Exposé écrit du Royaume-Uni

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186-20230725-WRI-15-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18873
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DU ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D’IRLANDE DU NORD
20 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
CHAPITRE I – INTRODUCTION ............................................................................................................ 1
CHAPITRE II – CONTEXTE .................................................................................................................. 3
A. Le différend bilatéral ................................................................................................................ 3
B. Les résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité ............................................ 3
C. Les accords d’Oslo ................................................................................................................... 4
D. La feuille de route .................................................................................................................... 7
E. L’approbation continue de la solution des deux États par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale .......................................................................................................... 8
F. Les communiqués de 2023 ....................................................................................................... 9
G. La période qui a précédé la demande d’avis consultatif .......................................................... 9
H. La résolution 77/247 de l’Assemblée générale énonçant la demande d’avis ........................ 13
I. L’approbation par l’Assemblée générale du cadre de négociation convenu ......................... 14
CHAPITRE III – LE POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DE LA COUR EN L’ESPÈCE ..................................... 16
A. Le pouvoir conféré à la Cour par le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut ........................... 16
B. Les raisons décisives pour lesquelles la Cour devrait refuser de donner suite à la demande d’avis .............................................................................................................. 17
1. Le motif de non-contournement ....................................................................................... 18
2. Le motif de l’enquête factuelle insuffisante...................................................................... 24
3. Le motif de conflit avec le processus avalisé par le Conseil de sécurité .......................... 27
4. Le motif de l’objet et du but ............................................................................................. 29
CHAPITRE IV – CONCLUSION ........................................................................................................... 31
CHAPITRE I INTRODUCTION
1. Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (ci-après le « Royaume-Uni ») soumet le présent exposé écrit conformément à l’ordonnance de la Cour en date du 3 février 20231, dans le but de fournir des renseignements sur les questions posées dans la résolution 77/247 de l’Assemblée générale2, adoptée le 30 décembre 2022, et d’assister la Cour.
2. La demande énoncée par l’Assemblée générale dans sa résolution 77/247 (la « demande d’avis ») est ainsi formulée :
« a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »
3. Un différend de longue date existe entre les Israéliens et les Palestiniens concernant la souveraineté en matière de territoire, de sécurité et de questions connexes. La Cour s’est déjà prononcée sur un aspect très précis du différend en question, il y a près de 20 ans, dans la procédure consultative en l’affaire du mur3. Les auteurs de la demande d’avis prient à présent la Cour de se prononcer sur des points qui sont au coeur même du différend bilatéral. Comme on le verra ci-après, telle est à la fois l’intention déclarée de la délégation palestinienne et l’inévitable conséquence de la rédaction de la demande d’avis. En effet, sa formulation invite expressément la Cour à examiner « [l’]occupation, [l]a colonisation et [l’]annexion … du territoire palestinien occupé depuis 1967 ».
4. La position du Royaume-Uni concernant le conflit israélo-palestinien est bien établie. Le Royaume-Uni reste convaincu qu’une solution à deux États négociée, sur la base des lignes de 1967, avec Jérusalem comme capitale partagée, est le seul moyen de mettre fin de manière permanente à l’occupation israélienne, d’assurer l’autodétermination palestinienne et de préserver l’identité juive et démocratique d’Israël. La vision qu’a le Royaume-Uni de la solution des deux États est conforme à la fois aux principes reconnus dans les résolutions du Conseil de sécurité s’y rapportant et aux accords existants entre les parties. Par ces accords, celles-ci conviennent qu’un règlement global et
1 Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est (requête pour avis consultatif), ordonnance du 3 février 2023, par. 1-2.
2 Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022, doc. A/RES/77/247 (dossier de l’ONU, document no 3).
3 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136.
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négocié est nécessaire pour mettre fin à l’occupation israélienne. Ces accords ne confèrent aucune compétence à la Cour sur les problèmes fondamentaux que soulève un règlement négocié permanent.
5. Le Royaume-Uni invite la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser de donner suite à la demande d’avis en appliquant sa propre jurisprudence concernant les principes d’opportunité judiciaire et les droits fondamentaux des parties à un différend bilatéral qui entrent en jeu en matière consultative4. Le Royaume-Uni fait valoir quatre moyens principaux à cet effet.
5.1. Il n’est pas possible, ni probablement voulu par les auteurs de la demande d’avis consultatif, que la Cour donne suite à celle-ci sans se prononcer sur l’objet même du différend bilatéral entre les parties. Accéder à la demande d’avis dans les circonstances présentes « aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant »5 (voir chapitre III, partie B, section 1, ci-après).
5.2. Donner suite à la demande d’avis imposerait à la Cour de formuler des conclusions sur un large éventail de points de fait litigieux et complexes portant sur tout l’historique du différend bilatéral entre les parties. Il ne s’agit pas d’une démarche dans laquelle la Cour peut dûment s’engager dans l’exercice de sa fonction judiciaire en matière consultative (voir chapitre III, partie B, section 2, ci-après).
5.3. Donner un avis consultatif dans les circonstances de l’espèce irait à l’encontre du cadre de négociation spécialement convenu par les parties et approuvé par le Conseil de sécurité comme par l’Assemblée générale, et serait contraire aux accords israélo-palestiniens s’y rapportant (voir chapitre III, partie B, section 3, ci-après).
5.4. Dans la demande d’avis, la Cour est priée de présupposer l’existence d’un comportement illicite de la part d’Israël, l’objectif étant d’obtenir des conclusions tendant à ménager la fin de l’occupation israélienne et, partant, du différend bilatéral entre les parties. Or la procédure consultative ne saurait être utilisée à cette fin (voir chapitre III, partie B, section 4, ci-après).
6. Si toutefois la Cour estime qu’elle peut se prononcer sur certains points précis d’une manière compatible avec sa fonction judiciaire et compte tenu des observations du Royaume-Uni présentées ci-après, elle est instamment priée d’exercer la plus grande vigilance pour s’assurer que ces points sont soigneusement circonscrits et qu’ils n’empiètent pas sur le coeur du différend bilatéral de longue date entre les parties ni ne mettent de quelque façon en péril le cadre convenu pour le règlement du différend en question, ainsi qu’il est expliqué ci-après.
7. Dans ce contexte, le présent exposé écrit s’articule comme suit :
7.1. Au chapitre II, le Royaume-Uni examinera brièvement le contexte dans lequel s’inscrit la demande d’avis.
4 Étant donné qu’il invite la Cour à exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser de donner suite à la demande, le Royaume-Uni n’aborde aucune autre question. Il se réserve le droit de traiter d’autres questions à un stade ultérieur de la procédure.
5 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33.
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7.2. Le chapitre III présentera les raisons pour lesquelles le Royaume-Uni estime que la Cour devrait refuser de donner suite à la demande d’avis, en fonction des quatre moyens évoqués ci-dessus.
7.3. Au chapitre IV, le Royaume-Uni présentera ses conclusions.
CHAPITRE II CONTEXTE
A. Le différend bilatéral
8. Le différend israélo-palestinien est ancien et complexe, et ses origines historiques sont profondes. Malgré son ampleur, il s’est focalisé sur les enjeux jumeaux que sont la sécurité et le statut du territoire occupé par Israël depuis 1967, à savoir la Cisjordanie (y compris Jérusalem-Est) et la bande de Gaza (ci-après les « territoires palestiniens occupés »). Dans les accords d’Oslo, examinés plus en détail ci-dessous, Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont dressé la liste de ce qui est appelé les « questions relatives au statut définitif », lesquelles comprennent : i) le statut de Jérusalem ; ii) les colonies de peuplement ; iii) les réfugiés ; iv) les arrangements en matière de sécurité ; v) les frontières ; vi) les relations et la coopération avec d’autres voisins ; et vii) d’autres questions d’intérêt commun.
9. Israël et l’OLP ont convenu d’un cadre pour le règlement négocié du conflit israélo-palestinien, présenté ci-après. L’objectif de ce cadre est la mise à effet des principes établis dans deux résolutions du Conseil de sécurité, la résolution 242 (1967) et la résolution 338 (1973), en vue de mettre fin à l’occupation par Israël. Aucun des accords existants ne donne compétence à la Cour pour se prononcer sur les questions relatives au statut définitif.
B. Les résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité
10. Le Conseil de sécurité a fixé les principes d’un règlement pacifique négocié du conflit israélo-palestinien dans ses résolutions 242 (1967) et 338 (1973). Ces principes sont souvent désignés par la formule « la terre contre la paix », étant donné qu’ils appellent à un retrait israélien en échange de la paix et de la sécurité dans la région.
11. La première de ces résolutions, la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité, a suivi ce que l’on a appelé la « guerre des Six Jours », qui a eu lieu du 5 au 10 juin 1967. C’est le Royaume-Uni qui a soumis au Conseil de sécurité un projet de résolution, ensuite adopté le 22 novembre 19676. Aux termes de ladite résolution, le Conseil, en vue de guider les négociations7 :
« 1. Affirme que l’accomplissement des principes de la Charte exige l’instauration d’une paix juste et durable au Moyen-Orient qui devrait comprendre l’application des deux principes suivants :
6 Conseil de sécurité, documents officiels, 1379e séance, 16 novembre 1967, doc. S/PV.1379, par. 13-14 (annexe 1). Il ne s’agissait pas d’un « texte britannique » en tant que tel, mais le fruit d’une étroite collaboration avec les deux parties au différend bilatéral et avec les membres du Conseil de sécurité : voir documents officiels, 1382e séance, 22 novembre 1967, doc. S/PV.1382, par. 58 (annexe 2).
7Conseil de sécurité, résolution 242 (1967) du 22 novembre 1967, doc. S/RES/242(1967) (dossier de l’ONU, document no 1245).
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i) Retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ;
ii) Cessation de toutes assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et de leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues à l’abri de menaces ou d’actes de force ».
12. Dans la deuxième résolution, la résolution 338 (1973), le Conseil de sécurité8 :
« 1. Demande à toutes les parties aux présents combats de cesser le feu et de mettre fin à toute activité militaire immédiatement, douze heures au plus tard après le moment de l’adoption de la présente décision, dans les positions qu’elles occupent maintenant ;
2. Demande aux parties en cause de commencer immédiatement après le cessez-le-feu l’application de la résolution 242 (1967) …, en date du 22 novembre 1967, dans toutes ses parties ;
3. Décide que, immédiatement et en même temps que le cessez-le-feu, des négociations commenceront entre les parties en cause sous des auspices appropriés en vue d’instaurer une paix juste et durable au Moyen-Orient. »
13. Ces résolutions traduisent « les conditions essentielles » qui ont continué à servir de fondement aux tentatives ultérieures de résolution du différend israélo-palestinien, à savoir qu’« Israël a le droit d’exister, d’être reconnu et de vivre en sécurité, et que le peuple palestinien a droit à un territoire et à un État propre et le droit de disposer de lui-même »9. Telle est l’essence même de la solution des deux États, que le Royaume-Uni soutient de longue date par principe. C’est aussi sur cette base que le Royaume-Uni a rédigé l’ébauche de la résolution 242 (1967), qui se voulait « un effort sincère, équitable et honnête pour répondre aux justes revendications des deux parties, mais aussi pour remplir la haute mission du Conseil [de sécurité] »10.
C. Les accords d’Oslo
14. À la fin de 1991, les États-Unis et l’Union soviétique ont organisé la conférence de paix de Madrid, en vue de faciliter l’engagement de négociations directes entre les Israéliens et les Palestiniens sur la base des résolutions 242 et 33811. La conférence proposait un processus de
8 Conseil de sécurité, résolution 338 (1973) du 22 octobre 1973, doc. S/RES/338 (1973) (annexe 3).
9 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle de la juge Higgins, p. 211, par. 18.
