Observations écrites conjointes de l'Autriche, la Tchéquie et la Slovaquie sur l’objet de leurs interventions

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182-20230705-WRI-17-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
OBSERVATIONS ÉCRITES CONJOINTES DE LA RÉPUBLIQUE D’AUTRICHE,
DE LA RÉPUBLIQUE SLOVAQUE ET DE LA RÉPUBLIQUE TCHÈQUE
5 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
À Monsieur le greffier de la Cour internationale de Justice, les soussignés, dûment autorisés
par les Gouvernements de la République d’Autriche (ci-après l’« Autriche »), de la République
slovaque (ci-après la « Slovaquie ») et de la République tchèque (ci-après la « Tchéquie »),
déclarent ce qui suit.
1. Au nom des Gouvernements de l’Autriche, de la Slovaquie et de la Tchéquie (ci-après les
« États intervenants »), nous avons l’honneur de soumettre à la Cour internationale de Justice
(ci-après la « Cour ») les observations écrites conjointes suivantes en l’affaire relative à des
Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (Ukraine c. Fédération de Russie) (ci-après la « procédure »), conformément à
l’ordonnance que la Cour a rendue le 5 juin 2023 sur la recevabilité des déclarations d’intervention
(ci-après l’« ordonnance »)1.
I. INTRODUCTION
2. Le 5 juin 2023, la Cour a décidé que les déclarations d’intervention au titre de l’article 63
du Statut de la Cour (ci-après le « Statut ») déposées notamment par l’Autriche, la Slovaquie et la
Tchéquie en la présente procédure étaient recevables2. La Cour a fixé au 5 juillet 2023 la date
d’expiration du délai pour le dépôt des observations écrites visées au paragraphe 1 de l’article 86 du
Règlement de la Cour (ci-après le « Règlement »).
3. L’intervention de l’Autriche, de la Slovaquie et de la Tchéquie au titre de l’article 63 du
Statut implique l’exercice d’un droit par un État partie à une convention dont l’interprétation est en
cause devant la Cour. Comme la Cour l’a déterminé dans son ordonnance, l’interprétation de
l’article IX et d’autres dispositions de la convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide (ci-après la « convention sur le génocide » ou la « convention ») concernant la
compétence ratione materiae de la Cour est en cause au stade actuel de la procédure. Conformément
à l’ordonnance de la Cour, les présentes observations écrites conjointes porteront uniquement sur
l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention sur le génocide pertinentes
aux fins de la détermination de la compétence ratione materiae de la Cour dans le cadre de la présente
procédure. Les références à d’autres règles et principes de droit international, en dehors de la
convention sur le génocide, dans les observations écrites conjointes ne concerneront que
l’interprétation des dispositions de la convention sur le génocide, conformément à la règle
coutumière d’interprétation reflétée à l’article 31 de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des
traités (ci-après la « convention de Vienne »). Les États intervenants n’aborderont pas d’autres
questions, telles que l’existence d’un différend entre les Parties, les éléments de preuve, les faits ou
l’application de la convention sur le génocide en l’espèce.
4. Dans son ordonnance, la Cour a considéré que rien dans le Statut ou le Règlement
n’empêchait des États de présenter une déclaration conjointe d’intervention3. Le greffier a en outre
relevé dans sa lettre en date du 6 juin 2023 que la présentation conjointe de positions communes
pouvait aller dans le sens d’une bonne administration de la justice4. Il a également réaffirmé, dans sa
communication du 23 juin 2023, qu’il « encourage[ait] fortement les États intervenants à présenter,
1 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023.
2 Ordonnance, par. 102.
3 Ordonnance, par. 88.
4 Lettres du greffier de la Cour internationale de Justice n° 159463, 159481 et 159468, 6 juin 2023.
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dans la mesure du possible, des observations écrites et orales conjointes »5. C’est dans cet esprit que
l’Autriche, la Slovaquie et la Tchéquie soumettent les présentes observations écrites conjointes.
II. INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
5. L’article IX de la convention sur le génocide est libellé comme suit :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une Partie au différend. »
6. L’article IX de la convention sur le génocide est une clause juridictionnelle générale, qui
autorise la Cour à connaître de différends entre les États contractants concernant tous les aspects de
l’interprétation, de l’application et de l’exécution, par une partie, des obligations que lui impose cet
instrument. En particulier, l’article IX confère à la Cour la compétence ratione materiae de constater
à la fois a) l’absence d’actes de génocide, soit une non-violation de la convention sur le génocide, et
b) une violation de la convention sur le génocide à raison d’allégations de génocide fallacieuses ou
abusives qui vont à l’encontre de la lettre et de l’esprit de ladite convention et servent à justifier des
actes qui réduisent à néant l’objet et le but de cet instrument.
