Exposé écrit de la Suisse

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186-20230725-WRI-04-00-EN
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST
EXPOSÉ ÉCRIT DE LA CONFÉDÉRATION SUISSE
17 JUILLET 2023

1. Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la résolution A/RES/77/247 intitulée « Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est ». Par celle-ci, elle a décidé, conformément à l’article 96 de la Charte des Nations Unies et en vertu de l’article 65 du Statut de la Cour, de demander à la Cour internationale de Justice de donner un avis consultatif sur les questions suivantes :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ?1
2. Par ordonnance du 3 février 2023, la Cour internationale de Justice (ci-après « la Cour ») a décidé :
« que l’Organisation des Nations Unies et ses Etats Membres, ainsi que l’Etat observateur de Palestine, sont jugés susceptibles de fournir des renseignements sur les questions soumises à la Cour pour avis consultatif et qu’ils pourront le faire dans les délais fixés par la présente ordonnance. »2
3. La Cour a fixé au 25 juillet 2023 la date d’expiration du délai pour la soumission d’observations écrites.
4. La Suisse souhaite faire usage de cette possibilité et, en observant le délai et les formes prescrits, fait part à la Cour des considérations suivantes.
I. CONSIDÉRATIONS PRÉLIMINAIRES
A. Bref rappel de la position de la Suisse
5. La Suisse soutient la vision formulée par le Conseil de sécurité de l’ONU3 d’une région où deux États démocratiques, Israël et la Palestine, vivent côte à côte en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues.
6. La Suisse est convaincue que seule une solution à deux États, négociée par les deux parties, conformément au droit international et aux paramètres convenus au niveau international, y compris les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, peut conduire à une paix durable entre Israéliens et Palestiniens.4
1 Résolution 77/247 de l’Assemblée générale, Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, A/RES/77/247 (30 décembre 2022), par. 18.
2 Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, Ordonnance du 3 février 2023, C.I.J. Recueil 2023, par. 1.
3 Voir notamment Résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité, S/RES/2334 (2016) (23 décembre 2016).
4 À cette fin, la Suisse rappelle les principes énoncés dans la Charte des Nations Unies au sujet de l’usage de la force et leur corollaire de droit international coutumier prévoyant que l’acquisition de territoires résultant du recours à la menace
7. La Suisse appelle toutes les parties à remplir leurs obligations en vertu du droit international, en particulier du droit international humanitaire, et à s’abstenir de toute mesure unilatérale susceptible de compromettre les efforts de paix. Israël a des préoccupations légitimes de sécurité et dispose d’une marge d’appréciation importante dans le choix et la mise en oeuvre des moyens requis. Cependant, ses actes au nom de la défense ou de la sécurité nationale doivent respecter le droit international, notamment le droit international humanitaire et les droits de l’homme. Leur respect est essentiel pour améliorer la condition humanitaire des personnes en situation d’occupation prolongée et pour réaliser une paix juste et durable.
B. Compétence de la Cour
8. En vertu de l’article 65, paragraphe 1, du Statut de la Cour, celle-ci peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet avis. La requête de l’Assemblée générale contenue dans la résolution A/RES/77/247 a été formulée en application de l’article 96, paragraphe 1, de la Charte des Nations Unies, en vertu duquel l’Assemblée générale peut demander à la Cour un avis consultatif sur toute question juridique.
9. Les questions soumises par l’Assemblée générale ont été libellées en termes juridiques et soulèvent des problèmes de droit international, liés notamment au droit à l’autodétermination, au droit international humanitaire et au droit international des droits de l’homme.
10. De l’avis de la Suisse, la Cour a compétence pour donner un avis consultatif en réponse à la demande de l’Assemblée générale.
C. Opportunité de l’exercice de sa compétence par la Cour
11. À teneur de l’article 65, paragraphe 1 du Statut, « [l]a Cour peut donner un avis consultatif… » (nous soulignons). La Cour dispose ainsi du pouvoir discrétionnaire de décider si elle veut ou non donner l’avis consultatif qui lui est demandé : « [q]ue la Cour ait compétence ne signifie pas, cependant, qu’elle soit tenue de l’exercer ».5 À cet égard, la Cour a qualifié le rôle de son pouvoir discrétionnaire comme suit :
« Le pouvoir discrétionnaire de répondre ou non à une demande d’avis consultatif vise à protéger l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156-157, par. 44-45 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415-416, par. 29). »6
ou à l’emploi de la force est illicite, voir Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, par. 87 ; voir également Résolution 2334 (2016) du Conseil de Sécurité, S/RES/2334 (2016) (23 décembre 2016), PP 2.
5 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 95, par. 63.
6 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 95, par. 64.
12. Ce pouvoir discrétionnaire est toutefois tempéré par la fonction même d’un avis consultatif :
« La Cour n’en garde pas moins à l’esprit que sa réponse à une demande d’avis consultatif “constitue [sa] participation… à l’action de l’Organisation et, en principe,… ne devrait pas être refusée” (Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 78-79, par. 29 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44). Ainsi, conformément à sa jurisprudence constante, seules des “raisons décisives” [“compelling reasons”] peuvent conduire la Cour à opposer un refus à une demande d’avis relevant de sa compétence (Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 30). »7
13. Il convient de se demander si de telles « raisons décisives » existent dans le cas d’espèce. En l’occurrence, la Cour pourrait se demander si trois motifs potentiels entreraient en ligne de compte :
i. L’absence de consentement ;
ii. La complexité et le caractère controversé des faits ;
iii. Le rôle de la négociation dans la recherche d’une solution.
