Observations écrites de la Norvège sur l’objet de son intervention

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182-20230705-WRI-12-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
INTERVENTION DE LA NORVÈGE
STADE DES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES
5 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
1. INTRODUCTION
1. Le 26 février 2022, l’Ukraine a introduit une instance devant la Cour internationale de
Justice (ci-après la « Cour ») contre la Fédération de Russie. Dans sa requête, l’Ukraine soutient qu’il
existe, entre elle et la Fédération de Russie, un différend au sens de l’article IX de la convention pour
la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la « convention sur le génocide » ou la
« convention ») concernant l’interprétation, l’application ou l’exécution de cet instrument1.
2. L’Ukraine affirme, en substance, que l’emploi de la force sur son territoire ou contre elle
par la Fédération de Russie depuis le 24 février 2022, sur le fondement d’un génocide allégué, ainsi
que la reconnaissance antérieure par la Fédération de Russie de la prétendue République populaire
de Donetsk et de la prétendue République populaire de Louhansk, sous le prétexte affiché de prévenir
et de réprimer la commission d’actes de génocide par l’Ukraine, sont incompatibles avec la
convention sur le génocide.
3. Le 30 mars 2022, le greffier a notifié au Gouvernement norvégien, en tant que partie à la
convention sur le génocide, que cet instrument était, dans la requête de l’Ukraine, « invoqué [] à la
fois comme base de compétence de la Cour et à l’appui des demandes de l’Ukraine au fond »2.
4. Le 24 novembre 2022, le Gouvernement norvégien s’est prévalu du droit d’intervenir à
l’instance que lui confère le paragraphe 2 de l’article 63 du Statut de la Cour3. Dans sa déclaration
d’intervention, la Norvège a désigné comme dispositions de la convention en cause en l’espèce
l’article IX, ainsi que les articles premier, II, III et VIII, et a présenté un premier exposé de ses vues
sur leur interprétation4. La Fédération de Russie ayant demandé à la Cour de rejeter son intervention,
le Gouvernement norvégien a présenté ses observations écrites sur la recevabilité de sa déclaration
le 13 février 2023.
5. Dans son ordonnance du 5 juin 2023, la Cour a rejeté les objections formulées par la
Fédération de Russie et jugé que la déclaration d’intervention présentée par la Norvège était
recevable au stade des exceptions préliminaires « en ce qu’elle[ avai]t trait à l’interprétation de
l’article IX et d’autres dispositions de la convention sur le génocide pertinentes aux fins de la
détermination de sa compétence ratione materiae en l’espèce »5. La Cour a fixé au 5 juillet 2023 la
date d’expiration du délai pour le dépôt, par les États dont les déclarations d’intervention avaient été
jugées recevables au stade des exceptions préliminaires, des observations écrites prévues au
paragraphe 1 de l’article 86 de son Règlement6.
6. La Norvège limitera les présentes observations écrites à l’analyse de l’article IX, en tant
qu’il s’agit de la principale disposition qu’il incombe à la Cour d’interpréter et d’appliquer au stade
1 Requête de l’Ukraine en date du 26 février 2022 introduisant une instance devant la Cour.
2 Lettre en date du 30 mars 2022 adressée à la Norvège par le greffier de la Cour.
3 Déclaration d’intervention de la Norvège en vertu de l’article 63 du Statut de la Cour en date du 24 novembre
2022 (ci-après la « déclaration d’intervention de la Norvège en vertu de l’article 63 »).
4 Déclaration d’intervention de la Norvège en vertu de l’article 63, par. 10 ; voir aussi article 82 du Règlement de
la Cour.
5 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 99.
6 Lettre en date du 6 juin 2023 adressée à la Norvège par le greffier de la Cour.
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des exceptions préliminaires. Si la Cour devait estimer nécessaire de se pencher sur l’interprétation
d’autres dispositions de la convention « aux fins de la détermination de sa compétence ratione
materiae », les observations écrites que la Norvège a présentées dans sa déclaration d’intervention
au sujet des articles premier, II, III et VIII de la convention suffiraient à rendre compte de ses vues
en la matière, à ce stade7. La Norvège se réserve cependant le droit de compléter ses observations
lors d’une phase ultérieure de la procédure. Sans perdre de vue l’invitation à coordonner leurs
exposés écrits et oraux que la Cour a adressée aux États intervenants, la Norvège se réserve aussi, à
ce stade, le droit de présenter au cours de la procédure orale ses observations en ce qui concerne tant
l’article IX que les articles premier, II, III et VIII de la convention8.