7. Les « jugements déclaratoires négatifs » établissant le non-manquement à des obligations
internationales relèvent des prérogatives de la Cour tout autant que les jugements déclaratoires à
l’effet de constater le manquement à une obligation. À titre d’exemple, en l’affaire relative aux Droits
des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique), la
demanderesse avait prié la Cour de déclarer qu’elle avait agi de façon « conforme aux dispositions
conventionnelles … liant … les États-Unis [et elle-même] »6. La Cour, qui doit s’assurer de sa
compétence proprio motu7, n’a relevé aucun problème de compétence quant à la demande de la
France aux fins d’un jugement déclaratoire négatif et a procédé à l’examen au fond de cette demande.
Elle a de même confirmé, dans son arrêt en l’affaire relative à des Questions d’interprétation et
d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien de Lockerbie
(Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), sa compétence à l’égard de la requête de la
demanderesse qui sollicitait un jugement déclaratoire négatif établissant qu’elle n’avait pas violé la
convention de Montréal8.
8. En conséquence, les États intervenants considèrent, compte tenu de la jurisprudence de la
Cour, que celle-ci est compétente pour rendre un jugement déclaratoire concernant le
non-manquement à des obligations internationales.
5 Lettres du greffier de la Cour internationale de Justice no 159655, 159636 et 159642, 23 juin 2023.
6 Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique), arrêt,
C.I.J. Recueil 1952, p. 182.
7 Appel concernant la compétence du Conseil de l’OACI (Inde c. Pakistan), arrêt, C.I.J. Recueil 1972, p. 52,
par. 13.
8 Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident aérien
de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 1[4],
par. 12, et p. 23, par. 38.
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1. Règles d’interprétation appliquées à l’article IX de la convention
9. À titre liminaire, on notera que l’interprétation de l’article IX de la convention sur le
génocide est régie par le droit international coutumier relatif à l’interprétation des traités, tel qu’il est
reflété dans la convention de Vienne9. La règle générale d’interprétation, codifiée à l’article 31 de
cette convention, dispose ce qui suit :
« 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux
termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte,
préambule et annexes inclus :
a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties
à l’occasion de la conclusion du traité ;
b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion
du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au
traité.
3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation
du traité ou de l’application de ses dispositions ;
b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle
est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ;
c) De toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations
entre les parties. »
2. Sens ordinaire des termes de l’article IX
10. Pour appliquer la règle générale d’interprétation, il convient tout d’abord d’interpréter les
termes du traité suivant leur sens ordinaire10.
11. Selon le libellé clair des termes de l’article IX de la convention sur le génocide, la Cour a
compétence à l’égard des « différends » relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la
convention. Cette notion de différend  « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une
contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts »11 — est au coeur de l’interprétation
de l’article IX.
12. Un différend existe lorsque « “les points de vue des deux parties, quant à l’exécution ou à
la non-exécution” de certaines obligations internationales, “so[]nt nettement opposés” »12. À cet
9 Voir, par exemple, Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c. Venezuela), compétence de la Cour, arrêt,
C.I.J. Recueil 2020, p. 475, par. 70.
10 Par exemple, Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 22, par. 41.
11 Concessions Mavrommatis en Palestine, exceptions préliminaires, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
12 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50.
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égard, « l’opposition manifeste … ne doi[]t pas nécessairement être énoncé[e] expressis verbis »13,
ni formellement déclarée14, du moment que « le défendeur a[] connaissance, ou ne p[eu]t pas ne pas
avoir connaissance, de ce que ses vues se heurt[]ent à l’“opposition manifeste” du demandeur »15.
De même, la Cour a souligné qu’un différend relevant d’un traité particulier pouvait exister malgré
l’absence de référence particulière à la convention ou à ses dispositions dans les déclarations faites
publiquement par les parties, dès lors que ces déclarations
« s[e] réf[èrent] assez clairement à l’objet du traité pour que l’État contre lequel [l’État
demandeur] formule un grief puisse savoir qu’un différend existe ou peut exister à cet
égard »16.
13. En outre, l’existence d’un différend doit être établie objectivement. La négation unilatérale
d’un différend par l’une des parties ne peut être un élément déterminant pour dire si un différend
existe ou non aux fins de l’article IX de la convention sur le génocide17.
