COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
OBSERVATIONS ECRITES DU ROYAUME DE
BELGIQUE
deposees au greffe de la Cour le 5 juillet 2023
en l 'affaire
ALLEGATIONS DE GENOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR LA
PREVENTION ET LA REPRESSION DU CRIME DE GENOCIDE
(UKRAINE C. FEDERATION DE RUSSIE)
I. INTRODUCTION
1. Le 5 juin 2023, la Cour internationale de Justice ( ci-apres « la Cour ») a
decide que les declarations d'intervention au titre de }'article 63 du Statut de
la Cour (ci-apres « le Statut ») deposees notamment par le Royaume de
Belgique ( ci-apres « ordonnance sur la recevabilite des declarations
d' intervention ») dans I' affaire des Allegations de genocide au titre de la
convention pour la prevention et la repression du crime de genocide
(Ukraine c. Federation de Russie) ( ci-apres « la procedure») etaient
recevables1
. La Cour a fixe au 5 juillet 2023 la date d'expiration du delai
pour le depot des observations ecrites visees a I' article 86, paragraphe 1, du
Reglement de la Cour2
.
2. L'intervention du Royaume de Belgique (ci-apres « la Belgique») au titre
de l'article 63 du Statut implique l'exercice d'un droit par un Etat partie a
une convention dont l'interpretation est en cause devant la Cour3
. Comme la
Cour l' a determine dans l' ordonnance sur la recevabilite des declarations
d' intervention, I' interpretation de l' article IX et d' autres dispositions de la
convention pour la prevention et la repression du crime de genocide ( ci-apres
« convention sur le genocide » )4 concernant la competence ratione materiae
de la Cour est en cause au stade actuel de la procedure5
. Conformement a
l'ordonnance sur la recevabilite des declarations d'intervention, les
observations ecrites porteront uniquement sur }'interpretation de l'article IX
et d'autres dispositions de la convention sur le genocide qui sont pertinentes
aux fins de la determination de la competence ratione materiae de la Cour
dans le cadre de la procedure6
. Les references a d'autres regles et principes
de droit international en dehors de la convention sur le genocide dans les
observations ecrites ne concerneront que l 'interpretation des dispositions de
1 Allegatfons de genocide au titre de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide
(Ukraine c. Federation de Russie), ordonnance du 5 juin 2023 : https://www.ici-cij.org/sites/default/files/caserelated/
182/182-20230605-0RD-01-00-FR.pdf, paragraphes 99 et 102(1).
2 Ibid, paragraphe 102(3).
3 Ibid, paragraphe 26.
4 Convention pour la prevention et la repression du crime de genocide, signee a Paris, le 9 decembre 1948, Nations
Unies, Recueil des Traites, vol. 78, p. 277 ( entree en vigueur le 12 janvier 1951 ).
5 Ordonnance sur la recevabilite des declarations d'intervention (note 1), paragraphe 26.
6 Ibid, paragraphe 99.
la convention, conformement a la regle coutumiere d' interpretation refletee
a l' article 31, paragraphe 3, sous c ), de la convention de Vienne sur le droit
des traites (ci-apres « convention de Vienne »)7. La Belgique n'abordera pas
d'autres questions, telles que !'existence d'un differend entre les parties, les
preuves, les faits ou !'application de la convention sur le genocide en
l'espece8
.
3. Suite a !'invitation de la Cour a se coordonner avec d'autres Etats
intervenants, la Belgique s'est mise d'accord sur le fond de sa position avec
avec la Republique de Croatie, le Royaume du Danemark, la Republique
d'Estonie, la Republique de Finlande, l'Irlande, le Grand-Duche du
Luxembourg et le Royaume de Suede. Les parties II et III des presentes
observations ecrites sont done identiques aux parties correspondantes des
observations ecrites de ces intervenants. Toutefois, afin de pouvoir respecter
le delai strict fixe par la Cour et pour des raisons logistiques, la Belgique
depose le contenu conjoint individuellement en sa capacite nationale.
II. INTERPRETATION DE L'ARTICLE IX ET D'AUTRES
DISPOSITIONS DE LA CONVENTION SUR LE GENOCIDE
PERTINENTES POUR LA COMPETENCE RATIONE MATERIAE
4. Dans son ordonnance du 16 mars 2022 indiquant des mesures
conservatoires, la Cour a affirme sa competence prima facie sur la base de
l' article IX de la convention sur le genocide9
.
5. La Belgique souhaite faire quatre observations sur !'interpretation de la
convention sur le genocide au stade actuel de la procedure.
6. Premierement, en appliquant les regles d'interpretation des traites (telles que
contenues aux articles 31 a 33 de la convention de Vienne qui refletent les
7 Ibid, paragraphe 84.
8 Ibid, paragraphe 84.
3
9 Allegations de genocide au titre de la convention pour la preventfon et la repression du crime de genocide
(Ukraine c. Federation de Russie), ordonnance du 16 mars 2022 : https://www.icj-cii.org/sites/default/files/caserelated/
182/182-20220316-0RD-O 1-00-FR.pdf, paragraphes 28-49.
regles du droit international coutumier10
), ii importe de rappeler le champ
d'application large de l'article IX de la convention sur le genocide, qui inclut
les differends relatifs a l' « execution» des obligations decoulant de la
convention.
