Note: Cette traduction a été établie par le Greffe à des fins internes et n’a aucun caractère officiel
COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ALLÉGATIONS DE GÉNOCIDE AU TITRE DE LA CONVENTION POUR LA PRÉVENTION ET LA RÉPRESSION DU CRIME DE GÉNOCIDE (UKRAINE c. FÉDÉRATION DE RUSSIE ; 32 ÉTATS INTERVENANTS)
OBSERVATIONS ÉCRITES DU ROYAUME D’ESPAGNE
28 juin 2023
[Traduction du Greffe]
I. OBJET ET BUT DE L’INTERVENTION
1. Le 5 juin 2023, la Cour internationale de Justice (ci-après « la Cour ») a décidé que les déclarations d’intervention au titre de l’article 63 du Statut de la Cour (ci-après « le Statut ») déposées notamment par l’Espagne (ci-après « ordonnance sur la recevabilité des déclarations d’intervention ») dans l’affaire relative à des Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie) étaient recevables1. La Cour a fixé au 5 juillet 2023 la date d’expiration du délai pour le dépôt des observations écrites visées au paragraphe 1 de l’article 86 du Règlement de la Cour2.
2. L’intervention de l’Espagne au titre de l’article 63 du Statut implique l’exercice d’un droit par un État partie à une convention dont l’interprétation est en cause devant la Cour3. Comme la Cour l’a déterminé dans l’ordonnance sur la recevabilité des déclarations d’intervention, l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (ci-après la « convention sur le génocide » ou la « convention »)4 concernant la compétence ratione materiae de la Cour est en cause au stade actuel de la procédure5. Conformément à l’ordonnance sur la recevabilité des déclarations d’intervention, les observations écrites porteront uniquement sur l’interprétation de l’article IX et d’autres dispositions de la convention sur le génocide pertinentes aux fins de la détermination de la compétence ratione materiae de la Cour dans le cadre de la présente procédure6. Les références à d’autres règles et principes de droit international, en dehors de la convention sur le génocide, dans les observations écrites ne concerneront que l’interprétation des dispositions de la convention, conformément à la règle coutumière d’interprétation reflétée à l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités (ci-après « convention de Vienne »)7.
3. Invitée par la Cour à se coordonner avec d’autres États intervenants, l’Espagne s’est mise d’accord sur le fond de sa position avec d’autres intervenants. Toutefois, afin de pouvoir respecter le délai strict fixé par la Cour et pour des raisons logistiques, l’Espagne soumet dans les présentes observations un contenu qui lui est propre.
4. Ainsi qu’indiqué dans sa déclaration d’intervention, l’Espagne ne fera porter ses observations que sur l’article IX de la convention sur le génocide. Elle s’emploiera ainsi, dans le présent exposé, à analyser les principaux éléments de cette disposition, à savoir : i) la notion de « différends entre les Parties contractantes » ; ii) la portée et la nature des différends pouvant être soumis à la Cour (« relatifs à ») : a) les différends relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention ; b) les différends « relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III » ; et iii) les États pouvant soumettre un différend (« à la requête d’une Partie au différend »).
1 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), ordonnance du 5 juin 2023, accessible à l’adresse suivante : https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/182/182-20230605-ORD-01-00-FR.pdf, par. 99 et 102 1).
2 Ibid., par. 102 3).
3 Ibid., par. 26.
4 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, signée à Paris, le 9 décembre 1948, Nations Unies, Recueil des traités, vol. 78, p. 277 (entrée en vigueur le 12 janvier 1951).
5 Ordonnance sur la recevabilité des déclarations d’intervention (note 1), par. 69.
6 Ibid., par. 99.
7 Ibid., par. 84.
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5. Avant de traiter des questions susmentionnées, l’Espagne voudrait toutefois formuler quelques remarques générales sur l’importance de la convention sur le génocide dans l’ordre juridique international, dans la mesure requise pour appréhender comme il se doit ses observations, particulièrement en ce qui concerne les principes d’interprétation qu’elle a appliqués.
II. LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE DANS L’ORDRE JURIDIQUE INTERNATIONAL
6. La convention sur le génocide est le principal instrument juridique que la communauté des États ait adopté, juste après la seconde guerre mondiale et alors que l’Organisation des Nations Unies venait de voir le jour, en vue de prévenir et de réprimer le génocide. D’emblée, elle pose que le génocide est un crime du droit des gens, et reconnaît que la lutte contre le génocide, tant au niveau national qu’international, est un devoir juridique et éthique auquel les États ne sauraient se soustraire.
7. L’importance particulière prêtée à la lutte contre le génocide après la seconde guerre mondiale est sensible dans la convention8, et s’est trouvée confirmée dans les très nombreux instruments qui ont été adoptés ensuite. L’on citera notamment le code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, adopté par la Commission du droit international (CDI) en 19969, et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale10. Quant à l’importance de la convention sur le génocide dans l’ordre juridique international, la jurisprudence de la CIJ en rend amplement compte depuis 195111.
8. La signification et l’objet de la convention sur le génocide ont été exposés par la Cour dans ce passage de son célèbre avis consultatif de 1951 :
« Les origines de la Convention révèlent l’intention des Nations Unies de condamner et de réprimer le génocide comme “un crime de droit des gens” impliquant le refus du droit à l’existence de groupes humains entiers, refus qui bouleverse la conscience humaine, inflige de grandes pertes à l’humanité, et qui est contraire à la fois à la loi morale et à l’esprit et aux fins des Nations Unies (résolution 96 (1) de l’Assemblée générale, 11 décembre 1946). Cette conception entraîne une première conséquence : les principes qui sont à la base de la Convention sont des principes reconnus par les nations civilisées comme obligeant les États même en dehors de tout lien conventionnel. Une deuxième conséquence est le caractère universel à la fois de la condamnation du génocide et de la coopération nécessaire “pour libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux” (préambule de la Convention).
