Observations écrites de l'Australie sur l’objet de son intervention

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182-20230705-WRI-19-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE (UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
OBSERVATIONS ÉCRITES DU GOUVERNEMENT DE L’AUSTRALIE
5 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
TABLE DES MATIÈRES
Page
I. INTRODUCTION ...........................................................................................................................1
II. INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE ................................1
A. Interprétation du terme « différend » à l’article IX ................................................................2
B. L’article IX donne compétence à la Cour pour déclarer si le demandeur s’est conformé à la convention sur le génocide, lorsque ce point est en litige ................................................6
C. L’article IX donne compétence à la Cour à l’égard des différends concernant toute action entreprise sur le fondement prétendu des articles I ou IV de la convention sur le génocide ...........................................................................................................................9
III. CONCLUSION .......................................................................................................................... 11
I. INTRODUCTION
1. Le 30 septembre 2022, l’Australie, se prévalant du droit que lui confère l’article 63 du Statut de la Cour internationale de Justice, a déposé sa déclaration d’intervention (la « déclaration de l’Australie ») en l’affaire des Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie). Le 5 juin 2023, la Cour a déclaré recevable au stade des exceptions préliminaires de la procédure la déclaration de l’Australie (tout comme celles de 31 autres États)1. Elle a fixé au 5 juillet 2023 la date d’expiration du délai pour le dépôt, par l’Australie, des observations écrites prévues au paragraphe 1 de l’article 86 du Règlement2. Les présentes observations écrites sont déposées en exécution de cette ordonnance.
2. L’Australie intervient en qualité de partie à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la « convention sur le génocide » ou la « convention »)3. Dans les présentes observations écrites, elle expose ses vues sur l’interprétation de l’article IX, compte tenu des prétentions formulées par les parties au différend.
3. En déposant les présentes observations écrites, l’Australie rappelle les conséquences désastreuses du recours unilatéral à la force par la Fédération de Russie en Ukraine. Elle maintient son adhésion aux profondes préoccupations exprimées par l’Assemblée générale des Nations Unies (l’« Assemblée générale ») en mars 2022, en avril 2022, en octobre 2022, en novembre 2022 et, plus récemment, en février 20234. À cette dernière occasion, l’Assemblée générale a déploré en particulier « les conséquences désastreuses, sur le plan des droits humains et sur le plan humanitaire, de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine »5. Le dépôt des présentes observations écrites s’inscrit dans l’engagement de l’Australie à protéger et à promouvoir l’ordre international fondé sur l’état de droit et le règlement pacifique des différends, dans lequel la Cour joue un rôle vital6.
II. INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
4. Pour établir la compétence en l’espèce, l’Ukraine s’appuie sur l’article IX de la convention sur le génocide, ainsi libellé :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une Partie au différend. »
1 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), recevabilité des déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 102 1.
2 Ibid., par. 102 3.
3 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, ouverte à la signature le 9 décembre 1948, Recueil des traités, vol. 78, p. 277 (entrée en vigueur le 12 janvier 1951).
4 Nations Unies, résolution ES-11/1 de l’Assemblée générale, 2 mars 2022, doc. A/RES/ES-11/1 ; Nations Unies, résolution ES-11/2 de l’Assemblée générale, 24 mars 2022, doc. A/RES/ES-11/2 ; Nations Unies, résolution ES-11/3 de l’Assemblée générale, 7 avril 2022, doc. A/RES/ES-11/3 ; Nations Unies, résolution ES-11/4 de l’Assemblée générale, 13 octobre 2022, doc. A/RES/ES-11/4 ; Nations Unies, résolution ES-11/5 de l’Assemblée générale, 15 novembre 2022, doc. A/RES/ES-11/5 ; Nations Unies, résolution ES-11/6 de l’Assemblée générale, 23 février 2023, doc. A/RES/ES-11/6.
5 Nations Unies, résolution ES-11/6 de l’Assemblée générale, 23 février 2023, doc. A/RES/ES-11/6, préambule.
6 Voir en outre déclaration de l’Australie, par. 4-7.
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5. Les présentes observations écrites exposent l’interprétation que donne l’Australie à l’article IX dans la perspective du différend qui oppose les Parties :
a) La sous-section A concerne l’interprétation du terme « différend » figurant à l’article IX, mise en cause par la première exception préliminaire de la Fédération de Russie.
b) La sous-section B traite de la question de savoir si la Cour a compétence au titre de l’article IX pour juger si le demandeur s’est conformé à la convention, lorsque ce point est en litige, question qui se rapporte à la cinquième exception préliminaire de la Fédération de Russie.
c) La sous-section C porte sur la compétence de la Cour au titre de l’article IX à l’égard des différends concernant toute action entreprise sur le fondement prétendu des articles I ou IV de la convention, question soulevée par la deuxième exception préliminaire de la Fédération de Russie.