10 Conseil de sécurité, documents officiels, 1379e séance, 16 novembre 1967, doc. S/PV.1379, par. 13 (annexe 1).
11 Lettres d’invitation à la conférence de paix de Madrid adressées conjointement par les États-Unis et l’Union soviétique à Israël, à la Syrie, au Liban, à la Jordanie, entre autres (les Palestiniens étant invités à participer dans le cadre de la délégation de Jordanie) (annexe 4) :
« Les États-Unis et l’Union soviétique sont disposés à aider les parties à élaborer un règlement de paix juste, durable et global, au moyen de négociations directes en deux volets, entre Israël et les États arabes, d’une part, et entre Israël et les Palestiniens, d’autre part, sur la base des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité des Nations Unies. L’objectif de cette démarche est la paix véritable … Ces négociations sur le statut permanent, ainsi que les négociations entre Israël et les États arabes, seront engagées sur le fondement des résolutions 242 et 338. »
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négociation par étapes, commençant par des arrangements intérimaires d’autonomie et se terminant par des négociations sur le statut permanent à la lumière des principes énoncés dans les résolutions en question.
15. Le 13 septembre 1993, Israël et l’OLP ont conclu à Washington, avec pour témoins les États-Unis et l’Union soviétique, une « déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie » (appelée « accord d’Oslo I »)12. Ainsi que l’envisageaient les principes de Madrid, l’accord d’Oslo I établissait un cadre intérimaire, principalement par la création de l’« autorité palestinienne intérimaire autonome » (qui sera établie par la suite sous le nom d’Autorité palestinienne). Ce cadre devait fonctionner pour une période transitoire dans l’attente d’un règlement permanent entre les parties. La Cour est invitée à examiner, en particulier, les éléments suivants de l’accord d’Oslo I :
15.1. Les parties ont consigné leur intention de parvenir à « un règlement de paix juste, durable et global ainsi qu’à une réconciliation historique par le biais du processus politique convenu »13.
15.2. Elles ont convenu que le règlement permanent serait « fondé sur les résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité », et que leurs négociations à ce sujet « aboutir[aie]nt à l’application des résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité »14.
15.3. Les parties ont en outre convenu spécifiquement que les points suivants feraient l’objet d’un règlement négocié entre elles : « Jérusalem, les réfugiés, les implantations, les arrangements en matière de sécurité, les frontières, les relations et la coopération avec d’autres voisins, et d’autres questions d’intérêt commun »15.
15.4. Elles ont également convenu d’un processus spécifique pour le règlement des différends découlant de l’interprétation de l’accord d’Oslo I ou de tous accords intérimaires ultérieurs, par voie de négociation, de conciliation et/ou d’arbitrage16.
16. À la suite de la conclusion de l’accord-cadre d’Oslo I, Israël et l’OLP ont conclu plusieurs accords établissant des arrangements intérimaires spécifiques17. Ce processus a abouti à l’« Accord intérimaire israélo-palestinien sur la Rive occidentale et la bande de Gaza » (appelé « accord
12 Déclaration de principes sur des arrangements intérimaires d’autonomie, signée à Washington le 13 septembre 1993 (annexe 5) (ci-après l’« accord d’Oslo I »).
13 Accord d’Oslo I, préambule.
14 Ibid., art. premier.
15 Ibid., art. V, par. 3.
16 Ibid., art. XV (« Règlement des différends »). Voir également l’accord intérimaire israélo-palestinien sur la Rive occidentale et la bande de Gaza, signé à Washington le 28 septembre 1995 (annexe 11) (ci-après l’« accord d’Oslo II »), art. XXI (Règlement des divergences et des différends).
17 Voir, par exemple, accord relatif à la bande de Gaza et à la région de Jéricho, signé au Caire le 4 mai 1994, 33 ILM 626 (1994) (annexe 6) ; accord sur le transfert préparatoire des pouvoirs et responsabilités, signé à Erez le 29 août 1994, 34 ILM 457 (1995) (annexe 7) ; protocole relatif à la continuation du transfert des pouvoirs et responsabilités, signé au Caire le 27 août 1995 (annexe 8) ; protocole relatif au redéploiement concernant Hébron, signé à Jérusalem le 17 janvier 1997, 36 ILM 653 (1997) (annexe 9). Pour ce qui est de la coopération entre les Israéliens et l’OLP de manière plus générale, voir notamment annexe IV, protocole sur les relations économiques entre Israël et l’OLP, signé à Paris le 29 avril 1994, 33 ILM 696 (1994) (annexe 10).
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d’Oslo II »), signé à Washington le 28 septembre 1995, avec pour témoins les États-Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, l’Égypte, la Norvège, l’Union européenne et la Jordanie18.
17. L’accord d’Oslo II prévoyait un retrait échelonné des autorités militaires israéliennes des territoires palestiniens occupés avec un transfert simultané des responsabilités de sécurité vers les autorités palestiniennes19. Il réaffirmait également l’engagement des parties à entamer des négociations sur le « statut permanent », sur la base des résolutions 242 (1967) et 338 (1973)20et avec le même champ d’application que celles-ci, se rapportant « à Jérusalem, aux réfugiés, aux implantations, aux dispositions de sécurité, aux limites territoriales, aux relations et à la coopération avec les pays voisins, ainsi que d’autres questions d’intérêt commun »21. Cet engagement en faveur d’un règlement négocié des questions précitées était renforcé par l’accord exprès des parties :
« Aucune des deux Parties n’entreprend ni ne prend de mesure à même de modifier le statut de la Cisjordanie et de la bande de Gaza avant que les négociations sur le statut permanent n’aboutissent. »22
« Les deux Parties considèrent que la Cisjordanie et la bande de Gaza constituent une seule et même unité territoriale, dont l’intégrité sera préservée pendant la période intérimaire. »23
18. Israël et l’OLP ont réaffirmé pareil engagement dans des mémorandums ultérieurs entre eux24.
19. Le Royaume-Uni reconnaît l’importance de l’obligation de s’abstenir de prendre quelque mesure tendant à modifier le statut des territoires palestiniens occupés. Cette obligation s’applique avec autant de force à Israël qu’à l’OLP. Elle empêche les parties non seulement de prendre des mesures unilatérales en vue de résoudre les questions relatives au statut définitif devant une autre instance sans accord, mais aussi de prendre des mesures tendant à compromettre l’intégrité territoriale de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. L’opposition du Royaume-Uni aux colonies de peuplement, aux expulsions et aux démolitions de la part d’Israël dans les territoires palestiniens occupés est bien connue25. Le Royaume-Uni continue d’appeler les Israéliens comme les Palestiniens
18 Annexe 11.
19 Voir, en particulier, accord d’Oslo II, art. premier, par. 1 ; art. XI, par. 2 ; et art. XII et XIII.
20 Accord d’Oslo II, préambule.
21 Ibid., art. XXXI, par. 5.
22 Ibid., art. XXXI, par. 7.
23 Ibid., art. XXXI, par. 8. Voir également ibid., art. XI, par. 1, et accord d’Oslo I, art. IV.
24 Mémorandum de Wye River, signé à Washington le 23 octobre 1998, 37 ILM 1251 (1998) (annexe 12), par. V : « Conscientes de la nécessité de créer une atmosphère propice pour ces négociations, les deux parties s’engagent à ne pas prendre de mesures qui changeraient la situation en Cisjordanie ou à Gaza, comme le prévoit l’Accord Intérimaire. » ; mémorandum de Charm el-Cheikh sur le calendrier d’exécution des engagements non honorés pris au titre des accords signés et la reprise des négociations relatives au statut permanent, signé à Charm el-Cheikh le 4 septembre 1999, 38 ILM 1465 (1999) (annexe 13), par. 10 : « Conscientes de la nécessité de créer une atmosphère propice pour ces négociations, les deux parties s’engagent à ne pas prendre de mesures qui changeraient la situation en Cisjordanie ou à Gaza, comme le prévoit l’Accord Intérimaire. »
25 Voir, par exemple, la déclaration de M. James Cleverly, député et secrétaire d’État aux affaires étrangères (agissant alors en qualité de ministre responsable du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord) devant le Parlement britannique le 14 juin 2021 (voir Hansard, débats de la Chambre des Communes, 14 juin 2021, vol. 697, no 16, col. 21 WH, annexe 14) : « la position du Royaume-Uni sur les expulsions, les démolitions et les colonies de peuplement ne date pas d’hier ; elle est publique et a été communiquée directement au Gouvernement d’Israël. Et cette position est que nous nous opposons à ces mesures. »
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à dialoguer de bonne foi et à régler le différend dans le cadre du régime établi et avalisé par le Conseil de sécurité.
D. La feuille de route
20. En 2002, le quatuor sur le Moyen-Orient (composé des États-Unis d’Amérique, de l’Union européenne, de l’Organisation des Nations Unies et de la Fédération de Russie) a été formé en vue d’aider les parties à réunir les conditions nécessaires à la reprise des négociations.
21. Le Royaume-Uni, aux côtés d’autres membres du Conseil de sécurité, a expressément approuvé la « solution des deux États » et les efforts diplomatiques du quatuor, entre autres dans la résolution 1397 (2002), qui énonce notamment ce qui suit26 :
« Attaché à la vision d’une région dans laquelle deux États, Israël et la Palestine, vivent côte à côte, à l’intérieur de frontières reconnues et sûres,
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Se félicitant aussi des efforts diplomatiques déployés par les envoyés spéciaux des États-Unis d’Amérique, de la Fédération de Russie, de l’Union européenne et par le Coordonnateur spécial des Nations Unies et d’autres pour parvenir à une paix complète, juste et durable au Moyen-Orient, et les encourageant ».
22. Dans le cadre des efforts diplomatiques précités, le quatuor a rédigé une « feuille de route pour la paix » (ci-après la « feuille de route »). Ce document prévoit la mise en place d’un cadre diplomatique échelonné visant à parvenir à un règlement complet et définitif du différend israélo-palestinien conformément au régime convenu, exposé plus haut. La feuille de route précise son objectif en ces termes27 :
« [Le règlement] mettra fin au conflit israélo-palestinien et à l’occupation qui a commencé en 1967, en s’appuyant sur les résultats de la Conférence de Madrid, le principe “la terre contre la paix”, les résolutions 242 (1967), 338 (1973) et 1397 (2002) du Conseil de sécurité des Nations Unies, les accords précédemment conclus par les parties et l’initiative du Prince héritier Abdullah d’Arabie saoudite — approuvée par le Sommet des États membres de la Ligue arabe réuni à Beyrouth — laquelle demande qu’Israël soit accepté en tant que pays voisin vivant dans la paix et la sécurité, dans le cadre d’un règlement global. »
23. Ainsi que le premier ministre de l’Autorité palestinienne l’a fait observer à l’époque, le processus convenu « s’inscrit dans l’ensemble des négociations directes visant à mettre fin au conflit israélo-palestinien, à régler toutes les questions relatives au statut définitif et à mettre un terme à l’occupation qui a commencé en 1967 et qui a infligé tant de souffrances aux Palestiniens »28.
26 Conseil de sécurité, résolution 1397 du 12 mars 2002, doc. S/RES/1397 (2002) (dossier de l’ONU, document no 1316).
27 Lettre en date du 7 mai 2003 adressée au président du Conseil de sécurité par le Secrétaire général, doc. S/2003/529 (dossier de l’ONU, document no 1333), annexe, p. 1 ; voir également, p. 8.