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
8 Ainsi qu’indiqué dans le troisième alinéa du préambule, la convention a été adoptée « pour libérer l’humanité d’un fléau aussi odieux [le génocide] ».
9 Voir article 17 et paragraphe 3 du commentaire relatif à cet article. Annuaire de la CDI, 1996, vol. II, deuxième partie, par. 50, p. 44.
10 Voir l’article 6 du Statut de Rome.
11 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)) ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie) ; Demande en revision de l’arrêt du 11 juillet 1996 en l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie) ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar) et Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie ; 32 États intervenants).
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Les fins d’une telle convention doivent également être retenues. La Convention a été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double caractère, puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains groupes humains, d’autre part, à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus élémentaires. Dans une telle convention, les États contractants n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte que l’on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages individuels des États, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et les charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions qu’elle renferme. »12
9. Ces considérations ont été réaffirmées par la Cour chaque fois qu’elle a eu à connaître de différends mettant en cause le crime de génocide et la convention sur le génocide. Récemment, dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), la Cour a ainsi dit que « [t]ous les États parties à la convention sur le génocide [avaie]nt donc, en souscrivant aux obligations contenues dans cet instrument, un intérêt commun à veiller à ce que le génocide soit prévenu, réprimé et puni »13. L’Espagne rappellera que, aux fins de la détermination de cet « intérêt commun », la Cour a estimé, dans son avis consultatif de 1951, que « [l]es fins d’une telle convention d[evai]ent également être retenues », après avoir souligné que son raisonnement reposait notamment sur la « raison d’être » de la convention14.
10. En sus, et en conséquence, la Cour a déclaré que les droits et obligations consacrés par la convention étaient des droits et obligations erga omnes15 et que l’interdiction du génocide constituait une obligation erga omnes, affirmant expressément et inconditionnellement qu’il s’agit d’une norme de jus cogens16. C’est également l’avis que l’on trouve défendu dans nombre d’opinions individuelles
12 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
13 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 107.
14 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
15 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), [p. 615-616,] par. 31.
16 Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (République démocratique du Congo c. Rwanda), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2006, p. 31-32, par. 64. Voir aussi Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 110-111, par. 161, où la Cour, après avoir cité l’avis consultatif de 1951, indique avoir, dans son arrêt de 2006, « réaffirmé s[on] dict[um] de 1951 … lorsqu’elle a ajouté que la norme interdisant le génocide constituait assurément une norme impérative du droit international (jus cogens) ». Activités armées sur le territoire du Congo, p. 31-32, par. 64 (« le fait qu’un différend porte sur le respect d’une norme possédant un tel caractère [de jus cogens], ce qui est assurément le cas de l’interdiction du génocide, ne saurait en lui-même fonder la compétence de la Cour pour en connaître »). Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), [p. 111,] par. 162 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), C.I.J. Recueil 2015, p. 47-48, par. 88.
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et dissidentes de juges de la Cour17. L’interdiction du génocide a également été admise comme faisant partie du jus cogens par le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal international pour le Rwanda18. C’est également la conclusion à laquelle est récemment parvenue la CDI à l’issue de ses travaux sur les « Normes impératives du droit international général (jus cogens) »19.
11. En même temps, il doit être rappelé que la Cour a reconnu à la convention sur le génocide une structure et une nature très générales et complexes. Selon l’interprétation que la Cour en a faite, la convention ne se contente pas de qualifier le génocide de crime, odieux, du droit des gens et d’imposer aux États parties certains devoirs spécifiques dans le but de prévenir ce crime et d’en poursuivre les auteurs au niveau national, mais oblige également ceux-ci à agir (au niveau tant national qu’international) en vue de prévenir et de réprimer le génocide eu égard à la « raison d’être » de la convention, et conformément à l’objet et au but de celle-ci20.
12. Selon cette interprétation, la convention sur le génocide n’est pas exclusivement un traité de droit pénal. Elle contient des éléments qui se rapportent clairement à la protection et à la sauvegarde de valeurs et principes fondamentaux du droit international, y compris la protection de la dignité humaine et le principe de responsabilité. La convention sur le génocide ne saurait donc s’analyser comme un instrument isolé, totalement dissocié des autres règles et principes pertinents du droit international, y compris le maintien de la paix et de la sécurité internationales et la protection internationale des droits de l’homme.
13. C’est dans ce contexte que doit être interprété l’article IX, sachant que cet article lui-même témoigne de l’importance particulière que revêt la convention sur le génocide dans le système du droit international. Ainsi qu’elle l’explicitera ci-après, l’Espagne considère qu’il est nécessaire, lorsque l’on interprète l’article IX, de prendre en compte la nature et le rôle spécifiques que les États ont reconnus à la convention sur le génocide, pour ne pas compromettre la réalisation de l’objet et du but de la convention.
17 Citons en particulier l’opinion individuelle du juge ad hoc Lauterpacht dans l’affaire relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 440, par. 100 (« l’interdiction du génocide est depuis longtemps considérée comme l’un des rares exemples indiscutés du jus cogens »). Voir, par exemple, Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J., Recueil 2015 (I), opinion dissidente du juge Cançado Trindade, p. 234, par. 83, et p. 238, par. 92 ; Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996 (I), opinion dissidente du juge Weeramantry, p. 496.
18 Voir, par exemple, TPIY, Le procureur c. Zoran Kupreškić et consorts, affaire no IT-95-16-T, Chambre de première instance, jugement (14 janvier 2000), par. 520 ; TPIY, Le procureur c. Radislav Krstić, affaire no IT-98-33-T, Chambre de première instance, jugement (2 août 2001), par. 541 ; TPIY, Le procureur c. Milomir Stakić, affaire no IT-97-24-T, Chambre de première instance, jugement, 31 juillet 2003 ; TPIY, Le procureur c. Vidoje Blagojević et Dragan Jokić, affaire no IT-02-60-T, Chambre de première instance, jugement, 17 janvier 2005. S’agissant des décisions du Tribunal pénal international pour le Rwanda, voir, par exemple, Le procureur c. Clément Kayishema et Obed Ruzindana, affaire no ICTR-95-1, Chambre de première instance II, jugement (21 mai 1999), Recueil des ordonnances, décisions et arrêts 1999, vol. II, par. 88 (« La Convention [sur le génocide] devient par la suite un instrument international de protection des droits de l’homme communément admis. La Chambre relève que le crime de génocide est considéré comme faisant partie intégrante du droit international coutumier qui, de surcroît, est une norme impérative du droit. »).
