Observations écrites de la Grèce sur l’objet de son intervention

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182-20230705-WRI-25-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA RÉPUBLIQUE HELLÉNIQUE
3 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
I. INTRODUCTION
1. Le 26 février 2022, l’Ukraine a introduit contre la Fédération de Russie une instance relative
à « un différend … concernant l’interprétation, l’application et l’exécution de la convention de 1948
pour la prévention et la répression du crime de génocide » (ci-après la « convention sur le génocide »
ou la « convention »)1, cherchant à fonder la compétence de la Cour sur l’article 36, paragraphe 1,
du Statut de la Cour et sur l’article IX de la convention2.
2. En même temps que sa requête, l’Ukraine a présenté une demande en indication de mesures
conservatoires, dans laquelle elle priait la Cour d’indiquer de telles mesures « afin d’éviter qu’un
préjudice irréparable ne soit causé à ses droits et à ceux de sa population et que le différend qui
oppose les Parties en ce qui concerne la convention sur le génocide ne s’aggrave ou ne s’étende »3.
3. Le 7 mars 2022, une audience publique s’est tenue sans la participation de la Fédération de
Russie. Cependant, dans un document communiqué le même jour à la Cour, la Fédération de Russie
affirmait que celle-ci n’avait pas compétence pour connaître de l’affaire et la « pri[ait] … de
s’abstenir d’indiquer des mesures conservatoires et de radier l’affaire de son rôle »4.
4. Par une ordonnance en date du 16 mars 2022, la Cour a indiqué des mesures conservatoires5.
5. Le 23 mars 2022, la Cour a rendu une ordonnance fixant les dates d’expiration des délais
pour le dépôt du mémoire de l’Ukraine et du contre-mémoire de la Fédération de Russie au
23 septembre 2022 et au 23 mars 2023, respectivement6.
6. Le 30 mars 2022, le greffier de la Cour a adressé aux États parties à la convention sur le
génocide les notifications prévues au paragraphe 1 de l’article 63 du Statut de la Cour, lequel dispose
que, « [l]orsqu’il s’agit de l’interprétation d’une convention à laquelle ont participé d’autres États
que les parties en litige, le Greffier les avertit sans délai »7.
1 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée le 9 décembre 1948 et entrée en
vigueur le 12 janvier 1951, Recueil des traités des Nations Unies (RTNU), vol. 78, p. 277.
2 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), requête introductive d’instance, déposée au Greffe de la Cour le 26 février 2022, par. 12.
3 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), demande en indication de mesures conservatoires, 26 février 2022, par. 20.
4 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), document (avec annexes) de la Fédération de Russie exposant sa position sur le prétendu
« défaut de compétence » de la Cour en l’affaire, 7 mars 2022, par. 24.
5 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 86.
6 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), ordonnance du 23 mars 2022, p. 2.
7 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), lettre no 156413 en date du 30 mars 2022, adressée aux parties contractantes à la
convention sur le génocide par le greffier de la Cour.
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7. Le 1er juillet 2022, l’Ukraine a déposé son mémoire8.
8. Le 3 octobre 2022, la Fédération de Russie a soulevé des exceptions préliminaires
concernant la compétence de la Cour et la recevabilité de la requête9, et, le 3 février 2023, l’Ukraine
a déposé l’exposé écrit de ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires de la
Fédération de Russie10.
9. Le 13 octobre 2022, la République hellénique a soumis une déclaration d’intervention en
vertu du paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour, qui confère à chacun des États ainsi avertis
« le droit d’intervenir au procès », l’intervention étant limitée à l’interprétation de l’article IX de la
convention sur le génocide11.
10. Le 15 novembre 2022, l’Ukraine, conformément au paragraphe 1 de l’article 83 du
Règlement de la Cour, a déposé auprès du Greffe ses observations écrites sur la déclaration
d’intervention de la République hellénique, plaidant que celle-ci était recevable. Le même jour,
agissant sur le fondement de la même disposition, la Fédération de Russie a soumis ses observations
écrites sur la recevabilité des déclarations d’intervention déposées par dix États, dont la République
hellénique, priant la Cour de rejeter chacune de ces déclarations pour des raisons d’irrecevabilité ou
de ne procéder à l’examen de la recevabilité des déclarations qu’après s’être prononcée sur les
exceptions préliminaires qu’elle avait soulevées12.
