Observations écrites de la Bulgarie sur l’objet de son intervention

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182-20230705-WRI-07-00-EN
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Incidental Proceedings
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Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR
LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE
(UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
OBSERVATIONS ÉCRITES DE LA RÉPUBLIQUE DE BULGARIE
30 juin 2023
[Traduction du Greffe]
I. INTRODUCTION
1. Le 18 novembre 2022, la République de Bulgarie a déposé une déclaration d’intervention
en l’affaire relative à des Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la
répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), conformément au paragraphe 2
de l’article 63 du Statut de la Cour internationale de Justice (ci-après le « Statut »).
2. Le 5 juin 2023, la Cour internationale de Justice (ci-après la « Cour ») a décidé que les
déclarations d’intervention au titre de l’article 63 du Statut déposées notamment par la République
de Bulgarie étaient recevables1. Les présentes observations écrites sont soumises à la Cour sur le
fondement de son ordonnance du 5 juin 2023 sur la recevabilité des déclarations d’intervention
(ci-après l’« ordonnance ») et dans le respect de la date d’expiration du délai que la Cour a fixée
conformément au paragraphe 1 de l’article 86 de son Règlement, à savoir le 5 juillet 20232.
3. L’intervention de la République de Bulgarie au titre de l’article 63 du Statut se limitera à
l’interprétation de la convention en cause devant la Cour au stade pertinent de la procédure3. Ainsi
que l’a dit la Cour dans son ordonnance, l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la
convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la « convention sur le
génocide »)4 pertinentes aux fins de la détermination de sa compétence ratione materiae est en cause
au stade actuel de la procédure5.
4. L’intervention de la République de Bulgarie est en outre limitée, selon sa propre déclaration
d’intervention, à l’interprétation de la clause compromissoire prévue à l’article IX6. Les références à
d’autres règles et principes de droit international, en dehors de la convention sur le génocide, ne
concerneront que l’interprétation de l’article IX de la convention, conformément à la règle
coutumière d’interprétation reflétée à l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités
(ci-après la « convention de Vienne »)7 et à l’interprétation fondée sur le principe d’intégration
systémique en droit international. La République de Bulgarie n’abordera pas d’autres questions,
telles que l’existence d’un différend entre les Parties, les éléments de preuve, les faits ou l’application
de la convention sur le génocide en l’espèce.
5. Invitée par la Cour à se coordonner avec d’autres États intervenants8, la République de
Bulgarie s’est mise d’accord sur le fond de sa position avec d’autres intervenants.
1 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 102 1).
2 Ibid., par. 102 3).
3 Ibid., par. 84.
4 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (adoptée le 9 décembre 1948, entrée en
vigueur le 12 janvier 1951), Recueil des traités (RTNU), vol. 78, p. 277.
5 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 99.
6 Déclaration d’intervention de la République de Bulgarie, par. 17.
7 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 84.
8 Lettre n° 159464 du greffier de la Cour internationale de Justice, en date du 6 juin 2023, et lettre n° 159638, en
date du 23 juin 2023.
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6. Dans les présentes observations écrites, la République de Bulgarie se concentre sur
l’interprétation correcte de la clause compromissoire prévue à l’article IX de la convention sur le
génocide. Outre ces éléments clés, elle analyse certaines caractéristiques distinctives de cette
disposition ; elle présente des arguments en faveur d’une interprétation large de la compétence de la
Cour pour statuer sur les différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la
convention sur le génocide prenant la forme de revendications de non-violation ; elle applique les
règles générales d’interprétation, telles que codifiées par la convention de Vienne, à l’interprétation
de l’article IX, afin de montrer que la Cour a compétence pour statuer sur les différends relatifs à
l’interprétation, à l’application et à l’exécution de bonne foi des dispositions de la convention sur le
génocide ; elle analyse la nature et le rôle de l’article IX, en tant que partie de la convention sur le
génocide, afin de garantir la bonne compréhension du champ d’application et de l’objet de
l’instrument ; enfin, la République de Bulgarie expose son point de vue sur l’interprétation de la
convention sur le génocide dans le cadre de l’ensemble du système juridique en vertu du principe de
l’intégration systémique et à la lumière de l’évolution du droit à l’heure actuelle.