19 Voir projet de conclusions sur la détermination et les conséquences juridiques des normes impératives du droit international général (jus cogens), conclusion 23, alinéa b), rapport de la CDI, 2022, A/77/10, p. 17.
20 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 20, par. 52.
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III. L’ARTICLE IX DE LA CONVENTION SUR LE GÉNOCIDE : NATURE ET CRITÈRES D’INTERPRÉTATION
14. L’article IX de la convention sur le génocide se lit comme suit :
« Les différends entre les Parties contractantes relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention, y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III, seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une Partie au différend. »
A. L’article IX en tant que clause compromissoire
15. Comme la Cour l’a affirmé à plusieurs reprises, l’article IX est une clause compromissoire pouvant fonder seule l’exercice de la compétence que la CIJ tient de la convention sur le génocide. Cette disposition est à distinguer de l’article VIII, qui offre un moyen politique de lutter contre le génocide21.
16. Preuve de la grande importance attachée par les États à cette clause compromissoire, certains de ceux qui avaient émis une réserve à l’article IX l’ont ensuite retirée.
17. L’article IX est l’un des premiers exemples de « clause compromissoire » incluse dans un traité multilatéral adopté sous les auspices de l’Organisation des Nations Unies. Bien que sa nature et son objet soient identiques à ceux de dispositions similaires figurant dans d’autres traités multilatéraux adoptés dans le même cadre, son libellé contient plusieurs caractéristiques distinctives, en particulier l’emploi du mot « exécution » au côté des termes « interprétation » et « application [de la convention] », et l’utilisation de l’expression « y compris … la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III ». Enfin, il convient de souligner que l’article IX confère à « une Partie au différend », quelle qu’elle soit, la possibilité d’introduire une requête.
18. En sus, il convient de mentionner que l’article IX reconnaît directement l’éventuelle compétence de la Cour, sans qu’il soit nécessaire de satisfaire à quelque autre prérequis : remplir telles ou telles conditions liées à la « protection diplomatique » ou à la nationalité de la réclamation22 ou avoir épuisé d’autres moyens de règlement pacifique des différends avant de pouvoir déposer une requête en vertu de l’article IX, par exemple. Comme l’a indiqué la Cour, l’article IX établit une procédure juridique aux fins du règlement des différends relatifs à la convention sur le génocide sur le fondement du droit, et se distingue de l’article VIII, qui concerne les mesures à prendre au niveau politique23.
19. Ainsi, à l’article IX, la Cour internationale de Justice est présentée comme un moyen et locus privilégiés aux fins du règlement pacifique de tout différend se rapportant à la convention, ce
21 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 15, par. 35 ; exceptions préliminaires, par. 88.
22 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 109-110.
23 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), mesures conservatoires, ordonnance du 23 janvier 2020, C.I.J. Recueil 2020, p. 15, par. 33-35.
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qui cadre parfaitement avec le rôle particulier attribué à la convention sur le génocide dans l’ordre juridique international.
20. Pour interpréter l’article IX, il faut, eu égard à sa teneur et, en particulier, aux caractéristiques distinctives qui sont les siennes, en analyser soigneusement les dispositions. La Cour s’y est employée dans certains des arrêts et des ordonnances qu’elle a rendus en d’autres affaires relatives au génocide.
21. Certaines questions, toutefois, demeurent ouvertes et doivent être éclaircies en la présente affaire. Par son intervention, l’Espagne entend apporter sa collaboration à la Cour aux fins de l’interprétation de ceux des principaux éléments de l’article IX entrant en ligne de compte au présent stade de la procédure. À cette fin, elle exposera ses observations y relatives dans la quatrième partie de son exposé. Auparavant, il lui paraît cependant utile de formuler quelques remarques sur les principes d’interprétation qu’il s’agit d’appliquer.
B. Les principes d’interprétation applicables
22. Comme l’a maintes fois indiqué la Cour, il convient, aux fins de l’interprétation d’un traité, d’avoir recours aux règles coutumières de droit international relatives à l’interprétation des traités, telles que reflétées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 (ci-après la « convention de Vienne »)24, ainsi qu’à la jurisprudence réitérée de la Cour, en particulier les précédents touchant à l’interprétation de la convention sur le génocide25.
23. Conformément au droit international coutumier, tel que reflété à l’article 31 de la convention de Vienne (Règle générale d’interprétation),
« 1. Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but.
2. Aux fins de l’interprétation d’un traité, le contexte comprend, outre le texte, préambule et annexes inclus :
a) Tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité ;
b) Tout instrument établi par une ou plusieurs parties à l’occasion de la conclusion du traité et accepté par les autres parties en tant qu’instrument ayant rapport au traité.
24 Voir Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), p. 598, par. 106 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 109-110, par. 160 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 87.
25 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I) ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2008 ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Croatie c. Serbie), arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (I) ; Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022.
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3. Il sera tenu compte, en même temps que du contexte :
a) De tout accord ultérieur intervenu entre les parties au sujet de l’interprétation du traité ou de l’application de ses dispositions ;
b) De toute pratique ultérieurement suivie dans l’application du traité par laquelle est établi l’accord des parties à l’égard de l’interprétation du traité ;
c) De toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties.
4. Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des parties. »
24. Même si l’Espagne convient que l’interprétation des traités est, comme l’a dit la Cour, un exercice complexe et unique aux fins duquel il convient d’appliquer toutes les règles énumérées à l’article 31, elle voudrait mettre en exergue celles qu’elle estime particulièrement pertinentes s’agissant de déterminer l’étendue de la compétence ratione materiae et ratione personae conférée à la Cour au titre de l’article IX.
