Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA LITUANIE
5 juillet 2023
[Traduction du Greffe]
1. Les présentes observations écrites sont déposées conformément à l’ordonnance rendue par
la Cour le 5 juin 2023 et « ont trait à l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide pertinentes aux fins de la
détermination de la compétence de la Cour »1. Étant donné que « la question de savoir si la Cour a
été valablement saisie apparaît comme une question de compétence »2, les présentes observations
écrites traitent également de l’interprétation de l’article IX en ce qu’il concerne la saisine de la Cour.
2. L’article IX de la convention se lit comme suit :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une Partie au différend ».
3. L’article IX doit être lu dans le contexte des autres dispositions de la convention3. À cet
égard, la Lituanie rappelle que « [l]’article IX énonce les conditions requises pour recourir à l’organe
judiciaire principal de l’Organisation des Nations Unies en cas de différend entre des parties
contractantes, tandis que l’article VIII permet à toute partie contractante de faire appel à d’autres
organes compétents de l’Organisation, même en l’absence de différend avec une autre partie
contractante »4. L’article VIII se distingue par ailleurs de l’article IX en ce qu’il porte exclusivement
sur « la prévention et la répression des actes de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III ». Ainsi qu’il ressort clairement du texte de l’article IX, les différends
pouvant être soumis à la Cour ne sont pas limités à « la prévention et la répression des actes de
génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III », qui correspondent au
domaine d’application de l’article VIII. Les différends soulevés au titre de l’article IX peuvent être,
plus largement, « relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y
compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des
autres actes énumérés à l’article III ». Ainsi que l’a clairement énoncé la Cour, « les différends
relatifs à la responsabilité des parties contractantes pour génocide … s’inscrivent dans un ensemble
plus large de différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la Convention »5.
4. Les différences fonctionnelles et textuelles existant entre les articles VIII et IX, c’est-à-dire
les « champs d’application distincts » de ces dispositions6, tendent à indiquer que les différends
découlant d’allégations d’actes de génocide peuvent être soumis à la Cour pour règlement, même si
les griefs portés devant la Cour par le demandeur ne concernent pas la perpétration d’actes de
génocide par le défendeur. En d’autres termes, la compétence de la Cour en vertu de l’article IX
s’étend aux différends résultant de la contestation, par l’État demandeur, d’allégations de l’État
défendeur selon lesquelles des actes de génocide se sont produits ou étaient sur le point de se produire
1 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 102 1).
2 Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn (Qatar c. Bahreïn), compétence et
recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1995, p. 23, par. 43.
3 Convention de Vienne sur le droit des traités, art. 31, par. 2 ; voir aussi Délimitation maritime dans l’océan Indien
(Somalie c. Kenya), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2017, p. 29-30, par. 64-65.
4 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 89.
5 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169.
6 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 89.
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sur le territoire du premier. Ainsi, comme elle l’a exposé dans sa déclaration d’intervention du
22 juillet 2022, la Lituanie estime que lorsqu’un État accuse un autre État de commettre un génocide,
ou allègue que des actes de génocide sont sur le point d’être commis sur le territoire de cet autre État,
et que l’État ainsi incriminé rejette ces accusations, un « différend » existe au sens de l’article IX de
la convention7. Ce cas de figure inclut les accusations de génocide portées en vue de justifier des
actes pouvant faire intervenir d’autres règles de droit international.
5. Cette interprétation est confirmée par deux éléments textuels importants de l’article IX :
Premièrement, le fait que les différends doivent concerner « l’interprétation, l’application ou
l’exécution » de la convention. Cette formulation a été décrite comme « unique si on la compare
[à celle des] clauses compromissoires d’autres traités multilatéraux qui prévoient la soumission
à la Cour internationale de Justice des différends entre les parties contractantes ayant trait à leur
interprétation ou application »8. Il a également été souligné qu’« “en insérant les trois termes
alternatifs”, les rédacteurs [av]aient cherché à “donner la couverture la plus complète possible à
la clause compromissoire” et à “combler toutes les failles [potentielles]” »9. Eu égard au
« principe bien établi d’interprétation des traités selon lequel il faut conférer aux mots un effet
utile »10, il est clair, selon la Lituanie, que l’ajout du terme « exécution » élargit l’éventail des
« différends » en rapport avec la convention qui peuvent être soumis à la Cour au titre de
l’article IX. À cet égard, la Lituanie rappelle que les travaux préparatoires font état du rejet d’une
proposition visant à supprimer le mot « exécution »11. À la lumière des règles coutumières
d’interprétation des traités reflétées à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des
traités12, le terme « exécution » (en anglais « fulfilment »13) doit s’entendre dans son sens
linguistique ordinaire, c’est-à-dire comme désignant l’action, l’acte ou le processus consistant à
accomplir, mettre en oeuvre ou remplir une obligation. Ainsi, si un État (l’État A) s’oppose aux
allégations formulées par un autre (l’État B) lorsque celui-ci affirme qu’un génocide est en cours
ou en passe d’être commis sur le territoire de l’État A, un différend surgit relativement à
l’exécution des obligations imposées par la convention, qui peut être soumis à la Cour soit par
l’État A soit par l’État B.