14. À titre préalable, il convient de souligner que le seuil d’applicabilité de ce critère est élevé. La Cour actuelle n’a jamais, dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, refusé de répondre à une demande d’avis consultatif, et ce malgré l’invocation fréquente de cet argument devant elle.
15. S’agissant du premier motif, l’absence de consentement, il est établi que la Cour pourrait refuser de donner suite à une demande d’avis consultatif si cette demande « aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un Etat n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant ».8
16. La requête de l’Assemblée générale ne se réduit pas à un différend limité à une dimension bilatérale. Elle touche notamment à des questions relatives à l’effet erga omnes d’obligations internationales. Par ailleurs, ne pas donner suite à la demande d’avis consultatif sur la base de l’absence de consentement reviendrait à nier l’existence d’un intérêt propre de l’Assemblée générale à obtenir une réponse aux questions qu’elle a adressées à la Cour. L’Organisation des Nations Unies a une « responsabilité permanente à assumer en ce qui concerne la question de Palestine jusqu’à ce qu’elle soit réglée sous tous ses aspects de manière satisfaisante et dans le respect de la légitimité internationale ».9 L’Assemblée générale a concrétisé cette responsabilité se saisissant du « Problème de la Palestine » dès 1947 et en adoptant de nombreuses résolutions depuis.10 L’avis consultatif est donc demandé sur une question qui intéresse tout particulièrement l’Organisation des Nations Unies
7 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 95, par. 65 (nous soulignons).
8 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33.
9 Résolution 57/107 de l’Assemblée générale, Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, A/RES/57/107 (3 décembre 2002). 10 Résolution 181(II)A-B de l’Assemblée générale, Gouvernement futur de la Palestine, A/RES/181(II)A-B (29 novembre 1947).
en général et l’Assemblée générale spécifiquement.11 Dès lors, la réponse aux questions posées par la Cour est utile à l’Assemblée générale en vue de l’exercice approprié de ses fonctions.
17. Dans ces circonstances, le prononcé d’un avis consultatif par la Cour n’aurait pas pour effet de contourner le principe du consentement de l’État au règlement judiciaire de son différend avec un autre État.
18. Un deuxième motif qui pourrait amener la Cour à refuser de donner suite à une requête pour avis consultatif de l’Assemblée générale relèverait de la complexité et du caractère controversé des faits. Spécifiquement, la Cour a indiqué que « l’absence concrète des “renseignements matériels nécessaires pour lui permettre de porter un jugement sur la question de fait” »12 pourrait l’empêcher de donner un avis.
19. En l’espèce, la situation à l’origine de la demande d’avis consultatif est largement documentée, notamment à travers de multiples rapports annuels du Secrétaire général des Nations Unies et du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.
20. Un troisième motif pour lequel la Cour pourrait ne pas donner suite à la requête serait le rôle de la négociation dans la recherche d’une solution à la situation devant la Cour.
21. La Cour a déjà eu l’occasion d’examiner cette question par le passé, notamment dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé. Dans ce contexte, elle a indiqué :
« L’influence que l’avis de la Cour pourrait avoir sur ces négociations n’apparaît cependant pas de façon évidente : les participants à la présente procédure ont exprimé à cet égard des vues divergentes. La Cour ne saurait considérer ce facteur comme une raison décisive de refuser d’exercer sa compétence ».13
22. La Cour devrait exercer sa compétence indépendamment de la possibilité que son avis consultatif ait une influence sur les négociations. En effet, il n’incombe pas à la Cour de déterminer si son avis consultatif pourrait avoir une quelconque composante politique, mais plutôt si les questions qui lui ont été soumises ont un caractère juridique. Ainsi, « qu’une question revête des aspects politiques ne suffit pas à lui ôter son caractère juridique »14. La Cour a détaillé son raisonnement, indiquant :
« La Cour ne saurait refuser de répondre aux éléments juridiques d’une question qui, quels qu’en soient les aspects politiques, l’invite à s’acquitter d’une tâche essentiellement judiciaire, à savoir, en la présente espèce, l’appréciation d’un acte au regard du droit international. La Cour a également précisé que, pour trancher le point — qui touche à sa compétence — de savoir si la question qui lui est posée est d’ordre juridique, elle ne doit tenir compte ni de la nature politique des motifs qui pourraient avoir inspiré la demande, ni des conséquences politiques que pourrait avoir son avis ».15
11 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 95, par. 88.
12 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 46.
13 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, par. 53.
14 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010, p. 403, par. 27.
15 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010, p. 403, par. 27.
23. En conséquence, l’existence d’un processus de négociation ou les potentielles implications politiques d’un avis consultatif ne sauraient mener la Cour à refuser d’exercer sa compétence.