14. La preuve de l’existence d’un différend est apportée par les positions opposées attribuables
aux États concernés. Ces positions peuvent émaner non seulement des plus hauts organes de l’État,
mais aussi d’autres sources ; il suffit que le comportement soit attribuable à l’État et qu’il reflète la
position de celui-ci18. Un tel comportement s’étend également aux déclarations d’organes qui
jouissent d’une certaine indépendance, tels que les tribunaux nationaux ou les organes quasi
judiciaires19.
15. En conséquence, les actes des entités étatiques indépendantes20 sont attribuables à l’État.
Dès lors, si de telles entités font des déclarations qui s’opposent à la position juridique d’un autre
État quant à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention sur le génocide, pareilles
déclarations sont pertinentes pour déterminer s’il existe un différend.
13 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 315, par. 89.
14 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 32, par. 72.
15 Voir, par exemple, Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes
nucléaires et le désarmement nucléaire (Îles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 850, par. 41 ; concernant l’observation de la Cour selon laquelle le comportement des Parties
peut suffire à établir l’existence d’un différend, « notamment en l’absence d’échanges diplomatiques » entre les Parties ou
dans le cadre d’un conflit armé qui se poursuit, voir également ibid., par. 40 et 54.
16 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 72, citant Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 85, par. 30.
17 Voir, par exemple, Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes
nucléaires et le désarmement nucléaire (Îles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
2016 (II), p. 849-851, par. 39-43.
18 Commission du droit international, Projet d’articles sur la responsabilité des États pour faits internationalement
illicites et commentaires y relatifs (2001) p. 41, par. 4.
19 Immunités juridictionnelles de l’État (Allemagne c. Italie ; Grèce (intervenant)), arrêt, C.I.J. Recueil 2012 (I),
p. 118, par. 44. (« Les “faits ou situations” qui ont donné naissance au différend dont la Cour est saisie sont constitués par
les décisions judiciaires italiennes ayant dénié à l’Allemagne l’immunité de juridiction qu’elle revendiquait, et par des
mesures de contrainte exécutées sur des biens appartenant à l’Allemagne. »)
20 Ces entités incluent les comités d’enquête établis par l’État en vue du lancement de poursuites pénales et qui
tiennent leur pouvoir du chef de l’État à qui ils rendent compte.
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16. Le différend doit en principe exister à la date du dépôt de la requête devant la Cour21. Cela
étant, le « comportement … postérieur à la requête (ou la requête proprement dite) » peut être
pertinent pour ce qui est « de confirmer l’existence d’un différend [ou] d’en clarifier l’objet »22.
17. Dans le prolongement de cette interprétation du terme « différend », les États intervenants
s’intéresseront, dans les paragraphes suivants, à l’interprétation des autres termes de l’article IX de
la convention, suivant leur sens ordinaire.
18. Le sens ordinaire du membre de phrase « relatifs à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la ... Convention » peut s’analyser en deux temps. La première partie (« relatifs à »)
établit un lien entre le différend et la convention sur le génocide. L’objet du différend doit donc
concerner la convention elle-même. Quant à la deuxième partie (« l’interprétation, l’application ou
l’exécution »), sa formulation a un caractère délibérément général, « couvrant aussi largement que
possible la voie à la saisine de la Cour »23. En particulier, le fait que le terme « exécution » ait été
inséré en sus de « l’interprétation[ et] l’application », formule habituelle dans les clauses
compromissoires, indique que la portée de l’article IX doit être comprise au sens large. Lorsqu’un
État partie à la convention sur le génocide accuse un autre État de commettre des actes de génocide,
l’« exécution » de cet instrument est à l’évidence en jeu. Cela couvre aussi les situations dans
lesquelles la Cour est priée de rendre un « jugement déclaratoire négatif » consécutivement à des
allégations fallacieuses ou abusives de violations de la convention sur le génocide destinées à justifier
des actes unilatéraux qui réduisent à néant l’objet et le but de cet instrument.
19. Le fait que l’article IX prévoit expressément que la Cour est compétente pour connaître
d’un différend soumis « à la requête d’une Partie [à celui-ci] » confirme cette interprétation24. Cet
énoncé indique qu’un État accusé de commettre un génocide a le même droit de soumettre le
différend à la Cour que l’État qui formule l’accusation. En effet, il n’y a aucune raison pour qu’un
État faisant l’objet de ce qu’il considère comme une allégation infondée de violation de la convention
sur le génocide ne puisse, de son propre chef, saisir la Cour. Cet État peut donc décider de porter une
revendication de « non-violation » devant la Cour et demander à celle-ci de prononcer un jugement
déclaratoire « négatif ».