A. Interprétation du terme « différend » à l’article IX
6. Dans sa première exception préliminaire, la Fédération de Russie avance qu’il n’existe pas de différend relevant de la convention sur le génocide. Elle soutient qu’il faudrait pour cela que les parties aient des vues nettement opposées « quant aux obligations spécifiques imposées par la convention »7. Cela signifie, selon elle, que « l’Ukraine doit démontrer que les demandes dont elle a saisi la Cour sur la base de la convention se sont heurtées à l’opposition manifeste de la Fédération de Russie avant l’introduction de la présente instance »8. Elle affirme par ailleurs qu’il n’existe pas de « différend » parce que les écritures de l’Ukraine ne font pas expressément référence à la convention sur le génocide9. À la lecture de l’ensemble de ces prétentions, l’Australie croit comprendre que la Fédération de Russie interprète le terme « différend » comme exigeant : i) la preuve que les prétentions du demandeur fondées sur la convention sur le génocide ont fait l’objet d’une opposition expresse de la part du défendeur, et ii) que les écritures des parties fassent expressément référence à la convention et aux prétentions précises qui en découlent.
7. Comme le mentionne la déclaration de l’Australie, l’existence d’un « différend » entre les Parties à l’instance est une condition préalable à la compétence de la Cour au titre de l’article IX de la convention sur le génocide10. Dans l’arrêt qu’elle a rendu en 2022 sur les exceptions préliminaires en l’affaire Gambie c. Myanmar, la Cour a abordé la question de la norme applicable à la preuve de l’existence d’un différend sous le régime de l’article IX. Elle a formulé, dans le contexte de l’article IX, les propositions ci-après, auxquelles souscrit l’Australie :
a) Un différend est « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts » entre les parties et, pour qu’un différend existe, « [i]l faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre »11.
b) « [L]’existence d’un différend est une question de fond, et non de forme ou de procédure »12.
7 Exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie, 1er octobre 2022 (« exceptions préliminaires de la Fédération de Russie), par. 63.
8 Ibid., par. 63.
9 Ibid., par. 98, 101, 104-106.
10 Déclaration de l’Australie, par. 29.
11 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 63 (références omises).
12 Ibid., par. 64 (références omises).
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c) « En principe, la date à laquelle doit être appréciée l’existence d’un différend est celle du dépôt de la requête … Toutefois, le comportement des parties postérieur à la requête peut être pertinent à divers égards et, en particulier, aux fins de confirmer l’existence d’un différend »13.
d) « [I]l n’est pas nécessaire, pour conclure que les parties ont des points de vue nettement opposés concernant l’exécution d’obligations juridiques, que le défendeur se soit expressément opposé aux réclamations du demandeur »14. Si tel était le cas, d’ajouter la Cour, cela permettrait au défendeur de faire obstacle à la constatation de l’existence d’un différend en restant silencieux devant les prétentions du demandeur15. La Cour a expressément démenti « l’exigence d’une « connaissance mutuelle » fondée sur deux positions explicitement opposées »16.
e) Il est sans importance que les écritures ne fassent pas expressément référence à la convention sur le génocide, la Cour estimant « qu’une référence particulière à un traité ou à ses dispositions » n’est pas requise17, encore qu’il doive, dans les échanges entre les parties, être « référé assez clairement à l’objet du traité pour que l’État contre lequel [est formulé] un grief puisse savoir qu’un différend existe ou peut exister à cet égard »18.
8. L’arrêt rendu en l’affaire Gambie c. Myanmar, en ce qui concerne l’article IX, s’inscrit dans le droit fil de la pratique de la Cour pour ce qui est de l’interprétation du terme « différend » dans les procédures engagées sur le fondement d’autres clauses compromissoires. Voici quelques exemples :
a) Dans l’affaire relative à la Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria, la Cour a fait observer qu’« un désaccord sur un point de droit ou de fait, un conflit, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts ou le fait que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre ne doivent pas nécessairement être énoncés expressis verbis ». Il est en effet possible « d’établir par inférence quelle est en réalité la position ou l’attitude d’une partie »19.
b) Dans l’affaire Géorgie c. Fédération de Russie, la Cour a confirmé qu’il n’était pas nécessaire que les échanges entre les parties fassent expressément référence au traité sur lequel est fondé la demande, à condition qu’il soit référé assez clairement à l’objet de celui-ci20.