24. Compte tenu de ce qui précède, il n’existe aucune « raison décisive » qui pourrait mener la Cour à refuser de donner l’avis sollicité par l’Assemblée générale
II. DROIT À L’AUTODÉTERMINATION
A. Statut juridique
25. Le droit à l’autodétermination, aussi appelé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, est un droit reconnu en droit international. Bien qu’il se soit développé dans le contexte de la décolonisation, il a trouvé une application plus large depuis.
26. Le droit à l’autodétermination est explicitement mentionné dans les articles 1 et 55 de la Charte des Nations Unies. Selon l’article 1, paragraphe 2 de la Charte, un des buts des Nations Unies est de :
« [d]évelopper entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ».
27. En outre, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques affirment dans leur article 1 respectif que :
« [t]ous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel. »

« [l]es États parties au présent Pacte, y compris ceux qui ont la responsabilité d’administrer des territoires non autonomes et des territoires sous tutelle, sont tenus de faciliter la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de respecter ce droit, conformément aux dispositions de la Charte des Nations Unies. »
28. Le contenu du droit à l’autodétermination a notamment été précisé par l’Assemblée générale des Nations Unies dans la résolution 1514 (XV) sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, adoptée le 15 décembre 1960 et dans la résolution 2625 (XXV) du 24 octobre 1970, intitulée « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies ». Cette dernière précise :
« En vertu du principe de 1'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique, social et culturel, et tout Etat a le devoir de respecter ce droit conformément aux dispositions de la Charte. »16
16 Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, A/RES/2625 (XXV) (24 octobre 1970).
29. Ladite déclaration indique ensuite le devoir qu’a tout État de favoriser la réalisation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, conformément aux dispositions de la Charte.17
30. S’agissant du contenu du droit à l’autodétermination, il est en outre reconnu par la même déclaration qu’en exerçant ce droit, un peuple peut choisir entre la création d’un État souverain et indépendant, la libre association ou l’intégration avec un État indépendant ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé.18
31. La Cour s’est prononcée à plusieurs reprises sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, elle a reconnu le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes comme principe pertinent pour l’appréciation des questions devant elle.19
32. Dans l’arrêt sur l’affaire relative au Timor oriental de 1995, la Cour s’est prononcée sur le caractère erga omnes de ce droit en constatant qu’il n’y avait « “rien à redire” à l’affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’est développé à partir de la Charte et de la pratique de l’Organisation des Nations Unies, est un droit opposable erga omnes ».20 Également dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé de 2004, elle a confirmé que le droit du peuple palestinien à l’autodétermination est une obligation erga omnes.21 Enfin, dans l’avis consultatif sur les Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965 de 2019, la Cour a reconnu que le droit à l’autodétermination est un droit humain fondamental avec un champ d’application étendu allant au-delà du contexte de la décolonisation22 et qu’il s’agissait d’une norme coutumière.23
33. Les effets juridiques qui découlent du caractère erga omnes et coutumier du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sont également reflétés dans des résolutions de l’Assemblée générale. À titre d’exemple, dans la résolution sur le Statut de la Palestine à l’Organisation des Nations Unies, l’Assemblée générale :
« Exhorte tous les États, ainsi que les institutions spécialisées et les organismes du système des Nations Unies, à continuer de soutenir le peuple palestinien et de l’aider à réaliser rapidement son droit à l’autodétermination, à l’indépendance et à la liberté ».24
17 Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, A/RES/2625 (XXV) (24 octobre 1970).
18 Résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale, Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, A/RES/2625 (XXV) (24 octobre 1970).
19 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, par. 86-88.
20 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 102, par. 29.
21 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, par. 155.
22 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 95, par. 144.
23 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019, p. 95, par. 152-158.
24 Résolution 67/19 de l’Assemblée générale, Statut de la Palestine à l’Organisation des Nations Unies, A/RES/67/19 (29 novembre 2012).
B. Droit à l’autodétermination du peuple palestinien
34. Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination a été régulièrement reconnu par différents organes des Nations Unies. L’Assemblée générale s’est exprimée de manière récurrente sur le droit du peuple palestinien à l’autodétermination.25 Depuis sa 49ème session en 1994-1995, à travers l’adoption d’une résolution intitulée « Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination », l’Assemblée générale réitère que le peuple palestinien dispose de ce droit.26
35. La Cour, quant à elle, constate dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé :
« S’agissant du principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la Cour observera que l’existence d’un “peuple palestinien” ne saurait plus faire débat. »27
36. À noter que dans ce même avis consultatif, la Cour indique que le droit à l’autodétermination figure parmi les « droits légitimes » du peuple palestinien mentionnés dans l’accord intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza du 28 septembre 1995, dit accord d’Oslo II.28
37. En lien avec le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, l’Assemblée générale a exigé d’Israël de mettre fin, entre autres, à toutes ses activités d’implantation « qui ont toutes des conséquences graves et préjudiciables, entre autres pour les droits humains du peuple palestinien, notamment son droit à l’autodétermination ».29 Précédemment, le Conseil de sécurité avait déjà qualifié d’illégales les colonies de peuplement dans le Territoire palestinien occupé depuis 1967, y compris Jérusalem-Est en soulignant qu’elles constituent un obstacle majeur à la réalisation de la solution des deux États et à l’instauration d’une paix globale, juste et durable.30 L’Assemblée générale a également déjà affirmé l’illégalité des implantations israéliennes.31
38. Pour la Suisse, dont la position a été esquissée ci-dessus32, toute solution au conflit du Proche-Orient doit reposer sur plusieurs éléments, dont le droit à l’autodétermination, dans le but de deux États démocratiques, Israël et la Palestine, qui vivent en sécurité et en paix. La Suisse considère par exemple que les colonies israéliennes de peuplement portent gravement atteinte au droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Il serait opportun que la Cour se prononce sur la question de savoir s’il y a eu violation du droit à l’autodétermination et le cas échéant quelles en sont les conséquences juridiques.