20. Qui plus est, les différends relevant de l’article IX « compr[ennent] ceux relatifs à la
responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à
l’article III ». L’emploi du terme « y compris » signifie que de tels différends « s’inscrivent dans un
ensemble plus large de différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la
Convention »25. Rien dans cette clause ne limite la compétence de la Cour au fait de déterminer la
responsabilité de l’État défendeur, sans se préoccuper de celle de l’État demandeur.
21 Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le
désarmement nucléaire (Îles Marshall c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (II), p. 851,
par. 42-43.
22 Ibid., par. 43.
23 R. Kolb, « The Compromissory Clause of the Convention », in P. Gaeta (sous la dir. de), The UN Genocide
Convention: A Commentary (OUP), p. 420.
24 Les italiques sont de nous.
25 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169.
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21. En outre, ainsi que l’a fait observer la Cour, cette clause « n’exclut aucune forme de
responsabilité d’État »26. Ainsi, la compétence de la Cour au titre de la convention recouvre la
responsabilité de l’État pour tout type de comportement, y compris la formulation d’allégations
fallacieuses ou abusives de génocide destinées à justifier des actes unilatéraux qui réduisent à néant
l’objet et le but de la convention. Dans le même ordre d’idées, la Cour a confirmé que l’article IX
s’appliquait également aux différends portant sur des obligations qui ne sont « pas expressément
imposée[s] par les termes mêmes de la Convention »27. Par conséquent, l’objet du différend peut
aussi concerner l’article IX en soi, ainsi que l’exécution de bonne foi de la convention prise dans son
ensemble28.
22. Il ressort donc du sens ordinaire de l’article IX que la Cour est compétente ratione materiae
pour constater l’absence de génocide et la violation de la convention sur le génocide en raison de la
non-exécution de bonne foi de cet instrument, donnant lieu à un abus de droit.
3. Interprétation de bonne foi de la convention sur le génocide
23. La Cour a fait observer que le principe de bonne foi, énoncé à l’article 31 de la convention
de Vienne, « oblige les Parties à []appliquer [un traité] de façon raisonnable et de telle sorte que son
but puisse être atteint »29. Autrement dit, l’obligation d’interpréter de bonne foi sert de garde-fou
contre tout détournement des termes du traité. En ce sens, ce principe constitue le versant positif de
l’interdiction de l’abus de droit, faisant équivaloir une interprétation de mauvaise foi à une
interprétation abusive30.
24. À la lumière de ce qui précède, un État partie manque d’interpréter, d’appliquer et
d’exercer de bonne foi la convention sur le génocide dès lors que ses accusations de génocide et tous
ses actes subséquents ayant pour but déclaré de prévenir et de punir un tel génocide ne sont pas
objectivement étayés par un quelconque fondement factuel et juridique.
25. Un différend portant sur le point de savoir si un État partie a méconnu le principe de bonne
foi et, partant, fait une interprétation et une application abusives de la convention sur le génocide
entre donc dans les prévisions de l’article IX.
4. Contexte de la convention sur le génocide
26. Conformément à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne,
l’article IX de la convention sur le génocide doit être interprété dans le contexte de « toute règle
26 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616, par. 32.
27 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 113, par. 166.
28 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616, par. 33 (« [La Cour] fera d’ailleurs
observer qu’il ressort à suffisance des termes mêmes de [l’]exception [préliminaire de la Yougoslavie] que les Parties, non
seulement s’opposent sur les faits de l’espèce, sur leur imputabilité et sur l’applicabilité à ceux-ci des dispositions de la
convention sur le génocide, mais, en outre, sont en désaccord quant au sens et à la portée juridique de plusieurs de ces
dispositions, dont l’article IX »).
29 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142.
30 OMC, États-Unis — Prohibition à l’importation de certaines crevettes et de certains produits à base de crevettes,
WT/DS58/AB/R, rapport de l’organe d’appel en date du 12 octobre 1998, par. 158.
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pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ». La Charte des
Nations Unies relève du droit international applicable entre les États parties à la convention sur le
génocide31. Celle-ci doit donc être interprétée dans le contexte des obligations qui incombent aux
Parties en vertu de la Charte des Nations Unies.