7. Deuxiemement, !'article IX de la convention sur le genocide s'applique aux
differends portant sur des allegations abusives de genocide au titre de la
convention sur le genocide.
8. Troisiemement, l' article IX de la convention sur le genocide aux litiges
portant sur des actes illicites en tant que moyens de prevention et de
repression du genocide au titre de la convention sur le genocide.
9. Quatriemement, toute partie au differend peut saisir la Cour en vertu de
l'article IX, y compris la partie victime d'une allegation abusive de genocide
ou de tout comportement illegal en tant que moyen de prevention et de
repression du genocide.
A. L'article IX de la convention sur le genocide est formule en termes
generaux et couvre les differends relatifs a I'« application » de la
convention
10. L'article IX de la convention sur le genocide est libelle comme suit:
« Les differends entre les Parties contractantes relatifs a I 'interpretation,
I 'application ou I 'execution de la presente convention, y compris ceux
relatifs a la responsabilite d'un Etat en matiere de genocide ou de l 'un
quelconque des autres actes enumeres a I 'article JJL seront soumis a la
Cour internationale de Justice a la requete d 'une partie au differend »
11. La Belgique soutient que la notion de « differend » est etablie de longue date
dans la jurisprudence de la Cour et de son predecesseur, la Cour permanente
de justice internationale. Elle souscrit au sens donne au mot « differend », a
savoir « un desaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction,
une opposition de theses juridiques ou d 'interets » entre des parties 11
. Pour
4
10 Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c. Venezuela) [2023] Arret de la Cour du 6 avril 2023
https://www.ici-cij.org/sites/default/files/case-related/171/171-20230406-JUD-O 1-00-FR.pdf, paragraphe 87.
11 Concessions Mavrommaas en Palestine, arret n° 2, 1924, C.P.J.I., Serie A, n° 2, p. 11.
qu'il y ait un differend, « [i]l faut demontrer que la reclamation de l 'une des
parties se heurte a !'opposition manifeste de l'autre »12
. Les deux parties
doivent « avoir des points de vue [. . .], quant a ! 'execution ou a la nonexecution
de certaines obligations internationales, [ .. .] nettement
opposes » 13
. En outre, « dans le cas oi't le defendeur s 'est abstenu de
repondre aux reclamations du demandeur, il est possible d 'inferer de ce
silence, dans certaines circonstances, qu 'il rejette celles-ci et que, par suite,
un differend existe » 14
.
12. A cet egard, le document communique par la Federation de Russie a la Cour
le 7 mars 2022 semble interpreter la notion de differend de maniere indument
restrictive en insistant sur le fait que l' article IX ne peut etre utilise pour
etablir la competence de la Cour pour des differends relatifs a l'emploi de la
force ou a des questions de legitime defense en vertu du droit international
general 15 . Toutefois, il ressort de la jurisprudence constante de la Cour que
certains faits ou omissions peuvent donner lieu a un differend relevant de
plus d'un traite16
. Par consequent, un differend parallele decoulant des
memes faits relatifs a l' emploi de la force entre deux Etats ne constitue pas
un obstacle a la competence de la Cour au titre de l' article IX de la
convention sur le genocide, pour autant que les autres conditions soient
remplies.
13. En particulier, la portee du differend doit etre « relati[ve] a !'interpretation,
l' application ou l' execution de la presente convention ». La Belgique
soutient que l'article IX est une clause juridictionnelle large, permettant a la
Cour de statuer sur les differends concernant 1 'execution par une partie
5
12 Sud-Ouest africain (Ethiopie c. Afrique du Sud; Uberia c. Afrique du Sud), exceptions preliminaires, am~t du
21 decembre 1962, C.I.J. Recueil 1962, p. 319, a lap. 328.
13 Application de la convention internationale sur !'elimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Qatar c. Emirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018, p. 406,
a lap. 414, paragraphe 18; Violations alleguees des droits souverains et des espaces maritimes dans lamer des
Caraibes (Nicaragua c. Colombie), exceptions preliminaires, arret, C.I.J. Recueil 2016, p. 3, a lap. 26, paragraphe
50, citant Interpretation des traites de paix avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, premiere phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
14 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Gambie c. Myanmar),
arret du 22juillet 2022, p. 27, paragraphe 71.
15 Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide
(Ukraine c. Federation de Russie), Document de la Federation du Russie du 7 mars 2022, paragraphes 8-15.
16 Violations alleguees du traite d'amitie, de commerce et de droits consulaires de 1955 (Republique islamique
d'Iran c. Etats-Unis d'Amerique), exceptions preliminaires, arret du 3 fevrier 2021, paragraphe 56.
contractante de ses obligations au titre de la convention. L'inclusion du mot
«execution» est « unique par rapport aux clauses compromissoires
d'autres traites multilateraux et qui prevoient la soumission a la Cour
internationale de Justice des differends entre les parties contractantes ayant
trait a leur interpretation ou application » 17
.
