Observations écrites de l'Indonésie

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186-20231025-WRI-06-00-EN
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
18890
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST
(REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
OBSERVATIONS ÉCRITES
PRÉSENTÉES À LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE PAR LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE D’INDONÉSIE
Octobre 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION ............................................................................................................................... 1
II. LA COUR NE DEVRAIT PAS REFUSER DE DONNER L’AVIS SOLLICITÉ ............................................. 1
A. Rendre un avis en l’espèce ne reviendrait pas à tourner le principe du consentement ............ 2
B. La question posée n’est pas un simple différend bilatéral ....................................................... 3
1) Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination constitue une préoccupation constante pour les Nations Unies ........................................................................................ 3
2) La question posée $ne vise pas$ seulement le passé mais concerne aussi le présent et l’avenir ............................................................................................................ 5
C. Répondre à la question posée ne ferait pas obstacle aux négociations en cours entre la Palestine et Israël ........................................................................................................ 6
1) L’avis consultatif vise à faciliter les négociations .............................................................. 6
2) En tout état de cause, les négociations sont devenues inutiles ........................................... 7
D. La complexité et le caractère controversé des faits ne sauraient empêcher la Cour de rendre l’avis demandé ......................................................................................................... 8
III. CONCLUSION ................................................................................................................................ 9
I. INTRODUCTION
1. Les présentes observations écrites sont soumises conformément à l’ordonnance que la Cour internationale de Justice a rendue le 3 février 2023, comme suite à la demande d’avis consultatif formée par l’Assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 77/247 (2022).
2. L’Indonésie a examiné attentivement les exposés écrits d’États Membres et d’organisations internationales qui ont été présentés à la Cour. Tout en maintenant l’ensemble des arguments avancés dans son propre exposé du 25 juillet 2023, elle estime nécessaire, au vu des autres éléments soumis à la Cour, de développer un certain nombre de points importants, touchant en particulier à la compétence de celle-ci.
3. L’Indonésie entend traiter ici certaines questions spécifiques qui ont été soulevées par plusieurs États. Ainsi que cela est indiqué dans la seconde partie des présentes observations, il n’y a, selon elle, aucun risque de contournement du principe du consentement. La question soumise à la Cour n’est pas un simple différend bilatéral. L’avis sollicité n’entraverait nullement quelque négociation en cours et rien ne fait obstacle à ce que la Cour le rende. En conséquence, l’Indonésie réitère sa position selon laquelle la Cour a compétence pour donner l’avis consultatif sollicité par l’Assemblée générale, et il n’y a aucune raison pour qu’elle refuse d’exercer cette compétence.
4. En ce qui concerne les récents développements de la situation à Gaza, l’Indonésie estime qu’il est urgent, pour mettre fin aux cycles récurrents de violence, de traiter les causes profondes du conflit en vue de parvenir à la solution des deux États. L’occupation illicite du Territoire palestinien occupé et la violation flagrante du droit international par Israël doivent prendre fin, et le droit du peuple palestinien à l’autodétermination doit être respecté. Les récents événements font ressortir toute la nécessité d’un avis consultatif de la Cour, lequel contribuerait à l’avancement et à l’accélération du processus devant conduire à un règlement pacifique, juste, durable et global de la question de Palestine.
II. LA COUR NE DEVRAIT PAS REFUSER DE DONNER L’AVIS SOLLICITÉ
8. La majorité des États, Indonésie comprise, conviennent que la Cour a compétence pour rendre l’avis consultatif demandé. L’article 65 du Statut de celle-ci habilite l’Assemblée générale des Nations Unies à solliciter un tel avis et les questions soulevées sont de nature juridique. En outre, la Cour n’a pas de raison décisive de refuser de donner cet avis consultatif.
9. L’Indonésie relève qu’un groupe d’États a soutenu le contraire. Ces États ont invoqué l’existence de raisons décisives devant conduire la Cour à user de son pouvoir discrétionnaire pour refuser de rendre l’avis sollicité, au motif qu’une décision consistant à donner suite à la demande ne serait pas conforme à la bonne règle judiciaire.