27. Selon le paragraphe 1 de l’article 1 de la Charte des Nations Unies, l’un des buts des
Nations Unies est de
« réaliser, par des moyens pacifiques, conformément aux principes de la justice et du
droit international, l’ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de
caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la paix ».
28. Le paragraphe 3 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies énonce le principe voulant
que, dans la poursuite des buts énoncés à l’article 1, les Membres de l’Organisation des
Nations Unies « règlent leurs différends internationaux par des moyens pacifiques, de telle manière
que la paix et la sécurité internationales ainsi que la justice ne soient pas mises en danger ». Ce
principe est précisé à l’article 33 de la Charte des Nations Unies, qui dispose ce qui suit :
« Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le
maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution,
avant tout, par voie de négociation, d’enquête, de médiation, de conciliation,
d’arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux,
ou par d’autres moyens pacifiques de leur choix. »
29. L’article IX de la convention sur le génocide reflète et précise, aux fins de cet instrument,
le principe du règlement pacifique des différends consacré par la Charte des Nations Unies.
30. La Cour a dit que l’obligation d’oeuvrer à la résolution pacifique des différends devait être
exécutée de bonne foi conformément au paragraphe 2 de l’article 2 de la Charte des Nations Unies32.
Ce principe de règlement pacifique est complémentaire de celui prohibant le recours à la menace ou
à l’emploi de la force dans les relations internationales ou de celui de la non-intervention33.
31. Le principe voulant que les différends internationaux soient réglés par la voie pacifique
s’impose à tous les États Membres de l’Organisation des Nations Unies. En conséquence, une
interprétation contextuelle confirme que l’article IX de la convention sur le génocide confère à la
Cour la compétence de déterminer si une Partie a violé cet instrument en manquant à son obligation
d’interpréter, d’appliquer ou d’exécuter ladite convention conformément à ce que prévoit la Charte
des Nations Unies.
32. Qui plus est, le contexte du membre de phrase « [différends] relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la ... Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État
31 Les obligations pertinentes constituent le droit international coutumier tel que confirmé en l’affaire des Activités
militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond, arrêt, C.I.J Recueil
1986, [p. 145,] par. 290.
32 Incident aérien du 10 août 1999 (Pakistan c. Inde), compétence de la Cour, arrêt, C.I.J. Recueil 2000, p. [33],
par. 53.
33 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique), fond,
arrêt, C.I.J Recueil 1986, [p. 145,] par. 290 (sic).
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en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III », confirme
cette lecture. En particulier, l’emploi inhabituel de l’expression « y compris » dans l’incise de
l’article IX indique que celui-ci a un caractère universel. La disposition énonce expressément que les
différends « relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des
autres actes énumérés à l’article III » sont « compris » dans la catégorie plus large des différends
« relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution » de la convention sur le génocide et peuvent
donc être soumis à la Cour. Rien dans ce libellé ne limite la compétence de la Cour au fait de
déterminer la responsabilité de l’État défendeur, sans se préoccuper de celle de l’État demandeur.
5. Objet et but de la convention sur le génocide
33. L’article 31 de la convention de Vienne dispose qu’un traité doit être interprété à la lumière
de son objet et de son but, tels qu’ils peuvent être reflétés en son préambule34. Le préambule de la
convention sur le génocide précise que l’objet et le but de cet instrument consistent à promouvoir
« l’esprit et les fins des Nations Unies ». Ainsi, lorsqu’elles s’emploient à interpréter, appliquer et
exercer la convention, les parties contractantes ne peuvent agir d’une façon qui irait à l’encontre de
l’esprit et des fins de la Charte des Nations Unies. S’inscrivant dans cette même logique, la Cour a
déjà affirmé qu’« il est clair que chaque État ne peut déployer son action que dans les limites de ce
que lui permet la légalité internationale »35.
34. La Cour a souligné dans son avis consultatif de 1951 que
« [l]es fins d’une telle convention doivent également être retenues. La Convention a été
manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut même
pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double caractère,
puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains groupes
humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus
élémentaires. Dans une telle convention, les États contractants n’ont pas d’intérêts
propres ; ils ont seulement tous et chacun un intérêt commun, celui de préserver les fins
supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne saurait,
pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages individuels des
États, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et les
charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu de la
volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions
qu’elle renferme. »36
35. L’article IX de la convention, en prévoyant une procédure obligatoire de règlement des
différends — en cohérence avec l’esprit et les fins de la Charte des Nations Unies —, corrobore
l’objet et le but de ladite convention consistant à assurer le règlement pacifique des différends qui
relèvent de cet instrument. À cet égard, la Cour a dit ce qui suit :
« La Cour constate ainsi qu’elle a compétence en l’espèce pour assurer
l’application de la convention sur le génocide … Cette constatation est d’ailleurs
34 Par exemple, Question de la délimitation du plateau continental entre le Nicaragua et la Colombie au-delà de
200 milles marins de la côte nicaraguayenne (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil
2016 (I), p. 118, par. 39.