13 Ibid., par. 64 (références omises).
14 Ibid., par. 71.
15 Ibid., par. 71.
16 Ibid., par. 71.
17 Ibid., par. 72.
18 Ibid., par. 72, citant Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30.
19 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 315, par. 89.
20 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84 et 85, par. 30. Voir aussi Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429, par. 83, où la Cour a rejeté une exception d’incompétence fondée sur l’omission du demandeur de mentionner le traité sur lequel reposait sa demande avant de déposer son mémoire :
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9. La Cour ayant précisé on ne peut plus nettement qu’il n’est pas nécessaire qu’une partie ait fait expressément référence à la convention sur le génocide pour établir l’existence d’un différend relevant de l’article IX, il serait à la fois illogique et irréaliste d’exiger du demandeur qu’il démontre que les parties ont des points de vue nettement opposés « quant aux obligations spécifiques imposées par la convention »21, comme le soutient la Fédération de Russie. En effet, il existe un différend au sens de l’article IX dès lors que les parties ont des points de vue opposés quant à l’objet du traité, même s’il n’a pas été fait expressément référence, dans leurs échanges, à la convention sur le génocide, à ses dispositions ou aux « obligations spécifiques » qui en découlent.
10. En outre, dans l’esprit de la jurisprudence précitée de la Cour, l’Australie considère que l’article IX n’exige pas que les prétentions formulées par le demandeur se soient heurtées à l’opposition explicite du défendeur. Si tel était le cas, ainsi que la Cour l’a reconnu, le défendeur n’aurait qu’à rester silencieux devant ces prétentions pour empêcher que l’existence du différend puisse être constatée22. Or il est possible « d’établir par inférence »23 la position du défendeur, notamment à la lumière des communications échangées par les parties au cours de la période précédant l’introduction de l’instance.
11. La Fédération de Russie invoque trois décisions de la Cour à l’appui de son exception. De l’avis de l’Australie, aucune d’elles ne contredit les enseignements clairs des sources précitées. En particulier, nulle d’entre elles n’indique que le terme « différend » exige i) la preuve que les prétentions du demandeur ont fait l’objet d’une opposition manifeste de la part du défendeur, et ii) que les écritures ou les communications des parties fassent expressément référence à la convention et aux prétentions précises qui en découlent.
a) D’abord, la Fédération de Russie invoque24 les propos que la Cour a tenus dans l’ordonnance en indication de mesures conservatoires qu’elle a rendue en l’affaire relative à la Licéité de l’emploi de la force, selon laquelle, lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe un différend au sens de l’article IX,
« la Cour ne peut se borner à constater que l’une des parties soutient que la convention s’applique alors que l’autre le nie ; … au cas particulier, elle doit rechercher si les violations de la convention alléguées par la Yougoslavie sont susceptibles d’entrer dans les prévisions de cet instrument et si, par suite, le
« [P]arce qu’un État ne s’est pas expressément référé, dans des négociations avec un autre État, à un traité particulier qui aurait été violé par la conduite de celui-ci, il n’en découle pas nécessairement que le premier ne serait pas admis à invoquer la clause compromissoire dudit traité. Les États-Unis savaient avant l’introduction de la présente instance que le Nicaragua affirmait que leur comportement constituait une violation de leurs obligations internationales ; ils savent maintenant qu’il leur est reproché d’avoir violé des articles précis du traité de 1956. Il n’y aurait aucun sens à obliger maintenant le Nicaragua à entamer une nouvelle procédure sur la base du traité — ce qu’il aurait pleinement le droit de faire. »
21 Exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 63.
22 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 71.
23 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 315, par. 89.
24 Voir exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 64.
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différend est de ceux dont la Cour pourrait avoir compétence pour connaître ratione materiae par application de l’article IX »25.