II. L’INTERPRÉTATION DE L’ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE
7. L’article IX de la convention sur le génocide se lit comme suit :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la
responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes
énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête
d’une Partie au différend. »
8. Le sens du terme « différend » est établi depuis longtemps dans la jurisprudence de la Cour
et de sa devancière, la Cour permanente de Justice internationale (CPJI)9. Ainsi, un différend est « un
désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou
d’intérêts » entre des parties10. Pour qu’un différend existe de sorte à fonder la compétence, « [i]l
faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de
l’autre »11. Les parties au différend doivent avoir des « points de vue quant à l’exécution ou à la
non-exécution de certaines obligations internationales … nettement opposés »12.
9. Il est également établi par la Cour et généralement reconnu que, pour qu’un différend existe,
il n’est pas nécessaire qu’un État invoque un traité particulier ou ses dispositions13. Comme la Cour
l’a fait observer, les requêtes dont elle est saisie portent souvent sur un différend particulier survenant
9 Déclaration d’intervention de la République de Bulgarie, par. 21.
10 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt n° 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
11 Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 1962, p. 328.
12 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale
(Qatar c. Émirats arabes unis), mesures conservatoires, ordonnance du 23 juillet 2018, C.I.J. Recueil 2018 (II), p. 414,
par. 18 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua
c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50, citant Interprétation des traités de paix
conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
13 Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique),
compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1984, p. 428-429, par. 83 ; Application de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires,
arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84-85, par. 30.
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dans le contexte d’un désaccord plus large entre les parties14. Ainsi, un différend porté devant elle
peut s’inscrire dans une situation complexe qui comprend diverses questions sur lesquelles les États
concernés ont des vues opposées. De plus, un différend peut entrer dans le champ de plusieurs
instruments et peut avoir trait « à l’interprétation ou à l’application » de plusieurs traités ou autres
instruments15. Cela étant, conformément aux termes « relatifs à … la présente Convention », la Cour
doit encore s’assurer que le différend en question entre bel et bien dans les prévisions de l’article IX
de la convention sur le génocide16.
10. La République de Bulgarie se concentre maintenant sur l’interprétation correcte d’autres
parties de la clause compromissoire prévue à l’article IX de la convention sur le génocide en tant que
disposition juridique pertinente pour la saisine de la Cour et fondement de l’exercice de la
compétence de la Cour17. Différent d’autres dispositions du même type figurant dans des traités
multilatéraux, l’article IX est une clause juridictionnelle générale qui présente plusieurs
caractéristiques distinctives. Ainsi, les différends doivent être « relatifs à l’interprétation,
l’application ou l’exécution de la présente Convention » (les italiques sont de nous)18, l’emploi du
terme « y compris » indique que le champ d’application de l’article IX s’étend au-delà des différends
entre États ayant trait à la responsabilité à raison d’actes de génocide allégués19 et « une partie au
différend » peut introduire une instance20. Ainsi que l’a dit la Cour, la convention sur le génocide
n’impose pas de conditions supplémentaires à l’invocation de la responsabilité ni à la recevabilité
des demandes soumises à la Cour21.
11. Le membre de phrase « relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente
Convention » est « unique si on l[e] compare aux clauses compromissoires d’autres traités
multilatéraux »22. Si le terme « relatifs à » établit un lien entre le différend et la convention23, on
trouvera ci-après une analyse plus détaillée de l’interprétation, l’application ou l’exécution de la
convention.
12. On entend par « interprétation » de la convention le processus de détermination du sens
véritable d’un mot, d’une expression ou d’une disposition. Comme l’a souligné la Cour,
14 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt,
C.I.J. Recueil 2019 (I), p. 23, par. 36 ; Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception
préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 604, par. 32 ; Application de la convention internationale sur l’élimination
de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J.
Recueil 2011 (I), p. 85-86, par. 32 ; Actions armées frontalières et transfrontalières (Nicaragua c. Honduras), compétence
et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1988, p. 91-92, par. 54 ; Personnel diplomatique et consulaire des États-Unis à
Téhéran (États-Unis d’Amérique c. Iran), arrêt, C.I.J. Recueil 1980, p. 19-20, par. 36-37.
15 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique
d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, p. 27, par. 56.
16 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 615, par. 30.
17 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 15, par. 35.
18 Déclaration d’intervention de la République de Bulgarie, par. 21.
19 Ibid., par. 24.
20 Ibid., par. 25.
21 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 110.
22 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, C.I.J. Recueil 1996 (II), déclaration du juge Oda, p. 627, par. 5.