14. Le sens ordinaire de !'expression« relatif a l'interpretation, !'application ou
l' execution de la convention » peut etre divise en trois sous-categories.
15. Le premier point (« relatif a») etablit un lien entre le differend et la
convention.
16. Le deuxieme point (« l'interpretation, !'application ou l'execution de la
[ ... ]convention») englobe trois termes. Alors que !'interpretation est
generalement comprise comme le processus consistant a « expliquer la
signification» d'une norme juridique, l' « application» est l' « action de
mettre quelque chose en reuvre » dans un cas d'espece donne18
. Le
terme «execution» recoupe partiellement ce dernier terme et peut etre
compris comme se referant a une application qui « repond aux exigences »
d'une norme juridique19
. Neanmoins, l'ajout du terme « execution» soutient
une interpretation large de l'article IX20
. Il semble qu' « en inserant les trois
termes alternatifs », les redacteurs aient cherche a « donner une couverture
aussi exhaustive que possible a la clause compromissoire » et a « combler
toutes les lacunes possibles »21
.
17. Le troisieme point(« de la convention») indique clairement que la clause
compromissoire renvoie a toutes les dispositions de la convention. En
6
17 Applicatfon de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Bosnie-Herzegovine c.
Serbie-et-Montenegro), exceptions preliminaires, declaration de M. Oda, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 627,
paragraphe 5 (souligne dans !'original).
18 C. TAMS,« Article IX», in C. TAMS/ L. BERSTER/ B. SCHIFFBAUER, Convention on the Prevention and
Punishment of Genocide: A Commentary, Beck/Hart/Nomos, Munich/Oxford, 2014, note 45 (notre traduction).
19 Ibid.
20 Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide
(Ukraine c. Federation de Russie), declaration conjointe d'intervention deposee par les gouvernements du Canada
et du Royaume des Pays-Bas du 7 decembre 2022, paragraphe 29.
21 C. TAMS (note 18), « Article IX», note 45; R. KOLB,« Scope Ratione Materiae », in P. GAETA (ed.), The
UN Genocide Convention: A Commenta,y, Oxford University Press, Oxford, 2009, p. 451 (notre traduction).
d'autres termes, l'article IX ne cree pas d'autres droits ou obligations
substantiels pour les parties ; les normes juridiques substantielles qui
relevent de la competence de la Cour doivent etre trouvees ailleurs dans la
convention. En meme temps, le renvoi concerne l'ensemble de la
convention, y compris les violations de celle-ci22
.
18. Par exemple, ii peut y avoir un differend relatif a l'interpretation,
l'application ou l'execution de la convention lorsqu'un Etat allegue qu'un
autre Etat a comm is un genocide23
. Dans ce scenario, la Cour verifie la base
factuelle de cette allegation : si elle n'est pas convaincue que des actes de
genocide aient effectivement ete commis par l 'Etat defendeur, elle peut
decliner sa competence, egalement prima facie 24
.
19. Al ors que ce scenario de responsabilite ( alleguee) pour des actes de genocide
constitue un type important de litige relatif a « l 'interpretation, l 'application
ou !'execution» de la convention, ii n'est pas le seul. Dans l'affaire BosnieHerzegovine
c. Serbie-et-Montenegro, le requerant a allegue plusieurs
violations de la convention par le defendeur, y compris un manquement a
l'obligation de prevenir et de punir le genocide en vertu de l'article
premier25
, et la Cour a affirme sa competence ratione materiae26
. Dans
l'affaire Gambie c. Myanmar (pendante), la requerante a affirme que le
defendeur n'etait pas seulement responsable d'actes interdits en vertu de
l'article III, mais qu'il violait egalement les obligations qui lui incombent en
vertu de la convention en ne prevenant pas le genocide en violation de
!'article premier et en ne punissant pas le genocide en violation des articles
premier, IV et V27
. Dans ces exemples, un Etat allegue qu'un autre Etat ne
22 R. KOLB, « Scope Ratione Materiae » (note 21 ), p. 453, reprenant un expose de la jurisprudence.
7
23 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Bosnie-Herzegovine c.
Serbie-et-Montenegro), arret, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, a lap. 75, paragraphe 169.
24 Liceite de l'emploi de laforce (Serbie-et-Montenegro c. France), mesures conservatoires, ordonnance du 2juin
1999, C.I.J. Recueil 1999, p. 363, pp. 372-373, paragraphes 24-31. Par la suite, la Cour a decline sa competence
au motif que la Serbie-et-Montenegro n'avait pas acces a la Cour, au moment de !'introduction de !'instance, en
vertu de l'article 35 du Statut (voir par exemple Liceite de I 'emploi de la force (Serbie-et-Montenegro c. France),
exceptions preliminaires, arret du 15 decembre 2004, C.I.J. Recueil 2004, p. 595).
