Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
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COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
CONSÉQUENCES JURIDIQUES DÉCOULANT DES POLITIQUES ET PRATIQUES D’ISRAËL DANS LE TERRITOIRE PALESTINIEN OCCUPÉ, Y COMPRIS JÉRUSALEM-EST (REQUÊTE POUR AVIS CONSULTATIF)
EXPOSÉ ÉCRIT DE LA RÉPUBLIQUE ISLAMIQUE DU PAKISTAN
25 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
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I. INTRODUCTION ........................................................................................................................... 3
II. COMPÉTENCE DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE POUR RENDRE L’AVIS CONSULTATIF SOLLICITÉ ............................................................................................................ 5
A. Sens de l’expression « questions juridiques » .......................................................................... 5
B. Le pouvoir discrétionnaire de la Cour de donner ou de s’abstenir de donner des avis consultatifs ............................................................................................................................... 6
III. QUESTIONS DE DROIT INTERNATIONAL DÉCOULANT DE LA DEMANDE D’AVIS CONSULTATIF .............................................................................................................................. 7
A. Le droit à l’autodétermination ................................................................................................. 7
B. Le droit relatif à l’emploi de la force jus ad bellum .......................................................... 10
C. L’occupation illicite en tant que question de droit international humanitaire ........................ 12
D. Les lois et mesures discriminatoires et la question de l’apartheid ......................................... 13
i. Définitions juridiques : le crime d’apartheid en droit international .................................. 13
ii. L’apartheid dans le Territoire palestinien occupé ............................................................. 16
E. Les autres violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme ............................................................................................................ 18
i. L’interdiction des transferts forcés ................................................................................... 19
ii. L’interdiction de transférer la population de la puissance occupante dans un territoire occupé ................................................................................................................ 19
iii. Les droits de propriété selon le droit de l’occupation ....................................................... 19
iv. Le droit international des droits de l’homme .................................................................... 20
IV. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DES VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL QUI POURRAIENT ÊTRE CONSTATÉES PAR LA COUR ................................................................. 22
A. Conséquences juridiques de ces violations pour Israël .......................................................... 22
B. Conséquences juridiques pour les autres États ...................................................................... 25
C. Conséquences juridiques pour l’ONU ................................................................................... 29
V. CONCLUSIONS FINALES ............................................................................................................ 30
I. INTRODUCTION
1. Dans sa résolution 77/247 du 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations Unies (ci-après l’« Assemblée générale ») a demandé un avis consultatif à la Cour internationale de Justice (ci-après la « Cour »), lequel est formulé en ces termes :
« [L’Assemblée générale,]
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
18. Décide, conformément à l’Article 96 de la Charte des Nations Unies, de demander à la Cour internationale de Justice de donner, en vertu de l’Article 65 du Statut de la Cour, un avis consultatif sur les questions ci-après, compte tenu des règles et principes du droit international, dont la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité et du Conseil des droits de l’homme et les siennes propres, et l’avis consultatif donné par la Cour le 9 juillet 2004 :
a) Quelles sont les conséquences juridiques de la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967, notamment des mesures visant à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem, et de l’adoption par Israël des lois et mesures discriminatoires connexes ?
b) Quelle incidence les politiques et pratiques d’Israël visées au paragraphe 18 a) ci-dessus ont-elles sur le statut juridique de l’occupation et quelles sont les conséquences juridiques qui en découlent pour tous les États et l’Organisation des Nations Unies ? »1
2. Par son ordonnance du 3 février 2023, la Cour a fixé au 25 juillet 2023 la date d’expiration du délai dans lequel des exposés écrits sur ces questions pourraient lui être présentés2. Elle a décidé que tous les États Membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ainsi que l’État observateur de Palestine étaient admis à présenter des exposés écrits. Elle a également décidé par la suite que la Ligue des États arabes, l’Organisation de la coopération islamique et l’Union africaine étaient autorisées à participer à la procédure consultative3.
3. Le Pakistan dépose le présent exposé écrit conformément à l’ordonnance susmentionnée de la Cour. Cet exposé est structuré de la façon suivante :
a) Dans la section II, la question de la compétence de la Cour est succinctement examinée à la lumière des dispositions du Statut de celle-ci, des précédents et du pouvoir discrétionnaire de
1 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 77/247 du 30 décembre 2022), doc. A/RES/77/247, par. 18.
2 Conséquences juridiques découlant des politiques et pratiques d’Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est (requête pour avis consultatif), ordonnance du 3 février 2023, p. 2.
3 « La Cour autorise la Ligue des États arabes à participer à la procédure » (communiqué de presse no 2023/12, 10 mars 2023) ; « La Cour autorise l’Organisation de la coopération islamique à participer à la procédure » (communiqué de presse no 2023/16, 31 mars 2023) ; « La Cour autorise l’Union africaine à participer à la procédure » (communiqué de presse no 2023/19, 13 avril 2023).
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rendre l’avis consultatif demandé. Le Pakistan est d’avis que la Cour a compétence pour donner cet avis et qu’aucune raison décisive ne l’empêche de le faire.
b) La section III traite des questions de droit international qui découlent de la demande d’avis consultatif soumise par l’Assemblée générale. Elle est consacrée en particulier à l’examen des cinq questions de fond mentionnées ci-après, sur la base des règles et principes du droit international, notamment la Charte des Nations Unies, le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’homme, les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’Assemblée générale, le droit international coutumier et la jurisprudence de la Cour :
i) Premièrement, le droit à l’autodétermination est mis en exergue en tant qu’il constitue l’un des principes fondamentaux du droit international, une norme de jus cogens et un droit erga omnes. Les violations dont Israël se rend coupable4 en privant les Palestiniens de ce droit fondamental par son occupation prolongée ainsi que par l’annexion de facto et de jure du Territoire palestinien occupé5 sont également abordées.
ii) Deuxièmement, à la lumière du droit relatif à l’emploi de la force (jus ad bellum), l’interdiction de recourir à l’emploi de la force et l’inapplicabilité de l’exercice par Israël du droit de légitime défense dans le contexte en cause sont exposées en détail pour mettre en lumière le fait que l’occupation prolongée du territoire palestinien par Israël constitue une violation grave des principes du droit international.
iii) Troisièmement, l’occupation illicite étant considérée comme une question relevant du droit international humanitaire, des précisions sont fournies sur le non-respect par Israël de ses obligations juridiques en tant que puissance occupante.
iv) Quatrièmement, les lois et mesures discriminatoires et la question de l’apartheid sont examinées de manière approfondie, en s’attardant sur la définition juridique de l’apartheid, sur la reconnaissance de son interdiction en tant que norme impérative (jus cogens) et du fait qu’il constitue un crime contre l’humanité, et sur le crime d’apartheid qui est commis dans le Territoire palestinien occupé au vu des actes inhumains commis par Israël dans l’intention d’instituer ou d’entretenir la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens, dans le contexte d’un régime institutionnalisé de discrimination raciale et d’oppression systématiques.
v) Cinquièmement, d’autres violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme sont abordées — à savoir les politiques et actes illicites d’Israël consistant à transférer sa population vers le territoire occupé, à en expulser de force des personnes protégées, et à y confisquer et démolir des biens — afin de souligner que l’établissement de colonies illicites par Israël en vue de changer la composition et le caractère démographiques du Territoire palestinien occupé est contraire à la quatrième convention de Genève et aux traités universels relatifs aux droits de l’homme qui demeurent également applicables dans les conflits armés.
c) La section IV traite en détail des conséquences juridiques qui découlent, pour Israël, pour tous les autres États et pour l’ONU, de la violation par ce dernier du droit international dans le Territoire palestinien occupé. Il est fait valoir qu’Israël, compte tenu de ses violations de normes de jus cogens (emploi de la force, déni du droit à l’autodétermination, occupation prolongée, lois discriminatoires, colonies illicites visant à modifier la démographie du Territoire palestinien occupé, etc.), est tenu de cesser son comportement internationalement illicite et de fournir réparation pour le préjudice causé au peuple palestinien. Les violations de normes de jus cogens
4 Le Gouvernement du Pakistan ne reconnaît pas l’État d’Israël.
5 Le Territoire palestinien occupé couvre Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est, qui sont sous le contrôle et le siège effectifs du Gouvernement et de l’armée israéliens.
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par Israël créent pour tous les États une obligation erga omnes de coopérer les uns avec les autres et avec l’ONU pour mettre fin à ce comportement. Elles engendrent également une obligation erga omnes partes pour tous les États, laquelle non seulement impose de condamner les actions israéliennes dans le Territoire palestinien occupé ainsi que de ne pas les reconnaître et de ne pas y prêter assistance, mais prescrit aussi de condamner et ne pas reconnaître la reproduction des modèles israéliens dans d’autres situations similaires d’un point de vue factuel et juridique.
d) La section V énonce les conclusions finales du Pakistan, qui correspondent à ce que celui-ci prie la Cour de dire dans sa réponse à la demande d’avis consultatif soumise par l’Assemblée générale.
4. Le Pakistan se réserve le droit d’examiner d’autres questions de fond relevant du droit international, notamment en ce qui concerne les conséquences juridiques que la situation à l’examen entraîne pour tous les États, dans ses observations écrites sur les exposés présentés par d’autres États et organisations internationales, ainsi que pendant la procédure orale qui suivra.
II. COMPÉTENCE DE LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE POUR RENDRE L’AVIS CONSULTATIF SOLLICITÉ
5. L’article 96 de la Charte des Nations Unies confère au Conseil de sécurité et à l’Assemblée générale le pouvoir de demander à la Cour un avis consultatif sur « toute question juridique ». Ainsi que cela sera exposé ci-après, compte tenu des précédents et de la pratique antérieure de la Cour, celle-ci a compétence pour rendre l’avis sollicité. Les questions qui ont été portées devant elle sont de nature juridique et s’inscrivent dans un cadre plus large que celui d’un différend bilatéral ; rendre un avis n’aurait donc pas pour effet de tourner le principe du consentement.
6. Le premier paragraphe de l’article 65 du Statut de la Cour confère à celle-ci le pouvoir de rendre l’avis consultatif sollicité ; il est formulé comme suit : « La Cour peut donner un avis consultatif sur toute question juridique, à la demande de tout organe ou institution qui aura été autorisé par la Charte des Nations Unies ou conformément à ses dispositions à demander cet avis. »
7. L’article 96 de la Charte des Nations Unies pose comme condition à la compétence de la Cour pour rendre un avis consultatif que l’objet de celui-ci soit une question de nature juridique, et ce, que la demande émane de l’Assemblée générale, du Conseil de sécurité ou d’autres organes de l’ONU. Il convient donc de définir ce que l’on entend par « question juridique », critère qui confère compétence à la Cour pour rendre des avis consultatifs. Cela requiert d’examiner l’étendue du pouvoir discrétionnaire qu’a la Cour de décider de rendre ou de ne pas rendre un avis.
8. Il peut être déduit du texte de l’article 65 du Statut de la Cour que celle-ci peut s’abstenir de rendre un tel avis, même lorsque les conditions pour le solliciter sont réunies. En l’espèce, la Cour pourra souhaiter rechercher si les questions au sujet desquelles l’Assemblée générale a sollicité son avis dans la résolution 77/247 du 30 décembre 2022 sont ou non des questions juridiques.
A. Sens de l’expression « questions juridiques »
9. Les questions se rapportant entre autres à la situation des droits de l’homme, à l’autodétermination et à l’emploi de la force dans le Territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967, en ce compris les conséquences juridiques des pratiques israéliennes dans ledit territoire, relèvent clairement des pouvoirs que l’article 10 de la Charte des Nations Unies confère expressément à l’Assemblée générale et sont, comme il se doit, libellées comme des questions de nature juridique dans la résolution 77/247 du 30 décembre 2022.
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10. Il ressort de la pratique constante de la Cour relative à sa fonction consultative que celle-ci a rejeté les objections qui avaient été soulevées quant à sa compétence, au motif que les questions étaient de nature politique et non juridique.