23 Exposé en détail au par. 9 des présentes observations écrites.
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« demande[r] … une interprétation » signifie « faire éclaircir le sens et la portée »24. En 1927, la CPJI
avait également dit qu’il fallait entendre par interprétation « l’indication précise du “sens” et de la
“portée” »25. Les règles d’interprétation en droit international sont codifiées par la convention de
Vienne, notamment ses articles 31 et 32.
13. On entend par « application » l’« acte consistant à mettre une chose en oeuvre » dans un
cas donné26. En 1927, la CPJI a précisé que les divergences relatives à l’application de dispositions
comprennent « non seulement celles qui ont trait à la question de savoir si 1’application de clauses
déterminées est ou non exacte, mais aussi celles qui portent sur l’applicabilité desdits articles,
c’est-à-dire sur tout acte ou toute omission créant un état de choses contraire à ces articles »27.
14. Le juge Ehrlich a fait une analyse célèbre des mots « interprétation et application », pris
ensemble comme une expression et comme des processus distincts :
« [L]es mots “interprétation et application” … ont trait à des processus dont l’un,
interprétation, consiste à déterminer la signification d’une disposition, tandis que
l’autre, application, consiste, en un sens, à établir les conséquences que la disposition
attache à l’occurrence d’un fait donné ; en un autre sens, l’application consiste à faire
naître les conséquences qui, selon une disposition, doivent découler d’un fait. Les
différends relatifs à l’interprétation ou à l’application sont donc des différends portant,
soit sur la signification d’une clause, soit sur le point de savoir si les conséquences
attachées par la clause à un fait doivent se produire dans un cas donné. »28
15. En distinguant le libellé de l’article IX des autres clauses classiques, l’insertion du terme
« exécution » élargit le champ de la compétence de la Cour. Cette conclusion est étayée par le
principe de l’effet utile prévu par l’interprétation des traités. Ainsi, l’insertion d’un terme
supplémentaire dans une expression doit sans nul doute modifier celle-ci en élargissant son sens en
général.
16. Ainsi que l’a fait observer la Cour, par rapport aux clauses juridictionnelles types, « l’ajout
du terme “exécution” dans la disposition » confère à la Cour compétence à l’égard des différends
relatifs à l’« interprétation et à l’application » de la convention29. Le sens ordinaire du mot
« exécution » figurant à l’article IX peut être considéré comme faisant référence à une application
qui « répond aux exigences » d’une norme30. Cela étant, ce terme a un sens beaucoup plus large que
le terme « application ».
24 Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (Colombie/Pérou), arrêt,
C.I.J. Recueil 1950, p. 402.
25 Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (Usine de Chorzów), arrêt no 11, 1927, C.P.J.I. série A no 13, p. 10.
26 C. Tams, « Article IX », in C. Tams, L. [B]erster et B. Schiffbauer, Convention on the Prevention and
Punishment of Genocide, A Commentary (Beck, 2014).
27 Usine de Chorzów (compétence), arrêt no 8, 1927, C.P.J.I. série A no 9, p 20-21.
28 Usine de Chorzów (compétence), arrêt no 8, 1927, C.P.J.I. série A no 9, opinion dissidente du juge Ehrlich, p. 39.
29 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 168.
30 C. Tams, « Article IX », in C. Tams, L. [B]erster et B. Schiffbauer, Convention on the Prevention and
Punishment of Genocide, A Commentary (Beck, 2014).
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17. L’insertion du terme « exécution » a fait l’objet de longs débats pendant la rédaction de la
convention31. Ce terme était compris comme ayant un sens plus général par la majorité des
délégations ayant voté en faveur de son adjonction, ce qui est un argument important en faveur de
l’interprétation extensive de la compétence conférée à la Cour par l’article IX de la convention.
18. Comme il est souligné dans la doctrine,
« la raison justifiant l’insertion des trois termes alternatifs, ainsi qu’il a été fait dans la
convention sur le génocide, était de donner la couverture la plus complète possible à la
clause compromissoire. Il s’agissait ainsi de combler toutes les failles susceptibles de
réduire l’étendue de la compétence de la Cour. Le but poursuivi en 1948 était de conférer
à la Cour la compétence la plus large possible dans le cadre du régime de la convention,
en prévenant tous les arguments subtils qui pourraient être avancés pour la priver de sa
compétence en raison d’un lien insuffisant avec cet instrument. »32
19. Ainsi que l’a relevé la Cour, l’article IX vise également la situation dans laquelle un État
allègue qu’un autre État a commis un génocide33. Les différends fondés sur des allégations d’un État
partie qui en accuse un autre d’être responsable d’actes de génocide ou de n’avoir pas prévenu ou
puni des actes de génocide constituent sans aucun doute des différends portant sur « l’interprétation,
l’application ou l’exécution » de la convention sur le génocide, et de ce fait relèvent du champ
d’application de l’article IX de cet instrument.
