties par lequel le différend

lui est soumis. Les accords en question envisageaient la conclusion d'un
compromis et une saisine conjointe. Ces conditions n'ont pas été remplies et, en
conséquence, la Cour n'était pas habilitée à trancher l'affaire et aurait dû la

déclarer irrecevable.

1
__Opinion dissidente de M. Valticos - i

M. Valticos, juge ad hoc, considère que la Cour n'est pas compétente pour
examiner le différend étant donné notamment que, par son précédent arrêt du
1er juillet 1994, elle avait demandé aux deux Etats de lui soumettre 1 •ensemble

du différend, alors qu'un seul {Qatar) l'a fait. Parmi les points litigieux
ainsi mentionnés par Qatar figure la question de «Zubarah», que Bahrein
rejette parce gue ce dernier Etat demandait gue le terme de «souveraineté»

figure dans le libellé de la question. Certes, la Cour estime que la mention
de Zubarah permet de soulever la question de la souveraineté sur ce - 4 -

territoire, mais on peut en douter, car en réalité Qatar a proposé qu'il soit
seulement noté que Bahrein définit sa revendication concernant Zubarah comme

une revendication de souveraineté, ce qui pourrait lui permettre de contester
la compétence de la Cour à ce sujet. Il n'y a donc pas plein accord des deux
Etats quant à l'objet du différend.

En outre, la Cour avait indiqué qu'en lui soumettant l'ensemble du
différend, les Parties devaient réagir conjointement ou individuellement. On

rejoint ici la question du terme arabe «al-tarafan», utilisé dans le
procès-verbal de Doba, qui avait posé le problème de savoir si ce terme se

référait aux deux parties prises ens·emble ou séparément. Dans les conditions
dans lesquelles ce texte avait été adopté - à la suite d'un amendement proposé
par Bahrein - ce terme aurait dü être compris comme signifiant «les deux

parties à la fois».

Quant à l'arrêt du 1er juillet 1994, la formule précitée visait

manifestement, dans une éventualité comme dans l'autre, une action, conjointe
ou non, de la part des deux Parties. C'était du reste une suite logique du
principe selon lequel la Cour ne peut être saisie que par les deux parties à

un différend, à moins d'un compromis en sens contraire, ce qui n'était pas le
cas en l'occurrence. Du reste les deux Parties avaient essayé, mais sans
succès, de négocier un accord spécial. En outre, la référence à la formule

«bahreïnite» suppose une opération à deux.

Il n'y a donc eu ni plein accord des Parties sur l'objet du litige, ni

acte par lequel les deux Parties aient soumis à la Cour l'ensemble du
différend.

Dans l'arrêt du 1~ juillet 1994, la Cour ne s'était pas prononcée sur sa
compétence et elle avait souhaité «donner aux Parties l'occasion de [lui]

soumettre l'ensemble du différend qui les oppose». Un seul des deux Etats a
donné suite à cette demande, l'autre, en désaccord avec la formulation de son
adversaire, s'est opposé à ce que l'affaire soit portée devant la Cour.

La Cour aurait donc dû conclure qu'elle n'a pas compétence pour connaitre
de la question.

Peut-être que la Cour a ainsi donné une chance à la prévention d'un
conflit, tout en formulant une thèse qui devrait satisfaire les deux Parties

puisqu'elle accepte que sa compétence couvre la souveraineté sur Zubarah.
L'arrêt souffre cependant de la faiblesse juridique que constituent l'absence
de consentement effectif d'une des Parties et l'insuffisance de la saisine.

La Cour s'est ainsi montrée insuffisamment exigeante sur le principe
consensuel qui est à la base de sa compétence et de la confiance que lui

accorde la communauté internationale.

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- Compétence et recevabilité

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Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn) - Compétence et recevabilité

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