11. Dans l’avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé (ci-après l’« avis consultatif sur l’édification d’un mur »)6 et dans l’avis consultatif au sujet de l’Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, la Cour a ainsi précisé que le fait qu’une question juridique présente également des aspects politiques ne suffisait pas à la priver de son caractère de « question juridique » et à « enlever à la Cour une compétence qui lui [était] expressément conférée par son Statut ».
B. Le pouvoir discrétionnaire de la Cour de donner ou de s’abstenir de donner des avis consultatifs
12. Au regard de l’article 65 de son Statut, la Cour peut refuser de donner un avis relevant de sa compétence pour protéger l’intégrité de sa fonction judiciaire7. Cependant, la Cour a également décrit ses avis consultatifs comme constituant sa « participation … à l’action de l’Organisation [des Nations Unies] » ; ainsi, « en principe », la Cour ne refuse pas une telle participation sauf si des « raisons décisives » l’amènent à opposer un tel refus8. L’une de ces raisons décisives est « le défaut de consentement d’un État intéressé », qui « peut … rendre le prononcé d’un avis consultatif incompatible avec le caractère judiciaire de la Cour »9, ou « aurait pour effet de tourner le principe selon lequel un État n’est pas tenu de soumettre un différend au règlement judiciaire s’il n’est pas consentant »10.
13. La Cour n’a jamais refusé de répondre à une demande d’avis consultatif pour des considérations d’irrégularité de procédure, même lorsque ladite demande était liée à des différends existants11. Elle a limité la pertinence du consentement dans les procédures consultatives en considérant que les questions qui y étaient soulevées se situaient « dans un cadre bien plus large »12.
6 Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 136.
7 Avis consultatif sur l’édification d’un mur et Effets juridiques de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice en 1965, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 97 (ci-après l’« avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos »).
8 Avis consultatif sur l’édification d’un mur, par. 44 ; et avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, par. 91.
9Sahara occidental, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1975, par. 33 (ci-après l’« avis consultatif au sujet du Sahara occidental »).
10 Ibid.
11 Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte ; Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité (ci-après l’« avis consultatif au sujet de la Namibie ») ; avis consultatif au sujet du Sahara occidental ; Applicabilité de la section 22 de l’article VI de la convention sur les privilèges et immunités des Nations Unies ; avis consultatif sur l’édification d’un mur ; et avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos.
12 Dans l’avis consultatif au sujet du Sahara occidental, la Cour a indiqué que les questions juridiques dont elle était saisie se situaient « dans un cadre plus large que celui du règlement d’un différend particulier et englob[aient] d’autres éléments », p. 26, par. 38.
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III. QUESTIONS DE DROIT INTERNATIONAL DÉCOULANT DE LA DEMANDE D’AVIS CONSULTATIF
14. La présente section sera consacrée à cinq questions de fond, en formulant pour chacune les éléments pouvant découler de la demande de l’Assemblée générale. Ces questions sont les suivantes :
A. le droit à l’autodétermination ;
B. le droit relatif à l’emploi de la force jus ad bellum ;
C. l’occupation illicite en tant que question de droit international humanitaire ;
D. les lois et mesures discriminatoires et la question de l’apartheid ; et
E. les autres violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme.
A. Le droit à l’autodétermination
15. La question principale que l’Assemblée générale a adressée à la Cour concerne les conséquences juridiques de « la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination » du fait, entre autres, « de son occupation, de sa colonisation et de son annexion prolongées du territoire palestinien occupé depuis 1967 ».
16. Dans l’avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, la Cour a indiqué ce qui suit :
« La nature et la portée du droit des peuples à l’autodétermination … ont été réitérées dans la [déclaration sur les relations amicales] … En incluant le droit à l’autodétermination parmi les “principes fondamentaux du droit international”, la déclaration a confirmé son caractère normatif en droit international coutumier »13.
17. Dans l’avis relatif à l’édification d’un mur, la Cour a jugé que la « construction [du mur], s’ajoutant aux mesures prises antérieurement, dress[ait] ainsi un obstacle grave à l’exercice par le peuple palestinien de son droit à l’autodétermination et viol[ait] de ce fait l’obligation incombant à Israël de respecter ce droit ».
18. Dans l’avis sur l’édification d’un mur, la Cour a en outre observé ce qui suit :
« La Cour rappellera qu[e, dans sa jurisprudence,] elle a souligné que l’évolution actuelle du “droit international à l’égard des territoires non autonomes, tel qu’il est consacré par la Charte des Nations Unies, a fait de l’autodétermination un principe applicable à tous ces territoires” [et] qu’aujourd’hui le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un droit opposable erga omnes ».
13 Avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, p. 133, par. 155.
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19. Dans l’affaire relative au Timor oriental (Portugal c. Australie), la Cour a noté que « [l]e principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a[vait] été reconnu par la Charte des Nations Unies et dans la jurisprudence de la Cour »14.
20. Le paragraphe 2 de l’article 1 et l’article 55 de la Charte des Nations Unies — consacrés au « principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes » —, ainsi que l’article premier commun au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, reconnaissent que l’autodétermination est un droit de l’homme collectif. Dans la déclaration relative aux principes du droit international conformément à la Charte des Nations Unies (ci-après la « déclaration sur les relations amicales »), l’Assemblée générale a affirmé ce qui suit :
« En vertu du principe de 1’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, principe consacré dans la Charte des Nations Unies, tous les peuples ont le droit de déterminer leur statut politique, en toute liberté et sans ingérence extérieure, et de poursuivre leur développement économique, social et culturel. »15
Elle a également affirmé que le fait de « soumettre des peuples à la subjugation, à la domination ou à l’exploitation étrangères constitu[ait] une violation de ce principe, ainsi qu’un déni des droits fondamentaux de l’homme, et [était] contraire à la Charte »16.
21. L’application à la Palestine du principe susmentionné de l’égalité de droits ne fait plus l’objet d’aucune contestation. Ledit principe a également été inscrit dans les résolutions suivantes de l’Assemblée générale : résolutions 181 (II) du 29 novembre 1947 ; 2535 B (XXIV) du 10 décembre 1969 ; 2649 (XXV) du 30 novembre 1970 ; 2672 C (XXV) du 8 décembre 1970 ; 3236 (XXIX) du 22 novembre 1974 ; et 58/163 du 22 décembre 2003 ; ainsi que dans les résolutions ci-après du Conseil de sécurité de l’ONU : résolutions 242 (1967) du 22 novembre 1967, confirmée par la résolution 338 (1973) du 22 octobre 1973 ; 1397 (2002) du 12 mars 2002 ; 1515 (2003) du 19 novembre 2003.
22. Deux considérations juridiques essentielles doivent être prises en compte lorsqu’il est question d’une violation du droit à l’autodétermination due à l’illicéité d’une occupation :
i) une occupation prolongée, assortie d’annexions de facto et de jure et de diverses violations du droit international humanitaire, constitue une violation du droit à l’autodétermination. Ces violations, considérées dans leur ensemble, indiquent en outre que les critères de nécessité militaire et de proportionnalité qui conditionnent la légitime défense ne sont plus satisfaits, ce qui rend l’occupation illicite selon le jus ad bellum ;
ii) une violation du droit à l’autodétermination atteste à elle seule l’illicéité de l’occupation. Le fait que l’« occupation » prenne un caractère établi viole le droit à l’autodétermination et rend l’« occupation » illicite.
14 Voir également avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 31-32, par. 52-53 ; avis consultatif au sujet du Sahara occidental, p. 31-33, par. 54-59.
15 Nations Unies, Assemblée générale, « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies », doc. A/RES/2625 (XXV), 24 octobre 1970.
16 Ibid.
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23. Une occupation prolongée viole le droit à l’autodétermination du peuple sous occupation. Il ressort clairement des résolutions de l’Assemblée générale mentionnées au paragraphe [21] ci-dessus que le caractère illicite de l’occupation était considéré comme découlant d’un acte continu d’agression. L’Assemblée générale a adopté nombre de résolutions dans lesquelles elle exigeait le « retrait … inconditionnel et total » d’Israël. Cela signifie bien que ce retrait ne saurait faire l’objet de négociations, mais qu’il correspond à la cessation d’un acte internationalement illicite.
24. En ce qui concerne la responsabilité de l’État, le commentaire de la Commission du droit international mentionne l’interdiction de reconnaître, que ce soit officiellement ou par des actes impliquant une telle reconnaissance, une « tentative d’acquisition de la souveraineté sur un territoire par le biais du déni du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »17. Toute mesure de coercition qui priverait les peuples de leur droit à l’autodétermination est prohibée par la déclaration sur les relations amicales. Par conséquent, tout recours à la force visant à dénier le droit à l’autodétermination constitue un recours illicite à la force.
25. Dans la procédure consultative au sujet de la Namibie, après que l’Assemblée générale eut formellement mis fin au mandat pour le Sud-Ouest africain en 1966, reconnaissant ce dernier (plus tard rebaptisé « Namibie ») comme un territoire disposant d’un statut international en attendant la reconnaissance de sa pleine indépendance, la Cour avait noté que, dans la Charte des Nations Unies, la notion de « mission sacrée » avait été étendue à tous les « territoires dont les populations ne s’administr[ai]ent pas encore complètement elles-mêmes » et que les territoires sous « régime colonial » conservaient le droit à l’autodétermination. La Cour avait déterminé que « la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie étant illégale, l’Afrique du Sud a[vait] l’obligation de retirer immédiatement son administration de la Namibie et de cesser ainsi d’occuper le territoire »18.
26. En dehors du caractère prolongé d’une occupation, le droit à l’autodétermination est également violé lorsque la puissance occupante annexe tout ou partie du territoire occupé. Aux termes de la déclaration sur les relations amicales,
« [l]e territoire d’une colonie ou d’un autre territoire non autonome possède, en vertu de la Charte, un statut séparé et distinct de celui du territoire de l’État qui l’administre ; ce statut séparé et distinct en vertu de la Charte existe aussi longtemps que le peuple de la colonie ou du territoire non autonome n’exerce pas son droit à disposer de lui-même »19.
27. Ce principe signifie que le Territoire palestinien occupé a un statut séparé de celui d’Israël et que ce statut distinct doit être maintenu jusqu’à ce que le peuple palestinien exerce son droit à l’autodétermination. Toute annexion de territoire constituerait clairement une violation de l’obligation de maintenir ce statut séparé et distinct.
28. Il y a lieu de noter qu’une annexion violant le droit à l’autodétermination peut prendre différentes formes, dont la plus manifeste serait une tentative d’annexer un territoire occupé de jure. Il peut cependant aussi y avoir violation du droit à l’autodétermination en cas d’annexion de facto
17 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-troisième session, 2001 (ci-après le « projet d’articles sur la responsabilité de l’État »), p. 309.
18 Avis consultatif au sujet de la Namibie, p. 58, par. 133, point 1.
19 Déclaration sur les relations amicales.
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par la puissance occupante. Dans l’avis consultatif sur l’édification d’un mur, la Cour a ainsi indiqué qu’elle
« estim[ait] que la construction du mur et le régime qui lui [étai]t associé cré[ai]ent sur le terrain un “fait accompli” qui pourrait fort bien devenir permanent, auquel cas, et nonobstant la description officielle qu’Israël donn[ait] du mur, la construction de celui-ci équivaudrait à une annexion de facto ».
29. L’occupation prolongée par un État d’un territoire étranger et de son peuple constitue, de ce simple fait, une violation du droit à l’autodétermination. Dans les situations d’occupation, le peuple occupé est en effet privé de la capacité de déterminer son propre statut politique et de se consacrer à son développement économique, social et culturel. Comme l’a précisé un éminent juge et auteur, « il y a subjugation, domination et exploitation étrangères lorsqu’une puissance, quelle qu’elle soit, domine le peuple d’un territoire étranger par le recours à la force »20. Et de poursuivre en expliquant que,
« si cela est correct, le droit à l’autodétermination est violé dès lors qu’il y a invasion militaire ou occupation belligérante d’un territoire étranger, sauf lorsque l’occupation bien qu’illicite est de très courte durée ou qu’elle a pour seul but de repousser, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations Unies, une agression armée initiée par la puissance vaincue et n’est donc pas prolongée ».