11. Le 31 janvier 2023, le greffier de la Cour a informé la République hellénique de ce qui
suit :
« La Fédération de Russie ayant fait objection à la recevabilité de la déclaration
d’intervention de votre Gouvernement, la Cour doit, conformément au paragraphe 2 de
l’article 84 de son Règlement, entendre l’État désireux d’intervenir ainsi que les parties
avant de statuer sur la question de la recevabilité. À cet égard, la Cour a décidé de
procéder par voie écrite. À cet égard, elle a fixé au 13 février 2023 la date d’expiration
du délai dans lequel votre Gouvernement pourra fournir ses observations écrites sur la
recevabilité de sa déclaration et au 13 mars 2023 la date d’expiration du délai dans
8 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mémoire déposé par l’Ukraine, 1er juillet 2022.
9 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires déposées par la Fédération de Russie, 1er octobre 2022.
10 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), exposé écrit des observations et conclusions de l’Ukraine sur les exceptions
préliminaires de la Fédération de Russie, 3 février 2023.
11 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration d’intervention de la République hellénique en vertu de l’article 63 du Statut
de la Cour, 6 octobre 2022, par. 17.
12 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), observations écrites sur la recevabilité des déclarations d’intervention déposées par
l’Australie, la République d’Autriche, le Royaume du Danemark, le Royaume d’Espagne, la République d’Estonie, la
République de Finlande, la République hellénique, la République d’Irlande, le Grand-Duché de Luxembourg et la
République portugaise, déposées par la Fédération de Russie le 15 novembre 2022.
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lequel les Parties pourront communiquer leurs observations écrites sur la recevabilité de
ladite déclaration. »13
12. Le 13 février 2023, la République hellénique a déposé, conformément au paragraphe 2 de
l’article 84 du Règlement, ses observations écrites sur la recevabilité de sa déclaration d’intervention,
où elle n’examinait « les objections soulevées par la Fédération de Russie que dans la mesure où
elles se rapport[ai]ent directement à sa propre déclaration d’intervention »14.
13. Dans une ordonnance en date du 5 juin 2023, la Cour a décidé que les déclarations
d’intervention déposées par 32 États, dont la République hellénique, « [étaie]nt recevables au stade
des exceptions préliminaires en ce qu’elles ont trait à l’interprétation de l’article IX »15.
14. Le 6 juin 2023, le greffier de la Cour a informé la République hellénique de ce qui suit :
« La Cour a aussi fixé au 5 juillet 2023 la date limite de dépôt, par les États dont la déclaration
d’intervention a été jugée recevable au stade des exceptions préliminaires de la procédure, des
observations écrites prévues au paragraphe 1 de l’article 86 du Règlement »16. Il a également
transmis à la République hellénique, conformément à la décision de la Cour et au paragraphe 1 de
l’article 86 du Règlement, la version électronique du mémoire de l’Ukraine, des exceptions
préliminaires de la Fédération de Russie et des observations écrites de l’Ukraine sur ces exceptions
préliminaires.
15. L’intervention de la République hellénique au titre de l’article 63 du Statut de la Cour
« concerne l’exercice d’un droit par un État partie à une convention dont l’interprétation est en cause
devant la Cour »17. Comme elle l’a indiqué dans sa déclaration d’intervention, la République
hellénique se concentrera dans les présentes observations écrites, conformément au paragraphe 1 de
l’article 86 du Règlement, sur l’interprétation de l’article IX de la convention sur le génocide en ce
qui concerne la compétence de la Cour, et présentera son interprétation dudit article dans l’optique
de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 et les règles coutumières d’interprétation
qui y sont énoncées18.
16. Enfin, invitée par la Cour à coordonner son intervention avec celles d’autres États
intervenants et en conformité avec sa déclaration d’intervention, la République hellénique a dans une
large mesure aligné la substance de ses observations écrites sur la position d’autres membres de
13 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), lettre no 158457 en date du 31 janvier 2023, adressée au Gouvernement de la République
hellénique par le greffier de la Cour.