25. Il s’agit ainsi, pour commencer :
i) de tenir compte, avant tout, du « sens ordinaire à attribuer aux termes » ;
ii) d’interpréter ces termes « dans leur contexte ».
26. La Cour a mis en avant les règles susmentionnées en tant que principes fondamentaux d’interprétation à appliquer dans les affaires relatives à la convention sur le génocide. Leur application revêt une pertinence particulière lorsqu’il s’agit d’interpréter le sens du terme « exécution » et de l’expression « une [any, en anglais] Partie au différend ».
27. En sus, l’Espagne considère que l’interprétation de l’article IX doit tenir compte de l’objet et du but de la convention — règle fondamentale d’interprétation appliquée par la Cour depuis 1951. Il s’agit là d’une règle générale d’interprétation, qui impose de prendre en considération d’autres dispositions de la convention, en particulier l’article premier, en tant qu’il énonce que le génocide est, en toutes circonstances, un crime du droit des gens, rattachant ainsi aux valeurs suprêmes de la communauté internationale le véritable but de la convention, qui est de prévenir et de réprimer le génocide de manière générale, sans se limiter à l’adoption de pratiques et mesures législatives au niveau national.
28. En tout état de cause, l’Espagne tient à rappeler que l’ensemble des critères susmentionnés doivent être appliqués de bonne foi. L’on trouve des références constantes à la bonne foi dans les précédents de la Cour en matière d’interprétation, et notamment les ordonnances et arrêts rendus dans des affaires ayant trait à la convention sur le génocide. Selon l’Espagne, le principe de bonne foi a un rôle crucial à jouer aux fins de l’interprétation de l’article IX et, partant, la compétence de la CIJ s’étend ratione materiae à tout différend impliquant l’exécution de mauvaise foi de la convention sur le génocide à des fins étrangères aux véritables objet et but de celle-ci, tels que reconnus par la Cour.
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29. Enfin, l’Espagne souhaiterait appeler l’attention de la Cour sur l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, qui prévoit qu’« [i]l sera tenu compte, en même temps que du contexte : … c) De toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties. »
30. L’Espagne a pris acte de la mise en garde adressée par la Cour dans son ordonnance sur la recevabilité des déclarations d’intervention à propos du renvoi à d’autres règles et principes de droit international26, qu’elle juge légitime. Elle n’a donc pas l’intention de recourir, dans le cadre de son intervention, à d’autres règles et principes de droit international, hors du cadre de la convention sur le génocide, à la seule exception de celles pertinentes aux fins de l’interprétation de l’article IX.
31. Il lui faut néanmoins à tout le moins indiquer qu’elle considère le recours à d’autres règles et principes de droit international comme une conséquence logique de l’interprétation du droit international en tant que système cohérent. De ce point de vue, rappelons que, comme l’a dit la Cour dans le cadre d’affaires ayant trait à la convention sur le génocide, un État partie se doit de s’acquitter des obligations qu’il tient de la convention conformément au droit international27.
32. L’Espagne considère ainsi que d’autres règles et principes de droit international pourraient être pris en compte pour déterminer la teneur et la portée d’un différend relatif à l’exécution de la convention. Leur prise en compte se justifierait, en particulier, s’agissant de déterminer si un État pourrait exécuter son obligation de prévenir et de réprimer le génocide en commettant des actes qui seraient susceptibles d’aller à l’encontre d’un principe fondamental du droit international, tel que l’interdiction de l’emploi de la force. À cet égard, les normes imposant l’interdiction de recourir à la force (à savoir la Charte des Nations Unies et la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale) ou la protection internationale des droits de l’homme sont pertinentes aux fins de l’interprétation de l’article IX de la convention sur le génocide, dans la mesure où elles le sont aux fins de la détermination de l’existence d’un différend relatif à l’interprétation, à l’application ou à l’exécution de la convention.
IV. LES PRINCIPAUX ÉLÉMENTS DE L’ARTICLE IX
A. « Les différends entre les Parties contractantes »
33. L’existence d’un différend entre les parties est une condition pour que la Cour ait compétence en vertu de l’article IX de la convention sur le génocide. La détermination par la Cour de l’existence d’un différend est une question de fond, et non de forme ou de procédure28.
34. La Cour a maintes fois affirmé qu’un différend était « un désaccord sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts » entre les parties29. Pour qu’un différend existe, « [i]l faut démontrer que la réclamation de l’une des parties se heurte à
26 Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 5 juin 2023, par. 84.
27 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430 ; Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 16 mars 2022, par. 57.
28 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30.
29 Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, C.P.J.I. série A no 2, p. 11.
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l’opposition manifeste de l’autre »
30. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il y a différend dès lors que se produit « une situation dans laquelle les points de vue des deux parties, quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations découlant des traités, sont nettement opposés »31. Les points de vue des deux parties quant à l’exécution ou à la non-exécution de certaines obligations internationales doivent être nettement opposés32.
35. Cependant, il n’est pas nécessaire, pour conclure que les parties ont des points de vue nettement opposés concernant l’exécution d’obligations juridiques, que le défendeur se soit expressément opposé aux réclamations du demandeur. Si tel était le cas, cela permettrait au défendeur de faire obstacle à la constatation de l’existence d’un différend en restant silencieux face aux réclamations juridiques du demandeur. Une telle conséquence serait inacceptable33. Comme l’a relevé la Cour, dans certaines circonstances, un silence peut également être révélateur de l’existence d’un différend34.
36. De même, comme l’a déjà dit la Cour, « le fait que la réclamation de l’une des parties se heurte à l’opposition manifeste de l’autre ne doi[]t pas nécessairement être énoncé[] expressis verbis. … [I]l est possible … d’établir par inférence quelle est en réalité la position ou l’attitude d’une partie. »35 En particulier, « l’existence d’un différend peut être déduite de l’absence de réaction d’un État à une accusation dans des circonstances où une telle réaction s’imposait »36. La question de savoir si une telle déduction peut être faite dépend des circonstances particulières de chaque affaire37.