30. Enfin, ainsi que cela a déjà été indiqué, même sans annexion, une occupation qui revêt un caractère de permanence ou de fait accompli et qui est prolongée au sens où elle dure plus longtemps qu’il ne saurait être justifié par le droit relatif à l’emploi de la force, emportera violation du droit à l’autodétermination.
B. Le droit relatif à l’emploi de la force jus ad bellum
31. La question posée à la Cour par l’Assemblée générale à l’alinéa a) se rapporte à « la violation persistante par Israël du droit du peuple palestinien à l’autodétermination, de son occupation … prolong[ée] » (les italiques sont de nous).
32. L’interdiction de l’emploi de la force s’applique aux relations entre Israël et la Palestine. Israël a l’obligation, au regard du droit international coutumier, de ne pas recourir à l’emploi de la force contre les Palestiniens. Il est courant de considérer cette obligation imposée par le droit international coutumier comme étant identique à celle énoncée au paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies. Dans l’avis consultatif sur l’édification d’un mur, la Cour a indiqué ce qui suit :
« La Cour rappellera tout d’abord que, selon le paragraphe 4 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies : “Les Membres des Nations Unies s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies”. »
33. Une occupation, notamment si elle résulte d’une invasion ou d’une attaque, constitue un emploi de la force qui se perpétue. Pour autant que des arguments de légitime défense sont invoqués
20 A. Cassese, Self-Determination of Peoples: A Legal Appraisal (Cambridge University Press, 1995), p. 99.
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pour revendiquer la licéité de l’occupation, cette dernière doit tout de même respecter les principes de nécessité et de proportionnalité du droit international coutumier.
34. Dans l’avis sur l’édification d’un mur, la Cour a constaté que
« [l]’article 51 de la Charte reconna[issai]t ainsi l’existence d’un droit naturel de légitime défense en cas d’agression armée par un État contre un autre État. Toutefois Israël ne prétend pas que les violences dont il est victime soient imputables à un État étranger. La Cour note par ailleurs qu’Israël exerce son contrôle sur le territoire palestinien occupé et que, comme Israël l’indique lui-même, la menace qu’il invoque pour justifier la construction du mur trouve son origine à l’intérieur de ce territoire, et non en dehors de celui-ci. Cette situation est donc différente de celle envisagée par les résolutions 1368 (2001) et 1373 (2001) du Conseil de sécurité, et de ce fait Israël ne saurait en tout état de cause invoquer ces résolutions au soutien de sa prétention à exercer un droit de légitime défense. En conséquence, la Cour conclut que l’article 51 de la Charte est sans pertinence au cas particulier. »
35. L’Assemblée générale a précisé que « [l]’agression [était] l’emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies »21. Et d’ajouter que « toute occupation militaire, même temporaire, résultant d’une telle invasion ou d’une telle attaque »22 réunit les conditions d’un acte d’agression. Étant donné que tous les actes d’agression sont constitutifs d’un emploi de la force, il s’ensuit nécessairement qu’une occupation militaire est constitutive d’un emploi de la force.
36. Étant donné qu’il se fonde sur l’hypothèse que l’occupation est temporaire et que le territoire occupé doit être rendu à la puissance souveraine évincée, le droit de l’occupation interdit à la puissance occupante de traiter ce dernier comme s’il s’agissait d’une partie de son propre territoire. En conséquence, l’emploi de la force armée dans le territoire occupé ne saurait être considéré comme un emploi interne de la force armée23.
37. L’interdiction vaut également pour un emploi de la force « de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes étant mentionné au paragraphe 2 de l’article 1 de la Charte des Nations Unies comme l’un des buts des Nations Unies, il est permis de considérer qu’un emploi de la force qui prive un peuple de son droit à l’autodétermination est contraire à la Charte, même si l’entité contre laquelle la force est employée n’est pas un État. Dans la déclaration sur les relations amicales, l’Assemblée générale, en interprétant l’interdiction de l’emploi de la force, proclame que « [t]out État a le devoir de s’abstenir de recourir à toute mesure de coercition qui priverait de leur droit à l’autodétermination, à la liberté et à l’indépendance les peuples mentionnés dans la formulation du principe de l’égalité de droits et de leur droit à disposer d’eux-mêmes ».
21 Nations Unies, Assemblée générale, résolution 3314 (XXIX), intitulée « Définition de l’agression », adoptée par consensus en 1974 (art. premier).
22 Ibid., art. 3, al. a).
23 M. Longobardo, The Use of Armed Force in Occupied Territory (Cambridge University Press, 2018), p. 112.
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C. L’occupation illicite en tant que question de droit international humanitaire
38. La présente sous-section porte sur le comportement des États dans le contexte de l’occupation. Le droit de l’occupation est régi par le droit international humanitaire tel que codifié dans les conventions de Genève. Il peut être utile de se pencher sur la question de savoir si l’illicéité d’une occupation découle « intrinsèquement » du droit international humanitaire c’est-à-dire sans qu’il soit fait référence à d’autres branches du droit international.
39. Il est d’usage de commencer par préciser que l’occupation est un phénomène factuel. Ainsi que cela est énoncé à l’article 42 du règlement annexé à la quatrième convention de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre de 1907 (ci-après le « règlement de La Haye de 1907 »), il y a occupation à partir du moment où un territoire « se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie ». L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer. Le règlement de La Haye de 1907 (articles 42 à 56) et la quatrième convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre signée le 12 août 1949 (ci-après la « quatrième convention de Genève », articles 27 à 34 et 47 à 78) traitaient de l’occupation en temps de guerre et recensaient les pouvoirs de la puissance occupante, les droits et les devoirs des personnes se trouvant dans le territoire occupé, ainsi que les obligations de la puissance occupante à l’égard de ces dernières.
40. Dans l’avis consultatif sur l’édification d’un mur, s’agissant de l’applicabilité des conventions de Genève et du règlement de La Haye à la Palestine ou au territoire palestinien occupé, la Cour a indiqué ce qui suit :
« La Cour relèvera que, selon le premier alinéa de l’article 2 de la quatrième convention de Genève, … dès lors que deux conditions sont remplies : existence d’un conflit armé (que l’état de guerre ait ou non été reconnu) ; survenance de ce conflit entre deux parties contractantes …, la convention s’applique[,] en particulier dans tout territoire occupé au cours d’un tel conflit par l’une des parties contractantes. Le deuxième alinéa de l’article 2 [, qui a trait à l’“occupation du territoire d’une Haute Partie contractante”,] n’a pas pour objet de restreindre le champ d’application de la convention ainsi fixé par l’alinéa premier, en excluant … les territoires qui ne relèveraient pas de la souveraineté de l’une des parties contractantes [mais] seulement [de] préciser que, même si l’occupation opérée au cours du conflit a eu lieu sans rencontrer de résistance militaire, la convention demeure applicable. »
41. Conformément aux articles 46, 53 et 55 du règlement de La Haye de 1907, le droit international humanitaire impose à Israël des obligations juridiques spécifiques en ce qui concerne l’intégrité territoriale des terres occupées et les biens publics et privés. Ces obligations ont été énoncées et répétées à maintes reprises dans des résolutions du Conseil de sécurité24, lequel a demandé au Gouvernement israélien de respecter et d’appliquer les dispositions de la quatrième convention de Genève, ainsi que les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, et réaffirmé la nécessité impérieuse de mettre un terme à l’occupation prolongée des territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967, y compris Jérusalem.
24 Résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU : résolutions 242 (1967) du 22 novembre 1967 ; 267 (1969) du 3 juillet 1969 ; 298 (1971) du 25 septembre 1971 ; 338 (1973) du 22 octobre 1973 ; 446 (1979) du 22 mars 1979 ; 452 (1979) du 20 juillet 1979 ; 465 (1980) du 1er mars 1980 ; 467 (1980) du 30 juin 1980 ; 478 (1980) du 20 août 1980 ; 904 (1994) du 18 mars 1994 ; 1073 (1996) du 28 septembre 1996 ; 1397 (2002) du 12 mars 2002 et 1515 (2003) du 19 novembre 2003.
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D. Les lois et mesures discriminatoires et la question de l’apartheid
42. La quatrième question de fond découle de « l’adoption par Israël d[e] lois et mesures discriminatoires connexes ». À cet égard, le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme imposent aux puissances occupantes des obligations de non-discrimination.
43. S’agissant du droit international humanitaire, il interdit toute « distinction de caractère défavorable dans l’application du droit international humanitaire » pour un ensemble de motifs prohibés25. S’agissant du droit international des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels imposent l’un et l’autre des obligations de non-discrimination aux États parties26. Israël est partie à ces deux pactes, ainsi qu’à un certain nombre d’autres traités internationaux relatifs aux droits de l’homme, dont la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ci-après la « CIEDR »)27. En outre, dans l’avis consultatif sur l’édification d’un mur, la Cour a confirmé l’applicabilité extraterritoriale des deux pactes, ainsi que leur applicabilité aux territoires occupés28.
44. L’apartheid est interdit au regard du droit international coutumier, mais aussi aux termes de l’article 3 de la CIEDR, l’un et l’autre étant contraignants pour Israël. Le terme « apartheid », qui figure dans cette disposition mais n’est pas défini dans la CIEDR, l’est en revanche dans la convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (ci-après la « convention contre l’apartheid »).
i. Définitions juridiques : le crime d’apartheid en droit international
45. La définition de l’apartheid requiert que les actes énumérés dans la convention contre l’apartheid soient pratiqués dans le cadre d’un régime institutionnalisé de discrimination raciale et d’oppression systématiques. Ainsi que cela sera détaillé ci-après, l’occupation israélienne s’est accompagnée de la mise en place de cadres et institutions juridiques permettant directement des violations généralisées des droits de l’homme des Palestiniens et réprimant l’exercice des droits civils et politiques de ces derniers. Ces cadres et institutions, en même temps que les politiques de long terme de confiscation de terres et de dépossession, de restriction de la liberté de circulation des Palestiniens et d’expansion des colonies israéliennes illicites, ont systématiquement pour but de favoriser et d’entretenir la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens. Dans ce contexte, les politiques et actions menées par Israël dans les territoires palestiniens occupés, loin de constituer des incidents isolés, se caractérisent plutôt par la mise en oeuvre systématique de lois, de politiques et d’institutions visant à entériner un double régime juridique, lequel consolide le contrôle d’Israël sur les Palestiniens et la suppression des droits de ces derniers en tant que groupe, tout en privilégiant
25 J.-M. Henckaerts et L. Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles, « Règle 88 », CICR, 2006, accessible à l’adresse suivante : https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/other/ icrc_001_pcustom.pdf.
26 Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ouvert à la signature le 19 décembre 1966, entré en vigueur le 23 mars 1976), Recueil des traités des Nations Unies (RTNU), vol. 999, p. 171, art. 26 ; Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (ouvert à la signature le 19 décembre 1966, entré en vigueur le 3 janvier 1976), RTNU, vol. 993, p. 3, art. 2 2). Israël a ratifié ces deux instruments le 3 octobre 1991.
27 Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, entrée en vigueur le 4 janvier 1969 et ratifiée par Israël le 3 janvier 1979. Pami les autres traités auxquels est partie Israël, selon le Recueil des traités des Nations Unies, figurent la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (ouverte à la signature le 1er mars 1980, entrée en vigueur le 4 janvier 1969), RTNU, vol. 660, p. 195, et la convention relative aux droits de l’enfant (adoptée le 20 novembre 1989, entrée en vigueur le 2 septembre 1990), RTNU, vol. 1577, p. 3, toutes deux ratifiées par Israël le 3 octobre 1991.