14 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), observations écrites de la République hellénique sur la recevabilité de la déclaration
d’intervention déposée par la République hellénique en vertu de l’article 63 du Statut de la Cour, 13 février 2023, par. 5.
15 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 102.
16 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), lettre no 159476 en date du 6 juin 2023, adressée au Gouvernement de la République
hellénique par le greffier de la Cour.
17 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 26 et autres sources citées.
18 Voir Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie
c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 87 ; voir aussi Application de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar c. Émirats arabes unis), exceptions
préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 95, par. 75 et autres sources citées.
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l’Union européenne intervenant en l’espèce. Toutefois, afin de pouvoir respecter le délai strict fixé
par la Cour et pour des raisons logistiques, elle dépose ses propres observations écrites.
II. INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
PRÉCONISÉE PAR LA RÉPUBLIQUE HELLÉNIQUE
17. Dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires en l’espèce, la Cour s’est
déclarée compétente prima facie sur la base de l’article IX de la convention sur le génocide19. Ainsi
qu’elle l’a rappelé dans la même ordonnance, les Parties à l’instance s’opposent sur la question de
savoir si la clause compromissoire figurant à l’article IX de la convention sur le génocide peut être
invoquée dans une affaire où des allégations de génocide avancées contre un État conduisent à
l’emploi de la force militaire par un autre État20. En outre, dans son ordonnance sur la recevabilité
des déclarations d’intervention, la Cour a conclu que « l’interprétation de l’article IX et d’autres
dispositions de la convention sur le génocide concernant [s]a compétence ratione materiae [était] en
cause au stade actuel de la procédure »21.
18. La République hellénique tient à souligner d’emblée que la convention sur le génocide
revêt la plus haute importance pour la prévention et la répression du génocide. Tout acte commis
dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux
constitue un crime en droit international. L’interdiction du génocide constitue « une norme
impérative du droit international (jus cogens) »22. De plus, ainsi que l’a dit la Cour,
« [e]n raison des valeurs qu’ils partagent, tous les États parties à la convention sur le
génocide ont un intérêt commun à assurer la prévention des actes de génocide et, si de
tels actes sont commis, à veiller à ce que leurs auteurs ne bénéficient pas de l’impunité.
Cet intérêt commun implique que les obligations en question s’imposent à tout État
partie à la convention à l’égard de tous les autres États parties. » (Obligations erga
omnes partes.)23
19. Une importance égale revient au système de contrôle d’application de la convention et de
règlement des différends qui en découle. Ainsi qu’il a été observé en doctrine, l’article IX de la
convention est « un modèle de clarté et de simplicité, qui ouvre aussi largement que possible la voie
à la saisine de la Cour »24, ce qui permet aux États parties de porter devant une juridiction impartiale
les différends importants auxquels peut donner lieu la convention (y compris ceux qui résultent
19 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 48.
20 Ibid., par. 28 et suiv.
21 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 69.
22 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 111, par. 161.
23 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 17, par. 41 et autres sources citées ; voir
aussi Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 107.
24 R. Kolb, « The Compromissory Clause of the Convention », in P. Gaeta (sous la dir. de), The UN Genocide
Convention: A Commentary (Oxford University Press, 2009), p. 420.
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d’allégations de génocide). Dans cette perspective, l’article IX favorise le processus judiciaire en tant
que mode de règlement pacifique des différends internationaux relevant de la convention25.
20. L’article IX est ainsi libellé :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une Partie au différend. »
21. L’interprétation de l’article IX que préconise la République hellénique repose sur
l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités de 196926, qui reflète le droit
international coutumier et énonce ce qui suit :
« 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux
termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte,
préambule et annexes inclus :
a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties
à l’occasion de la conclusion du traité ;
b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion
du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au
traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation
du traité ou de l’application de ses dispositions ;
b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle
est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ;
c) De toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations
entre les parties. »
22. S’agissant de la signification des termes utilisés à l’article IX, la République hellénique
fait valoir que la notion de « différend » est déjà bien établie dans la jurisprudence de la Cour et
souscrit à l’interprétation donnée par la Cour dans son ordonnance du 16 mars 2022, dont voici les
passages s’y rapportant :
23. « L’article IX de la convention sur le génocide subordonne la compétence de la Cour à
l’existence d’un différend relatif à l’interprétation, l’application ou l’exécution dudit instrument.