Ainsi qu’il ressort clairement du passage en italiques, la Cour s’interrogeait, non pas sur la question de savoir si un différend avait pris naissance, mais bien sur la portée et l’étendue de sa compétence matérielle. En contexte, il est évident que la Cour n’a pas voulu laisser entendre que le demandeur devait démontrer que les parties avaient des points de vue opposés « quant aux obligations spécifiques » découlant du traité, ou que les prétentions formulées « sur la base de » celui-ci s’étaient heurtées à l’opposition expresse du défendeur avant l’introduction de l’instance26.
b) Ensuite, la Fédération de Russie se réclame27 de l’affaire Îles Marshall c. Royaume-Uni, dans laquelle la Cour a jugé que la déclaration dans laquelle le ministre des affaires étrangères des Îles Marshall « appel[ait] instamment tous les États dotés d’armes nucléaires à intensifier leurs efforts pour assumer leurs responsabilités en vue d’un désarmement effectif réalisé en toute sécurité » ne remplissait pas les conditions permettant d’établir l’existence d’un différend quant à l’objet des prétentions du demandeur28. Il y a lieu de noter que cet énoncé ne mentionnait aucunement le Royaume-Uni ni la violation supposée de quelque obligation29. Il ne permet pas de soutenir que le demandeur doit démontrer l’existence de points de vue opposés « quant aux obligations spécifiques imposées par la convention [sur le génocide] »30.
25 Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 372, par. 25 (les italiques sont de nous ; références omises). Voir aussi Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Royaume-Uni), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, C.I.J. Recueil 1999 (II), p. 838, par. 33.
26 Voir exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 63.
27 Ibid., par. 67.
28 Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Îles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 853, par. 49.
29 Ibid., p. 852-854, par. 46-52.
30 Exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 63.
La Fédération de Russie invoque en outre l’opinion dissidente du juge Cançado Trindade (exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 66). Voici le texte intégral du paragraphe cité, les passages omis par la Fédération de Russie étant en italiques :
« En votant les arrêts sur les [présentes] affaires …, la majorité des membres de la Cour a indûment relevé le seuil de détermination de l’existence d’un différend. En effet, même si elle n’a pas retenu l’idée que l’existence d’un différend ne pouvait être établie que si l’État requérant avait préalablement porté celui-ci à l’attention du ou des futurs défendeurs, elle a en pratique posé des conditions beaucoup plus rigoureuses que la notification préalable, qui reviennent en fait à exiger de l’État demandeur qu’il formule sa prétention juridique, qu’il la dirige spécifiquement contre l’État ou les États qu’il projette d’attraire devant la Cour, et qu’il précise en quoi consiste le comportement qu’il allègue lui avoir causé un préjudice. Tous ces éléments sont compris dans la condition de “connaissance” préalable posée par la majorité, au risque de priver la Cour de sa faculté de déterminer par inférence l’existence d’un différend lorsqu’elle constate que le comportement des parties révèle l’opposition de leurs points de vue. » (Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Îles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (II), opinion dissidente du juge Cançado Trindade, p. 917, par. 20 ; les italiques sont de nous.)
Dans son opinion dissidente, le juge Cançado Trindade explique ensuite pourquoi il considère que cette position « s’écarte » de la jurisprudence antérieure de la Cour (voir p. 917 à 919, par. 21 à 25). L’Australie estime que les éléments ci-après ressortent clairement de ce passage pris dans son intégralité : i) le juge Cançado Trindade exprimait sa propre perception de la position adoptée par la majorité, perception qui, selon l’Australie, amplifie les effets du raisonnement majoritaire ; ii) le juge Cançado Trindade n’entendait pas souscrire à la « condition de connaissance préalable », ainsi qu’il l’appelle, mais bien la critiquer ; iii) en tout état de cause, son opinion ne semble pas étayer l’idée que le demandeur doive démontrer que les parties « ont des points de vue … nettement opposés … quant aux obligations spécifiques imposées par la convention [sur le génocide] » (exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 63).
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c) Enfin, la Fédération de Russie s’appuie31 sur l’affaire Belgique c. Sénégal, dans laquelle la Cour a conclu à l’existence d’un différend concernant l’obligation, au titre de la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (la « convention contre la torture »), de poursuivre ou d’extrader relativement à des allégations de torture32. Dans la requête dont elle avait saisi la Cour, la Belgique avançait une prétendue obligation en droit international coutumier de poursuivre la même personne pour crimes contre l’humanité, avant d’étendre la portée de cette prétention pour y inclure les crimes de guerre et le génocide33. Les échanges sur lesquels elle s’appuyait ne faisaient aucune référence à une supposée obligation en droit international coutumier de poursuivre les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre ou le génocide, mais il y était fait mention des obligations prévues par la convention contre la torture. C’est dans ce contexte factuel précis que la Cour a constaté que, au moment du dépôt de la requête, le différend entre les parties se rapportait à la convention contre la torture, à l’exclusion de la violation de quelque obligation de droit international coutumier concernant les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre ou le génocide34. Ainsi, l’arrêt de la Cour s’inscrit dans sa position établie, laquelle exige l’existence, au moment de l’introduction de l’instance, d’un différend concernant l’objet de la demande. La Cour n’a jamais fixé de seuil plus élevé quant à la preuve de l’existence d’un différend, en exigeant par exemple que le demandeur démontre que les parties avaient des points de vue opposés « quant aux obligations spécifiques imposées » par le traité invoqué35, ou qu’il dénonce « un manquement à une obligation spécifique » prévue par celui-ci36.