20. Le fait que la Cour puisse statuer sur des différends concernant une déclaration de
conformité du comportement d’un État avec un traité donné est également appuyé par sa
jurisprudence. Dans une affaire où elle était priée de déclarer que le comportement de la
demanderesse était « conforme au régime économique selon les conventions »34, la Cour, non pas
plus que le défendeur, n’a pas considéré que le fait qu’une revendication de non-violation ait été
sollicitée posait le moindre problème35. En outre, lorsqu’elle se prononce sur la violation ou la
non-violation d’un instrument, la Cour procède au même type d’analyse de l’interprétation et de
l’application des traités [que dans d’autres affaires], conformément à l’interprétation de l’article IX
exposée dans les présentes observations écrites. La nature de cette analyse relève du champ
d’application de l’article IX quand le différend porte sur des revendications de non-violation  à
savoir, lorsqu’un État partie qui est accusé par un autre État partie d’avoir commis des violations de
la convention sur le génocide affirme qu’il n’a rien fait de tel. La Cour a confirmé sa compétence à
l’égard d’une demande de jugement déclaratoire négatif établissant qu’un demandeur n’avait pas
violé certaines dispositions de la convention36.
31 Nations Unies, Sixième Commission, comptes rendus analytiques des séances, troisième session, première partie,
21 septembre - 10 décembre 1948, documents officiels de l’Assemblée générale, doc. A/C.6/SR.61-140.
32 R. Kolb, « The Scope Ratione Materiae of the Compulsory Jurisdiction of the ICJ », in P. Gaeta (sous la dir. de),
The UN Genocide Convention: A Commentary (OUP, 2009), 442, 453.
33 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169.
34 Droits des ressortissants des États-Unis d’Amérique au Maroc (France c. États-Unis d’Amérique), arrêt, C.I.J.
Recueil 1952, p. 182.
35 Ibid., p. 182-184.
36 Voir Questions d’interprétation et d’application de la convention de Montréal de 1971 résultant de l’incident
aérien de Lockerbie (Jamahiriya arabe libyenne c. Royaume-Uni), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998,
p. 14, par. 13.
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21. L’interprétation large de la compétence de la Cour en vertu de l’article IX est également
appuyée par le terme « relatifs à ». Les différends relatifs à la responsabilité d’un État pour un
génocide ou l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III ne constituent donc qu’une
partie des différends relevant de la compétence de la Cour en vertu de l’article IX37. Cette conclusion
est étayée par la jurisprudence de la Cour :
« La particularité de l’article IX réside dans le membre de phrase “y compris [les
différends] relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un
quelconque des autres actes énumérés à l’article III”. L’expression “y compris” semble
confirmer que les différends relatifs à la responsabilité des parties contractantes pour
génocide ou tout autre acte énuméré à l’article III s’inscrivent dans un ensemble plus
large de différends relatifs à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la
Convention. »38 [Les italiques sont de nous.]
22. L’article IX prévoit expressément que la Cour peut être saisie « à la requête d’une Partie
au différend » (les italiques sont de nous). Ainsi que l’a déjà souligné la Cour,
« l’indication, à l’article IX, que les différends doivent être soumis à la Cour “à la
requête d’une partie au différend”, et non de toute partie contractante, ne limite pas la
catégorie des parties contractantes autorisées à intenter une action à raison de violations
alléguées d’obligations erga omnes partes découlant de la convention. Ce membre de
phrase précise que seule une partie au différend peut porter celui-ci devant la Cour, mais
n’impose en aucun cas qu’un tel différend oppose un État partie qui aurait violé la
convention à un État “spécialement atteint” par la violation alléguée.