10. Dans la seconde partie des présentes observations, l’Indonésie expose plus avant sa position quant à la compétence de la Cour pour répondre à la question juridique légitime qui lui a été soumise par un organe compétent des Nations Unies, et l’absence de raisons décisives de refuser de rendre cet avis.
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A. Rendre un avis en l’espèce ne reviendrait pas à tourner le principe du consentement
11. Certains États font valoir dans leurs exposés qu’Israël n’a pas consenti à ce que son différend avec la Palestine fasse l’objet d’un règlement judiciaire et que les deux parties sont convenues de régler, par des négociations directes, le différend qui est précisément l’objet des questions posées à la Cour. Ces États avancent que le fait de rendre l’avis consultatif en question aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’y consent pas.
12. L’Indonésie soutient que la décision de rendre l’avis demandé n’aurait pas pour effet de tourner le principe du consentement. Comme la Cour l’a observé dans son avis sur le mur, l’absence de consentement à sa juridiction contentieuse de la part des États intéressés est sans effet sur sa compétence de donner un avis consultatif1.
13. Ce point avait été développé dans l’avis rendu dans la procédure consultative sur l’Interprétation des traités de paix, dans lequel la Cour avait déclaré ce qui suit :
« Le consentement des États parties à un différend est le fondement de la juridiction de la Cour en matière contentieuse. Il en est autrement en matière d’avis, alors même que la demande d’avis a trait à une question juridique actuellement pendante entre États. La réponse de la Cour n’a qu’un caractère consultatif : comme telle, elle ne saurait avoir d’effet obligatoire. Il en résulte qu’aucun État, Membre ou non membre des Nations Unies, n’a qualité pour empêcher que soit donné suite à une demande d’avis dont les Nations Unies, pour s’éclairer dans leur action propre, auraient reconnu l’opportunité. L’avis est donné par la Cour non aux États, mais à l’organe habilité pour le lui demander »2.
L’Indonésie estime par conséquent, conformément à cette conclusion de la Cour, que la présente demande d’avis consultatif ne doit pas être rejetée.
14. Dans la procédure au sujet du Sud-Ouest africain, la Cour a tenu compte de considérations similaires pour déterminer si elle devait rendre l’avis consultatif sollicité. Elle a jugé que, la demande ayant été valablement présentée par un organe compétent des Nations Unies, conformément au paragraphe 1 de l’article 96 de la Charte des Nations Unies, aucune raison ne devait la conduire à refuser de le faire3. Cela a été parfaitement résumé par la formule de Lauterpacht, selon laquelle il n’est « nullement nécessaire de protéger les États contre des procédures auxquelles ils ont consenti par avance en tant que Membres de l’Organisation des Nations Unies »4.
1 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 157, par. 47.
2 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 71.
3 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 23, par. 31.
4 H. Lauterpacht, The Development of International Law by the International Court, (Stevens & Sons Ltd. 1958), p. 355-358 ; Questions of International Law, “The Chagos request and the role of the consent principle in the ICJ’s advisory jurisdiction, or: What to do when opportunity knocks”, http://www.qil-qdi.org/the-chagos-request-and-the-role- of-the-consent-principle-in-the-icjs-advisory-jurisdiction-or-what-to-do-when-opportunity-knocks/#_ftn27, consulté le 25 septembre 2023.
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15. Plusieurs États ont mentionné, dans leurs exposés écrits, la procédure relative au Statut de la Carélie orientale, question dont avait été saisie la Cour permanente de Justice internationale, pour arguer que l’absence de consentement pouvait justifier un refus de la Cour de donner un avis. L’Indonésie tient à souligner que les règles applicables à la procédure consultative précitée diffèrent de celles de l’espèce. Dans la première, l’un des États parties à la procédure n’était ni partie au Statut de la Cour permanente, ni Membre de la Société des Nations5 ; il n’était donc pas lié par le Pacte de la Société des Nations. Dans la présente procédure, en revanche, la question de l’applicabilité du Statut de la Cour ou de la Charte des Nations Unies ne se pose pas. Un des États a d’ailleurs cité dans son exposé écrit la déclaration par laquelle Israël a « accept[é] sans réserve aucune les obligations découlant de la Charte des Nations Unies et s’engage à les observer du jour où il deviendra Membre des Nations Unies »6.