25 Voir C. Tams, « Article IX », in C. Tams et al. (sous la dir. de), Convention on the Prevention and Punishment
of the Crime of Genocide: A Commentary (Verlag C. H. Beck, 2015), p. 294. Voir aussi R. Kolb, ibid., p. 413.
26 Convention de Vienne sur le droit des traités, adoptée le 23 mai 1969 et entrée en vigueur le 27 janvier 1980,
RTNU, vol. 1155, p. 331.
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Selon la jurisprudence constante de la Cour, un différend est “un désaccord sur un point de droit ou
de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts” entre parties
(Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11). Pour qu’un
différend existe, “[i]l [doit être] démontr[é] que la réclamation de l’une des parties se heurte à
l’opposition manifeste de l’autre” (Sud‑Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria
c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 328). Les “‘points de vue
des deux parties, quant à l’exécution ou à la non‑exécution’ de certaines obligations internationales,
‘[doivent être] nettement opposés’” (Violations alléguées de droits souverains et d’espaces
maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50, citant Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la
Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74). À l’effet
d’établir si un différend existe dans la présente affaire, la Cour ne peut se borner à constater que l’une
des Parties soutient que la convention s’applique alors que l’autre le nie (voir Application de la
convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Qatar
c. Émirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil
2018 (II), p. 414, par. 18). »27
24. « La Cour rappelle que, aux fins de déterminer s’il existait un différend entre les Parties
au moment du dépôt de la requête, elle tient notamment compte de toute déclaration ou de tout
document échangé entre les Parties, ainsi que de tout échange ayant eu lieu dans des enceintes
multilatérales. Ce faisant, elle porte une attention particulière aux auteurs des déclarations ou
documents, aux personnes auxquelles ils étaient destinés ou qui en ont effectivement eu connaissance
et à leur contenu. L’existence d’un différend doit être établie objectivement par la Cour ; c’est une
question de fond, et non de forme ou de procédure (voir Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires,
ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 12, par. 26). »28
25. « La Cour rappelle que, si un État n’a pas à se référer expressément, dans ses échanges
avec un autre État, à un traité particulier pour être ensuite admis à invoquer la clause compromissoire
dudit traité aux fins d’introduire une instance devant elle (Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité,
arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429, par. 83), l’objet du traité doit néanmoins être mentionné assez
clairement, dans lesdits échanges, pour que l’État contre lequel il formule un grief puisse savoir
qu’un différend existe ou peut exister à cet égard (Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30). »29
26. Passant à l’interprétation du reste de l’énoncé de l’article IX, à savoir que les différends
doivent être « relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention », la
République hellénique soutient que l’article IX est une disposition attributive de compétence
générale qui autorise la Cour à statuer sur les différends concernant la prétendue exécution par une
partie contractante des obligations qui lui incombent au titre de la convention. Le rôle important que
joue la Cour dans le cadre de la convention, sur le fondement de la clause compromissoire figurant
à l’article IX, a été mis en évidence dans l’opinion individuelle commune rédigée par cinq membres
de la Cour en l’affaire relative aux Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête :
27 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 28.
28 Ibid., par. 35.
29 Ibid., par. 44.
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2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda)30 ; ce rôle clé de la Cour appelle une
interprétation large de l’article IX de la convention.
27. La formule « relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente
Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide » peut être
subdivisée en trois éléments : a) « relatifs à », b) « l’interprétation, l’application ou l’exécution de la
présente Convention » et c) « y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de
génocide ».
28. a) S’agissant du premier élément, la locution « relatifs à » établit un lien entre le différend
et la convention. Il est donc suffisant, pour que la Cour puisse exercer la compétence que lui confère
l’article IX, que l’objet du différend concerne la convention elle-même. Autrement dit, l’article IX
peut être utilisé pour saisir la Cour de tout différend concernant des allégations de violation de la
convention.