28 Avis consultatif sur l’édification d’un mur, p. 177, par. 102-103.
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les intérêts des communautés de colons israéliens juifs et en favorisant leur croissance et leur expansion.
46. Si le terme d’« apartheid » a été employé et appliqué, à l’origine, dans le contexte sud-africain, le crime d’apartheid est bien établi en droit international et est considéré comme étant d’application universelle. Il est interdit tant au regard du droit international coutumier que du droit conventionnel.
47. L’analyse du crime d’apartheid qui est faite dans le présent exposé repose sur les définitions énoncées dans la convention contre l’apartheid et ne prend en considération que les actes qui satisfont aux critères des deux instruments. La convention précitée définit le crime d’apartheid comme « les politiques et pratiques semblables de ségrégation et de discrimination raciales, telles qu’elles sont pratiquées en Afrique australe », ce qui inclut « les actes inhumains … commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci »29.
48. Le droit international coutumier reconnaît l’apartheid comme une norme impérative (jus cogens) et interdit le crime d’apartheid. Le rapporteur spécial de la Commission du droit international, dans le quatrième rapport sur les normes impératives du droit international général, a ainsi reconnu l’interdiction de l’apartheid comme norme impérative du droit international général, à laquelle aucune dérogation n’est permise30. Les pratiques d’apartheid commises dans le contexte d’un conflit armé constituent également une violation grave du protocole additionnel I aux conventions de Genève de 1949 (ci-après le « protocole additionnel I »), lequel, nonobstant le fait qu’Israël n’y est pas partie, est largement considéré comme faisant partie du droit international coutumier31.
49. L’interdiction de l’apartheid est également codifiée à l’article 3 de la CIEDR, qu’Israël et la Palestine ont l’un et l’autre ratifiée. Aux termes de cette disposition, les États « s’engagent à prévenir, à interdire et à éliminer sur les territoires relevant de leur juridiction toutes les pratiques de cette nature ». En bref, bien qu’Israël ne soit pas partie à la convention contre l’apartheid ni au protocole additionnel I, l’interdiction du crime d’apartheid s’étend à ses lois, politiques et pratiques dans le Territoire palestinien occupé.
50. En outre, l’applicabilité du droit international humanitaire dans le Territoire palestinien occupé du fait de l’occupation de celui-ci par Israël depuis des décennies ne se substitue pas à l’applicabilité du droit international des droits de l’homme ou de l’interdiction de l’apartheid. Ainsi
29 Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid, art. 2.
30 Nations Unies, Commission du droit international, quatrième rapport sur les normes impératives du droit international général (jus cogens) présenté par Dire Tladi, rapporteur spécial, 2019, doc. A/CN.4/727, par. 94.
31 Voir J.-M. Henckaerts et L. Doswald-Beck, Droit international humanitaire coutumier, Volume I : Règles, « Règle 88 », CICR, 2006, accessible à l’adresse suivante : https://www.icrc.org/fr/doc/assets/files/other/icrc_001 _pcustom.pdf (« Selon la pratique des États, cette règle [interdisant toute distinction de caractère défavorable dans l’application du droit international humanitaire fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou la croyance, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou une autre situation, ou tout autre critère analogue] constitue une norme de droit international coutumier applicable dans les conflits armés tant internationaux que non internationaux. »)
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que la Cour l’a indiqué dans l’affaire des Activités armées sur le territoire du Congo, ces deux branches du droit sont applicables en temps de conflit armé
32.
51. Le Comité des droits de l’homme a adopté une approche similaire, estimant que « ces deux sphères du droit [le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme] ne s’exclu[ai]ent pas mutuellement mais [étaient] complémentaires »33. Aux fins de la présente analyse, il importe de relever le statut de norme impérative de l’interdiction de l’apartheid, et le fait que celle-ci est également consacrée par le droit international humanitaire dans le protocole additionnel I.
52. Le crime contre l’humanité qu’est l’apartheid implique donc : i) des actes inhumains ; ii) commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial sur un autre ; et ce, iii) dans le cadre d’un régime institutionnalisé de discrimination raciale et d’oppression systématiques. L’article 2 de la convention contre l’apartheid dresse la liste des « actes inhumains » susceptibles de constituer des actes d’apartheid, lorsqu’ils sont commis de façon systématique en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial sur un autre.
53. Les Palestiniens constituent un groupe racial distinct aux fins de la définition de l’apartheid en droit international34. L’interprétation de l’expression « groupe racial » en droit international a évolué en s’écartant de la catégorisation classique de « race » pour recouvrir une conception plus large du groupe pouvant faire l’objet de discrimination. En l’absence de définition claire de l’expression « groupe racial » dans la convention contre l’apartheid, il peut être utile de recourir à la jurisprudence des tribunaux internationaux35 et au droit international des droits de l’homme afin d’en préciser le sens.
54. La CIEDR, à laquelle il est fait référence dans le préambule de la convention contre l’apartheid, fournit des indications supplémentaires pour interpréter l’expression « groupe racial ». Elle donne de la « discrimination raciale » une définition large, qui intègre une compréhension subjective similaire à celle utilisée par les tribunaux pénaux internationaux. Dans sa définition de l’expression, l’article premier de la CIEDR précise ainsi que la « race » n’est pas le seul indicateur de la discrimination raciale, cette dernière pouvant viser « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique ». Dans son examen du rapport d’Israël de 2019, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’est dit extrêmement préoccupé par les conséquences des politiques et des pratiques qui s’apparentent à une ségrégation de fait, et a engagé instamment Israël à « éradiquer toutes les formes de ségrégation entre les communautés juives et non juives » et à « prendre immédiatement des mesures destinées à interdire et éradiquer toutes politiques ou pratiques ayant des conséquences lourdes et disproportionnées pour la population palestinienne dans le Territoire palestinien occupé », estimant
32 Voir Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt, C.I.J. Recueil 2005, p. 242-245, par. 215-221.
33 Voir Nations Unies, observation générale no 36 (2019) sur l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques : « droit à la vie », doc. CCPR/C/GC/36.
34 Pour une analyse de la question des « groupes raciaux » dans le contexte israélo-palestinien, voir J. Dugard et J. Reynolds, « Apartheid, International Law, and the Occupied Palestinian Territory », European Journal of International Law, vol. 24, no 3, août 2013, p. 885.
35 Dans l’affaire Le Procureur c. Rutaganda, le TPIR a jugé que, aux fins de la convention contre le génocide, l’appartenance à un groupe devait s’entendre comme « une notion plus subjective qu’objective », selon laquelle « [l]a victime est perçue par l’auteur du crime de génocide comme appartenant au groupe dont la destruction est visée ». Dans l’affaire Le Procureur c. Blagojević et Jokić, le TPIY a jugé qu’« un groupe national, ethnique, racial ou religieux [était] défini en ayant recours au critère de stigmatisation dudit groupe, notamment par les auteurs du crime, sur la base de ses traits nationaux, ethniques, raciaux ou religieux perçus » (les italiques sont de nous).
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que celles-ci enfreignaient les dispositions des paragraphes 2 et 3 de l’article premier et de l’article 3 de la CIEDR
36.
55. Enfin, il convient également de relever que le droit israélien interprète le terme « race » de manière large, étendant la définition du racisme aux actes commis contre certaines parties de la population en raison de leur origine nationale37.
ii. L’apartheid dans le Territoire palestinien occupé
56. Pour déterminer si l’apartheid est avéré dans le Territoire palestinien occupé, il convient d’établir si Israël, par son occupation, a ou non commis : i) un ou des actes inhumains ; ii) en vue d’instituer ou d’entretenir la domination des Israéliens juifs sur les Palestiniens ; iii) dans le cadre d’un régime institutionnalisé de discrimination raciale et d’oppression systématiques.
57. La mise en oeuvre par Israël d’un double système juridique dans le Territoire palestinien occupé, ainsi que la discrimination systématique contre les Palestiniens et la sujétion de leurs droits civils et politiques à ceux des citoyens israéliens juifs installés dans le Territoire palestinien occupé qui en résultent, constituent une violation de l’interdiction de l’apartheid consacrée par le droit international.
58. Il ressort de l’examen des lois et pratiques israéliennes pertinentes que les autorités israéliennes sont responsables de la commission de plusieurs actes inhumains tels que définis à l’article 2 de la convention contre l’apartheid, en particulier aux alinéas a), c) et f) de l’article 2.
59. L’alinéa a) de l’article 2 de la convention contre l’apartheid concerne la privation du droit à la vie et à la liberté de la personne des membres d’un groupe racial. Les pratiques israéliennes, répandues et bien documentées, de détention arbitraire de Palestiniens au prétexte d’infractions à la sécurité définies en des termes généraux, de déni aux détenus palestiniens de leurs droits fondamentaux à un procès équitable et à une procédure régulière, de recours, en toute impunité, à des mauvais traitements et à la torture et de placement de Palestiniens en détention administrative prolongée sans motifs d’accusation ni procès (voir, par exemple, l’ordonnance militaire 165138) peuvent, considérées dans leur ensemble, être constitutives de l’acte inhumain consistant à refuser aux Palestiniens le droit à la liberté de la personne énoncé aux sous-alinéas ii) et iii) de l’alinéa a) de l’article 2. Les pratiques israéliennes consistant à tolérer et, dans certains cas, à permettre et à
36 Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 9 de la convention : « Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale », 19 mars 2012, CERD/C/ISR/CO/14-16, accessible à l’adresse suivante : https://www2.ohchr.org/english/bodies/cerd/docs/CERD.C.ISR.CO.14-16.pdf. En 2014, le Comité des droits de l’homme a noté l’existence des deux groupes en tant que groupes distincts et s’est dit « préoccupé aussi par le fait que la population juive et la population non juive sont traitées différemment à plusieurs égards ». Comité des droits de l’homme, « Observations finales concernant le quatrième rapport périodique d’Israël », CCPR/C/ISR/CO/4.
37 Le code pénal israélien définit le racisme, dans le contexte du crime de « publication de documents incitant au racisme », comme « la persécution, l’humiliation, la dégradation, les manifestations d’hostilité ou de violence, ou causant des actes de violence contre une population ou certaines parties d’une population en raison de leur couleur, race, affiliation raciale ou origine ethnique nationale » (loi pénale 5737-1977).
38 L’ordonnance militaire no 1651 prévoit que le commandant militaire israélien peut autoriser la détention « administrative » d’une personne palestinienne, pour une durée allant jusqu’à six mois, sans que celle-ci ne soit accusée d’une infraction, s’il a des motifs raisonnables de croire que cette personne « doit (?) être maintenue en détention pour des raisons liées à la sécurité régionale ou à la sécurité publique ». Cette détention ne fait l’objet d’aucun mandat, et il n’est pas nécessaire d’informer la personne détenue des charges retenues contre elle. L’ordonnance militaire no 1651 confère en outre à l’armée israélienne des pouvoirs étendus pour refuser à une personne détenue le droit de communiquer avec un avocat et de comparaître devant un juge en temps opportun.
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encourager les violentes attaques de résidents palestiniens
39 par des colons israéliens juifs dans le Territoire palestinien occupé constituent un autre élément permettant de conclure à un acte inhumain tel que défini à la litt. a) de l’article 2 de la convention contre l’apartheid.
60. L’alinéa c) de l’article 2 de la convention contre l’apartheid porte sur l’acte inhumain de persécution et englobe une large variété de mesures, y compris des mesures législatives, destinées à empêcher un groupe racial de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays et à créer délibérément des conditions faisant obstacle au plein développement du groupe en privant ses membres des libertés et droits fondamentaux de l’homme. Un grand nombre de politiques et de pratiques courantes d’Israël dans le Territoire palestinien occupé peuvent porter à conclure qu’il y a persécution au regard de ladite disposition, notamment la mise en oeuvre discriminatoire d’ordonnances militaires draconiennes qui restreignent gravement l’exercice par les Palestiniens de leurs droits fondamentaux à la liberté d’expression, d’association et de réunion ; la prise pour cible de personnes et d’organisations de la société civile palestiniennes en les accusant de crimes et en les réprimant ; le déni aux détenus palestiniens des droits fondamentaux à un procès équitable et à une procédure régulière ; et l’absence de protection des résidents palestiniens contre les actes de violence et d’intimidation commis pour des motifs idéologiques par les colons israéliens juifs. De plus, le harcèlement, l’arrestation et la détention de membres du conseil législatif palestinien — dont huit étaient encore en détention au mois de février 2022 — semblent calculés pour empêcher la pleine participation des Palestiniens à la vie politique de leur pays, en les forçant à croupir dans les prisons israéliennes, pour une durée potentiellement illimitée, sur le fondement de « preuves secrètes », en violation de l’alinéa c) de l’article 2 de la convention contre l’apartheid.