16. La Cour a clairement exprimé sa position au sujet du non-contournement du principe du consentement, notamment dans les procédures relatives à l’Interprétation des traités de paix, au Sahara occidental, au mur et aux Chagos. Elle a toujours indiqué qu’elle « ne consid[érait] pas que le prononcé de l’avis sollicité aurait pour effet de contourner le principe du consentement de l’État au règlement judiciaire de son différend avec un autre État »7. Les procédures consultatives devant la Cour, en ce qu’elles visent à obtenir un avis qui n’a pas valeur obligatoire, ne requièrent pas le consentement des parties concernées. En outre, l’avis est donné par la Cour non aux États, mais à l’Assemblée générale des Nations Unies, en tant qu’organe de l’ONU habilité pour le lui demander.
B. La question posée n’est pas un simple différend bilatéral
17. Plusieurs États ont estimé dans leurs exposés écrits que la question israélo-palestinienne se résumait à un différend bilatéral. Ils ont argué que, si la Cour rendait l’avis demandé, cela poserait des problèmes d’opportunité judiciaire. Selon l’Indonésie, le fait de réduire la question israélo-palestinienne à un simple différend bilatéral reviendrait à faire fi de l’engagement de longue date de la communauté internationale à l’égard de cette question et ne ferait qu’entraver le travail de l’ONU.
18. Conformément à la pratique de la Cour, il convient d’examiner ladite question afin de déterminer si elle dépasse le cadre d’un différend bilatéral8. À cet égard, l’Indonésie soutient que 1) le droit à l’autodétermination du peuple palestinien est l’objet d’une préoccupation constante de la part de l’ONU ; et 2) la question soulevée ne concerne pas seulement le passé, mais aussi le présent et l’avenir.
1) Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination constitue une préoccupation constante pour les Nations Unies
19. L’avis consultatif demandé touche à un problème ancien qui a toujours figuré au nombre des préoccupations de l’ONU. Dans son avis consultatif sur le mur, la Cour a ainsi jugé que la
5 Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, p. 23-24, par. 30.
6 Voir, d’une manière générale, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 273 (III) du 11 mai 1949, doc. A/RES/273 (III) ; lettre en date du 29 novembre 1948 adressée au Secrétaire général par le ministre des affaires étrangères d’Israël et relative à la demande d’admission d’Israël comme Membre des Nations Unies, doc. S/1093, 29 novembre 1948.
7 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p 118, par. 90.
8 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, supra, note 3, p. 26, par. 38.
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question israélo-palestinienne ne se réduisait pas à un différend bilatéral, étant donné qu’il s’agissait d’une question « intéress[ant] tout particulièrement les Nations Unies »9.
20. Depuis sa première intervention sur cette question en 1947, l’Assemblée générale a adopté une multitude de résolutions, tenu des sessions extraordinaires d’urgence sur la Palestine et établi, entre autres, la Commission de conciliation des Nations Unies pour la Palestine10, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA)11, le Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés12, le Comité pour l’exercice des droits inaliénables du peuple palestinien (CEIRPP)13 et de nombreux organes subsidiaires placés sous ses auspices.
21. Comme dans la procédure relative aux Chagos,
« [l]’Assemblée générale n’a pas sollicité [l’]avis [de la Cour] afin de régler un différend … entre deux États. En réalité, l’objet de la requête de l’Assemblée générale est d’obtenir l’assistance de la Cour pour que celle-ci la guide dans l’exercice de ses fonctions … La Cour a souligné l’intérêt que l’Assemblée générale pouvait avoir à lui demander un avis consultatif qu’elle estimait utile pour pouvoir exercer ses fonctions »14.