25 Voir par exemple la résolution 3236 (XXIX) de l’Assemblée générale, Question de Palestine, A/RES/3236 (XXIX) (5 novembre 1974), la résolution 67/19 de l’Assemblée générale, Statut de la Palestine à l’Organisation des Nations Unies, A/RES/67/19 (29 novembre 2012) et la résolution 77/25 de l’Assemblée générale, Règlement pacifique de la question de Palestine, A/RES/77/25 (30 novembre 2022).
26 Voir notamment la première résolution 49/149 de l’Assemblée générale intitulée Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, A/RES/49/149 (23 décembre 1994) et la plus récente résolution 77/208 de l’Assemblée générale intitulée Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, A/RES/77/208 (15 décembre 2022). Le Conseil des droits de l’homme adopte aussi régulièrement des résolutions sur ce sujet, voir par exemple la plus récente résolution 52/34 du Conseil des droits de l’homme, Droit du peuple palestinien à l’autodétermination, A/HRC/RES/52/34 (4 avril 2023).
27 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, par. 118.
28 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, par. 118.
29 Résolution 77/247 de l’Assemblée générale, Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, A/RES/77/247 (30 décembre 2022).
30 Résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité, S/RES/2334 (2016) (23 décembre 2016).
31 Voir par exemple Résolution 77/126 de l’Assemblée générale, Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, A/RES/77/126 (12 décembre 2022).
32 Voir supra 5-7.
III. DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE
A. Généralités
39. La situation entre Israël et la Palestine est constitutive d’une occupation au sens du droit international humanitaire. La Cisjordanie — y compris Jérusalem-Est33 — et la bande de Gaza sont en effet sous contrôle israélien. Le retrait unilatéral israélien de la bande de Gaza en 2005 n’a pas modifié le statut de ce territoire en droit international humanitaire. Israël continue d’y exercer un contrôle de facto suffisant pour conclure à une occupation : contrôle des frontières, maîtrise des espaces aériens et maritimes, possibilité réelle d’entreprendre une opération militaire terrestre, contrôle de l’électricité et des télécommunications, contrôle du mouvement des biens et des personnes.34
40. Comme mentionné dans son exposé écrit du 30 janvier 2004 dans le cadre de l’Avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, la Suisse estime que le droit international humanitaire, et plus particulièrement le Règlement de La Haye de 1907 et la quatrième Convention de Genève de 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, s’applique. Ensemble ils forment le droit de l’occupation.
41. L’Organisation de Nations Unies35 a réaffirmé à divers niveaux l’applicabilité de jure de la quatrième Convention dans les territoires occupés et a exprimé à plusieurs reprises sa volonté qu’elle soit appliquée aux territoires occupés par Israël en juin 1967, y compris Jérusalem-Est. Elle confirme ainsi les responsabilités d’Israël à cet égard. Dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, la Cour internationale de justice, elle
33 Jérusalem-Est a été annexée par Israël en 1967.
34 CICR, Article 2 [commun] in Commentaire de la Première Convention de Genève, 2020, par. 307-313 ; Conférence de Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève, Déclaration, 17 décembre 2014, par. 8 (https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/37760.pdf) ; Note A/61/470 du Secrétaire général, Situation des droits de l’homme dans les Territoires palestiniens occupés depuis 1967, A/61/470 (27 septembre 2006), par. 6-7 ; Rapport A/HRC/34/38 du Secrétaire général, La situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, A/HRC/34/38 (13 avril 2017), par. 10 ; Rapport A/73/410 du Secrétaire général, Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, A/73/410 (5 octobre 2018), par. 3.
35 Soit l’Assemblée générale (voir notamment Résolution 77/187 de l’Assemblée générale, Souveraineté permanente du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et de la population arabe dans le Golan syrien occupé sur leurs ressources naturelles, A/RES/77/187 (22 décembre 2022)), le Conseil de sécurité (voir notamment Résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité, S/RES/2334 (2016) (23 décembre 2016) ; Résolution 1860 (2009) du Conseil de sécurité, S/RES/1860 (2009) (8 janvier 2009)), le Conseil des droits de l’homme (voir notamment Résolution 49/4 du Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, A/HRC/RES/49/4 (11 avril 2022)), le Secrétaire général (voir notamment Rapport A/HRC/34/38 du Secrétaire général, La situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, A/HRC/34/38 (13 avril 2017), auquel il est fait référence dans ses rapports subséquents, le plus récent étant le Rapport A/76/333 du Secrétaire général, Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, A/76/333 (20 septembre 2021), par. 4), et le Haut-Commissaire aux droits de l’homme (voir notamment Rapport A/HRC/8/17 du Haut-Commissaire aux droits de l’homme, La situation des droits de l’homme en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés, A/HRC/8/17 (6 juin 2008), par. 5 ; Rapport A/HRC/12/37 de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, La situation des droits de l’homme en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés, A/HRC/12/37 (19 août 2009), par. 9, ainsi que les rapports subséquents se référant au rapport du Secrétaire général A/HRC/34/38, le plus récent étant le Rapport A/HRC/52/76 du Conseil des droits de l’homme, Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, A/HRC/52/76 (15 mars 2023) par. 4).
