Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
APPLICATION DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE DANS LA BANDE DE GAZA (AFRIQUE DU SUD c. ISRAËL)
REQUÊTE À FIN D’INTERVENTION DÉPOSÉE PAR LE GOUVERNEMENT DE L’ÉTAT DE LIBYE
10 mai 2024
[Traduction du Greffe]
À Monsieur le greffier de la Cour internationale de Justice, le soussigné, dûment autorisé par le Gouvernement de l’État de Libye, déclare ce qui suit :
1. Au nom du Gouvernement de l’État de Libye, j’ai l’honneur de soumettre à la Cour une déclaration d’intervention en application du paragraphe 2 de l’article 63 de son Statut en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël).
2. Le paragraphe 2 de l’article 82 du Règlement de la Cour prévoit que la déclaration déposée par l’État qui entend se prévaloir du droit d’intervention que lui confère le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour doit préciser l’affaire et la convention qu’elle concerne, et contenir :
a) des renseignements spécifiant sur quelle base l’État déclarant se considère comme partie à la convention ;
b) l’indication des dispositions de la convention dont il estime que l’interprétation est en cause ;
c) un exposé de l’interprétation qu’il donne de ces dispositions (il est précisé qu’un exposé complet de cette interprétation sera soumis ultérieurement, bien avant la date d’expiration du délai fixé à cet effet) ;
d) un bordereau des documents à l’appui, qui sont annexés.
3. La présente déclaration traitera de chacun de ces éléments.
OBSERVATIONS LIMINAIRES
A. Intervention de l’État de Libye
4. La République sud-africaine a introduit une instance contre Israël. Elle soutient que des actes commis par l’armée israélienne contre des membres du groupe national, racial et ethnique distinct des Palestiniens de la bande de Gaza depuis octobre 2023 emportent violation de la convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la « convention sur le génocide » ou la « convention »).
5. En déposant la présente déclaration, l’État de Libye se prévaut du droit que lui confère le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour d’intervenir en tant que partie à la convention sur le génocide.
6. La Libye agit ainsi car elle considère que « les actes et omissions d’Israël revêtent un caractère génocidaire car ils s’accompagnent de l’intention spécifique requise de détruire les Palestiniens de Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique plus large des Palestiniens » et que
« le comportement d’Israël à l’égard des Palestiniens de Gaza par l’intermédiaire de ses organes et agents de l’État, ainsi que d’autres personnes et entités agissant sur ses instructions ou sous sa direction, son autorité ou son influence est contraire aux obligations découlant de la convention sur le génocide ».
La Libye est d’avis qu’« Israël, en particulier depuis le 7 octobre 2023, commet le génocide et manque de prévenir le génocide et de poursuivre les auteurs d’actes constitutifs d’incitation directe
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et publique à commettre le génocide » et qu’il « s’est livré, se livre et risque de continuer à se livrer à des actes génocidaires contre le peuple palestinien de Gaza ».
L’État de Libye a soutenu l’instance introduite par l’Afrique du Sud devant la Cour et exprimé son intention d’intervenir « en soutien au peuple palestinien »1.
La présente affaire soulève d’importantes questions concernant la convention sur le génocide. Ainsi que la Cour l’a reconnu, l’interdiction du génocide est une norme de jus cogens en droit international. La Cour a confirmé dans la présente procédure que la convention impose des obligations erga omnes partes « en ce sens que, quelle que soit l’affaire, chaque État partie a un intérêt à ce qu’elles soient respectées ». Examinant l’objet de la convention, elle a aussi rappelé que
« [celle-ci] a[vait] été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. … Dans une telle convention, les États contractants n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. »
Aux termes du paragraphe 1 de l’article 82 du Règlement de la Cour, les déclarations doivent être déposées « le plus tôt possible avant la date fixée pour l’ouverture de la procédure orale ». L’État de Libye confirme qu’il a déposé la présente déclaration dès que cela a été possible, après confirmation de la compétence de la Cour et une fois le mémoire et le contre-mémoire déposés par les Parties.
La Cour a reconnu que l’article 63 confère un droit d’intervention lorsqu’un État désireux d’intervenir limite son intervention à « la question qu’il s’agit d’interpréter en l’espèce » et que ce droit « n’autorise pas une intervention générale en l’affaire ». Elle a en outre énoncé que, « dans les cas relevant de l’article 63 du Statut, l’objet limité de l’intervention est de permettre à un État tiers au procès, mais partie à une convention dont l’interprétation est en cause dans celui-ci, de présenter à la Cour ses observations sur l’interprétation de ladite convention ».
L’État de Libye reconnaît que, même s’il n’entend pas devenir partie à l’instance, en se prévalant du droit d’intervenir que lui confère le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour, il accepte comme également obligatoire à son égard l’interprétation de la convention sur le génocide contenue dans la sentence en l’espèce.
B. Contexte procédural
Le 29 décembre 2023, la République sud-africaine a introduit une instance contre Israël sur le fondement de violations alléguées de la convention sur le génocide. Le greffier a informé l’État de Libye, en tant que partie à celle-ci, du dépôt de la requête de l’Afrique du Sud.
Avec sa requête, l’Afrique du Sud a soumis une demande en indication de mesures conservatoires.
La Cour a, le 26 janvier 2024, rendu une ordonnance en indication de mesures conservatoires, dans laquelle elle a notamment dit qu’Israël devait,
« conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide, prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir la commission, à l’encontre des Palestiniens de Gaza, de tout acte entrant dans le champ d’application de l’article II de la convention, en particulier les actes suivants : a) meurtre de membres du groupe,
1 Le président du conseil présidentiel a déclaré que la Libye s’associerait à l’instance introduite par l’Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de Justice, accessible à l’adresse suivante : https://lana.goy.ly/post.php?lang =en&id=300134.