61. L’alinéa f) de l’article 2 de la convention contre l’apartheid concerne la persécution d’organisations ou de personnes en les privant de leurs libertés et droits fondamentaux, spécifiquement parce qu’elles s’opposent à l’apartheid. Depuis 1967, Israël utilise les ordonnances militaires et les tribunaux militaires comme des armes, pour persécuter les personnes qui s’opposent aux politiques et actions discriminatoires qu’il met en oeuvre dans le Territoire palestinien occupé, y compris en incriminant des expressions et réunions pacifiques qui « incitent » à s’opposer à l’occupation. Cette persécution a récemment été démontrée en 2021, et à Jénine en 2023, par le recours à l’emploi excessif de la force associé à une incrimination en masse et à la prise pour cible d’organisations de la société civile, d’activistes locaux et de défenseurs des droits de l’homme palestiniens.
62. Depuis 1967, la Cour suprême israélienne, siégeant en tant que Haute Cour de justice, a exercé sa compétence à l’égard de demandes concernant les activités de l’armée israélienne dans le Territoire palestinien occupé. Cependant, elle a conservé le pouvoir discrétionnaire d’accepter ou de rejeter toute demande, en appliquant un critère limité par comparaison avec les procédures d’appel « régulières », ce qui empêche nombre de demandes de parvenir jusqu’à elle. La Cour suprême israélienne a notamment accepté que « les nationaux israéliens qui résident dans un territoire contrôlé par l’État [soient] soumis à des dispositifs différents de ceux qui s’appliquent aux Palestiniens », sans s’interroger sur les conséquences de l’existence de dispositifs juridiques différents régissant les deux groupes ni sur la nature du régime dans le Territoire palestinien occupé40.
39 B’Tselem, « Settler Violence=State Violence », 25 novembre 2021, accessible à l’adresse suivante : https://www.btselem.org/settler_violence ; Yesh Din, « Position Paper: Settler Crime and Violence Inside Palestinian Communities, 2017-2020 », 27 mai 2021.
40 Ibid., p. 512 (notant que dans l’affaire relative à la municipalité d’Hébron (2019), la Cour suprême israélienne a mentionné l’existence d’un « système juridique différent qui s’applique aux nationaux israéliens résidant dans le Territoire palestinien occupé selon une situation préétablie, sans même chercher à savoir si cela était légal ou non ».
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63. L’apartheid suppose la commission d’actes inhumains spécifiques avec l’intention d’exercer une domination. L’intégralité des actions et politiques menées par Israël dans le Territoire palestinien occupé manifestent une intention d’établir ou d’entretenir la domination juive et la répression des Palestiniens. Depuis 1967, Israël a mis en place des institutions, instruments juridiques et mécanismes systématiquement discriminatoires à l’égard des Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé, lesquels entérinent la suprématie juive, suppriment la possibilité pour les Palestiniens d’exercer leurs droits civils et politiques et refusent à ces derniers leurs libertés et droits de l’homme fondamentaux.
64. L’objectif explicite d’assurer la domination et le caractère juifs sur tout le territoire d’Israël et le Territoire palestinien occupé a été affirmé dans la loi fondamentale de 2018, qui consacre Israël en tant qu’« État-nation du peuple juif » et inscrit dans la Constitution le traitement privilégié d’un groupe de personnes par rapport à un autre. Il est également déclaré dans cette loi que « le développement des colonies juives » est une « valeur nationale », que l’État s’emploiera à encourager et promouvoir, sans limiter la colonisation aux frontières de l’État d’Israël41. En 2020, l’ancien premier ministre israélien a annoncé un plan d’annexion officielle de parties du Territoire palestinien occupé, plaçant celles-ci sous souveraineté israélienne, tout en excluant spécifiquement les Palestiniens42, qui ont été ouvertement décrits par des responsables politiques israéliens comme une menace démographique pour l’existence d’Israël en tant qu’État juif. Le fait que l’occupation prolongée du Territoire palestinien occupé par Israël « ne soit pas près de cesser » et que celui-ci encourage la construction de colonies impose également de conclure que les actions d’Israël sont commises en vue d’instituer et d’entretenir la domination juive sur les Palestiniens dans le Territoire palestinien occupé.
E. Les autres violations du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme
65. La relation entre le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme n’est pas une relation d’exclusion mais de coordination. Là où le droit international des droits de l’homme traite en des termes généraux d’une question (par exemple, la privation « arbitraire » de la vie) qui est réglementée plus en détail par le droit international humanitaire, ce dernier prévoit la teneur de la loi applicable, c’est-à-dire qu’il détermine la portée de la norme juridique. En revanche, là où le droit international des droits de l’homme interdit totalement un traitement (la torture, par exemple), celui-ci reste internationalement illicite en tout temps et en tout lieu, y compris lors d’un conflit armé ou d’une occupation. En conséquence, le droit applicable dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, est à la fois le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme.
66. Afin de faciliter ses agissements dans le territoire occupé, Israël a eu recours à une variété d’outils juridiques. L’application de son droit interne à Jérusalem-Est lui a permis de faire exécuter ses lois foncières dans les territoires occupés, y compris celles qui ont été adoptées après la guerre de 1967. Ces textes comprennent, entre autres, la loi fondamentale « Jérusalem, capitale d’Israël »43 (adoptée en 1980 et amendée en 2000), dans laquelle il est notamment déclaré que « Jérusalem, entière et unifiée, est la capitale d’Israël » ; et la loi sur les questions juridiques et administratives (promulguée en 1970), qui autorise exclusivement les Juifs à demander la restitution de terres et de
41 Voir loi fondamentale : Israël, État-nation du peuple juif, 2018.
42 « Explainer: Israel, Annexation, and the Occupied Palestinian authorities », BBC News, 25 juin 2020, accessible à l’adresse suivante : https://www.bbc.com/news/worldmiddle-east-52756427.
43 Israël n’a pas de Constitution, mais une série de lois fondamentales qui l’emportent sur tout autre texte législatif.
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propriétés qui auraient appartenu à des Juifs à Jérusalem-Est avant la création de « l’État » d’Israël en 1948.
67. Par la poursuite de son comportement décrit ci-dessus, Israël viole son obligation de ne pas altérer la législation originelle du territoire occupé à moins que les modifications ne soient nécessaires pour préserver la vie et l’ordre publics ou l’intérêt des personnes protégées. En outre, la législation introduite par les autorités israéliennes suscite de graves inquiétudes quant à sa compatibilité avec les normes du droit international, étant donné que les lois et actions susmentionnées sont susceptibles de faciliter, entre autres, le transfert de la population israélienne vers le territoire annexé, le transfert forcé de personnes protégées, la confiscation et la démolition de propriétés, et ce, en contravention des règles et principes ci-après du droit international humanitaire.
i. L’interdiction des transferts forcés
68. Le paragraphe 1 de l’article 49 de la quatrième convention de Genève dispose que « [l]es transferts forcés, en masse ou individuels, ainsi que les déportations de personnes protégées hors du territoire occupé dans le territoire de la Puissance occupante ou dans celui de tout autre état, occupé ou non, sont interdits, quel qu’en soit le motif ».
69. Les transferts forcés ont des conséquences, notamment l’abandon, par l’intéressé, de son domicile et de ses possessions et le risque de perdre ses droits sur la propriété. Alors que la déportation requiert un déplacement transfrontalier de personnes, le transfert forcé peut avoir lieu à l’intérieur des frontières du pays ou du territoire occupé. La gravité de l’acte de transfert forcé est soulignée par le fait que celui-ci figure dans la catégorie des infractions graves à la quatrième convention de Genève.
70. Le caractère forcé de la déportation ou de l’expulsion ne se limite pas à la force physique mais peut englober la menace de l’emploi de la force ou la coercition. L’acte de déportation ou de transfert forcé est interdit, quels que soient le motif et le but d’un tel déplacement. Même le fait qu’une ordonnance d’éviction ou de déportation soit émise en application d’une décision de justice est dépourvu de pertinence aux fins de cette règle.
ii. L’interdiction de transférer la population de la puissance occupante dans un territoire occupé
71. Le paragraphe 6 de l’article 49 de la quatrième convention de Genève dispose que le transfert de personnes civiles du territoire de la puissance occupante dans le territoire occupé par elle est strictement interdit. Il constitue également une infraction grave à cet instrument (art. 147).
iii. Les droits de propriété selon le droit de l’occupation
72. Le droit international humanitaire reconnaît de longue date que les droits de propriété devraient être protégés contre la plupart des types d’intervention étatique. Cette idée trouve son origine dans l’article 46 du règlement de La Haye de 1907, qui énonce l’obligation générale de respecter la propriété privée dans le territoire occupé. La disposition en question prescrit que la propriété privée doit être respectée et « ne peut pas être confisquée ». Elle interdit donc la confiscation, à savoir la prise de possession permanente de propriété privée avec transfert du titre qui y est associé. S’agissant des biens publics, l’article 55 du règlement de La Haye précise que
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« [l]’État occupant ne se considérera que comme administrateur et usufruitier des édifices publics, immeubles, forêts et exploitations agricoles appartenant à l’État ennemi et se trouvant dans le pays occupé. Il devra sauvegarder le fonds de ces propriétés et les administrer conformément aux règles de l’usufruit. »
73. La quatrième convention de Genève a ajouté des dispositions supplémentaires concernant les droits de propriété, notamment l’article 53, qui prévoit qu’
« [i]l est interdit à la Puissance occupante de détruire des biens mobiliers ou immobiliers, appartenant individuellement ou collectivement à des personnes privées, à l’État ou à des collectivités publiques, à des organisations sociales ou coopératives, sauf dans les cas où ces destructions seraient rendues absolument nécessaires par les opérations militaires ».
En outre, l’article 147 dispose que la « destruction et l’appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire » constituent une infraction grave à la convention.
iv. Le droit international des droits de l’homme
74. Les aspects importants du droit international des droits de l’homme font désormais partie du droit international coutumier. Il suffira donc, aux fins présentes, de s’appuyer sur les traités universels relatifs aux droits de l’homme qu’Israël lui-même a acceptés en y devenant partie.
75. Israël est notamment partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qu’il a ratifiés l’un et l’autre le 3 octobre 1991. Le paragraphe 1 de l’article 2 de ce premier instrument prévoit en particulier que les États parties « s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence » les droits reconnus dans le Pacte. Le membre de phrase « se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence » dans ce paragraphe est disjonctif ; les États parties sont tenus d’appliquer le Pacte aux territoires sur lesquels ils exercent leur compétence, y compris en tant qu’occupant belligérant.
76. C’est donc à juste titre que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a conclu que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques s’appliquait au bénéfice de la population du Territoire palestinien occupé et qu’Israël violait les droits de celle-ci44.
77. Israël a donné aux résidents palestiniens de Jérusalem-Est la possibilité d’améliorer leur situation et de garantir leur droit de vivre dans la ville, mais à la condition qu’ils demandent la citoyenneté israélienne procédure qui exige de prêter allégeance à l’État d’Israël, qui, selon le droit international, est la puissance occupante de Jérusalem-Est. On mentionnera à cet égard l’article 45 du règlement de La Haye de 1907, aux termes duquel « il est interdit de contraindre la population d’un territoire occupé à prêter serment à la Puissance ennemie ». Conditionner des droits fondamentaux tels que le droit de ne pas être transféré ou déporté hors du territoire occupé à pareille allégeance à la puissance occupante est donc contraire aux dispositions de cet article.