7 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration d’intervention de la République de Lituanie du 19 juillet 2022, par. 24.
8 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), déclaration du juge Oda, p. 627, par. 5 (les
italiques sont dans l’original) ; voir aussi Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République
démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, opinion individuelle commune
des juges Higgins, Kooijmans, Elaraby, Owada et Simma, p. 72, par. 28 : « L’article IX vise les différends qui portent non
seulement sur l’interprétation ou l’application de la convention, mais aussi sur son “exécution”. » (Les italiques sont de
nous.)
9 C. Tams, « Article IX », in C. Tams, L. [B]erster et B. Schiffbauer (sous la dir. de), Convention on the Prevention
and Punishment of Genocide, A Commentary (Beck, 2014), p. 313, par. 45, citant R. Kolb, « Scope Ratione Materiae » in
P. Gaeta (sous la dir. de), The UN Genocide Convention: A Commentary (OUP, 2009), p. 451.
10 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 125, par. 133, citant l’affaire
des Zones franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex, ordonnance du 19 août 1929, C.P.J.I. série A no 22, p. 13.
11 Nations Unies, documents officiels de l’Assemblée générale, troisième session, première partie, Sixième
Commission, comptes rendus analytiques des séances, 21 septembre-10 décembre 1948, A/C.6/SR.104, reproduit dans
H. Abtahi et Ph. Webb (sous la dir. de), The Genocide Convention, The Travaux Préparatoires, Volume Two (Martinus
Nijhoff, 2008), p. 1784.
12 Voir Sentence arbitrale du 3 octobre 1899 (Guyana c. Venezuela), exception préliminaire, arrêt du 6 avril 2023,
par. 87.
13 Oxford English Dictionary (3e éd., 2016), « fulfilment », accessible à l’adresse suivante : https://www.oed.com/
view/Entry/75295?redirectedFrom=fulfilment#eid.
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Deuxièmement, cette interprétation est confortée par le fait que les différends « relatifs à
l’interprétation, l’application ou l’exécution » de la convention peuvent être « soumis à la Cour
internationale de Justice, à la requête d’une Partie (“any of the parties”, en anglais) au
différend ». En énonçant que la saisine de la Cour peut être à l’initiative d’« une Partie au
différend », quelle qu’elle soit, le dernier membre de phrase de l’article IX confirme qu’un État
peut recourir à la Cour s’il s’estime accusé à tort d’actes de génocide par une autre partie à la
convention. Si de nombreuses clauses compromissoires permettent la saisine de la Cour par
« toute partie (any of the parties) au différend »14, le fait qu’une telle saisine puisse concerner,
selon les termes de l’article IX, un différend « relatif[] à … l’exécution » de la convention, et
soit possible sans négociations préalables, est significatif s’agissant de la configuration
spécifique du présent différend.
6. La Lituanie estime en outre que l’objet et le but de la convention, tels que décrits avec
éloquence par la Cour dans son avis consultatif de 195115, justifient également d’interpréter
l’article IX comme permettant qu’un différend résultant d’allégations de génocide soit soumis pour
règlement à la Cour par l’État contre lequel ces allégations sont portées. Au vu des fins supérieures
de la convention et de l’intérêt commun des États à prévenir et punir le génocide, l’accusation de
génocide est incontestablement une accusation grave qui ne saurait être formulée à la légère contre
un État, ni échapper à tout contrôle juridictionnel, sous peine de saper foncièrement l’objet et le but
de la convention sur le génocide, ainsi que les obligations que celle-ci prévoit. Afin de préserver
l’intégrité de la convention, l’article IX peut donc être invoqué par tout État partie qui s’estime accusé
à tort de génocide par un autre16. L’article IX a donc une valeur et un effet de protection pour les
États qui en ont accepté les termes.
7. Un État qui s’estime accusé à tort de génocide peut faire valoir qu’une telle accusation
résulte d’une violation de l’article premier de la convention et que les mesures prises sous le prétexte
de prévenir le génocide allégué sont elles aussi illicites au regard de la convention. La Cour a précisé
que les différends relevant du champ d’application de l’article IX ne doivent pas nécessairement
concerner des obligations « expressément imposée[s] par les termes mêmes de la Convention »17.