Il s’ensuit que tout État partie à la convention sur le génocide peut invoquer la
responsabilité d’un autre État partie, notamment par l’introduction d’une instance
devant la Cour, en vue de faire constater le manquement allégué de ce dernier à des
obligations erga omnes partes lui incombant au titre de la convention et d’y mettre
fin. »39
23. Il ressort de ce qui précède que toute partie à un différend relatif à la convention sur le
génocide peut demander à la Cour de rendre un jugement déclaratoire « négatif » et que, selon
l’interprétation correcte de l’article IX, les différends entrant dans la catégorie des revendications de
« non-violation » ou d’« absence de preuves » relèveront de la compétence de la Cour. La
République de Bulgarie affirme, ainsi qu’elle l’a indiqué dans sa déclaration d’intervention40, qu’en
vertu de l’article IX, un État partie à la convention sur le génocide qui est accusé par un autre État
partie d’avoir violé cet instrument peut déposer une requête relative à l’interprétation, l’application
ou l’exécution de celui-ci et prier la Cour de dire et juger qu’il n’a pas commis les manquements
allégués à ses obligations.
37 Voir aussi observations écrites de la Gambie sur les exceptions préliminaires soulevées par le Myanmar, 20 avril
2021, p. 28-29, par. 3.22 (« [Le fait que les différends portant sur “la responsabilité d’un État en matière de génocide”
figurent parmi ceux qui sont susceptibles d’être soumis à la Cour] signifie incontestablement que la responsabilité à l’égard
d’actes de génocide peut être l’objet d’un différend porté devant la Cour par toute partie contractante. »).
38 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 114, par. 169.
39 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar),
exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 111-112.
40 Déclaration d’intervention de la République de Bulgarie, par. 23.
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III. LA NATURE DE L’ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE ET LA PLACE
DE LA CONVENTION DANS LE SYSTÈME JURIDIQUE INTERNATIONAL
24. La République de Bulgarie rappelle que le principe général d’interprétation tel qu’envisagé
à l’article 31 de la convention de Vienne exige qu’un traité soit interprété à la lumière de son objet
et de son but. Ainsi qu’elle l’a fait valoir dans sa déclaration d’intervention, elle estime que l’objet
et le but de la convention sur le génocide viennent également à l’appui d’une interprétation large de
l’article IX41. La Cour a dit ce qui suit :
« La Convention a été manifestement adoptée dans un but purement humain et
civilisateur. On ne peut même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut
degré ce double caractère puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même
de certains groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de
morale les plus élémentaires. Dans une telle convention, les États contractants n’ont pas
d’intérêts propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de
préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que
l’on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages
individuels des États, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les
droits et les charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu
de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions
qu’elle renferme. »42
25. L’objet de la convention, à savoir protéger « les principes de morale les plus
élémentaires », est en outre appuyé par la disposition qui interdit le génocide, en tant que norme
impérative du droit international général (norme de jus cogens)43. La Cour a qualifié de normes de
jus cogens les obligations nécessaires à la protection des « valeurs humanitaires essentielles »44. La
République de Bulgarie rappelle en outre que, selon la Cour, « les droits et obligations consacrés par
la convention sont des droits et obligations erga omnes »45.
26. Étant donné le rôle essentiel que joue l’interdiction du génocide dans la défense des intérêts
de l’humanité et le caractère erga omnes des droits et obligations des États en vertu de la convention,
la République de Bulgarie soutient que les dispositions de la convention doivent être interprétées de
bonne foi.
27. Ainsi que l’a fait observer la Cour, le principe de bonne foi oblige les parties contractantes
à « appliquer [un traité] de façon raisonnable et de telle sorte que son but puisse être atteint »46.
L’interprétation et l’application de bonne foi du droit international sont essentielles pour établir « la
confiance réciproque [qui] est une condition inhérente de la coopération internationale »47.
41 Déclaration d’intervention de la République de Bulgarie, par. 26.
42 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1951, p. 23.
43 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 111, par. 161-162.
44 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 104, par. 147.
45 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. 616, par. 31.
46 [Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142.]
47 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, par. 46, p. 268.
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28. En conséquence, la République de Bulgarie estime que le principe d’interprétation de
bonne foi est un garde-fou important contre les abus dont les dispositions de la convention sur le
génocide peuvent faire l’objet et que tout différend sur la manière dont est interprétée, appliquée ou
exécutée ladite convention relève de la compétence de la Cour en vertu de l’article IX de cet
instrument.
29. Ainsi qu’il a été dit plus haut, conformément à l’article IX de la convention sur le génocide,
un différend doit, pour relever de la compétence de la Cour, être relatif à l’interprétation, l’application
ou l’exécution « de la présente Convention ». Comme l’a fait observer la Cour, sa compétence en
vertu de l’article IX de la convention sur le génocide est « limitée aux obligations imposées par la
Convention elle-même »48. En conséquence, l’article IX ne peut être interprété comme faisant relever
de la compétence de la Cour les différends relatifs à la violation de règles de droit international autres
que celles énoncées par la convention49.