aussi, a estimé que la quatrième Convention de Genève est applicable dans le Territoire palestinien occupé.36
42. Il est également à noter que conformément à la recommandation faite par l’Assemblée générale dans sa résolution 64/10 du 5 novembre 2009, une Conférence de Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève s’est tenue, pour la troisième fois, le 17 décembre 2014. La déclaration adoptée lors de cette Conférence réaffirme la validité des documents finaux des deux conférences tenues l’une en 1999 et l’autre en 2001. Elle rappelle l’applicabilité du droit international humanitaire dans le Territoire palestinien occupé, y compris à Jérusalem-Est. Les Hautes Parties contractantes ont rappelé « à la Puissance son obligation d’administrer le Territoire palestinien occupé de manière à tenir pleinement compte des besoins de la population civile, tout en assurant sa propre sécurité, et notamment à préserver les caractéristiques démographiques de celle-ci »37. Elles ont également exprimé « leur profonde préoccupation quant aux effets de l’occupation continue du Territoire palestinien occupé »38. Elles ont en outre exprimé « leur profonde préoccupation, du point de vue du droit international humanitaire, quant à certaines mesures prises par la Puissance occupante dans le Territoire palestinien occupé, y compris le blocus de la bande de Gaza »39. Elles ont réaffirmé « le caractère illégal des colonies de peuplement dans ledit territoire, de leur expansion et des saisies illicites de biens correspondantes, ainsi que du transfert de prisonniers vers le territoire de la Puissance occupante »40.
B. Spécificités du droit de l’occupation
43. Dans le contexte d’une occupation, le droit international humanitaire harmonise l’intérêt humanitaire avec les besoins de sécurité de l’occupant et réduit le risque que les relations entre la Puissance occupante et les personnes vivant sous occupation se détériorent. L’examen de la nécessité et de la proportionnalité pour ce qui est de la restriction des droits de la personne dans une situation d’occupation prolongée doit être plus rigoureux, car les conditions permettant de restreindre les droits fondamentaux des personnes protégées sont plus strictes en vertu du droit international des droits de l’homme.41
44. Les règles du droit de l’occupation reposent sur l’idée selon laquelle l’occupation n’est qu’une situation temporaire. Elles se fondent en effet sur quatre principes fondamentaux dont les deux premiers soulignent le caractère temporaire d’une occupation : 1) la Puissance occupante n’acquiert pas la souveraineté sur le territoire qu’elle occupe, elle est notamment tenue d’administrer les biens publics selon les règles de l’usufruit42 2) la Puissance occupante doit maintenir le statu quo ante et ne doit pas prendre de mesures qui pourraient entraîner des changements permanents, en particulier sur le plan social, économique et démographique, 3) la Puissance occupante doit maintenir la sécurité et l’ordre public dans le territoire occupé et administrer ce dernier de sorte à assurer la protection et le
36 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, par. 101.
37 Conférence de Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève, Déclaration, 17 décembre 2014, par. 4 (https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/37760.pdf).
38 Conférence de Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève, Déclaration, 17 décembre 2014, par. 8 (https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/37760.pdf) (nous soulignons).
39 Conférence de Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève, Déclaration, 17 décembre 2014, par. 8 (https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/37760.pdf).
40 Conférence de Hautes Parties contractantes à la quatrième Convention de Genève, Déclaration, 17 décembre 2014, par. 8 (https://www.newsd.admin.ch/newsd/message/attachments/37760.pdf).
41 Exposé écrit de la Suisse dans le cadre de l’Avis consultatif du 9 juillet 2004 sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, par. 26.
42 Article 55 du Règlement de La Haye de 1907.
bien-être des personnes protégées, soit à protéger, respecter et réaliser leurs droits, 4) de manière générale, la Puissance occupante ne doit pas exercer « son autorité aux fins de servir ses propres intérêts, ou dans le but d’utiliser les habitants, les ressources ou d’autres atouts du territoire qu’elle occupe au profit de son propre territoire ou de sa propre population »43.
C. Mesures prises par Israël
45. Les questions posées par l’Assemblée générale dans sa résolution A/RES/77/247 soulèvent essentiellement, pour ce qui est du droit international humanitaire, des questions en lien avec la gestion du Territoire palestinien occupé.