37. S’agissant de déterminer quand un différend s’est fait jour, la date à laquelle doit être appréciée l’existence d’un différend est celle du dépôt de la requête38. Toutefois, le comportement des parties postérieur à la requête peut être pertinent à divers égards et, en particulier, aux fins de confirmer l’existence d’un différend39.
30 Sud-Ouest africain (Éthiopie c. Afrique du Sud ; Libéria c. Afrique du Sud), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1962, p. 328.
31 Interprétation des traités de paix conclus avec la Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie, première phase, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1950, p. 74.
32 Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Îles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 269-270, par. 34 ; Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 26, par. 50.
33 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 71.
34 Ibid.
35 Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigéria (Cameroun c. Nigéria), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1998, p. 315, par. 89.
36 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. 84, par. 30.
37 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Gambie c. Myanmar), exceptions préliminaires, arrêt du 22 juillet 2022, par. 75.
38 Violations alléguées de droits souverains et d’espaces maritimes dans la mer des Caraïbes (Nicaragua c. Colombie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 27, par. 52.
39 Obligations relatives à des négociations concernant la cessation de la course aux armes nucléaires et le désarmement nucléaire (Îles Marshall c. Inde), compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 2016 (I), p. 272, par. 40.
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38. Comme l’a noté la Cour, il n’est pas nécessaire, pour qu’existe un différend relatif à un traité donné, que le traité ou ses dispositions aient été expressément cités40. Néanmoins, ainsi qu’indiqué, « [s]’il n’est pas nécessaire qu’un État mentionne expressément, dans ses échanges avec l’autre État, un traité particulier pour être ensuite admis à invoquer ledit traité devant la Cour …, il doit … s’être référé assez clairement à l’objet du traité pour que l’État contre lequel il formule un grief puisse savoir qu’un différend existe ou peut exister à cet égard »41.
39. Ainsi que la Cour l’a noté, les requêtes qui lui sont soumises portent souvent sur un différend particulier qui s’est fait jour dans le cadre d’un désaccord plus large entre les parties42. Le fait qu’un différend dont elle est saisie ne représente qu’un élément d’une situation complexe dans laquelle les États concernés ont des vues opposées sur diverses questions, si importantes soient-elles, ne saurait conduire la Cour à refuser de résoudre ledit différend, dans la mesure où les parties ont reconnu sa compétence pour ce faire et que les conditions de son exercice sont par ailleurs réunies43.
40. Enfin, il convient de souligner que certains actes ou omissions peuvent donner lieu à un différend entrant dans le champ de plusieurs instruments, et un différend relatif à ces actes peut avoir trait « à l’interprétation ou à l’application » de plusieurs traités ou autres instruments44. En tout état de cause, pour asseoir sa compétence, la Cour doit toujours s’assurer que le différend en question entre bien dans les prévisions de l’article IX de la convention sur le génocide45.
B) « relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention »
a) « relatifs à … la présente Convention »
41. Le premier point (« relatifs à ») établit un lien entre le différend et la convention. La fin de ce membre de phrase (« de la présente Convention ») indique clairement que la clause compromissoire renvoie à toutes les dispositions de la convention. Il découle du sens ordinaire des termes employés que les différends à l’égard desquels l’article IX confère compétence à la Cour doivent faire référence à la convention. Il n’est pas fait spécifiquement référence à tel ou tel de ses articles en particulier, mais à la convention dans son ensemble. En d’autres termes, l’article IX confère compétence à la Cour pour connaître de tout différend relatif à l’interprétation, l’application ou l’exécution de toute disposition de la convention, objet et but compris. Il ne s’ensuit pas pour autant que la convention sur le génocide soit la seule norme internationale que la Cour doive prendre en considération lorsqu’elle exerce sa compétence en une affaire donnée. Au contraire, ainsi qu’exposé au paragraphe 32 du présent exposé, il sera, aux termes de l’alinéa c) du paragraphe 3 de l’article 31 de la convention de Vienne sur le droit des traités, « tenu compte … [d]e toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties ».
40 Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2011 (I), p. [103], par. 72.
41 Ibid., p. 85, par. 30.
42 Certains actifs iraniens (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt du 13 février 2019, p. 23, par. 36 ; Obligation de négocier un accès à l’océan Pacifique (Bolivie c. Chili), exception préliminaire, arrêt, C.I.J. Recueil 2015 (II), p. 604, par. 32.
43 Application de la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme et de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Ukraine c. Fédération de Russie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J Recueil 2019 (II), p. [576], par. 28.
44 Violations alléguées du traité d’amitié, de commerce et de droits consulaires de 1955 (République islamique d’Iran c. États-Unis d’Amérique), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 2021, [p. 27,] par. 56.
45 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), [p. 615,] par. 30.
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b) « l’interprétation »
42. L’article IX traite, en premier lieu, de différends concernant l’interprétation. Il utilise à cet égard une formule que l’on retrouve dans nombre de clauses compromissoires de traités internationaux.
43. Ainsi qu’il a été maintes fois énoncé, l’interprétation a pour but d’éclairer le sens et le contenu exacts du traité. La CPJI a ainsi exprimé « [l]’avis que, par l’expression “interprétation”, il faut entendre l’indication précise du “sens” et de la “portée” » du texte interprété46. La CIJ a elle aussi considéré que l’interprétation devait « viser uniquement à faire éclaircir le sens et la portée » du texte en question47. En tout état de cause, il doit être considéré que la compétence que la Cour tient de l’article IX s’étend aux différends relatifs à l’interprétation de la convention tout entière.
c) « l’application »
44. Le terme application (de la convention) ne présente pas davantage d’ambiguïté. Les différends relatifs à l’application d’un traité impliquent de savoir si les dispositions de celui-ci ont été respectées et mettent généralement en cause le principe pacta sunt servanda, lequel est formulé comme suit à l’article 26 de la convention de Vienne sur le droit des traités : « Tout traité en vigueur lie les parties » et doit être appliqué par elles « de bonne foi ». En ce sens, comme pour l’interprétation, le principe d’application de bonne foi est à l’origine de nombre des différends existant entre États et devrait en guider le règlement48.
d) « ou l’exécution »
45. Enfin, l’article IX inclut un troisième terme qui ne figure généralement pas dans les clauses d’arbitrage, en renvoyant à l’exécution (fulfilment, en anglais) de la convention. Comme l’a relevé le juge Oda, l’insertion du mot « exécution » est « unique si on … compare [cette disposition] aux clauses compromissoires d’autres traités multilatéraux qui prévoient la soumission à la Cour internationale de Justice des différends entre les parties contractantes ayant trait à leur interprétation ou application »49.