7. Invitée par la Cour à coordonner ses exposés avec d’autres États intervenants dans l’intérêt
d’une bonne administration de la justice, la Norvège soumet des observations qui recouvrent en
bonne partie, quant au fond, les interventions des États membres de l’Union européenne.
2. INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
2.1 Vue d’ensemble
8. L’article IX de la convention sur le génocide est libellé comme suit :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une Partie au différend. »
9. La Norvège considère que l’article IX présente trois éléments essentiels qu’il convient
d’examiner pour déterminer la compétence de la Cour au regard de la clause compromissoire de la
convention. En premier lieu, la compétence que la Cour tire de l’article IX présuppose l’existence
d’un « différend » susceptible d’être tranché par elle. En deuxième lieu, cette compétence dépend,
ratione materiae, de la question de savoir si ledit différend peut être considéré comme relatif,
notamment, à « l’interprétation, l’application ou l’exécution » de la convention sur le génocide. En
troisième et dernier lieu, l’article IX prévoit que les différends seront soumis à la Cour « à la requête
d’une Partie au différend ». La Norvège présentera ses vues sur ces points aux sections 2.2, 2.3 et
2.4, respectivement, et ses conclusions, à la section 3.
10. Les moyens d’interprétation des traités découlent du droit international coutumier tel que
reflété aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne sur le droit des traités et c’est sur ce fondement
que la Norvège interprétera les dispositions pertinentes de la convention sur le génocide.
2.2. La notion de « différend » à l’article IX
11. Au vu de l’emploi des termes « différends entre les Parties contractantes », il est clair que
la compétence de la Cour en vertu de la convention sur le génocide est subordonnée à l’existence
d’un différend. Le mot « différend », dans son sens ordinaire, désigne une forme de désaccord ou de
litige9. Il s’agit donc — la Norvège en convient — d’« un désaccord sur un point de droit ou de fait,
7 Déclaration d’intervention de la Norvège en vertu de l’article 63, par. 25-33.
8 Conformément au paragraphe 2 de l’article 86 du Règlement.
9 Oxford Dictionary of English, Second Edition, Revised, 2005, p. 502.
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[d’]une contradiction, [d’]une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts » entre des parties10.
Celles-ci doivent avoir « “[d]es points de vue …, quant à l’exécution ou à la non-exécution” de
certaines obligations internationales, “[qui sont] nettement opposés” »11.
12. La détermination de l’existence d’un différend est une question de fond, et non de forme12.
La Cour a jugé que « [l]a question de savoir s’il existe un différend dans une affaire donnée
demand[ait] à être “établie objectivement” par [elle] »13. Pour ce faire, la Cour peut examiner
notamment le comportement des parties intéressées, ainsi que « l’ensemble des déclarations ou
documents échangés entre les parties » et « des échanges qui ont eu lieu dans des enceintes
multilatérales »14.
13. Par conséquent, la Cour doit, à ce stade, commencer par déterminer objectivement si une
partie a, « [à] tort ou à raison, … formulé des griefs en fait et en droit » contre une autre partie et si
« celle-ci les a rejetés »15. Le cas échéant, il existe entre elles un différend d’ordre juridique.
14. La Norvège relève qu’il n’est pas nécessaire, aux fins du constat de l’existence d’un
« différend » au sens de l’article IX, qu’un État ait précisé ses griefs à l’égard d’un autre. En
particulier, il n’est pas requis qu’un État ait désigné expressément la convention ou les dispositions
qu’il considère comme étant en cause, du moment que les griefs qu’il a formulés ont bien trait à
l’objet de celles-ci. Comme la Cour l’a dit dans l’affaire (pendante) relative à l’Application de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar) (ci-après
« l’affaire Gambie c. Myanmar »),
« [s]’il n’est pas nécessaire qu’un État mentionne expressément, dans ses échanges avec
l’autre État, un traité particulier pour être ensuite admis à invoquer ledit traité devant la
Cour … , il doit néanmoins s’être référé assez clairement à l’objet du traité pour que
l’État contre lequel il formule un grief puisse savoir qu’un différend existe ou peut
exister à cet égard »16.
10 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11 ; voir aussi Application de
la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires,
arrêt du 22 juillet 2022, par. 63.
11 Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le
désarmement nucléaire (Iles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 270, par. 34 ;
Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50.
12 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), [p. 84,] par. 30.
13 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis
consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74 et Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes
de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I),
[p. 84,] par. 30.
14 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 64, où figurent également d’autres références.
15 Timor oriental (Portugal c. Australie), arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 100, par. 22 ; Application de la convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. [615], par. 29.