12. Pour les raisons exposées ci-dessus, l’Australie soutient que l’exigence concernant l’existence d’un « différend » prévue à l’article IX est remplie par les éléments suivants :
a) Bien qu’il lui faille montrer que la demande de telle partie s’est heurtée à l’opposition manifeste de l’autre, le demandeur n’est pas pour autant tenu de démontrer que le défendeur s’est expressément opposé à sa demande, la position d’une partie pouvant être établie par inférence.
b) Il n’est pas nécessaire que les échanges entre les parties aient fait référence à la convention sur le génocide ou à des dispositions précises de celle-ci. Il suffit qu’il y ait été référé assez clairement à l’objet du traité pour que l’État contre lequel est formulé un grief puisse savoir qu’il existe ou pourrait exister un différend à cet égard. Ainsi, ni le demandeur ni le défendeur n’est tenu de faire expressément référence à la convention sur le génocide ou à ses dispositions pour qu’il existe entre eux un différend au sens de l’article IX.
B. L’article IX donne compétence à la Cour pour déclarer si le demandeur s’est conformé à la convention sur le génocide, lorsque ce point est en litige
13. L’Ukraine définit précisément le différend relevant de l’article IX de la convention comme étant lié aux allégations voulant qu’elle ait commis ou soit en train de commettre un génocide en violation de la convention, et à l’invocation par la Russie de ces allégations pour agir de manière
31 Exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 68.
32 Questions concernant l’obligation de poursuivre ou d’extrader (Belgique c. Sénégal), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (II), p. 443-444, par. 49-52.
33 Ibid., p. 444, par. 53.
34 Ibid., p. 444-445, par. 52-55.
35 Exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 63.
36 Ibid., par. 68.
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unilatérale contre elle et sur son territoire37. Elle demande spécifiquement à la Cour de dire et juger qu’il n’y a pas d’élément crédible montrant qu’elle est responsable de la commission d’un génocide au sens de la convention38. La Fédération de Russie qualifie cette conclusion de « recours en constatation de respect a contrario »39. La Cour est en réalité priée de déclarer que, contrairement aux allégations de la Fédération de Russie, l’Ukraine s’est conformée à la convention40.
14. La Fédération de Russie ne conteste pas que la Cour ait compétence pour prononcer la déclaration demandée, mais soutient que la conclusion de l’Ukraine est irrecevable41. Quoi qu’il en soit, afin d’assister la Cour42, l’Australie entend examiner la question de la compétence de celle-ci au titre de l’article IX pour prononcer la déclaration demandée par l’Ukraine.
15. Ainsi qu’il est expliqué dans la déclaration de l’Australie43, l’article IX habilite la Cour à déclarer si une partie à la convention a respecté ses obligations (et ne peut être tenue pour responsable d’un génocide), lorsque ce point est en litige. Cette hypothèse est renforcée par les éléments ci-après :
a) Premièrement, le pouvoir de la Cour de prononcer un jugement déclaratoire est bien établi dans sa jurisprudence44. Un tel jugement « est destiné à faire reconnaître une situation de droit une fois pour toutes et avec effet obligatoire entre les Parties, en sorte que la situation juridique ainsi fixée ne puisse plus être mise en discussion, pour ce qui est des conséquences juridiques qui en découlent »45. En outre, l’Australie rappelle dans ce contexte que, dès lors que la Cour a compétence pour connaître d’une affaire, elle n’a pas besoin d’une base de compétence distincte pour examiner les réparations demandées par une partie46.
37 Exposé écrit des observations et conclusions de l’Ukraine sur les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie, 3 février 2023 (« observations de l’Ukraine »), par. 27 ; voir aussi mémoire soumis par l’Ukraine (« mémoire de l’Ukraine »), par. 149 ; requête introductive d’instance, déposée au Greffe de la Cour le 27 février 2022, par. 8 et 11.