Ainsi que l’a fait valoir la Lituanie dans sa déclaration d’intervention en l’espèce, aux fins de
déterminer si une partie a exécuté ses obligations au regard de la convention, peut ainsi être
particulièrement pertinente l’obligation de diligence requise, implicitement prescrite à l’article
premier, qui impose de recueillir des preuves solides, provenant de sources indépendantes, que des
actes de nature génocidaire sont en train d’être commis avant de prendre toute mesure préventive en
vertu de la même disposition18. Une telle affirmation relève de la compétence ratione materiae que
la Cour tient de l’article IX. Il reviendrait à cette dernière de déterminer, lors de l’examen de l’affaire
au fond et dans le cadre de l’interprétation de l’article premier, si celui-ci prescrit effectivement de
manière implicite l’obligation de diligence requise mise en avant par la Lituanie dans sa déclaration
d’intervention et, le cas échéant, s’il y a eu manquement à cette obligation.
14 Voir, par exemple, convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(21 décembre 1965), art. 22.
15 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
16 En l’absence de réserves relatives à l’article IX formulées par les États parties au différend.
17 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 113, par. 166.
18 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclaration d’intervention de la République de Lituanie du 19 juillet 2022, par. 20.
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8. La Lituanie réaffirme également, ici aussi dans le droit-fil de sa déclaration d’intervention,
que la convention crée une obligation, pour les États, de ne pas se livrer à une agression militaire sur
la foi d’allégations de génocide factuellement infondées. Comme il a été détaillé dans la déclaration
d’intervention, une telle obligation découle de l’article premier, lu conjointement avec l’article VIII
de la convention. Elle impose aux États qui s’emploieraient, selon leurs dires, à prévenir un génocide
d’agir avec la diligence requise, c’est-à-dire de justifier leur action par des preuves solides, provenant
de sources indépendantes, confirmant que des actes de génocide sont en train d’être commis ou qu’il
existe « un risque sérieux de commission d’un génocide »19. Cette obligation découle du fait, reconnu
par la Cour, qu’en s’acquittant de son obligation de prévenir le génocide, « chaque État ne peut
déployer son action que dans les limites de ce que lui permet la légalité internationale »20 et que
« [l]es actes entrepris par les parties contractantes pour “prévenir et … punir” un génocide doivent
être conformes à l’esprit et aux buts des Nations Unies, tels qu’énoncés à l’article 1 de la Charte des
Nations Unies »21. Selon la Lituanie, les demandes qui concernent le respect de ladite obligation
relèvent de la compétence ratione materiae de la Cour au titre de l’article IX.
9. Enfin, la Lituanie rappelle que les moyens par lesquels il est manqué à une obligation
internationale — et, en particulier, ceux par lesquels il s’agirait d’exécuter l’obligation de prévenir
le génocide au titre de l’article premier — sont sans pertinence aux fins des questions de compétence.
En effet, ainsi que la Cour l’a clairement indiqué en l’affaire des Plates-formes pétrolières, « [t]oute
action de l’une des Parties incompatible avec [l]es obligations [découlant du traité de 1955] est
illicite, quels que soient les moyens utilisés à cette fin. La violation, par l’emploi de la force, d’un
droit qu’une partie tient du traité est tout aussi illicite que le serait sa violation par la voie d’une
décision administrative ou par tout autre moyen. Les questions relatives à l’emploi de la force ne
sont donc pas exclues en tant que telles du champ d’application du traité de 1955. »22 Cette
conclusion s’applique mutatis mutandis à la convention sur le génocide. La Lituanie rappelle en outre
que lorsque la Cour a compétence en vertu de l’article IX, cette compétence s’étend à l’application
des « règles du droit international général qui régissent l’interprétation des traités et la responsabilité
de l’État pour fait internationalement illicite »23. La Lituanie est d’avis que la compétence de la Cour
s’étend nécessairement aussi à l’application d’autres règles du droit des traités, en particulier celle
qui concerne l’obligation d’exécuter les traités de bonne foi24.
Respectueusement,
Le coagent de la République de Lituanie,
(Signé) Ričard DZIKOVIČ.
___________
19 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 22[2], par. 431.
20 Ibid., p. 221, par. 430.
21 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 58.
22 Plates-formes pétrolières (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exception préliminaire, arrêt,
C.I.J. Recueil 1996 (II), p. [811-812], par. 21.
23 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 105, par. 149.
24 Voir convention de Vienne sur le droit des traités, art. 26.
Observations écrites de la Lituanie sur l’objet de son intervention