28 Discours sur la feuille de route, premier ministre Mahmoud Abbas, 4 juin 2003, publié dans The Guardian (annexe 15).
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24. Ainsi, la feuille de route :
24.1. Établit un processus de négociation entre les Israéliens et les Palestiniens qui sera mené sur la base à la fois des accords existants entre Israël et l’OLP et des résolutions 242 (1967) et 338 (173) du Conseil de sécurité.
24.2. Reconnaît qu’un règlement de paix global entre les parties est requis pour mettre fin à l’occupation.
25. Point important, le Conseil de sécurité, dans sa résolution 1515 (2003), après avoir rappelé ses résolutions antérieures29 :
« 1. Approuve la Feuille de route axée sur les résultats en vue d’un règlement permanent du conflit israélo-palestinien prévoyant deux États, établie par le Quatuor (S/2003/529) ;
2. Demande aux parties de s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de la Feuille de route, en coopération avec le Quatuor, et de concrétiser la vision de deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ».
E. L’approbation continue de la solution des deux États par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale
26. Depuis 2003, le Conseil de sécurité a réaffirmé à de nombreuses reprises sa vision de la solution des deux États30. Il a demandé aux parties de s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de la feuille de route, tout en invitant tous les États et toutes les organisations internationales à « contribuer à une atmosphère propice aux négociations »31. L’Assemblée générale a fait de même32.
27. Le Conseil de sécurité continue de demander instamment que les négociations entre les parties aboutissent à un règlement du conflit israélo-palestinien et à la fin de l’occupation, sur la base de ses résolutions s’y rapportant, de la feuille de route et de la solution des deux États, comme en témoigne la résolution 2334 (2016), où il33 :
« Invite toutes les parties à continuer, dans l’intérêt de la promotion de la paix et de la sécurité, de déployer collectivement des efforts pour engager des négociations crédibles sur toutes les questions relatives au statut final …
Préconise vivement à cet égard l’intensification et l’accélération des efforts diplomatiques entrepris et de l’appui apporté aux niveaux international et régional en
29 Conseil de sécurité, résolution 1515 (2003) du 19 novembre 2003, doc. S/RES/1515 (2003) (dossier de l’ONU, document no 1337).
30 Par exemple, Conseil de sécurité, résolution 1850 (2008) du 16 décembre 2008, doc. S/RES/1850 (2008) (dossier de l’ONU, document no 1354), considérants ; ibid., résolution 2334 (2016) du 23 décembre 2016, S/RES/2334 (2016) (dossier de l’ONU, document no 1372), considérants.
31 Conseil de sécurité, résolution 1850 (2008) du 16 décembre 2008, doc. S/RES/1850 (2008) (dossier de l’ONU, document no 1354), par. 3-4.
32 Par exemple, Assemblée générale, résolution ES-10/13 du 21 octobre 2003, dixième session extraordinaire d’urgence, doc. A/RES/ES-10/13 (dossier de l’ONU, document no 1225), considérants et par. 2.
33 Conseil de sécurité, résolution 2334 (2016) du 23 novembre 2016, doc. S/RES/2334 (2016) (dossier de l’ONU, document no 1372), par. 8-10.
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vue de parvenir sans tarder à une paix globale, juste et durable au Moyen-Orient, sur la base des résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations Unies, du mandat de la conférence de Madrid, y compris le principe de l’échange de territoires contre la paix, de l’Initiative de paix arabe et de la Feuille de route du Quatuor, et de mettre fin à l’occupation israélienne …
Rappelle qu’il est déterminé à apporter son appui aux parties tout au long des négociations et dans la mise en oeuvre d’un accord ».
28. Lorsqu’il a voté pour la résolution 2334, le représentant du Royaume-Uni a fait observer que son adoption « renfor[çait] d’abord et avant tout la communauté internationale dans sa conviction qu’une solution des deux États reste la seule voie viable pour une paix arabo-israélienne pérenne »34. Et ainsi qu’il l’a reconnu un peu plus loin, la résolution constituait aussi une reconnaissance claire du fait que la construction de colonies de peuplement était « en train de corroder la possibilité d’une solution à deux États »35.
29. Aux termes de la résolution 2334, le Conseil de sécurité demeure saisi de la question36.
F. Les communiqués de 2023
30. Dans ce contexte, les parties continuent de reconnaître la nécessité d’un règlement négocié et ont réaffirmé leur engagement en faveur des accords antérieurs conclus entre elles. En témoignent les communiqués publiés à l’issue des réunions récentes entre responsables israéliens et palestiniens au début 2023. En particulier, le communiqué d’Aqaba signale « l’engagement [des deux camps] à respecter tous les accords antérieurs conclus entre eux et à oeuvrer à une paix juste et durable », et leur souhait de « régler les questions en souffrance par le dialogue direct »37. Ces engagements ont été réaffirmés lors de la réunion suivante, tenue à Charm el-Cheikh le 19 mars 202338.
G. La période qui a précédé la demande d’avis consultatif
31. Le 27 mai 2021, le Conseil des droits de l’homme a créé une commission permanente chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël (ci-après la « commission d’enquête »)39. Aux côtés de huit autres États40, le Royaume-Uni a voté contre
34 Conseil de sécurité, documents officiels, 7853e séance, 23 décembre 2016, doc. S/PV.7853 (annexe 16), p. 10.
35 Ibid.
36 Conseil de sécurité, résolution 2334 (2016) du 23 décembre 2016, doc. S/RES/2334 (2016) (dossier de l’ONU, document no 1372), par. 13.
37 Communiqué conjoint d’Aqaba, 26 février 2023 (annexe 17), par. 1 et 5.
38 Communiqué conjoint faisant suite à la réunion tenue à Charm el-Cheikh le 19 mars 2023 (annexe 18), par. 1, 3 et 5.
39 Assemblée générale, Conseil des droits de l’homme, résolution du 27 mai 2021, doc. A/HRC/RES/S-30/1, intitulée « Veiller au respect du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël » (dossier de l’ONU, document no 1472), par. 1.
40 Allemagne, Autriche, Bulgarie, Cameroun, Îles Marshall, Malawi, Tchéquie et Uruguay.
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la création de la commission d’enquête. Quatorze autres États se sont abstenus
41. La position du Royaume-Uni était (et demeure) la suivante42 :
« nous nous opposons au caractère permanent de la commission d’enquête sur la situation en Israël, en Cisjordanie et à Gaza, ainsi qu’à son mandat aux contours vagues.
On ne fera pas progresser les droits de l’homme en Israël et dans les territoires palestiniens occupés en se focalisant de manière disproportionnée sur Israël. Le Royaume-Uni est résolu à améliorer la situation des droits de l’homme en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Il soutient aussi vivement le Conseil des droits de l’homme et croit profondément en son mandat, qui consiste à protéger les droits de l’homme et à faire en sorte que les auteurs de violations, où que celles-ci aient lieu, répondent de leurs actes. Or la création de la commission d’enquête en question ne va pas dans le sens de ces objectifs. »
32. Le 14 septembre 2022, la commission d’enquête a remis à l’Assemblée générale un rapport dans lequel elle énonçait ses conclusions, entre autres, sur la légalité de l’occupation israélienne43. Considérant que celle-ci « ne p[ouvait] rester sans réponse », elle a émis l’opinion suivante44 :
« Il convient de demander à la Cour internationale de Justice de donner son avis sur les conséquences juridiques du refus persistant d’Israël de mettre fin à son occupation et des mesures que ce pays a prises pour asseoir son contrôle et favoriser son expansion dans la zone occupée au moyen d’une annexion de facto, ainsi que sur l’obligation incombant aux États tiers et à l’Organisation des Nations Unies de veiller à ce qu’Israël respecte le droit international. »
33. En conclusion de son rapport, la commission d’enquête a formulé la recommandation suivante à l’intention de l’Assemblée générale45 :
« [a]dresser d’urgence à la Cour internationale de Justice une demande d’avis consultatif sur les conséquences juridiques du refus persistant par Israël de mettre fin à son occupation du Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, qui constitue une annexion de facto, sur les politiques appliquées pour maintenir cette occupation et sur le refus par Israël de respecter le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, ainsi que sur l’obligation incombant aux États tiers et à l’Organisation des Nations Unies de veiller au respect du droit international ».
41 Bahamas, Brésil, Danemark, Fidji, France, Inde, Italie, Japon, Népal, Pays-Bas, Pologne, République de Corée, Togo et Ukraine.
42 Foreign, Commonwealth & Development Office, déclaration sur le rapport de la commission d’enquête indépendante créée en vertu de la résolution S-21/1 du Conseil des droits de l’homme, 8 juin 2022 (annexe 19).
43 Assemblée générale, rapport de la Commission internationale indépendante chargée d’enquêter dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et en Israël, 14 septembre 2022, doc. A/77/328 (dossier de l’ONU, document no 1408) (ci-après le « rapport de la commission d’enquête »), par. 75-84.
44 Rapport de la commission d’enquête, par. 84.
45 Ibid., par. 92, al. a).
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34. Parallèlement, la Palestine46 a fait part de son intention de porter le différend bilatéral entre les parties devant la Cour internationale de Justice.
35. Le 24 septembre 2021, le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a appelé Israël à se retirer des territoires palestiniens occupés dans un délai d’un an. En cas de non-retrait, la Palestine a fait part de son intention de :
« saisi[r] la Cour internationale de Justice en tant qu’organe judiciaire international suprême, de la question de la licéité de l’occupation des terres de l’État palestinien et des obligations pertinentes de l’ONU et des États du monde entier à cet égard, et tous devront respecter les conclusions de la Cour »47.
36. À la suite de cette annonce, le 10 novembre 2022, la Palestine48 a été à l’origine d’une résolution au titre du point 47 de l’ordre du jour de la Quatrième Commission (Commission des questions politiques spéciales et de la décolonisation) à la soixante-dix-septième session de l’Assemblée générale49.
37. À l’issue d’un bref débat, le lendemain même, 11 novembre 2022, le projet de résolution a été adopté par la Quatrième Commission de l’Assemblée générale sans amendement, au terme d’un vote enregistré : 98 voix pour, 52 abstentions (dont le Royaume-Uni) et 17 voix contre50. Vingt-six États Membres de l’ONU étaient absents.
38. Plusieurs États Membres de l’ONU ont fait inscrire au procès-verbal leurs préoccupations et leurs objections quant à l’opportunité de présenter la demande d’avis. Le bureau de presse de l’ONU a résumé leurs déclarations51 :
 L’Australie
« [la délégation australienne] ne soutient pas le renvoi à la Cour internationale de Justice. Une telle démarche ne contribuera pas à faire venir les parties à la table des négociations, a déclaré [la déléguée australienne], ajoutant que la procédure consultative ne saurait être utilisée pour régler des différends bilatéraux ».
46 Le Royaume-Uni précise à toutes fins utiles qu’il ne reconnaît pas la Palestine en tant qu’État. Il le fera au moment où cela servira au mieux l’objectif de paix. Il fait référence à la « Palestine » dans le présent exposé uniquement pour désigner l’entité qui s’est vu accorder le statut d’« observateur permanent » auprès de l’Organisation des Nations Unies, sans y être admise.
47 Assemblée générale, documents officiels, soixante-seizième session, 12e séance plénière, 24 septembre 2021, doc. A/76/PV.12, p. 49 (annexe III, allocution de M. Mahmoud Abbas, président de l’État de Palestine) (annexe 20).