22. La question israélo-palestinienne a, par nature, fait l’objet d’une attention constante de la part de l’ONU. Le fait que l’Assemblée générale demande à titre principal à la Cour de déterminer les « conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination » le confirme. Il n’est pas simplement demandé à la Cour de former un avis au sujet d’un différend bilatéral entre deux États, mais d’examiner les violations prolongées qu’Israël commet à travers ses politiques et ses pratiques et qui affectent le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, ainsi que les conséquences juridiques qui en découlent, qui peuvent elle-mêmes avoir une incidence sur des États tiers.
23. En outre, le dernier membre de la proposition précitée, qui porte sur le droit à l’autodétermination, place la présente question hors du cadre d’un simple différend bilatéral. Comme l’a indiqué la Cour dans l’affaire relative au Timor oriental, le droit à l’autodétermination est considéré comme un droit opposable erga omnes. La Cour a également estimé plus récemment, dans la procédure au sujet des Chagos, que « tous les États [avaie]nt un intérêt juridique à ce que ce droit soit protégé »15. La question à l’examen, par conséquent, ne concerne pas simplement les intérêts de la Palestine et d’Israël, mais revêt un intérêt pour tous les États, ainsi que pour l’ONU.
24. L’Indonésie relève également les arguments de certains États qui distinguent la présente demande d’avis consultatif de celle soumise dans la procédure sur le mur, arguant que, dans cette
9 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, supra, note 1, p. 159, par. 50.
10 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 194 (III) du 11 décembre 1948.
11 Ibid., résolution 302 (IV) du 8 décembre 1949.
12 Ibid., résolution 2443 (XXIII) du 19 décembre 1968.
13 Ibid., résolution 3376 (XXX) du 10 novembre 1975.
14 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, supra, note 7, p. 117, par. 86.
15 Ibid., p. 139, par. 180.
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dernière, la question portait sur une partie d’un ensemble et que, en conséquence, la Cour devrait refuser de donner le présent avis. Or, selon l’opinion exprimée par le juge Koojimans,
« [u]ne situation qui présente un intérêt légitime pour la communauté internationale organisée et un différend bilatéral … peuvent exister en même temps. L’existence du différend ne peut priver les organes de la communauté organisée de la compétence qui leur a été conférée »16.
En conséquence, l’Indonésie estime qu’il n’y a pas lieu de faire une telle distinction, dès lors que la question à l’examen demeure une préoccupation de l’ONU.
25. Par ailleurs, l’Indonésie s’est penchée avec circonspection sur l’argument d’un État qui, dans son exposé écrit, perçoit la question soumise par l’Assemblée générale comme une question portant sur le droit à l’autodétermination du peuple palestinien et avance que l’avis que la Cour pourrait rendre établirait un précédent dangereux par suite duquel celle-ci « pourrait tout aussi bien être invitée à se prononcer sur l’autodétermination de [certains] peuples par la reconnaissance d’États ». Cette déclaration est trompeuse et dépourvue de fondement.
26. La Cour n’établirait pas un dangereux précédent puisque le droit du peuple palestinien à l’autodétermination est déjà bien établi au regard du droit international. L’État de Palestine a été créé et il a en outre été internationalement reconnu, y compris par l’ONU.
27. L’Indonésie tient à souligner que le droit à l’autodétermination, tel que réaffirmé dans les résolutions de l’Assemblée générale 1514 (XV) de 1960 et 2625 (XXV) de 1970, ne peut s’exercer que sous certaines conditions strictement définies, dans un contexte de décolonisation. Celles-ci exigent entre autres d’établir si le territoire en question est un territoire non autonome ou soumis à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangères. Elles ont vocation à préserver l’intégrité territoriale des États, conformément au principe suivant lequel « détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies »17. En conséquence, l’argument formulé par un État selon lequel le prononcé d’un avis consultatif dans la présente procédure créerait un dangereux précédent est dépourvu de fondement.