25 Application de la Convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Bosnie-Herzegovine c.
Serbie-et-Montenegro), exceptions preliminaires, arret du 11 juillet 1996, C.I.J. Recueil 1996, p. 595, a lap. 614,
paragraphe 28 et a lap. 603, paragraphe 4.
26 Ibid, pp. 615-617, paragraphes 30-33.
27 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Gambie c. Myanmar),
arret du 22 juillet 2022, p. 12, paragraphe 24, points (1) (c), (d) et (e).
respecte pas son engagement de « prevenir » et de « punir » le genocide, en
accordant l'impunite aux actes de genocide commis sur son territoire. Des
differends peuvent des lors egalement na'itre au sujet de la « non-action» en
tant que violation des obligations substantielles prevues aux articles premier,
IV et V.
20. Le sens ordinaire de l'article IX indique clairement qu'il n'est pas necessaire
d'etablir des actes de genocide pour affirmer la competence de la Cour. Au
contraire, la Cour est competente sur la question de savoir sides actes de
genocide ont ete ou sont comm is ou non28
.
21. Le contexte de la phrase ( « relatifs a») confirme cette lecture. En particulier,
la caracteristique inhabituelle des mots « y compris » dans la phrase
intermediaire indique une portee plus large de l' article IX de la convention
par rapport a une clause compromissoire classique29. Les differends relatifs
a la responsabilite d'un Etat pour genocide ou pour l'un des autres actes
enumeres a l'article III ne sont done qu'un type de differend couvert par
l'article IX, qui est « inclus » dans l'expression plus large des differends
« relatifs a l' interpretation, l' application ou l' execution » de la convention30.
22. Ainsi, le contexte de l'expression (« relatifs a») a l'article IX confirme que
la competence de la Cour va au-dela des differends entre Etats sur la
responsabilite d'actes de genocide allegues, mais couvre egalement les
differends entre Etats sur l 'absence de genocide et sur l' execution
d'obligations de la convention par un ou plusieurs Etats parties. En d'autres
termes : « [i]l s 'ensuit que, en ce qui concerne ! 'execution positive de la
convention sur le genocide, la Cour est competente a l 'egard de la question
de savoir si une partie contractante [ .. .} a suffisamment fait pour prevenir
8
28 Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide
(Ukraine c. Federation de Russie), ordonnance du 16 mars 2022, p. 10, paragraphe 43 ; Application de la
convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Gambie c. Myanmm), ordonnance du 23
janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 14, paragraphe 30.
29 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Bosnie-Herzegovine c.
Serbie-et-Montenegro), arret, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, a lap. 75, paragraphe 169.
30 Voir egalement l'expose ecrit de la Gambie sur les exceptions preliminaires soulevees par le Myanmar, 20 avril
2021, pp. 28-29, paragraphe 3.22 ( « Cette precision [portant sur les differends « relatifs a la responsabilite d'un
Etat en matiere de genocide»] signifie incontestablement que la responsabilite a l'egard d'actes de genocide peut
etre l'obiet d'un differend porte devant la Cour par toute partie contractante » [nous soulignons].
et punir le genocide. En ce qui concerne son execution negative, la Cour
peut egalement statuer sur la question de savoir si une partie contractante a
manque a ses obligations en la matiere »31
.
23. Entin, l'objet et le but de la convention apportent un soutien complementaire
a l'interpretation large de l'article IX. La Cour a note que « [t}ous les Etats
parties a la convention sur le genocide ant done, en souscrivant aux
obligations contenues dans cet instrument, un interet commun a veiller ace
que le genocide soit prevenu, reprime et puni »32
. La nature erga omnes des
obligations decoulant de la convention sous-tend egalement l'importance
primordiale du texte pour la communaute internationale dans son ensemble,
confiant a la Cour internationale de Justice, en 1948, une mission
particulierement importante pour la faire respecter dans l 'inten~t de tous les
Etats.
24. Dans son avis consultatif de 1951, la Cour a declare :
« Les fins d'une telle convention doivent egalement etre retenues. La
Convention a ete manifestement adoptee dans un but purement humain et
civilisateur. On ne peut meme pas concevoir une convention qui ojfrirait
a un plus haut degre ce double caractere, puisqu 'elle vise d 'une part a
sauvegarder !'existence meme de certains groupes humains, d'autre part
a confirmer et a sanctionner les principes de morale les plus elementaires.
Dans une telle convention, les Etats contractants n 'ant pas d'interets
propres ; ils ant seulement tous et chacun, un interet commun, celui de
preserver lesfins superieures qui sont la raison d'etre de la convention. Il
en resulte que l 'on ne saurait, pour une convention de ce type, parler
d'avantages ou de desavantages individuels des Etats, non plus que d'un
exact equilibre contractuel a maintenir entre les droits et les charges. La
consideration des fins superieures de la Convention est, en vertu de la
volonte commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les
dispositions qu 'elle renferme » 33
.
25. L 'objet de la convention, qui est de proteger « les principes de morale les
9
31 Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide
(Ukraine c. Federation de Russie), declaration d'intervention deposee par la Principaute de Liechtenstein du 15
decembre 2022, paragraphe 20.