48 La Palestine figurait dans le groupe originel de coauteurs de la résolution et a conclu le débat sur le point 47 de l’ordre du jour devant l’Assemblée générale.
49 Assemblée générale, projet de résolution révisé, 10 novembre 2022, doc. A/C.4/77/L.12/Rev.1 (dossier de l’ONU, document no 1).
50 Contre : Allemagne, Australie, Autriche, Canada, Estonie, États-Unis d’Amérique, Guatemala, Hongrie, Îles Marshall, Israël, Italie, Libéria, Lituanie, Micronésie (États fédérés de), Nauru, Palaos et Tchéquie.
51 Nations Unies, communiqué de presse, « Fourth Committee, Concluding Its Work, Approves Six Draft Resolutions, Including Request for ICJ Opinion on Israeli Occupation », 11 novembre 2022, doc. GA/SPD/771 (annexe 21). Les documents officiels afférents à la réunion ne sont pas encore disponibles.
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 La France (s’exprimant au nom d’un groupe de pays)
« il conviendrait que toute demande d’avis consultatif de la Cour internationale de Justice fasse, en temps utile, l’objet de discussions et de consultations approfondies avec les États Membres de l’Organisation des Nations Unies ».
 Israël
« demander à la Cour d’intervenir réduirait à néant toute chance de réconciliation entre Israël et les Palestiniens. Exhortant les délégations à voter contre ce texte, [le délégué d’Israël] a déclaré que de telles résolutions diabolisent Israël et exonèrent les Palestiniens de toute responsabilité dans leur situation actuelle. »
 Le Japon
« a reconnu le souhait des Palestiniens d’étudier toute voie possible, compte tenu de la situation catastrophique sur le terrain. Il est néanmoins nécessaire de s’interroger sur la démarche la plus adaptée pour aboutir à la paix au Moyen-Orient ».
 Singapour
« a fait part de ses réserves quant au paragraphe 18 du dispositif, déclarant qu’il était malvenu de faire intervenir la Cour ainsi ».
 Le Royaume-Uni
« ne pense pas qu’un renvoi à la Cour internationale de Justice ramènera les parties à la table des négociations ».
 Les États-Unis
« il n’y a pas de raccourci vers la solution des deux États et rien dans l’ensemble des projets de résolution dont est saisie la Commission qui permettra d’y parvenir ».
 L’Uruguay
« si les avis consultatifs rendus par la Cour internationale de Justice sont utiles à la communauté internationale, dans ce cas précis, un avis serait contre-productif et constituerait une source inutile de tension ».
39. Le représentant palestinien auprès de l’Organisation des Nations Unies a depuis énoncé sans détour l’objectif palestinien sous-tendant la demande d’avis consultatif :
« nous sommes fiers de cette réussite historique de nous tous, à savoir la présentation de la question de Palestine dans son ensemble à la plus haute juridiction internationale, la Cour internationale de Justice, et nous espérons que cette démarche donnera lieu à un
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avis utile, qui sera rendu pour nous rapprocher de l’objectif de réalisation des droits inaliénables du peuple palestinien, qui est le principal objectif de la Commission »
52.
40. En résumé, la position est la suivante.
40.1. L’origine de la demande d’avis consultatif se trouve à la fois dans la recommandation de la commission d’enquête tendant à la présentation d’une telle demande et dans l’annonce faite par la Palestine qu’elle entendait le faire elle-même si Israël ne mettait pas fin à l’occupation.
40.2. La demande d’avis a été insérée dans le projet de résolution soumis à la Quatrième Commission sans que soient précisément formulées les raisons pour lesquelles un avis consultatif était nécessaire.
40.3. Un groupe important d’États a voté contre ou s’est abstenu devant la Quatrième Commission, y compris des États clés intervenant dans le processus de paix.
40.4. Israël, l’une des deux parties au différend bilatéral, a voté contre la résolution. L’autre partie au différend, la Palestine, en était l’un des coauteurs et le principal défenseur, et son délégué auprès de l’ONU en a déclaré l’objectif : « la présentation de la question de Palestine dans son ensemble à » la Cour53.
40.5. L’intention qui sous-tend la demande d’avis semble double : faire en sorte que la Cour se prononce sur les éléments essentiels du différend bilatéral entre les parties et, ce faisant, confirmer les conclusions mêmes de la commission d’enquête quant à la légalité de l’occupation.
40.6. Il n’y a pas eu de demande d’avis consultatif de la part du Conseil de sécurité, alors même que cet organe a établi le cadre historique de règlement du différend entre les parties et qu’il reste mobilisé et saisi de la question palestinienne54.
H. La résolution 77/247 de l’Assemblée générale énonçant la demande d’avis
41. Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale a examiné le rapport de la Quatrième Commission intitulé « Pratiques et activités d’implantation israéliennes affectant les droits du peuple
52 Comité des Nations Unies pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien, 411e séance du Comité, 3 mai 2023, accessible sur UN Web TV à l’adresse suivante : https://media.un.org/en/asset/k1l/k1ltjvklq6 (voir les minutes 1:07:15-1:07:52, déclaration de l’observateur permanent palestinien auprès des Nations Unies) (les italiques sont de nous). Voir en outre Nations Unies, communiqué de presse, « Permanent Observer Briefs Palestinian Rights Committee on Situation in Occupied Territory Situation, Submissions Guidelines for Opinion Case to World Court », 3 mai 2023, GA/PAL/1452 (annexe 22) : « L’objectif est de présenter à la Cour un ensemble colossal d’information, de manière que la question de Palestine dans son ensemble soit analysée et fasse l’objet d’un avis utile » (les italiques sont de nous).
53 Ibid.
54 Conseil de sécurité, résolution 2334 (2016) du 23 décembre 2016, doc. S/RES/2334 (2016) (dossier de l’ONU, document no 1372), par. 13.
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palestinien et des autres Arabes des territoires occupés »
55, et adopté le projet de résolution recommandé par la Commission56.
42. Cette fois, 87 États Membres de l’ONU ont voté pour, 53 se sont abstenus et 26 ont voté contre, dont le Royaume-Uni57. Vingt-sept États Membres n’ont pas voté du tout.
43. Les États Membres de l’ONU ont de nouveau fait part de leurs réserves quant à l’opportunité pour l’Assemblée générale de demander un avis consultatif. Le Royaume-Uni a expliqué sa position dans les termes suivants58 :
« Le Royaume-Uni votera contre le projet de résolution intitulé “Pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est”, car nous n’avons pas le sentiment qu’un renvoi à la Cour internationale de Justice est de nature à favoriser une reprise du dialogue entre les parties.
Le Royaume-Uni juge également qu’il est inapproprié de demander à la Cour de rendre un avis consultatif sur ce qui est fondamentalement un différend bilatéral, sans l’assentiment des deux parties. La proposition de demander un avis consultatif à la Cour internationale de Justice sur les territoires palestiniens occupés vient d’une recommandation figurant dans un rapport de la commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme sur la situation en Israël, en Cisjordanie et à Gaza, créée en mai 2021. Nous déplorons une fois de plus la création de cette commission, qui a accentué la focalisation disproportionnée du Conseil des droits de l’homme sur Israël et dont le mandat n’est pas assorti d’une échéance. »
I. L’approbation par l’Assemblée générale du cadre de négociation convenu
44. L’Assemblée générale continue d’accepter que les accords conclus entre les parties, sur la base des principes énoncés dans les résolutions 242 (1967) et 338 (1973), et développés dans la feuille de route, constituent le cadre indiqué en vue du règlement du différend israélo-palestinien et de la fin de l’occupation par Israël.
45. Dans la résolution énonçant la demande d’avis, l’Assemblée générale a reconnu59 :
« que les accords israélo-palestiniens conclus dans le cadre du processus de paix au Moyen-Orient, y compris les accords de Charm-el-Cheikh, doivent être pleinement
55 Assemblée générale, rapport de la Commission des questions politiques spéciales et de la décolonisation (Quatrième Commission), « Pratiques et activités d’implantation israéliennes affectant les droits du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés », 14 novembre 2022, doc. A/77/400 (dossier de l’ONU, document no 2).
56 Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022, doc. A/RES/77/247 (dossier de l’ONU, document no 3).
57 Contre : Albanie, Allemagne, Australie, Autriche, Canada, Costa Rica, Croatie, Estonie, États-Unis d’Amérique, Guatemala, Hongrie, Îles Marshall, Israël, Italie, Kenya, Libéria, Lituanie, Micronésie (États fédérés de), Nauru, Palaos, Papouasie-Nouvelle-Guinée, République démocratique du Congo, Roumanie, Tchéquie et Togo.
58 Assemblée générale, documents officiels, 56e séance plénière, 30 décembre 2022, doc. A/77/PV.56 (Resumption 1) (annexe 23), p. 4.
59 Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022, doc. A/RES/77/247 (dossier de l’ONU, document no 3), considérants.
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respectés et que la feuille de route du Quatuor en vue d’un règlement permanent du conflit israélo-palestinien prévoyant deux États doit être mise en oeuvre, »
« qu’il faut de toute urgence inverser les tendances négatives sur le terrain et rétablir un horizon politique qui permette de faire avancer et d’accélérer des négociations constructives visant à conclure un accord de paix qui mettra totalement fin à l’occupation israélienne commencée en 1967 et à résoudre, sans exception, toutes les questions fondamentales relatives au statut final afin de parvenir à un règlement pacifique, juste, durable et global de la question de Palestine ».
46. La décision de l’Assemblée générale de demander à la Cour un avis consultatif doit être appréciée au regard de ce contexte.
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CHAPITRE III LE POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DE LA COUR EN L’ESPÈCE
A. Le pouvoir conféré à la Cour par le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut
47. Le pouvoir de la Cour de rendre un avis consultatif lui est conféré par le paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut, qui énonce ce qui suit : « La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies, ou conformément à ses dispositions, à demander cet avis. »
48. Les principes suivants ont été bien établis par la Cour :
48.1. La finalité de la fonction consultative de la Cour « n’est pas de régler — du moins pas directement — des différends entre États, mais de donner des conseils d’ordre juridique aux organes et institutions qui en font la demande »60.
48.2. La Cour doit examiner la question de savoir si les conditions de compétence liées à l’exercice de cette fonction sont remplies et, dans l’affirmative, s’il existe quelque raison de néanmoins refuser, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de rendre un avis consultatif61.
48.3. La réponse de la Cour à une demande d’avis consultatif constitue sa participation aux activités de l’Organisation des Nations Unies en tant qu’organe judiciaire principal de celle-ci, mais il convient que la Cour refuse d’y donner suite s’il existe des « raisons décisives » pour ce faire62.
60 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 236, par. 15, faisant référence à Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.f
61 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 232, par. 10 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 144, par. 13 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 412, par. 17 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 111, par. 54.
62 Jugements du Tribunal administratif de l’OIT sur requêtes contre l’UNESCO, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1956, p. 86 ; Certaines dépenses des Nations Unies (article 17, paragraphe 2, de la Charte), avis consultatif, C.I.J. Recueil 1962, p. 155 ; Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 27, par. 41 ; Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 183, par. 40 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 21, par. 23 ; Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1989, p. 191, par. 37 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 235, par. 14 ; Différend relatif à l’immunité de juridiction d’un rapporteur spécial de la Commission des droits de l’homme, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 78, par. 29 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 156, par. 44 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 30 ; Jugement no 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le Fonds international de développement agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 25, par. 33 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 113, par. 65.