2) La question posée ne vise pas seulement le passé, mais concerne aussi le présent et l’avenir
28. Pour déterminer si la question qui lui est présentée s’inscrit dans un cadre plus large que celui d’un différend bilatéral, la Cour doit examiner l’objet de la demande mais aussi ses aspects temporels. Ainsi, dans la procédure au sujet du Sahara occidental, elle a également tenu compte de ce que les éléments de la question « ne vis[ai]ent pas seulement le passé, mais concern[ai]ent aussi le présent et l’avenir »18, jugeant que cette considération avait une pertinence pour déterminer l’objet de la demande d’avis consultatif, lequel était, en l’occurrence, « d’obtenir de la Cour un avis consultatif que l’Assemblée générale estim[ait] utile pour pouvoir exercer comme il conv[enai]t ses fonctions »19.
16 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, supra, note 1, opinion individuelle du juge Koojimans, p. 227, par. 27.
17 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960.
18 Sahara occidental, supra, note 5, p. 26, par. 38.
19 Ibid., p. 26-27, par. 39.
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29. Dans la présente demande, les questions soumises par la résolution 77/247 de l’Assemblée générale ne visent pas seulement le passé, mais invitent la Cour à donner une orientation sur la situation présente en établissant « les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël » et « le statut juridique de l’occupation », ainsi que sur l’avenir en se prononçant sur « les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ». Une réponse de la Cour à la question soumise dans la présente demande d’avis consultatif aiderait l’Assemblée générale à continuer d’oeuvrer en vue de parvenir au meilleur règlement possible de la question israélo-palestinienne.
30. Étant donné que son objet intéresse tout particulièrement l’ONU, et compte tenu des éléments temporels qu’elle comporte, la question adressée à la Cour s’inscrit dans un cadre plus large que celui d’un simple différend bilatéral et ne peut être réduite à un tel différend.
C. Répondre à la question posée ne ferait pas obstacle aux négociations en cours entre la Palestine et Israël
31. Plusieurs États ont fait valoir que le prononcé d’un avis consultatif risquerait de préjuger et de compromettre le résultat des négociations. Ce groupe d’États a en outre insisté sur le fait que le règlement de la question opposant la Palestine et Israël devrait être centré sur les cadres et accords de négociation existants.
32. L’Indonésie soutient que le prononcé d’un avis consultatif dans la présente procédure n’entraverait pas les négociations en cours entre Israël et la Palestine et n’irait pas à l’encontre des accords entre ces deux États car : 1) l’avis vise à faciliter les négociations ; et 2) en tout état de cause, les négociations sont devenues inutiles.
1) L’avis consultatif vise à faciliter les négociations
33. Il ressort de la pratique de la Cour que celle-ci a refusé de retenir les arguments selon lesquels l’avis consultatif ferait obstacle à quelque négociation en cours entre la Palestine et Israël. Dans l’avis sur le mur, la Cour a ainsi conclu que « [l]’influence que [son] avis [] pourrait avoir sur ces négociations n’appara[issai]t … pas de façon évidente » et qu’elle ne saurait, par conséquent, « considérer ce facteur comme une raison décisive de refuser d’exercer sa compétence »20.
34. Dans l’exposé de son opinion individuelle jointe à l’avis consultatif rendu dans la procédure susmentionnée, le juge Al-Khasawneh est allé plus loin encore, soulignant qu’« on ne d[eva]it cependant pas oublier que les négociations sont un moyen au service d’une fin et qu’elles ne sauraient se substituer à cette fin ». Autrement dit, les négociations ne sont qu’un outil pour parvenir au résultat escompté et non l’ultime objectif à atteindre aux fins du règlement de la question israélo-palestinienne. Cela est particulièrement vrai lorsque des obligations de caractère erga omnes sont en jeu et que l’exigence de bonne foi qui interdit de créer des faits accomplis sur le terrain est continuellement violée par Israël21.
35. Dans la procédure relative à l’Interprétation des traités de paix, la Cour a eu à examiner l’argument selon lequel son avis se substituerait aux mécanismes prévus par lesdits traités et leur
20 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, supra, note 1, p. 160, par. 53.