32 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Gambie c. Myanmm),
arret du 22 juillet 2022, p. 36, paragraphe 107.
33 Reserves a la Convention sur le Genocide, avis consultatif du 28 mai 1951, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
plus elementaires », exige egalement qu'un Etat partie n'abuse pas de ses
dispositions a d' autres fins. 11 appuie egalement avec fermete une lecture de
l' article IX, selon laquelle les differends relatifs a l' interpretation, a
!'application et a !'execution comprennent les differends relatifs a
l'utilisation abusive des dispositions de fond de la convention pour justifier
l'action d'un Etat vis-a-vis d'un autre Etat partie a la convention. L'abus peut
prendre deux formes : des allegations abusives et, respectivement, des actes
abusifs, qui seront examines dans les deux sections suivantes.
B. L'article IX de la convention sur le genocide s'applique aux differends
portant sur des allegations abusives de genocide
26. La Belgique souhaite maintenant aborder plus precisement l 'un des
scenarios de differend au titre de l' article IX, a savoir l' allegation abusive
d'un Etat selon laquelle un autre Etat a commis un genocide.
27. Ce faisant, elle a soigneusement examine la question de savoir si la
convention permet a un Etat de saisir la Cour d'un differend portant sur des
allegations de genocide formulees par un autre Etat34.
28. La Belgique soutient que l'article IX de la convention sur le genocide
s'applique egalement aux differends relatifs a des allegations abusives de
genocide, car ils soul event la question du respect de l' article premier de la
convention, qui fournit un contexte pour l' interpretation de l' article IX.
L'article premier de la convention est ainsi libelle :
« Les Parties contractantes confirment que le genocide, qu 'ii soit commis
en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime de droit du droit des
gens, qu 'elles s 'engagent a prevenir et a punir. »
29. Selon l'article premier de la convention sur le genocide, tousles Etats parties
sont ten us de prevenir et de punir le genocide. Comme la Cour l' a deja
souligne, en s'acquittant de leur obligation de prevenir le genocide, les
parties contractantes doivent agir dans les limites de ce que leur permet la
10
34 Pour une discussion de cette question, voir par exemple l'ordonnance sur les mesures conservatoires (note 9),
declaration de M. le juge Bennouna, paragraphe 2.
legalite internationale35
. En outre, !'execution de !'obligation prevue a
l' article premier doit se faire de bonne foi ( conformement a l 'article 26 de la
convention de Vienne, refletant le droit international coutumier36
). La Cour
a ainsi fait observer que le principe de bonne foi « oblige les Parties a
appliquer [un traite} de fac;on raisonnable de telle sorte que son but puisse
etre atteint »37
. L'interpretation de bonne foi constitue done un bouclier
contre !'utilisation abusive des termes de la convention sur le genocide. En
tant que « [l 'un} des principes de base qui president a la creation et a
I 'execution d'obligations juridiques », la bonne foi est egalement
directement liee a la « confiance reciproque [ qui} est une condition
inherente de la cooperation internationale »38
.
30. De l'avis de la Belgique, la notion de« s'engager a prevenir » implique que
chaque Etat partie doit evaluer !'existence d'un genocide ou d'une menace
serieuse de genocide avant de prendre des mesures en vertu de l 'article
premier39
. Cette evaluation doit etre justifiee par des elements de preuve
substantiels40
.
31. Il est important denoter que le Conseil des droits de l'homme des Nations
Unies engage tous les Etats, « afin de prevenir de nouveaux genocides, a
cooperer, notamment dans le cadre du systeme des Nations Unies, ajin de
renforcer la collaboration voulue entre les dispositifs en place qui
contribuent a detecter rapidement et a prevenir les violations massives,
graves et systematiques des droits de l 'homme qui, s 'ii n y est pas mis fin,
11
35 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Bosnie-Herzegovine c.
Serbie-et-Montenegro), arret, C.I.J. Recueil 2007, p. 221, paragraphe 430; Allegations de genocide au titre de la
convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie),
ordonnance du 16 mars 2022, paragraphe 57.
36 Frontiere terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria, exceptions preliminaires, arret, C.I.J. Recueil
1998, p. 275, a la p.296, paragraphe 3 8 : « La Cour observe que le principe de bonne foi est un principe bien etabli
du droit international. II est enonce au paragraphe 2 de !'article 2 de la Charte des Nations Unies; il a aussi ete
incorpore a !'article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traites du 23 mai 1969 ».
37 Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/S!ovaquie), An-et, C.I.J. Recueil 1997, p. 7, a lap. 79, paragraphe 142.
38 Essais nuc!eaires (Australie c. France), arret, C.I.J. Recueil 1974, p. 253, a lap. 268, paragraphe 46.
39 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Bosnie-Herzegovine c.
Serbie-et-Montenegro ), arret, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, aux pp. 221-222, paragraphes 430-431.
40 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Bosnie-Herzegovine c.