Toutefois, l’exercice de son pouvoir discrétionnaire « ne devrait pas, dans une espèce comme la présente, être indûment entravé par une formule telle que “raisons décisives” » : Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), opinion individuelle du juge Keith, p. 483, par. 5.
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48.4. Le pouvoir discrétionnaire en question vise, en partie, « à protéger l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour en tant qu’organe judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies »63, étant donné que la Cour « ne peut pas se départir des règles essentielles qui dirigent son activité de tribunal, même lorsqu’elle donne des avis consultatifs »64. On avancera en outre que les questions ayant trait à la fonction judiciaire ne sauraient être le seul facteur conduisant la Cour à refuser de donner suite à une demande d’avis consultatif. Cette dernière devrait, selon le juge Keith, être disposée à tenir compte d’autres considérations en jeu65, comme celle de savoir si les « questions qui lui sont posées sont pertinentes, [si] elles ont un effet pratique à l’heure actuelle et [si] par conséquent elles ne sont pas dépourvues d’objet ou de but »66.
49. Contrairement à sa devancière67, la Cour n’a pas encore eu l’occasion d’exercer le pouvoir discrétionnaire dont elle dispose de refuser de donner suite à une demande d’avis consultatif (alors qu’elle en a déjà reformulé68). Pour autant, la Cour a précisément délimité les circonstances dans lesquelles il peut être opportun qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de refuser de donner suite à une demande d’avis. Ces circonstances sont analysées ci-après dans le cadre de l’examen des raisons décisives pour lesquelles il conviendrait que la Cour refuse de donner suite à la demande d’avis consultatif en l’espèce.
B. Les raisons décisives pour lesquelles la Cour devrait refuser de donner suite à la demande d’avis
50. Le Royaume-Uni fait valoir qu’il existe quatre raisons décisives pour lesquelles il conviendrait que la Cour refuse de donner suite à la demande d’avis :
50.1. Donner suite à la demande d’avis dans les circonstances présentes contournerait le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant (le « motif de non-contournement ») : voir section 1 ci-après.
50.2. Étant donné la portée gigantesque de l’enquête factuelle qu’exigerait la demande d’avis, la Cour ne saurait se charger de celle-ci sans outrepasser les limites de sa fonction
63 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 113, par. 64 ; voir également Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 416, par. 29 ; Jugement no 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le Fonds international de développement agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 10, par. 33.
64 Jugement no 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le Fonds international de développement agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 25, par. 34, citant Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5, p. 29.
65 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), opinion individuelle du juge Keith, p. 483, par. 4 ; voir aussi l’article écrit par Sir Christopher Greenwood, s’exprimant en dehors de ses fonctions judiciaires, « Judicial Integrity and the Advisory Jurisdiction of the International Court of Justice » in Gaja et Stoutenburg (dir. publ.), Enhancing the Rule of Law through the International Court of Justice, 2014, p. 65, note 8.
66 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 37, par. 73. Voir également les considérations examinées par la Cour en l’affaire relative à la Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415-423, par. 29-48.
67 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5.
68 La Cour a « souvent été amenée à élargir, interpréter, voire reformuler les questions qui lui étaient posées » : Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 154, par. 38. Voir, par exemple, Demande de réformation du jugement no 273 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1982, p. 348-350, par. 46-48 ; Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 423-424, par. 49-52.
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judiciaire dans le cadre d’un avis consultatif (le « motif de l’enquête factuelle insuffisante ») : voir section 2 ci-après.
50.3. Rendre un avis consultatif dans les circonstances de l’espèce mettrait à mal le cadre de négociation spécialement convenu par les parties et avalisé par le Conseil de sécurité comme par l’Assemblée générale, et irait à l’encontre des accords israélo-palestiniens s’y rapportant (le « motif de conflit avec le processus avalisé par le Conseil de sécurité ») ; voir section 3 ci-après.
50.4. L’objet et le but de la demande d’avis ne se prêtent pas à la procédure consultative. La Cour y est priée de présupposer l’existence d’un comportement illicite de la part d’Israël, l’objectif étant d’obtenir des conclusions nécessaires au règlement du différend bilatéral entre les parties (le « motif de l’objet et du but ») ; voir section 4 ci-après.
51. Le Royaume-Uni présentera tour à tour ses arguments concernant chacun de ces motifs.
1. Le motif de non-contournement
52. La compétence consultative de la Cour se distingue par sa nature et ses effets de la compétence contentieuse. Un avis consultatif n’est pas donné à des États, mais bien à l’organe des Nations Unies qui a sollicité le conseil de la Cour.
53. Pour autant, le principe fondamental du consentement garde toute son importance dans l’exercice par la Cour de sa compétence consultative à l’occasion de procédures mettant en cause des différends bilatéraux. Si l’absence de consentement de la part des États intéressés est, en elle-même, sans effet sur la compétence qu’a la Cour de donner un avis consultatif69, celle-ci a systématiquement reconnu que l’absence de consentement d’un État intéressé faisait intervenir des considérations d’opportunité judiciaire et pouvait constituer une « raison décisive » justifiant qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire de refuser de donner suite à une demande d’avis. C’est ce qu’elle a expliqué dans le passage bien connu de son avis sur le Sahara occidental70 :
« [L]e défaut de consentement d’un État intéressé peut, dans certaines circonstances, rendre le prononcé d’un avis consultatif incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour. Tel serait le cas si les faits montraient qu’accepter de répondre aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant. »
69 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 157, par. 47.
70 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 33 (les italiques sont de nous). Voir également Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 117, par. 85.
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54. Pareilles circonstances pourraient advenir si71 :
« la question qui … avait été posée [à la Cour] … concernait directement le point essentiel d’un différend actuellement né entre deux États de sorte qu’y répondre équivaudrait en substance à trancher un différend entre les parties ».
55. Le juge Owada a précisé ce critère dans un passage de son opinion individuelle en l’affaire relative aux Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé72 :
« Face à ce qui constitue incontestablement, à l’arrière-plan de la demande d’avis, une controverse juridique ou un différend entre les parties concernées, je tiens à dire que, dans ces conditions, le critère déterminant, quand la Cour doit établir si l’opportunité judiciaire l’incite à exercer sa compétence — compétence qu’elle a sans aucun doute —, doit consister non pas à rechercher si la requête est liée à l’existence concrète d’une controverse ou d’un différend, mais à rechercher si “accepter de répondre aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant” (Sahara occidental…). Autrement dit, en dernière analyse, le critère déterminant de l’opportunité judiciaire doit être pour la Cour de s’assurer que répondre sous la forme d’un avis consultatif relatif à l’objet de la requête ne revient pas à statuer sur l’objet même du différend bilatéral qui existe incontestablement à l’heure actuelle entre Israël et la Palestine. »
56. Le Royaume-Uni soutient respectueusement que la Cour a raison de reconnaître l’application systématique du principe de non-contournement du consentement des parties à son appréciation discrétionnaire. Il formule les six arguments suivants :
56.1. Premièrement, le principe s’accorde avec le libellé relativement strict du paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies et du paragraphe 1 de l’article 65 du Statut, par rapport au libellé plus large de l’article 14 du Pacte de la Société des Nations73.
56.2. Deuxièmement, pour faire suite à ce premier argument, ainsi que la Cour l’a dit dans son avis consultatif relatif au Kosovo, le paragraphe 1 de l’article 65 du Statut n’a pas pour but d’établir « une forme de recours judiciaire à la disposition des États »74 ou, ainsi que
71 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72, faisant référence à Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5. Dans cette dernière procédure, « l’un des États intéressés n’était ni partie au Statut de la Cour permanente ni à l’époque membre de la Société des Nations, et le fait que la Société des Nations n’avait pas compétence pour traiter d’un différend impliquant des États non membres qui refusaient son intervention a été pour la Cour une raison décisive de s’abstenir de répondre » : Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 23-24, par. 30. Voir aussi Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 24, par. 31.
72 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle du juge Owada, p. 260, par. 13.
73 L’article 14 conférait à la Cour permanente le pouvoir de « donner … des avis consultatifs sur tout différend ou tout point » (« upon any dispute or question referred to it ») et, dès lors, une « simple comparaison des textes du Pacte et de la Charte permet de saisir immédiatement la restriction apportée à la fonction consultative de la Cour » : Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, opinion individuelle du juge Azevedo, p. 82, par. 7.
74 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 417, par. 33.
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l’a formulé différemment la juge Donoghue, un « mécanisme de secours pour contourner l’absence du consentement à la compétence dans les affaires contentieuses »
75.
56.3. Troisièmement, la distinction opérée dans le Statut de la Cour entre les compétences consultative et contentieuse de celle-ci doit être respectée si l’on entend préserver l’intégrité des deux fonctions76. De fait, la raison pour laquelle la compétence consultative n’est pas concernée par les questions de consentement des États est précisément que la Cour, en rendant un avis consultatif, n’est pas considérée comme statuant sur un différend entre parties77. À l’inverse, dans les procédures contentieuses, il est nécessaire pour la Cour d’établir que la portée du consentement des deux États est suffisante pour englober le différend dont elle est saisie afin de pouvoir exercer sa compétence en l’affaire. Dans ce contexte, les circonstances entourant la formulation de la demande d’avis consultatif peuvent entrer en considération, en particulier quand la demande a été formulée par une seule des parties au différend.
56.4. Quatrièmement, le caractère non contraignant de l’avis consultatif ne justifie pas que la Cour se prononce sur un différend bilatéral ou supplée d’une autre manière l’absence de consentement d’un État à ce qu’un tel différend soit tranché dans le cadre d’une procédure consultative78. Bien que l’avis consultatif ne soit pas officiellement contraignant pour les parties à un différend bilatéral et qu’il soit donné à l’organe des Nations Unies qui l’a demandé, la Cour y fait des exposés de droit, lesquels peuvent entraîner des conséquences juridiques79, même si telle n’est pas l’intention de la Cour ou si le Statut ne l’impose pas.
56.5. Cinquièmement, le fait qu’un différend bilatéral puisse se situer dans un « cadre plus large »80 ne rend pas inopérante la règle du non-contournement. Tout différend juridique s’inscrit dans un contexte plus large81. Le fait qu’un organe des Nations Unies puisse examiner le différend juridique dans un tel contexte ne dit rien du critère à appliquer par la Cour, c’est-à-dire de la question de savoir si la demande en question impose à celle-ci de délimiter de fait le différend qui oppose les parties dans des circonstances où procéder ainsi reviendrait à contourner le critère du consentement.
56.6. Sixièmement, le simple fait qu’un organe des Nations Unies ait pu auparavant examiner certaines des questions figurant dans la demande d’avis n’enlève rien à l’importance et à l’application du consentement des États dans le contexte de l’affaire. En soi, la présentation de la demande d’avis par l’Assemblée générale indique que celle-ci estime que les questions posées sont préoccupantes pour une majorité de ses membres82, mais, une fois encore, tel n’est pas le critère qui intéresse la Cour.
75 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), opinion dissidente de la juge Donoghue, p. 266, par. 23.
76 Ibid.
77 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 157-158, par. 47.
78 Sir Gerald Fitzmaurice, The Law and Procedure of the International Court of Justice, 1986, vol. II, p. 568.
79 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, déclaration du juge Gros, p. 73, par. 6.