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b) atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe, c) soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle, et d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe. La Cour rappelle que de tels actes entrent dans le champ d’application de l’article II de la convention lorsqu’ils sont commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe comme tel … La Cour considère également qu’Israël doit veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette aucun des actes visés ci-dessus. »
Affaire en laquelle est déposée la déclaration et convention concernée
L’État de Libye soumet la présente déclaration d’intervention en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël). Celle-ci soulève des questions d’interprétation de la convention sur le génocide. L’État de Libye, en tant que partie à la convention, a un intérêt direct dans l’interprétation que pourrait donner la Cour de ses dispositions, et la présente déclaration traite des questions d’interprétation qui se posent en l’espèce.
Base sur laquelle l’État de Libye se considère comme partie à la convention
Le 16 mai 1989, l’État de Libye a déposé son instrument d’adhésion à la convention sur le génocide auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, conformément à l’article XI de la convention. L’État de Libye n’a pas formulé de réserve, de déclaration ni d’objection concernant la convention et demeure partie à celle-ci à la date à laquelle la présente déclaration est soumise.
Dispositions de la convention dont l’État de Libye estime que l’interprétation est en cause
La présente affaire soulève des questions fondamentales concernant l’interprétation de plusieurs dispositions de la convention sur le génocide.
La déclaration d’intervention de l’État de Libye est axée sur la juste interprétation des dispositions relatives à l’obligation de ne pas commettre de génocide et de prévenir un tel crime et à l’obligation de punir le génocide énoncées à l’article premier, lu conjointement avec l’article II, aux litt. a), b), c), d) et e) de l’article III, et aux articles IV, V et VI de la convention sur le génocide.
L’État de Libye affirme qu’Israël viole la convention sur le génocide en « commettant un génocide contre le peuple palestinien, en manquant à l’obligation de prévenir le génocide et en manquant à l’obligation de punir le génocide, en violation des articles premier, II, IV et VI » de la convention ainsi qu’en
« ne prenant pas les mesures législatives nécessaires pour assurer l’application des dispositions de la convention sur le génocide et en ne prévoyant pas des sanctions pénales efficaces à l’encontre des personnes coupables de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, en violation de l’article V ».
Israël a violé les dispositions de la convention sur le génocide, notamment l’obligation de punir le génocide. La juste interprétation des articles premier, II, IV, V et VI est par conséquent en cause en l’espèce et constitue l’objet de la présente déclaration.
L’État de Libye se réserve le droit de compléter ou de modifier la présente déclaration ainsi que la portée de ses observations, si des questions additionnelles d’interprétation se posent à mesure que l’affaire progresse ou s’il en prend connaissance après réception, en application du paragraphe 1
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de l’article 86 du Règlement de la Cour, des pièces de procédure des Parties et des documents y annexés.
Exposé de l’interprétation de l’article premier, lu conjointement avec l’article II, des litt. a), b), c), d) et e) de l’article III, et des articles IV, V et VI de la convention sur le génocide
Les dispositions de la convention sur le génocide doivent être interprétées conformément aux articles 31 et 32 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités (ci-après la « convention de Vienne »), dont la Cour a confirmé qu’elle reflète le droit international coutumier. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 31 de celle-ci, « [u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ». Le paragraphe 3 de ce même article précise que, en même temps que du contexte, l’interprétation d’un traité doit tenir compte de la pratique ultérieurement suivie par les parties dans la mesure où elle établit l’accord de celles-ci à l’égard de l’interprétation de l’instrument, ainsi que de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties. Selon l’article 32 de la convention de Vienne, il peut être fait appel à des moyens complémentaires d’interprétation, et notamment aux travaux préparatoires du traité.
Conformément à la convention de Vienne, l’État de Libye se référera à d’autres règles de droit international applicables entre les parties à la convention sur le génocide, dont des dispositions conventionnelles et règles coutumières pertinentes, pour étayer son interprétation de la convention sur le génocide, et renverra aux travaux préparatoires de celle-ci pour la compléter. En vertu de l’alinéa d) du paragraphe 1 de l’article 38 du Statut de la Cour, l’État de Libye se référera également aux « décisions judiciaires » des cours et tribunaux ainsi qu’à la doctrine « comme moyen auxiliaire de détermination des règles de droit ».
L’interprétation de l’article premier, des litt. a), b), c), d) et e) de l’article III, et des articles IV, V et VI de la convention sera communiquée à la Cour bien avant la date fixée pour l’ouverture de la procédure orale, ainsi que l’exige le paragraphe 1 de l’article 82 du Règlement de la Cour.
CONCLUSION
Pour les raisons exposées dans la présente déclaration, l’État de Libye se prévaut du droit que lui confère le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour d’intervenir dans la présente procédure et prie respectueusement la Cour de déclarer admissible sa déclaration.
L’État de Libye a désigné l’agent soussigné aux fins de la présente déclaration.
Toutes les communications relatives à la présente affaire doivent être adressées à :
S. Exc. M. l’ambassadeur de l’État de Libye auprès du Royaume des Pays-Bas
Ambassade de l’État de Libye au Royaume des Pays-Bas
Parkweg 15
2585 JH La Haye
Pays-Bas
Agent de l’État de Libye,
(Signé) M. Ahmed EL GEHANI.
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Déclaration d'intervention de la Libye