16 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 72 ; Application de la convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2011 (I), [p. 85,] par. 30.
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15. La Cour a en outre établi qu’il était possible de conclure à l’existence d’un « différend »
sans que, nécessairement, les parties aient expressément manifesté leur opposition. Aux fins du
constat de l’existence d’un « différend », point n’est non plus besoin de démontrer que les parties ont
une « connaissance mutuelle » de l’opposition de leurs points de vue. La Cour a récemment rejeté un
argument relatif à l’existence d’une telle condition en l’affaire Gambie c. Myanmar, jugeant que, si
une telle condition était nécessaire, « cela permettrait au défendeur de faire obstacle à la constatation
de l’existence d’un différend en restant silencieux face aux réclamations juridiques du demandeur »
conséquence qui serait « inacceptable »17. Par conséquent, la Cour peut aussi inférer l’existence d’un
différend du silence opposé par une partie aux accusations de l’autre18. Il s’ensuit clairement que le
seul fait de sa négation unilatérale ne suffit pas à réfuter l’existence d’un différend au sens de
l’article IX de la convention sur le génocide.
2.3 Remarques concernant la portée de l’article IX aux fins de la détermination
de la compétence ratione materiae de la Cour
16. Pour déterminer sa compétence, la Cour doit tout d’abord préciser l’objet du différend qui
lui est soumis. Il lui faut pour cela examiner la requête, ainsi que les exposés écrits et oraux des
parties, « tout en consacrant une attention particulière à la formulation du différend utilisée par le
demandeur », et tenir compte « des faits que le demandeur invoque à l’appui de sa demande »19.
Ainsi, au stade des exceptions préliminaires, l’appréciation de la Cour doit être fondée sur la demande
et les faits qui s’y rapportent tels qu’ils ont été exposés et allégués par le demandeur. Toute analyse
supplémentaire des faits ou de la validité des griefs formulés par celui-ci relève de l’examen au
fond20.
17. La Cour doit ensuite déterminer si le différend dont elle est saisie est « susceptible[]
d’entrer dans les prévisions » de la convention sur le génocide, et constitue ainsi un différend dont
elle « pourrait avoir compétence pour connaître ratione materiae par application de l’article IX »21.
18. D’après le libellé de l’article IX, la Cour a compétence ratione materiae à l’égard des
différends « relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la … Convention, y compris
ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres
actes énumérés à l’article III ».
19. Au vu du sens ordinaire des termes « l’interprétation, l’application ou l’exécution », la
Cour peut connaître de différends portant sur la juste interprétation des dispositions de la convention,
la manière dont une partie à la convention exerce les droits et s’acquitte des obligations qu’elle tient
17 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 71.
18 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), [p. 84,] par. 30.
19 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), p. [575], par. 24.
20 Ibid, p. [595], par. 94.
21 Licéité de l’emploi de la force (Yougoslavie c. Belgique), mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999,
C.I.J. Recueil 1999 (I), p. 137, par. 38 ; voir aussi Application de la convention internationale pour la répression du
financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), p. 584, par. 57 et
Immunités et procédures pénales (Guinée équatoriale c. France), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2018 (I),
p. 319, par. 85.
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de celle-ci, ainsi que la question de savoir si, par son comportement et ses actes, une partie honore
les obligations que la convention lui impose.
20. Comme la Cour n’est pas sans le savoir, plusieurs conventions contiennent des clauses
compromissoires concernant « l’interprétation[ et] l’application » de leurs dispositions. Or,
l’article IX de la convention sur le génocide vise aussi expressément les différends relatifs à
l’« exécution » de cet instrument. Cet ajout est
« unique si on … compare [cette disposition] aux clauses compromissoires d’autres
traités multilatéraux qui prévoient la soumission à la Cour internationale de Justice des
différends entre les parties contractantes ayant trait à leur interprétation ou
application »22.
L’insertion de ce terme était délibérée et visait à ménager la possibilité de porter devant la Cour un
large éventail de différends, incluant des questions de respect ou de non-respect des obligations
prévues par la convention, comme l’attestent les débats reproduits dans le compte rendu des travaux
préparatoires de cet instrument23. En conséquence, il ne fait aucun doute que la Cour est compétente
en vertu de l’article IX pour connaître de différends concernant l’exécution alléguée, par une partie
contractante, des obligations que lui impose la convention.
21. En outre, le choix de la conjonction « ou » confirme que la Cour aurait également
compétence pour connaître d’un différend qui ne porterait que sur l’exécution de la convention,
quand bien même elle jugerait que l’affaire soulève aussi des questions d’interprétation ou
d’application des dispositions de cet instrument.