80 Ibid., p. 26, par. 38.
81 Dans le même esprit, voir Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), opinion dissidente de la juge Donoghue, p. 266, par. 20 : « Tout différend bilatéral qui s’attire suffisamment de soutien au sein de l’Assemblée générale pour pousser cet organe à demander un avis consultatif peut … être caractérisé comme s’inscrivant “dans un cadre plus large” ; sinon, l’Assemblée générale ne procéderait pas à un vote afin de le soumettre à l’avis de la Cour ».
82 Ibid.
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57. C’est en revanche à la Cour qu’il revient de comparer l’objet du différend bilatéral aux questions présentées par la demande d’avis dont elle est saisie83, en reconnaissant l’importance de « l’origine et [de] la portée du différend … quand il s’agit d’apprécier, du point de vue de l’exercice par [elle] de son pouvoir discrétionnaire, les conséquences en l’espèce du défaut de consentement » (ainsi qu’elle l’a relevé dans l’avis consultatif au sujet du Sahara occidental84). Et surtout, ainsi que l’a dit avec pertinence le juge Owada en l’affaire relative au mur, « répondre sous la forme d’un avis consultatif relatif à l’objet de la requête ne revient pas à statuer sur l’objet même du différend bilatéral qui existe incontestablement à l’heure actuelle entre Israël et la Palestine »85.
58. Le Royaume-Uni fait valoir que le principe est directement en jeu en l’espèce. Il appelle l’attention sur les facteurs suivants :
58.1. Israël n’a pas consenti à l’exercice par la Cour de sa compétence sur le conflit israélo-palestinien, ayant voté contre la résolution 77/247. En revanche, il a consenti (aux côtés de l’OLP) à un mécanisme totalement autre de règlement du différend, à savoir la négociation, la conciliation et/ou l’arbitrage, ainsi qu’il a été expliqué plus haut86.
58.2. Une seule des parties au différend bilatéral a participé au déclenchement et à la rédaction de la demande d’avis87. Il y a là un contraste flagrant avec le déroulement d’une affaire contentieuse, dans laquelle les deux parties sont en droit de délimiter ce qu’elles soumettent de leur différend à la Cour, en restreignant la portée de leur consentement à la compétence de celle-ci.
58.3. Dans sa portée, la présente demande d’avis englobe des éléments qui sont au coeur même du différend israélo-palestinien :
58.3.1. La demande d’avis porte sur le « statut juridique » des territoires palestiniens occupés et sur les « conséquences juridiques » de ce statut, et il est donc expressément demandé à la Cour de se prononcer sur ces deux points. Le fondement et l’effet en droit de l’occupation sont les objets principaux des deux questions qui forment la demande d’avis.
58.3.2. En outre, il est fait référence dans la demande d’avis à un large éventail de « politiques et pratiques » menées par Israël tout au long de l’occupation qui dure depuis 1967 dans ce qui est présenté comme le fondement factuel du règlement par la Cour de l’occupation israélienne. Non seulement ces « politiques et pratiques » concernent toute la portée temporelle de l’occupation, mais elles présupposent la violation par Israël du droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Même à mettre de côté le caractère hautement partisan des termes de la demande d’avis (point abordé de manière plus approfondie ci-après88), il ressort de cette façon de cadrer la demande d’avis que le différend de longue date entre les parties concernant la souveraineté et le statut des territoires palestiniens occupés est au coeur de celle-ci.
83 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), opinion dissidente de la juge Donoghue, p. 263, par. 10.
84 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 27, par. 42.
85 Voir par. 55 ci-dessus.
86 Voir par. 15.4 ci-dessus, où il est fait référence à l’article XV de l’accord d’Oslo I et à l’article XXI de l’accord d’Oslo II.
87 Voir par. 36 et 40.4 ci-dessus.
88 Voir par. 73-80 ci-dessous.
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58.3.3. La demande d’avis, quelle que soit l’interprétation qu’on lui donne, englobe des « questions relatives au statut définitif » fondamentales et litigieuses entre les Israéliens et les Palestiniens. La Cour est ainsi priée de se prononcer sur la responsabilité d’Israël concernant certaines de ces questions, la demande d’avis faisant expressément mention à la fois de « la colonisation et de [l’]annexion … du territoire palestinien » par Israël, et des mesures israéliennes visant à modifier la « composition …, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem ». La demande impose également, de manière générale, la prise en considération de questions de sécurité dans le cadre de toute appréciation de la licéité des mesures qu’aurait prises Israël. Pour ces raisons, la demande d’avis offre un parallèle direct avec des questions essentielles relatives au statut définitif, lesquelles, ainsi qu’il est indiqué plus haut, englobent expressément « Jérusalem », les « colonies de peuplement », les « arrangements en matière de sécurité », les « frontières » et d’« autres questions d’intérêt commun »89.
58.4. Cette portée globale de la demande d’avis cadre avec le but déclaré par la Palestine, à savoir « la présentation de la question de Palestine dans son ensemble à la plus haute juridiction internationale, la Cour internationale de Justice », en vue d’obtenir un avis tendant à « nous rapprocher de l’objectif de réalisation des droits inaliénables du peuple palestinien »90.
58.5. Dans ces conditions, si la Cour en venait à donner suite à la demande d’avis, elle se prononcerait sur « le[s] point[s] essentiel[s] d[u] différend » entre les Israéliens et les Palestiniens.
59. Pour toutes ces raisons, le Royaume-Uni fait respectueusement valoir que la Cour devrait refuser de donner suite à la demande d’avis.
60. Le Royaume-Uni observe par ailleurs que la situation en l’espèce se distingue par certains aspects précis des procédures consultatives antérieures ; voici quelques exemples :
60.1. Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie : La demande d’avis portait uniquement sur l’applicabilité à certains différends de la procédure de règlement instituée par les traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie. Il n’était pas demandé à la Cour d’aborder le fond de ces différends. Opérant une distinction avec la demande présentée en l’affaire relative à la Carélie orientale, la Cour a dit que la demande d’avis soumise en l’espèce « ne touch[ait] assurément pas le fond même de ces différends » et que « la position juridique des parties à ces différends ne saurait à aucun degré être compromise par les réponses que la Cour pourrait faire aux questions qui lui sont posées »91.
60.2. Sahara occidental : La « controverse juridique » entourant la question de savoir si le Sahara occidental avait été une terra nullius avait surgi au cours des débats de l’Assemblée générale et non « indépendamment, dans le cadre de relations bilatérales »92. Au surplus, ainsi que la Cour l’a expliqué, le problème qui se posait entre le Maroc et l’Espagne au sujet du Sahara occidental ne concernait pas le statut juridique du territoire à la date de la demande
89 Accord d’Oslo I, art. V, par. 3 ; et accord d’Oslo II, art. XXXI, par. 5. Voir en outre par. 15.3 et 17 ci-dessus.
90 Voir par. 39 ci-dessus.
91 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72.
92 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 25, par. 34.
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d’avis, mais les droits du Maroc sur ce territoire au moment de la colonisation. Dès lors, la Cour a conclu ce qui suit : « Le règlement de ce problème sera sans effet sur les droits que l’Espagne possède actuellement en tant que Puissance administrante … Il en résulte que la position juridique de l’État qui a refusé son consentement à la présente instance “ne saurait à aucun degré être compromise par les réponses que la Cour pourrait faire aux questions qui lui sont posées”. »
93
60.3. Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé :
60.3.1. Contrairement à l’avis consultatif demandé en l’espèce, l’objet de celui qui était sollicité en l’espèce ne portait pas sur les aspects principaux du différend opposant les Israéliens et les Palestiniens et encore moins sur ses aspects fondamentaux. La procédure en question concernait une mesure particulière prise par Israël, à savoir la construction du mur.
60.3.2. La Cour a de fait accepté qu’elle ne pouvait dûment aborder le fond du différend israélo-palestinien dans le cadre d’une procédure consultative. En particulier, elle a reconnu que la question du mur faisait « partie d’un ensemble »94, mais s’est dit convaincue que « la question que l’Assemblée générale a[vait] choisi de lui soumettre pour avis [était] limitée aux conséquences juridiques de la construction du mur ». Elle a expressément fait observer qu’elle « ne tiendrait compte d’autres éléments que dans la mesure où ceux-ci seraient nécessaires aux fins de l’examen de cette question »95.
60.3.3. La Cour a ensuite reconnu que des négociations en vue de la mise à effet de toutes les résolutions du Conseil de sécurité s’y rapportant, en particulier les résolutions 242 (1967) et 338 (1973), étaient « seule[s] » susceptibles de mettre un terme au différend96. À l’inverse, la présente demande d’avis concerne précisément l’« ensemble » que les parties ont spécialement réservé à des négociations directes entre elles, ainsi qu’il est expliqué plus haut97.
60.3.4. Dans cette même optique, la juge Higgins a fait observer que la Cour, « avec sagesse et comme il sied », avait évité les « questions dites du “statut permanent” » et ne s’était pas « prononcée … sur les raisons et les torts dans la multitude de controverses passées suscitées par le problème israélo-palestinien »98. Comme il est indiqué plus haut, le juge Owada a admis que la réponse de la Cour « ne rev[enai]t pas à statuer sur l’objet même du différend bilatéral qui existe incontestablement à l’heure actuelle entre Israël et la Palestine »99, tandis que, pour le
93 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 27, par. 42, citant Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 72 (les italiques sont de nous).
94 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 160, par. 54.
95 Ibid.
96 Ibid., p. 200, par. 162. Voir également par. 161.
97 Voir par. 15-18 ci-dessus.
98 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle de la juge Higgins, p. 211, par. 17.
99 Ibid., opinion individuelle du juge Owada, p. 263, par. 13.
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juge Koroma, la demande d’avis ne concernait pas « le conflit israélo-palestinien proprement dit » ou « son règlement »
100.
61. Dans ce contexte, la demande d’avis invite la Cour à se prononcer sur le coeur du différend bilatéral entre les parties, à savoir la validité et l’effet de l’occupation par Israël, ce qui met en jeu des questions essentielles relatives au statut définitif, parmi lesquelles « Jérusalem », les « colonies de peuplement », les « arrangements en matière de sécurité » et les « frontières ». La demande d’avis se présente d’une manière conçue pour avoir une incidence sur les obligations actuelles d’Israël en tant que puissance occupante. Selon l’avis consultatif de la Cour et les opinions individuelles prononcés dans la procédure relative au mur, il ne s’agit pas de points sur lesquels la Cour peut dûment se prononcer dans l’exercice de sa fonction consultative. Pour toutes ces raisons, le Royaume-Uni invite la Cour à refuser de donner suite à la demande d’avis.
2. Le motif de l’enquête factuelle insuffisante
62. La Cour serait par ailleurs fondée à refuser de donner suite à une demande d’avis consultatif dans le cas où elle ne dispose pas « de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour être à même de porter un jugement sur toute question de fait contestée et qu’il lui faudrait établir pour se prononcer d’une manière conforme à son caractère judiciaire »101.
63. Le Royaume-Uni formule les observations suivantes quant à ce motif de refus :
63.1. Premièrement, il s’agit d’une autre manifestation du devoir de la Cour de préserver sa fonction judiciaire. Comme il a déjà été relevé, dans l’exercice de sa fonction consultative, la Cour « doit rester fidèle aux exigences de son caractère judiciaire »102. Les questions relatives à la fonction judiciaire de la Cour relèvent de la compétence inhérente de cette dernière, même dans le cadre des procédures consultatives103. Cela peut exiger de la Cour qu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire pour refuser de donner suite à la demande d’avis ou fournir une réponse partielle à la question posée104.