38 Mémoire de l’Ukraine, par. 178 b).
39 Exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 230 c).
40 Le terme « jugement déclaratoire négatif » a aussi été utilisé : voir Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), recevabilité des déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, opinion dissidente de la juge Xue, par. 24.
41 Exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 274 à 288. Ces questions ne sont donc pas abordées puisqu’elles ne concernent pas l’interprétation de la convention sur le génocide.
42 L’Australie prend acte des vues exprimées sur ce point à un stade antérieur de la procédure : voir Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures provisoires, ordonnance du 16 mars 2022, déclaration du juge Gevorgian, vice-président, par. 8 ; voir l’opinion individuelle du juge Robinson, par. 16. Voir aussi la déclaration du juge Bennouna, par. 2.
43 Voir en outre déclaration de l’Australie, par. 34-38.
44 Confirmation en a récemment été donnée dans l’affaire relative au Différend concernant le statut et l’utilisation des eaux du Silala (Chili c. Bolivie), arrêt, 1er décembre 2022, par. 45, citant Cameroun septentrional (Cameroun c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1963, p. 37, et Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (II), p. 662, par. 49.
45 Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt no 11, 1927, C.P.J.I. série A no 13, p. 20.
46 LaGrand (Allemagne c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2001, p. 485, par. 48 : « S’il est établi que la Cour a compétence pour connaître d’un différend portant sur une question déterminée, elle n’a pas besoin d’une base de compétence distincte pour examiner les remèdes demandés par une partie pour la violation en cause » ; confirmé dans Avena et autres ressortissants mexicains (Mexique c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 2004 (I), p. 33, par. 34. S’agissant du principe selon lequel il n’est pas nécessaire de confirmer la compétence pour ce qui est des réparations en général, voir aussi Usine de Chorzów, compétence, arrêt no 8, 1927, C.P.J.I. série A no 9, p. 21 à 25 ; Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 142, par. 283.
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b) Deuxièmement, la portée de l’article IX est assez vaste pour englober la demande tendant à l’obtention d’une déclaration confirmant l’observation de la convention sur le génocide, notamment lorsqu’elle émane d’une partie accusée de génocide. Ainsi qu’il est mentionné ci-dessus, l’article IX de la convention est attributif de compétence pour ce qui est des « différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention ». Son objet n’est par ailleurs assujetti à aucune autre limite47. Son libellé est ample pour donner compétence à l’égard du différend portant sur la question de savoir si une partie à la convention s’est acquittée de ses obligations, lorsqu’elle est en litige. Cette conclusion est confirmée par les éléments suivants : i) l’article IX permet la saisine de la Cour « à la requête d’une Partie au différend » [les italiques sont de nous], ce qui doit naturellement viser l’État accusé de génocide ; ii) ainsi que la Cour l’a précédemment fait observer, l’article IX présente une caractéristique inhabituelle par rapport à d’autres clauses compromissoires, en ce qu’il indique expressément que la compétence qu’il confère s’étend aux différends relatifs à la responsabilité des États en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III48 ; iii) l’article IX a été conçu pour conférer une compétence exclusive à la Cour pour les questions se rapportant à « la vie de la convention »49, ce dont le respect des droits et obligations énoncés par celle-ci constitue un élément essentiel.
c) Troisièmement, et contrairement à ce qu’avance la Fédération de Russie50, la déclaration de conformité n’est pas l’apanage exclusif de l’Organisation mondiale du commerce (l’« OMC »). Le fait que cette dernière soit dotée d’un mécanisme de règlement des différends concernant la conformité et comportant l’adoption de rapports est sans effet sur la compétence qu’a la Cour pour délivrer une déclaration de conformité au titre de la convention sur le génocide51. En tout état de cause, ainsi que l’a fait observer l’Australie dans sa déclaration52, de telles déclarations ont été demandées dans d’autres affaires et la Cour a conclu qu’elle avait compétence à cet égard53.
47 La Cour a confirmé que la formule « y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État », figurant à l’article IX, signifiait que ces différends « s’inscrivent dans un ensemble plus large de différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la Convention » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169).
48 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 168-169 ; voir par ailleurs déclaration de l’Australie, par. 35.
49 Robert Kolb, « The Scope Rationae Materiae of the Compulsory Jurisdiction of the ICJ », in P. Gaeta (sous la dir. de), The UN Genocide Convention: A Commentary (OUP, 2009), p. 453.