21 Ibid., opinion individuelle du juge Al-Khasawneh, p. 238-239, par. 13.
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ferait obstacle
22. Or, elle a déclaré que cet avis avait pour but de favoriser l’application des procédures en question « en cherchant à informer l’Assemblée générale »23. De plus, ainsi que cela a été précisé dans la procédure consultative au sujet des Chagos, un avis consultatif n’a pas vocation à apporter des solutions de droit à des différends opposant des États24.
36. Dans la présente procédure, le but de l’avis consultatif, tel qu’il ressort du préambule de la résolution 77/247 de 2022 de l’Assemblée générale, n’est pas d’aboutir à un règlement définitif de la question israélo-palestinienne. À cet égard, il est soutenu dans la demande « qu’il faut de toute urgence inverser les tendances négatives sur le terrain et rétablir un horizon politique qui permette de faire avancer et d’accélérer des négociations constructives visant à conclure un accord de paix »25. Dès lors, l’avis consultatif est sollicité dans le but de faciliter et de faire avancer les négociations en cours, et non d’y faire obstacle.
37. Par conséquent, le prononcé d’un avis consultatif en l’espèce, quelle qu’en soit la teneur, n’entraverait pas les négociations en cours ; cela ne saurait donc constituer une raison décisive devant conduire la Cour à refuser de rendre un tel avis.
2) En tout état de cause, les négociations sont devenues inutiles
38. Plusieurs États estiment que la question israélo-palestinienne devrait continuer de faire l’objet de négociations entre les deux parties en vue de résoudre les problèmes en suspens. Porter la question devant la Cour reflète, selon eux, l’absence « [de prise en compte] de l’existence même des accords israélo-palestiniens, dans lesquels il est précisé que les deux camps sont convenus de régler l’objet du présent différend au moyen de négociations directes ».
39. Tous les processus de paix qui ont vu le jour, sur la base, entre autres, « des résolutions pertinentes des Nations Unies, du mandat de la Conférence de Madrid, notamment du principe de l’échange de territoires contre la paix, de l’Initiative de paix arabe et de la Feuille de route … établie par le Quatuor »26 sont articulés autour du respect du droit international. Leur objectif ultime est de mettre un terme à l’occupation israélienne et de faire respecter le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, conformément aux règles du droit international.
40. Les négociations en cours, si tant est qu’il y en ait, ne sauraient servir de prétexte pour empêcher la Cour de donner l’avis sollicité, ce d’autant moins qu’il est établi qu’une des parties agit au mépris flagrant du droit international27.
22 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, supra, note 2, p. 71.
23 Ibid.
24 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, supra, note 7, p. 117, par. 86 ; Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, supra, note 3, p. 24, par. 32.
25 Voir Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022.
26 Ibid., résolution 69/165 du 10 février 2015.
27 Nations Unies, “Israel continues to disregard ICJ Advisory Opinion on the Wall — High Commissioner for Human Rights — Statement”, https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-204464/, consulté le 4 octobre 2023.
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41. Autant que l’Indonésie puisse en juger, la Palestine et Israël semblent être allés au bout de toutes les véritables tentatives de négocier28. Il n’y a pas eu « de négociations directes depuis la première guerre contre Gaza en 2008 »29. En outre, face au projet d’Israël d’étendre son annexion de la Cisjordanie, le président Mahmoud Abbas a rompu les accords signés avec Israël et les États-Unis d’Amérique30, tandis que le premier ministre Benjamin Netanyahou s’est engagé à ne coopérer avec les Palestiniens que sur les questions de sécurité et rien d’autre31. En résumé, les négociations sont devenues inutiles.
42. Ainsi qu’il a été conclu dans l’affaire relative à l’application de la CIEDR et de la CIRFT, une négociation devenue inutile ou ayant abouti à une impasse peut libérer les parties de l’obligation préalable de négocier32. Dans cette hypothèse, la Palestine et Israël ne devraient pas être contraints d’engager des négociations inutiles et la Cour ne devrait pas se voir empêchée de rendre l’avis sollicité.