46. L’article IX mentionne l’« exécution » après avoir employé les mots « interprétation » et « application ». Les trois termes sont énumérés distinctement, séparés par une virgule, et sans qu’il ne soit établi la moindre relation de coordination ou de dépendance entre eux.
47. L’un des principes généraux d’interprétation des traités est celui de l’effet utile, qui implique de considérer que l’inclusion de ce terme ajoute un élément à la compétence que l’article IX confère à la Cour. Ainsi que noté d’ailleurs par celle-ci, « [i]l serait … contraire aux règles d’interprétation généralement reconnues de considérer qu’une disposition de ce genre, insérée dans
46 Interprétation des arrêts nos 7 et 8 (usine de Chorzów), arrêt no 11, 1927, C.P.J.I. série A no 13, p. 10.
47 Demande d’interprétation de l’arrêt du 20 novembre 1950 en l’affaire du droit d’asile (Colombie c. Pérou), C.I.J. Recueil 1950, p. 402.
48 [].
49 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), déclaration du juge Oda, p. 627, par. 5 (les italiques sont dans l’original).
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un compromis, soit une disposition sans portée et sans effet »
50. À ces arguments, il convient d’ajouter qu’il ressort clairement des travaux préparatoires de la convention que c’est à l’issue d’un débat sur l’opportunité d’inclure le mot « exécution » qu’il a finalement été décidé de conserver celui-ci dans le texte définitif de la convention51. Il convient donc d’analyser soigneusement le sens du mot « exécution » tel qu’employé à l’article IX de la convention sur le génocide, en s’employant à cerner ce qui différencie ce terme des mots « interprétation » et — surtout — « application ».
48. Ainsi que l’a observé la Cour en 1951,
« [l]a Convention a été manifestement adoptée dans un but purement humain et civilisateur. On ne peut même pas concevoir une convention qui offrirait à un plus haut degré ce double caractère, puisqu’elle vise d’une part à sauvegarder l’existence même de certains groupes humains, d’autre part à confirmer et à sanctionner les principes de morale les plus élémentaires. »52
En ce sens, la convention sur le génocide est un traité revêtant une importance particulière dans le contexte du droit international relatif aux droits de l’homme. Et c’est justement dans le cadre du droit international relatif aux droits de l’homme que l’importance de la notion d’« exécution » ou de mise en oeuvre (fulfilment, en anglais) s’est précisée. Il est globalement admis que, en devenant partie aux traités relatifs aux droits de l’homme, les États assument au regard du droit international le devoir et l’obligation de respecter, de protéger et de mettre en oeuvre les droits de l’homme53. Dans ce contexte, l’obligation de mettre en oeuvre (fulfil) est interprétée comme impliquant de « prendre toutes les mesures [concrètes] voulues pour garantir »54 l’application de la convention, de « pren[dre] des mesures pour s’assurer »55 de l’application concrète de la convention ou d’« adopte[r] les mesures nécessaires » à la pleine et entière application de la convention56. C’est ce qu’entendait la Cour lorsqu’elle a dit que « l’obligation qui s’impose aux États parties » en vertu de l’article premier de la
50 Détroit de Corfou (Royaume‑Uni c. Albanie), fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1949, p. 24 ; voir également Différend territorial (Jamahiriya arabe libyenne/Tchad), arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 23.
51 Nations Unies, Documents officiels de l’Assemblée générale, troisième session, première partie, Sixième Commission, comptes rendus analytiques des séances, 21 septembre-10 décembre 1948, doc. A/C.6/SR.61-140, p. 428, 437 et 447. Cf. exposé écrit de l’Ukraine contenant ses observations et conclusions sur les exceptions préliminaires soulevées par la Fédération de Russie, 3 février 2023, par. 95.
52 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
53 Entre autres nombreuses sources, voir la définition du droit international relatif aux droits de l’homme du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (https://www.ohchr.org/fr/instruments-and- mechanisms/international-human-rights-law). Le comité des droits de l’homme (cf., par exemple, observation générale no 31 : La nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, CCPR/C/21/Rev.1/Add. 13, par. 7), le comité des droits économiques, sociaux et culturels (par exemple, observation générale no 12 sur le droit à une nourriture suffisante, E/C.12/1999/5, par. 15), le comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes (par exemple, recommandation générale no 24 : article 12 de la convention (Les femmes et la santé), 1999, par. 13) ou le comité des droits de l’enfant (par exemple, observation générale no 4 (2003) sur la santé et le développement de l’adolescent dans le contexte de la convention relative aux droits de l’enfant, CRC/GC/2003/4, introduction) se sont également exprimés en ce sens.
54 Par exemple, observation générale no 14 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (art. 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), E/C.12/2000/4, par. 52.
55 Par exemple, observation générale no 16 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur le droit égal de l’homme et de la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels (art. 3 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), E/C.12/2005/4, par. 21.
56 Par exemple, observation générale no 15 du Comité des droits économiques, sociaux et culturels sur le droit à l’eau (art. 11 et 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), E/C.12/2002/11, par. 26.
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convention était « celle de mettre en oeuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide »
57.