Serbie-et-Montenegro), arret, C.I.J. Recueil 2007, p. 43, a lap. 90, paragraphe 209.
pourraient conduire a un genocide »41
.
32. II peut done etre considere de bonne pratique de s'appuyer sur les resultats
d'enquetes independantes menees sous les auspices des Nations Unies42
avant de qualifier une situation de genocide.
33. En outre, la convention sur le genocide fournit des orientations concernant
les moyens legaux par lesquels les parties contractantes peuvent prevenir et
punir le genocide. Alors que « [I] 'article premier ne precise pas quels types
de mesures une partie contractante peut prendre pours 'acquitter de cette
obligation »,43 « les parties contractantes doivent [. . .] executer cette
obligation de bonnefoi, en tenant compte d'autres parties de la convention,
en particulier ses articles VIII et IX ainsi que son preambule » 44
. Plut6t que
de formuler une allegation abusive de genocide a l'encontre d'un autre Etat
sans s'etre acquitte de son obligation de diligence (due diligence), un Etat
peut saisir les organes politiques oujudiciaires des Nations Unies45
.
34. II s'ensuit qu'une allegation abusive d'un Etat a l'encontre d'un autre Etat
va a l 'encontre des obligations du premier Etat d' appliquer de bonne foi
l' article premier de la convention et revient a denaturer les termes de la
convention. Par consequent, l' article IX couvre egalement de tels differends.
C. L'article IX de la convention sur le genocide s'applique aux
differends portant sur des actes illicites en tant que moyens de
prevention et de repression du genocide
35. Un autre scenario important de differend au titre de l'article IX de la
convention concerne les differends relatifs a des comportements par ailleurs
illegaux en tant que moyen de prevention et de repression du genocide.
12
41 Conseil des droits de l'hornrne des Nations Unies, Resolution 43/29 : Prevention du genocide (29 juin 2020),
UN Doc. A/HRC/RES/43/29, paragraphe 11.
42 Voir par exernple le fait que la Garnbie s'est appuyee sur les rapports de la Mission internationale independante
d'etablissernent des faits sur le Myanmar etablie par le Conseil des droits de l'Hornrne des Nations Unies avant
de saisir la Cour ; pour plus de details, voir Application de la Convention pour la prevention et la repression du
crime de genocide (Gambie c. Myanmar), arret du 22 juillet 2022, aux pp. 25-27, paragraphes 65-69.
43 Ordonnance sur les rnesures conservatoires (note 9), paragraphe 56.
44 Ibid.
45 Ordonnance sur les rnesures conservatoires (note 9), opinion individuelle de M. le Juge Robinson, paragraphe
30.
Comme indique dans la precedente section, !'interpretation correcte de
!'article premier est qu'un Etat est tenu de faire preuve de diligence
raisonnable (due diligence) et de recueillir des elements de preuve aupres de
sources independantes avant de formuler une allegation de genocide a
l'encontre d'un autre Etat.
36. Dans le meme ordre d'idees, un Etat ne peut pas prendre de mesures illegales
sur la base de telles allegations abusives.
3 7. La portee de l' « engagement de prevenir » doit ainsi etre lue a la lumiere du
dernier considerant du preambule, qui souligne la necessite
d'une « cooperation internationale ». La reference au preambule est une
methode d'interpretation des traites acceptee, comme l'a souligne la Cour,
par exemple dans l'affaire Chasse a la baleine dans l 'Antarctique46
. En
outre, en vertu de l' article VIII, les Etats peuvent demander aux organes
competents des Nations Unies de prendre des mesures, et l' article IX prevoit
un reglement judiciaire. L'ensemble de ces elements plaide en faveur d'un
devoir, en vertu de la convention, de recourir a des moyens multilateraux et
pacifiques pour prevenir le genocide. Cette interpretation coYncide
egalement avec !'obligation generale prevue au Chapitre VI de la Charte des
Nations Unies ( ci-apres « la Charte ») pour les parties a tout differend dont
la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la
securite internationales d'en rechercher la solution, avant tout, par des
moyens pacifiques. L' article IX donne egalement effet aux obligations
preexistantes des parties en vertu de !'article 2, paragraphe 3, de la Charte et
du droit international coutumier de regler tous leurs differends par des
moyens pacifiques47 . La Belgique souligne que tousles Etats parties doivent
s'engager a prevenir et a reprimer le genocide dans le monde entier, dans
l'interet de l'humanite dans son ensemble et non pour proteger leurs propres
interets.
13
46 Voir par exemple Chasse a la baleine dans l'Antarctique (Australie c. Japan ;Nouvelle-Zelande (intervenant)),
arret, C.I.J. Recueil 2014, p. 226, a la p. 251, paragraphe 56 (se referant au preambule de la convention
internationale pour la reglementation de la chasse a la baleine pour discerner son objet et son but).
47 Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide
(Ukraine c. Federation de Russie), declaration d'intervention de la Nouvelle-Zelande du 28 juillet 2022,
paragraphe 25.