63.2. Deuxièmement, il y a lieu de distinguer, en ce qui concerne l’administration des éléments de preuve, entre la procédure consultative et la procédure contentieuse. Dans le premier cas, il n’y a pas à proprement parler de parties ni d’obligation de produire des éléments de preuve et, dès lors, les règles usuelles relatives à la charge de la preuve ne s’appliquent pas. En particulier, la Cour ne peut tirer de conclusions défavorables du fait qu’une partie intéressée n’a pas produit d’éléments de preuve105. Elle pourrait d’ailleurs avoir le devoir renforcé de
100 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle du juge Koroma, p. 204, par. 3.
101 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 28-29, par. 46. Voir également Sir Gerald Fitzmaurice, The Law and Procedure of the International Court of Justice, 1986, vol. II, p. 122.
102 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 21, par. 23 ; voir également Composition du Comité de la sécurité maritime de l’Organisation intergouvernementale consultative de la navigation maritime, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1960, p. 153.
103 Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 30.
104 Telle a été la position retenue dans l’avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, où les « éléments de fait dont elle dispos[ait] » n’ont pas permis à la Cour de se prononcer de manière définitive sur la licéité : Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 266, point 2 E) du dispositif. Voir également par. 94.
105 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), déclaration du juge Buergenthal, p. 245, par. 10.
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s’assurer qu’elle est en possession de tous les faits disponibles
106. L’absence générale de charge de la preuve en matière consultative a une autre conséquence : si la Cour n’a pas de preuves ou d’informations suffisantes pour « lui permettre de résoudre un point de fait particulier, elle ne peut s’en remettre à des considérations relatives à la charge de la preuve et peut donc se trouver dans l’incapacité de répondre à la question, en tout ou en partie, pour rester fidèle à sa fonction judiciaire »107.
63.3. Troisièmement, pour ces raisons et ainsi que l’a reconnu la Cour permanente dans l’instance au sujet de la Carélie orientale, la règle générale dans les procédures consultatives est la suivante : « dans des circonstances ordinaires, les faits sur lesquels l’avis de la Cour est demandé [devraient être] constants : le soin de les déterminer ne devrait pas être laissé à la Cour elle-même »108.
63.4. Quatrièmement, même s’il est principalement question de la suffisance des éléments de preuve, il s’ensuit que la Cour doit adhérer à tous principes ou pratiques qu’« exigent sa qualité d’organe judiciaire et la bonne administration de la justice », telle l’égalité des armes109. En d’autres termes, la Cour doit se conformer aux « règles essentielles qui dirigent son activité de tribunal »110.
64. Dans la demande d’avis soumise à la Cour, aucune tentative n’est faite pour énoncer les prémisses factuelles sur lesquelles elle se fonde. En effet, la première question mentionne « [l’]occupation, [la] colonisation et [l’]annexion … depuis 1967 », faisant référence de manière générale et non exhaustive à des « mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem » et à « l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ». La deuxième question fait ensuite état des « politiques et pratiques d’Israël » recensées dans la première question. Aucune des « mesures » ou des prétendues « lois et mesures discriminatoires connexes » n’est désignée avec précision, démarche laissée exclusivement à l’appréciation de la Cour.
65. Le libellé de la demande d’avis ainsi retenu par l’Assemblée générale soulève deux difficultés.
66. La première concerne la vaste portée de la demande d’avis. Non seulement celle-ci couvre expressément la durée totale de l’occupation (56 ans à ce jour), mais les « mesures » pourraient soulever un large éventail de questions.
106 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle du juge Owada, p. 267-268, par. 20-21, faisant référence, entre autres, à Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 253, par. 31.
107 Propos du juge Greenwood, s’exprimant en dehors de ses fonctions judiciaires dans « Judicial Integrity and the Advisory Jurisdiction of the International Court of Justice », in Gaja et Stoutenburg (dir. publ.), Enhancing the Rule of Law through the International Court of Justice, 2014, p. 69.
108 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5, p. 28.
109 Jugement no 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le Fonds international de développement agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 30, par. 47. Voir également Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle du juge Owada, p. 266, par. 16.
110 Statut de la Carélie orientale, avis consultatif, 1923, C.P.J.I. série B no 5, p. 29. La Cour a régulièrement fait sienne cette position : voir, par exemple, Jugement no 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le Fonds international de développement agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 25, par. 34.
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66.1. C’est ce qui ressort clairement du dossier à parties multiples soumis à la Cour les 31 mai et 22 juin 2023 par le Secrétariat de l’Organisation des Nations Unies, qui comprend quelque 1 805 documents représentant plus de 30 000 pages. Le dossier est composé de documents considérés comme pertinents au regard de la demande d’avis, publiés à partir de 1967111. Les sujets couverts par le dossier englobent, entre autres : i) les colonies de peuplement israéliennes112 ; ii) les conditions de vie du peuple palestinien113 ; iii) la situation des femmes et des enfants palestiniens114 ; iv) les ressources naturelles dans les territoires palestiniens occupés et les pratiques économiques et commerciales israéliennes connexes115 ; v) Jérusalem116 ; vi) l’expulsion et la déportation117 ; vii) la détention et l’emprisonnement118 ; viii) les réfugiés119 ; et ix) des rapports plus généralisés de l’ONU sur les pratiques israéliennes dans les territoires palestiniens occupés120.
66.2. Pareille démarche tranche avec les procédures consultatives antérieures, où les questions et les dossiers d’accompagnement fournis par l’ONU à la Cour étaient de portée nettement plus limitée. La comparaison la plus utile est celle avec la procédure relative au mur, où la question posée à la Cour se limitait à déterminer « en droit les conséquences de l’édification du mur qu’Israël … [était] en train de construire …, selon ce qui [était] exposé dans le rapport du Secrétaire général »121. Non seulement l’objet était limité, mais l’Assemblée générale indiquait un rapport précis de l’ONU comme constituant la prémisse factuelle de sa demande dans le libellé de la question posée. La demande d’avis a ensuite été accompagnée d’un dossier limité fourni par l’ONU (environ 1 000 pages) comprenant le rapport en question et d’autres documents de l’ONU.
66.3. Dans ces conditions, la question se pose réellement de savoir si la Cour peut répondre aux questions qui lui sont posées d’une manière qui soit conforme à son caractère judiciaire. Cela l’obligerait à s’engager dans une mission d’établissement des faits couvrant une période de 56 ans. Il s’agit là d’une tâche à laquelle la Cour ne peut se prêter dans l’exercice de sa fonction consultative qui, ainsi qu’il est indiqué précédemment, n’est pas censée consister à connaître de faits complexes et controversés.
67. Le deuxième problème porte sur des considérations d’équité et de régularité de la procédure. Plusieurs points méritent d’être soulevés ici :
67.1. Dans la mesure où Israël ne participe pas à la procédure consultative par la production d’éléments de preuve se rapportant à la demande d’avis, la Cour ne disposera pas d’« informations expliquant le point de vue israélien »122. Si la Cour a pu se sentir à même de
111 Voir note introductive, 31 mai 2023, par. 5.
112 Voir documents 4-72, 1546-1574 et 1674-1689.
113 Voir documents 73-147.
114 Voir documents 148-234.
115 Voir documents 235-285.
116 Voir documents 614-638.
117 Voir documents 781-793.
118 Voir documents 794-803.
119 Voir documents 943-1194.
120 Voir documents 652-779 et 811-862.
121 Assemblée générale, résolution ES-10/14 du 8 décembre 2003, dixième session extraordinaire d’urgence, doc. A/RES/ES-10/14 (dossier de l’ONU, document no 1226).
122 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle du juge Owada, p. 268, par. 22.
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poursuivre sans ces informations dans la procédure relative au mur, l’espèce présente une tout autre magnitude. L’Assemblée générale invite la Cour à se saisir du coeur même du différend bilatéral et vise spécialement les « politiques et pratiques » d’Israël depuis 1967. Or la Cour mettrait en jeu l’intégrité de sa fonction judiciaire si elle venait à poursuivre sans la pleine participation d’Israël dans ces circonstances.
67.2. Quand bien même Israël fournirait des éléments de preuve d’intérêt général pour la demande d’avis, la procédure consultative n’offre que trop peu de protection quant aux droits procéduraux des parties au différend bilatéral, dans une instance mettant en jeu des questions de fait hautement controversées dont la Cour aurait à se saisir et dans le cadre de laquelle une norme de preuve renforcée pourrait s’appliquer, dans la mesure où de graves allégations sont formulées contre Israël et où la Cour juge bon d’en connaître123.
67.3. Par ailleurs et en tout état de cause, il conviendrait que la Cour fasse preuve d’une prudence particulière si elle compte se fonder sur les rapports d’organes de l’ONU (tels que ceux de la commission d’enquête), dans la mesure où ces rapports ont été rédigés i) sans la participation d’Israël ; et ii) sans accès à Israël et aux territoires palestiniens occupés. Il convient également de noter que le Royaume-Uni, aux côtés de plusieurs autres États, a exprimé des réserves concernant les rapports en question, comme il est indiqué précédemment124.
68. En définitive, le Royaume-Uni fait respectueusement valoir que la Cour ne peut être certaine de disposer d’une vision complète ou exacte des éléments de preuve, ni de répondre comme il se doit aux préoccupations relatives à la régularité de la procédure et à l’équité. Dès lors, elle ne peut donner suite à la demande d’avis d’une manière qui soit compatible avec son caractère judiciaire. Pour cette raison supplémentaire, il conviendrait que la Cour refuse de donner suite à la demande d’avis.
3. Le motif de conflit avec le processus avalisé par le Conseil de sécurité
69. La Cour a examiné en nombre d’occasions l’argument selon lequel il conviendrait qu’elle refuse de donner suite à une demande d’avis consultatif en raison des conséquences politiques préjudiciables qui découleraient de son avis. Ainsi qu’elle l’a réaffirmé dans son avis relatif au Kosovo, pour qu’un tel argument l’emporte, la Cour doit être en mesure de procéder à une appréciation objective des facteurs en jeu125 :
« De même que la Cour ne peut substituer sa propre appréciation de l’utilité de l’avis demandé pour l’organe requérant à celle de ce dernier, elle ne peut — tout particulièrement en l’absence d’éléments sur lesquels fonder cette appréciation — faire prévaloir son propre point de vue sur les conséquences négatives que risquerait d’emporter son avis. Dans son avis consultatif sur la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, alors qu’il avait été avancé qu’une réponse de sa part risquerait
123 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 129, par. 209 : « La Cour a admis de longue date que les allégations formulées contre un État qui comprennent des accusations d’une exceptionnelle gravité doivent être prouvées par des éléments ayant pleine force probante. » Voir en outre Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), réparations, arrêt du 9 février 2022, p. 55, par. 120.
124 Voir par. 31 ci-dessus.
125 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 418, par. 35, citant Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 17 ; Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 37, par. 73 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 159-160, par. 51-54.
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d’être préjudiciable aux négociations sur le désarmement, et que des positions contraires s’exprimaient à ce sujet, la Cour a indiqué qu’“il n’[était] pas de critère évident qui [lui] permettrait de donner la préférence à une position plutôt qu’à une autre” ».
70. En l’espèce, il existe effectivement de solides « éléments sur lesquels fonder [l’]appréciation » de l’atteinte que porterait l’avis demandé à un processus politique établi. Ainsi qu’il est indiqué précédemment, un cadre de négociation a été convenu pour le règlement du conflit israélo-palestinien, qui a expressément pour objectif de mettre fin à l’occupation israélienne, ce que vise la présente demande d’avis. L’engagement des parties envers ce cadre est un fait objectif suffisant pour justifier que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de refuser de donner suite à la demande d’avis.