44 Rapport annuel du haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et rapports du Haut-Commissariat et du Secrétaire général, cinquante-troisième session, 19 juin-14 juillet 2023.
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78. Selon la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, les résidents de Jérusalem-Est devraient avoir le droit, comme toute autre personne, de quitter leur domicile et d’y revenir, sans pour autant courir le risque que leurs voyages à l’étranger ou leur départ pour d’autres régions de Palestine, ou même leur acquisition d’un statut dans un autre pays, n’entraînent la privation de leur droit de retourner dans leur patrie. Le droit des personnes de quitter leur pays et d’y revenir est garanti par le droit international des droits de l’homme.
79. Le paragraphe 2 de l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 dispose ce qui suit : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » Le paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ajoute à cela que « [n]ul ne peut être arbitrairement privé du droit d’entrer dans son propre pays »45. On relèvera à cet égard que le Comité des droits de l’homme des Nations Unies46, l’organe chargé de surveiller la mise en oeuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a estimé que le droit de revenir dans son pays énoncé au paragraphe 4 de l’article 12 de cet instrument n’était pas exclusivement réservé aux citoyens du pays en question. Selon le Comité, ce droit s’applique aussi assurément à toute personne qui, en raison de ses liens particuliers avec ledit pays, ne peut être considérée comme un simple « étranger ». À titre d’exemple, le Comité précise que les résidents de territoires dont l’administration a été transférée à un pays étranger dont ils ne sont pas citoyens doivent également pouvoir se prévaloir de ce droit.
80. Israël soutient que le droit applicable dans le Territoire palestinien occupé est le droit international humanitaire, et non le droit international des droits de l’homme. Selon lui, il existe une distinction bien établie entre ces deux branches du droit international et, en temps de conflit armé, le droit qui s’applique est le droit international humanitaire. Israël affirme que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ne sont pas applicables lors de conflits armés, mais seulement en temps de paix.
81. De nombreux traités internationaux relatifs aux droits de l’homme indiquent expressément qu’ils s’appliquent aussi bien en temps de guerre qu’en temps de paix. Ainsi, le paragraphe 2 de l’article 2 de la convention de 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants prévoit qu’ « [a]ucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture ».
82. De même, la convention contre le génocide, en son article premier, dispose ce qui suit : « Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu’il soit commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu’elles s’engagent à prévenir et à punir. »
83. De nombreuses conventions internationales et régionales relatives aux droits de l’homme, y compris le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, contiennent des clauses autorisant les États à déroger en temps de guerre à certaines dispositions qu’elles contiennent (voir en particulier l’article 4 dudit pacte). Le fait qu’une exception soit expressément prévue pour
45 Pacte international relatif aux droits civils et politiques, article 12 4). Ce principe est également inscrit dans d’autres conventions relatives aux droits de l’homme. Voir : convention relative aux droits de l’enfant, art. 10 2), résolution 44/25 de l’Assemblée générale, annexe, Documents officiels de l’Assemblée générale, quarante-quatrième session, Supplément no 49, p. 167, Nations Unies, doc. A/44/49 (1989), entrée en vigueur le 2 septembre 1990 ; CIEDR, art. 5 d) ii), résolution 2106 (XX) de l’Assemblée générale, annexe, Documents officiels de l’Assemblée générale, vingtième session, Supplément no 14, p. 47, Nations Unies, doc. A/6014 (1966), RTNU, vol. 660, p. 195, entrée en vigueur le 4 janvier 1969.
46 Comité des droits de l’homme, observation générale no 27, CCPR/C/21/Rev.1/Add.9 (1999), par. 20.
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permettre une dérogation en temps de guerre implique clairement que, en l’absence de dérogation, la convention relative aux droits de l’homme en cause s’appliquera pleinement pendant un conflit armé. En outre, une limite est fixée aux types de dérogation qui seront acceptables, même en situation de guerre ou d’urgence nationale, et un statut particulier est réservé aux droits inaliénables
dont beaucoup, comme on l’a vu, sont violés par les pratiques de colonisation d’Israël et les changements que celui-ci opère dans la démographie de Jérusalem-Est et du Territoire palestinien occupé.
84. Ainsi que la Cour l’a précisé dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur la question de la Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, il existe une différence conceptuelle entre le corpus de règles de droit qui constitue le droit international humanitaire et celui qui constitue le droit international des droits de l’homme. Dans le même temps, la Cour a affirmé que le second continuait de s’appliquer aux territoires en proie à un conflit armé, sous réserve de l’application de la lex specialis, à savoir le droit international humanitaire. L’argument selon lequel le Pacte international relatif aux droits civils et politiques visait seulement la protection des droits de l’homme en temps de paix avait été soumis à la Cour. Celle-ci a observé ce qui suit :
« la protection offerte par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne cesse pas en temps de guerre, si ce n’est par l’effet de l’article 4 du Pacte, qui prévoit qu’il peut être dérogé, en cas de danger public, à certaines des obligations qu’impose cet instrument. Le respect du droit à la vie ne constitue cependant pas une prescription à laquelle il peut être dérogé. En principe, le droit de ne pas être arbitrairement privé de la vie vaut aussi pendant des hostilités. »
IV. CONSÉQUENCES JURIDIQUES DES VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL QUI POURRAIENT ÊTRE CONSTATÉES PAR LA COUR
85. Dans sa demande, l’Assemblée générale ne prie pas seulement la Cour de rechercher si certaines pratiques et politiques constituent ou non des violations du droit international, mais aussi, expressément, de se prononcer sur les conséquences juridiques de toute violation constatée, ainsi que sur le statut juridique de l’occupation. Dans son examen des conséquences juridiques des violations qu’elle pourrait avoir constatées, la Cour distinguera les conséquences pour i) Israël (dont le comportement est en cause) ; ii) les autres États ; et iii) l’ONU.
A. Conséquences juridiques de ces violations pour Israël
86. Comme on l’a vu dans l’analyse et les arguments exposés dans les paragraphes qui précèdent, les pratiques d’Israël s’agissant de l’emploi de la force, du déni du droit à l’autodétermination, de son occupation prolongée, de ses lois discriminatoires et de ses colonies visant à altérer la démographie du Territoire palestinien occupé, sont contraires aux conventions de Genève, au droit de l’occupation et à des normes impératives du droit international.
87. Les actes d’Israël contreviennent directement aux articles premier et 40 du projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite47 (ci-après le « projet d’articles sur la responsabilité de l’État »). L’article premier dispose que « [t]out fait internationalement illicite de l’État engage sa responsabilité internationale », l’article 40 prévoyant ce qui suit :
47 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État.
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« 1. Le présent chapitre s’applique à la responsabilité internationale qui résulte d’une violation grave par l’État d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général.
2. La violation d’une telle obligation est grave si elle dénote de la part de l’État responsable un manquement flagrant ou systématique à l’exécution de l’obligation. »
88. L’article 40 a pour objet de définir les violations couvertes par le chapitre en question. Il établit deux critères permettant de distinguer « les violations graves d’obligations découlant de normes impératives du droit international général » des autres types de violation. Le premier a trait à la nature de l’obligation violée, qui doit découler d’une norme impérative du droit international général. Conformément à l’article 53 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités, une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des États dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. Le second critère porte sur l’intensité de la violation, qui doit avoir un caractère grave, systématique et flagrant. Pour être considérée comme systématique, une violation doit avoir été commise de façon organisée et délibérée. En revanche, le terme « flagrante » renvoie à l’intensité de la violation ou de ses effets ; il dénote des violations manifestes qui représentent une attaque directe contre les valeurs protégées par la règle. Les termes ne sont pas mutuellement exclusifs ; les violations graves sont généralement à la fois systématiques et flagrantes. Ainsi que cela a été mentionné plus haut, Israël a gravement violé ses obligations internationales.
89. Comme l’indique la conclusion 23 du projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général48, le principe d’autodétermination et les règles fondamentales du droit international humanitaire figurent sur la liste non exhaustive des normes du jus cogens. La Cour a jugé que les obligations erga omnes « découl[ai]ent par exemple, dans le droit international contemporain, de la mise hors la loi des actes d’agression et du génocide mais aussi des principes et des règles concernant les droits fondamentaux de la personne humaine, y compris la protection contre la pratique de l’esclavage et la discrimination raciale »49.
90. Les conséquences juridiques essentielles d’un fait internationalement illicite énoncées dans la deuxième partie du projet d’articles sur la responsabilité de l’État sont l’obligation pour l’« État » responsable, en l’occurrence Israël, de mettre fin au comportement illicite (art. 30) et de réparer intégralement le préjudice causé par le fait internationalement illicite (art. 31). L’article 34 traite des formes de la réparation du préjudice, à savoir la restitution (art. 35), l’indemnisation (art. 36) et la satisfaction (art. 37)50.
91. Selon le droit de la responsabilité des États pour faits internationalement illicites, la réparation constitue, en cas de préjudice, la conséquence juridique classique de la responsabilité. Ainsi que l’a précisé la Cour permanente de Justice internationale, la réparation « doit, autant que
48 Projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), 2022, adopté par la Commission du droit international à sa soixante-treizième session et soumis à l’Assemblée générale.
49 Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (nouvelle requête : 1962) (Belgique c. Espagne), deuxième phase, arrêt, C.I.J. Recueil 1970, par. 34. Voir aussi Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I) ; et Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 8 avril 1993, C.I.J. Recueil 1993.
50 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État.
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possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis »
51. Comme on l’a vu ci-dessus, la réparation peut prendre différentes formes, notamment la restitution (dite « restitutio in integrum ») et la compensation. La restitution est une forme de réparation du préjudice qui a pour objectif de rétablir la situation telle qu’elle existait avant la violation, par un retour au statu quo ante. La restitution peut prendre la forme d’une restitution matérielle, ou d’une restitution de terres, de personnes ou de biens, ou bien encore d’une annulation d’un acte juridique, voire d’une combinaison de ces différentes hypothèses. Comme exemples de restitution matérielle, on peut citer la remise en liberté d’individus incarcérés, la remise à un État d’un individu qui a été arrêté sur son territoire, la restitution de navires ou d’autres types de biens52, y compris des documents, des oeuvres d’art, des titres d’actions, etc. Le terme « restitution juridique » est parfois employé dans le cas où l’exécution de la restitution requiert ou suppose la modification d’une situation juridique, soit dans le cadre du système juridique de l’État responsable, soit dans le cadre de ses relations juridiques avec l’État lésé. Les hypothèses de restitution juridique sont l’abrogation, l’annulation ou la modification d’une disposition constitutionnelle ou législative promulguée en violation d’une règle du droit international53, l’annulation ou le réexamen d’un acte administratif ou d’une décision judiciaire pris illicitement à l’encontre de la personne ou des biens d’un étranger, ou l’exigence que des mesures soient prises (dans la mesure permise par le droit international) pour annuler un traité54. La présente procédure suppose une restitution à la fois matérielle et juridique.
92. Ce principe a été affirmé dans la jurisprudence de la Cour55. Israël est donc dans l’obligation de réparer tout préjudice causé à la Palestine et au peuple palestinien par l’annulation des actes législatifs, décrets et actes ou d’ordonnances administratifs contraires aux principes du droit international qui ont été évoqués dans les précédents chapitres du présent exposé.