46. Le Secrétaire général a qualifié le régime de planification et de zonage, tel qu’il est mis en oeuvre par Israël dans la zone C, de restrictif, discriminatoire et incompatible avec les normes du droit international.44 Les Nations Unies ont constamment réaffirmé le principe de l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la force, et condamné les mesures israéliennes visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de Jérusalem et du Territoire palestinien occupé dans son ensemble, notamment par la construction et l’extension de colonies, le transfert de colons israéliens, la confiscation de terres, la démolition d’habitations et le déplacement de civils palestiniens.45
47. Israël a l’obligation, en tant que Puissance occupante, d’assurer l’ordre et la vie publics dans le Territoire palestinien occupé.46 Le régime de planification et de zonage est contraire à plusieurs dispositions du droit international humanitaire.47 Il contribue au surplus à l’expansion des colonies israéliennes et à créer un environnement coercitif qui peut, dans certains cas, s’apparenter à un transfert forcé.48 Ce régime porte également préjudice aux droits économiques, sociaux, culturels, civils et politiques des Palestiniens.49
43 CICR, Que dit le droit des responsabilités de la Puissance occupante dans le territoire palestinien occupé ?, 4 avril 2023 (https://www.icrc.org/fr/document/dih-et-responsabilites-de-la-puissance-occupante-dans-territoire-palestinien).
44 Rapport A/HRC/34/38 du Secrétaire général, La situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, A/HRC/34/38 (13 avril 2017), par. 26. Voir aussi Rapports A/HRC/31/43 du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, du Haut-Commissariat et du Secrétaire général, Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, A/HRC/31/43 (20 janvier 2016), par. 45, se référant au Rapport A/HRC/25/38 du Secrétaire général, Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et dans le Golan syrien occupé, A/HRC/25/38 (12 février 2014), par. 11-20 ; voir également Rapport A/68/513 du Secrétaire général, Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, A/68/513 (9 octobre 2013), par. 30-34.
45 Voir notamment Résolution 77/126 de l’Assemblée générale, Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, A/RES/77/126 (12 décembre 2022) ; Résolution 77/247 de l’Assemblée générale, Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, A/RES/77/247 (30 décembre 2022) ; Résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité, S/RES/2334 (2016) (23 décembre 2016) ; Résolution 49/4 du Conseil des droits de l’homme, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et obligation de garantir les principes de responsabilité et de justice, A/HRC/RES/49/4 (11 avril 2022).
46 Article 43 du Règlement de La Haye de 1907.
47 Notamment les articles 46(2) du Règlement de La Haye de 1907, 49(1) et (6) ainsi que 53 de la quatrième Convention de Genève.
48 Article 49 (1) de la quatrième Convention de Genève. Plus large que le simple usage de la force physique, le caractère forcé d’un transfert peut résulter d’une palette de circonstances constitutives d’un environnement coercitif : notamment la peur de la violence, les pressions psychologiques, l’abus de pouvoir, la détention, la contrainte.
49 Notamment l’article 11(1) du Pacte international relatif aux droits économiques et culturels (Pacte I) ainsi que les articles 2(1), 17(1) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Pacte II).
48. Les mesures prises par Israël dans le Territoire palestinien occupé entraînent des changements fondamentaux, notamment démographiques, pouvant endosser un caractère permanent. Elles affectent négativement la population palestinienne au lieu de lui être bénéfiques et contribuent à la création d’un environnement coercitif et vont donc à l’encontre des principes du droit de l’occupation.
49. Tout territoire annexé reste occupé selon le droit international humanitaire. La quatrième Convention de Genève dispose que les personnes protégées ne peuvent être privées du bénéfice de cette Convention, soit en vertu d’un changement quelconque intervenu du fait de l’occupation dans les institutions ou le gouvernement du territoire en question, soit par un accord passé entre les autorités du territoire occupé et la Puissance occupante, soit encore en raison de l’annexion par cette dernière de tout ou partie du territoire occupé.50
50. Si aucune disposition du droit international humanitaire n’empêche explicitement la Puissance occupante de s’engager dans une occupation prolongée, il n’en demeure pas moins que, au regard des principes fondamentaux du droit de l’occupation, l’occupation est entendue comme une situation temporaire. Une occupation qui se prolonge peut entraîner une tension entre l’obligation pour la Puissance occupante de maintenir le statu quo ante d’une part, et la nécessité d’assurer le bien-être de la population occupée d’autre part. Dans les situations d’occupation prolongée, la Puissance occupante peut en effet être amenée à devoir prendre des mesures spécifiques allant a priori à l’encontre de l’obligation de maintenir le statu quo ante mais qui pourraient se justifier si elles sont mises en oeuvre au bénéfice de la population du territoire occupé. De telles mesures pourraient également se justifier en vertu des obligations de la Puissance occupante relevant du droit international des droits de l’homme.
D. Séparation entre le Ius in bello et le Ius ad bellum
51. Le droit de l’occupation et la légalité de l’occupation sont deux questions distinctes. Le droit de l’occupation s’applique indépendamment de la question de la légalité de l’occupation. L’occupation est une situation qui est régie par le droit international humanitaire alors que la légalité de celle-ci est régie par la Charte des Nations Unies. Le caractère potentiellement illégal d’une occupation ne doit pas remettre en question la séparation fondamentale entre le Ius ad bellum et le Ius in bello. Le droit de l’occupation continue donc de s’appliquer dans le Territoire palestinien indépendamment de la question de la légalité de l’occupation. Dans ce cadre, il serait opportun que la Cour se prononce sur les conséquences du caractère permanent des mesures prises par Israël dans le Territoire palestinien occupé quant au statut de l’occupation au regard du droit international général, en particulier de la Charte des Nations Unies.