38. II decoule de !'obligation d'evaluer de bonne foi !'existence d'un genocide
ou d'une menace serieuse de genocide que, lorsqu'un Etat n'a pas procede a
une telle evaluation, il ne peut invoquer l' « engagement de prevenir » le
genocide prevu a l'article premier de la convention pour justifier son
comportement. Cela inclut les comportements qui impliquent la menace ou
l'emploi de la force, comme l'a souligne la Cour dans l'affaire des Platesformes
petrolieres48 .
39. Un Etat ne peut pretendre appliquer le droit international en le violant.
Comme la Cour l'a explique dans l'affaire relative a !'Application de la
convention pour la prevention et la repression du crime de genocide
(Bosnie-Herzegovine c. Serbie-et-Montenegro), deja evoquee au paragraphe
29 ci-dessus, « il est clair que chaque Etat ne peut deployer son action que
dans les limites de ce que lui permet la legalite internationale » 49
. En
d'autres termes, l'article premier de la convention sur le genocide impose
aux Etats parties !'obligation « non seulement d'agir pour prevenir le
genocide, mais aussi d'agir dans les limites permises par le droit
international pour prevenir le genocide »50
.
40. En conclusion, la competence de la Cour s'etend aux differends relatifs a
des actes illicites commis dans le but affiche de prevenir et de punir un
pretendu genocide51
.
D. Toute partie au differend peut saisir la Cour en vertu de l'article IX
de la convention sur le genocide
41. Entin, la Belgique souhaite commenter le point de vue selon lequel un Etat
ne peut pas invoquer la clause compromissoire prevue a l' article IX de la
14
48 Plates-formes petrolieres (Republique islamique d'Iran c. Etats-Unis d'Amerique), exceptions preliminaires,
arret, C.I.J. Recueil 1996, pp. 811-812, paragraphe 21. Voir egalement Allegations de genocide au titre de la
convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Ukraine c. Federation de Russie),
declaration d'intervention de l 'Australie du 30 septembre 2022, paragraphe 41.
49 Application de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide (Bosnie-Herzegovine c.
Serbie-et-Montenegro), arret, C.I.J. Recueil 2007, a p. 221, paragraphe 430.
50 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 9), opinion individuelle de M. le juge Robinson, paragraphe
27 (notre traduction).
51 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 9), p. 11, paragraphe 45.
convention « uniquement pour que la Cour vienne con.firmer sa propre
conformite » avec la convention52
.
42. Comme indique dans la section B, les notions de « differend » et
d'« execution» de !'article IX sont suffisamment larges pour permettre a la
Cour de declarer que l'Etat requerant n'est pas responsable d'une violation
de la convention, telle qu'alleguee par un autre Etat. En outre, le libelle de
!'article IX confirme que « toute partie » au differend peut saisir la Cour.
Ainsi, lorsqu' ii existe un differend sur la question de savoir si un Etat a
adopte un comportement contraire a la convention, l'Etat accuse d'un tel
comportement a le meme droit de soumettre le differend a la Cour que l 'Etat
qui a formule l' accusation, avec pour effet que la Cour sera competente pour
connaitre de ce differend53
.
43. En outre, le caractere erga omnes partes des droits et obligations consacres
par la convention sur le genocide, deja mentionne, va a l'encontre d'une
interpretation etroite de la possibilite de demander la protection judiciaire
devant la Cour. Au contraire, une telle interpretation risquerait d'exclure un
Etat victime de demander reparation a la Cour face a des abus de la
convention. Cela compromettrait la credibilite et l' efficacite de la convention
en tant qu'instrument universe! de prevention du genocide, tout comme le
role de la Cour en tant que voie de recours essentielle contre les abus de droit.
44. Plus generalement, rien n'empeche un Etat requerant d'invoquer la clause
compromissoire d'une convention donnee pour demander a la Cour une
declaration negative selon laquelle ii n'a pas viole les obligations
internationales qui lui incombent en vertu de la convention en question. Par
exemple, dans l' affaire Lockerbie, la Li bye avait demande a la Cour de
constater qu'elle avait respecte les articles 5, 6 et 7 de la convention de
Montreal de 1971 pour la repression d' actes illicites diriges contre la securite
15
52 Ordonnance sur les mesures conservatoires (note 9), declaration de M. le Vice-President Gevorgian, paragraphe
8 (notre traduction).
53 Allegations de genocide au titre de la convention pour la prevention et la repression du crime de genocide
(Ukraine c. Federation de Russie), declaration d'intervention du Royaume-Uni du 1 er aout 2022, paragraphe 34 ;
declaration d'intervention de l' Australie du 30 septembre 2022, paragraphes 35-36; declaration d'intervention de
la Norvege du 10 novembre 2022, paragraphe 21.
de l' aviation civile, sur la base de l 'article 14 de ladite convention54
. Les
Etats-Unis ont objecte qu'aucune des dispositions citees par la requerante ne
concernait des obligations qui les liaient en tant que defendeur55
. La Cour a
rejete l 'exception preliminaire. Elle a estime qu' elle etait saisie d 'un
differend specifique relatif a !'interpretation et a !'application de !'article 7
- lu conjointement avec !'article 1 er, !'article 5, !'article 6 et !'article 8 de la
convention de Montreal - qui devait etre tranche par la Cour sur la base de
!'article 1456
. La Cour s'est done declaree competente pour statuer sur la
demande de la requerante de ne pas avoir viole la convention de Montreal.