93. Dans l’avis consultatif sur l’édification d’un mur, la Cour a dit ce qui suit :
« la Cour constate aussi qu’Israël a l’obligation de réparer tous les dommages causés à toutes les personnes physiques ou morales concernées. [Elle] rappellera [la jurisprudence bien établie selon laquelle] “[l]e principe essentiel, qui découle de la notion même d’acte illicite … est que la réparation doit, autant que possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis”. Israël est en conséquence tenu de restituer les terres, les vergers, les oliveraies et les autres biens immobiliers saisis à toute
51 Usine de Chorzów, fond, arrêt no 13, 1928, C.P.J.I. série A no 17, p. 47.
52 Voir, par exemple, Temple de Préah Vihéar (Cambodge c. Thaïlande), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 36-37, où la Cour a fait droit à une demande cambodgienne qui comportait la restitution de certains objets enlevés de la zone et du temple par les autorités thaïlandaises. Voir aussi Nations Unies, Recueil des sentences arbitrales, vol. XIII, Différend Société Foncière Lyonnaise, p. 219 (1950) ; ibid., Différend Ottoz, p. 240 (1950) ; et ibid., Différend Dame Hénon, p. 248 (1951).
53 Pour les cas où l’existence même d’une loi constitue une violation d’une obligation internationale, voir paragraphe 12 du commentaire de l’article 12 du projet d’articles sur la responsabilité de l’État. Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa cinquante-troisième session.
54 Dans l’affaire relative au traité Bryan-Chamorro opposant le Costa Rica au Nicaragua, la Cour de justice centraméricaine a décidé que « le Gouvernement du Nicaragua, en mettant en oeuvre des mesures autorisées par le droit international, [était] tenu de rétablir et de maintenir le statut juridique qui existait antérieurement au traité Bryan-Chamorro entre les républiques en litige, en ce qui concerne les questions examinées en l’espèce » (annales de la Cour de justice centraméricaine (San José, Costa Rica), vol. VI, no 16-18 (décembre 1916-mai 1917), p. 7) ; et AJIL, vol. 11, no 3 (1917), p. 696 ; voir aussi p. 683.
55 Voir, par exemple, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 149, par. 292, points 13-14 du dispositif.
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personne physique ou morale en vue de l’édification du mur dans le territoire palestinien occupé. »
94. Dans l’avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, la Cour a réaffirmé les mêmes principes :
« La Cour ayant constaté que la décolonisation de Maurice ne s’est pas réalisée dans le respect du droit des peuples à l’autodétermination, le maintien de l’administration de l’archipel des Chagos par le Royaume-Uni constitue un fait illicite qui engage la responsabilité internationale de cet État … Il s’agit d’un fait illicite à caractère continu qui résulte de la séparation de l’archipel des Chagos de Maurice … Dès lors, le Royaume-Uni est tenu, dans les plus brefs délais, de mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos, ce qui permettra à Maurice d’achever la décolonisation de son territoire dans le respect du droit des peuples à l’autodétermination. »
95. Étant donné qu’Israël a violé des normes impératives du droit international, il est tenu de mettre fin à son comportement internationalement illicite, de réparer le préjudice que celui-ci a causé, d’indemniser les Palestiniens pour les dommages subis, et de donner satisfaction au peuple palestinien par une reconnaissance de la violation, une expression de regrets, des excuses formelles ou toute autre modalité appropriée.
B. Conséquences juridiques pour les autres États
96. Tous les États sont liés par les principes énumérés dans les paragraphes qui suivent, ainsi que par le prononcé antérieur de la Cour selon lequel ils doivent cesser de prêter aide ou assistance à Israël dans ses violations continues des normes de jus cogens du droit international relatives au droit à l’autodétermination et à l’emploi de la force, ses violations des principes fondamentaux du droit international humanitaire, ainsi que ses politiques persistantes de discrimination raciale dans le Territoire palestinien occupé. Tous les États sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation qu’Israël a créée dans le Territoire palestinien occupé par sa violation grave et constante des normes de jus cogens du droit international et doivent coopérer les uns avec les autres pour mettre fin à ces violations illicites et systématiques par Israël.
97. Lorsque le fait internationalement illicite constitue une violation grave par l’État d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général, d’autres conséquences peuvent résulter de cette violation tant pour l’État responsable que pour d’autres États. En particulier, tous les États ont en pareil cas l’obligation de coopérer pour mettre fin à la violation, de ne pas reconnaître comme licite la situation créée par la violation et de ne pas prêter aide ou assistance à l’État responsable en vue du maintien de la situation ainsi créée (articles 16, 40 et 41 du projet d’articles sur la responsabilité de l’État)56. D’après l’article 16,
« [l]’État qui aide ou assiste un autre État dans la commission du fait internationalement illicite par ce dernier est internationalement responsable pour avoir agi de la sorte dans le cas où :
a) Ledit État agit ainsi en connaissance des circonstances du fait internationalement illicite ; et
56 Projet d’articles sur la responsabilité de l’État.
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b) Le fait serait internationalement illicite s’il était commis par cet État. »
98. L’article 16 limite la portée de la responsabilité à raison de l’aide ou de l’assistance prêtée de trois manières. Premièrement, il faut que l’organe ou l’institution considéré de l’État qui assiste ait connaissance des circonstances qui rendent le comportement de l’État assisté internationalement illicite ; deuxièmement, il faut que l’aide ou l’assistance ait été prêtée dans l’intention de faciliter la commission du fait illicite, et qu’elle l’ait effectivement facilitée ; et, troisièmement, le fait perpétré doit être tel qu’il aurait été internationalement illicite s’il avait été commis par l’État qui assiste lui-même.
99. L’obligation de ne pas fournir aide ou assistance pour faciliter la commission par un autre État d’un fait internationalement illicite ne se limite pas à l’interdiction du recours à la force ou à la violation d’autres normes impératives. Par exemple, un État peut voir sa responsabilité engagée s’il aide un autre État à contourner des sanctions imposées par le Conseil de sécurité ou s’il fournit une aide matérielle à un État qui l’utilise pour commettre des violations des droits de l’homme.
100. L’article 41 se lit comme suit :
« 1. Les États doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave au sens de l’article 40.
2. Aucun État ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave au sens de l’article 40 ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation.
3. Le présent article est sans préjudice des autres conséquences prévues dans la présente partie et de toute conséquence supplémentaire que peut entraîner, d’après le droit international, une violation à laquelle s’applique le présent chapitre. »
101. L’article 41 traite des conséquences particulières des violations qui ont la nature et la gravité visées à l’article 40. Il se compose de trois paragraphes. Les deux premiers énoncent les obligations juridiques spéciales qu’ont les États face à des « violations graves » au sens de l’article 40, le troisième prend la forme d’une clause de sauvegarde. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 41, les États ont le devoir de coopérer pour mettre fin à toute violation grave au sens de l’article 40. Cette coopération pourrait être organisée dans le cadre d’une organisation internationale compétente, notamment l’ONU. Cependant, le paragraphe 1 n’exclut pas la possibilité d’une coopération hors institution.
102. La seconde obligation visée au paragraphe 2 interdit aux États de prêter aide ou assistance au maintien de toute situation créée par une violation grave au sens de l’article 40, et aucun État ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave. Cette obligation s’applique à tous les États, y compris l’État responsable. Cette disposition va au-delà de celles qui sont consacrées à l’aide ou l’assistance en vue de la commission d’un fait internationalement illicite, qui font l’objet de l’article 16. Elle vise les comportements qui, ex post facto, aident l’État responsable à maintenir une situation et sont « opposables à tous les États, en ce sens qu’elles rendent illégale erga omnes une situation qui se prolonge en violation du droit international ». Elle va au-delà de la commission de la violation grave pour s’intéresser au maintien de la situation créée par ladite violation, et s’applique, que la violation commise soit ou non continue. Quant aux éléments de « l’aide ou l’assistance », l’article 41 doit être lu parallèlement à l’article 16. Ainsi, la notion d’aide ou d’assistance visée à l’article 16 présuppose que l’État avait « connaissance des circonstances du fait internationalement illicite ». Il n’est nul besoin de mentionner cette exigence au paragraphe 2 de
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l’article 41, puisqu’il est difficile d’imaginer qu’un État puisse ne pas avoir remarqué une violation grave commise par un autre État. À certains égards, l’interdiction contenue au paragraphe 2 peut être considérée comme la suite logique du devoir de non-reconnaissance.
103. De façon analogue, la conclusion 19 du projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général57 porte sur les conséquences particulières des violations graves d’obligations découlant de normes impératives du droit international général (jus cogens). Elle est fondée sur l’article 41 du projet d’articles sur la responsabilité de l’État et prévoit que les États doivent coopérer pour mettre fin à toute violation grave par un État d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général (jus cogens). L’obligation de « coopérer pour mettre fin, par des moyens licites », aux violations graves de normes impératives du droit international général (jus cogens) repose sur l’obligation générale de coopérer imposée par le droit international.
104. La conclusion 19, « Conséquences particulières des violations graves des normes impératives du droit international général (jus cogens) », est libellée comme suit :
« 1. Les États doivent coopérer pour mettre fin, par des moyens licites, à toute violation grave par un État d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général (jus cogens).
2. Aucun État ne doit reconnaître comme licite une situation créée par une violation grave par un État d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général (jus cogens), ni prêter aide ou assistance au maintien de cette situation.
3. Une violation d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général (jus cogens) est grave si elle dénote de la part de l’État responsable un manquement flagrant ou systématique à l’exécution de cette obligation.
4. Le présent projet de conclusion est sans préjudice des autres conséquences que toute violation par un État d’une obligation découlant d’une norme impérative du droit international général (jus cogens) peut entraîner en droit international. »
105. La relation entre les normes de jus cogens et les obligations erga omnes trouve son expression dans la conclusion 17 du projet de conclusions58, qui porte sur les obligations erga omnes et comporte deux paragraphes. Le premier énonce que les normes impératives du droit international général (jus cogens) créent des obligations dues à la communauté internationale dans son ensemble (obligations erga omnes). La relation entre les normes impératives du droit international général (jus cogens) et les obligations erga omnes a été reconnue dans la pratique des États et par la Cour. Dans l’affaire relative au Timor oriental, cette dernière a ainsi estimé qu’« il n’y a[vait] rien à redire à l’affirmation du Portugal selon laquelle le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, tel qu’il s’[était] développé à partir de la Charte et de la pratique de l’Organisation des Nations Unies, [était] un droit opposable erga omnes ». Dans l’avis consultatif sur l’édification d’un mur, la Cour a observé qu’« au rang des obligations internationales violées par Israël figur[ai]ent des obligations erga omnes ». Ainsi qu’elle l’a indiqué en l’affaire de la Barcelona Traction, ces obligations, « [p]ar leur nature
57Projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), 2022, adopté par la Commission du droit international à sa soixante-treizième session et soumis à l’Assemblée générale.
58 Ibid.
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même, … concernent tous les États » et, « [v]u l’importance des droits en cause, tous les États peuvent être considérés comme ayant un intérêt juridique à ce que ces droits soient protégés ».
106. La réaction du Conseil de sécurité à l’invasion du Koweït par l’Iraq en 1990 constitue un exemple de la pratique de non-reconnaissance d’actes commis en violation de normes impératives et d’obligations erga omnes. Après que l’Iraq eut proclamé sa « fusion totale et irréversible » avec le Koweït, le Conseil de sécurité a jugé, dans sa résolution 662 (1990) du 9 août 1990, que l’annexion n’avait « aucun fondement juridique et [était] nulle et non avenue », et demandé à tous les États, organisations internationales et institutions spécialisées de ne pas la reconnaître et de s’abstenir de toute mesure et de tout contact qui pourraient être interprétés comme une telle reconnaissance, directe ou indirecte.
107. En ce qui concerne le déni, par un État, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, l’avis consultatif au sujet de la Namibie, dans lequel la Cour appelait à la non-reconnaissance de la situation, est tout aussi clair59. Les mêmes obligations ont été exprimées dans les résolutions du Conseil de sécurité et de l’Assemblée générale concernant la situation en Rhodésie du Sud60 et dans les bantoustans en Afrique du Sud61. Ces exemples reflètent le principe selon lequel, lorsqu’une violation grave au sens de l’article 40 a engendré une situation qui, dans d’autres circonstances, pourrait appeler une reconnaissance, pareille reconnaissance ne doit cependant pas être accordée.