E. Obligations des Hautes Parties contractantes aux Conventions de Genève
52. Toutes les Hautes parties contractantes aux Conventions de Genève ont l’obligation de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire.51 Cette obligation comprend une obligation négative et une obligation positive. Les États tiers sont donc tenus de ne pas encourager, aider ou assister les violations du droit international humanitaire commises dans le Territoire palestinien occupé. En outre, ils sont tenus de prendre toutes les mesures possibles pour mettre fin aux violations du droit international humanitaire et pour empêcher, par des moyens légaux, que de nouvelles violations soient commises dans le Territoire palestinien occupé.
50 Article 47 de la quatrième Convention de Genève.
51 Article 1 commun aux quatre Conventions de Genève et au Premier Protocole additionnel I.
53. Dans ce cadre, il convient de rappeler les obligations des Etats en vertu des articles 146, 147 et 148 de la quatrième Convention de Genève.
IV. DROITS DE L’HOMME
A. Généralités
54. L’applicabilité simultanée du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans une situation de conflit armé ou d’occupation a été confirmée à de nombreuses reprises, y compris par la Cour.52 Il a été établi que le champ d’application du droit international des droits de l’homme ne dépend pas seulement des limites territoriales d’un État, mais aussi de l’exercice de sa compétence ou de son contrôle effectif, même s’il n’est pas situé sur le territoire souverain de cet État.53 Comme l’a déclaré la Cour dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, la compétence territoriale exercée par Israël sur le Territoire palestinien occupé en tant que Puissance occupante justifie qu’il soit lié par des obligations en matière de droits de l’homme envers la population du Territoire palestinien occupé.54 Le droit international des droits de l’homme est ainsi applicable à l’ensemble du Territoire palestinien occupé, au vu du contrôle effectif et de la compétence territoriale exercés par Israël en tant que Puissance occupante.55 Israël est donc lié par l’obligation de respecter et protéger les droits de l’homme de la population du Territoire palestinien occupé. Ces obligations complètent et renforcent celles découlant du droit de l’occupation en vertu du droit international humanitaire, et notamment l’obligation d’assurer la protection et le bien-être de la population locale. Dans la situation d’une occupation prolongée, le respect et la mise en oeuvre des droits de l’homme de la population des territoires occupés sont d’une importance primordiale.
55. Parmi les obligations d’Israël en matière de droits de l’homme figurent particulièrement le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques,
52 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, par. 106 et suivants.
53 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, par. 109.
54 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 136, par. 110-113.
55 L’applicabilité des obligations d’Israël en matière de droits de l’homme en ce qui concerne le Territoire palestinien occupé a aussi été continuellement affirmée dans les rapports du Secrétaire général (voir par exemple également Rapport A/69/348 du Secrétaire général, Les colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, A/69/348 (25 août 2014), par. 5 ; Rapport A/HRC/34/38 du Secrétaire général, La situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, A/HRC/34/38 (13 avril 2017), par. 6-7), ainsi que dans les rapports du Haut-Commissaire aux droits de l’homme (par exemple Rapport A/HRC/8/17 du Haut-Commissaire aux droits de l’homme, La situation des droits de l’homme en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés, A/HRC/8/17 (6 juin 2008), par. 7 ; Rapport A/HRC/12/37 de la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, La situation des droits de l’homme en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés, A/HRC/12/37 (19 août 2009), par. 5-6) et par divers organes de traités des droits de l’homme (Observation générale CCPR/C/21/Rev.1/Add.13 du Comité des droits de l’homme (CCPR), Observation générale 31 — La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, CCPR/C/21/Rev.1/Add.13 (26 mai 2004), par. 10 ; voir les observations finales sur les rapports périodiques d’Israël : Observations finales E/C.12/1/Add.90 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Israël, E/C.12/1/Add.90 (26 juin 2003), par. 31 ; Observations finales CCPR/C/ISR/CO/4 du Comité des droits de l’homme, Observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël, CCPR/C/ISR/CO/4 (21 novembre 2014), par. 5 ; Observations finales CRC/C/ISR/CO/2-4 du Comité des droits de l’enfant, Observations finales concernant les deuxième, troisième et quatrième rapports périodiques d’Israël soumis en un seul document, CRC/C/ISR/CO/2-4 (4 juillet 2013), par. 3 ; Observations finales CAT/C/ISR/CO/4 du Comité contre la torture, Israël, CAT/C/ISR/CO/4 (23 juin 2009), par. 11 ; Observations finales CERD/C/ISR/CO/14-16 du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, Israël, CERD/C/ISR/CO/14-16 (3 avril 2012), par. 10).