50 Exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 276.
51 Il convient de noter que l’organe d’appel de l’OMC a confirmé que toute partie à un différend pouvait demander une telle déclaration dans les cas où le libellé de la disposition applicable du Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends n’abordait pas expressément la question de savoir laquelle des parties était habilitée à amorcer une procédure : voir Canada – Maintien de la suspension d’obligations dans le différend CE – Hormones, OMC, doc. WT/DS321/AB/R, rapport de l’Organe d’appel, 16 octobre 2008, par. 347 ; Mémorandum d’accord sur les règles et procédures régissant le règlement des différends, annexe 2 de l’Accord sur l’OMC (disponible à l’adresse suivante : https://www.wto.org/french/tratop_f/dispu_f/dsu_f.htm), art. 21.5 : « Dans les cas où il y aura désaccord au sujet de l’existence ou de la compatibilité avec un accord visé de mesures prises pour se conformer aux recommandations et décisions, ce différend sera réglé suivant les présentes procédures de règlement des différends ».
52 Déclaration de l’Australie, note 35.
53 Voir Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J. Recueil 1952, p. 179 et 180 ; Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 14, par. 14, et p. 30, par. 53.
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16. Pour les raisons exposées ci-dessus, l’Australie soutient que l’article IX donne compétence à la Cour pour déclarer que le demandeur s’est conformé à la convention sur le génocide, lorsque ce point est en litige entre les parties.
C. L’article IX donne compétence à la Cour à l’égard des différends concernant toute action entreprise sur le fondement prétendu des articles I ou IV de la convention sur le génocide
17. L’Australie croit comprendre que, selon ce que soutient l’Ukraine, la Fédération de Russie a lancé contre celle-ci des allégations selon lesquelles elle aurait commis ou serait en train de commettre un génocide et prétexterait de ces allégations pour justifier l’emploi unilatéral de la force contre elle et sur son territoire54. Ainsi, dans son mémoire, l’Ukraine avance ce qui suit :
« Le présent différend soulève la question de savoir si, comme le soutient la Russie, l’Ukraine est responsable de “la commission d’un génocide” au sens de l’article premier, si les dirigeants de l’Ukraine sont des “personnes ayant commis le génocide” au sens de l’article IV, et si la Russie peut employer la force en Ukraine et contre celle-ci et violer la souveraineté de l’Ukraine en réponse à ce qu’elle interprète comme un manquement de celle-ci aux obligations que lui impose l’article premier et à titre de mesure de prévention et de répression du génocide qu’elle allègue »55.
18. L’article premier de la convention comporte l’engagement « à prévenir et à punir » le génocide. L’Australie observe que les Parties semblent d’accord pour dire qu’un État doit faire preuve de la diligence requise avant de se prévaloir de l’article premier56. De même, elles paraissent reconnaître que l’article premier n’autorise pas, en soi, l’emploi unilatéral de la force57. Indépendamment de leur accord à cet égard, il demeure que, fondamentalement, le différend concernant la portée, la nature ou l’exécution de l’engagement à prévenir et à punir le génocide constitue forcément un différend relatif à « l’interprétation, l’application ou l’exécution » de l’article premier et relève de ce fait de la compétence de la Cour au titre de l’article IX58.
19. L’article IV de la convention dispose que « [l]es personnes ayant commis le génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III seront punies ». Puisqu’il se rapporte aux obligations que l’État intéressé tient de l’article IV, le différend concernant l’existence ou l’exécution de l’obligation de punir les personnes ayant commis le génocide constitue donc, lui aussi, un différend relatif à « l’interprétation, l’application ou l’exécution » de la convention et relève de la compétence de la Cour au titre de l’article IX.
20. Le différend portant sur la question de savoir si une partie à la convention a agi de bonne foi lorsqu’elle est intervenue pour l’exécution prétendue de son engagement « à prévenir et à punir » le génocide au titre de l’article premier ou à punir « [l]es personnes ayant commis le génocide » au
54 Mémoire de l’Ukraine, par. 72 et 149 ; observations de l’Ukraine, par. 27 et 81.
55 Mémoire de l’Ukraine, par. 74.
56 Ibid., par. 102 ; exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 153.
57 Voir mémoire de l’Ukraine, par. 100 ; exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 181. Voir aussi Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures provisoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 59.
58 Déclaration de l’Australie, par. 39.
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titre de l’article IV relève lui aussi du champ ratione materiae de l’article IX
59. Ces deux types de différends concernent forcément « l’interprétation, l’application ou l’exécution » de la convention.