108. Les violations de normes de jus cogens créent des obligations erga omnes partes pour tous les États « en ce sens que, quelle que soit l’affaire, chaque État partie a un intérêt à ce qu’elles soient respectées »62, ce qui implique non seulement la condamnation et la non-reconnaissance des actions israéliennes dans le Territoire palestinien occupé ainsi que la non-assistance à celles-ci, mais également la condamnation et le refus de reconnaître la reproduction des modèles israéliens dans leur totalité, dans toute autre situation similaire sur le plan factuel ou juridique.
109. Il est un principe bien établi qu’une violation grave au sens des articles 40 et 41 du projet d’articles sur la responsabilité de l’État justifie une absence de reconnaissance. La non-reconnaissance collective semble être une condition préalable de toute action concertée de la communauté internationale contre de telles violations et correspond à la réaction minimale requise de la part des États aux violations graves visées aux articles 40 et 41. Ainsi que cela a été mentionné ci-dessus, les violations de normes de jus cogens créent également des obligations qui s’imposent
59 Avis consultatif au sujet de la Namibie, où la Cour a jugé que « la cessation du mandat et la déclaration de l’illégalité de la présence sud-africaine en Namibie [étaient] opposables à tous les États, en ce sens qu’elles rend[ai]ent illégale erga omnes une situation qui se prolonge en violation du droit international » (p. 56, par. 126).
60 Cf. résolution 216 (1965) du Conseil de sécurité du 12 novembre 1965.
61 Voir, par exemple, résolution 31/6 A de l’Assemblée générale du 26 octobre 1976, approuvée par le Conseil de sécurité dans sa résolution 402 (1976) du 22 décembre 1976 ; résolution 32/105N de l’Assemblée générale du 14 décembre 1977 et résolution 34/93G de l’Assemblée générale du 12 décembre 1979 ; voir également les déclarations du 21 septembre 1979 et du 15 décembre 1981 publiées par les présidents respectifs du Conseil de sécurité en réaction à la « création » des régimes proclamés de Venda et Ciskei (S/13549 et S/14794).
62 Dans l’arrêt qu’elle a rendu en l’affaire relative à des Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), la Cour a observé que les dispositions pertinentes de la convention contre la torture étaient « comparables » à celles de la convention contre le génocide. Elle a estimé que ces dispositions généraient des « obligations correspondantes p[ouvant] … être qualifiées d’“obligations erga omnes partes”, en ce sens que, quelle que soit l’affaire, chaque État partie a un intérêt à ce qu’elles soient respectées » (Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 449, par. 68). Il s’ensuit que tout État partie à la convention contre le génocide, et non pas seulement un État spécialement affecté, peut invoquer la responsabilité d’un autre État partie dans le but de faire constater le manquement allégué de celui-ci à des obligations erga omnes partes et de mettre fin à un tel manquement.
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erga omnes partes à tous les États de ne pas reconnaître les violations et faits illicites similaires dans d’autres situations semblables sur le plan factuel ou juridique.
110. Ce principe est affirmé dans la déclaration sur les relations amicales, qui indique sans équivoque que les États ne doivent pas reconnaître comme licite une acquisition territoriale obtenue par l’emploi de la force.
C. Conséquences juridiques pour l’ONU
111. L’obligation qui incombe aux États d’agir collectivement pour mettre fin aux violations graves de normes impératives du droit international général (jus cogens) a des conséquences particulières pour la coopération entre les organes des Nations Unies et d’autres organisations internationales. Elle implique que, face à des violations graves de normes impératives du droit international général (jus cogens), les organisations internationales doivent agir, dans le cadre de leurs mandats respectifs et lorsque le droit international les y autorise, de façon à faire cesser ces violations. Ainsi, lorsqu’une organisation internationale a le pouvoir discrétionnaire d’agir, l’obligation de coopérer impose à ses membres d’agir pour amener l’organisation en question à exercer ce pouvoir discrétionnaire d’une manière permettant de mettre fin à la violation d’une norme impérative du droit international général (jus cogens).
112. Selon le type de violation et le type de norme impérative dont il s’agit, le système collectif des Nations Unies définit le cadre d’une action concertée. C’est pourquoi la Cour, ayant constaté une violation du « droit à l’autodétermination » et des « principes fondamentaux du droit international humanitaire », a estimé que « l’Organisation des Nations Unies, et spécialement l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, d[evaient] … examiner quelles nouvelles mesures d[evaient] être prises afin de mettre un terme à la situation illicite »63. De même, dans l’avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos, la Cour a mentionné l’obligation à laquelle étaient tenus « tous les États Membres » de « coopérer avec l’Organisation des Nations Unies » pour mettre fin à la violation en question64. D’autres organisations internationales peuvent également adopter des mesures, compatibles avec le droit international, en vue de mettre un terme aux violations graves de normes impératives du droit international général (jus cogens) si leur mandat le leur permet.
113. De nombreux exemples de résolutions d’organes de différentes organisations internationales, en particulier l’ONU, illustrent l’obligation de coopérer pour mettre fin à des violations graves d’obligations largement reconnues comme découlant de normes impératives du droit international général (jus cogens). Parmi ces résolutions, on mentionnera celles qui condamnent les violations de telles obligations65, y compris le droit à l’autodétermination, celles qui appellent à
63 Avis consultatif sur l’édification d’un mur (p. 200, par. 160).
64 Avis consultatif au sujet de l’archipel des Chagos (p. 139-140, par. 182).
65 Voir résolution 2022 (XX) de l’Assemblée générale du 5 novembre 1965, par. 4 (« Condamne la politique de discrimination raciale et de ségrégation pratiquée en Rhodésie du Sud, qui constitue un crime contre l’humanité ») ; résolution ES-8/2 de l’Assemblée générale du 14 septembre 1981, par. 4 (« Condamne énergiquement l’Afrique du Sud pour son occupation illégale continue de la Namibie ») ; résolution 36/27 de l’Assemblée générale du 13 novembre 1981, concernant l’agression de l’armée israélienne contre les installations nucléaires iraquiennes, par. 1 (« Condamne énergiquement Israël pour son acte d’agression prémédité et sans précédent commis en violation de la Charte des Nations Unies et des normes de conduite internationale ») ; résolution 46/47 de l’Assemblée générale du 9 décembre 1991, par. 5 (« Condamne la violation continue et persistante par Israël de la Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre … et condamne en particulier les violations que la Convention qualifie d’“infractions graves” à ses dispositions »).
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mettre fin aux violations de telles obligations
66, et celles qui établissent des mécanismes de responsabilisation pour remédier à ces violations67.
V. CONCLUSIONS FINALES
114. Pour les raisons exposées dans le présent exposé écrit, le Pakistan prie respectueusement la Cour de donner suite à la demande de l’Assemblée générale et de donner un avis indiquant ce qui suit :
1) La Cour a compétence pour donner l’avis consultatif sollicité par l’Assemblée générale dans sa résolution 77/247 du 30 décembre 2022, et aucune raison décisive n’empêche la Cour de le faire.
2) Les obligations qui incombent à Israël dans le Territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et autour de Jérusalem-Est, sont celles d’une puissance occupante, lesquelles sont régies par les dispositions du droit international humanitaire, notamment le règlement de La Haye de 1907, la quatrième convention de Genève et le droit international humanitaire coutumier ; par les dispositions du droit international des droits de l’homme, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, la CIEDR, la convention contre l’apartheid, la convention relative aux droits de l’enfant, la convention contre l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ; et le droit international coutumier relatif aux droits de l’homme.
3) L’occupation prolongée par un État d’un territoire et d’un peuple étrangers constitue de fait une violation du droit à l’autodétermination.
4) L’emploi de la force par Israël afin de prolonger son occupation du territoire palestinien est illicite, équivaut à une annexion et est contraire aux principes du droit international.
5) Les pratiques et procédures israéliennes d’établissement d’un double système juridique, d’expulsions forcées et de démolitions dans le Territoire palestinien occupé, ainsi que la discrimination systématique contre les Palestiniens qui en résulte et la sujétion des droits civils et politiques de ces derniers aux droits des citoyens israéliens juifs installés dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, constituent une violation de l’interdiction de l’apartheid au regard du droit international.
6) En conséquence de ces violations graves du droit international, Israël est tenu :
a) de cesser immédiatement et complètement toutes ses activités de colonisation et ses activités connexes dans le Territoire palestinien occupé (y compris à Jérusalem-Est) et de faire machine arrière, conformément aux résolutions pertinentes de l’ONU ;
66 Résolution 36/27 de l’Assemblée générale du 13 novembre 1981, par. 3 (« Renouvelle l’appel adressé à tous les États pour leur demander de cesser immédiatement de fournir à Israël des armes et du matériel connexe de tous ordres qui lui permettent de commettre des actes d’agression contre d’autres États ») ; résolution 2334 (2016) du Conseil de sécurité du 23 décembre 2016, par. 2 (« Exige de nouveau d’Israël qu’il arrête immédiatement et complètement toutes ses activités de peuplement dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, et respecte pleinement toutes les obligations juridiques qui lui incombent à cet égard »).
67 Voir résolution 2184 (XXI) de l’Assemblée générale du 12 décembre 1966, par. 5 (« Invite le Portugal à appliquer immédiatement le principe de l’autodétermination aux peuples des territoires qu’il administre », par. 6 (« Fait appel à tous les États pour qu’ils accordent aux peuples des territoires sous domination portugaise l’aide morale et matérielle nécessaire au rétablissement de leurs droits inaliénables et empêchent leurs ressortissants de coopérer avec les autorités portugaises, en particulier en ce qui concerne les investissements dans le territoire ») ; résolution 36/27 de l’Assemblée générale du 13 novembre 1981, par. 3 (« Renouvelle l’appel adressé à tous les États pour leur demander de cesser immédiatement de fournir à Israël des armes et du matériel connexe de tous ordres qui lui permettent de commettre des actes d’agression contre d’autres États »).
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b) d’annuler toutes les politiques et pratiques contribuant à un environnement coercitif ou à une augmentation du risque de transfert forcé de Palestiniens ;
c) de revoir les lois et politiques de planification afin de garantir qu’elles soient conformes aux obligations que le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire lui imposent ;
d) de s’abstenir de mettre en oeuvre les ordonnances d’expulsion et de démolition fondées sur des politiques et pratiques de planification discriminatoires et illicites pouvant conduire au transfert forcé de Palestiniens, qui touchent les femmes et les personnes vulnérables de façon disproportionnée ;
e) de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la population palestinienne et ses biens contre la violence des colons et veiller à ce que tous les actes de violence commis par des colons ou les forces de sécurité israéliennes contre des Palestiniens ainsi que les dommages causés à leurs biens fassent l’objet d’enquêtes rapides, efficaces, rigoureuses et transparentes, que les auteurs soient poursuivis en justice et, s’ils sont déclarés coupables, qu’ils soient sanctionnés de façon appropriée, et que les victimes se voient accorder des mesures de réparation effectives, y compris une indemnisation adéquate, conformément aux normes internationales.
7) En ce qui concerne les conséquences juridiques qui découlent, pour les autres États, de ces graves violations du droit international, la Cour pourrait déclarer ce qui suit :
a) Les violations de normes impératives engendrent une obligation erga omnes de coopérer avec les autres États ainsi qu’avec l’ONU et les autres organisations internationales compétentes en vue de mettre fin aux violations par Israël de normes de jus cogens et du droit à l’autodétermination, ainsi qu’à son occupation illicite par le recours à la force et par des actes d’agression.
b) L’ONU doit établir un tribunal d’indemnisation dans le but de remédier aux dommages et aux pertes subis par la population palestinienne du fait de l’occupation illicite prolongée du territoire palestinien par Israël.
La Haye, le 25 juillet 2023.
L’ambassadeur de la République islamique
du Pakistan auprès du Royaume des Pays-Bas,
(Signé) S. Exc. M. Suljuk MUSTANSAR TARAR.
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Exposé écrit du Pakistan