29. En conséquence, lorsque, comme en l’espèce, l’objet d’une requête porte sur la question
de savoir si certains actes, tels que des allégations de génocide et des opérations militaires entreprises
dans le but déclaré de prévenir et de réprimer celui-ci, sont conformes à la convention sur le génocide,
ce différend relève directement de l’article IX de la convention. La Cour peut exercer sa compétence
en vertu de cet article indépendamment de la question de savoir si le comportement en cause viole
ou non simultanément d’autres règles de droit international extrinsèques à la convention et si elle a
ou non-compétence à l’égard de ces questions. Ainsi qu’elle l’a fait observer dans son ordonnance
du 16 mars 2022, « certains actes ou omissions peuvent donner lieu à un différend entrant dans le
champ de plusieurs instruments »31.
30. b) Pour ce qui est du deuxième élément, les rédacteurs ont délibérément donné à la formule
« l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention » un caractère général
recouvrant de nombreux cas de figure.
31. La référence à l’« interprétation » de la convention s’explique d’elle-même, puisque ce
terme « s’entend généralement du processus consistant à “expliquer le sens” d’une norme
juridique »32.
32. L’« application » désigne quant à elle la « mise en oeuvre de quelque chose » dans un cas
donné33. Ainsi que la Cour permanente de Justice internationale l’a expliqué en l’affaire de l’Usine
de Chorzów, les différends « relatifs à l’application » des dispositions d’un traité « comprennent, non
seulement ce[ux] qui ont trait à la question de savoir si 1’application de clauses déterminées est ou
non exacte, mais aussi ce[ux] qui portent sur l’applicabilité desdits articles, c’est-à-dire sur tout acte
ou toute omission créant un état de choses contraire à ces articles »34.
30 Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo
c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, opinion individuelle commune des juges Higgins,
Kooijmans, Elaraby, Owada et Simma, p. 72, par. 28.
31 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 46 et autres sources citées.
32 C. Tams, « Article IX », op. cit., p. 313.
33 Ibid.
34 Usine de Chorzów, compétence, arrêt no 8, 1927, C.P.J.I. série A no 9, p. 20 et 21.
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33. Le terme « exécution » recoupe partiellement le précédent et peut s’entendre d’une
application qui « répond aux exigences » d’une norme35. En outre, l’adjonction, à l’article IX, du
terme « exécution » à la formule « interprétation et application », qui figure plus couramment dans
les clauses compromissoires, conforte l’idée que la Cour est compétente rationae materiae pour
déclarer l’absence de génocide lorsque des accusations en ce sens ont été portées. Ainsi que l’a relevé
un membre de la Cour, l’adjonction du mot « exécution » rend cette disposition « unique si on la
compare aux clauses compromissoires d’autres traités multilatéraux qui prévoient la soumission à la
Cour internationale de Justice des différends entre les parties contractantes ayant trait à leur
interprétation ou application » (les italiques sont dans l’original)36.
34. Dans le même ordre d’idées, il a été signalé que « [l]es travaux préparatoires confirment
que le terme “exécution” était destiné à élargir la compétence »37. La décision d’ajouter ce mot
montre que l’objectif était d’« étendre la compétence de la Cour à un large éventail de différends
potentiels relatifs à la convention, dont l’exécution par [les parties] des obligations qui en
découlent »38.
35. En tout état de cause, « en insérant les trois termes alternatifs » (« interprétation »,
« application » et « exécution »), les rédacteurs cherchaient à « donner la couverture la plus complète
possible à la clause compromissoire » et à « combler toutes les failles [potentielles] »39.
36. Quant au dernier segment de la formule « relatifs à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la … Convention », les mots « de la … Convention » indiquent clairement que la
clause compromissoire renvoie à toutes les dispositions du texte. Autrement dit, l’article IX ne crée
pas d’autres droits ou obligations substantiels pour les parties ; les normes de fond qui relèvent de la
compétence de la Cour doivent se trouver ailleurs dans la convention. En outre, le renvoi concerne
l’ensemble de la convention, y compris les violations de celle-ci40.
37. Ainsi, il peut y avoir un différend au sujet de l’interprétation, de l’application ou de
l’exécution de la convention lorsqu’un État accuse un autre État d’avoir commis un génocide. Dans
ce cas de figure, la Cour examinera les faits sous-tendant cette allégation : si elle n’est pas convaincue
que le défendeur ait réellement commis des actes de génocide, elle pourra se déclarer incompétente41.