49. En conclusion, l’exécution de la convention renvoie à l’obligation faite à l’ensemble des États parties de prendre toutes les mesures en leur pouvoir pour prévenir et réprimer tout acte de génocide ou tout autre acte visé par la convention.
50. L’obligation de prendre ces mesures s’impose à tous les États parties à la convention, et non au seul État sur le territoire ou sous la juridiction duquel le génocide est (ou est présumé) commis. Eu égard à la nature de la convention sur le génocide, décrite dans la deuxième partie du présent exposé, cette obligation s’applique que de tels actes soient ou non commis sur leur territoire, qu’ils touchent ou non leurs ressortissants, que lesdits États aient ou non un intérêt direct en la matière car,
« [d]ans une telle convention, les États contractants n’ont pas d’intérêts propres ; ils ont seulement, tous et chacun, un intérêt commun, celui de préserver les fins supérieures qui sont la raison d’être de la convention. Il en résulte qu’on ne saurait, pour une convention de ce type, parler d’avantages ou de désavantages individuels des États, non plus que d’un exact équilibre contractuel à maintenir entre les droits et les charges. La considération des fins supérieures de la Convention est, en vertu de la volonté commune des parties, le fondement et la mesure de toutes les dispositions qu’elle renferme. »58
De ce fait, la Cour a conclu que « l’obligation qu’a ainsi chaque État de prévenir et de réprimer le crime de génocide n’[étai]t pas limitée territorialement par la convention »59. Elle a à cet égard fait référence à l’obligation de prévenir le génocide s’imposant aux États géographiquement éloignés du lieu où se produisent les faits, et même aux efforts conjugués de plusieurs États parties en vue de prévenir le génocide60.
51. Toutefois, comme l’a clairement affirmé la Cour, lorsqu’ils s’acquittent de l’obligation de prévention qui leur incombe à tous, « il est clair que [les] État[s] ne peu[ven]t déployer [leur] action que dans les limites de ce que l[eur] permet la légalité internationale »61. À cet égard, la Cour a déjà défini plusieurs conditions auxquelles le droit international impose qu’il soit satisfait aux fins de l’adoption par tout État de mesures de prévention. L’État partie doit ainsi apprécier si un génocide est en cours ou s’il existe un risque grave qu’un génocide soit commis avant de prendre des mesures en application de l’article premier62, et une appréciation en ce sens doit être justifiée par des éléments solides « ayant pleine force probante »63. À ces conditions il convient d’ajouter que, en bonne logique, ces mesures doivent être conformes aux principes élémentaires du droit international tels que formulés dans la Charte des Nations Unies et la résolution 2625 (XXV) de l’Assemblée générale,
57 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430.
58 Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1951, p. 23.
59 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), exceptions préliminaires, arrêt, C.I.J. Recueil 1996 (II), p. [616], par. 31.
60 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. 221, par. 430.
61 Ibid., par. 430 ; Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), déclarations d’intervention, ordonnance du 16 mars 2022, par. 57.
62 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt, C.I.J. Recueil 2007 (I), p. [129], par. 209.
63 Ibid.
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y compris les principes de bonne foi, d’interdiction de l’emploi de la force et de non-intervention dans les affaires intérieures.
52. La Cour a noté que le principe de bonne foi « oblige les Parties à … appliquer [un traité] de façon raisonnable et de telle sorte que son but puisse être atteint »64. L’interprétation de bonne foi sert donc de garde-fou contre tout détournement des dispositions de la convention sur le génocide et des institutions qui s’y rattachent. En tant que « [l’]un des principes de base qui président à la création et à l’exécution d’obligations juridiques », la bonne foi est également directement liée à la « confiance réciproque [qui] est une condition inhérente de la coopération internationale »65.
53. En outre, la convention sur le génocide donne des orientations concernant les moyens licites que les parties contractantes peuvent utiliser pour prévenir et punir le génocide. Si « [l]’article premier ne précise pas quels types de mesures une partie contractante peut prendre pour s’acquitter de cette obligation »66, il n’en reste pas moins que « [l]es parties contractantes doivent … exécuter ce[lle-ci] de bonne foi, en tenant compte d’autres parties de la convention, en particulier ses articles VIII et IX, ainsi que son préambule »67.
54. Ainsi, outre que la non-adoption de mesures de prévention est constitutive d’un manquement à l’obligation de prévenir, l’adoption de mesures qui débordent les limites de ce que permet la légalité internationale empêche l’exécution de la convention, tout particulièrement si lesdites mesures impliquent un abus de droit ou ont été adoptées sans égard pour le principe de bonne foi.
55. En conclusion, l’Espagne considère que le terme « exécution » devrait être interprété comme une référence autonome à l’un des types ou l’une des catégories de différends entre États parties pouvant être soumis à la CIJ en vertu de l’article IX. Ce que recouvre ledit différend doit être déterminé par la Cour, compte tenu des circonstances propres au cas d’espèce. Toutefois, selon l’Espagne, l’inclusion du terme « exécution » renvoie à la faculté de soumettre à la Cour un différend qui ne porterait pas exclusivement sur la détermination du sens et de la portée de telle ou telle disposition de la convention (interprétation) ou l’application de l’une des obligations particulières s’y trouvant définies (application), mais se rapporterait également à l’adoption de toutes les mesures qu’un État, quel qu’il soit, aurait à sa disposition pour prévenir et réprimer tout acte de génocide ou l’un quelconque des autres actes visés à l’article III de la convention, comprise comme un tout, y inclus toute forme d’action qui irait clairement à l’encontre de l’objet et du but de la convention (exécution).
56. Cette interprétation du terme « exécution » cadre avec l’importance que la communauté internationale attache à la lutte contre le génocide, laquelle impose aux États non pas seulement de prendre des mesures concrètes pour prévenir et réprimer les actes qui en relèvent sur leur propre territoire, mais également d’agir de bonne foi pour atteindre l’objectif ultime de la convention qui, comme le précise le préambule, n’est rien de moins que de « libérer l’humanité » de ce qui constitue
64 Projet Gabčíkovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt, C.I.J. Recueil 1997, p. 79, par. 142.
65 Essais nucléaires (Australie c. France), arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. [268, par. 46].
66 Ordonnance en indication de mesures conservatoires (note 26), par. 56.
67 Ibid.
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« un crime du droit des gens, en contradiction avec l’esprit et les fins des Nations Unies et que le monde civilisé condamne »
68.