71. Sur ce point, le Royaume-Uni souligne les faits et points suivants :
71.1. Il est établi dans les principes énoncés dans les résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité pour le règlement définitif du différend entre les parties que les questions de souveraineté en matière de territoire et de sécurité sont indissociables126. C’est également ce qui figure dans la feuille de route, qui prévoit qu’un règlement de paix global entre les parties est requis pour mettre fin à l’occupation127.
71.2. Israël et l’OLP ont déjà convenu d’entamer des négociations relativement au statut permanent sur la base des principes énoncés dans les résolutions 242 (1967) et 338 (1973), y compris les questions des colonies de peuplement, de Jérusalem, de la sécurité et des frontières. Ils continuent d’affirmer qu’il est nécessaire de parvenir à un règlement global négocié pour obtenir le retrait d’Israël128.
71.3. Le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale l’ont d’ailleurs reconnu, notamment dans la résolution 77/247 proprement dite, qui souligne qu’il « faut de toute urgence … des négociations constructives visant à conclure un accord de paix qui mettra totalement fin à l’occupation israélienne commencée en 1967 ». La Cour l’a aussi expressément reconnu dans l’avis consultatif qu’elle a rendu concernant le mur129 :
« [S]eule la mise en oeuvre de bonne foi de toutes les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, en particulier les résolutions 242 (1967) et 338 (1973), est susceptible de mettre un terme à [la] situation … La “feuille de route” approuvée par la résolution 1515 (2003) du Conseil de sécurité constitue l’effort le plus récent en vue de provoquer des négociations à cette fin. La Cour croit de son devoir d’appeler l’attention de l’Assemblée générale, à laquelle cet avis est destiné, sur la nécessité d’encourager ces efforts en vue d’aboutir le plus tôt possible, sur la base du droit international, à une solution négociée des problèmes pendants et à la constitution d’un État palestinien vivant côte à côte avec Israël et ses autres voisins, et d’assurer à chacun dans la région paix et sécurité. »
71.4. Au surplus, Israël et l’OLP ont spécifiquement convenu de « n’entreprend[re] ni ne prend[re] de mesure » susceptible de « modifier le statut de la Cisjordanie et de la bande de Gaza » et ont confirmé que le statut de ces territoires « sera[it] préserv[é] pendant la période
126 Voir par. 10-13 ci-dessus.
127 Voir par. 21-24 ci-dessus.
128 Voir par. 30 ci-dessus.
129 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200, par. 162 (les italiques sont de nous).
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intérimaire »
130. Les parties ont également convenu, pour le règlement des différends relatifs à leurs accords touchant la période intérimaire, d’un régime particulier qui ne prévoyait pas la saisine de la Cour internationale de Justice, que ce soit à titre consultatif ou contentieux131. Il convient de noter que l’OLP n’a pas cherché à invoquer le mécanisme précité de règlement des différends en l’espèce.
71.5. Par ailleurs, ni le Conseil de sécurité ni le quatuor n’a avalisé la demande faite à la Cour par l’Assemblée générale comme étant propice ou tout du moins conforme au processus de paix. L’Assemblée générale, organe demandeur, n’a pas non plus laissé entendre que l’avis consultatif aiderait à faire revenir les parties vers le cadre convenu.
72. Dans ces conditions, la Cour est objectivement fondée à conclure que donner suite en l’espèce à la demande d’avis consultatif formulée par l’Assemblée générale irait à l’encontre à la fois du cadre convenu par les parties en vue de régler le différend et de leur engagement de ne prendre aucune mesure tendant à compromettre le statut des territoires palestiniens occupés, ce que constitue manifestement la présentation d’une demande d’avis consultatif portant sur cette question même.
4. Le motif de l’objet et du but
73. La protection de l’intégrité de la fonction judiciaire de la Cour a été recensée comme l’une des raisons de ne pas donner suite à une demande d’avis consultatif, comme il est expliqué plus haut. Cependant, la Cour « n’a jamais indiqué qu’il s’agissait là de la seule raison possible [pour refuser de donner un avis] »132. De fait, sa jurisprudence illustre qu’elle est disposée à examiner des éléments sortant du cadre de l’opportunité judiciaire, y compris l’« objet ou [le] but »133.
74. Il est bien établi qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la mesure dans laquelle son avis pourrait peser sur l’action de l’Assemblée générale134. Il est tout aussi bien établi que le prononcé d’un avis consultatif n’est pas une fin en soi. La Cour ne rendra un avis que « dès lors qu’elle a abouti à la conclusion que les questions qui lui sont posées sont pertinentes, qu’elles ont un effet pratique à l’heure actuelle et que par conséquent elles ne sont pas dépourvues d’objet ou de but »135.
75. L’objet et le but de la demande d’avis doivent également être compatibles avec la fonction judiciaire de la Cour et son rôle en tant qu’organe judiciaire principal des Nations Unies. L’objet en question devrait être « d’obtenir de la Cour un avis consultatif que l’Assemblée générale estime utile
130 Voir par. 17 ci-dessus.
131 Voir par. 15.4 ci-dessus, où il est fait référence à l’article XV de l’accord d’Oslo I et à l’article XXI de l’accord d’Oslo II.
132 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), opinion individuelle du juge Keith, p. 483, par. 4 (les italiques sont de nous) ; Sir Christopher Greenwood, « Judicial Integrity and the Advisory Jurisdiction of the International Court of Justice » in Gaja et Stoutenburg (dir. publ.), Enhancing the Rule of Law through the International Court of Justice, 2014, p. 65, note 8.
133 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 37, par. 73. Voir également les considérations examinées par la Cour dans Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 415-423, par. 29-48.
134 Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), p. 237, par. 16 ; voir également Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 417-418, par. 34 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 115, par. 76.
135 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 37, par. 73.
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pour pouvoir exercer comme il convient ses fonctions », et non « de porter devant la Cour … un différend ou une controverse juridique, afin d’exercer plus tard, sur la base de l’avis rendu par la Cour, ses pouvoirs et ses fonctions en vue de régler pacifiquement ce différend ou cette controverse »
136. À cet égard, « [i]l est essentiel pour la Cour de veiller, dans l’exercice de sa fonction consultative, à ce qu’elle ne soit pas instrumentalisée en faveur de telle ou telle stratégie proprement politique »137.
76. Dans ce contexte, on relèvera deux caractéristiques notables dans la rédaction de la résolution 77/247. Dans les considérants comme dans le dispositif de la demande d’avis :
76.1. L’Assemblée générale présuppose qu’Israël a commis une série de violations du droit international et invite la Cour à examiner le statut des territoires palestiniens occupés sur ce fondement. Elle présente à la fois les considérants et les questions proprement dites en termes tendancieux, au lieu de les libeller de manière neutre, comme le veut la pratique habituelle138.
76.2. L’Assemblée générale s’attache exclusivement aux actions d’une seule partie au différend, alors même que la Cour a reconnu que « [d]es actions illicites [avaient] été menées et des décisions unilatérales [avaient] été prises par les uns et par les autres »139.
77. Par ces moyens, l’Assemblée générale cherche à limiter l’enquête de la Cour d’une manière qui n’est pas conforme à la fonction judiciaire de celle-ci. En effet, cette fonction « lui interdit de faire sienne, sans autre examen, une conclusion juridique qui conditionne par elle-même la nature et la portée des conséquences juridiques qui en procèdent »140. Si elle venait effectivement à donner suite à la demande d’avis, la Cour aurait à se prononcer sur un ensemble de questions de licéité préalables avant de répondre aux questions expressément posées dans la demande141, étant donné qu’il serait incompatible avec sa fonction judiciaire de considérer que ces éléments ont été tranchés
136 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 26-27, par. 39 ; voir en outre Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71-72 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), opinion individuelle de la juge Higgins, p. 210, par. 12 ; Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), déclaration de la juge Xue, vice-présidente, p. 142-143, par. 4.
137 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), opinion dissidente du juge Bennouna, p. 503, par. 15. Voir également Sir Gerald Fitzmaurice, The Law and Procedure of the International Court of Justice, 1986, vol. II, p. 122, où la « formulation ambiguë ou tendancieuse » de la question est désignée en tant qu’élément relevant de l’opportunité judiciaire.
138 Jugement no 2867 du Tribunal administratif de l’Organisation internationale du Travail sur requête contre le Fonds international de développement agricole, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2012 (I), p. 36, par. 62.
139 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 200, par. 162.
140 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, opinion individuelle du juge Dillard, p. 151.
141 Notamment : i) la question de la licéité de l’occupation par Israël des territoires palestiniens depuis 1967 ; ii) la question de savoir si Israël a colonisé des territoires palestiniens depuis 1967 et, dans l’affirmative, celle de savoir quels territoires sont visés et celle de la licéité de cette colonisation ; iii) la question de savoir si Israël a annexé des territoires palestiniens depuis 1967 et, dans l’affirmative, celle de savoir quels territoires sont visés et celle de la licéité de cette annexion ; iv) la question de savoir si Israël a pris des mesures « visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem » et, dans l’affirmative, celle de savoir quelles sont ces mesures et celle de la licéité de chacune d’elles ; v) la question de savoir si Israël a adopté des « lois et mesures discriminatoires connexes » et, dans l’affirmative, celle de savoir quelles sont ces mesures et si elles étaient de nature « discriminatoire » ; et vi) la définition du droit du peuple palestinien à l’autodétermination.
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par l’Assemblée générale
142. En effet, elle a déjà dit expressément que « la Charte “n’a[vait] pas conféré de fonctions judiciaires à l’Assemblée générale” »143.
78. La démarche adoptée par l’Assemblée générale donne également à penser que l’objet et le but de sa demande ne sont pas de solliciter l’avis de la Cour concernant un point sur lequel elle a besoin d’assistance, mais plutôt de demander la confirmation par la Cour de conclusions juridiques précises qui intéressent le règlement du différend bilatéral entre les parties.
79. Ce raisonnement s’inscrit dans le contexte rappelé plus haut et, en particulier :
79.1. La recommandation de la commission d’enquête tendant à ce qu’il soit demandé à la Cour de rendre un avis consultatif, à la suite de sa conclusion quant au statut de l’occupation par Israël144.
79.2. Le fait que la Palestine soit à l’origine de la demande d’avis, avec l’objectif déclaré de « présentation de la question de Palestine dans son ensemble à … la Cour internationale de Justice », en vue d’obtenir « un avis utile … pour nous rapprocher de l’objectif de réalisation des droits inaliénables du peuple palestinien »145.
80. Pour ces raisons, le Royaume-Uni invite la Cour à refuser de donner suite à la demande d’avis au motif supplémentaire que l’objet et le but de la demande d’avis ne lui permettent pas de s’acquitter de sa fonction dans le cadre d’une procédure consultative.
CHAPITRE IV CONCLUSION
81. Pour les raisons exposées ci-dessus, le Royaume-Uni prie respectueusement la Cour internationale de Justice de réaffirmer les principes selon lesquels il conviendrait qu’elle exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 1 de l’article 65 de son Statut pour refuser de donner des réponses aux questions posées par l’Assemblée générale en l’espèce.
Le 20 juillet 2023.
La représentante du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord,
(Signé) Sally LANGRISH.
___________
142 Conformité au droit international de la déclaration unilatérale d’indépendance relative au Kosovo, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2010 (II), p. 424, par. 52.
143 Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1973, p. 173, par. 17.
144 Voir par. 32 ci-dessus.
145 Voir par. 39 ci-dessus.

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Exposé écrit du Royaume-Uni

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