35 C. Tams, « Article IX », op. cit., p. 313.
36 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), déclaration du juge Oda, p. 627, par. 5.
37 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), exposé écrit des observations et conclusions de l’Ukraine sur les exceptions
préliminaires soulevées par la Fédération de Russie, 3 février 2023, par. 95.
38 Ibid.
39 C. Tams, « Article IX », op. cit., p. 313 ; R. Kolb, « The scope ratione materiae of the compulsory jurisdiction
of the ICJ », in P. Gaeta (sous la dir. de), The UN Genocide Convention: A Commentary (Oxford University Press, 2009),
p. 453.
40 Voir R. Kolb, ibid., p. 453 et 454.
41 Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 372-373, par. 24-31. La Cour a ultérieurement conclu qu’elle n’avait pas compétence en raison
de l’irrecevabilité de la Serbie-et-Monténégro, à l’époque de l’introduction de l’instance, au regard de l’article 35 du Statut
(voir Licéité de l’emploi de la force (Serbie-et-Monténégro c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
2004 (II), p. 595).
- 10 -
38. Si ce cas de figure, dans lequel est en cause la responsabilité à raison d’actes de génocide,
est souvent à l’origine des différends concernant « l’interprétation, l’application ou l’exécution » de
la convention, il n’est pas le seul. Dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), la
demanderesse reprochait à la défenderesse plusieurs violations de la convention, y compris un
manquement à l’obligation de prévenir et de punir le génocide prévue à l’article premier42, et la Cour
a confirmé sa compétence ratione materiae43. Dans l’affaire (pendante) relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), la
demanderesse faisait valoir que le défendeur non seulement était responsable d’actes prohibés par
l’article III, mais manquait aussi aux obligations que lui impose la convention en ne prévenant pas
le génocide, en violation de l’article premier, et en ne punissant pas ce crime, en violation des articles
premier, IV et V44. Dans ces cas précis, un État accuse un autre État de ne pas respecter son
engagement de « prévenir » et de « punir » le génocide, au motif qu’il laisse impunis les actes de
génocide commis sur son territoire. Il s’ensuit qu’il peut aussi exister des différends concernant une
« inaction » constitutive de manquement aux obligations de fond énoncées aux articles
susmentionnés.
39. En conséquence, il ressort clairement du sens ordinaire de l’article IX qu’il n’est pas
nécessaire d’établir l’existence d’actes de génocide pour fonder la compétence de la Cour, mais que
celle–ci est compétente pour connaître de la question de savoir si des actes de génocide ont été
commis ou le sont, ou non. Le texte français, qui fait également foi selon l’article X de la convention,
corrobore cette interprétation dudit article, étant donné que l’expression « y compris ceux relatifs à
la responsabilité d’un État en matière de génocide » est assez large pour renvoyer tant à la
commission qu’à la non-commission du crime de génocide.
40. c) Quant au troisième élément, la formule « y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un
État en matière de génocide » confirme elle aussi « le caractère exhaustif de l’article IX »45. Ainsi
que l’a dit la Cour, la locution « y compris » est une « particularité »46 indiquant que l’article IX a un
champ d’application plus large que celui d’une clause compromissoire ordinaire. De l’avis de la
Cour,
« [l]’expression “y compris” semble confirmer que les différends relatifs à la
responsabilité des parties contractantes pour génocide ou tout autre acte énuméré à
l’article III s’inscrivent dans un ensemble plus large de différends relatifs à
l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la Convention »47.
41. Le contexte de la locution « relatifs à » figurant à l’article IX confirme donc que la
compétence de la Cour va au-delà des différends entre États concernant la responsabilité à raison
d’actes de génocide supposés et s’étend également aux différends entre États concernant l’absence
42 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 603, par. [1]4, et p. 614, par. 28.
43 Ibid., aux p. 615-617, par. 30-33.
44 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 24, points 1 c), d) et e).
45 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), exposé écrit des observations et conclusions de l’Ukraine sur les exceptions
préliminaires soulevées par la Fédération de Russie, 3 février 2023, par. 98.
46 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [114], par. 169.