21. La Fédération de Russie conteste la compétence de la Cour en avançant que l’Ukraine demande à la Cour, « sous couvert de demandes portant soi-disant sur la convention, … de dire … que l’opération militaire spéciale et la reconnaissance de la RPD et de la RPL sont illicites au regard de la Charte des Nations Unies et du droit international coutumier, et que la Fédération de Russie a engagé sa responsabilité internationale à raison de ces violations alléguées »60. Elle ajoute que « l’Ukraine a recours, de manière impropre, à l’article IX de la convention pour porter ses véritables demandes devant la Cour »61. Ainsi, l’Australie croit comprendre que, s’agissant de l’article IX, la Fédération de Russie excipe principalement de ce que l’Ukraine demande à la Cour de statuer sur de supposées violations d’autres obligations en droit international, ce qui constitue selon elle une extension abusive de la compétence ratione materiae de la Cour au titre de l’article IX62. C’est aux Parties qu’il revient de débattre du bien-fondé de cette perception des prétentions de l’Ukraine.
22. L’Australie est néanmoins d’avis que l’exception de la Fédération de Russie résumée ci-dessus intéresse l’interprétation de l’article IX. En particulier, elle soulève la question de la mesure dans laquelle la Cour a compétence pour examiner si les agissements d’un État sont compatibles avec les obligations qui lui incombent au titre de la convention, lorsque ces mêmes agissements peuvent entrer en jeu au regard des obligations internationales découlant d’un autre traité ou du droit international coutumier.
23. L’Australie estime que l’article IX donne compétence à la Cour pour examiner si la conduite d’un État est compatible avec les obligations qui lui incombent au titre de la convention, notamment lorsqu’il comporte l’emploi de la force ou la menace à cet égard63. Il en est ainsi même si l’État qui adopte cette conduite soutient être en droit de le faire en vertu d’un autre traité ou du droit international coutumier. La Cour a confirmé que les mêmes agissements pouvaient donner lieu à un différend relevant de plus d’un traité64. En conséquence, le différend portant sur la question de savoir si un comportement est autorisé par les articles premier ou IV de la convention sur le génocide relève carrément de la compétence de la Cour au titre de l’article IX, que le comportement en cause puisse ou non donner lieu à un différend sous le régime d’un autre traité ou du droit international coutumier.
24. Pour les raisons exposées ci-dessus, l’Australie fait valoir ce qui suit :
59 Déclaration de l’Australie, par. 40.
60 Exceptions préliminaires de la Fédération de Russie, par. 140 (références omises).
61 Ibid., par. 141.
62 Ibid., par. 170.
63 Voir Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 811-812, par. 21, où il est relevé que « [l]a violation, par l’emploi de la force, d’un droit qu’une partie tient du traité est tout aussi illicite que le serait sa violation par la voie d’une décision administrative ou par tout autre moyen ».
64 Déclaration de l’Australie, par. 41. Voir aussi, par exemple, Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 27, par. 56.
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a) Le différend concernant la portée, la nature ou l’application d’un droit ou d’une obligation découlant des articles premier ou IV de la convention sur le génocide relève de la compétence que la Cour tient de l’article IX de la convention.
b) Le différend portant sur la question de savoir si un État partie à la convention a agi de bonne foi en intervenant dans le but prétendu de se conformer aux articles premier ou IV relève lui aussi de la compétence de la Cour au titre de l’article IX.
c) L’article IX donne compétence à la Cour pour examiner si la conduite d’un État est compatible avec les obligations qui lui incombent au titre de la convention, notamment lorsqu’elle met en jeu l’emploi de la force ou la menace à cet égard.
d) La compétence conférée à la Cour par l’article IX n’est pas entamée par le fait que les agissements considérés peuvent aussi tomber sous le coup d’un autre traité ou du droit international coutumier.
III. CONCLUSION
25. L’Australie présente les observations qui précèdent dans l’exercice de son droit d’intervention afin de communiquer à la Cour sa position quant à l’interprétation de l’article IX de la convention sur le génocide en ce qui concerne la compétence en l’espèce. Elle se tient à la disposition de la Cour pour toute précision ou explication susceptible de lui être utile à cet égard.
L’ambassadeur d’Australie auprès du Royaume des Pays-Bas
et coagent du Gouvernement d’Australie,
(Signé) Gregory Alan FRENCH.
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Observations écrites de l'Australie sur l’objet de son intervention

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