sociaux et culturels, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, la Convention relative aux droits de l’enfant, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Comme mentionné plus haut56, de nombreuses mesures prises par Israël dans le Territoire palestinien occupé interfèrent avec la jouissance des droits de l’homme et sont illégales aussi par rapport au droit international des droits de l’homme, si elles ne remplissent pas les conditions strictes de limitation prévues par celui-ci. En particulier l’existence des colonies ainsi que le régime de planification et de zonage ont un impact négatif sur de nombreux droits des Palestiniennes et Palestiniens vivant dans le Territoire palestinien occupé.57
B. Discrimination
56. La question soumise à la Cour porte également sur l’adoption de lois et de mesures pouvant être considérées comme discriminatoires. Le droit international des droits de l’homme proclame que toutes les personnes sont égales en dignité et en droits et contient une disposition relative à la non-discrimination, qui aborde une liste ouverte de motifs « tels que la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation »58. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels contiennent tous deux une clause accessoire de non-discrimination, qui interdit la discrimination en matière de droits civils et politiques et de droits économiques, sociaux et culturels, respectivement, sur la base de la même liste ouverte de motifs. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques comporte en outre une clause de non-discrimination autonome (article 26 du Pacte). La Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale et la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes codifient spécifiquement l’interdiction de la discrimination raciale ainsi que de la discrimination fondée sur le genre.
57. Toute différenciation n’est pas forcément une discrimination interdite. La qualification de « discrimination » implique donc que la pratique ou la règle n’est pas justifiable. En effet, l’interdiction de la discrimination n’appelle pas une interdiction illimitée du traitement différencié, mais dès lors que les critères de la discrimination sont remplis, l’interdiction s’applique. Une inégalité de traitement devient une discrimination lorsque le traitement moins favorable est directement lié à l’appartenance à un certain groupe ou à une caractéristique particulière de la personnalité — comme le sexe, l’origine sociale ou ethnique, la langue, la religion, les convictions politiques, l’âge, le handicap, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.59
56 Voir supra 46 et suivants.
57 Voir notamment Note A/77/328 du Secrétaire général, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/77/328 (14 septembre 2022), par. 41 et suivants ; Observations finales E/C.12/ISR/CO/4 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël, E/C.12/ISR/CO/4 (12 novembre 2019), par. 50 ; Observations finales CCPR/C/ISR/CO/4 du Comité des droits de l’homme, Observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël, CCPR/C/ISR/CO/4 (21 novembre 2014), par. 9 ; Observations finales CEDAW/C/ISR/CO/6 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, Observations finales concernant le sixième rapport périodique d’Israël CEDAW/C/ISR/CO/6 (22 novembre 2017), par. 32 et suivants.
58 Articles 1 et 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
59 Voir Henrard K., Equality of Individuals in Max Planck Encyclopedia of International Law.
58. En Cisjordanie, le droit interne israélien s’applique de façon extraterritoriale aux colons israéliens, tandis que les Palestiniens sont soumis au droit militaire israélien et au système juridique palestinien.60 L’application de deux systèmes juridiques différents sur le même territoire, sur la seule base de la nationalité ou de l’origine, soulève la préoccupation de la manière dont le principe de l’égalité devant la loi peut être respecté.61 La Puissance occupante a l’obligation de respecter les lois en vigueur dans le territoire qu’elle occupe, sauf empêchement absolu.62
59. Outre les rapports sur l’application discriminatoire de la loi, il existe également de nombreux rapports sur les pratiques discriminatoires d’Israël à l’égard de la population palestinienne dans le Territoire palestinien occupé. Celles-ci concernent notamment la liberté de mouvement63 ainsi que les droits à la terre, au logement et à l’utilisation des ressources naturelles.64 Dans ce contexte, il serait opportun que la Cour se prononce sur la question des violations des droits de l’homme qui sont liées au fait de l’occupation prolongée, en particulier en lien avec l’interdiction de la discrimination et l’égalité de traitement devant la loi.
V. CONCLUSION
60. La Suisse invite la Cour à se prononcer, dans son avis consultatif, sur les questions relatives au droit à l’autodétermination du peuple palestinien, au droit international humanitaire et au droit international des droits de l’homme évoquées ci-dessus et aux devoirs qui en découlent pour les deux parties.
60 Voir Rapport A/HRC/34/38 du Secrétaire général, La situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, A/HRC/34/38 (13 avril 2017), par. 39 et suivants.
61 Articles 2 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
62 Article 64 de la quatrième Convention de Genève.
63 Voir Rapports A/HRC/50/21 du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, du Haut-Commissariat et du Secrétaire général, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/HRC/50/21 (9 mai 2022), par. 43 et suivants.
64 Rapports A/HRC/50/21 du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, du Haut-Commissariat et du Secrétaire général, Rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, A/HRC/50/21 (9 mai 2022), par. 51 ; voir aussi notamment Note A/76/433 du Secrétaire général, Situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, A/76/433 (22 octobre 2021) ; Rapport A/HRC/12/48 de la Mission d’établissement des faits de l’Organisation des Nations Unies sur le conflit de Gaza, La situation des droits de l’homme en Palestine et dans les autres territoires arabes occupés, A/HRC/12/48 (25 septembre 2009) ; Rapport A/HRC/40/73 du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, l’accent étant mis sur l’accès à l’eau et la dégradation de l’environnement, A/HRC/40/73 (30 mai 2019), par. 18-22 ; Rapports A/HRC/49/85 du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et rapports du Haut-Commissariat et du Secrétaire général, Colonies de peuplement israéliennes dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et le Golan syrien occupé, A/HRC/49/85 (28 avril 2022), par. 5-49.

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Exposé écrit de la Suisse

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