30. Cela étant, l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne dispose
que, à titre de règle générale d’interprétation, il sera tenu compte, en même temps que du contexte,
« [d]e toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ». À
cette fin, s’agissant de la convention sur le génocide, la Cour a dit que « chaque État ne peut déployer
son action que dans les limites de ce que lui permet la légalité internationale »50.
31. Comme il est indiqué dans la déclaration d’intervention de la République de Bulgarie51,
« tout instrument international doit être interprété et appliqué dans le cadre de l’ensemble du système
juridique en vigueur au moment où l’interprétation a lieu »52. L’article IX doit être interprété de façon
à définir la place de la convention sur le génocide dans l’ordre juridique international. Pour
l’interpréter, il convient de tenir compte de son importance dans le système juridique international.
32. La République de Bulgarie soutient en outre que, eu égard à la nature de l’article IX en
tant que clause compromissoire de la convention sur le génocide, et à la compréhension de la portée
de l’objet et du but de cet instrument en tant que reflet des « principes de morale les plus
élémentaires », qui a été élaboré en réaction au « refus du droit à l’existence de groupes humains
entiers, refus qui bouleverse la conscience humaine, [et] inflige de grandes pertes à l’humanité »53,
l’interprétation correcte de l’article IX fait relever de la compétence de la Cour tout différend relatif
à la conformité d’actes entrepris par les parties contractantes dans le cadre de l’ensemble du système
juridique. De plus, l’« interprétation ne peut manquer de tenir compte de l’évolution que le droit a
48 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt,
C.I.J. Recueil 2015 (I), p. 47, par. 88.
49 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 43, par. 147-148.
50 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine
c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430.
51 Déclaration d’intervention de la République de Bulgarie, par. 23.
52 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31, par. 53.
53 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif,
C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
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ultérieurement connue »54 et doit veiller à ce que soit dûment garantie la réalisation de l’objet et du
but de la convention sur le génocide eu égard aux valeurs qu’elle incarne aujourd’hui.
33. Au vu de ce qui précède, la République de Bulgarie affirme que, compte tenu de la nature
de l’article IX, qui est la clause compromissoire de la convention sur le génocide, et du rôle que joue
la convention dans le système juridique international en tant qu’ordre cohérent, l’« esprit et [les] buts
des Nations Unies »55 sont des règles pertinentes du droit international, applicables aux parties à la
convention conformément au principe de l’interprétation fondée sur le principe de l’intégration
systémique.
IV. CONCLUSION
34. La République de Bulgarie soutient, pour les raisons exposées dans les présentes
observations, que l’interprétation correcte de l’article IX de la convention sur le génocide confère à
la Cour la compétence de dire et juger
a) qu’il n’y a pas violation de la convention par la demanderesse,
b) que le fait de ne pas exécuter la convention de bonne foi constitue une violation de cet instrument.
35. La République de Bulgarie rappelle que la convention sur le génocide a été négociée en
réaction au « refus du droit à l’existence de groupes humains entiers, refus qui bouleverse la
conscience humaine [et] inflige de grandes pertes à l’humanité »56. Par conséquent, cet instrument
incarne les « principes de morale les plus élémentaires ». La République de Bulgarie considère que
c’est cette nature particulière de la convention sur le génocide qui définit sa place dans le système
juridique international.
36. À la lumière de ce qui précède, la République de Bulgarie affirme que la compétence de
la Cour, découlant de l’interprétation correcte de la clause compromissoire prévue à l’article IX,
devrait être interprétée conformément au principe de l’intégration systémique « dans le cadre de
l’ensemble du système juridique en vigueur au moment où l’interprétation a lieu »57 et à la lumière
de l’objet et du but du présent instrument, de façon à garantir les valeurs ainsi incarnées par la
convention sur le génocide et le rôle que joue celle-ci dans le système juridique international.
Respectueusement,
L’agente de la République de Bulgarie,
(Signé) Dimana DRAMOVA.
___________
54 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31, par. 53.
55 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, par. 58.
56 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil
1951, p. 23.
57 Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l’Afrique du Sud en Namibie (Sud-Ouest
africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de sécurité, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1971, p. 31, par. 53.

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Observations écrites de la Bulgarie sur l’objet de son intervention

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