45. En outre, la Belgique note qu'il n'est peut-etre meme pas necessaire pour la
Cour d'entamer une discussion sur la question de savoir si !'article IX couvre
egalement les « requetes en non-violation». Dans sa requete, !'Ukraine
demande respectueusement a la Cour de :
« a) de dire etjuger que, contrairement ace que pretend la Federation de
Russie, aucun acte de genocide, tel que defini a I 'article III de la
convention sur le genocide, n 'a ete commis dans les oblasts ukrainiens de
Louhansk et de Donetsk;
b) de dire et juger que la Federation de Russie ne saurait licitement
prendre, au titre de la convention sur le genocide, quelque action que ce
soit en Ukraine ou contre celle-ci visant a prevenir ou a punir un pretendu
genocide, sous le pretexte fallacieux qu 'un genocide aurait ete perpetre
dans les oblasts ukrainiens de Louhansk et de Donetsk;
c) de dire etjuger que la reconnaissance, par la Federation de Russie, de
l 'independance des pretendues « Republique populaire de Donetsk » et
« Republique populaire de Louhansk », le 22 fevrier 2022, est fondee sur
une allegation mensongere de genocide et ne trouve done aucune
justification dans la convention sur le genocide ;
d) de dire et juger que l '« operation militaire speciale » annoncee et mise
en reuvre par la Federation de Russie a compter du 24 fevrier 2022 est
fondee sur une allegation mensongere de genocide et ne trouve done
aucune justification dans la convention sur le genocide ;
e) d'exiger de la Federation de Russie qu'ellefournisse des assurances et
garanties de non-repetition en ce qui concerne la prise par elle de toute
16
54 Questions d'interpretation et d'application de la Convention de Montreal de 1971 resultant de 1 'inddent aerien
de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Etats-Unis d'Amerique}, exceptions preliminaires, arret, C.I.J.
Recueil 1998, p. 115, a lap. 123, paragraphe 25.
55 Ibid, p. 124, paragraphe 26.
56 Ibid, p. 127, paragraphe 28.
mesure illicite en Ukraine et contre celle-ci, notamment l 'emploi de la
force, en se fondant sur son allegation mensongere de genocide ;
j) d 'ordonner la reparation integrale de tout dommage cause par la
Federation de Russie par suite de toute action fondee sur son allegation
mensongere de genocide. »
46. S'il appartient a la Cour de preciser le sens exact des demandes, aucune des
mesures sollicitees ne mentionne expressement la question du« respect» de
la convention par !'Ukraine. En particulier, le point a) pourrait egalement
etre compris comme une demande a la Cour de declarer que les allegations
de la Russie selon lesquelles un genocide a eu lieu dans les oblasts de
Donetsk et de Louhansk sont abusives. Dans une telle lecture, la competence
de la Cour devrait etre verifiee conformement a !'interpretation de l'article
IX de la Convention avancee dans la section C ci-dessus.
17
III. CONCLUSION
4 7. La Belgique fait valoir quatre observations sur l' interpretation de la
convention sur le genocide. Premierement, l'article IX de la convention est
formule en des termes larges pour inclure les differends relatifs a l'execution
des obligations decoulant de la convention. Deuxiemement, il s'applique aux
differends relatifs aux allegations abusives de genocide au titre de la
convention sur le genocide. Troisiemement, ii s'applique egalement aux
differends relatifs aux comportements par ailleurs illegaux en tant que
moyen de prevention et de repression du genocide en vertu de la convention
sur le genocide. Quatriemement, toute partie au differend peut saisir la Cour
en vertu de l'article IX, y compris la partie victime d'une allegation abusive
ou d'un acte illicite en tant que moyen de prevention et de repression du
genocide.
48. En conclusion, la Belgique soutient qu'il ressort du sens ordinaire de }'article
IX de la convention, de son contexte ainsi que de l'objet et du but de
}'ensemble de la convention qu'un differend relatifa des actes accomplis par
un Etat contre un autre Etat sur la base d'allegations abusives de genocide
releve de la notion de « differend entre Parties contractantes relatif a
I' interpretation, I' application ou I' execution de la presente convention ». Par
consequent, la Cour est competente pour constater }'absence de genocide et
la violation de !'execution de bonne foi de la convention. En outre, la
competence de la Cour s'etend aux differends relatifs a des actes illicites
commis dans le but affiche de prevenir et de reprimer un genocide allegue.
Respectueusement,
Piet HEIRBA UT
Agent du Gouvernement, Jurisconsulte,
Directeur general des Affaires juridiques du Service Public Federal des
Affaires etrangeres, Commerce exterieur et Cooperation au developpement
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Observations écrites de la Belgique sur l’objet de son intervention