22. Le caractère exhaustif de l’article IX est encore renforcé par le membre de phrase « y
compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des
autres actes énumérés à l’article III ». Tout d’abord, la locution « y compris » signifie que les
différends relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des
autres actes énumérés à l’article III ne sont qu’un des types de différends « relatifs à l’interprétation,
à l’application ou à l’exécution de la Convention » 24. Ensuite, la Cour a confirmé que, en visant « la
responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à
l’article III », « l’article IX n’exclu[ai]t aucune forme de responsabilité d’État »25, mettant ainsi en
évidence la portée générale délibérément attribuée à l’article IX.
23. L’objet et le but de la convention viennent corroborer cette interprétation. La convention
sur le génocide est un moyen employé par la communauté internationale pour « libérer l’humanité
d’un fléau aussi odieux »26. La Cour a établi que, de ce fait, elle imposait aux États parties des
22 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), déclaration du juge Oda, p. 627, par. 5.
23 Nations Unies, documents officiels de la troisième session de l’Assemblée générale, première partie : questions
juridiques, sixième commission, comptes rendus analytiques des séances, 21 septembre - 10 décembre 1948, représentant
de l’Inde, p. 437.
24 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [114], par. 169.
25 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), [p. 616,] par. 32 (les italiques sont de nous).
26 Convention sur le génocide, préambule.
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obligations erga omnes partes27, et que l’interdiction du génocide était une norme de jus cogens28.
Le but de la convention vient donc clairement à l’appui d’une interprétation large de la compétence
conférée à la Cour pour trancher les différends relatifs aux dispositions de cet instrument.
24. La Norvège observe de surcroît que, même si la compétence de la Cour implique une
violation de la convention sur le génocide, les moyens par lesquels une partie contractante aurait
manqué à ses obligations n’ont pas d’incidence en ce qui concerne la détermination de la compétence
de la Cour pour connaître de la demande. Ainsi que la Cour l’a établi dans son arrêt sur les exceptions
préliminaires en l’affaire des Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis
d’Amérique),
« [t]oute action de l’une des Parties incompatible avec ces obligations est illicite, quels
que soient les moyens utilisés à cette fin. La violation, par l’emploi de la force, d’un
droit qu’une partie tient du traité est tout aussi illicite que le serait sa violation par la
voie d’une décision administrative ou par tout autre moyen. »29
25. La Norvège considère en outre que le fait qu’un différend soit un élément d’un ensemble
plus vaste de conflits opposant précisément les mêmes parties n’est en aucune manière déterminant.
De fait, il arrive fréquemment que « les requêtes … soumises portent … sur un différend particulier
qui s’est fait jour dans le cadre d’un désaccord plus large entre les parties »30. Comme énoncé à juste
titre, cela « ne saurait conduire la Cour à refuser de résoudre ledit différend, dans la mesure où les
parties ont reconnu sa compétence pour ce faire et que les conditions de son exercice sont par ailleurs
réunies »31. Une situation concrète peut de même recouvrir divers différends « ayant trait à plusieurs
corpus juridiques et ne relevant pas des mêmes procédures de règlement »32. À l’évidence, aucune
de ces circonstances ne peut en soi empêcher la Cour de conclure qu’elle a compétence ratione
materiae pour trancher un différend particulier qui lui a été soumis.
2.4. Un différend peut être soumis à la Cour par « une » partie à celui-ci
26. Suivant l’article IX, les différends qui relèvent de la convention « seront soumis à la Cour
internationale de Justice à la requête d’une partie au différend ».
27. Il découle du sens ordinaire des termes « une partie au différend » (any of the parties to
the dispute, en anglais) que, dès lors qu’il existe un différend relevant de la convention, toutes les
parties à celui-ci peuvent librement se prévaloir du droit de saisir la Cour33. Selon cette dernière,
27 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 107.
28 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 111, par. 161-162.
29 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), [p. 811-812,] par. [21] (les italiques sont de nous).
30 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 23, par. 36.
31 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention
internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie),
exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), [p. 576,] par. 28.
32 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), [p. 86,] par. [32].
33 Le mot « any » rendu ici par l’article indéfini désigne « whichever of a specified class might be chosen », soit
n’importe quel élément d’un ensemble donné, voir Oxford Dictionary of English, Second Edition, Revised, 2005.
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« [i]l importe peu de savoir laquelle d’entre elles est à l’origine de la réclamation, et laquelle s’y
oppose »34. Ainsi, l’article IX prévoit expressément que la compétence de la Cour est établie à la
requête de l’une ou l’autre des parties au différend.