57. Conformément à cette interprétation du terme « exécution », il serait possible de soumettre à l’examen de la Cour des actes ou omissions d’un État partie qui, sans être directement liés à une obligation spécifique formellement énoncée dans la convention, vont en soi, de par la forme qu’ils ont prise, ou parce qu’ils témoignent d’un manque de bonne foi ou encore relèvent d’un abus manifeste, à l’encontre de l’objet et du but de la convention. Savoir si ces actes ou omissions sont contraires à l’objet et au but de la convention, s’ils sont entachés de mauvaise foi, ou encore si c’est abusivement qu’est invoquée la convention sont autant d’objets possibles d’un différend relatif à l’« exécution » qui intéresserait la convention dans son ensemble.
C. « y compris ceux relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III »
58. L’Espagne considère que, selon le sens ordinaire des termes employés, l’expression « y compris ceux relatifs à » ne vise qu’un type de différends relevant de la compétence de la Cour ratione materiae. Ainsi, la préposition « y compris » renvoie aux différends « relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III », en tant que catégorie spécifique de litiges contenue dans la catégorie plus générale des différends visés par l’article IX de la convention sur le génocide.
59. En d’autres termes, les différends relatifs à la responsabilité d’un État en matière de génocide ou de l’un quelconque des autres actes énumérés à l’article III ne sont que l’un des types de différends relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention. La référence expresse aux différends relatifs à la responsabilité est justifiée, les auteurs de la convention ayant décidé d’indiquer clairement que l’expression « relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la présente Convention » incluait également cette catégorie de litiges. Toute autre interprétation irait à l’encontre du sens ordinaire des termes employés.
60. Ainsi, l’article IX confère à la Cour une vaste compétence ratione materiae couvrant toutes les questions « relati[ve]s à l’interprétation, l’application ou l’exécution » de la convention, dont font partie, mais auxquelles ne se limitent pas, les questions relatives à la responsabilité.
D. « seront soumis à la Cour internationale de Justice, à la requête d’une partie au différend »
61. La dernière partie de l’article IX vise la qualité pour soumettre à la Cour un différend. Les termes employés sont très généraux : « une Partie au différend ».
62. Ainsi qu’argumenté dans cet exposé, les différends peuvent porter sur des questions d’ordres divers : la détermination du sens et de la portée de telle ou telle disposition de la convention (interprétation), l’application de l’une des obligations particulières s’y trouvant définies (application) ou l’adoption de toutes les mesures qu’un État, quel qu’il soit, aurait à sa disposition pour prévenir et réprimer tout acte de génocide ou l’un quelconque des autres actes visés à l’article III de la
68 Voir ci-dessus, par. 8-11.
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convention, comprise comme un tout, y inclus toute forme d’action qui irait clairement à l’encontre de l’objet et du but de la convention (exécution).
63. Lorsque existe un désaccord « sur un point de droit ou de fait, une contradiction, une opposition de thèses juridiques ou d’intérêts » relatifs à l’interprétation, l’application ou l’exécution de la convention sur le génocide entre deux États parties, quels qu’ils soient, le différend en question peut, en vertu de la convention, être soumis à la Cour internationale de Justice. Le libellé de l’article IX ne prévoit aucune autre condition.
V. CONCLUSION
64. L’Espagne soumet à la Cour les conclusions ci-après en ce qui concerne l’interprétation de l’article IX de la convention sur le génocide :
L’article IX est rédigé en termes généraux pour couvrir les différends relatifs à la détermination du sens et de la portée de telle ou telle disposition de la convention (interprétation), l’application de l’une des obligations particulières s’y trouvant définies (application) et l’adoption des mesures voulues pour assurer la pleine et entière mise en oeuvre de la convention, comprise comme un tout, y inclus toute forme d’action qui irait clairement à l’encontre de l’objet et du but de la convention (exécution). Cette conception large de l’article IX correspond à la nature et aux fins de la convention, impliquant la protection et la sauvegarde de valeurs et principes de droit international fondamentaux.
L’article IX permet de soumettre à la Cour des différends intéressant non seulement la question de savoir si la non-adoption de mesures de prévention est constitutive de manquement à l’obligation de prévenir, mais également l’adoption de mesures qui débordent les limites de ce que permet la légalité internationale, tout particulièrement les mesures relevant d’un abus de droit, adoptées sans égard pour le principe de bonne foi, ou impliquant des violations de principes élémentaires du droit international tels que l’interdiction de l’emploi de la force ou la non-intervention dans les affaires intérieures.
Conformément à cette interprétation du terme « exécution », il serait possible de soumettre à l’examen de la Cour des actes ou omissions d’un État partie qui, sans être directement liés à une obligation spécifique formellement énoncée dans la convention, vont en soi, de par la forme qu’ils ont prise, ou parce qu’ils témoignent d’un manque de bonne foi ou encore relèvent d’un abus manifeste, à l’encontre de l’objet et du but de la convention. Savoir si ces actes ou omissions sont contraires à l’objet et au but de la convention, s’ils sont entachés de mauvaise foi ou encore si c’est abusivement qu’est invoquée la convention sont autant d’objets possibles d’un différend relatif à l’« exécution » qui intéresserait la convention dans son ensemble.
Toute partie au différend peut saisir la Cour au titre de l’article IX, y compris la partie victime de mesures de prévention qui sont abusives, n’ont pas été adoptées de bonne foi ou impliquent des violations de principes élémentaires du droit international.
La coagente du Royaume d’Espagne,
(Signé) Consuelo FEMENÍA.
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Observations écrites de l' Espagne sur l’objet de son intervention