D. La complexité et le caractère controversé des faits ne sauraient empêcher la Cour de rendre l’avis demandé
43. Plusieurs États ont estimé dans leurs exposés écrits que les questions « donn[ai]ent une représentation clairement inexacte de l’histoire et de la réalité actuelle du conflit israélo-palestinien », d’autres ayant considéré que le problème posé touchait à des questions factuelles complexes et controversées, ce qui pouvait empêcher la Cour de rendre l’avis consultatif demandé.
44. L’Indonésie rappelle que la Cour internationale de Justice n’a jamais hésité à rendre un avis consultatif, même lorsque les faits soumis à son examen étaient complexes et touchaient à des questions controversées.
45. Lorsqu’elle a à traiter de questions se rapportant ainsi à des points de fait complexes et controversés, la Cour recherche si elle dispose « de renseignements et d’éléments de preuve suffisants pour être à même de porter un jugement ». Dans les avis au sujet des Chagos, du Sahara occidental, du Sud-Ouest africain et sur le mur, elle a toujours estimé que les exposés écrits, les observations écrites ainsi que les éléments présentés au cours de la procédure orale lui permettaient de disposer d’informations suffisantes33. Or, en la présente procédure, 57 exposés écrits ont été
28 Voir, d’une manière générale, Nations Unies, Assemblée générale, résolution 181 (II) du 29 novembre 1947 ; Conseil de sécurité, résolutions 242 du 22 novembre 1967 ; 338 du 22 octobre 1973 ; et 1515 du 19 novembre 2003.
29 The New Arab, “Through grim eyes, Palestinians reflect at 29 years of the Oslo Accords, newarab.com/news/palestinians-reflect-oslo-accords-29-years, consulté le 11 octobre 2023.
30 WAFA, “President Abbas declares end to agreements with Israel, US; turns over responsibility on occupied lands to Israel, https://english.wafa.ps/page.aspx?id=vWPVtFa117154132029avWPVtF, consulté le 11 octobre 2023.
31 CNN, “Netanyahu outlines vision for two-state solution — without Palestinian sovereignty”, https://edition.cnn.com/2023/02/01/middleeast/netanyahu-palestinian-sovereignty-mime-intl/index.htmlm, consulté le 11 octobre 2023.
32 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2019 (II), p. 602, par. 117.
33 Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, supra, note 7, p. 115, par. 74 ; Sahara occidental, supra, note 5, p. 29, par. 47 ; Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, supra, note 3, p. 27, par. 40-41 ; Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, supra, note 1, p. 161-162, par. 57-58.
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présentés au total et d’autres informations sont susceptibles d’être produites dans le cadre des observations écrites et de la procédure orale.
46. En conséquence, la Cour dispose de suffisamment d’éléments de preuve et d’informations pour pouvoir rendre un avis consultatif.
III. CONCLUSION
47. Pour les raisons exposées dans les présentes observations écrites, l’Indonésie soutient respectueusement que la Cour a compétence pour rendre l’avis sollicité par l’Assemblée générale et qu’il n’existe aucune raison décisive pour qu’elle refuse de donner cet avis, étant donné que :
a) rendre un avis en l’espèce ne reviendrait pas à tourner le principe du consentement ;
b) la question posée n’est pas un simple différend bilatéral ;
c) répondre à la question posée ne ferait pas obstacle aux négociations en cours entre la Palestine et Israël ;
d) la complexité et le caractère controversé des faits ne sauraient empêcher la Cour de rendre l’avis demandé.
48. Les présentes observations écrites complètent les arguments développés par l’Indonésie dans l’exposé écrit qu’elle a déposé le 25 juillet 2023. Celle-ci se réserve le droit de répondre à d’autres questions touchant au droit international au cours des prochaines étapes de la présente procédure.
Le directeur général des affaires juridiques
et des traités internationaux,
conseiller juridique,
ministère des affaires étrangères
de la République d’Indonésie,
L. Amrih JINANGKUNG.
___________

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Observations écrites de l'Indonésie

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