28. Cette interprétation est étayée par le contexte. Premièrement, le choix de « seront »
(« shall ») plutôt que « peuvent » ou « pourront » révèle que l’intention était de faire en sorte que les
différends ayant trait à la convention sur le génocide soient portés à l’attention de la Cour, ce dont il
s’ensuit que cet article n’a pas lieu d’être interprété de manière restrictive. Deuxièmement, le libellé
du sujet de la phrase, « [d]es différends entre les Parties contractantes », confirme que tout différend
susceptible d’être soumis à la Cour implique au moins deux parties, dont l’« une », quelle qu’elle
soit, peut introduire une instance.
29. L’objet et le but de la convention vont également dans le sens de cette interprétation. La
Cour a réaffirmé que « [t]ous les États parties à la convention sur le génocide avaie[nt] …, en
souscrivant aux obligations contenues dans cet instrument, un intérêt commun à veiller à ce que le
génocide soit prévenu, réprimé et puni »35. Parmi les différents moyens mis à la disposition des
Parties contractantes dans l’ensemble de la convention pour servir cet intérêt commun, la possibilité
de recourir à la Cour en vertu de l’article IX revêt une importance particulière. Comme l’a exposé le
juge ad hoc Kress dans sa déclaration concernant la question de la compétence en l’affaire Gambie
c. Myanmar :
« Le droit d’un État partie d’invoquer la responsabilité d’un autre État partie pour
manquement allégué à une obligation erga omnes partes au regard de la convention sur
le génocide n’est pas le seul moyen d’agir dans l’intérêt commun en question et, pour
défendre cet intérêt, une autre modalité d’action importante à la disposition d’un État
consiste à faire valoir son droit de solliciter une protection judiciaire devant la Cour. »36
30. La Norvège considère que l’intérêt commun et le caractère erga omnes partes qui soustendent
la convention sur le génocide vont à l’encontre d’une interprétation étroite de la possibilité
de solliciter « une protection judiciaire devant la Cour ». Au contraire, pareille interprétation
risquerait d’empêcher un État victime d’abus de la convention de demander réparation à celle-ci.
Selon la Norvège, cela compromettrait la crédibilité et l’efficacité de la convention en tant
qu’instrument universel de prévention du génocide, tout comme le rôle de la Cour en tant que voie
de recours essentielle contre les abus de droit.
34 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50.
35 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 107. Dans un passage célèbre de l’avis consultatif qu’elle a rendu
en 1951, la Cour a dit ceci :
« Les fins d’une telle convention doivent également être retenues. La Convention a été manifestement adoptée dans
un but purement humain et civilisateur. On ne peut même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré
ce double caractère, puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains groupes humains, d’autre part
à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus élémentaires. Dans une telle convention, les États contractants
n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont seulement tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures
qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages
ou de désavantages individuels des États, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et les
charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu de la volonté commune des parties, le
fondement et la mesure de toutes les dispositions qu’elle renferme. »
36 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, déclaration du juge ad hoc Kress, par. 18.
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31. Ainsi, lorsqu’il existe un différend concernant la question de savoir si un État s’est livré à
des actes contraires à la convention, l’État accusé dudit comportement a le même droit de soumettre
le différend à la Cour que l’État qui a formulé l’accusation.
[4]. CONCLUSION
32. Selon la Norvège, il découle du sens ordinaire des termes de l’article IX, lus dans leur
contexte et à la lumière de l’objet et du but de la convention, qu’un différend concernant des actes
commis par un État contre un autre État sur le fondement de prétendues allégations de génocide
constitue un « différend[] entre les Parties contractantes relatif[] à l’interprétation, l’application ou
l’exécution de la … Convention » conformément aux dispositions de l’article IX. La Cour étant
compétente pour connaître de la question de savoir si des actes de génocide ont été commis ou le
sont, ou non, la Norvège considère que la Cour est aussi compétente pour constater l’absence de
génocide. Elle estime qu’il en va de même pour ce qui est des différends relatifs au recours abusif à
l’autorité de la convention pour justifier un acte d’un État contre un autre État partie à cet instrument,
des questions de manquement à l’obligation d’appliquer de bonne foi la convention, ainsi que de
celle de savoir si l’abus ainsi allégué constitue une violation des obligations qui incombent à un État
en vertu de la convention. La Norvège estime en outre que l’article IX permet expressément que de
tels différends soient soumis à la Cour à la requête de toute partie au différend.
Respectueusement,
L’agent du Gouvernement norvégien,
(Signé) Kristian JERVELL.
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Observations écrites de la Norvège sur l’objet de son intervention

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