35 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430.
36 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
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conforme à l’objet et au but de la convention tels que définis par la Cour [dans l’avis
consultatif qu’elle a rendu] en 1951. »37
36. Il s’ensuit que priver un État partie de son droit au règlement d’un différend au titre de
l’article IX de la convention serait contraire à l’objet et au but de celle-ci, d’autant plus que l’intéressé
n’aurait aucun autre moyen judiciaire à sa disposition pour se prémunir contre des allégations
fallacieuses ou abusives de génocide. Les États contractants qui souhaiteraient être lavés
d’accusations de violation de la convention sur le génocide inventées de toutes pièces par un autre
État partie se verraient ainsi privés de toute voie de recours. Une telle interprétation de l’article IX
pourrait conduire à de graves abus de la convention sur le génocide.
37. De plus, la Cour a récemment dit que « [c]ertains actes peuvent entrer dans le champ de
plusieurs instruments et un différend relatif à ces actes peut avoir trait “à l’interprétation ou à
l’application” de plusieurs traités ou autres instruments »38.
38. En d’autres termes, le fait que les demandes d’une partie puissent toucher simultanément
à d’autres questions juridiques ou politiques que celle de « l’interprétation, l’application ou
l’exécution » de la convention sur le génocide n’infirme en rien l’article IX. Même si le différend au
sens large soulève des questions touchant à la Charte des Nations Unies ou au droit international
coutumier parallèlement aux questions soulevées au regard de la convention sur le génocide, la Cour
« ne peut pas déduire l’objet du différend du contexte politique », mais doit « se fonder sur ce que le
requérant lui demande »39 au titre de cette convention.
39. Un État ne peut se soustraire aux obligations qui lui incombent en vertu de la convention
sur le génocide en choisissant, comme il l’entend, d’appliquer les définitions et obligations soit du
traité, soit du droit international coutumier dans une situation donnée. Au contraire, les obligations
nées d’un traité l’emportent sur le droit international coutumier conformément à la maxime
d’interprétation de la lex specialis40. La situation inverse — dans laquelle les États défendeurs
pourraient compromettre l’application de la clause compromissoire d’un traité en faisant valoir que
la Charte des Nations Unies ou le droit international coutumier s’appliquent simultanément au
comportement en cause — priverait l’inclusion de clauses compromissoires de toute valeur pratique
aux fins du règlement pacifique des différends relevant d’un traité. Cela aurait pour conséquence de
réduire à néant l’objet et le but de la convention sur le génocide, qui prévoit le règlement pacifique
des différends consacré par l’article IX.
40. En conclusion, l’objet et le but de la convention plaident avec force en faveur d’une lecture
de l’article IX selon laquelle les différends relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution
comprennent les différends concernant des allégations fallacieuses ou abusives de génocide qui sont
contraires à la lettre et à l’esprit de la convention.
37 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. [617], par. 34.
38 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique
d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 27, par. 56.
39 Ibid., [p. 28,] par. 59.
40 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis d’Amérique), fond,
arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 137, par. 274 (« D’une manière générale, les règles conventionnelles ayant le caractère de lex
specialis, il ne conviendrait pas qu’un État présente une demande fondée sur une règle de droit international coutumier si,
par traité, il a déjà prévu des moyens de régler une telle demande. »).
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III. CONCLUSION
41. Au vu de ce qui précède, les États intervenants concluent que l’article IX de la convention
sur le génocide, correctement interprété, confère à la Cour la compétence de constater a) la nonviolation
de la convention par un État demandeur et b) la violation de cet instrument à raison du
manquement à l’obligation de l’interpréter, de l’appliquer ou de l’exécuter de bonne foi.
L’ambassadeur
de la République d’Autriche et coagent,
(Signé) Konrad BÜHLER.
Le coagent
de la République slovaque,
(Signé) Peter KLANDUCH.
L’agent
de la République tchèque,
(Signé) Emil RUFFER.
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Observations écrites conjointes de l'Autriche, la Tchéquie et la Slovaquie sur l’objet de leurs interventions

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