47 Ibid.
- 11 -
de génocide et l’exécution d’obligations conventionnelles par un ou plusieurs États parties. En
d’autres termes,
« en ce qui concerne l’exécution positive de la convention sur le génocide, la Cour est
compétente à l’égard de la question de savoir si une partie contractante … a
suffisamment fait pour prévenir et punir le génocide. En ce qui concerne son exécution
négative, la Cour peut également statuer sur la question de savoir si une partie
contractante a manqué à ses obligations en la matière »48.
42. En outre, ainsi qu’il est observé plus haut, les notions de « différend » et d’« exécution »
de l’article IX sont suffisamment larges pour permettre à la Cour de déclarer que l’État demandeur
n’est pas responsable, comme le prétend l’État défendeur, d’un manquement à ses obligations au titre
de la convention. L’article IX prévoit expressément la saisine de la Cour « à la requête d’une Partie
au différend » (les italiques sont de nous). Comme l’a dit celle-ci, cette mention « précise que seule
une partie au différend peut porter celui-ci devant la Cour »49. Il faut donc que l’État partie à la
convention qui saisit la Cour soit partie au différend, mais le texte ne pose aucune restriction quant
à laquelle des parties ; il peut s’agir de l’une ou l’autre d’entre elles. En conséquence, lorsqu’il existe
un différend sur la question de savoir si un État a eu un comportement contraire à la convention,
l’État accusé d’un tel comportement a le même droit de soumettre le différend à la Cour que l’État
qui formule l’accusation, de sorte que la Cour sera compétente pour connaître de ce différend50. Rien
ne limite la compétence de la Cour aux affaires dans lesquelles c’est l’État demandeur qui accuse
l’État défendeur de manquer à ses obligations au regard de la convention. Autrement, un État partie
pourrait, au mépris du principe de la bonne foi, se contenter d’inventer des violations de la convention
sur le génocide supposément commises par un autre État partie sans que ce dernier puisse saisir la
Cour, ce qui empêcherait celle-ci de connaître de différends liés à un génocide et pourrait aboutir à
de graves détournements de la convention. En conséquence, tout État peut demander à la Cour de
dire que les allégations de génocide portées contre lui par un autre État sont dénuées de fondement
en fait et en droit.
43. Plus généralement, rien n’empêche un État demandeur d’invoquer la clause
compromissoire d’une convention donnée pour demander à la Cour de prononcer un jugement
déclaratoire négatif à l’effet de dire qu’il n’a pas violé les obligations internationales qui lui
incombent au titre de la convention en question. Par exemple, dans l’affaire relative aux Questions
d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien
de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d’Amérique), la Libye avait demandé à la
Cour de constater, sur la base de l’article 14 de la convention de Montréal de 1971 pour la répression
d’actes illicites dirigés contre la sécurité de l’aviation civile, qu’elle avait respecté les articles 5, 6 et
7 de ladite convention51. Les États-Unis avaient excipé de ce qu’aucune des dispositions citées par
48 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration d’intervention déposée par la Principauté du Liechtenstein en vertu de
l’article 63 du Statut de la Cour internationale de Justice, 15 décembre 2022, par. 20.
49 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 111.
50 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration d’intervention déposée par le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande
du Nord en vertu de l’article 63 du Statut de la Cour internationale de Justice, 1er août 2022, par. 34 ; déclaration
d’intervention déposée par le Gouvernement de l’Australie en vertu de l’article 63 du Statut de la Cour internationale de
Justice, 30 septembre 2022, par. 35 et 36 ; déclaration d’intervention déposée par le Royaume de Norvège en vertu de
l’article 63 du Statut de la Cour internationale de Justice, 10 novembre 2022, par. 21.
51 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien
de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 123, par. 25.
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la demanderesse ne concernait des obligations qui les liaient en tant que défendeur52. La Cour a rejeté
l’exception préliminaire, estimant qu’elle était saisie d’un différend spécifique relatif à
l’interprétation et à l’application de l’article 7  lu conjointement avec l’article premier, l’article 5,
l’article 6 et l’article 8 de la convention de Montréal  qu’il lui appartenait de trancher sur la base
de l’article 1453. Elle s’est donc déclarée compétente pour statuer sur la requête de la demanderesse
tendant à ce qu’elle constate que cette dernière n’avait pas violé la convention de Montréal.
44. En outre, le caractère erga omnes partes de la convention sur le génocide, déjà mentionné,
milite contre une interprétation étroite de la possibilité de demander la protection de la justice devant
la Cour. Au contraire, pareille interprétation risquerait d’empêcher l’État victime d’abus de la
convention de demander réparation, ce qui compromettrait la crédibilité et l’efficacité de la
convention en tant qu’instrument universel de prévention du génocide, tout comme le rôle de la Cour
en tant que voie de recours essentielle contre les abus de droit.
45. L’interprétation large qui est donnée de la clause compromissoire est en outre étayée par
le fait que celle-ci, contrairement à de nombreuses autres clauses de ce type, n’exige pas d’étapes
procédurales supplémentaires telles que des négociations préalables ou des tentatives de règlement
du différend par voie d’arbitrage.
46. Enfin, l’objet et le but de la convention viennent également à l’appui d’une interprétation
large de l’article IX. La Cour a relevé que « [t]ous les États parties à la convention sur le génocide
ont donc, en souscrivant aux obligations contenues dans cet instrument, un intérêt commun à veiller
à ce que le génocide soit prévenu, réprimé et puni »54. La nature erga omnes des obligations découlant
de la convention corrobore aussi l’importance primordiale du texte pour la communauté
internationale dans son ensemble, laquelle a confié à la Cour internationale de Justice, en 1948, une
mission particulièrement importante consistant à faire respecter cet accord dans l’intérêt de tous les
États.
47. Dans un passage célèbre de l’avis consultatif qu’elle a rendu en 1951, la Cour a dit ceci :
« Les fins d’une telle convention doivent également être retenues. La Convention
a été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut
même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double
caractère, puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains
groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les
plus élémentaires. Dans une telle convention, les États contractants n’ont pas d’intérêts
propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les
fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne
saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages
individuels des États, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les
droits et les charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu
52 Ibid., p. 124, par. 26.
53 Ibid., p. 127, par. 28.
54 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 107 et autres sources citées.
- 13 -
de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions
qu’elle renferme. »55
48. L’objet de la convention, qui est de protéger les principes de morale les plus élémentaires,
exige aussi des États parties qu’ils ne fassent pas un emploi abusif de ses dispositions à d’autres fins.
Le but de la convention plaide donc avec force en faveur d’une lecture de l’article IX selon laquelle
les différends relatifs à l’interprétation, à l’application et à l’exécution de la convention comprennent
les différends relatifs au recours abusif à l’autorité de ce traité pour justifier les agissements d’un
État partie à l’égard d’un autre État partie. En effet, la crédibilité de la convention en tant
qu’instrument universel visant à interdire le crime le plus abject qu’est le génocide serait compromise
si un État partie pouvait l’invoquer abusivement sans que l’État partie victime d’un tel abus puisse
se tourner vers la Cour.
III. CONCLUSION
49. En conclusion, il ressort du sens ordinaire de l’article IX de la convention, de son contexte
ainsi que de l’objet et du but de l’ensemble de la convention, que cette disposition vise tout différend
relatif à l’interprétation, l’application ou l’exécution de ce traité. La clause compromissoire de
l’article IX confère à la Cour « la compétence la plus large possible dans le cadre du régime de la
convention »56, laquelle ne peut être mise en doute sous prétexte de l’insuffisance du lien avec la
convention. Aussi le différend relatif aux actes qu’un État partie, sur le fondement d’allégations
fallacieuses de génocide, commet contre un autre État partie relève-t-il de la notion de « différends
entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente
Convention ». Par conséquent, la Cour est compétente pour constater l’absence de génocide et le
manquement à l’obligation d’exécuter de bonne foi la convention, lorsqu’il en résulte un abus de
droit.
Respectueusement soumis,
L’agente de la République hellénique
devant la Cour internationale de Justice,
(Signé) Zinovia Chaido STAVRIDI.
___________
55 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1951, p. 23.
56 R. Kolb, « The scope ratione materiae of the compulsory jurisdiction of the ICJ », op. cit., p. 453.

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Observations écrites de la Grèce sur l’objet de son intervention

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